Controverses – Novembre 2010 – n°4 Page 3
Où en sont le capitalisme et la lutte de classe ?
« Pour le moment, nous assistons à l'effondrement
du vieux monde qui croule par pans entiers, jour
après jour. Ce qui est le plus surprenant, c'est que
la  plupart  des  gens  ne  s'en  aperçoivent  pas  et
croient encore marcher sur un sol ferme… »
Rosa Luxemburg, Lettres de prison, 12 mai 1918
Depuis  quatre  décennies,  les  crises  économiques
récurrentes  et  la  mondialisation  du  capitalisme
soumettent la grande majorité de la population à des
restrictions  grandissantes  et  engendrent  des  dégâts
écologiques dont le caractère devient de plus en plus
irrémédiable.  Ceci  pose  d’immenses  défis  dont  les
solutions  détermineront  grandement  le  sort  des
prochaines générations et les  conditions de viabilité
de  la  planète.  Or,  le  seul  horizon  que  le  système
actuel est capable de prendre en compte est celui de
ses  intérêts  économiques  les  plus  étroits :  imposer
une  austérité  brutale  pour  garantir  ses  profits  et
continuer  d’exploiter  la  nature  au  mépris  de  ses
limites. Cette vision bornée et à courte vue aggrave
encore  plus  toutes  les  impasses  dans  lesquelles  le
capitalisme entraine la terre entière.
Ceci  engendre  un  énorme  paradoxe :  confusément
émerge  le  sentiment  que  la  gravité  de  la  situation
requiert  des  solutions  radicales  et  que ‘nous
assistons  à  l’effondrement  d’un  vieux  monde  qui
croule  par  pans  entiers’,  mais,  en  même  temps, « ce
qui  est  le  plus  surprenant,  c’est  que  la  plupart  des
gens ne s’en aperçoivent pas et croient encore marcher
sur un sol ferme ». Ce sont quelques uns des contours
de  ce  paradoxe  que  nous  essaierons  de  comprendre
sur les plans de la crise et de la lutte de classe.
Une conjonction de facteurs
Au-delà  des  différences  considérables  qui  les
caractérisent,  tous  les  grands  mouvements
révolutionnaires (1830, 1848, 1871, 1905 et 1917-23)
présentent cinq caractéristiques communes :
1) Ils  sont  la  conséquence  d’une  dégradation
rapide  et  profonde  des  conditions  d’existence  d’une
grande  partie  de  la  population  suite  à  une  crise
économique ou une guerre.
2) Cet  état  de  bouleversement  de  la  société
concerne simultanément plusieurs pays au moins.
3) Ces mouvements se déploient dans un contexte
d’incapacité de la classe dominante à offrir une issue
crédible à l’impasse de son système.
4) Ces mouvements sont le fait de générations de
travailleurs  n’ayant  pas  connu  d’embrigadement  ou
de défaite physique et/ou idéologique à la suite d’une
guerre  ou  d’une  révolution.  De  ce  fait,  ces
générations  disposent  encore  d’un  potentiel  intact
sur ces deux plans.
5) Dans  de  telles  conditions,  les  hommes  ont
recherché  des  formes  alternatives  d’organisation
sociale  et  se  sont  battus  pour  les  mettre  en  place.
Mais  les  moments  décisifs  et  l’issue  de  ces
mouvements  se  sont  déroulés  sur  une  période
relativement brève, quelques mois tout au plus.
A bien  regarder  la situation  actuelle,  c’est  vers une
telle  configuration  que  le  système  capitaliste
s’achemine :
1- Depuis  les  années  1970,  les  crises  économiques
successives  se  traduisent  par  des  plans  d’austérité
d’une brutalité de plus en plus violente. La dernière
en date n’a pas dérogé à la règle. Ainsi, les mesures
prises dans plusieurs pays de  l’est et en Grèce  sont
sans  précédents :  elles  correspondent  à  une
diminution  de  15  à  20 %  du  pouvoir  d’achat  des
travailleurs,  pensionnés  et  allocataires  sociaux.
D’autres  pays  ont  suivi  et  ont  également  appliqué
des  plans  d’austérité  agressifs  comme  en  Espagne,
au  Portugal  et  en  Irlande.  Celui  récemment  décidé
en  Angleterre  implique  le  licenciement  d’un  demi-
million de fonctionnaires et une réduction du pouvoir
d’achat  global  des  salariés  de  5  à  15 %.  Même  les
organismes  officiels  avouent  qu’un  britannique  sur
deux  sera  désormais  confronté  à  de  sérieuses
difficultés financières.
2- Ces  mesures  d’une  ampleur  inédite  depuis la  fin
de  la  seconde  guerre  mondiale  sont  prises  à