Migros Magazine No 19 du 04/05/15 Page 12, Région Edition

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12 | MM19, 4.5.2015 | SOCIÉTÉ
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Cette semaine
Alors, heureux
les Suisses?
Une étude internationale, publiée le 23 avril 2015 à New York, classe
notre pays en première position sur l’échelle du bonheur. Les critères
pris en compte sont notamment la richesse et la générosité. Mais
comment quantifier une notion aussi abstraite?
Texte: Emily Lugon Moulin
En chiffres
7,6
Il s’agit du degré de satisfaction qu’a obtenu la
Suisse sur une échelle
de 10.
158
C’est le nombre de pays
pris en compte dans
cette étude. Le Togo
occupe la dernière
place.
6
C’est la position
qu’occupait notre pays,
en 2012, dans la même
étude.
Source: Rapport publié par
le Réseau des solutions pour
le développement durable.
B
onne nouvelle. La Suisse a
été sacrée championne du
monde du bonheur par
une étude réalisée par le
Réseau des solutions pour le développement durable placée sous
l’égide des Nations Unies. Des chercheurs indépendants se sont ainsi
penchés, pour la troisième fois, sur
cette notion aussi abstraite qu’individuelle qu’est le bonheur. Ils l’ont
quantifiée et en ont fait un classement. Cela dans le but de «démontrer que le bonheur et le bien-être
sont des indicateurs critiques dans
l’économie et le développement so-
cial d’un pays et devraient être des
objectifs clés de la politique.»
Pour réaliser ce classement, les
chercheurs ont pris en compte six
critères principaux: l’espérance de
vie en bonne santé, le PIB par habitant, le soutien social (avoir
quelqu’un sur qui compter), la
confiance (mesurée par la perception d’une absence de corruption
politique ou dans les affaires), la
perception de liberté dans ses choix
de vie ainsi que la générosité. Et la
Suisse arrive en tête. Dans les cinq
premiers, on trouve l’Islande, le Danemark, la Norvège et le Canada.
Mais, outre flatter nos ego helvètes,
quelle valeur revêt une telle étude?
Pour le sociologue Olivier
Moeschler, chercheur à l’Université
de Lausanne: «La gouvernance par
les statistiques atteint ici à la fois
une sorte de perfection – n’est-il
pas légitime pour un Etat de se
soucier du bonheur de «sa» population – et suscite l’inquiétude.
Mesure-t-on correctement ce
bien précieux – qui n’est justement pas un bien comme un autre
– qu’est le bonheur? Qui a le droit
de le mesurer et pourquoi?» Le débat est lancé.
SOCIÉTÉ | MM19, 4.5.2015 | 13
Votre avis
L’expert
«C’est plus facile d’être
heureux dans un pays qui
fonctionne bien»
Notre pays se trouvait, en 2014, au
deuxième rang du classement de la
compétitivité mondiale établi par
l’IMD (International Institute for
Management Development). Aujourd’hui, une étude internationale
sacre la Suisse championne du monde
du bonheur. Quelle est la corrélation?
Il faut faire la différence entre trois notions. La première est celle de la prospérité. Elle touche un pays dans son
ensemble et elle est très proche de la
compétitivité. La deuxième est le bienêtre, soit le partage de cette prospérité.
Puis la troisième est le bonheur. Il
s’agit d’une notion qui dépend des deux
premières, mais également d’un élément individuel important. Je vous
donne un exemple: dans l’étude, on
voit, par exemple, que le taux de suicides est très élevé dans certains des
pays placés en tête de classement. Je
crois donc qu’il faut faire la différence
entre ces trois notions. Lorsque nous
parlons de compétitivité, on pense davantage à prospérité et bien-être et on
laisse de côté la notion plus individuelle de bonheur.
Photo: Keystone
Le bonheur ne dépend donc pas du
bien-être?
Il y a forcement un lien. Il est plus
facile d’être heureux dans un pays
qui fonctionne bien que, par exemple,
dans une nation en guerre. C’est une
condition nécessaire, mais elle n’explique pas tout. Ce n’est pas parce
que vous vivez dans un pays où
vous avez accès au bien-être que
vous être heureux. Mais cela aide,
c’est clair.
Une étude traitant d’un thème aussi
diffus que le bonheur est-elle pertinente?
C’est tout le défi. Des sondages d’opinion ont été réalisés sur ce sujet ces
dernières années. Mais comme toute
recherche de ce type, il s’agit d’une
photographie à un moment donné.
Cela peut donc changer très vite. Cette
étude est beaucoup plus sophistiquée.
Les chercheurs ont rassemblé des données comme le produit intérieur brut
(PIB) avec des données plus soft,
comme celles des sondages d’opinion
ou encore le sentiment de sécurité,
les services de santé, etc. Mais chaque
fois que l’on rassemble énormément
de données, on se retrouve avec
quelques surprises dans les classements. C’est par exemple le cas avec
l’Islande. Au vu des enquêtes réalisées
ces dernières années auprès de la population, il est étonnant qu’elle se retrouve en deuxième position.
La place de la Suisse est-elle surprenante?
Non. Plusieurs études ont corroboré
cela. C’est par exemple le cas d’un récent rapport réalisé par un économiste
qui disait que la Suisse était le pays où il
fallait naître. Tout un faisceau d’indications semblent montrer que la Suisse
est certainement un pays qui regroupe prospérité et bien-être. Soit
une qualité de vie qui conduit les
Suisses à se dire: «En fin de compte, je
ne suis pas trop malheureux ici.» C’est
tout un ensemble de facteurs.
Mais alors, peut-on dire que les
Suisses sont heureux?
On ne peut pas dire que l’objectif du
gouvernement suisse est de rendre
les habitants heureux. Mais c’est
de faire en sorte que le pays soit
prospère. Et que cette prospérité soit
partagée. Après, la responsabilité de
chaque personne est de transformer
tout cela en bonheur individuel. Mais
en général la notion de bonheur est
rarement un objectif.
Finalement, n’y a-t-il pas un paradoxe
entre l’image de la Suisse, plutôt fermée, discrète et travailleuse, et les résultats de cette étude? Dans la presse
étrangère, cette place a, par ailleurs,
souvent été moquée?
Je pense que l’on confond la notion de
bonheur et de gaieté. C’est vrai que les
Suisses ne sont pas exubérants, comme
par exemple les Brésiliens, mais cela
ne veut pas dire qu’ils ne se sentent
pas bien dans un bonheur paisible,
dans le sens où ils se plaisent chez eux.
Ils sont bien dans leur tête et ils sont
équilibrés. MM
Roxana Serban
Stéphane Garelli,
économiste, professeur à l’IMD et
à l’Université de
Lausanne.
«Je me sens heureuse en Suisse. On a
une bonne qualité de vie et j’apprécie
de pouvoir voyager facilement et
d’être entourée de personnes sans
préjugé.»
Julien Gorgerat
«Je ne me sens ni heureux ni
malheureux. On a beaucoup de
confort en Suisse et on n’a pas à se
plaindre, même si je trouve que le
coût de la vie est trop élevé.»
Sara Neuffer
«Je ne me sens pas particulièrement
heureuse. Ici tout est cher et dans la
classe sociale dans laquelle je vis, il
me manque de l’argent pour faire
face.»
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