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N° 99 OLUSUM/GENESE
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Il est néanmoins difficile de concilier toutes
ces variantes de tenues dérivées de la même
règle religieuse avec les droits de la femme,
et cet argument est tout à fait recevable à
l’égard d’autres pays comme la France, atta-
chée elle aussi, à ces valeurs. D’ailleurs, dans
tous les débats récents sur le voile à l’école,
était présente la place réservée par le Coran à
la femme. Mais il serait aussi abusif d’assimi-
ler, sans autre justification, le port du foulard à
une atteinte aux droits des femmes ou à une
discrimination qu’elles subissent du fait que
les hommes ne doivent pas le porter. Ce ne
serait rien d’autre qu’un amalgame douteux.
En somme, la Cour européenne ne dégage
pas un principe général d’interdiction du port
du voile à l’université applicable à tous les états
signataires de la Convention européenne des
droits de l’homme. Afin de justifier la liberté des
états pour décider d’une éventuelle interdiction,
elle insiste sur l’absence de consensus euro-
péen en la matière. La diversité des situations
en Europe est bien sûr intrinsèquement liée aux
relations spécifiques que les Etats entretien-
nent avec les différents cultes. La position des
« Eglises » est loin d’être uniforme. Si l’Eglise
est séparée de l’Etat dans nombre de pays,
ce principe de séparation se décline sous de
multiples variantes. La conception française de
la laïcité ne correspond, par exemple, pas à la
neutralité bienveillante ou tolérante qui prévaut
en Allemagne ou en Belgique.
Toute transposition de la solution retenue
à l’université française serait en définitive con-
testable tant que la Cour européenne conti-
nuera à circonscrire ses décisions au contexte
turc. L’arrêt Sahin présente cependant cet inté-
rêt de nous rappeler que l’université n’est pas
à l’abri d’une telle difficulté. Elle nous pousse à
une réflexion plus générale qui semble néces-
saire à plusieurs titres.
S’agissant des étudiantes, au-delà du voile,
la question de la compatibilité des prescrip-
tions religieuses incombant aux femmes avec
certains enseignements se pose. Nous pou-
vons en effet se demander si la requérante
n’avait pas conscience en choisissant de
poursuivre des études de médecine que son
choix serait en contradiction, sur de nombreux
points, avec ses convictions religieuses. En
la matière, les exigences d’hygiène sont en
opposition avec une approche religieuse con-
servatrice. De même, il lui sera impossible de
suivre des cours d’anatomie masculine. Dans
sa vie professionnelle, sa religion respectée
à la lettre lui imposera un comportement dis-
criminatoire à l’égard des patients de sexe
masculin. Or que devient le serment d’Hippo-
crate lorsque l’on refuse de les soigner en
invoquant ses convictions religieuses ? Cette
même interrogation vaut aussi pour les étu-
diants de confession musulmane qui refuse-
ront de soigner une patiente femme.
De plus, les jeunes filles voilées que l’on
forme dans nos facultés de droit seront ame-
nées un jour à postuler sur des postes de la
fonction publique ou devenues avocates, elles
revendiqueront le droit de plaider en voile. Or le
veto de la neutralité de la fonction publique leur
sera opposé. N’est-ce pas un leurre d’entrete-
nir l’illusion qu’à partir de l’université, leur voile
devient compatible avec la laïcité ? Peut-être
pense-t-on que l’université française est capa-
ble de faire évoluer leurs convictions religieu-
ses ou, pour celles estimées contraintes de le
porter, de leur donner une indépendance d’es-
prit pour s’opposer à ces pressions. Peut-être
compte-t-on aussi sur la fonction pédagogique
de la loi du 15 mars 2004. L’apprentissage de
la laïcité par l’interdiction du port du voile dans
les écoles, collèges et les lycées pourrait limiter
le nombre de jeunes filles voilées à l’université.
Il s’agit là d’un pari difficile face au poids du
dogmatisme religieux ambiant.
A une époque où l’on célèbre le centenaire
de la loi de 1905, il apparaît nécessaire de
repenser cette question à propos de l’univer-
sité à l’aune de l’arrêt Sahin contre Turquie.
Il faudrait surtout éviter l’écueil de renvoyer la
résolution des difficultés aux doyens des facul-
tés ou aux présidents d’université. L’évolution
de l’affaire du foulard dans les établissements
secondaires illustre que c’est une manière de
se retrouver face à une situation inextricable
qui risque d’être à la longue non conforme à
la jurisprudence européenne.
Le voile continue donc de questionner l’Eu-
rope. Strasbourg n’apporte nullement de solu-
tion « miracle ». Peut-être est-ce mieux ainsi.
Plutôt que d’attendre un remède venu des
hautes instances européennes, n’est-il pas pré-
férable d’accorder la priorité au dialogue dans
le respect des spécificités nationales ? A notre
sens, le dialogue doit rester la clé de ce débat
pour éviter de fermer les portes de l’université
aux étudiantes revêtues du foulard. q