L’expert
«C’est plus facile d’être
heureuxdans un pays qui
fonctionne bien»
Votre avis
Roxana Serban
«Je me sens heureuse en Suisse. On a
une bonne qualité de vie et j’apprécie
de pouvoir voyager facilement et
d’être entourée de personnes sans
préjugé.»
JulienGorgerat
«Je ne me sens ni heureux ni
malheureux. On a beaucoup de
confort en Suisse et on n’a pas à se
plaindre, même si je trouve que le
coût de la vie est trop élevé.»
Sara Neuer
«Je ne me sens pas particulièrement
heureuse. Ici tout est cher et dans la
classe sociale dans laquelle je vis, il
me manque de l’argent pour faire
face.»
Notre pays se trouvait, en 2014, au
deuxième rang du classement de la
compétitivité mondiale établi par
l’IMD (International Institute for
Management Development). Au-
jourd’hui, une étude internationale
sacre la Suisse championne du monde
du bonheur. Quelle est la corrélation?
Il faut faire la diérence entre trois no-
tions. La première est celle de la pros-
périté. Elle touche un pays dans son
ensemble et elle est très proche de la
compétitivité. La deuxième est le bien-
être, soit le partage de cette prospérité.
Puis la troisième est le bonheur. Il
s’agit d’une notion qui dépend des deux
premières, mais également d’un élé-
ment individuel important. Je vous
donne un exemple: dans l’étude, on
voit, par exemple, que le taux de sui-
cides est très élevé dans certains des
pays placés en tête de classement. Je
crois donc qu’il faut faire la diérence
entre ces trois notions. Lorsque nous
parlons de compétitivité, on pense da-
vantage à prospérité et bien-être et on
laisse de côté la notion plus indivi-
duelle de bonheur.
Le bonheur ne dépend donc pas du
bien-être?
Il y a forcement un lien. Il est plus
facile d’être heureux dans un pays
qui fonctionne bien que, par exemple,
dans une nation en guerre. C’est une
condition nécessaire, mais elle n’ex-
plique pas tout. Ce n’est pas parce
que vous vivez dans un pays où
vous avez accès au bien-être que
vous être heureux. Mais cela aide,
c’est clair.
Une étude traitant d’un thème aussi
dius que le bonheur est-elle perti-
nente?
C’est tout le dé. Des sondages d’opi-
nion ont étéréalisés sur ce sujet ces
dernières années. Mais comme toute
recherche de ce type, il s’agit d’une
photographie à un moment donné.
Cela peut donc changer très vite. Cette
étude est beaucoup plus sophistiquée.
Les chercheurs ont rassemblé des don-
nées comme le produit intérieur brut
(PIB)avec des données plus soft,
comme celles des sondages d’opinion
ou encore le sentiment de sécurité,
les services de santé, etc. Mais chaque
fois que l’on rassemble énormément
de données, on se retrouve avec
quelques surprises dans les classe-
ments. C’est par exemple le cas avec
l’Islande. Au vu des enquêtes réalisées
ces dernières années auprès de la po-
pulation, il est étonnant qu’elle se re-
trouve en deuxième position.
La place de la Suisse est-elle surpre-
nante?
Non. Plusieurs études ont corroboré
cela. C’est par exemple le cas d’un ré-
cent rapport réalisé par un économiste
qui disait que la Suisse était le pays où il
fallait naître. Tout un faisceau d’indica-
tions semblent montrer que la Suisse
est certainement un pays qui re-
groupe prospérité et bien-être. Soit
une qualité de vie qui conduit les
Suisses à se dire: «En n de compte, je
ne suis pas trop malheureux ici.» C’est
tout un ensemble de facteurs.
Mais alors, peut-on dire que les
Suisses sont heureux?
On ne peut pas dire que l’objectif du
gouvernement suisse est de rendre
les habitants heureux. Mais c’est
de faire en sorte que le pays soit
prospère. Et que cette prospérité soit
partagée. Après, la responsabilité de
chaque personne est de transformer
tout cela en bonheur individuel. Mais
en général la notion de bonheur est
rarement un objectif.
Finalement, n’y a-t-il pas un paradoxe
entre l’image de la Suisse, plutôt fer-
mée, discrète et travailleuse, et les ré-
sultats de cetteétude? Dans la presse
étrangère, cette place a, par ailleurs,
souvent été moquée?
Je pense que l’on confond la notion de
bonheur et de gaieté. C’est vrai que les
Suisses ne sont pas exubérants, comme
par exemple les Brésiliens, mais cela
ne veut pas dire qu’ils ne se sentent
pas bien dans un bonheur paisible,
dans le sens où ils se plaisent chez eux.
Ils sont bien dans leur tête et ils sont
équilibrés. MM
Stéphane Garelli,
économiste, pro-
fesseur à l’IMD et
à l’Université de
Lausanne.
Photo: Keystone
SOCIÉTÉ |MM19,4.5.2015 |13