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Vecu des enfants dont l'un des parents est cerebro-lese
Etude initiée et financée par l’adep, réalisée en
collaboration avec le centre médical J. Arnaud (Bouffemont)
DrH. Oppenheim-Gluckman (psychiatre et psychanalyste, ADEP),
G. Marioni (psychologue clinicienne), B. Virole (psychologue
et psychana nalyste), MT Aeschbacher (psychologue et
Psychanalyste, CMJA Bouffemont), dr Canny-Verrier (medecin de
reeducation fonctionnelle, CMJA Bouffemont)1
Peu d'études se sont penchées sur le vécu des enfants dont l'un des parents est traumatisé
crânien ou cérébro-lésé. Il existe deux études structurées. Celle de Pessar et al2 examine les
effets du traumatisme crânien d'un parent sur les comportements des enfants tels qu'ils sont
décrits par le parent non blessé. Ses résultats montrent qu'il y aurait chez ces enfants plus de
passage à l'acte, plus de problèmes relationnels et émotionnels, et qu'ils sont liés aux
changements intervenus dans les capacités parentales du parent blessé, mais aussi du parent
non blessé qui peut, entre autres, présenter des troubles dépressifs. Celle de Uyssal et al
montre que les enfants dont l’un des parents est traumatisé crânien n ont pas plus de troubles
du comportement qu’un échantillon témoin3
Il nous semblait important de mener une étude spécifique sur le vécu des enfants dont l'un des
parents est cérébro-lésé.
Le but de notre recherche était triple :
-Déterminer si les enfants dont l'un des parents est cérébro-lésé présentent plus de symptômes
psychoaffectifs que d'autres enfants, et si oui, lesquels.
-Comprendre le vécu subjectif d'un enfant confronté à un parent cérébro-lésé
-Améliorer la prise en charge psychologique de ces enfants, qui pour l'instant est quasiment
inexistante, et faire mieux connaître leurs difficultés pour mieux y remédier.
Description de l’étude
Elle a comporté deux parties :
-d'une part, la passation d'un questionnaire étalonné permettant de déceler les troubles anxieux
de l’enfant : l’Echelle révisée d'anxiété pour enfant (R-CMAS)
-d'autre part, pour mieux comprendre le vécu de l’enfant, un entretien avec chaque enfant était
proposé ainsi que de dessiner une famille.
Dix-neuf enfants (quinze filles et quatre garçons) appartenant à douze familles ont participé à
la recherche. Seize familles ont refusé d’y participer. Ces refus émanaient soit des parents,
soit des enfants, soit des équipes qui assuraient le suivi du parent blessé. L’analyse des refus a
1 Nous remercions pour leur aide Mme de Jouvencel, Mme Tamanian, Mme De Potter, Mr Leloup, Mme
Larroque, Mme Begu, Mr Rhein, Mme Fradet-Vallée.
2 Pessar L. F., Coad M.L. ; Linn R.T., Willer B.S., The effects of parental traumatic
brain injury on the behaviour of parents and children, Brain Injury, 1993, Vol 7, N°3,
231-240.
3 Uysal S, Hibbard M, Robillarf D, Pappadopoulos E, Jaffe M-The effect of parental traumatic
brain injury on parenting and child behavior, The Journal of head trauma
rehabilitation,13,6,1998,57-71
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montré qu’ils concernaient des familles avec de plus grandes difficultés familiales que celles
qui ont accepté de participer à la recherche.
Dans la mesure le retentissement de la lésion cérébrale de l'un des parents sur la
constitution de la personnalité de l'enfant est différent selon son âge, nous avons décidé de
rencontrer des enfants dans une même période de développement, et nous avons choisi ceux
qui étaient en période de latence (entre 6 et 12 ans) au moment de l'entretien. D'autres études
ultérieures pourront se pencher sur des enfants et des adolescents d'autres tranches d'âge.
La distance entre l'entretien et la date de l'accident ou du début de la maladie pouvait être
variable à condition que le parent cérébro-lésé soit sorti de la période d'hospitalisation initiale
et ait été de retour chez lui. L'accident ou la maladie du parent avait donc pu survenir dans la
petite enfance, lors de la période de latence, avant la naissance de l'enfant. Le délai entre
l’accident initial et l’entretien a varié de 9 mois à 16 ans.
Le parent malade présentait des troubles cognitifs séquellaires à la suite d'un traumatisme
crânien ou d'une lésion cérébrale non évolutive (accident vasculaire cérébral, anoxie
cérébrale, tumeur etc). Les principales caractéristiques des parents cérébro-lésés sont sur ce
transparent (transparent 2). Dans 5 cas, il s’agissait de la mère, dans 7 cas du père. 5 parents
avaient eu un traumatisme crânien, 6 un accident vasculaire cérébral, un une anoxie. 3 parents
avaient un handicap léger (GOS 5 dans les classifications internationales, GOS 1 en France),
8 un handicap modéré (GOS 4 dans les classifications internationales, GOS 2 en France), un
un handicap sévère (GOS 3), 9 parents avaient des séquelles physiques et 7 des troubles du
comportement.
resultats
L’analyse du questionnaire d’anxiété, le R-CMAS, a montré que seuls quatre enfant sur
dix-neuf (21 %) présentaient des réactions anxieuses anormales et importantes.
L’entretien a permis de constater que
-Seize enfants (84 %) possèdent une représentation de la lésion cérébrale de leur parent, le
même nombre une représentation de la maladie centrée sur les lésions physiques (alors que
seulement neuf parents sur douze gardent des séquelles physiques), mais seulement huit
enfants (42 %) possèdent une représentation des troubles cognitifs du parent cérébro-lésé
(alors que tous les parents avaient des séquelles cognitives).
-Le parent cérébro-lésé garde sa position symbolique de parent aux yeux de l'enfant dans tous
les cas. L’aide apportée par l’enfant au parent handicapé n’amène pas l’enfant à occuper une
position parentale vis-à-vis de son parent blessé dans quinze cas (soit 78%)
-Des paroles ou des comportements du parent cérébro-lésé perturbent la vie de l'enfant dans
dix cas (52 %).
-Peu d'enfants (cinq,26 %) ne s’autorisent pas à exprimer leurs sentiments, leurs différents et
leurs conflits à l'intérieur du cercle familial. Presque la moitié des enfants (neuf, 47 %)
ressentent le besoin de parler de l'accident, et dix-sept (89 %) peuvent le faire dans leur
famille, leur milieu scolaire ou amical. Cependant huit enfants (42 %) se sentent isolés.
- Six enfants (31%) expriment dans l’entretien un sentiment d’insécurité lié aux effets du
traumatisme crânien ou de la maladie
-Seul un enfant présentait des conduites impulsives et se sentait pous à faire des actes
dangereux.
Ces résultats montrent que, parmi les enfants que nous avons rencontrés, la vie quotidienne
n’est pas associée à une expression manifeste d’anxiété. Il y aurait une adaptation des enfants,
au moins consciemment, à la situation créée par le handicap de l’un des parents parmi les
enfants que nous avons rencontré.
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Le fait que la plupart des enfants évoquent une représentation de la maladie de leur parent
centrée sur les lésions physiques, même en l'absence de séquelles physiques chez le parent
blessé, montre que, comme les adultes, les enfants ont des difficultés de représentation des
troubles cognitifs. Ces difficultés ont fait à plusieurs reprises parler de "handicap invisible" à
propos des séquelles cognitives.
Par contre, l'absence de symptômes anxieux manifestes et l’adaptation générale que
semblent présenter les enfants à la situation crée par le handicap de l’un des parents lors
des réponses à certaines questions de l’entretien ne signifient pas qu'il n'y a pas d'impact
de la maladie sur le vécu de l'enfant et sur ses questions inconscientes.
Le fait que 42 % des enfants se sentent isolés bien que 89 % puisse parler autour d'eux de la
maladie de leur parent montre que, malgré l'absence de solitude sociale, l'enfant éprouve un
sentiment de solitude lié probablement au sentiment de différence qu'il éprouve et à la
difficulté qu'il ressent à transmettre authentiquement son expérience.
Par ailleurs, les dessins de la famille témoignent d’un impact fort du handicap du parent
cérébro-lésé sur le vécu subjectif de l’enfant.
Les dessins de la famille montrent en effet que la place respective des parents et des enfants
est bien différenciée dans treize cas (68 %). Mais les personnages de la famille sont rarement
en interaction ou groupés (trois fois, soit 15% des enfants rencontrés).
Les enfants dessinent rarement le handicap réel du parent blessé (dans trois cas, soit 15 %).
Par contre, il existe dans dix-sept cas (89 %) des anomalies de la représentation des corps des
personnages. Ces anomalies concernent le parent cérébro-lésé, mais aussi l'autre parent de
façon équivalente, un ou plusieurs membres de la fratrie et l'enfant lui-même. Ces anomalies
sont diverses :
- asymétries des membres, des détails du visage, qui peuvent être une tentative de
représentation du handicap étendue à plusieurs membres de la famille,
- anomalies de la représentation des yeux (sans pupilles et vides ou exorbités)
- marques sur le corps des personnages, en particulier des cicatrices
- Et un point qui nous semble très important, l’absence de main ou la présence de mains
sans doigts dans quatorze dessins (73 %) ou l’absence de pieds ou la présence de pieds
amputés dans huit dessins (42 %)
Dans treize dessins (68 %), un ou plusieurs personnages de la famille représentés sont
vacillants, "dans les airs", ou comme des fantômes.
Si l’on reprend l’analyse des dessins, quelques constatations s’imposent :
La présence de personnages vacillants, fantomatiques, « dans les airs » traduirait le sentiment
d’insécurité de l’enfant face aux conséquences du handicap sur la stabilité familiale. Si
seulement 31 % des enfants présentaient lors de l'entretien un sentiment d'insécurité en lien
avec le handicap de leur parent, le dessin de la famille montre que 68 % des enfants dessinent
des personnages vacillants, dans "les airs" ou fantomatiques. L'enfant tenterait ainsi de
représenter des parents et une famille fragilisés et qui ont du mal tenir le coup", son
sentiment d'insécurité face aux difficultés parentales et familiales induites par le handicap. Au
total, entre le dessin et l’entretien, seize enfants (84 %) présenteraient un sentiment
d'insécurité en lien avec les conséquences du handicap de l'un des parents.
Le fait que les personnages de la famille soient en interaction ou représentés en groupe chez
seulement 15 % des enfants, et que la plupart du temps les personnages soient isolés les uns
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des autres, semble traduire une difficulté pour l’enfant à percevoir une cohésion familiale
authentique et la perception d’un isolement de chaque membre de la famille l’un vis-à-vis de
l’autre. Ceci rejoint les conclusions de l’étude de Peters et al sur la perception par les enfants
de leur famille quand un parent est atteint d’une sclérose multiple.
Le fait que des anomalies de la représentation picturale des corps des personnages existent
dans le dessin des enfants avec des parents sans séquelles physiques et le fait qu'elles
concernent d'autres personnages que le parent cérébro-lésé, montrent que l’enfant cherche à
représenter non le handicap réel, mais de façon symbolique et figurative son vécu du
handicap, la façon dont, selon lui, il affecte la famille.
L'absence de mains, la présence de mains mutilées se retrouve chez 73 % des enfants de notre
étude, alors qu’elle n’est que de 12 % chez les enfants normaux dans l’étude de Gomes et
Correia et que dans le test du bonhomme de Goodenough, doigts et mains se retrouvent chez
plus de 70% des enfants de six ans.. Cette même absence de main se retrouve de façon
significative dans une étude portant sur quinze enfants de six à dix-huit ans dont l’un des
parents est dialysé. Elle est, sans doute, le reflet du sentiment d’impuissance que l’enfant
éprouve et qu’il perçoit chez ses parents ou dans sa fratrie.
D’une façon plus générale, la fréquence des anomalies de la représentation picturale des corps
des personnages et la fréquence des représentations de personnages vacillants, fantomatiques
ou « dans les airs » est étonnante dans le groupe d’enfants que nous avons étudié. On peut
faire l’hypothèse de traits « caractéristiques » associés à la représentation inconsciente chez
l’enfant d’une structure familiale perturbée par la présence d’un parent handicapé. Les
résultats de l’analyse du dessin de la famille suggèrent l’existence d’un impact inconscient
fort du handicap du parent sur l’enfant et sur l’ensemble de la représentation qu’il a du « corps
familial ». L’enfant s’interrogerait sur la façon dont celui-ci pourrait atteindre de façon
détournée le groupe familial. En d’autres termes, les places et les rôles symboliques de chacun
sont conservés, mais le handicap du parent cérébro-lésé vient s’infiltrer dans la représentation
générale qu’a l’enfant de lui-même, de la famille et de ses membres et dans ses processus
d’identification (cf D. Cupa)..
Conclusion
Notre étude est bien sûr exploratoire dans la mesure elle concerne un nombre limité
d’enfants, et semble t-il, compte tenu de la nature des refus de participer à la recherche, des
enfants intégrés dans des familles qui ont pu malgré tout faire face à la situation. Cependant,
même dans ces cas là, malgré l’apparente adaptabilité de l’enfant à la situation créée par le
traumatisme cérébral d’un des parents, il existe un impact fort du handicap du parent sur le
vécu de l’enfant et celui-ci s’exprime surtout à travers le dessin de la famille. Cet impact
témoigne d’une souffrance psychique de l’enfant, qui pourrait bénéficier de quelques
entretiens psychothérapeutiques même sans l’expression de symptômes manifestes.
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