Cours du Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE

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LICENCE DROIT – 1ÈRE ANNÉE
SECTION A
ANNÉE UNIVERSITAIRE 2006/2007
PRINCIPES GÉNÉRAUX DU DROIT CONSTITUTIONNEL
Cours du Professeur Xavier VANDENDRIESSCHE
FICHE 4 : SÉPARATION DES POUVOIRS ET TYPOLOGIE DES RÉGIMES
LA THÉORIE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS
- Montesquieu, De l'Esprit des Lois - Livre XI, Chapitre VI : De la Constitution d'Angleterre
LA SÉPARATION STRICTE
Aspects théoriques
- Georges VEDEL, « Le régime présidentielle », Encyclopædia Universalis 1995
Aspects pratiques
- Le système présidentiel aux USA :
•
La Constitution du 17 septembre 1787 (extraits)
•
Discours de Richard NIXON, le 8 Août 1974
- Le régime “présidentiel” en France : L'exemple de la pratique de la Constitution de 1791
LES RÉGIMES PARLEMENTAIRES
Aspects théoriques :
- Maurice HAURIOU, Précis de Droit constitutionnel
- Léon DUGUIT, Manuel de Droit Public français
- Monisme ou dualisme : J.C. ZARKA, LGDJ 1992 p. 28
Aspects pratiques :
- Le régime britannique :
•
Les attributions du monarque : "Les systèmes politiques des pays de l'Union européenne", sous la direction de Yves
GUCHET, Ed. armand Colin, 1992.
•
Institutions du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord
- Le régime parlementaire en Allemagne :
•
Le constitutionnalisme allemand : Michel FROMONT. Revue POUVOIRS n°66
•
L'engagement de la responsabilité politique du gouvernement fédéral : Michel FROMONT et Alfred RIEG,
Introduction au droit allemand, T.II.CUJAS. 1984
•
Le régimes des crises intérieures.
•
Une démocratie du Chancelier : "Le système politique ouest-allemand" Constance GREWE. PUF 1986, Coll. Que
sais-je?"
- Le régime parlementaire en France
•
La III° République
La crise du 16 mai 1877
La fonction présidentielle
L'affaire Millerand
L'instabilité ministérielle sous la IIIème République (René CARRÉ DE MALBERG)
•
La IV° République :
Rapport général sur les institutions par Georges VEDEL, pages 13 à 21 (extraits).
La pratique de la question de confiance sous la IVème République, par Claude-Albert COLLIARD, R.D.P. 1948, p. 220 et s
(extraits).
La dissolution de l'Assemblée nationale, René CAPITANT, Le conflit de la souveraineté populaire et de la souveraineté
parlementaire, Avril-Juin 1954, Les écrits constitutionnels, C.N.R.S, p. 281.
Licence Droit – 2006/2007
Principes généraux du Droit constitutionnel
LA THÉORIE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS
Montesquieu
De l'Esprit des Lois - Livre XI, Chapitre VI : De la Constitution d'Angleterre
"C'est une expérience éternelle tout
homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser. Il va jusqu'à ce qu'il trouve des
limites ... La vertu même a besoin de
limites".
"Pour qu'on ne puisse abuser du
pouvoir, il faut que, par la disposition
des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir".
"Il y a dans chaque Etat trois sortes de
pouvoirs : la puissance législative, la
puissance exécutrice des choses qui
dépendent du droit des gens et la
puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la première, le prince ou le
magistrat fait des lois pour un temps ou
pour toujours, et corrige ou abroge
celles qui sont faites. Par la seconde, il
fait la paix ou la guerre, envoie ou
reçoit des ambassadeurs, établit la
sûreté, prévient les invasions. Par la
troisième, il punit les crimes ou juge les
différends des particuliers. On appellera
cette dernière la puissance de juger et
l'autre simplement la puissance
exécutrice de l'Etat.
La liberté politique, dans un citoyen, est
cette tranquillité d'esprit qui provient de
l'opinion que chacun a de sa sûreté ; et,
pour qu'on ait cette liberté, il faut que le
gouvernement soit tel qu'un citoyen ne
puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque dans la même personne ou
dans le même corps de magistrature, la
puissance législative est réunie à la
puissance exécutrice, il n'y a point de
liberté parce qu'on peut craindre que le
même monarque ou le même sénat ne
fasse des lois tyranniques pour les
exécuter tyranniquement.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
Il n'y a point encore de liberté si la
puissance de juger n'est pas séparée de
la puissance législative et de
l'exécution. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et
la liberté des citoyens serait arbitraire ;
car le juge serait législateur. Si elle était
jointe à la puissance exécutrice, le juge
pourrait avoir la force d'un oppresseur.
Tout serait perdu si le même homme
ou le même corps des principaux, ou
des nobles ou du peuple exerçaient ces
trois pouvoirs : celui de faire des lois,
celui
d'exécuter
les
résolutions
publiques et celui de juger les crimes ou
les différends des particuliers.
Comme dans un Etat libre, tout homme
qui est censé avoir une âme libre doit
être gouverné par lui-même, il faudrait
que le peuple en corps eût la puissance
législative ; mais, comme cela est impossible dans les grands Etats et est
sujet à beaucoup d'inconvénients dans
les petits, il faut que le peuple fasse par
ses représentants tout ce qu'il ne peut
faire par lui même.
L'on connaît beaucoup mieux les
besoins de sa ville que ceux des autres
villes, et on juge mieux de la capacité
de ses voisins que de celles de ses
autres compatriotes. Il ne faut donc pas
que les membres du Corps législatif
soient tirés en général du corps de la
nation. Mais il convient que, dans
chaque lieu principal, les habitants se
choisissent un représentant.
Le grand avantage des représentants,
c'est qu'ils sont capables de discuter les
affaires. Le peuple n'y est point du
tout propre : ce qui forme un des
grands inconvénients de la démocratie.
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Il y a toujours dans un Etat des gens
distingués par la naissance, les
richesses ou les honneurs ; mais s'ils
étaient confondus parmi le peuple, et
s'ils n'y avaient qu'une voix comme les
autres, la liberté commune serait leur
esclavage, et ils n'auraient aucun intérêt
à la défendre, parce que la plupart des
résolutions serait contre eux. La part
qu'ils ont à la législation doit donc être
proportionnée aux autres avantages
qu'ils ont dans l'Etat : ce qui arrivera
s'ils forment un corps qui ait droit
d'arrêter les entreprises du peuple,
comme le peuple a le droit d'arrêter les
leurs.
Ainsi, la puissance législative sera
confiée, et au corps des nobles, et au
corps qui sera choisi pour représenter le
peuple, qui auront chacun leurs
assemblées et leurs délibérations à part,
et des vues et des intérêts séparés.
Des trois puissances dont nous avons
parlé, celle de juger est en quelque
façon nulle. Il n'en reste que deux ; et,
comme elles sont besoin d'une
puissance réglante pour les tempérer, la
partie du Corps législatif qui est
composée de nobles est très propre à
produire cet effet.
Le corps des nobles doit être
héréditaire. Il l'est premièrement par sa
nature ; et d'ailleurs, il faut qu'il ait un
très grand intérêt à conserver ses
prérogatives, odieuses par elles-mêmes
et qui, dans un Etat libre, doivent
toujours être en danger.
Mais, comme une puissance héréditaire
pourrait être induite à suivre ses intérêts
particuliers et à oublier ceux du peuple,
il faut que dans les choses où l'on a un
souverain intérêt à la corrompre,
comme dans les lois qui concernent la
levée de l'argent, elle n'ait de part à sa
législation que par sa faculté de statuer.
J'appelle "faculté de statuer" le droit
d'ordonner par soi-même ; ou de
corriger ce qui a été ordonné par un
autre. J'appelle "faculté d'empêcher"
le droit de rendre nulle une résolution
prise par quelque autre : ce qui était la
puissance des tribuns de Rome. Et,
quoique celui qui a la faculté
d'empêcher puisse avoir aussi le droit
d'approuver, pour lors cette approbation
n'est autre chose qu'une déclaration
qu'il ne fait point d'usage de sa faculté
d'empêcher, et dérive de cette faculté.
La puissance exécutrice doit être entre
les mains d'un monarque, parce que
cette partie du gouvernement, qui a
presque toujours besoin d'une action
momentanée, est mieux administrée par
un que par plusieurs ; au lieu que ce qui
dépend de la puissance législative est
souvent mieux ordonné par plusieurs
que par un seul.
Que s'il n'y avait point de monarque, et
que la puissance exécutrice fût confiée
à un certain nombre de personnes tirées
du Corps législatif, il n'y aurait plus de
liberté, parce que les deux puissances
seront unies, les mêmes personnes
ayant quelquefois et pouvant toujours
avoir part à l'une et à l'autre.
La puissance exécutrice doit prendre
part à la législation par sa faculté
d'empêcher ; sans quoi elle sera bientôt
dépouillée de ses prérogatives. Mais si
la puissance législative prend part à
l'exécution, la puissance exécutrice sera
également perdue.
Si le monarque prenait part à la
législation par la faculté de statuer, il
n'y aurait plus de liberté.
Mais, comme il faut pourtant qu'il ait
part à la législation pour se défendre, il
faut qu'il y prenne part par la faculté
d'empêcher (...)".
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
LA SÉPARATION STRICTE
Aspects théoriques :
G. VEDEL « Le régime présidentiel » 1995 Encyclopædia Universalis (Extraits)
La classification juridique des divers
systèmes constitutionnels peut s’opérer d’après
des points de vue différents. Selon les cas,
certains auteurs les classent en s’appuyant sur
le principe de légitimité retenu (dictature du
prolétariat,
souveraineté
du
peuple,
souveraineté nationale, par exemple) ; d’autres,
en se référant au degré de mutabilité des
institutions (constitutions souples ou rigides).
Cependant, encore qu’elle soit susceptible de
se combiner avec d’autres et qu’elle ne
recouvre qu’un aspect partiel des systèmes
constitutionnels, la classification qui est la plus
fréquemment utilisée et que rappellent tous les
ouvrages de droit constitutionnel s’opère par
référence au principe de la séparation des
pouvoirs.
Après avoir recensé les régimes qui
méconnaissent la séparation des pouvoirs, soit
au profit de l’exécutif (dictature), soit au profit
du législatif (gouvernement d’assemblée, dit
aussi gouvernement conventionnel), les auteurs
classiques distinguaient, parmi les régimes
respectueux du principe de séparation, deux
variétés :
D’une part, les régimes pratiquant une
séparation
souple
des
pouvoirs
se
caractérisent par le fait que, si le législatif et
l’exécutif ont des compétences et des champs
d’action distincts, ils n’exercent pas moins l’un
sur l’autre une influence réciproque ; cela se
réalise notamment là où les Chambres
contrôlent l’action gouvernementale, peuvent
renverser le gouvernement, et là où le
gouvernement participe à l’élaboration des
lois, peut poser la question de confiance et, le
cas échéant, recourir à la dissolution de l’une
des Chambres.
D’autre part, les régimes pratiquant une
séparation stricte ou rigide des pouvoirs se
manifestent en ce que chaque pouvoir, enfermé
dans des compétences et un champ d’action
déterminés, ne saurait influencer activement
l’autre pouvoir. Tel était notamment, au moins
d’un point de vue théorique, le régime institué
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
en France par la Constitution de 1791. On
pourrait aussi ranger parmi les régimes de
séparation rigide des pouvoirs, ceux dans
lesquels l’exécutif, ainsi séparé du législatif,
est de forme collégiale, ce qui a amené certains
auteurs à employer pour les désigner l’épithète
« directorial », car c’est la Constitution
française de l’an III qui en fournit le modèle.
Le régime présidentiel, dans l’analyse
juridique classique, est le régime de séparation
rigide des pouvoirs dans lequel l’exécutif est
confié à un président. Pourtant, s’il n’était pas
inutile, ne serait-ce que pour comprendre le
vocabulaire, de rappeler comment se situe et
s’articule
dans
l’analyse
juridique
traditionnelle le régime présidentiel, il faut
bien dire que la réalité politique qu’il offre aux
États-Unis, qui en est le modèle le plus parfait,
et peut-être le seul, est très différente du
schéma qu’on vient de rappeler. Les
institutions et la vie politique ne sont que
partiellement dessinées par les règles
constitutionnelles qui prétendent les régir. La
pratique politique a fortement transformé et
déformé le système de cloisonnement entre
exécutif et législatif qui fonde juridiquement le
régime et dont l’assouplissement, sinon
l’effraction sont nécessaires pour la conduite
des affaires nationales et internationales d’un
État. Le système de partis , d’autre part, est un
élément déterminant de la réalité politique.
Aux États-Unis, la corrélation est étroite entre
l’agencement vécu des pouvoirs et des forces
politiques et le système de partis américain.
Enfin, les transformations et la véritable
mutation
qu’ont
subies
les
régimes
parlementaires à l’époque moderne, combinées
avec celles éprouvées par le régime
présidentiel, ont abouti à un résultat
paradoxal : le régime présidentiel à
l’américaine présente aujourd’hui certains
traits que, naguère, on relevait comme
caractéristiques du parlementarisme (et
notamment la recherche incessante de
compromis entre législatif et exécutif),
cependant que, dans le régime parlementaire
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Principes généraux du Droit constitutionnel
anglais contemporain, caractérisé par le
leadership
gouvernemental
et
l’inconditionnalité de la majorité, fruits l’un et
l’autre du système de partis, des observateurs
politiques notent un « présidentialisme » larvé.
pas aux membres du législatif et, en fait, a lieu
au suffrage universel. Sans doute, dans la
Constitution américaine de 1787, la
désignation des membres du collège électoral
devant désigner, à leur tour, le président
incombait-elle aux législatures des États (c’està-dire aux parlements locaux). Mais le double
effet des révisions constitutionnelles et de
l’évolution vers le suffrage universel a abouti à
ce que ce soient les citoyens qui élisent euxmêmes les membres du collège électoral, dont
le vote se porte en principe sur le candidat du
parti pour le compte duquel ils ont été élus.
Finalement, dans la plupart des cas, tout se
passe comme si les citoyens élisaient euxmêmes le président. L’essentiel est que
l’investiture de celui-ci ne procède en rien des
membres du législatif (sauf le cas, rarissime,
où une majorité absolue ne se dégagerait pas
au sein du collège électoral et où, en vertu de
la Constitution, le choix reviendrait alors à la
Chambre des représentants).
1. Les règles juridiques
Ce sont essentiellement les vues de Locke et
de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs
qui constituent le fondement même des règles
constitutionnelles gouvernant le régime
présidentiel : les deux pouvoirs « politiques »,
législatif et exécutif, sont indépendants l’un de
l’autre, chacun exerçant ses compétences de
façon autonome.
Mais c’est un accident de l’histoire qui a
donné à l’exécutif la forme d’une présidence
élective. En effet, les États-Unis, qui, les
premiers, appliquèrent systématiquement le
principe de séparation, étaient une fédération
de colonies révoltées contre leur monarque et
donc condamnées à un gouvernement
républicain. Dans le même temps, la
monarchie britannique, qui, sur la lancée de la
révolution de 1688 et du Bill of rights, avait
fourni le modèle de la séparation des pouvoirs,
commençait, en infléchissant celle-ci, à
inventer le régime parlementaire.
Le législatif et l’exécutif
Comme tout système démocratique, un
régime présidentiel comporte une ou deux
assemblées élues. Dans le système américain,
la dualité des Chambres au sein du Congrès
tient au fédéralisme qui veut que l’une des
deux Chambres (la Chambre des représentants)
représente les citoyens des États-Unis en tant
que tels et que, par suite, chaque État y envoie
des députés en raison de son importance,
cependant que l’autre (le Sénat) représente les
États membres eux-mêmes, ayant chacun,
quelles que soient son étendue ou sa
population, un nombre uniforme de deux
sénateurs.
Néanmoins,
la
Constitution
française de 1848 (cf. infra ), dans la logique
de l’État unitaire, n’avait prévu qu’une seule
Chambre. L’essentiel est que le pouvoir
législatif est confié dans sa totalité à une ou
deux assemblées.
L’exécutif est, quant à son origine et à sa
nature, caractérisé par deux traits. En premier
lieu, la désignation du président n’appartient
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
L’autre trait caractéristique de l’institution
est que le président n’est pas le « chef de
l’exécutif » ; il est l’exécutif. Il n’est pas
seulement chef de l’État, mais aussi chef du
gouvernement au sens le plus fort du terme et
réunit donc sur sa tête toutes les compétences
majeures de l’exécutif. Encore que le terme de
cabinet soit souvent employé pour désigner
l’ensemble des ministres, il n’existe pas de
« gouvernement de cabinet ». Le président
prend conseil de ses ministres, mais décide
seul. On verra plus loin qu’il nomme et
révoque à son gré les ministres.
Ainsi le régime présidentiel s’oppose-t-il sur
des points essentiels au régime parlementaire :
origine élective du président, étrangère à toute
intervention des Chambres ; absence de
distinction entre chef d’État et chef de
gouvernement ; direction « monarchique »,
sans gouvernement de cabinet.
L’autonomie de chacun des deux pouvoirs
L’autonomie de chacun des deux pouvoirs au
regard de l’autre se manifeste par deux
caractères, qui font de nouveau contraste avec
le régime parlementaire.
Tout d’abord, chaque pouvoir a ses
compétences
propres
dans
l’exercice
desquelles l’autre n’intervient pas, sinon
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exceptionnellement, par l’exercice de la
« faculté d’empêcher ». Aux Chambres, donc,
le pouvoir législatif et le pouvoir financier sans
partage. À la lettre, le président des États-Unis
ne pourrait proposer ni la loi ni le budget et ne
pourrait intervenir dans les travaux et
discussions du Congrès les concernant.
Réciproquement, les tâches de l’exécutif
reviennent au seul président sans participation
des Chambres : le maintien de l’ordre,
l’administration, la politique étrangère, la
défense nationale sont la seule affaire du
président.
Ensuite, il n’existe pas de procédures
juridiques permettant à l’un des pouvoirs de
mettre en cause l’investiture de l’autre. Le
président ne possède pas le pouvoir de
dissoudre la ou les Chambres ; normalement, il
n’exerce pas d’influence sur la durée de leurs
sessions ; les moyens habituels d’influence du
gouvernement sur le parlement en régime
parlementaire lui sont refusés, notamment celui
d’intervenir dans les discussions législatives.
Le cabinet n’est pas un « pont » jeté entre le
président et les Chambres, puisque les
ministres ne sont pas membres de celles-ci et
n’appartiennent pas nécessairement à leur
majorité ni même au parti du président.
Mais, réciproquement, les Chambres ne
peuvent agir contre l’exécutif. Élu pour une
durée déterminée, le président ne peut être
renversé par les Chambres et n’a pas besoin de
leur confiance. Les ministres sont ses agents et
ne sont pas politiquement responsables devant
elles ; en revanche, il appartient au président
de mettre fin à leurs fonctions.
Sans doute existe-t-il une responsabilité
pénale dans la mise en jeu de laquelle les
assemblées peuvent intervenir, telle que
l’impeachment prévu par la Constitution des
États-Unis et qui permettrait au Sénat, sur mise
en accusation de la Chambre des représentants,
de destituer le président à une majorité
renforcée. Mais alors qu’en Grande-Bretagne
l’impeachment a été l’une des sources de la
responsabilité politique du cabinet, aux ÉtatsUnis il a gardé son caractère pénal et, malgré
une tentative faite en 1868, n’a pas dégénéré
en procédure sanctionnant un simple désaccord
politique.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
Principes généraux du Droit constitutionnel
Pourtant, fidèles en cela aux enseignements
de Montesquieu, au nombre des cheks and
balances (« freins et contrepoids ») destinés à
assurer l’équilibre des pouvoirs, les
constituants américains ont prévu des
procédures par lesquelles pouvoir législatif et
pouvoir exécutif, sans intervenir activement
l’un dans le domaine de l’autre, peuvent
entraver les décisions l’un de l’autre. Aux
États-Unis, le Sénat est investi du pouvoir
d’approuver la nomination des ministres, des
ambassadeurs, des juges de la Cour suprême et
des hauts fonctionnaires ; de même, la
ratification des traités n’est pas possible sans
son accord à une majorité des deux tiers. De
son côté, le président possède l’importante
prérogative du veto, qui lui permet de
s’opposer aux lois votées par le Congrès et qui
ne peut être brisé que par un nouveau vote du
texte refusé (à la majorité des deux tiers dans
chaque Chambre).
On ne peut pas dire que, par nature,
l’existence d’une juridiction exerçant un
contrôle de constitutionnalité soit un élément
nécessaire du régime présidentiel. C’est si vrai
que la Constitution des États-Unis ne prévoit
nullement que la Cour suprême soit investie de
telles fonctions. C’est la Cour suprême qui, en
1803, en vertu d’un raisonnement juridique
d’ailleurs exact, reconnut aux juges le pouvoir
d’accueillir
« l’exception
d’inconstitutionnalité » par laquelle un
plaideur prétend écarter à son encontre
l’application d’une loi (ou de tout autre acte)
en alléguant qu’elle est contraire à la
Constitution. Mais, depuis lors, ce pouvoir de
la Cour suprême s’est incorporé au régime
présidentiel américain et, malgré les excès du
« gouvernement des juges » auxquels la Cour
suprême a renoncé depuis la Seconde Guerre
mondiale, a fini par en faire partie intégrante.
C’est, en effet, un instrument propre à régler
les
conflits
juridiques
qu’entraîne
nécessairement un régime de séparation des
pouvoirs et à assurer, d’autre part, le
« concert » du législatif et de l’exécutif. (…)
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Licence Droit – 2006/2007
Principes généraux du Droit constitutionnel
Aspects pratiques :
Le système présidentiel aux USA
La Constitution du 17 septembre 1787 (Extraits)
Nous le peuple des Etats-Unis, avec la volonté de rendre plus parfaite notre Union, de la fonder sur la justice,
d'assurer la paix civile, de pourvoir à la nécessité d'une défense commune, de promouvoir la prospérité de tous,
et d'assurer les bienfaits de la liberté a nous-mêmes et à nos descendants, nous décidons et nous instituons la
présente Constitution pour les Etats-Unis d'Amérique.
ARTICLE I
Section 1. Tous les pouvoirs législatifs ci-après accordés seront conférés à un Congrès des Etats-Unis, composé
d'un Sénat et d'une Chambre des Représentants.
Section 2. La Chambre des Représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par la population
des différents Etats ; dans chaque Etat, les électeurs devront satisfaire aux mêmes conditions que celles exigées
des électeurs de l'assemblée la plus nombreuse de l'Etat.
Nul ne pourra être Représentant à moins d'être âgé de 25 ans, d'être depuis sept ans au moins citoyen des EtatsUnis, et de résider à l'époque de l’élection dans l'Etat dans lequel il sera élu.
La répartition des Représentants entre les différents Etats se fera proportionnellement à la population totale de
chaque Etat1 (...).
Le nombre de Représentants ne pourra être supérieur à un pour trente mille, mais chaque Etat devra au moins en
avoir un (...)
La Chambre des Représentants élira son Président et les membres de son bureau ; elle seule aura le pouvoir de
les mettre en accusation (power of impeachment).
Section 3. Le Sénat des Etats-Unis sera composé de deux Sénateurs par Etat, élus pour six ans par la population
de l'Etat, et chaque Sénateur disposera d'une voix. Dans chaque Etat, les électeurs devront remplir les conditions
requises pour être électeurs de l'assemblée la plus nombreuse de la législature de l'Etat.(2.)
(...) Nul ne pourra être Sénateur s'il n'est âgé de trente ans révolus, s'il n'est citoyen des Etats-Unis depuis au
moins neuf ans, et s'il ne réside pas, au moment de son élection, dans l'Etat dans lequel il se présente.
Le vice-Président des Etats-Unis sera le président du Sénat. Mais il n'aura pas le droit de vote, sauf en cas de
partage égal des voix.
Le Sénat choisira les autres membres de son bureau, ainsi qu'un président pro tempore, en cas d'empêchement du
vice-Président, ou lorsqu'il sera appelé à exercer les fonctions de Président des Etats-Unis.
Le Sénat aura seul le pouvoir de juger les mises en accusation (impeachments). Quand il siégera en cette
capacité, ses membres seront astreints au serment ou à une déclaration. En cas de jugement du Président des
Etats-Unis, le président de la Cour Suprême présidera le Sénat ; et nul ne sera déclaré coupable qu'à la majorité
des deux tiers des membres présents.
En cas d'impeachment, la peine ne pourra excéder la révocation et l'interdiction d'exercer toute fonction de
caractère fédéral impliquant honneur, confiance ou avantage matériel. Mais la partie déclarée coupable pourra
néanmoins être poursuivie, jugée et condamnée conformément au droit commun.
Section 4. (...) Le Congrès siégera au moins une fois par an et cette session débutera à midi le troisième jour de
janvier, à moins qu'il n'en soit autrement disposé par une loi3.
Section 5. Chaque chambre sera juge des élections, de leur régularité et de l'éligibilité de ses membres. Dans
chacune d'entre elles, une majorité sera nécessaire pour délibérer. Si ce quorum n'est pas atteint, les membres
présents peuvent décider de s'ajourner quotidiennement et peuvent être autorisés à exiger la présence des
membres absents selon des modalités et des sanctions que chaque Chambre déterminera. (...)
Lorsque le Congrès est en session, aucune des deux chambres ne pourra s'ajourner pour plus de trois jours sans
l'accord de l'autre, ni siéger dans un autre lieu que celui où siègent les deux Chambres. (...)
1. Disposition issue du XIV° Amendement (1868).
2. Disposition issue du XVII° Amendement (1913). Le texte initial prévoyait la désignation par la législature de
l'Etat.
3. Disposition issue du XX° Amendement (1933)
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Section 7. Toutes les propositions de loi (bills) relatives à l'impôt devront être d'abord discutées par la Chambre
des Représentants ; mais le Sénat pourra proposer des amendements ou y concourir, comme pour toute autre
proposition de loi.
Toute proposition de loi votée par la Chambre des Représentants et le Sénat devra être soumise au Président des
Etats-Unis avant d'être promulguée. S'il l'approuve, il la signera ; dans le cas contraire, il la renverra à la Chambre dont elle émane accompagnée de ses objections. Celles-ci figureront in extenso dans le procès-verbal de la
Chambre qui réexaminera la proposition de loi. Si, à la suite de ce nouvel examen, les deux tiers des membres de
cette Chambre confirment leur vote, elle sera transmise, accompagnée des objections présidentielles à l'autre
Assemblée qui, à son tour, la discutera à nouveau. Si cette dernière l'approuve à la majorité des deux tiers, la loi
deviendra alors définitive. Mais, dans toutes ces hypothèses, les voix dans les deux Chambres seront décomptées
par "oui" ou pas "non", et les noms des personnes ayant voté pour et contre la loi figureront dans le procès-verbal
de leur Chambre respective. Si une loi n'est pas renvoyée par le Président dans les dix jours (dimanche excepté)
après lui avoir été soumise, elle deviendra définitive, comme s'il l'avait signée, à moins que le Congrès, en
s'ajournant, n'en empêche le renvoi ; dans cette hypothèse, elle ne sera pas considérée comme définitive et ne
pourra entrer en vigueur.
Section 8. Le Congrès aura le pouvoir d'instituer et de recouvrer des impôts, des droits de douane, des taxes et
des droits d'accises dans le but d'assurer le règlement de la dette des Etats-Unis, de pourvoir à une défense commune et à la prospérité générale. Mais tous les droits de douane, taxes et droits d'accises devront être identiques
sur toute le territoire des Etats-Unis.
De faire des emprunts sur le crédit des Etats-Unis ;
De réglementer le commerce avec l'étranger, entre les différents Etats de l'Union, et avec les tribus indiennes ;
D'établir une réglementation uniforme pour la naturalisation et, en matière de faillite, un même régime légal
applicable sur toute le territoire des Etats-Unis ;
De battre monnaie, d'en déterminer la valeur ainsi que celle des monnaies étrangères, et de fixer les normes
applicables en matière de poids et mesures ;
De réprimer la contrefaçon des effets publics et de la monnaie émis par les Etats-Unis ;
De créer des bureaux de poste et des routes postales ;
De promouvoir le progrès des sciences et des arts utiles en garantissant pour une période limitée aux auteurs et
aux inventeurs un droit exclusif sur leurs écrits et leurs découvertes ;
D'instituer des tribunaux fédéraux subordonnés à la Cour Suprême ;
(...) De déclarer la guerre ; (...) De lever et d'entretenir des armées ; (...) De réglementer l'organisation et
l'administration des forces navales et terrestres ; De pourvoir à la convocation des milices pour assurer
l'exécution des lois fédérales, réprimer les insurrections et repousser les invasions ; (...)
De faire toutes les lois nécessaires à la mise en oeuvre des attributions ci-dessus énoncées et de celles conférées
au gouvernement des Etats-Unis, à ses administrations ou à ses agents par la présente Constitution. (...)
ARTICLE II
Section 1. Le pouvoir exécutif sera confié à un Président des Etats-Unis d'Amérique. La durée de son mandat,
comme celle du vice-Président, sera de quatre ans, (...)
Nul ne pourra être éligible à la fonction présidentielle s'il n'est par la naissance citoyen des Etats-Unis, ou s'il ne
l'est au moment de l'adoption de cette Constitution. Personne ne pourra être éligible à cette fonction s'il n'a
trente-cinq ans révolus et résidé quatorze ans aux Etats-Unis.
En cas de destitution, de décès, de démission du Président, ou d'incapacité à assumer les pouvoirs et les devoirs
de sa charge, le vice-Président assurera sa succession. Le Congrès pourra, dans une loi, prévoir les cas de
destitution, décès, démission ou incapacité simultanée du Président et du vice-Président, et désigner le
responsable qui fera fonction de Président en exercice ; celui-ci remplira lesdites fonctions jusqu'à ce que cesse
l'incapacité, ou qu'un nouveau Président soit élu. (...)
Section 2. Le Président sera commandant en chef des forces de terre et de mer des Etats-Unis, ainsi que des
milices des différents Etats, lorsqu'elles seront requises pour le service des Etats-Unis (...)
Il aura le pouvoir de conclure des traités, à condition de requérir l'avis du Sénat et d'obtenir l'accord de ce dernier
à la majorité des deux tiers des membres présents ; avec l'avis et l'accord du Sénat, il nommera les ambassadeurs,
les autres titulaires de postes diplomatiques et les consuls, les juges de la Cour suprême, et pourvoira à tous les
emplois fédéraux créés par la loi, sauf ceux dont les conditions de nomination feraient ici l'objet de dispositions
particulières. Le Congrès pourra cependant par une loi confier la nomination dans les emplois subordonnés à la
discrétion du Président, des tribunaux ou des chefs de département ministériel.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Le Président aura le pouvoir de pourvoir à toutes les vacances qui pourraient survenir dans l'intervalle des
sessions du Sénat, en procédant à des nomination, valides seulement jusqu'à la fin de le prochaine session.
Section 3. Il informera périodiquement le Congrès sur l'état de l'Union, et il recommandera à son attention toute
mesure qu'il jugera nécessaire et opportune ; il pourra, dans des circonstances exceptionnelles, convoquer les
deux chambres, ou l'une d'entre elles, et en cas de désaccord entre les deux sur la date de clôture de la session, la
prononcer lui-même à la date qu'il jugera souhaitable ; il aura le pouvoir d'accréditer les ambassadeurs et autres
titulaires de postes diplomatiques ; il veillera à la bonne exécution des lois et nommera tous les fonctionnaires
fédéraux.
Section 4. Le Président, le vice-Président et tous les fonctionnaires civils des Etats-Unis seront destitués de leurs
fonctions à la suite d'un impeachment ou d'une condamnation pour trahison, corruption, ou tous autres crimes et
délits.
XXII Amendement (1951) Nul ne sera élu à la Présidence plus de deux fois, et quiconque aura rempli les
fonctions de Président ou fait fonction de Président pendant plus de deux ans durant un mandat pour la durée
duquel une autre personne aurait été élue Président, ne pourra être élu à la Présidence plus d'une seule fois.
Toutefois, cet article ne s'appliquera à aucun titulaire de la fonction présidentielle au moment où il a été proposé
par le Congrès, et il ne fera pas obstacle à ce qu'une personne remplissant les fonctions ou faisant fonction de
Président pendant la durée du mandat au cours duquel cet article sera entré en vigueur, ne remplisse lesdites
fonctions ou ne fasse fonction durant le reste de ce mandat.
XXV° Amendement (1967)
Section 1. En cas de destitution, de décès ou de démission du Président, le vice-Président deviendra Président.
Section 2. En cas de vacance de la vice-Présidence, le Président nommera un vice-Président qui entrera en
fonction après confirmation de sa nomination à la majorité par les deux chambres du Congrès.
Section 3. Dans l'hypothèse où le Président fait connaître par écrit au président pro tempore du Sénat et au
speaker de la Chambre des Représentants son incapacité à assumer les devoirs de sa charge, et jusqu'à ce qu'il en
décide autrement dans les mêmes formes, ces devoirs seront assumés par le vice-Président faisant fonction de
Président par intérim.
Section 4. Dans l'hypothèse où, conjointement, le vice-Président et une majorité des responsables du Cabinet ou
de tout autre organisme désigné par une loi du Congrès font connaître par écrit au président pro tempore du
Sénat et au speaker de la Chambre des Représentants que le Président est dans l'incapacité d'assumer les devoirs
de sa charge, le vice-Président assumera immédiatement ceux-ci en tant que Président par intérim.
Par la suite, si le Président fait connaître par écrit au président pro tempore du Sénat et au speaker de la Chambre
des Représentants qu'aucune incapacité ne s'oppose à l'exercice de ses fonctions, il reprendra lesdites fonctions, à
moins que le vice-Président et une majorité des membres du Cabinet ou de tout autre organisme désigné par une
loi du Congrès ne fasse connaître par écrit dans les quatre jours que le Président est dans l'incapacité d'assumer
les devoirs de sa charge. Il appartiendra au Congrès, réuni dans les 48 heures s'il n'est pas en session, de trancher
la question. Si le Congrès, dans un délai de 21 jours suivant réception de ladite déclaration ou, s'il ne siège pas,
dans un délai de 21 jours suivant sa convocation, décide par un vote à la majorité des deux tiers de chaque
Chambre que le Président est dans l'incapacité les devoirs de sa charge, le vice-Président continuera d'assumer
ceux-ci en tant que Président par intérim ; dans le cas contraire, le Président reprendra ses fonctions.
ARTICLE III
Section 1. Le pouvoir judiciaire des Etats-Unis sera dévolu à une Cour suprême et à des tribunaux subordonnés
dont le Congrès pourra en temps voulu décider la création. Les juges, tant de la Cour suprême que des tribunaux
subordonnés resteront en fonction aussi longtemps que leur comportement ne donnera lieu à aucun reproche (...).
Section 2. Le pouvoir judiciaire connaîtra, en droit et en équité, de tous les litiges soulevés par cette
Constitution, par les lois des Etats-Unis ou par les traités déjà conclus, ou à conclure, sous leur autorité (...) ; des
litiges qui surgiraient entre un ou plusieurs Etats, entre un Etat et des citoyens d'un autre Etat, entre des citoyens
d'Etats différents, entre citoyens du même Etat revendiquant des terres en vertu de concessions d'Etats différents
et entre un Etat ou l'un de ses citoyens et des Etats, citoyens ou ressortissants étrangers.
Dans tous les litiges (...) auxquels un Etat sera partie, la Cour suprême statuera en premier et dernier ressort.
Pour tous les autres litiges (...), la Cour suprême constituera une juridiction d'appel statuant en droit et en fait,
sous réserve des règles et des exceptions que le Congrès aura établies. (...)
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
ARTICLE IV
(...) Section 4. Les Etats-Unis garantiront à chaque Etat de cette Union une forme républicaine de gouvernement
et protégeront chacun d'entre eux contre l'invasion ; et, à la demande de la législature ou de l'Exécutif (lorsque la
législature ne pourra être réunie) contre des troubles intérieurs. (...)
ARTICLE VI
(...) La Constitution et les lois des Etats-Unis qui serviront à sa mise en oeuvre, et tous les traités déjà conclus
sous l'autorité des Etats-Unis, constitueront la loi suprême du pays ; ils s'imposeront aux juges de chaque Etat, en
dépit de toute disposition contraire dans la Constitution ou les lois de l'Etat.
XII° Amendement (1804) : Mode d'élection du Président (...)
XIV° Amendement (1868) : Conditions à remplir pour être Représentant ou Sénateur. (...)
XVII° Amendement (1913) : Election directe des Sénateurs. (...)
XX° Amendement (1933) : Désignation du Président en cas de décès, démission ou incapacité. (...)
XXII° Amendement (1951) : Mandats du Président. (...)
XXV° Amendement (1967) : Incapacité du Président.
XXVI° Amendement (1971) : Non limitation du droit de vote pour des raisons d'âge pour les citoyens ayant 18
ans.
4
Discours de Richard NIXON, le 8 Août 1974
Bonsoir. C’est la trente-septième fois que je vous parle de ce bureau où tant de décisions qui ont
forgé l'histoire de ce pays ont été prises. Chaque fois que je l'ai fait, c'était pour discuter avec vous
d'une question dont je pensais qu'elle concernait l'intérêt National. Dans toutes les décisions que j'ai
prises dans ma vie publique j'ai toujours essayé de faire ce qui était le mieux pour le pays. A travers la
longue et difficile période du Watergate, j'ai estimé qu'il était de mon devoir de persévérer, de faire
tous les efforts possibles pour mener à terme le mandat pour lequel vous m'avez élu.
Dans les
derniers jours, pourtant, il m'a paru évident que je n'avais plus de soutien politique assez fort au
Congrès pour justifier la poursuite de cet effort. Aussi longtemps qu'il y a eu ce soutien. j'ai senti avec
force qu'il était nécessaire que le processus constitutionnel aille jusqu’à sa conclusion, car agir
autrement aurait été trahir ce processus, rendu difficile à bon escient, et créer un précédent mettant en
péril la stabilité pour l'avenir. Mais, avec la disparition de ce soutien. je crois maintenant que le but
constitutionnel a été atteint , et qu’il n’y a plus besoin que ce processus soit prolongé. J’aurais préféré
aller jusqu’à la fin, quelles que soient les souffrances personnelles que cela aurait impliqué, et ma
famille, unanimement, m’a pressé de le faire. Mais les intérêts de la nation doivent toujours prévaloir
sur les considérations personnelles.
Des discussions que j’ai eues avec les leaders du Congrès et d’autres dirigeants, j’ai conclu que, à
cause de la question du Watergate, je pourrais ne pas avoir le soutien du Congrès que je considérerais
nécessaire pour appuyer les très difficiles décisions et exécuter les devoirs de cette charge de la
manière qu’exigeraient les intérêts de la nation.
Je n’ai jamais été un “lâcheur”. Abandonner ma charge avant son terme heurte toutes les fibres de
mon corps. Mais, en tant que Président, je dois placer l’intérêt de l’Amérique d’abord. L’Amérique a
besoin d’un Président à plein temps et d’un Congrès à plein temps, particulièrement en ce moment,
avec les problèmes auxquels nous avons à faire face à l’intérieur et à l’extérieur.
Continuer à combattre au cours des prochains mois pour ma cause personnelle absorberait presque totalement le temps et l’attention du Président comme du Congrès en une période où l’attention
doit être portée sur les grands problèmes de la paix à l’extérieur et de la prospérité sans inflation à
l’intérieur.
Donc, je démissionnerai de la présidence demain à midi. Le vice-président Ford prêtera le serment
de Président à la même heure dans ce bureau.
4. in BIDEGARAY Ch, EMERI Cl, SEURIN J-L Droit Constitutionnel et Institutions Politiques, P.U.F, 1983.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Aspects pratiques :
Le régime “présidentiel” en France : l’exemple de 1791
« L’affaire Delesart »
(Extraits des débats au Corps législatif selon les “Archives Parlementaires”)
M. Fauchet — Il est temps de faire un exemple : la France l’attend, la patrie l’exige, la justice
le veut, les intérêts de la liberté le commandent. Nous perdons l’Etat si nous ne perdons pas
un ministre prévaricateur.
J’accuse, au nom de la Constitution, M. Delesart de deux crimes de haute trahison... (d’autre
part) il a trahi la cause de la nation, en diffamant solennellement, au nom du roi, la première
des autorités constituées : l’Assemblée nationale. (...)
Je demande que m. Delesart soit mandé à l’instant, et que M; le Président soit chargé par
l’Assemblée de lui faire deux questions :
1° 2° - Est-il vrai que vous ayez signé une proclamation royale où se trouvent ces paroles : «Le
roi plaçant sa confiance dans les mêmes mesures, vient de refuser sa sanction à un décret de
l’Assemblée nationale dont plusieurs articles rigoureux lui ont paru contrarier le but que la loi
devait se proposer, et que réclamait l’intérêt du peuple...» ? (Vifs applaudissements dans les
tribunes).
(3/12/91)
M. Delecher a la parole pour présenter des observations relatives aux conséquences du
«veto».
Messieurs, vous êtes les représentants du peuple français, c’est dans vos mains qu’il a déposé
la souveraineté législative, vous devez donc remplir la mission qui vous a été confiée ; mais
l’exercice de ce pouvoir souverain est tempéré par celui du pouvoir royal, à qui la
Constitution attribue la sanction des lois qui émanent du Corps législatif. Il s’agit d’examiner
aujourd’hui quels les cas où la sanction royale peut et doit être nécessaire.
L’article 2 de la section III de l’Acte constitutionnel attribue au roi ce droit, le droit de
sanctionner les décrets du Corps législatif. Ils ne peuvent avoir force de loi qu’après la
sanction, dont le refus suspend l’exécution. Mais le roi peut-il refuser dans les cas d’urgence ?
c’est la question que je soumets à votre sagesse.
(...) Le roi a incontestablement le droit de sanctionner les lois mais ... ce droit doit finir là où
des circonstances imposantes ou un danger imminent provoquent des mesures actives. Le roi
... n’a pas le droit de suspendre (les lois) dont l’exécution est pressante et provoquée par des
circonstances impérieuses. Telles sont celles que vous avez décrétées. Messieurs, contre les
émigrants et contre les prêtres réfractaires et leurs adhérents que le roi a également paralysé
par son veto.
Je dis que la sanction royale ne doit appartenir qu’aux objets généraux, qu’aux lois
d’administration publique qui doivent désormais faire parti du droit commun de la France.
Voilà le droit de veto. Il est le surveillant du pouvoir législatif, comme le Corps législatif l’est
du pouvoir exécutif. Entre ces deux pouvoirs s’élève le pouvoir suprême, le souverain, c’est la
nation. Mais dans des lois de circonstance, dans des lois représentatives du moment... le roi
n’a pas à en arrêter l’exécution. Elles sont indépendantes de sa volonté ou de son caprice ; s’il
en était autrement, votre pouvoir, Messieurs, serait nul, votre souveraineté illusoire et la
liberté perdue.
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Principes généraux du Droit constitutionnel
On va sans doute, invoquer la lettre de la Constitution pour soutenir le droit du veto royal ; j’y
oppose les termes mêmes de cette Constitution qui ne sont applicables qu’aux lois de droit
commun. On me répondra encore que l’Acte constitutionnel ne contient pas cette distinction,
mais ces faibles moyens sont bons dans le barreau et sont inadmissibles dans une l’Assemblée
législative...
Les décrets que vous avez rendus sont raisonnables et justes donc ils n’ont pas a être paralysés
par le veto royal. Oublie-t-on que l’Assemblée législative est ... composée des représentants
du peuple, qu’elle a les droits délégués du souverain et qu’elle peut et doit parler en son nom.
S’il s’élève entre le délégué héréditaire et les délégués élus un conflit de juridiction, ou une
lutte de prétention...le souverain prononce sur les prétentions respectives. Celui-là seul peut
être admis, lui seul a le droit de juger ses mandataires.
(20/12/91)
M. Delesart ministre des affaires étrangères.
Messieurs j’ai été dénoncé devant l’Assemblée nationale de la manière la plus grave. J’étais
impatient d’apporter ma réponse...
On a attaqué dans cette proclamation le peu de mots par lesquels le roi indique les motifs qui
l’on engagé à ne pas donner de sanction. La Constitution a donné au roi le droit de suspendre
la loi comme un appel au peuple de la part de son représentant héréditaire contre la loi
proposée par ses représentants électifs. La Constitution a voulu que l’opinion du peuple
s’exprimât souverainement par la troisième législature : puisque cette opinion doit décider, il
ne peut pas être interdit de l’éclairer ; et le représentant qui suspend la loi doit avoir le droit de
faire connaître ses motifs comme les représentants qui l’on faite...
(22/12/91)
M. Delacroix. Je propose la rédaction suivante :
«L’Assemblée nationale, sur dénonciation motivée d’un de ses membres, déclare qu’il y a lieu
à accusation contre le sieur Delesart, ministre des affaires étrangères ; charge le pouvoir
exécutif de donner sans délai, les ordres nécessaires pour le faire mettre en état d’arrestation
et faire apposer les scellés sur tous les papiers qui lui sont personnels et qui pourront se
trouver dans sa maison d’habitation.
Le présent décret sera adressé sur le champ au pouvoir exécutif, qui rendra compte demain
des mesures qu’il aura prise pour le mettre à exécution.»
(L’Assemblée adopte cette proposition)
(10/03/92)
Lettre du roi lue en séance
“Je vous prie, Monsieur le Président, de dire à l’Assemblée nationale que j’ai nommé au
département des affaires étrangères M. Dumouriez”.
Signé : LOUIS
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
« L’affaire Sevran et Roland »
(Extraits des débats au Corps législatif selon les “Archives Parlementaires”)
Un secrétaire donne lecture de la lettre de M. Sevran ancien ministre de la guerre :
“Monsieur le Président,
“L’amour de ma patrie et du bien public me décida à accepter un ministère que je sentais
infiniment au dessus de mes forces, mais dont j’espérais surmonter, en grande partie, les
difficultés... Convaincu que je ne pouvais rien seul, à peine eus-je jeté les yeux sur l’immense
carrière qui s’ouvrait devant moi que je me pénétrais de cette grande vérité qu’en appelant à
mon secours des hommes probes et éclairés, ...en me prononçant fortement sur mon désir
extrême de concourir à faire le bien du peuple, en m’identifiant pour ainsi dire avec lui, je
serais soutenu, protégé et qu’on me saurait même quelque gré de mes efforts pour aider à faire
triompher les armes françaises. Cependant, au moment où je commençais à jouir de la
flatteuse espérance de pouvoir être utile à ma partie, je reçus l’ordre du roi de remettre le
portefeuille au ministres des affaires étrangères (Murmures et exclamations à gauche). Ma
conscience me dit que je ne dois pas moins compter sur les bontés de l’Assemblée pour
moi...” (bravo ! bravo ! — vifs applaudissement à gauche et dans les tribunes)
Un grand nombre de membres à gauche : Oui ! oui ! M. Sevran emporte nos justes regrets...
(suite de la lettre) “et j’espère qu’elle voudra bien permettre que j’aille m’acquitter de mes
devoirs comme soldat, dès que j’aurai dépose mes comptes entre ses mains.
J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, Monsieur le Président ...”
Signé : Joseph Sevran
(applaudissements)
M. Dusaulx. — Messieurs, toute la France tressaillit de joie lorsque des patriotes furent
appelés aux ministères. Hélas ! on ne nous préparait donc que des regrets ! Vous venez de
l’apprendre, nous perdons M. Sevran ! Quelle est donc la cause de cette disgrâce soudaine ?
Je l’ignore : mais je sais et la France entière avec moi, que nul homme n’a, en si peut de
temps, fait plus de bien que lui dans le département de la guerre ...
Témoins de son zèle, témoins de ses efforts pour régénérer l’armée et soutenir la Révolution,
je crois apercevoir, je suis même sûr que la plupart d’entre vous brûlent de lui donner sur le
champ un marque authentique...
Un grand nombre de murmures à gauche : Oui ! oui ! nous tous ! (applaudissements réitérés
dans les tribunes).
M. Dusaulx — d’estime et de reconnaissance (applaudissements réitérés)... Je propose donc
que l’Assemblée décrète, et sans désemparer, que M. Sevran, sortant du ministère, emporte
les regrets de la nation.
M. le Président. — je vais consulter l’Assemblée sur la motion de M. DUSAULX.
Quelques membres à droite : Ajournement.
(votes)
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
M. le Président. — L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur l’ajournement et
après avoir décrété l’urgence, décide presque à l’unanimité d’adopter la motion.
Un secrétaire donne lecture d’une lettre du roi :
“Je vous prie, Monsieur le Président, de prévenir l’Assemblée nationale que je viens de
changer les ministres de la guerre, de l’intérieur et des contributions publiques et de les
remplacer par (suivent les noms des nouveaux ministres). Je veux la Constitution, mais avec
la Constitution, je veux l’ordre et l’exécution dans toutes les parties de l’administration, et
tous mes soins seront constamment dirigés à le maintenir par tous les moyens qui sont en mon
pouvoir”.
Signé : LOUIS
Contresigné : Duranthon, Ministre de la Justice
Un secrétaire donne lecture de la lettre de M. Clavière ancien ministre des contributions
publiques :
(suit la lettre)
Un secrétaire donne lecture de la lettre de M. Roland ancien ministre de l’intérieur :
“Monsieur le Président,
“...je dois à l’Assemblée, à l’opinion publique la communication d’une lettre que j’ai eu
l’honneur d’adresser au roi lundi dernier ; la vérité, dont je m'honore d’imprimer le caractère
de toutes mes actions me l’avait dictée, c’est elle encore qui m’ordonne d’en faire part à
l’Assemblée.
Je suis avec respect ...”.
Plusieurs membres : lecture de la lettre au roi !
L’Assemblée décrète cette lecture.
Un secrétaire donne lecture de la lettre de M. Roland alors ministre de l’intérieur écrite au roi
le 10 juin 1792 :
“Sire,
“L’état actuel de la France ne peut subsister longtemps ; c’est un état de crise dont la violence
atteint le plus haut degré : il faut qu’il se termine par un éclat qui doit intéresser Votre Majesté
autant qu’il importe à tout l’empire.
Honoré de votre confiance, et placé dans un poste où je vous dois la vérité, j’oserai la dire
toute entière...
Les français se sont donnés une Constitution : elle a fait des mécontents et des rebelles : la
majorité de la nation veut la maintenir ; elle a juré de la défendre au prix de son sang.
Cependant la minorité, soutenue par des espérances, a réuni tous ses efforts pour emporter
l’avantage. De la cette lutte intestine contre les lois, cette anarchie dont gémisse les bons
citoyens et dont les malveillants ont soin de se prévaloir pour calomnier le nouveau régime...
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
On veut le triomphe ou le changement de la Constitution … on agit pour la soutenir ou pour
l’altérer.
Votre Majesté jouissait de grandes prérogatives qu’elle croyait appartenir à la royauté. Elevée
dans l’idée de les conserver, elle n’a pu se les voir enlever avec plaisir. Le désir de se les faire
rendre était aussi naturel que le regret de les voir anéantir. Ces sentiments, qui tiennent à la
nature du coeur humain, ont du entrer dans le calcul des ennemis de la Révolution. Ils ont
donc compté sur une faveur secrète jusqu’à ce que les circonstances permissent une
protections déclarée....
Votre Majesté a donc été constamment dans l’alternative de céder à ses premières habitudes, à
ses affections particulières, ou de faire des sacrifices dictés par la philosophie, exigés par la
nécessité ; par conséquent d’enhardir les rebelles, en inquiétant la nation, ou d’apaiser celle-ci
en vous unissant avec elle...
Votre Majesté peut-elle aujourd’hui s’allier ouvertement avec ceux qui prétendent réformer la
Constitution ou doit-elle généreusement se dévouer sans réserve à la faire triompher ? Telle
est la véritable question dont l’état actuel des choses rend la solution inévitable...
La Déclaration des Droits est devenue un évangile politique et la Constitution française une
religion pour laquelle le peuple est prêt à périr...
La patrie n’est point un mot que l’imagination se soit complu d’embellir ; c’est un rêve auquel
on fait des sacrifices, à qui l’on s’attache chaque jour d’avantage ... qu’on aime parce qu’il
coûte autant que par ce qu’on en espère. Toutes les atteintes qu’on lui porte sont des moyens
d’enflammer l’enthousiasme pour elle. A quel point l’enthousiasme va-t-il monter...
Il est évident pour la nation française que la Constitution peut marcher ; que le gouvernement
aura toute la force qui lui est nécessaire à partir du moment où Votre Majestée, voulant
absolument le triomphe de cette Constitution, soutiendra le Corps législatif de toute la
puissance de l’exécution, ôtera tout prétexte aux inquiétudes du peuple et tout espoir aux
mécontents. (applaudissement dans les tribunes).
Par exemple, deux décrets importants ont été rendus ; tous deux intéressent essentiellement la
tranquillité publique et le salut de l’Etat. Le retard de leur sanction inspire des défiances ; s’il
est prolongé, il causera du mécontentement ... qui peut mener à tout.
Il n’est plus temps de reculer, il n’y a même plus moyen de temporiser. La Révolution est
faite dans les esprits ; elle s’achèvera au prix du sang...“
(13/06/92)
M. le Président. — je reçois une lettre du roi ainsi conçue :
“Je vous prie, Monsieur le Président, de prévenir l’Assemblée nationale qui j’ai nommé au
département des affaires étrangères M. de Jabard, à celui de la guerre, M. Terrier de Montciel,
à celui de l’intérieur...”
Signé : LOUIS
Contresigné : Duranthon, Ministre de la Justice
M. THURLOT. — Le roi aurait dû indiquer, en même temps les ministres qui seront en
place demain, afin que l’Assemblée pût savoir à qui s’adresser en cas de besoin.
(18/06/92)
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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M. le Président. — je reçois une lettre de M. Duranthon, ministre de la justice, ainsi conçue :
“Monsieur, le Président,
“J’ai l’honneur de prévenir l’Assemblée que le roi vient d’apposer la formule
constitutionnelle : le roi examinera : sur le décret du 27 mai 1792 ... et sur le décret du 7 de ce
mois.
Je suis avec respect ...”
Signé : Duranthon, Ministre de la Justice
(19/06/92)
A l’annonce du veto royal sur ces décrets, la foule se rendait à l’Assemblée pour remettre une
pétition hostile au roi. Elle refluait ensuite jusqu’au palais des Tuileries, obligeait le roi à
coiffer le rouge et à boire un verre de vin à la santé de la nation. Le roi refusait cependant de
lever son veto et faisait connaître la proclamation suivante :
Proclamation du Roi sur les événements du 20 juin 1792
Les français n’auront pas appris sans douleur qu’une multitude, égarée par quelques factieux,
est venue à main armée dans l’habitation du roi, a traîné du canon jusque dans la salle des
gardes, a enfoncé les portes de son appartement à coup de hache : et là, abusant
audacieusement du nom de la nation, elle a tentée d’obtenir, par la force, la sanction que Sa
Majesté à constitutionnellement refusée à deux décrets.
Le roi n’a opposé aux menaces et aux insultes des factieux, que sa conscience et son amour
pour le bien public.
Le roi ignore quel sera le terme où ils voudront s’arrêter ; mais il a besoin de dire à la nation
française que la violence, à quelque excès qu’on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un
consentement à tout ce qu’il croira contraire à l’intérêt public.... Comme représentant
héréditaire de la nation française, le roi a des devoirs sévères à remplir et, s’il peut faire le
sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs.
Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont besoin d’un crime de plus, ils peuvent le
commettre...
Signé : LOUIS
Contresigné : Terrier, Ministre de la Guerre
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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LES RÉGIMES PARLEMENTAIRES
Aspects théoriques :
Maurice HAURIOU, Précis de Droit constitutionnel
Le gouvernement parlementaire. - C’est la forme du gouvernement représentatif qui,
vraisemblablement, a évolué conformément à l’idée primitive, puisque c’est celle qui a évolué en
Angleterre, son pays d’origine.
Forgé au cours du XVIIIème siècle, par de légères modifications au gouvernement représentatif du
XVIIème siècle, le régime parlementaire est passé en France en 1814 sous la Restauration, et, après
des vicissitudes, a fini par s’y acclimater ; (...).
On peut donner du gouvernement parlementaire la définition suivante : C’est une forme de
gouvernement, à base de régime représentatif et de séparation des pouvoirs souple, dans laquelle une
collaboration continuelle est établie entre le pouvoir exécutif et le Parlement, composé de deux
chambres, par l’intermédiaire d’un organe exécutif, qui est le cabinet des ministres, lequel partage
avec le chef de l’Etat la direction du gouvernement, mais ne peut gouverner qu’en s’assurant la
confiance continuelle du Parlement, parce qu’il est politiquement responsable devant celui-ci.
Le pouvoir exécutif est partagé entre un chef de l’Etat (monarque héréditaire ou président de la
République élu) et des ministres nommés par le chef de l’Etat et responsables devant lui, mais
responsables aussi et surtout devant le Parlement, ne pouvant gouverner, par conséquent, qu’avec
la confiance du Parlement. Ces ministres forment, par leur réunion, un cabinet ou comité dans lequel
sont arrêtées les décisions gouvernementales les plus importantes, et il en résulte une solidarité entre
les ministres qui rend tout le cabinet responsable pour toute décision importante.
L’un des ministres assume le rôle de président du Conseil ou de premier ministre, c’est lui qui
dirige
la politique générale du cabinet et qui seul, en principe, peut poser la question de confiance au nom
du cabinet et engager la responsabilité solidaire de celui-ci.
La responsabilité politique des ministres devant le Parlement consiste en ce que, sur un vote de
l’une des Chambres impliquant la défiance, le cabinet peut être amené à donner sa démission. Cette
responsabilité, purement politique et non criminelle, s’est surajoutée en Angleterre, au cours du
XVIIIème siècle, à la procédure criminelle de l’impeachment. C’est elle qui fonctionne couramment
aujourd’hui ; l’impeachment ne joue plus que rarement, lorsque les ministres sont traduits en Haute
Cour de justice pour crime politique commis dans l’exercice de leurs fonctions.
Quant au pouvoir législatif, il est confié à deux chambres, dont l’une au moins, la chambre
basse, est élue par le peuple et dont l’ensemble constitue le Parlement. Ce Parlement doit avoir des
moyens de pression sur les organes exécutifs, tout au moins par le refus du vote du budget.
On voit que le gouvernement parlementaire se caractérise essentiellement par la responsabilité
collective du cabinet devant le Parlement, par les liaisons et collaborations que cette responsabilité
entraîne forcément entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le rouage essentiel de ce
gouvernement est donc le cabinet, aussi l’appelle-t-on gouvernement de cabinet tout autant que
gouvernement parlementaire et, même, cette appellation serait préférable en ce qu’elle exprimerait
mieux cette vérité que ce n’est pas le Parlement qui doit gouverner, mais le cabinet.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Aspects théoriques :
Léon DUGUIT, Manuel de Droit Public français
(...) Le dernier caractère de régime parlementaire est l’action réciproque que le parlement et le
gouvernement exercent l’un sur l’autre.
L’action du gouvernement sur le parlement s’exerce d’abord par les communications, les
conseils même, que le gouvernement non seulement peut, mais doit même adresser au parlement, les
représentants du gouvernement devant assister à toutes les délibérations du parlement, non seulement
pour répondre aux questions, mais encore pour y exercer un rôle actif, et même y faire sentir une
influence directrice. L’action du gouvernement se traduit encore dans le droit qui doit lui être reconnu
et qui lui est en effet reconnu dans tous les pays parlementaires, sauf quelques variétés de détail dans
l’étendue et le mode d’exercice, le droit de convoquer les électeurs pour procéder à l’élection de la
partie élective du parlement, le droit de convoquer, d’ajourner, de proroger et de clôturer le
parlement, et enfin le plus important de tous et le plus nécessaire, le droit de dissoudre la partie
élective du parlement et d’appeler les électeurs, dans un certain délai déterminé par la constitution, à
de nouvelles élections.
Le droit de dissolution du gouvernement, considéré par un certain parti comme une survivance
du despotisme royal, est au contraire la condition indispensable de tout régime parlementaire et la
garantie la plus efficace du corps électoral, de la souveraineté nationale contre les excès du pouvoir,
les visées tyranniques, toujours à craindre, d’un parlement. Le gouvernement peut et doit dissoudre le
parlement, quand il estime que la politique suivie par lui ne répond pas à la volonté du pays ; il
fait ainsi un véritable référendum ; il doit convoquer les électeurs dans un délai en général très court et
se soumettre au verdict prononcé par eux.
M. Waldeck-Rousseau a mis très nettement en relief ce caractère de la dissolution dans un
discours prononcé à Paris le 9 juillet 1896. “ La faculté de dissolution, disait-il, inscrite dans la
constitution, n’est point pour le suffrage universel une menace, mais une sauvegarde. Elle est le
contrepoids essentiel aux excès du parlementarisme, et c’est par elle que s’affirme le caractère
démocratique de nos institutions ”. (...)
Mais ce droit de dissolution du parlement par le gouvernement doit avoir et a sa contrepartie : elle
consiste dans le contrôle général et incessant que le parlement a le droit d’exercer sur les actes du
gouvernement et dans la responsabilité solidaire et politique des ministres devant le parlement. Il
faut que le gouvernement soit obligé de se retirer toutes les fois que le parlement, ou même une partie
du parlement, désapprouve la politique suivie par lui. Mais un pareil système, indispensable pour
associer le parlement à l’activité gouvernementale, ne saurait se concilier avec les conditions de
stabilité que doit présenter tout gouvernement. Il fallait donc trouver le moyen de concilier la stabilité
gouvernementale avec la responsabilité politique du gouvernement. La pratique constitutionnelle
anglaise a donné la solution du problème.
Elle a mis à profit un vieux principe du droit monarchique anglais. La maxime “ The king can do
not wrong ” “Le roi ne peut mal faire” est une ancienne règle du droit public anglais qui se rattache
certainement au caractère de roi absolu appartenant anciennement au monarque anglais. Le roi ne peut
mal faire, donc il est toujours irresponsable ; non seulement il échappe à toute poursuite criminelle,
mais encore il ne saurait être atteint par une décision quelconque du parlement critiquant la politique
qu’il a suivie. Sa personne est aussi inviolable, et il est irresponsable. Mais si le roi ne peut mal faire, il
peut être entouré de mauvais conseillers ; ceux-ci, parce que le roi ne peut mal faire, ne peuvent
invoquer, pour écarter la responsabilité qui pèse sur eux, les ordres du roi, et ils sont eux toujours
responsables devant le parlement. D’abord ils ne furent responsables qu’individuellement, par la
procédure spéciale de l’impeachment, accusation mise en mouvement par la chambre des communes,
jugée par la chambre des lords ; puis, à la fin du XVIIIème siècle, ils deviennent responsables
solidairement et politiquement devant la chambre des communes. Dès lors tout acte du roi doit être fait
avec le concours d’un ministre et contresigné de lui, puisque celui-ci seul est responsable.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Ainsi la solution cherchée est trouvée. Le chef du gouvernement est inviolable et irresponsable, il
est placé au-dessus des partis ; il constitue l’élément stable et permanent du gouvernement. Certains
des ministres qu’il choisit forment un conseil, un cabinet suivant l’expression anglaise, se réunissant et
délibérant sous la présidence d’un premier ministre, et dirigeant la politique du pays, sous leur
responsabilité politique et solidaire devant le parlement. Le cabinet est ainsi l’élément changeant et
responsable du gouvernement, et partant l’élément véritablement actif. La dissolution et la
responsabilité politique du cabinet sont les deux moyens essentiels par lesquels s’exerce l’action
réciproque des deux organes l’un sur l’autre. Le cabinet est la pièce maîtresse du mécanisme. Il est le
représentant du chef de l’Etat au parlement, le représentant du parlement auprès du chef de l’Etat.
Désapprouvé par le parlement, il doit se retirer, à moins qu’approuvé par le chef de l’Etat, il ne fasse la
dissolution. En ce cas, le corps électoral prononce son verdict devant lequel tout le monde doit
s’incliner. Finalement le caractère le plus saillant du régime parlementaire est la responsabilité
politique et solidaire du cabinet devant le parlement, et quant on le définit un régime politique où un
chef d’Etat nomme des ministres, lesquels forment un conseil de cabinet, solidairement et
politiquement responsable devant un parlement, on en donne à tout prendre une définition qui n’est
point critiquable. (...)
La France n’a véritablement pratiqué le régime parlementaire que pendant le règne de LouisPhilippe, de 1830 à 1848. Fondée sur une séparation des pouvoirs que ses auteurs avait voulu faire
aussi rigoureuse que possible, la constitution de 1791 ne pouvait inaugurer en France le régime
parlementaire. L’art. 1 de la section IV du chapitre I du titre III donne au roi seul le choix et la
révocation des ministres ; et l’art. 5 de la même section ne parle que de la responsabilité pénale des
ministres. (...)
Le gouvernement établi en 1814 était une monarchie limitée, mais point une monarchie
parlementaire. Ce qui est vrai seulement, c’est que par la force des choses, cette monarchie limitée
allait se transformer progressivement en une monarchie parlementaire. Sans doute l’article 54 de la
Charte dispose que “les ministres peuvent être membres de la chambre des pairs ou de la chambre des
députés, qu’ils ont leur entrée dans l’une et dans l’autre chambre, et qu’ils doivent être entendus
quand ils le demandent”, et d’après l’art. 50 “le roi convoque chaque année les deux chambres, les
proroge et peut dissoudre celle des députés des départements”. Il y a là quelques traits du régime
parlementaire. Mais la Charte n’établit que la responsabilité pénale des ministres ; elle ne contient pas
la moindre allusion à une responsabilité politique et solidaire des ministres. Aux articles 55 et 56 on lit
: “La chambre des députés a le droit d’accuser les ministres et de les traduire devant la chambre des
pairs qui a seule le droit de les juger. Ils ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de
concussion...” Certainement il n’est jamais entré dans l’esprit de Louis XVIII et des rédacteurs de la
Charte d’instituer un gouvernement parlementaire tel que nous l’avons défini, mais seulement de
restaurer le pouvoir monarchique en le limitant par quelques concessions. Comme toujours les
circonstances furent plus fortes que les hommes et dans le cadre tracé par la Charte de 1814, sous
l’action des événements, un véritable régime parlementaire allait s’organiser. (...)
L’avènement du ministère Martignac le 4 janvier 1828 marque le moment où le régime
parlementaire est devenu vraiment une réalité. Après la dissolution de la chambre, faite le 5 novembre
1827, les électeurs, les 17 et 24 novembre, envoient à la chambre une majorité opposée au ministère
Villèle qui avait fait la dissolution. Après quelques hésitations, il est vrai, Charles X constitue avec
Martignac, à l’intérieur, un ministère homogène pris tout entier dans le centre droit, le parti
monarchiste libéral. Il se conformait ainsi, à regret sans doute, mais en réalité, aux règles du régime
parlementaire. On sait que le ministère Martignac est obligé de se retirer le 8 août 1829, après l’échec
du projet de loi relatif à l’élection des conseils administratifs locaux. “En fait, le régime parlementaire
était arrivé sous l’action de ce ministère à son expression dernière” (5).
Les règles du régime parlementaire eussent voulu que Charles X choisît le nouveau ministère dans
la majorité de la chambre. Pressé par son entourage, le roi nomma un ministère appartenant tout entier
5 Bonnefon, Le régime parlementaire sous la Restauration, p. 272.
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Principes généraux du Droit constitutionnel
à l’extrême droite avec pour chef le prince de Polignac. Assurément il ne violait pas la lettre de la
Charte, qui lui donnait le droit absolu de choisir ses ministres ; mais il allait directement contre la
pratique du régime parlementaire. Ce fut l’occasion pour le parti libéral d’exposer la vraie théorie du
gouvernement parlementaire. On remarqua surtout l’article publié par M. Thiers dans le premier
numéro du National (fondé le 3 janvier 1830). “Le roi règne y disait-il, et le pays se gouverne, voilà la
Charte... Le roi n’administre pas, ne gouverne pas, il règne. Régner est quelque chose de fort élevé, de
fort difficile à faire entendre à certains princes, mais que les rois anglais entendent à merveille”. Et il
terminait ainsi : “Le roi règne, les ministres gouvernent, les chambres jugent. Dès que le mal
gouverner commence, le roi ou les chambres renversent le ministère qui gouverne mal et les chambres
offrent leur majorité comme liste de candidats”. C’était la pure théorie du régime parlementaire.
Faite par le parti libéral, la révolution de 1830 ne pouvait instituer qu’un gouvernement de cabinet.
Et de fait, malgré quelques tentatives du roi Louis-Philippe voulant exercer une action personnelle
dans le gouvernement, la période de 1830 à 1848 fut la période classique de la monarchie
parlementaire en France. La cause de la révolution de 1848 ne fut point une opposition de la majorité
de la chambre à la politique royale. Guizot eut toujours pendant son long ministère (1830-1848) une
forte et fidèle majorité, repoussant toutes les propositions tendant à l’extension du droit de suffrage. La
révolution de 1830 avait été faite au nom du régime parlementaire dont le roi Charles X avait violé les
règles et avait eu pour résultat l’établissement d’une monarchie parlementaire. La révolution de 1848
fut faite contre une monarchie parlementaire au nom du suffrage populaire et eut pour résultat la
disparition du régime parlementaire et l’établissement du suffrage universel. (...)
Produit de l’évolution libérale commencée en 1860, porté pour donner satisfaction aux
revendications du parti libéral, le sénatus-consulte du 21 mai 1870 organise incontestablement
l’empire parlementaire, bien que l’expression de responsabilité politique n’y soit pas employée. Mais
les conditions dans lesquelles fut fait le sénatus-consulte ne peuvent laisser de doute ; et on lit aux
articles 19 et 20 : “l’empereur nomme et révoque les ministres. Les ministres délibèrent en conseil
sous la présidence de l’empereur. Ils sont responsables. Les ministres peuvent être membres du sénat
et du corps législatif. Ils ont entrée dans l’une et l’autre assemblées et doivent être entendus toutes les
fois qu’ils le demandent”.
Aspects théoriques :
Monisme ou dualisme : J.C. Zarka, LGDJ 1992 p. 28
Le parlementarisme moniste est un type de parlementarisme où le gouvernement, dans la
définition de sa politique, ne dépend que de la seule majorité parlementaire. Ce parlementarisme
moniste se distingue du parlementarisme dualiste ou orléaniste où le Cabinet doit tenir compte non
seulement de la volonté parlementaire majoritaire, mais aussi de la position personnelle du Chef de
l'Etat. Historiquement, le parlementarisme orléaniste correspond à la première phase de l'évolution du
régime parlementaire français sous la Charte de 1830 et la monarchie de juillet. C'est ce
parlementarisme dualiste qui a également caractérisé les premières années de la III° République.
Mais, à la suite de la crise du 16 mai 1877, le parlementarisme moniste a succédé au dualisme
originaire et a été explicitement affirmé par le Président Jules Grévy dans son message aux Chambres
du 7 février 1879 ; message où le 3ème Président de la III° République déclare qu'il n'entrera "jamais
en lutte contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels".
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Aspects pratiques :
Le régime britannique
Les attributions du monarque : "Les systèmes politiques des pays de l'Union
européenne", sous la direction de Yves Guchet, Ed. armand Colin, 1992.
Caractère parlementaire de la monarchie : En théorie, le pouvoir exécutif continue d'appartenir au
souverain. En réalité, il est exercé par ses ministres, appelés "ministres de Sa Majesté", responsables
de leurs actions non pas devant le souverain, mais devant le Parlement, c'est à dire devant les électeurs.
Le gouvernement est entre les mains du Premier ministre, des membres du cabinet et des autres
ministres : dans la pratique, ils constituent l'Exécutif, lui-même émanation du Législatif. Si bien que la
reine règne, mais ne gouverne pas, ce qui signifie qu'elle agit uniquement sur avis de ses ministres et
n'oppose jamais son veto à une loi votée par le Parlement.
Dans son ouvrage, The English Constitution (1867), Bagehot écrivait que le souverain dispose de trois
droits : "le droit d'être consulté, le droit d'encourager et le droit d'avertir". Dans la pratique, la reine
exerce les fonctions politiques suivantes : elle ouvre et clôt les sessions parlementaires, dissout et
convoque le Parlement, nomme le Premier ministre et les ministres, est "la source de toute justice" et
"la source de tout honneur", est le chef du commonwealth britannique, exerce le droit de conseiller ses
ministres, enfin prend part aux événements et cérémonies officiels prévus par la constitution.
Ouverture et clôture des sessions parlementaires : Les dates officielles d'ouverture et de clôture de
la session parlementaire sont fixées par le parlement lui-même. La reine préside ces séances
solennelles, assise sur le trône situé dans la Chambre des lords, tandis que les communes sont
convoquées à la porte de la Chambre haute pour entendre le "discours du trône". Ce discours, dans
lequel la reine résume la politique de l'année écoulée et annonce les projets du gouvernement pour la
nouvelle session, est, en réalité, préparé par le Premier ministre et le cabinet.
Dissolution et convocation du Parlement : Aux termes des lois parlementaires de 1911 et 1949, le
Parlement est automatiquement dissous au bout de cinq ans. Des élections législatives doivent alors
avoir lieu afin d'élire une nouvelle chambre des communes.
Cependant, si au cours de la législature le gouvernement est mis en minorité lors d'un vote aux
Communes sur une question d'importance majeure, le Premier ministre doit démissionner, le
Parlement est dissous et les élections ont lieu. En outre, le Premier ministre peut décider de dissoudre
le Parlement à n'importe quel moment de la législature. Le souverain ne peut normalement s'opposer à
une demande de dissolution anticipée. Le Premier ministre formule une telle demande dans deux cas :
a) lorsqu'il dispose d'une très faible majorité aux Communes et cherche à renforcer cette majorité par
de nouvelles élections (c'est ce que firent les conservateurs en octobre 1974 afin de renforcer la très
faible majorité qu'il avait obtenue en février; b) lorsqu'il bénéficie d'une conjoncture favorable et
décide d'anticiper les élections pour assurer le maintien au pouvoir de son parti (c'est ce que fit M.
Thatcher en 1983 après la victoire britannique dans la guerre des Malouines).
Le souverain ne peut s'opposer à la dissolution du Parlement que si à la fois : a) le Parlement est
parfaitement viable et capable de fonctionner en l'état; b) des élections législatives seraient
préjudiciables à l'économie nationale; c) le souverain peut trouver, dans la majorité existante, un autre
Premier ministre capable de gouverner pendant une durée raisonnable avec une majorité suffisante
pour permettre aux Communes de travailler. Il est exceptionnel que ces trois conditions soient réunies,
si bien que le souverain s'oppose rarement à une dissolution du Parlement demandée par le Premier
ministre. Une fois le nouveau Parlement élu, la reine le convoque officiellement.
Nomination du premier ministre et des ministres : La reine choisit et nomme le Premier ministre en
vertu de la prérogative royale établie par la tradition et ne relevant d'aucun texte constitutionnel. De
nos jours, le choix du Premier ministre est quasi automatique : par convention, le souverain choisit
comme premier ministre le chef du parti vainqueur aux élections législatives et, donc, majoritaire aux
Communes. Lorsqu'un gouvernement est mis en échec et obligé de démissionner, le souverain
s'adressera au chef du parti de l'opposition et lui demandera de constituer un gouvernement. Si le chef
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
de l'opposition ne dispose pas d'une majorité suffisante pour constituer un gouvernement viable, on
procède à des élections législatives et le nouveau premier ministre est le chef du parti qui obtient la
majorité aux communes.
En cas de décès ou de maladie grave du Premier ministre et en l'absence d'un successeur reconnu à la
tête du parti majoritaire aux Communes, le souverain désigne un Premier ministre. Il choisit
normalement la personne que l'ancien Premier ministre lui a recommandée. Enfin, si aucune majorité
nette ne se désigne aux Communes, le souverain peut véritablement choisir le Premier ministre ou
tenter d'obtenir un consensus en son nom. Dans tous les cas où il doit prendre une décision
personnelle, le souverain a la possibilité de demander conseil à qui il veut. Il consulte habituellement
le Premier ministre sortant, mais aucune règle ne l'oblige à le faire.
En théorie, le souverain choisit les ministres. (...) En fait, depuis la loi électorale de 1832, qui a élargi
le suffrage, la réalité du pouvoir politique repose sur le Premier ministre et son cabinet, désormais
responsables devant le Parlement, et la nomination des ministres relève de la responsabilité du Premier
ministre : celui-ci établit une liste, qu'il soumet à l'approbation du souverain. Par convention, le
monarque est au-dessus des partis politiques et de la politique des partis, ce qui contribue à sa
permanence. En théorie, le souverain peut toujours invoquer la prérogative royale pour démettre un
gouvernement qui agirait de manière anticonstitutionnelle. Mais cette hypothèse est peu probable dans
la mesure où le gouvernement est aujourd'hui l'émanation d'une Chambre des Communes élue
démocratiquement et où il représente la volonté populaire. Notamment, l'existence d'élections
législatives à intervalles réguliers garantit l'exercice de la démocratie et la constitutionnalité du
gouvernement. Le souverain ne serait fondé à agir que dans le cas où un gouvernement agirait ultra
vires , par exemple s'il prolongeait la durée de la législature au-delà cinq ans ou s'il découpait les
circonscriptions ou modifiait le système électoral dans le but de servir les intérêts du parti.
Pouvoir judiciaire du souverain : Outre ses fonctions législatives et exécutives, le souverain exerce
un certain pouvoir judiciaire. Les tribunaux sont les "cours royales de justice" et les juges anglais "les
juges de Sa Majesté", nommés par la Couronne. Surtout, la Reine peut remettre, en totalité ou en
partie, toute peine. (...) Pour toute remise de peine, le souverain agit sur l'avis d'un ministre,
habituellement sur l'avis du ministre de l’intérieur.
Le souverain, "source de tout honneur" : Dans l'exercice de sa prérogative, le souverain confère les
titres de noblesse et les distinctions honorifiques sur avis du Premier ministre. Il nomme les juges des
juridictions supérieures, les officiers des forces armées, les gouverneurs des colonies et des pays
membres du Commonwealth, les diplomates et les dignitaires de l'Eglise d'Angleterre, dont il est
"gouverneur", également sur avis du Premier ministre. Certains titres honorifiques (l'ordre du Mérite,
l'ordre de la reine Victoria, l'ordre de la Jarretière et l'ordre du Charbon) relèvent, pour leur part, de la
prérogative exclusive du souverain et sont distribués à sa seule initiative.
Le souverain , conseiller de ses ministres : Par convention, le monarque agit exclusivement sur l'avis
de ses ministres. Pendant les périodes où le Parlement siège, la reine reçoit le Premier ministre en
audience au moins une fois par semaine. Le Premier ministre demande surtout à la reine d'exercer sa
prérogative pour convoquer et dissoudre le Parlement et pour conférer titres ou honneurs. Mais la reine
peut également faire part au Premier ministre de ses observations personnelles et de ses propositions
en matière de politique. Au sein de l'Exécutif, la reine représente, par rapport au gouvernement et au
Premier ministre, l'élément de continuité : depuis son accession au trône en 1953, la reine Elisabeth a
eu huit Premiers ministres. Son expérience lui confère une bonne connaissance des affaires
britanniques; les visites officielles lui permettent de rencontrer un grand nombre de chefs d'Etat et
d'apprécier leur personnalité. Surtout, la reine est au-dessus des partis politiques : son approche des
problèmes est dépourvue d'esprit partisan et n'est motivée que par l'intérêt national. Le Premier
ministre n'est cependant pas tenu d'écouter les avis de la reine sur sa politique : l'écoute dont jouit la
reine dépend de la personnalité de celui-ci.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Institutions du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord
1) La Grande Charte de 1215.
Jean, par la grâce de Dieu roi d'Angleterre, seigneur d'Irlande, duc de Normandie et d'Aquitaine et comte
d'Anjou, aux archevêques, évêques, abbés, comtes, barons, juges, forestiers, sheriffs, prévôts, ministres et à tous
les baillis et fidèles, salut. Sachez que sous l'inspiration de Dieu, pour le salut de notre âme et celle de tous nos
ancêtres et de nos héritiers, pour l'honneur de Dieu et l'exaltation de la Sainte Eglise, et pour la réformation de
notre royaume avec le conseils de nos vénérables pères Etienne, archevêque de Canterbery, primat d'Angleterre
et cardinal de la Sainte Eglise romaine, (suivent les noms de 10 prélats et de 16 barons):
1) Nous avons d'abord accordé à Dieu et par cette présente charte nous avons confirmé, pour nous et pour nos
héritiers, à perpétuité, que l'Eglise d'Angleterre sera libre et jouira de tous ses droits et des libertés sans qu'on
puisse les amoindrir; et ainsi voulons-nous que soit observé ce qui en ressort, c'est-à-dire que nous avons accordé
la liberté des élections, réputé la plus grande et la plus nécessaire à l'Eglise d'Angleterre, de notre pleine et
spontanée volonté, avant la discorde qui s'est élevée entre nous et nos barons, et ainsi voulons-nous que ce soit
confirmé, par cette charte, à Innocent III ; nous observerons ladite charte et nous voulons qu'elle soit observée de
bonne foi par nos héritiers à perpétuité. Nous avons aussi accordé à tous les hommes libres de notre royaume,
pour nous et pour nos héritiers à perpétuité, toutes ces libertés inscrites ci-dessous pour qu'ils les aient et les
tiennent, eux et leurs héritiers, de nous et de nos héritiers. (...)
12) Aucun écuage ou aide ne sera établi dans notre royaume sans le consentement du commun conseil de notre
royaume, à moins que ce ne soit pour le rachat de notre personne, la chevalerie de notre fils aîné et le mariage de
notre fille aînée, une fois seulement; et en ces cas ne sera levée qu'une aide raisonnable; il en sera de même pour
les aides de la cité de Londres. (...)
14) Et, pour avoir le commun conseil du royaume au sujet de l'établissement d'une aide autrement que dans les
trois cas susdits, ou au sujet de l'établissement de l'écuage, nous ferons semondre les archevêques, évêques,
abbés, comtes et hauts barons du royaume individuellement par des lettres; et, en outre, nous ferons semondre
collectivement par nos sheriffs et baillis tous ceux qui tiennent de nous en chef pour un certain jour, avec un
délai de quarante jours au moins, et à un certain lieu; et, dans toutes les lettres de cette semonce, nous
exprimerons la cause de cette semonce; et, la semonce étant ainsi faite, on procédera au jour assigné à la décision
de l'affaire selon le conseil de ceux qui auront été présents, quand même tous ceux qui auront été sommés ne
soient pas venus.
15) Nous ne concédons à qui que ce soit la permission de lever une aide sur ses hommes libres, sauf pour le
rachat de sa personne, la chevalerie de son fils aîné et le mariage de sa fille aînée, une fois seulement; et dans ces
cas, que ce soit une aide raisonnable.
16) Personne ne sera forcé à faire plus de service qu'il n'en doit à raison de son fief de chevalier ou d'une autre
libre tenure.
(...)
24) Aucun sheriff, constable, coroner ou autre de nos baillis, ne tiendra les plaids de notre couronne.
25) Tous les comtés, centaines, wapentacks et dizaines resteront aux anciennes rentes sans accroissement, les
terres de notre domaine exceptées. (...)
36) On ne donnera ou on ne prendra rien à l'avenir pour un writ d'enquête sur la vie ou les membres, mais il sera
accordé gratuitement et jamais refusé. (...)
39) Aucun homme libre ne sera arrêté ni emprisonné, ou dépossédé de ses biens, ou déclaré outlaw , ou exilé, ou
lésé de quelques manière que ce soit, et nous n'irons pas contre lui et nous n'enverrons personne contre lui, sans
un jugement loyal de ses pairs conformément à la loi du pays.
40) Nous ne vendrons, ni refuserons ou ne différerons le droit ou la justice à personne. (...)
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2) La Grande Remontrance de 1641.
Extrait de la Pétition du 1er décembre 1641
... Afin d'empêcher la consommation finale de toutes ces choses, vos pauvres sujets sont contraints
d'engager leurs personnes et leurs biens pour la poursuite d'une guerre très coûteuse et dangereuse,
bien qu'il ait déjà, depuis le début du présent Parlement, été imposé des contributions s'élevant à
150000 livres sterling, ou à peu près, en vue de fournir à votre majesté le soutien et les crédits
nécessaires à la poursuite des présents et périlleux objectifs. Et parce que tous nos efforts et tous nos
engagements les plus fidèles ne seront d'aucun effet pour assurer la paix, la sécurité et la préservation
de Votre Majesté et de votre peuple si des mesures réelles et efficaces ne sont pas prises dès
maintenant pour la suppression de ce pernicieux et malfaisant parti :
Nous, vos très humbles et obéissants sujets, supplions en toute fidélité et humilité Votre majesté :
1) Qu'il lui plaise de gracieusement se ranger à l'humble désir qui anime son peuple de voir prises, par
la voie parlementaire, des mesures pour préserver la paix et la sécurité du royaume des entreprises
malfaisantes du parti papiste;
2) Qu'il plaise également à Votre Majesté d'éliminer de son conseil tous ceux qui persistent à favoriser
et à promouvoir l'une quelconque des pressions et des corruptions qui ont affligé votre peuple, et qu'à
l'avenir Votre Majesté daigne employer dans ses grandes affaires publiques et placer auprès d'elle dans
des postes de confiance et de responsabilité, des personnes à qui son Parlement puisse avoir raison de
se fier; et que dans sa bonté princière envers son peuple, elle rejette et refuse toute médiation et
sollicitation allant en sens contraire, si puissantes qu'elles puissent être et si proches de vous qu'en
puissent être les auteurs...
Extrait de la réponse du roi du 23 décembre 1641
... A la seconde prière de ma pétition, relative à l'élimination et au choix de nos conseillers, nous
répondrons que nous ne connaissons aucun membre de notre Conseil à qui le caractère tracé dans la
pétition puisse s'appliquer; que dans la personne de ceux à la mise en jugement desquels nous avons
consenti, nous vous avons déjà donné des témoignages suffisants du fait qu'il n'y a pas d'homme, si
proche de nous soit-il en situation ou affection, que nous ne laisserons pas déférer à la justice de la loi
si vous produisez contre lui une accusation particulière et des preuves suffisantes; et de cela nous vous
renouvellerons l'assurance, mais dans l'intervalle, nous désirons vous voir vous abstenir de formuler
des critiques générales susceptibles de mettre en cause notre Conseil tout entier, puisque vous ne
nommez personne en particulier.
Que pour ce qui est du choix de nos conseillers et ministres d'Etat, ce serait nous priver de la
liberté naturelle que possèdent tous les hommes libres; et que de même que c'est un droit incontestable
de la Couronne d'Angleterre de faire appel pour nos conseils secrets, les emplois publics et notre
service particulier, à ceux à qui nous le jugerons bon, de même nous prenons et prendrons toujours
grand soin de faire choix pour ces postes de confiance de personnes ayant donné de bons témoignages
de leurs capacités et de leur intégrité, et contre lesquelles il ne peut y avoir aucun motif de juste
critique sur lequel fonder raisonnablement le manque de confiance; et au choix de cette nature nous
vous assurons que la médiation de ceux qui sont les plus proches de nous a toujours donné son
accord...
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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3) Le Bill of Rights de 1689
... Dans ces circonstances lesdits Lords spirituels et temporels et les Communes, aujourd'hui assemblés
en vertu de leurs lettres et élections, constituant ensemble la représentation pleine et libre de la nation,
et considérant gravement les meilleurs moyens d'atteindre le but susdit, déclarent d'abord (comme
leurs ancêtres ont toujours fait en pareil cas), pour assurer leurs anciens droits et libertés
1) Que le prétendu pouvoir de l'autorité royale de suspendre les lois ou l'exécution des lois sans le
consentement du Parlement est illégal;
2) Que le prétendu pouvoir de l'autorité royale de dispenser des lois ou de l'exécution des lois, comme
il a été usurpé et exercé par le passé, est illégal; (...)
4) Qu'une levée d'argent pour la Couronne ou à son usage, sous prétexte de prérogative, sans le
consentement du Parlement, pour un temps plus long et d'une manière autre qu'elle n'est ou ne sera
consentie par le Parlement est illégale;
5) Que c'est un droit des sujets de présenter des pétitions au roi, et que tous emprisonnements ou
poursuites à raison de ces pétitions seront illégaux;
6) Que la levée et l'entretien d'une armée dans le royaume, en temps de paix, sans le consentement du
Parlement, est contraire à la loi; (...)
8) Que les élections des membres du Parlement doivent être libres;
9) Que la liberté de parole, ni celle des débats ou procédures dans le sein du Parlement, ne peut être
entravée, ou mise en discussion en aucune cour ou lieu quelconque autre que le Parlement lui-même;
(...)
13) Qu'enfin, pour remédier à tous griefs, et pour l'amendement, l'affermissement et l'observation des
lois, le Parlement devra être fréquemment réuni ; (...)
Aspects pratiques :
Le régime parlementaire en Allemagne
Le constitutionnalisme allemand
Michel FROMONT, Revue POUVOIRS n°66, La démocratie parlementaire et partisane de Bonn (Extrait)
Les membres du Conseil Parlementaire qui rédigèrent la Loi Fondamentale du 23 juin 1949 eurent pour objectif
principal d'établir une démocratie qui soit efficace et qui, par conséquent, permette une direction ferme et stable
du pays. Dans ce but, ils éliminèrent tous les éléments de démocratie plébiscitaire, rationalisèrent le régime
parlementaire et légitimèrent le rôle des partis politiques dans le fonctionnement de la démocratie.
L'élimination des éléments plébiscitaires consista, en particulier, dans la suppression de l'élection du président au
suffrage universel direct, ce qui entraîna la réduction des pouvoirs de celui-ci : il perdit ses pouvoirs de crise et
son droit de dissolution fut réduit à peu de choses. Il était ainsi mis fin au dualisme de l'exécutif qui avait
caractérisé le régime précédent. Cette élimination des éléments plébiscitaires fut toutefois moins radicale dans
les Constitutions des Länder : certes il n'y a pas non plus de président élu au suffrage universel pour la simple
raison qu'il n'y a pas de chef de l'Etat distinct du chef de gouvernement, mais il y a souvent des possibilités
d'initiative populaire ( ayant pour objet des lois ou la dissolution de Landtag ) et de référendum législatif ou
constitutionnel.
Le régime parlementaire fut rationalisé de différentes manières. En premier lieu, il fut décidé qu'un chancelier ne
serait renversé que par l'élection de son successeur (motion de censure constructive, article 67) ; à vrai dire, ce
système n'a fonctionné qu'une fois (1982), les autres gouvernements étant purement et simplement tombés à la
suite de la rupture de la coalition gouvernementale. En second lieu, il fut décidé que le droit de dissolution ne
pourrait être exercé qu'en cas de rejet d'une question de confiance"(article 68) ; mais jusqu'à présent, la
dissolution n'a été décidée, à deux reprises (1972 et 1982), qu'à l suite d'une question de confiance rejetée
artificiellement par le Bundestag. En revanche, la Loi Fondamentale ne condamna nullement la représentation
proportionnelle qui avait parfois été dénoncée comme une des causes de l'échec de la république de Weimar ; ses
effets furent toutefois atténués par la règle interdisant aux partis ayant obtenu moins de 5% des voix d'être
représentés au Bundestag. Des règles assez voisines sont posées par les Constitutions des Länder. La stabilité
gouvernementale allemande ne résulte donc pas des efforts de rationalisation du régime parlementaire, mais de la
troisième innovation, le régime des partis.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
L'engagement de la responsabilité politique du gouvernement fédéral
Michel FROMONT et Alfred RIEG. Introduction au droit allemand T.II.CUJAS. 1984
Le Chancelier et son gouvernement ne sont responsables que devant le Bundestag. La Loi Fondamentale a prévu deux
modalités de mise en oeuvre de cette responsabilité : la motion de défiance constructive (article 67) et la question de
confiance (article 68).
La motion de défiance constructive :
Selon l'article 67 de la Loi fondamentale, "le Bundestag ne peut exprimer sa défiance envers le Chancelier fédéral
qu'en élisant un successeur à la majorité absolue". Ainsi est assurée la permanence gouvernementale : un Chancelier ne
peut être renversé que par l'élection de son successeur.
A vrai dire, ce système a peu fonctionné. Ainsi les trois premiers chanceliers, Adenauer, Erhard et Brandt ont
abandonné le pouvoir en cours de législature en démissionnant, soit sous la pression de ses amis politiques (Adenauer),
soit à la suite d'un renversement d'alliance (Erhard), soit à la suite d'une affaire d'espionnage (Brandt) et Kissinger est
resté chancelier jusqu'au terme de la législature du Bundestag qui l'avait élu.
La première tentative pour utiliser la procédure de la motion de défiance constructive (Misstrauensvotum) est celle de
1972 ; mais il a manqué alors deux voix à l'opposition chrétienne-démocrate pour renverser le Chancelier Brandt et
faire élire Rainer Barzel. A cette occasion est apparue nettement la difficulté de réunir, à l'occasion d'un scrutin secret,
à la fois une majorité négative pour démettre le Chancelier et une majorité positive pour lui choisir un successeur.
En revanche, la deuxième tentative, celle de 1982 a réussi : le 1er octobre 1982, le Bundestag a par 256 voix contre
235 renversé le chancelier Schmidt et élu Helmut Kohl. Néanmoins, le nouveau chancelier a considéré qu'il ne
disposait pas d'une autorité politique suffisante pour gouverner du fait qu'il avait été élu avec l'appui de députés qui
s'étaient engagés lors de leur élection à soutenir le chancelier renversé, et il a donc provoqué la dissolution du
Bundestag selon la procédure décrite précédemment. Ainsi le vote d'une motion de défiance constructive n'a été que la
première étape, il est vrai nécessaire, dans un processus conduisant à un changement de majorité gouvernementale
avant le terme normal de la législature.
La question de confiance :
La Loi Fondamentale ne réglemente pas isolément la question de confiance. En effet, selon l'article 68, le refus de la
confiance demandée par le chef du gouvernement au Bundestag ouvre pendant 21 jours une course de vitesse entre le
chancelier, qui n'est pas renversé et peut, pendant ce délai, demander à tout moment au président de la République de
prononcer la dissolution6, et la chambre basse qui a la possibilité de choisir, à la majorité de ses membres, un
successeur au chancelier, mettant fin ainsi à la menace de dissolution (article 68, alinéa in fine). Si aucune de ces deux
éventualités n'est intervenue à l'expiration du délai, la preuve est faite qu'aucune majorité positive n'a réussi à se former
au sein du Bundestag. La dissolution ne peut alors plus être prononcée ; le chancelier mis en minorité reste en place
(sauf démission volontaire évidemment), la constitution prévoyant alors que pendant six mois les lois pourront être
faites avec le seul accord du Bundesrat.
Mais ce dispositif de l'article 68 n'a jamais joué dans le sens prévu par la Loi Fondamentale ; il a été détourné de son
objet lorsque le chancelier Brandt, devant l'effritement de sa majorité en 1972, a volontairement et artificiellement
provoqué, avec l'accord des trois groupes parlementaires du Bundestag, un refus de confiance pour pouvoir dissoudre
le Bundestag. Il a ainsi préféré une clarification de la situation politique à un recours, pratiquement exclu, à l'état de
nécessité législative. C'est en quelque sorte "l'excès" de la stabilité gouvernementale résultant de la difficulté à
dissoudre le Bundestag qui a conduit le chef de gouvernement et les partis à recourir à ces expédients.
Il en a été de même en décembre 1982 : Helmut Kohl, qui venait d'être élu chancelier à la suite du vote d'une motion
de défiance constructive, a également provoqué un refus de confiance afin de pouvoir demander au président de la
République fédérale qu'il dissolve le Bundestag et nous avons vu précédemment que la Cour Constitutionnelle avait
admis la constitutionnalité d'une telle utilisation de l'article 68.
En revanche, en février 1982, le chancelier Schmidt sollicita du Bundestag le vote d'une motion de confiance dans le
seul but de renforcer la cohésion de sa majorité. C'était la première fois que cette procédure était utilisée dans ce but.
Probablement en raison du caractère public du scrutin, il obtint la confiance. Mais ce succès fut de pure forme et
n'empêcha
pas
la
coalition
de
se
disloquer
complètement
durant
l'été
qui
suivit.
Ainsi la mise en cause de la responsabilité du chancelier, outre le fait qu'elle est rare, a moins pour effet d'entraîner le
renforcement ou la chute du gouvernement que la dissolution du Bundestag, considérée comme le moyen le plus sûr de
résoudre une crise politique.
6 Le chef de l'Etat n'est toutefois pas obligé de déférer à cette demande
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Le régime des crises intérieures
Si l'on écarte le cas des catastrophes pour lequel la Loi Fondamentale a prévu une aide des autres
Länder ou de la Fédération (article 35, alinéa 3), deux cas majeurs doivent être distingués : d'une part,
celui d'une crise parlementaire (absence de majorité au Bundestag), d'autre part, celui où l'ordre
constitutionnel et démocratique est menacé, c'est-à-dire celui d'une crise extraparlementaire.
La crise parlementaire : le régime de nécessité législative:
Pour remédier à une crise parlementaire, le constituant a prévu dès 1949 un système qui conduit à
conférer à un gouvernement majoritaire le pouvoir législatif pendant six mois, ce qui ne fait d'ailleurs
que différer le moment où la crise devra être politiquement résolue : c'est l'état de nécessité législative.
Selon l'article 68 de la Loi Fondamentale, un Chancelier qui n'obtient pas la confiance de la majorité
des membres du Bundestag peut se maintenir au pouvoir si le Président de la République Fédérale ne
prononce pas la dissolution. Afin de permettre à ce gouvernement minoritaire d'exercer ses fonctions
avec efficacité, l'article 81 autorise le président à prononcer l'état de nécessité législative si le
Bundestag rejette un projet de loi que le gouvernement a déclaré urgent ou au sujet duquel il a posé la
question de confiance. A la suite de cette proclamation, le projet de loi sera de nouveau soumis au
Bundestag et s'il est alors rejeté, s'il est adopté sous une forme inacceptable pour le gouvernement ou
s'il n'est pas adopté dans un délai de quatre semaines, il est néanmoins promulgué. Le Bundestag est
donc complètement éliminé de la procédure législative. En revanche, le Bundesrat doit donner, dans
tous les cas, son accord à la promulgation d'une telle loi. Il en sera de même pour tous les autres
projets de loi gouvernementaux que rejettera le Bundestag.
Les limites à ce pouvoir législatif de crise sont à la fois temporelles : ils ne peuvent durer que six mois,
du moins avec le même chancelier, et matérielles : ils ne peuvent pas porter atteinte à la Loi
Fondamentale, y compris aux droits fondamentaux.
La doctrine allemande est unanime à critiquer cette disposition qui ne peut que faire empirer une
situation politique difficile. Heureusement, elle n'a jamais eu l'occasion d'être appliquée.
Les menaces pour l'ordre démocratique et libéral : l'état de crise intérieure:
Selon l'article 91 de la Loi Fondamentale, il y a état de crise intérieure lorsque "un danger menace
l'existence de l'ordre démocratique et libéral de la Fédération, d'un Land". Il semble qu'il y ait crise
intérieure non seulement quand il y a une insurrection armée ou des troubles dans la rue, mais
également quand il y a grève politique ou sauvage, puisque l'article 9, alinéa 3 de la Loi Fondamentale
soustrait simplement à la mise en jeu des pouvoirs exceptionnels les "conflits du travail qui sont menés
par les syndicats en vue d'améliorer les conditions de travail et la situation économique de leurs
membres". Cet état de crise intérieure est constaté en principe par le gouvernement du Land concerné,
mais en cas de défaillance de celui-ci, il l'est par le gouvernement fédéral ; mais dans ce dernier cas, le
Bundesrat peut ordonner d'y mettre fin dès que les menaces ont cessé.
En cas de crise intérieure, la liberté d'aller et venir peut être restreinte. De plus, chaque Land peut
obtenir l'intervention de la police des autres Länder et celle de la police fédérale des frontières. Si le
Land n'est pas disposé ou n'est pas en mesure de lutter contre les dangers, le gouvernement fédéral
peut alors prendre la direction des opérations en utilisant les polices des autres Länder ainsi que la
police fédérale des frontières. Si cela ne suffit pas, l'article 87 a, alinéa 4, de la Loi Fondamentale,
autorise expressément celui-ci à employer l'armée fédérale "pour protéger les biens civils et lutter
contre les insurrections armées et organisées" ; mais dans ce cas, le Bundestag a comme le Bundesrat,
le pouvoir d'ordonner le retrait des troupes.
La concentration des pouvoirs entre les mains des gouvernements, et plus particulièrement du
gouvernement fédéral, est encore plus marquée en cas de crise extérieure.
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Une démocratie du Chancelier :
"Le système politique ouest-allemand" Constance GREWE. PUF 1986. Coll.Que sais-je?"
"Tout dépend du Chancelier" : ce slogan électoral pourrait figurer en tête des dispositions constitutionnelles
relatives aux pouvoirs publics. Car, en définitive, le parlement n'est fort que s'il consolide le couronnement de
l'édifice, à savoir le chancelier. C'est sur celui-ci que le constituant a concentré tous ses efforts de stabilisation,
considérant que le chancelier ne fait pas partie des contrepoids, mais qu'il incarne le pouvoir.
La prédominance du Chancelier est, en 1949, une idée à la fois ancienne et nouvelle. Ancienne parce qu'il existe
en Allemagne une tradition de l'Exécutif fort qui a laissé des traces jusque sous la République de Weimar. Ainsi
la constitution de 1919 reconnaît déjà le "principe du Chancelier" et réserve à ce dernier une place particulière.
Seulement, et en cela la solution de la Loi Fondamentale est nouvelle, la Constitution de Weimar avait noyé le
rôle prééminent du Chancelier dans tout un ensemble d'éléments, de structures issues d'une autre tradition
gouvernementale, celle de la collégialité et de l'autonomie ministérielle, sans oublier le rôle également
primordial du Président de la République. Le texte de 1919 autorisait de la sorte les lectures les plus opposées.
La pratique y a sélectionné celle de la collégialité et des pouvoirs présidentiels.
En dépit de nombreux emprunts à Weimar, le constituant de 1949 a fait du chef du gouvernement une institution
originale. Car débarrassé de ses contre-pouvoirs présidentiels et ministériels, le chancelier fait peau neuve. Il
apparaît nettement renforcé, tant au regard du passé que par rapport aux autres régimes parlementaires
occidentaux.
Toutefois, l'originalité est sans doute plus accusée à la lecture de la Loi Fondamentale que dans la pratique.
Celle-ci est venue moduler, compléter et parfois ignorer la constitution. Elle a , en quelque sorte, opéré un
alignement du régime allemand sur un "standard européen". L'ambition de la Loi Fondamentale a-t-elle donc été
manquée ou était-elle irréalisable?
L'ambition de la Loi Fondamentale
Cette ambition, tout au service de la stabilité, réside dans une combinaison originale entre la démocratie et
l’autorité. Cette combinaison s'exprime d'abord dans l'association. Le chancelier, pour pouvoir incarner et
exercer l'autorité, doit être élu par la majorité des membres du Bundestag. Seul l'élément démocratique légitime
son prestige. Mais une fois en place, il bénéficie du privilège de pouvoir se maintenir pendant un laps de temps
sans être assuré de l'appui de la majorité parlementaire. L'état de nécessité législative fait ainsi primer l'autorité
sur la démocratie.
Cette combinaison se traduit également par une séparation accentuée entre l'exécutif et le législatif. L'autonomie
substantielle conférée à ces deux pouvoirs par le droit constitutionnel allemand a permis de renforcer chacun tout
en évitant les empiétements. Il est alors hors de question que le Bundestag donne des impulsions politiques. C'est
l'affaire exclusive du gouvernement et du chancelier. De même, les moyens d'action du parlement sur le
gouvernement sont, comme on l'a déjà noté, fortement encadrés. Inversement, l'Exécutif ne saurait s'immiscer
dans le domaine parlementaire en prétendant par exemple vouloir fixer l'ordre du jour du Bundestag. Là encore,
les moyens de pression sont limités. En somme, seul le chancelier avec son gouvernement est compétent pour
diriger les affaires politiques de l'Etat. L'autorité a le privilège de l'action.
Si la Loi Fondamentale s'emploie ainsi à renforcer l'exécutif, ce renforcement profite essentiellement à la
personne du Chancelier. Celui-ci occupe une place de choix non seulement vis à vis du président fédéral, mais
encore au sein du gouvernement.
La position du chancelier vis à vis du président fédéral :
La Loi Fondamentale a fait subir au pouvoir présidentiel un affaiblissement notable. Ceci vaut du moins pour les
circonstances normales, celles qui assurent au chancelier 'appui d'une majorité parlementaire.
Dans ce cas, la président fédéral agit en tant qu'autorité de représentation interne et externe. Il incarne l'idée du
pouvoir neutre et garantit le bon fonctionnement des institutions. En conséquence, son pouvoir ne relève pas de
l'action, mais plutôt du contrôle et du frein.
Certes, il lui appartient de proposer le nom du futur chancelier et de nommer ce dernier sans qu'il soit besoin de
contreseing. Ce n'est pas pour autant que la chancelier dépend du président, est responsable devant celui-ci. Car
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
sans le secours de la majorité du Bundestag ce droit de proposition s'apparente à une coquille vide. Le président
ne peut pas davantage révoquer le chancelier de sa propre initiative. Là encore, il ne lui reste qu'à se conforter
aux voeux du parlement. Sa compétence est liée.
Tous ses autres actes sont soumis à l'obligation du contreseing, ce qui l'empêche d'agir de manière autonome.
Tout au plus exerce-t-il un contrôle de régularité constant sur l'action du gouvernement qui peut se manifester
notamment par le refus de signer un acte.
Les circonstances exceptionnelles font en revanche du président fédéral avec le Bundesrat une "réserve de
légalité". La compétence du premier est alors discrétionnaire pour soutenir ou non le chancelier minoritaire.
Pourtant, même dans ce cas, le président contrôle plus qu'il n'agit. Son rôle demeure donc infiniment plus
modeste que celui du chef de gouvernement.
La position du Chancelier au sein du gouvernement
Cette position est tout à fait particulière en ce sens que le chancelier n'est pas un primus inter pares, mais un
véritable supérieur. Afin de protéger au maximum ce rang prééminent, la Loi Fondamentale est allée jusqu'à
indiquer comment doivent se répartir les compétences entre le chancelier, le gouvernement et les ministres.
La supériorité du chancelier se manifeste dès le début : lui seul est élu par le Bundestag. Il a donc le monopole de
la confiance et de la légitimité parlementaire. De la même manière, lui seul est responsable de la conduite de la
politique gouvernementale devant le Bundestag. S'il est renversé, les ministres, solidaires avec lui, tombent
également. La responsabilité et la solidarité gouvernementale sont ainsi construites uniquement autour de la
personne du chancelier.
A cette exclusivité des contacts avec le Bundestag s'ajoute le pouvoir du Chancelier d'organiser, de concevoir et
de créer seul son gouvernement. Il en détermine les structures et choisit ses ministres que le président fédéral est
tenu de nommer. Choisir en toute indépendance les ministres, cela implique aussi la faculté de les révoquer. En
somme, les ministres sont responsables devant le chancelier.
Pour mieux consolider encore cette prééminence, le droit constitutionnel allemand attribue à chaque acteur son
domaine d'action.
L'article 67 de la Loi Fondamentale confère au chancelier la compétence exclusive pour déterminer les "lignes
directrices" de la politique. Si le terme est vague et a suscité de nombreuses controverses, il n'en exprime pas
moins l'idée que le chancelier fixe l'essentiel, les grands axes du programme. Le pouvoir de direction,
d'impulsion et d'orientation qui en France appartient au gouvernement entier relève donc en RFA du seul
Chancelier.
Le gouvernement, organe collégial, apparaît surtout comme un agent d'action et de coordination. C'est dans ce
cadre que les lignes directrices de la politique telles qu'elles ont été définies par le chancelier se transforment en
décisions précises. Le gouvernement est également compétent pour les questions d'intérêt général, celles qui
touchent plusieurs départements ministériels. Il est habilité à trancher les conflits s'ils ne mettent pas en cause les
lignes directrices de la politique. Enfin, et cela va de soi, le gouvernement est l'organe de consultation tout
désigné.
Les ministres assument, comme en France, une double fonction politique et administrative. Au titre de la
première, ils font partie du gouvernement. Ils sont donc tenus de mettre en oeuvre les lignes directrices adoptées
par le gouvernement dans son ensemble. En somme, leur fonction politique relève surtout de l'application. Le
rôle administratif des ministres consiste en la direction d'un département. En tant que chef de service, ils
disposent d'une garantie constitutionnelle de gestion autonome. Même le chancelier ne saurait évoquer une
question qui ne concerne qu'un département ministériel. C'est aussi à ce titre que les ministres encourent une
responsabilité personnelle qui ne peut cependant être mise en oeuvre que par l'intermédiaire du chancelier.
En envisageant de la sorte la délimitation et la graduation des compétences respectives, le droit constitutionnel
allemand entreprend une fois de plus la difficile tentative de maîtriser la politique par le droit, en l'occurrence, de
garantir par des moyens juridiques la force de l'autorité politique. Idée ambitieuse, sans doute. Mais est-elle
réalisable?
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Aspects pratiques :
Le régime parlementaire en France
Exposé : la naissance du régime parlementaire en France.
La IIIème République
LA CRISE DU 16 MAI 1877
Lettre du Maréchal de Mac-Mahon à Jules Simon (datée du 16 mai 1877).
Monsieur le Président du Conseil,
Je viens de lire dans le Journal Officiel le compte rendu de la séance d'hier.
J'ai vu avec surprise que ni vous ni le garde des Sceaux n'aviez fait valoir à la tribune toutes
les graves raisons qui auraient pu prévenir l'abrogation d'une loi sur la presse votée il y a
moins de deux ans, sur la propositions de Monsieur Dufaure et dont tout récemment vous
demandiez vous même l'application aux tribunaux ; et cependant dans plusieurs délibérations
du Conseil et dans celle d'hier matin même, il avait été décidé que le Président du Conseil et
le garde des Sceaux se chargeraient de la combattre.
Déjà on avait pu s'étonner que la Chambre des députés, dans ses dernières séances, eût discuté
toute une loi municipale, adopté même une disposition dont au Conseil des ministres vous
avez vous-même reconnu tout le danger, comme la publicité des délibérations des conseils
municipaux, sans que le ministre de l'intérieur eût pris part à la discussion.
Cette attitude du Chef du Cabinet fait demander s'il a conservé sur la Chambre l'influence
nécessaire pour faire prévaloir ses vues.
Une explication à cet égard est indispensable car, si je ne suis pas responsable comme vous
envers le parlement, j'ai une responsabilité envers la France, dont aujourd'hui plus que jamais
je dois me préoccuper.
Agréez, Monsieur le Président du Conseil, l'assurance de ma plus haute considération.
Le Président de la République
Maréchal de Mac-Mahon
Intervention de Léon Gambetta à la Chambre des Députés (extraits des débats du 17
mai 1877).
M. Gambetta : Eh bien, messieurs, que venons-nous faire aujourd'hui à cette tribune ? Nous
venons demander à la Chambre de s'élever au dessus des premiers sentiments que font naître
dans les esprits les brusques incidents de la vie politique. Ne jugeons pas ce qui s'est fait hier,
ce qui figure aujourd'hui au Journal Officiel avec les première impressions de la spontanéité.
Non ! Il faut savoir aller au fond des choses. Messieurs, vous pouvez très bien, vous devez
loyalement, sincèrement, en restant des serviteurs dévoués et pacifiques du pays, dire au
Président de la République : on vous a conseillé une mauvaise politique, et nous, nous qui ne
sollicitons en aucune manière de nous asseoir dans vos conseils, nous venons vous conjurer
de rentrer dans la vérité constitutionnelle, elle est à la fois notre protection et la votre ! (Vifs
applaudissements au centre et à gauche).
Et en effet, qu'est-ce que nous venons demander ? Que la Constitution soit une réalité : que le
gouvernement du pays par le pays, ce gouvernement pour lequel la nation française combat
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Principes généraux du Droit constitutionnel
depuis bientôt quatre-vingt-dix-ans, soit loyalement et réellement pratiqué. Et nous disons à
M. le Président de la République : Non ! Elle n'est pas vraie elle n'est pas vraie cette phrase
que vous ont suggérée des conseillers bien connus, et dans laquelle vous prétendez que vous
auriez une responsabilité en dehors de votre responsabilité légale, une responsabilité audessus de la responsabilité du parlement, au dessus de la responsabilité de vos ministres, audessus de la responsabilité qui vous est départie et qui est déterminée, limitée par la
Constitution ! (Vive approbation à gauche). Ce sont ces conseillers qui vous engagent, qui
vous précipitent dans la voie fatale, en étendant votre responsabilité au-delà des limites
protectrices que lui assigne la Constitution du 25 février 1875 : ce sont eux qui sont vos
véritables ennemis et qui vous mènent à votre perte ! (...)
Messieurs, il faut en finir avec cette situation, et il vous appartient d'y mettre un terme par une
attitude à la fois virile et modérée. Demandez, la Constitution à la main, le pays derrière vous,
demandez qu'on dise enfin si l'on veut gouverner avec le parti républicain dans toutes ses
nuances, ou si, au contraire en rappelant des hommes repoussés trois ou quatre fois par le
suffrage populaire, on prétend imposer à ce pays une dissolution qui entraînerait une
consultation nouvelle de la France ! Je vous le dis quant à moi, mon choix est fait, et le choix
de la France aussi : si l'on se prononçait pour la dissolution, nous retournerions devant le pays
qui nous connaît, qui nous apprécie, qui sait que ce n'est pas nous qui troublons la paix au
dedans, ni qui compromettons la paix au dehors. Je le répète, le pays sait que ce n'est pas
nous ; et si une dissolution intervient, une dissolution que vous aurez machinée, que vous
aurez provoquée, prenez garde qu'il ne s'irrite contre eux qui le fatiguent et l'obsèdent ! Prenez
garde que, derrière des calculs de dissolution, il ne cherche d'autres calculs et ne dise : La
dissolution c'est la préface à la guerre ! Criminels seraient ceux qui la poursuivent dans cet esprit ! …
Messieurs, voici l'ordre du jour qui a été délibéré par la représentation parlementaire de tous
les groupes de cette Chambre qui forment la majorité républicaine.
"La Chambre,
"Cons. qu'il lui importe dans la crise actuelle et pour remplir le mandat qu'elle a reçu du pays,
de rappeler que la prépondérance du pouvoir parlementaire, s'exerçant par la responsabilité
ministérielle, est la première condition du gouvernement du pays par le pays, que les lois
constitutionnelles ont eu pour but d'établir :
Déclare que la confiance de la majorité ne saurait être acquise qu'à un cabinet libre de son
action et résolu a gouverner suivant les principes républicains qui peuvent seuls garantir
l'ordre et la prospérité au dedans et la paix au dehors,
Et passe à l'ordre du jour..."
Le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis.
M. le Président. Voici les résultat du scrutin :
Nombre de votants
496
Majorité absolue
249
Pour l'adoption
Contre
347
149
*
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Message aux Chambres du Président de la République (daté du 18 mai 1877).
Messieurs les sénateurs
Messieurs les députés,
J'ai dû me séparer du ministère que présidait M. Jules Simon et en former un nouveau. Je dois
vous faire l'exposé sincère des motifs qui m'ont amené à prendre cette décision.
Vous savez tous avec quel scrupule, depuis le 25 février 1875, jour où l'Assemblée nationale a
donné à la France une constitution républicaine, j'ai observé, dans l'exercice du pouvoir qui
m'est confié, toutes les prescriptions de cette loi fondamentale.
Avec les élections de l'année dernière, j'ai voulu choisir pour ministres des hommes que je
supposais être en accord de sentiments avec la majorité de la Chambre des Députés. J'ai
formé, dans cette pensée, successivement deux ministères. Le premier avait à sa tête M.
Dufaure, vétéran de nos assemblées politiques, l'un des auteurs de la Constitution, aussi
estimé pour la loyauté de son caractère qu'illustre par son éloquence. M. Jules Simon, qui a
présidé le second, attaché de tout temps à la forme républicaine, voulait, comme M. Dufaure,
la concilier avec tous les principes conservateurs.
Malgré le concours loyal que je leur ai prêté, ni l'un ni l'autre de ces ministères n'a pu réunir
dans la Chambre des Députés, une majorité solide acquise à ces propres idées. M. Dufaure a
vainement essayé l'année dernière, dans la discussion du budget, de prévenir des innovations
qu'il regardait justement comme très fâcheuses. Le même échec était réservé au Président du
dernier cabinet sur des points de législation très graves au sujet desquels il était tombé
d'accord avec moi qu'aucune modification ne devait être admise.
Après ces deux tentatives, également dénuées de succès, je ne pourrais faire un pas de plus
dans la même voie sans faire appel ou demander appui à une autre fraction du parti républicain, celle qui croit que la République ne peut s'affermir sans avoir pour complément et
pour conséquence la modification radicale de toutes nos grandes institutions administratives,
judiciaires, financières et militaires.
Ce programme est bien connu, ceux qui le professent sont d'accord sur tout ce qu'il contient.
Ils ne diffèrent entre eux que sur les moyens à employer et le temps opportun pour l'appliquer.
Ni ma conscience, ni mon patriotisme ne me permettent de m'associer, même de loin et pour
l'avenir, au triomphe de ces idées. Je ne les crois opportunes ni pour aujourd'hui ni pour
demain. A quelque époque qu'elles dussent prévaloir, elle n'engendreraient que le désordre et
l'abaissement de la France. Je ne veux ni en tenter l'application moi-même, ni en faciliter
l'essai à mes successeurs.
Tant que je serais dépositaire du pouvoir j'en ferais usage dans toute l'étendue de ses limites
légales, pour m'opposer à ce que je regarde comme la perte de mon pays.
Mais je suis convaincu que ce pays pense comme moi. Ce n'est pas le triomphe de ces théories
qu'il a voulu aux élections dernières. Ce n'est pas ce que lui ont annoncé ceux —c'étaient
presque tous les candidats— qui se prévalaient de mon nom et se déclaraient résolus à
soutenir mon pouvoir. S'il était interrogé de nouveau et de manière à prévenir tout
malentendu, il repousserait, j'en suis sûr, cette confusion.
J'ai donc dû choisir, et c'était mon droit constitutionnel, des conseillers qui pensent comme
moi sur ce point qui est en réalité le seul en question. Je n'en reste pas moins, aujourd'hui
comme hier, fermement résolu à respecter et à maintenir des institutions qui sont l'œuvre de
l'Assemblée de qui je tiens le pouvoir et qui ont constitué la République.
Jusqu'en 1880 je suis le seul qui pourrait proposer d'y introduire un changement et ne médite
rien de ce genre
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Tous mes conseillers sont comme moi, décidés à pratiquer loyalement les institutions et
incapables d'y porter aucune atteinte. Je livre ces considérations à vos réflexions comme au
jugement du pays.
Pour laisser calmer l'émotion qu'ont causée les derniers incidents je vous inviterai à suspendre
vos séances pendant un certain temps. Quand vous les reprendrez, vous pourrez vous mettre,
toute autre affaire cessante, à la discussion du budget, qu'il est si important de mener bientôt à
terme.
D'ici là, mon gouvernement veillera à la paix publique : au dedans il ne souffrirait rien qui la
compromette. Au dehors, elle sera maintenu, j'en ai la confiance, malgré les agitations qui
troublent une partie de l'Europe, grâce aux bons rapports que nous entretenons et voulons
conserver avec toutes les puissances, et à cette politique de neutralité et d'abstention qui vous
a été exposée tout récemment et que vous avez confirmée par votre approbation unanime.
Sur ce point, aucune différence d'opinion ne s'élève entre les partis. Ils veulent tous le même
but par le même moyen. Le nouveau ministère pense exactement comme l'ancien, et pour bien
attester cette conformité de sentiment la direction politique étrangère est restée dans les
mêmes mains.
Si quelques imprudences de parole ou de presse compromettaient cette accord que nous
voulons tous, s'employerais, pour les réprimer, les moyens que la loi met en mon pouvoir et,
pour les prévenir, je fais appel au patriotisme qui, dieu merci, ne fait défaut en France à
aucune classe de citoyens.
Mes ministres vont vous donner lecture du décret qui, conformément à l'article 2 de la loi
constitutionnelle du 16 juillet 1875, ajourne les chambres pour un mois.
"Le Président de la République française,
Vu l'article 2 de la loi du 16 juillet 1875,
Décrète :
Art. premier — Le Sénat et la Chambre des Députés sont ajournés au 16 juin 1877.
Art. 2. — Le présent décret sera portée au Sénat par le Président du Conseil et à la Chambre
des Députés par le Ministre de l'intérieur.
Fait à Versailles, le 18 mai 1877
Maréchal de Mac-Mahon
Duc de Magenta
Par le Président de la République
Le Président du Conseil, garde des sceaux, ministre de la justice
Broglie
Le Ministre de l'intérieur
De Fourtou
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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Message aux Chambres du Président de la République (daté du 14 décembre1877).
Messieurs les Sénateurs,
Messieurs les Députés,
Les élections du 14 octobre ont affirmé, une fois de plus, la confiance du pays dans les
institutions républicaines.
Pour obéir aux règles parlementaires, j'ai formé un cabinet choisi dans les deux chambres,
composé d'hommes résolus à défendre et à maintenir ces institutions par la pratique sincère
des lois constitutionelles.
L'intérêt du pays exige que la crise que nous traversons soit apaisée : il exige avec non
moins de force qu'elle ne se renouvelle pas.
L'exercice du droit de dissolution n'est, en effet, qu'un mode de consultation suprême
auprès d'un juge sans appel, et ne saurait être érigé en système de gouvernement. J'ai cru
devoir user de ce droit et je me conforme à la réponse du pays.
La Constitution de 1875 a fondé une République parlementaire en établissant mon
irresponsabilité, tandis qu'elle a institué la responsabilité solidaire et individuelle des
ministres.
Ainsi sont déterminés nos devoirs et nos droits respectifs. L'indépendance des ministres
est la condition de leur responsabilité. Ces principes, tirés de la Constitution, sont ceux de
mon gouvernement.
Message du Président Grévy au Sénat (daté du 6 février 1879).
Messieurs les Sénateurs,
L'Assemblée nationale, en m'élevant à la présidence de la République m'a imposé de
grands devoirs. Je m'appliquerai sans relâche à les accomplir, heureux, si je puis, avec le
concours sympathique du Sénat et de la Chambre des Députés, ne pas rester en dessous de ce
que la France est en droit d'attendre de mes efforts et de mon dévouement.
Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte
contre la volonté nationale exprimée par ses organes constitutionnels.
LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE
Lettre de Raymond POINCARE au journal " Le temps " (extraits)
9 août 1920
A propos d'un discours
La dualité des présidences et la distinction qu'elle a entraînée entre le chef de l'Etat et le chef du
gouvernement ont eu pour effet d'investir, en partie, le second, des prérogatives que la Constitution
avait réservées au premier. On se rappelle que Gambetta, appelé par Grévy à former un cabinet, avait,
d'abord exprimé le désir que le président de la République ne traitât pas les affaires, en dehors de lui,
avec les autres ministres et si la même prétention n'a peut être pas été formulée depuis lors avec
autant de netteté, beaucoup de présidents du Conseil n'en n'ont pas moins pris ombrage de
conversations dont un hasard avait pu les tenir éloignés, et tous, ou à peu près tous, ont considéré qu'ils
représentaient l'ensemble du gouvernement, non seulement vis-à-vis des Chambres, mais vis-à-vis de
l'Elysée. Dès lors, s'est présentée une redoutable alternative : ou bien l'un des deux chefs devait, dans
l'action quotidienne, s'effacer devant l'autre, ou bien il fallait craindre que ne surgissent entre eux de
Séparation des pouvoirs et typologie des régimes
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perpétuels conflits. Pas plus dans l'ordre civil qu'aux armées, deux hommes ne peuvent exercer, côte à
côte, le même commandement. On a vu dans l'histoire, des rois de jour et des rois de nuit, des
généraux qui se relayaient tour à tour, des consuls qui se succédaient à bref intervalle, on a vu
l'Empire romain partagé entre des Augustes et des Césars; on n'a pas vu jusqu'ici le char des Etats
modernes conduit à la fois par deux cochers.
Soit, dit-on, l'un de ces deux chefs doit se subordonner à l'autre, mais c'est au président de la
République qu'appartient la primauté. Il exerce une magistrature moins éphémère que la présidence
du conseil; il est le défenseur attitré des grands intérêts nationaux : il a en main la chaîne qui relie le
passé au présent et le présent à l'avenir; il représente la tradition; il est placé sur un sommet d'où les
événements lui apparaissent un peu sous l'aspect de l'éternité: c'est naturellement à lui de parler et
d'agir au nom de la France.
Dans le pays et jusque dans les Chambres, dans tous les groupes des Chambres, est, en effet,
profondément enracinée l'idée que le président de la République a des pouvoirs propres, extrêmement
étendus, et qu'il lui arrive même quelquefois d'en user. Tant que les choses vont bien, on félicite avec
raison le président du Conseil. lorsqu'elles tournent mal, on s'en prend à l'action mystérieuse et
lointaine du personnage qui tient, s'imagine-t-on tous les fils. On lui reproche tantôt son ingérence,
tantôt son abstention. On lui prête les combinaisons les plus noires et les intrigues les plus savantes, et
au moment même où il constate qu'il a les poignets liés par la Constitution, tous les mécontents sont
d'accord pour le rendre responsable de leurs déceptions. (...)
Lorsqu'on parcourt les lois constitutionnelles, on est d'abord frappé de l'immensité des pouvoirs qui
sont dévolus au Président. Il a l'initiative des lois, il les promulgue, il en surveille et en assure
l'exécution. Il a le droit de faire grâce. Il dispose de la force armée. Il nomme à tous les emplois civils
et militaires. Il préside aux solennités nationales. C'est auprès de lui que sont accrédités les envoyés et
les ambassadeurs des grandes puissances étrangères. Il peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la
Chambre des députés. Il prononce la clôture des sessions. Il est maître d'ajourner les deux Chambres
pendant un mois. Il a le droit de message. Il négocie et ratifie les traités. Il n'y a que la guerre qu'il n'ait
pas la faculté de déclarer sans l'assentiment préalable des deux Chambres. Aucun souverain ne parait,
à première vue, disposer de plus larges moyens d'actions.
Mais reprenons la loi des 25-28 février 1875, et reportons-nous à la fin de l'article 3 : nous y trouvons
dans l'ombre d'un petit paragraphe, cette phrase ironique "chacun des actes du Président de la
République doit être contresigné par un Ministre". Ainsi, le Président n'a la droit de faire seul aucun
acte quel qu'il soit. Signées d'un Ministre toutes les nominations ; signées d'un Ministre toutes les
grâces ; signées d'un Ministre les messages eux-mêmes. Il faut donc que le Président soit d'accord avec
les Ministres, à chaque pas qu'il fait dans la vie politique. Et, entre les Ministres et lui, qui aura le
dernier mot, chaque fois que s'élèvera un dissentiment ? Vous voulez que ce soit lui. Je le veux bien
aussi. Mais la Constitution ne le veut pas. Elle le dispense, en effet , de toute responsabilité, sauf en
cas de haute trahison, et elle déclare que les Ministres, eux, ne sont pas responsables devant lui, mais
devant les Chambres.
Entre un signataire qui doit compte au Parlement de la décision prise et un signataire que n'en doit
tenir compte à personne quel est celui qui, en conseil des Ministres l'emportera ? Sans doute, le
Président a la ressource extrême d'acculer son collaborateur à la démission et de le remplacer. Mais si,
le lendemain, le démissionnaire porte la question à la tribune, le Président ne peut se justifier que par
intermédiaire, et à la condition de trouver un nouveau Ministre qui l'approuve et soit assuré d'une
majorité.
Bref, la Constitution ne laisse au Président que l'autorité morale que lui peuvent avoir donnée son
expérience, sa connaissance des hommes et des services. Que ce soit beaucoup ou que ce soit peu,
l'état actuel de l'Europe ne nous permet pour l'instant, ni d'en rien retrancher, ni d'en rien ajouter.
Quiéta non movere.
Raymond POINCARE.
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L'AFFAIRE MILLERAND
Le 14 Octobre 1923, M. le président Millerand a prononcé à Evreux un discours dans lequel,
rompant avec les traditions de réserve que s'étaient imposées ses prédécesseurs, il s'est posé
en chef d'un parti politique : il a notamment réclamé la révision de la Constitution en vue de
renforcer les pouvoirs du président de la République. M. Millerand a précisé son opinion sur
ce point dans une interview qu'il a donnée à M. Raymond Recouly et que celui-ci a publiée
dans la revue de France (15 Novembre 1923, p. 295 et s.) M. Millerand estime qu'il faut
mettre fin à l'instabilité ministérielle et faire du président de la République, non plus
seulement en théorie, mais en fait, l'arbitre et le régulateur de la vie politique. A cet effet, il
suggère de donner comme suite possible à toute crise ministérielle une dissolution de la
chambre et un appel au suffrage universel. Et pour cela il propose d'introduire dans la
Constitution une disposition permettant au chef de l'Etat, lorsqu'il considère une crise
ministérielle comme injustifiée, de faire appel, de sa seule initiative, à une consultation
nationale. M. Millerand estime enfin que cette extension du droit de dissolution implique
nécessairement un renforcement de l'autorité de ce dernier par l'élargissement du collège
électoral appelé à le désigner.
Je fais abstraction de toute considération d'ordre politique, et je pose la question
exclusivement en droit. En parlant comme il l'a fait, le président de la République restait-il
dans la légalité constitutionnelle ? Je n'hésite pas à répondre non. En exposant un programme
sur les modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à la Constitution et sur la nécessité de
procéder à une révision, M. Millerand prenait au premier chef une attitude politique sans que
le président du conseil y fût associé et sans que le parlement pût la contrôler. Pour
comprendre dans quelle fausse situation, en agissant ainsi, le président de la République
plaçait ses ministres et se mettait lui-même, il suffit de supposer qu'une interpellation ait été
adressée au président du conseil sur les déclarations présidentielles et soit venue en discussion
devant les Chambres. Ou bien le président du conseil aurait répondu que ces déclarations ont
été faites sans accord avec lui, et alors il aurait désavoué le président de la République dont la
situation serait devenue impossible. Ou bien il aurait déclaré les prendre à son compte et l'on
aurait pu demander pourquoi le président de la République ne l'avait pas dit et pourquoi le
premier ministre, seul, responsable devant les Chambres, n'avait pas fait lui-même ces
déclarations. Enfin, la Chambre pouvait toujours désapprouver l'attitude du président et c'était
alors une crise présidentielle.
En agissant et en parlant comme il l'a fait, certainement M. Millerand est allé contre l'esprit et
la lettre de notre constitution. Etant irresponsable politiquement, il ne peut pas tenir
publiquement un langage qui autorise les Chambres à demander des explications et qui pose
devant elles une question de responsabilité politique dans laquelle se trouve forcément engagé
le chef de l'Etat. Je dois ajouter, d'autre part, que si la constitution était, en fait, révisée dans le
sens que préconise M. Millerand, cela n'aurait d'autre résultat que de substituer des crises
présidentielles aux crises ministérielles, au grand détriment du pays, de sa tranquillité et de
ses intérêts.
Les lignes qui précèdent étaient déjà imprimées quand, les 10 et 11 juin 1924, se sont produits
des événements politiques d'une portée considérable, qui sont venus démontrer, plus tôt que je
ne le pensais, la justesse des réserves faites précédemment concernant la correction
constitutionnelle de l'attitude politique prise, par M. le président Millerand depuis son élection
en 1920. Le scrutin du 11 mai ayant donné une importante majorité à la coalition du parti
radical socialiste et du parti socialiste, dite le cartel des gauches , le ministère Poincaré a
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remis sa démission au président de la République le 1er juin, le jour même, où se réunissait la
nouvelle Chambre. Très correctement, M. le président Millerand a demandé à M. Herriot,
chef de la majorité nouvelle, de constituer le ministère. M. Herriot a refusé. Le président de la
République a chargé alors M. François Marsal de former un ministère, dont tous les membres
furent pris en dehors du parti radical socialiste, et il a, le 10 juin, adressé aux Chambres un
message dans lequel il rappelait "qu'en disposant que le président de la République n'est
responsable devant les Chambres que dans le cas de haute trahison, la constitution a voulu,
dans un intérêt national de stabilité et de continuité, que le pouvoir présidentiel fût pendant
sept années maintenu à l'abri des fluctuations politiques "le président ajoutait : "Vous
respecterez la constitution. Si vous la méconnaissiez, s'il était entendu désormais que
l'arbitraire d'une majorité peut obliger le président de la République à se retirer pour des
motifs politiques, le président de la République ne serait plus qu'un jouet aux mains des
partis." Le message se terminait par "un appel à la sagesse des deux Chambres, à leur
prudence, à leur amour de la France et de la République".
La lecture du message à la Chambre, le 10 juin 1924 fut suivie d'une courte déclaration de M.
François Marsal, président du conseil. Le président de la Chambre annonça qu'il était saisi de
diverses interpellations, notamment d'une interpellation déposée par M. Reibel. Le président
du Conseil ayant déclaré qu'il était aux ordres de la Chambre, M. Reibel prit la parole et
montra ce qu'aurait d'inconstitutionnel le vote de la Chambre, si elle décidait, comme le lui
proposait M. Harriot au nom du groupe radical socialiste, qu'elle ne discuterait pas
l'interpellation et qu'elle refusait d'entrer en relations avec le ministère nommé par le président
de la République en conformité parfaite avec la loi constitutionnelle. Mais le siège de la
majorité était fait et par 327 voix contre 217, la Chambre adoptait la proposition de M. Herriot
ainsi conçue :" la Chambre, résolue à ne pas entrer en relations avec un ministère qui, par sa
composition, est la négation des droits du parlement, refuse le débat inconstitutionnel auquel
elle est conviée et décide d'ajourner toute discussion jusqu'au jour où se présentera devant elle
un gouvernement constitué conformément à la volonté souveraine du pays."
Malgré la formule employée, il était évident que le vote atteignait directement le président de
la République. Par là, il était certainement inconstitutionnel. D'autre part, la chambre affirmait
une chose incontestablement inexacte : le débat auquel elle était conviée n'était nullement
inconstitutionnel. Le président de la République n'avait fait appel au concours de M. François
Marsal que parce que le chef du parti radical socialiste avait refusé le sien. Le ministère avait
été légalement constitué et la Chambre n'avait aucune raison légale pour refuser d'engager le
débat avec lui. Si elle n'avait pas confiance dans le cabinet, elle n'avait qu'à le dire dans un
ordre du jour blâmant le gouvernement, mais elle ne pouvait formuler un vote dirigé contre le
président de la République.
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L'INSTABILITÉ MINISTÉRIELLE SOUS LA IIIÈME RÉPUBLIQUE
R. Carré de Malberg
Dans l'état actuel des pratiques parlementaires françaises, le Cabinet apparait, non point
comme l'agent d'exercice d'un pouvoir qui aurait originairement son siège dans le Président,
non pas même comme l'intermédiaire servant de lien entre deux autorités qui figureraient
deux pouvoirs distincts, mais bien comme un comité gouvernemental dominé uniquement par
la puissance et les volontés du Parlement. Cette évolution devait inévitablement se produire.
Les constituants de 1875, se plaçant à ce point de vue d'un pays tel que la France ne pouvait
se passer d'un chef du Gouvernement ayant les caractères d'un chef d'Etat véritable - et un
chef de cette sorte était, en effet, indispensable, ne fût-ce que pour des raisons d'ordre
international et de représentation extérieure - ont été logiquement amenés, une fois
l'institution de la Présidence admise, à ériger le Président en titulaire initial et spécial du
pouvoir exécutif. On a même prétendu qu'ils avaient voulu faire de lui un "représentant" de la
nation qui comparent le Président actuel à un monarque. En tout cas, c'est à sa personne qu'ils
ont attaché les attributs du pouvoir exécutif. Et par la même, la Constitution de 1875 a cru
consacrer la dualité organique des pouvoirs. Mais elle établissait en même temps le régime
parlementaire, qui, d'après ses origines anglaises, est bien fondé historiquement sur un
principe de dualisme, mais dont les tendances pratiques sont tournées vers ce but final :
assurer la domination de l'Exécutif par les assemblées. Le parlementarisme prétend
maintenir un certain équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif : mais, en raison des
fortes prérogatives qu'il confère au Corps législatif, cet équilibre est tout à fait instable. En
réalité, cette sorte de gouvernement a un caractère mixte, qui fait d'elle aussi un régime
transitoire : le terme normal de l'évolution qui a débuté par la forme parlementaire, c'est la
pleine suprématie du Parlement. On en a fait l'épreuve en France sous la Constitution actuelle,
et l'on a pu constater qu'en adoptant le gouvernement parlementaire, les constituants de 1875,
quelles qu'aient été d'ailleurs, leurs intentions ou préférences politiques, avaient introduit dans
la Constitution française un germe de gouvernement selon la volonté maîtresse des Chambres,
germe dont le développement devait naturellement entraîner la disparition du dualisme
théorique inscrit dans les textes constitutionnels. (...)
Sous la Constitution de 1875, le Président, élu par le personnel parlementaire, ne possède
point, en face des Chambres, de force politique qui lui permette d'exercer une action
comparable à celle du monarque anglais. De leur côté, les ministres, n'ayant pas suffisamment
le caractère de chefs attitrés de la majorité, n'ont pu, bien souvent, exercer sur celle-ci qu'un
ascendant restreint et précaire. On sait, d'ailleurs, que le peuple français se méfie de l'autorité
gouvernementale et ne serait guère disposé à la seconder, dans le cas où elle tenterait de réagir
contre la volonté des assemblées. Aussi, le Cabinet ministériel n'use-t-il qu'avec une extrême
réserve des pouvoirs que la Constitution a accordés à l'Exécutif. Même une institution aussi
conforme à l'esprit du parlementarisme et aux tendances de la démocratie que la dissolution
est demeurée inutilisés depuis de longues années et semble aujourd'hui devenue presque
inutilisable.
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Au surplus, et quoi qu'en aient dit certains auteurs qui prétendent que le Président a été doté
d'attributions qui en font l'égal d'un monarque constitutionnel, les pouvoirs dont dispose le
Gouvernement sous la Constitution de 1875, n'ont , ni la même étendue ni la même force que
ceux du roi d'Angleterre. Chez les Anglais, la Couronne a, en vertu de sa propre puissance
historique, des attributs qui découlent de ce que le roi a été primitivement le souverain effectif
: attributs, que le monarque ne tient pas de la forme actuellement encore, vis à vis du
Parlement, une autorité munie d'un pouvoir indépendant, attributs enfin, dont l'exercice par les
ministres assure au Cabinet une certaine indépendance ou initiative. En France, au contraire,
le Gouvernement tient ses pouvoirs d'une Constitution, qui est elle-même l'oeuvre d'une
assemblée nationale et dont le maintien dépend de la volonté parlementaire. Et en outre, la
Constitution de 1875 ne fait du Gouvernement qu'un Exécutif; elle résume sa conception à cet
égard dans la formule de l'art. 3 (loi constitutionnelle du 25 février 1875) "il surveille et
assure l'exécution des lois" . Parmi les attributions présidentielles qui ont été énumérées par
les auteurs comme comparables à celles d'un monarque, certaines ne sont, en réalité, que
d'ordre exécutif : tel est le cas de la promulgation des lois. D'autres, comme l'initiative
législative, ne contiennent aucun droit effectif de décision propre : il est bien vrai que les
Chambres sont tenues de délibérer sur les projets législatifs gouvernementaux dont elles sont
saisies par un décret présidentiel; mais l'acte consistant à prendre l'initiative d'une loi n'est
pas, à proprement parler, un acte de puissance législative; Il n'est que l'un des éléments de la
préparation des lois, l'une des opérations préliminaires qui aboutiront, peut-être, à l'adoption
de la loi, cette dernière seule implique une faculté de puissance véritable. D'autre part,
certaines attributions présidentielles, impliquant en apparence un pouvoir de décision propre,
comme celles relatives aux traités, se résolvent effectivement en exécution de lois
d'autorisation. D'autres pouvoirs, tels que celui de convoquer les Chambres et de clore leurs
sessions, n'ont qu'une valeur nominale, étant données les conditions d'exercice, si restrictives,
auxquelles la Constitution de 1875 les a subordonnés. D'autres encore, qui donneraient au
Gouvernement une force réelle, tels que le droit de dissolution ou celui de demander une
nouvelle délibération des lois, sont demeurés sans emploi, l'expérience ayant revélé qu'ils
n'étaient point susceptibles d'être mis en oeuvre à l'encontre d'un Parlement, auquel la
Constitution a assuré, par ailleurs, une supériorité certaine, qui interdit au Gouvernement
toute velléité de se mesurer avec lui. En somme, si l'on fait abstraction de certains règlements
présidentiels, qui ont adopté des mesures dépassent certainement la simple exécution des lois,
règlements qui constituaient en cela des initiatives peu conformes à la Constitution et qui ne
peuvent s'expliquer que par une tolérance des Chambres, on constate, pour le surplus, qu'il n'y
a peut-être qu'un seul pouvoir initial d'action et de décision dont l'autorité gouvernementale ait
continué à faire usage depuis 1875; et elle en a usé, parce qu'il y avait là une nécessité,
résultant de la situation internationale de la France au regard de l'Europe contemporaine ; ce
pouvoir, c'est celui de conclure des ententes politiques ou des alliances avec les puissance
étrangères ; il a pu être exercé en dehors des Chambres mais d'ailleurs avec leur constante
approbation.(cf Joseph-Barthélémy, Démocratie et politique étrangère, p. 109 et s.). Sous
cette réserve, le Gouvernement n'est actuellement, en France, et la Constitution de 1875 ellemême n'en a fait qu'un simple Exécutif, une autorité réduite à un rôle d'exécution. On ne
saurait, dès lors, s'étonner que, dans le régime parlementaire français, le Cabinet, chargé
d'exercer les pouvoirs du Gouvernement, ne possède vis-à-vis des Chambres, avec des
moyens d'action si réduits, qu'une influence et une puissance bien inférieure à celles dont jouit
le ministère dans certains pays de parlementarisme étrangers.
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La IVème République
RAPPORT GÉNÉRAL SUR LES INSTITUTIONS
Georges VEDEL, pages 13 à 21 (extraits)
(Actes du Colloque de Nice, les 20, 21 et 22 janvier 1977) - Université de Nice LGDJ Paris
1978
1. LES SOURCES
(...) Le projet d'avril 1946 est simple . La souveraineté du peuple s'incarne dans l'Assemblée.
L'Assemblée est donc le pouvoir central, le pouvoir essentiel, le pouvoir unique par rapport à
l'exécutif, qui n'est qu'un "commis".
Il n'est pas besoin de freins et de contrepoids, empruntés à la machinerie des constitutions
libérales (séparation des pouvoirs, bicaméralisme, contrôle de constitutionnalité). Tout au plus
a-t-on prévu quelques possibilités d'intervention de la part d'organismes extérieurs dotés du
pouvoir de conseil (...).
En revanche, le régime parlementaire britannique sera très souvent évoqué dans les travaux
préparatoires (...).
Les uns y voient le modèle d'un système d'équilibre des pouvoirs : un parlement qui, sans
doute, peut tout faire, mais aussi un exécutif puissant et qui le tient en bride (avec une
surévaluation des forces morales, la Couronne, la Chambre haute).
Mais, il existe une autre analyse, celle que proposera Pierre Cot : Le régime anglais est le
véritable "régime d'assemblée". (...)Au fond, "le gouvernement britannique n'est qu'un
"comité de la majorité".
Ajoutons à cela la répudiation de la Troisième République, mais cette répudiation prendra une
forme curieuse. Ce ne sont pas les institutions de 1875 en général qui vont être considérées
comme dépassées. C'est essentiellement le Sénat.
(...)Finalement, c'est une constitution de type conventionnel qui est proposée au suffrage du
peuple français, le 5 mai 1946.
Le référendum donne des résultats, à première vue, inattendus. Il s'avère (...) qu'une majorité
de députés ne fait pas nécessairement une majorité de citoyens.
L'échec du référendum entraîne l'élection d'une seconde assemblée constituante dans laquelle
l'échiquier politique est quelque peu changé. C'est désormais le M.R.P.7 qui devient le
premier parti au sein de la nouvelle assemblée.
On aurait pu imaginer que, sa devancière ayant été condamnée pour des motifs relativement
clairs, à savoir l'effacement du Président de la République, le rôle insuffisant de la deuxième
assemblée, la mutation aventureuse des Droits de l'Homme, la nouvelle Constituante prenne le
contre-pied et élabore un projet vraiment nouveau.
Autant la première Constituante avait été lieu de grands débats d'idées, autant la seconde
Constituante fut essentiellement un lieu de marchandage électoral, où l'on vendit un
paragraphe contre la chance de reconquérir quelques centimètres du corps électoral dans le
sens du projet qui avait été écarté.
Finalement l'entreprise réussit sans gloire : 53 % de oui, 47 % de non, et un tiers d'abstention.
7 Mouvement Républicain Populaire
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S'il est permis de se citer à trente ans de distance, je relève ce passage dans un livre paru à peu
près à ce moment là : "La Constitution d'avril était tout entière axée sur la souveraineté de
l'Assemblée. Dans sa substance, cette souveraineté est demeurée intacte dans le système
nouveau (la Constitution du 27 octobre 1946). Juridiquement, il n'existe aucun moyen pour
aucun autre organe de s'opposer définitivement à la volonté de l'Assemblée dans quelque
domaine que ce soit, mais - et c'est le résultat du compromis - l'Assemblée est flanquée de
magistratures morales : Président de la République et Conseil de la République notamment,
qui, sans avoir de compétence juridique pour s'opposer de façon définitive à l'Assemblée,
peuvent néanmoins l'entraîner à la réflexion et exercer sur elle une influence de fait."
(...)Ainsi, ayant à choisir entre la souveraineté nationale et la souveraineté du peuple, les
constituants avaient déclaré que "la souveraineté nationale appartient au peuple français"
(cette formule est demeurée dans la constitution actuelle). On hésitait pour le président du
Conseil des ministres entre la désignation par le chef d'Etat et l'investiture par l'Assemblée; on
cumula les deux. On ne savait s'il fallait garder l'ancienne déclaration de 89 ou en faire une
nouvelle; on garda l'ancienne, et on en fit une nouvelle sous forme de préambule.
Puis il y eut ces hypocrisies qui font partie du bagage habituel de tout compromis :
- un contrôle de constitutionnalité dans le style des décors en trompe l'oeil.
- la réglementation apparemment sévère de la responsabilité du gouvernement, mais avec de
telles possibilités de tourner les règles ainsi posées que les articles 49 et 50 de la Constitution
perdaient leur efficacité.
(...)Entre temps, le général de Gaulle, qui n'était pas intervenu dans les travaux de la première
Constituante, avait froidement exprimé dans le discours de Bayeux ce qu'il pensait de ceux de
la seconde Constituante.
2. LES MECANISMES INSTITUTIONNELS
Les mécanismes institutionnels sont inspirés de l'idée que l'agencement des rapports entre le
Gouvernement et le Parlement réalisé en Grande-Bretagne par la coutume et la politique peut
être obtenu équivalemment par des prescriptions juridiques écrites : c'est le parlementarisme
rationalisé, qui est à la vie politique ce que la planification est à la vie économique.
Ceci conduit essentiellement à trois idées.
La première vise la réorganisation et le renforcement de l'exécutif. C'est une remise en ordre
de l'héritage de la troisième République.
(...)En débarrassant le Président de la République d'attributions qu'il n'exerçait plus, en le
dépouillant de la qualité de chef du pouvoir exécutif, en lui donnant un rôle plus réduit, mais
plus précis, on a renforcé son influence. Finalement, Vincent Auriol, René Coty (peut-être un
peu moins) ont exercé une magistrature mieux définie, plus solide, que celle de leurs
prédécesseurs de la troisième République.
Quant au président du Conseil, il vit s'achever l'évolution déjà sensible sous la troisième
République : du primus inter pares, du président de séance qu'il était à l'origine, du
conciliateur, il passa à la dimension d'un véritable chef de gouvernement.
La deuxième idée fut de faire, toujours à la manière britannique, du président du Conseil, le
chef de la majorité avec, en filigrane, le "contrat de législature". A l'origine la procédure de
l'investiture du président du Conseil à la majorité absolue scellait ce contrat et conférait cette
qualité jusqu'à ce que la révision de 1954 en vint à une manifestation moins solennelle et
moins exigeante de confiance.
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Enfin, il fallait assurer la stabilité gouvernementale en rationalisant les règles de la
responsabilité politique du cabinet (...). Des précautions furent prises pour solenniser la
responsabilité ministérielle, éviter les crises de rencontre, pour tirer au clair la signification de
la question de confiance et poser la règle selon laquelle il ne suffit pas d'une majorité simple
pour renverser un gouvernement; il faut une majorité "absolue". Ainsi, l'Assemblée prend ses
responsabilités.
Finalement, la Constitution était, sous cet angle-là, assez cohérente : un régime parlementaire
moderne reléguant au second plan la séparation des pouvoirs comme en Grande-Bretagne; un
régime reconnaissant la toute-puissance de l'assemblée élue au suffrage universel, mais
disciplinée par le leadership gouvernemental, encadré par la rigueur des procédures de
responsabilités et par les "magistratures morales".
On peut se demander cependant, sinon si les intentions des constituants étaient sincères, du
moins si elles étaient assez fermes pour que le "parlementarisme rationalisé" empêche le
retour à une vie politique anarchique.
Prenons d'abord l'investiture.
(...) Comment un homme politique aurait-il pu se présenter tout seul devant une Assemblée
(...) en se bornant à exposer un programme abstrait et en cachant le nom des hommes à qui il
ferait appel pour le réaliser ?
Aussi bien, en fait, dès sa désignation et sans attendre son investiture, le président du Conseil
désigné, et non encore investi, composait son cabinet. Les noms des ministres étaient avancés
dans tous les journaux; les groupes politiques étaient informés de leur place dans le
gouvernement. Au moment de l'investiture, l'assemblée votait essentiellement sur le dosage
politique du cabinet.
La réforme constitutionnelle de 1954 ne changea pas en fait grand-chose, sauf sur un point : la
caution de la majorité absolue n'était plus nécessaire au baptême gouvernemental. Elle était
remplacée par un vote de confiance à la majorité simple et qui s'adressait non au seul
président du Conseil investi, mais à tout le cabinet.
Sur la responsabilité gouvernementale, les articles 49 et 50 partaient d'une idée juste : la
stabilité gouvernementale est mieux assurée si l'on exige que les gouvernements puissent être
renversés seulement à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée.
(...) En fait, aucune des crises ministérielles de la quatrième République ne fut due à la motion
de censure. (...) Le vrai problème d'efficacité se posait à propos de l'article 49, qui traitait de la
question de confiance si mal comprise de l'opinion qui ne prend pas en compte le "marché",
sinon le chantage politique, que suppose la question de confiance.
(...) L'article 49 de la Constitution de 1946 permettait à l'Assemblée de priver le
gouvernement des moyens de gouverner sans prendre pour autant la responsabilité de sa
chute. En effet, le rejet d'un projet gouvernemental sur lequel la question de confiance était
engagée ne créait obligation de démissionner que si le gouvernement était battu à la majorité
absolue; mais s'il était battu à la majorité simple, son projet n'était pas moins rejeté.
La dissolution, troisième mécanisme -clef du parlementarisme rationalisé, était permise
seulement après deux crises ministérielles dues à des motions de censure ou à des rejets de
question de confiance en bonne et due forme, c'est à dire à la majorité absolue
Or, les gouvernements ne tombaient pas en forme constitutionnelle. (...) Ainsi l'Assemblée
renversait les gouvernements sans risque.
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Principes généraux du Droit constitutionnel
Selon la petite histoire (ou la légende), lorsque Edgar Faure vit son ministère menacé en 1955,
il demanda discrètement à des amis de voter contre le projet de réforme électorale sur lequel il
avait posé la question de confiance, de manière à être renversé à la majorité constitutionnelle.
Grâce à la chute précédente de M. Mendès-France, il pouvait ainsi faire état des deux
fameuses crises en bonne forme lui permettant de dissoudre l'Assemblée.
Le déséquilibre était évident. L'Assemblée pouvait renverser le gouvernement à bon marché,
et celui-ci ne disposait du droit de riposte que si les hasards de l'arithmétique parlementaire le
lui permettaient, c'est à dire rarement (...).
La loi électorale ne facilitait ni la vie des gouvernements ni leur stabilité.
(...) Les apparentements constituaient une alliance purement électorale, puisque
l'apparentement ne supposait rien d'autre que la volonté des partis alliés de pouvoir
additionner, quand c'était avantageux, les voix de chacun d'entre eux. La possibilité de
constituer durablement une majorité de gouvernement entre partis apparentés était faible, car
ces partis qui sollicitaient ensemble les mêmes suffrages n'avaient en revanche ni même
programme ni même tactique.
Au total, le parlementarisme rationalisé est un échec. Le régime se réduit à la souveraineté de
l'Assemblée tempérée par des magistratures morales (...). "
LA PRATIQUE DE LA QUESTION DE CONFIANCE SOUS LA IVÈME
RÉPUBLIQUE
Claude-Albert Colliard, R.D.P. 1948, p. 220 et s (extraits).
LE FORMALISME DE LA QUESTION DE CONFIANCE
(...) La pratique constitutionnelle contemporaine montre qu'à côté de la question de confiance
au sens strict, le Président du Conseil, au lieu de poser formellement la question de confiance,
se borne à une déclaration différente à laquelle il entend donner une portée en quelque sorte
équivalente. Cette pratique doit être d'abord rappelée avant d'indiquer les conséquences et d'en
apprécier la légalité constitutionnelle.
a) Au cours de l'existence du cabinet Ramadier, la question de confiance a été posée plusieurs
fois formellement, le 20 mars 1947 à propos des crédits militaires d'Indochine, le 2 mai sur la
politique économique, le 2 juillet à propos de la politique du blé, le 9 août sur le projet de loi
électorale municipale, le 2 septembre sur la politique économique du gouvernement. Mais, à
côté de la véritable question de confiance, a été posée, à diverses reprises, ce qu'on pourrait
appeler la pseudo-question de confiance.
La pseudo-question de confiance est une déclaration par laquelle le Président du Conseil
affirme que le cabinet se retirera si le texte est voté, ou au contraire n'est pas voté.
L'affirmation peut être quelquefois moins précise, le Président du Conseil indique par
exemple : "si le projet n'est pas voté,... le gouvernement ne pourra poursuivre sa politique et
tirera, le moment venu les conséquences qui s'imposent".
Mais malgré ces subtilités de langage, le sens de la pseudo-question de confiance est clair : le
gouvernement donnera à un vote de l'Assemblée un sens politique précis et considérera
comme un désaveu de sa politique générale le vote émis par l'Assemblée contrairement à ses
désirs propres. La pseudo-question de confiance échappe au formalisme rigoureux de la
véritable question de confiance. La formule n'est plus sacramentelle et son prononcé
n'implique pas une préalable discussion à ce sujet du Conseil des Ministres. Elle marque
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l'importance de la fonction de Président du Conseil qui peut l'utiliser à son gré. Parfois aussi
elle signifie l'impuissance du Président, non pas dans le Conseil des Ministres ou dans le
gouvernement mais au sein de son propre parti dont il devient prisonnier (...).
b) C'est l'affirmation par laquelle le Gouvernement, par la bouche du Président du Conseil,
agissant seul, indique qu'il considère que le vote qui sera émis par l'Assemblée nationale est
un vote qui concerne non pas la question technique en cause mais la politique générale du
gouvernement et qu'en conséquence si la solution adoptée par l'Assemblée est contraire à ce
qu'il souhaite, il se retirera. Ce faisant, le Président du Conseil limite en quelque sorte la
stabilité constitutionnelle du gouvernement. En appliquant la constitution, le gouvernement
n'est contraint juridiquement de se retirer que si votent contre lui plus de la moitié des
membres de l'Assemblée, au cours d'un scrutin public intervenu un jour franc après la
question de confiance. En adoptant la pseudo-question de confiance, le gouvernement entend
se retirer si intervient, immédiatement un scrutin au cours duquel la majorité des membres
présents de l'Assemblée se prononce contre lui. Ainsi, l'instabilité ministérielle contre laquelle
s'efforçait de lutter, d'une manière d'ailleurs discutable l'article 49 va se trouver accentuée
(...).
OPPORTUNITE POLITIQUE ET QUESTION DE CONFIANCE
(...) La question de confiance est une phase de l'éternel duel que se livrent, en France au
moins, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Ce duel a ses règles, il comporte ses bottes,
peut-être même ses coups de Jarnac, mais l'un des duellistes, l'exécutif à qui il appartient de
pousser la botte peut choisir le terrain du combat. La manière de poser la question de
confiance est capitale. Battu sur le vote de la confiance, le gouvernement est contraint de se
retirer, mais le gouvernement peut poser la question de confiance tantôt simplement sur
l'urgence à discuter un texte, tantôt sur l'adoption d'un texte, tantôt sur le rejet d'un texte tantôt
sur un ordre du jour (...).
L'histoire de la IVème République montre déjà de manières combien diverses la question de
confiance a été utilisée. Normalement, elle sanctionne un débat de politique générale et est
posée à l'occasion d'un ordre du jour. Parfois plusieurs ordres du jour sont déposés et le
président choisit celui sur l'adoption duquel il pose la question de confiance. Il peut être habile
de la part du Président du conseil de choisir l'ordre du jour le plus bref et aussi le plus vague,
généralement appelé ordre du jour pur et simple et libellé ainsi :
" L'Assemblée nationale approuvant les déclarations du Président du Conseil sur la politique
générale fait confiance au gouvernement et, repoussant toute addition, passe à l'ordre du
jour " . C'est cette tactique qui a été adoptée par le Président Ramadier dans la séance du 2
juillet 1947, à propos des débats relatifs à la politique économique du gouvernement. Des
ordres du jour très longs avaient d'abord été déposés, se référant explicitement à certains
points très techniques du programme économique (...). Il n'était plus fait allusion à ces
mesures dans l'ordre du jour très simple finalement adopté par le gouvernement. La question
de confiance peut être aussi utilisée pour obtenir le vote d'un texte, d'un projet
gouvernemental, par exemple, de crédits, ainsi le 20 mars 1947 pour les crédits d'Indochine.
Elle apparaît alors comme un moyen de pression utilisé par le gouvernement pour faire
adopter par l'Assemblée le texte qui lui convient. Le Président du Conseil mesure d'ailleurs
dans cette hypothèse la force de résistance de l'Assemblée. Un bel exemple de tactique
parlementaire est fourni par le débat du 2 septembre 1947 sur la politique économique du
gouvernement. Le Président Ramadier défendait le projet gouvernemental de subventions
économiques, mais, s'étant rendu compte que la subvention concernant l'acier était très
impopulaire à l' Assemblée, il posa la question de confiance uniquement sur la partie du texte
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qui concernait la subvention pour le charbon, abandonnant au vote ordinaire la subvention
pour l'acier qui fut repoussée à mains levées (...).
L'utilisation de la question de confiance pour obtenir le vote d'articles d'un projet de loi
apparaît comme très délicate avec la réglementation de l'article 49. D'après les débats
intervenus à propos de ce texte, la question de confiance devait sanctionner seulement la
politique générale du gouvernement, mais, récemment, lors des débats relatifs au prélèvement
exceptionnel, le Président Schuman a utilisé la question de confiance pour repousser des
amendements relatifs à divers articles du projet de loi. Cette technique amène à poser
plusieurs fois la question de confiance au cours d'un même débat. La question de confiance
n'est plus, dès lors, le coup de pistolet tiré une seule fois dans le duel exécutif-législatif, elle
devient la rafale d'une arme automatique.
(...) Utilisée ainsi tour à tour pour la prise en considération d'un texte, pour sa discussion
d'urgence, pour le rejet d'une proposition ou d'un amendement, pour le vote d'un crédit, la
question de confiance semble être entre les mains du Président du Conseil une arme à tous
usages (...).
LA PORTEE DU VOTE
Le vote sur la question de confiance a lieu au scrutin public, mais non au scrutin public à la
tribune, donc l'intervention de boîtiers est possible. Les résultats de ce vote ont une
importance particulière sur la vie du ministère. Diverses hypothèses se rencontrent et il faut
soigneusement distinguer la portée juridique et la portée politique de ce vote.
a) Juridiquement le vote n'a de portée au sens strict que dans une hypothèse particulière, celle
où la confiance est refusée au cabinet par la majorité absolue des députés de l'Assemblée. Un
tel vote, acquis à une telle majorité, oblige juridiquement le gouvernement à démissionner. La
démission constitue pour le gouvernement une véritable obligation juridique. Une seconde
conséquence juridique pourra apparaître, par la suite, d'une manière d'ailleurs lointaine, ce
refus de confiance, à cette majorité, constituant l'une des hypothèses de crise ministérielle
susceptible de permettre le jeu de la dissolution, aux termes de l'article 51, si les autres
conditions sont réalisées.
b) Là se limite la stricte portée juridique de l'article 49. Toutes les autres conséquences sont
d'ordre politique. L'examen des diverses éventualités montre combien il fut artificiel, de la
part des auteurs de la constitution d'édifier ce qu'ils croyaient être une barrière contre
l'instabilité ministérielle. N'ont-ils pas oublié que la responsabilité politique, telle que la
connaît la tradition parlementaire, ne se laisse pas enfermer dans les cadres trop juridiques ?
Si, sur la question de confiance, une majorité contenant la majorité absolue des députés de
l'Assemblée, se prononce contre le gouvernement, celui-ci a l'obligation juridique de
démissionner. Dans tous les autres cas, aucune obligation juridique ne pèse sur lui. Mais la
réalité politique n'est-elle pas différente ? Un gouvernement se maintiendra-t-il au pouvoir, s'il
est battu sur la question de confiance, sans que, du fait de congés ou d'abstentions la majorité
absolue des députés se soit prononcée contre lui ? Certainement non. Et c'est ce qui explique
précisément la technique politique de la pseudo-question de confiance, l'engagement que
prend le gouvernement de démissionner si une majorité se prononce contre lui, même
inférieure à la majorité absolue des membres de l'Assemblée.
(...) Le gouvernement parlementaire n'est pas une procédure, c'est un mode d'organisation de
la vie politique. Et les obligations juridiques strictement définies et délimitées ne pèsent rien
en face de cette réalité de bon sens qu'un gouvernement qui ne dispose pas d'une majorité
suffisante au sein de l'Assemblée ne peut gouverner. C'est la vie parlementaire elle-même qui
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a entraîné les violations du texte de l'article 49 que nous avons signalées. C'est la réalité
politique, qui par opposition à un "juridisme" pointilleux explique ces violations et justifie
cette sorte de transformisme constitutionnel, et ce rétablissement d'une question de confiance,
type IIIème République, est supérieur, sous l'angle de la vie, à la malheureuse tentative
d'organisation de la responsabilité qu'a fait, se réglant sur des méchants modèles, l'article 49. "
LA DISSOLUTION DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
René CAPITANT, Le conflit de la souveraineté populaire et de la souveraineté
parlementaire, Avril-Juin 1954, Les écrits constitutionnels, C.N.R.S, p. 281.
« La dissolution est une institution démocratique qui permet au peuple, sinon de voter luimême la loi, comme par le référendum, du moins d'arbitrer un conflit entre deux pouvoirs
constitués. C'est la reconnaissance d'un pouvoir populaire d'arbitrage souverain. C'est un
hommage -imparfait sans doute, mais réel- rendu à la souveraineté populaire.
En ce sens, il est normal que le grand mouvement démocratique de 1945 ait cherché à
introduire la dissolution dans la Constitution et à lui donner une efficacité pratique. Mais, il
est normal aussi que la tradition représentative ait voulu neutraliser cette tentative, comme
elle y avait déjà réussi dans le régime précédant.
Or, il suffit de se reporter au texte des articles 51 et 52(1) pour constater que cette
neutralisation a été parfaitement accomplie. Les conditions posées à la validité du décret de
dissolution rendent celui-ci pratiquement impossible, ou du moins, elles font de la dissolution
un acte volontaire de l'Assemblée, puisque celle-ci n'a qu'à renverser le ministère dans des
formes autres que les formes constitutionnelles(2) -ce qui est toujours possible en droit et en
fait- pour enlever au gouvernement le droit de dissoudre, même après l'expiration des 18
premiers mois de la législature.
L'Assemblée est donc maîtresse de sa propre dissolution, en vertu de l'article 51. Et cette
première conclusion donne sa vraie signification à l'article 52, selon lequel, en cas de
dissolution -prononcée avec l'accord de l'Assemblée- le gouvernement chargé de faire les
nouvelles élections devra être dirigé par le Président de l'Assemblée Nationale . C'est
clairement montrer que la dissolution, dans l'esprit des constituants, ne doit pas remplir la
fonction d'arbitrage populaire qui lui donne une valeur démocratique, elle ne doit être qu'un
procédé de renouvellement anticipé de l'Assemblée, et rien d'autre. »
1 dans son ancienne rédaction, avant la révision constitutionnelle d u 7 décembre 1954.
2 les députés prenaient l'habitude de "calibrer" leur vote de manière que la majorité absolue ne soit pas atteinte,
le droit de dissolution se trouvant ainsi paralysé (ce qui ne fut pas le cas ce 30 novembre 1955).
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