THÉMATIQUE À TAPER
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - SUPPLÉMENT AU N°429
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53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR
Les syndromes auto-in ammatoires
Marc Delpecha,*
a Laboratoire de biochimie et tique moculaire
pital Cochin (AP-HP)
Universi Paris Descartes Institut Cochin INSERM U1016, UMR
CNRS8104
123, bd de Port Royal 75014 Paris
* Correspondance
delpech@cochin.inserm.fr
Le terme syndrome auto-in ammatoire a été proposé en
1999 par Daniel Kastner pour désigner à l’origine les èvres
héréditaires [1]. À cette époque quatre èvres héréditaires
avaient été décrites à partir des données cliniques : (1)la
maladie périodique pour les Français ou èvre méditer-
ranéenne familiale (FMF) pour les Anglo-Saxons ; (2)le
syndrome de èvre avec hyper IgD (HIDS, hyper IgD syn-
drome) ; (3) la èvre hibernienne et (4) le syndrome de
Muckle et Wells. Elles se caractérisent par des poussées
de èvres récurrentes dont la durée, l’intensité et la pério-
dicité sont variables suivant le type de èvre héréditaire
et les individus, et des signes in ammatoires, notamment
au niveau des séreuses (péritoine, plèvre, synoviale). Les
crises surviennent sans qu’aucun facteur déclenchant
n’ait pu être caractérisé, d’où l’appellation de syndrome
auto-in ammatoire. Une caractéristique de ces èvres
héréditaires est qu’elles peuvent se compliquer, dans un
pourcentage variable des cas (jusqu’à 20 %) suivant les
èvres et les populations, par une amylose secondaire de
type AA dont l’issue est en général fatale dans les 5 ans qui
suivent le diagnostic d’amylose. Or il avait été montré en
1972 [2] que la colchicine, à la dose de 1 à 2 mg par jour,
supprime les crises chez presque tous les patients atteints
de FMF (qui est la èvre l’on observe le plus d’amy-
lose secondaire), mais surtout supprime complètement le
risque d’amylose. La colchicine est malheureusement sans
effet dans les trois autres types de èvres. Le diagnostic
est donc un enjeu majeur et vital pour les patients. Or le
diagnostic clinique est particulièrement dif cile puisque
les signes sont très communs ( èvre, douleurs abdomi-
nales et articulaires). C’est souvent l’origine ethnique et/
ou l’effet positif de la colchicine qui conduit au diagnostic
de FMF. De plus cette maladie étant très fréquente dans
certaines populations, dans les familles atteintes un trai-
tement à vie est mis en place chez les enfants dès qu’ils
ont mal au ventre. Disposer d’un test diagnostique était
un besoin majeur et c’est ce qui a conduit au début des
années quatre-vingt-dix quelques laboratoires français,
dont le nôtre, à s’organiser en un consortium pour isoler
le gène responsable. Ce fut un succès et le gène a été
caractérisé en même temps par le consortium français et
un consortium israélo-américain en 1997 [3, 4]. Le gène,
appeMEFV, est situé sur le chromosome 16 et code une
protéine qui a été appelée marenostrine par les Français et
pyrin par les Américains. Quatre mutations prédominantes,
avec pour chacune un effet fondateur important, ont été
rapportées en même temps que la découverte des gènes.
Elles restent les plus fréquentes et sont retrouvées dans
environ les trois quarts des cas. Au total une trentaine
de mutations possibles ont été caractérisées en plus de
quelques variations de séquence. Il est dif cile d’af rmer
que ces variations de séquence sont toutes des polymor-
phismes neutres, certaines pourraient avoir une respon-
sabilité partielle dans la maladie suggérant l’existence de
gènes modi cateurs. Malheureusement dans un quart des
cas, aucune mutation n’est trouvée, ce qui suggère qu’il
pourrait exister un autre gène responsable. Après la cou-
verte du gène il a été alors possible de mettre en place un
test diagnostique qui a été proposé immédiatement par
quelques laboratoires en France. Compte tenu de la très
grande fréquence des hétérozygotes (jusqu’à un sur cinq
chez les Juifs Sépharades) dans certaines populations
méditerranéennes, des trousses permettant de rechercher
les mutations les plus fréquentes ont été commercialisées.
Le diagnostic moléculaire a permis de cibler le traitement
chez les seuls malades qui en avaient besoin. Le problème
qui persiste est que chez de nombreuses familles une
seule ou aucune mutation n’est retrouvée. Il est de ce fait
impossible de trancher dans ces familles car la mutation
peut être complexe et se trouver dans des régions qui
ne sont pas explorées, comme les introns ou les régions
régulatrices. L’explication la plus vraisemblable est qu’il
existe, comme déjà indiqué, une hétérogénéité génétique
et donc que d’autres gènes restent à trouver. En isolant
le gène, l’espoir était aussi de découvrir le mécanisme
physiopathologique à l’origine de la maladie. Les espoirs
furent déçus car l’analyse de la structure de la protéine
n’a à l’époque conduit à aucune hypothèse.
Les gènes responsables des autres èvres ont été ensuite
successivement isolés. Nous avons ainsi montré que la
èvre avec hyper IgD résulte de mutations dans le gène
de la mévalonate kinase (gène MVK), une enzyme cen-
trale dans le métabolisme du cholestérol [5]. La mutation
diminue son activité (environ 10 % d’activité résiduelle)
sans l’abolir. Le dé cit total conduit à une autre maladie,
l’acidurie mévalonique, mortelle très rapidement après la
naissance. encore le diagnostic génétique a pu être
mis en place immédiatement dans trois laboratoires en
France. Il est aussi possible de doser l’activité de l’en-
zyme elle-même, mais ce dosage est très complexe et il
faut disposer de broblastes, ce qui implique une biopsie
de peau et une culture cellulaire. C’est ce qui explique
que l’on a d’abord recours au diagnostic moléculaire, la
con rmation de la diminution de l’activité de l’enzyme
n’étant recherchée que si une mutation est trouvée. Mais,
encore la connaissance du gène responsable n’a pas
permis de comprendre la physiopathologie.
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Dossier scientifi que
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Le troisième gène isolé fut celui qui est responsable de la
maladie qui était appelée à l’époque èvre hibernienne,
parce que décrite pour la première fois en Irlande. La
découverte que la maladie résulte de mutations dans le
récepteur 1 du TNF (TNFR1) [1] a conduit à un change-
ment de son nom qui est devenu le syndrome TRAPS
pour tumor necrosis factor (TNF) receptor periodic syn-
drome. C’est dans cet article décrivant la découverte du
gène responsable qu’a été introduit le terme de syndrome
auto-in ammatoire. Bien sûr le diagnostic moléculaire fut
immédiatement mis en place et cette fois le mécanisme
impliqué était évident puisque le TNF est l’un des acteurs
majeurs de l’in ammation. La plupart des mutations sont
situées au niveau ou à côté de cystéines impliquées dans
des ponts disulfures et qui jouent un rôle majeur dans la
structure du récepteur. Le mécanisme semble cependant
différent suivant la mutation. Certaines mutations altèrent
le tra c intracellulaire du récepteur, d’autres pourraient
entraîner son auto-activation, d’autres en n conduisent
à une absence de coupure de la partie extracellulaire
d’une partie des récepteurs. Cette fraction extracellulaire
devenue libre et circulante dans le sang est capable de
piéger le TNF. La diminution du nombre de récepteurs
fonctionnels à la surface des cellules et la présence dans
le sang de molécules capables de piéger le TNF, condui-
sent à une rétro-régulation de l’effet du TNF lors de la
réaction in ammatoire.
Le gène responsable de la dernière fièvre héréditaire
connue à l’époque, le syndrome de Muckle et Wells,
fut plus long à découvrir. Il s’agit du gène CIAS1 [6] qui
code une protéine qui a été appelée cryopyrine. C’est
avec cette découverte que le domaine des syndromes
auto-in ammatoires s’est progressivement et fortement
élargi. Il a ainsi été montré que ce gène est à l’origine de
3maladies différentes suivant le site de la mutation : (1)le
syndrome de Muckle et Wells ; (2) l’urticaire au froid ou FCU
(familial cold-induced urticaria) ; (3) et le syndrome CINCA
(chronic infantile neurological cutaneous articular) encore
appelé NOMID (neonatal onset multisystemic in ammatory
disease). Il a aussi été montré que d’autres gènes doi-
vent intervenir puisqu’une même mutation peut conduire
chez certains à un syndrome de Muckle et Wells et chez
d’autres à une urticaire au froid. C‘est surtout l’analyse
de la structure des protéines qui a été particulièrement
féconde en enrichissant la famille des syndromes auto-
in ammatoires de nombreuses entités. Depuis le clonage
du gène MEFV en 1997 les banques de données s’étaient
fortement enrichies. Leur utilisation a permis de montrer
que ce gène possède près de son extrémité NH2 termi-
nale une séquence codant un domaine protéique qui a
été appelée PYRIN et qui est retrouvé dans des dizaines
d’autres protéines dont la plupart sont impliquées dans
des phénomènes in ammatoires [7]. Le domaine PYRIN
d’une protéine est capable de s’associer à un domaine
identique, ou très proche, d’une protéine d’un autre type
possédant aussi un tel domaine. Il s’agit donc d’un domaine
d’interaction entre protéines. Il a été ensuite été montré
que la marenostrine/pyrin peut s’associer au domaine
PYRIN d’une protéine appelée ASC (apoptotic speck-like
protein with caspase recruitmment domain) au cours de la
réaction in ammatoire. Cette protéine ASC est de petite
taille et est simplement constituée de deux domaines :
un domaine PYRIN et un domaine de recrutement des
caspases appelé CARD (susceptible d’interagir avec un
domaine CARD d’une caspase). À la lumre de ces donnés,
le rôle de la marenostrine/pyrin dans le déclenchement de
la réaction in ammatoire devient évident. En effet la mare-
nostrine/pyrin forme un complexe avec la protéine ASC
qui par son autre extrémité interagit avec la caspase-1,
qui possède aussi un domaine CARD, ce qui a pour effet
d’activer cette dernière. Cette caspase-1 est impliquée
dans la réaction in ammatoire et dans l’apoptose. Une
fois active elle transforme la pro-interleukine 1β (IL-1b)
en interleukine 1b dont le rôle majeur dans la réaction
in ammatoire est bien connu. Le complexe marenos-
trine/pyrin, ASC, caspase-1, auquel peuvent s’associer
d’autres protéines a été appelé in ammasome. Il existe
d’autres types d’in ammasomes, impliquant toujours une
caspase, ASC et une série d’autres protéines, dont une
protéine de la famille des protéines à domaine PYRIN et
qui sont spéci ques chacune d’un phénomène in am-
matoire particulier. Le problème non encore résolu est
qu’aucune des mutations du gène MEFV responsables
de FMF ne se trouve dans le domaine PYRIN. L’immense
majorité d’entre elles se trouvent à l’autre extrémité de la
protéine au niveau du 10e et dernier exon qui code pour
un domaine B30-2, lui aussi retroudans des dizaines de
protéines, dont la fonction n’est pas encore connue. Un
nouvel élément a cependant renforle modèle. En effet,
le gène CIAS1, dont les mutations sont responsables du
syndrome de Muckle-Wells/FCU/CINCA, comme indiqué
plus haut, contient à son extrémité 5’ une séquence qui
code pour un domaine PYRIN situé à une position à peu
près identique à celui de la marenostrin/pyrin. Il est donc
vraisemblable que cette protéine induit une in ammation
suivant le même mécanisme. Mais là encore l’ensemble
des mutations sont situées largement en dehors de cette
région. On pense donc aujourd’hui que l’in ammation
observée résulte de l’activation de la pro-IL-1β en IL-
1b par la caspase-1 qui interagit avec la protéine ASC
associée soit à la marenostrin/pyrin soit à la cryopyrine. Il
reste à expliquer pourquoi les mutations des deux gènes
conduisent à une activation périodique du complexe.
L’analyse de la structure de la cryopyrine codée par le
gène CIAS1 a montré qu’elle contient deux domaines,
appelés NBD (nucleotide binding domain) et LRR (leucine
rich repeat) retrouvés aussi dans les protéines NOD1 et
NOD2. Cette dernière est aussi appelée CARD15 et elle a
été impliquée dans deux syndromes ayant une forte com-
posante in ammatoire : le syndrome de BLAU (polyarth-
rite granulomateuse de l’enfant), et la maladie de Crohn.
Ces maladies s’ajoutent donc à la liste des syndromes
auto-in ammatoires, tout comme plus récemment le syn-
drome PFAPA ( èvre périodique, aphtose, pharyngite et
adénite). Il est vraisemblable que d’autres maladies ayant
des caractéristiques cliniques proches : la maladie de
Behçet, la maladie de Majed, la maladie de STILL et les
abcès aseptiques, rejoindront la liste lorsque les gènes
impliqués seront couverts. Tout récemment s’est ajoutée
la goutte puisqu’il a été montré que les cristaux d’acide
urique sont capables, par un mécanisme non connu, d’in-
duire un in ammasome en activant la cryopyrine. Dans les
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Références
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[7] Ting JP, Kastner D, Hoffman HM, Caterpiller S. Pyrin and hereditary
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années qui viennent, la liste s’allongera encore puisqu’il
existe des dizaines de protéines contenant au moins un
des domaines caractéristiques qui ont été cités : PYRIN,
NBD, LRR CARD. Une recherche d’homologie montre qu’il
existe dans la nature environ 750 gènes codant des pro-
téines à domaine PYRIN, l’homme en possédant environ
150. Il existe d’autres formes d’in ammasome que celle
qui a été décrite, certaine avec d’autres caspases (5 et 11)
et/ou d’autres protéines et qui sont induits par une série
de signaux provenant de multiples voies, par exemple
celle bien connue des toll like receptor (TLR) qui joue un
rôle central dans l’immunité innée. La liste des syndromes
auto-in ammatoires devrait donc croître fortement dans
les années à venir.
Il est exceptionnel actuellement que la découverte d’un
gène responsable d’une maladie héréditaire conduise à
une nouvelle approche thérapeutique. Ce n’est pas le cas
avec les syndromes auto-in ammatoires. En effet, même
si aujourd’hui, on ne comprend toujours pas pourquoi
la colchicine agit et si les mécanismes physiopatholo-
giques ne sont que partiellement élucidés, la découverte
des gènes impliqués dans les syndromes auto-in amma-
toires a conduit à de nouvelles approches thérapeutiques
prometteuses. Pour le syndrome TRAPS qui implique le
récepteur du TNFa, les inhibiteurs recombinants du TNF
comme l’etanercept (Enbrel®), étaient des candidats évi-
dents. Les premiers essais cliniques ont démontré un effet
de ces molécules chez certains patients. Le nombre de
malades traités est encore trop faible pour se prononcer
nitivement. De même la caractérisation des canismes
physiopathologiques impliqués a largement démontré le
rôle délétère joué par une augmentation de la production
d’une cytokine, l’IL-1β. Compte tenu de cette donnée, les
molécules recombinantes ayant un effet inhibiteur sur l’IL-
1β, comme l’anakynra (Kinerel®) étaient des candidates
pour traiter les  èvres récurrentes. Les premiers résultats,
notamment dans le HIDS, sont encourageants. Là encore
le nombre de malades traités et le recul sont trop faibles
pour pouvoir tirer des conclusions.
Les syndromes auto-in ammatoires sont donc un exemple
qui montre le rôle majeur des progrès des connaissances
fondamentales qui conduisent à un diagnostic moléculaire
et à une thérapeutique. Le rôle des laboratoires de biologie
est ici central car ce sont eux qui apportent la certitude du
diagnostic, élément fondamental dans la FMF, par exemple,
car le traitement qui est alors mis en place peut sauver la
vie des malades en empêchant la survenue d’une amylose
dont l’issue est toujours fatale à moyen terme.
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