L'économie marocaine face au défi de libre échange
Avril 1997
Document de travail n° 18
Royaume du Maroc
Direction des Etudes
et des Prévisions financières
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Le Maroc a conclu avec l’Union Européenne en 1996 un accord d’association portant
sur la création d’une zone de libre échange à l’horizon 2010. Cet accord créera certainement
des opportunités pour notre pays en matière de modernisation du tissu industriel, de transfert
de savoir-faire, de développement des investissements extérieurs et, partant, de croissance
économique et de bien être. Il préconise une ouverture progressive du marché marocain aux
produits de l’Union Européenne sans contrepartie pour les produits marocains qui bénéficient
déjà d’un accès privilégié aux marchés européens.
L’accord de partenariat, qui institue le dialogue politique et économique, maintient
cependant des restrictions sur les exportations des produits agricoles marocains vers l’Union
Européenne puisque la libéralisation des échanges de ces produits ne sera abordée qu’à partir
de l’an 2000.
La présente note a pour objet de situer l’économie marocaine à la veille de l’ouverture,
de mettre en évidence quelques impacts macro-économiques du libre échange, et d’explorer
certaines pistes permettant d’accroître la compétitivité économique du Maroc.
1. Situation au moment de l’ouverture
1.1 Atouts
L’un des atouts importants du Maroc à la veille de l’ouverture est le vaste programme
de réformes engagé depuis le milieu des années 80 dans le cadre de l’ajustement structurel. Ce
programme a permis de moderniser le système fiscal, de libéraliser sensiblement le commerce
extérieur et intérieur, d’assouplir la réglementation des changes, de déréglementer le secteur
financier, de moderniser le dispositif juridique en l’alignant sur les standards internationaux, et
de lancer le processus de privatisation.
Ces réformes se sont accélérées à partir de 1996 avec les nouvelles lois sur le commerce
et la société anonyme, la réforme du marché boursier, la création d’un marché des changes, la
libéralisation complète des taux d’intérêt, et la mise en œuvre de la charte de l’investissement
qui a unifié le dispositif d’encouragement.
Les pouvoirs publics ont renforcé la lutte contre la contrebande et l’évasion fiscale,
entamé l’assainissement du secteur des assurances et poursuivi la préparation d’un nouveau
code du travail, d’un projet de loi sur les prix et la concurrence, d’une nouvelle réglementation
des transports, d’une réforme des télécommunications, et d’un cadre juridique pour la
préservation de l’environnement faisant suite à la loi sur l’eau.
La préparation de ces réformes s’est accompagnée d’une amélioration du climat social
et d’un renforcement des mécanismes de concertation entre les partenaires sociaux. A cet effet,
les pouvoirs publics ont signé un gentlemen’s agreement avec le patronat et fait aboutir les
négociations avec les syndicats dans le cadre du dialogue social.
Un autre atout de l’économie marocaine réside dans la réduction des déséquilibres
macro-économiques (cf annexe 1). Le déficit budgétaire et celui de la balance des paiements se
sont situés en moyenne à 3,5 et 2,5% du PIB pour la période 1993-1996 contre plus de 11% à
la veille du rééchelonnement.
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L’inflation a été ramenée à 4,8% l’an durant la période 1993-1996. Les réserves de
change ont été reconstituées, représentant actuellement 5 mois d’importation de biens et
services non facteurs. L’amélioration des déséquilibres fondamentaux a permis de rétablir la
convertibilité courante du dirham et d’arrêter, depuis 1993, le rééchelonnement de la dette.
En matière d’intégration au marché mondial, des efforts importants ont été accomplis
par le Maroc à partir des années 80. Le taux de croissance annuel des exportations en
pourcentage du PIB a atteint 1,5% l’an en moyenne pour la période 1980-1993 pour le Maroc
contre 2% pour les pays du sud est asiatique (1(1)). Le taux d’exportation de la production des
industries de transformation a évolué de 13,8% en 1980 à 25% en 1996.
L’intégration du Maroc aux marchés financiers internationaux a drainé des capitaux
privés sous forme d’investissements directs étrangers sans cesse croissants : 1,6% du PIB en
moyenne entre 1993 et 1996 contre moins de 0,6% avant 1988.
Le Maroc, qui dispose de richesses importantes (phosphates, tourisme, produits de la
mer, agriculture), a entamé au milieu des années 80 une diversification de son tissu industriel.
La part des produits manufacturés (hors admissions temporaires) dans les exportations de
marchandises a atteint 54% pour la période 1993-1996 contre 31% au début des années 80.
L’émergence de certains secteurs comme les produits de la mer et l’habillement, qui
représentent ensemble le tiers des exportations de marchandises contre 12% à la veille du
rééchelonnement, a permis de réduire la vulnérabilité de la balance commerciale vis à vis de
l’exportation de phosphates et dérivés. Par rapport à la valeur globale des exportations de
marchandises, la part des phosphates et dérivés a reculé de 44 à 25% entre les périodes 1980-
1982 et 1993-1996.
Sur le plan social, certains indicateurs se sont améliorés durant la période d’ajustement
structurel (1983-1992). La pauvreté touche 13% de la population en 1991 contre 26% en 1985
et 42% en 1970. Le taux de mortalité infantile a été réduit de 22% entre 1983-1987 et 1988-
1991. Le nombre d’habitants par médecin a baissé considérablement, passant de 10.972 en
1980 à 2.950 en 1995.
Les inégalités sociales se sont par ailleurs atténuées. Le rapport des parts respectives
dans la dépense globale des ménages les plus riches et des ménages les plus pauvres a reculé,
au niveau national, de 30,4 en 1970 à 16,1 en 1985 et à 13,9 en 1991.
Le Maroc entame une transition démographique avec la baisse du taux d’accroissement
démographique à 1,71% en 1996 contre 2,61% pour la période 1971-1982, et avec un certain
ralentissement de la progression de la population active de 3,6% l’an entre 1971 et 1982 à
2,8% l’an entre 1982 et 1994. Le taux de natalité a diminué de 4% en 1971-1982 à 2,6% en
1994-1995. La part des moins de 15 ans dans la population s’est dépréciée de 42,2% en 1982 à
37% en 1994. Le nombre d’élèves inscrits en première année du cycle de l’enseignement
fondamental a commencé à baisser à partir de 1994-1995.
(1) E. Mick Riordan - Le Maroc dans l’économie mondiale 1995-2010 (janvier 1996)
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1.2Faiblesses
Fortement dépendante de l’aléa climatique qui peut représenter jusqu'à 5% du PIB,
l’économie marocaine a généré, par le passé, une croissance insuffisante (3,4% l’an entre 1980
et 1996) pour réduire le chômage dont le taux a atteint 22,9% en 1995 en milieu urbain. Le
chômage, avant l’ouverture économique, reste élevé surtout parmi les jeunes et touche plus la
femme que l’homme.
Malgré les acquis de l’ajustement structurel, les équilibres macro-économiques
demeurent fragiles. Compte tenu de l’importance de la masse salariale de l’Etat et des
collectivités locales (14% du PIB), la consommation publique reste supérieure de 5 points du
PIB à la moyenne des pays en voie de développement et de 8 points comparativement aux pays
du sud est asiatique (cf annexe 2).
Le problème de l’endettement externe persiste mais dans une proportion beaucoup
moins importante qu’à la veille du rééchelonnement. Si l’encours de la dette extérieure a pu
être ramené de 122% du PIB en 1985 à 60% en 1996, les charges de la dette (intérêts et
amortissement) continuent à représenter environ le tiers de l’ensemble des ressources courantes
de la balance des paiements
Quant aux charges de la dette publique intérieure et extérieure, elles absorbent entre 35
et 40% des recettes ordinaires de l’Etat. Cette situation influe sur l’épargne publique dont
l’insuffisance ne permet pas de faire face à un niveau d’investissement public soutenu.
Le rythme d’intégration du Maroc à l’économie mondiale est devenu lent à partir de
1991. Le ralentissement des exportations de marchandises, en raison entre autres du
démantèlement de l’URSS, a fait perdre au Maroc des parts de marchés à l’avantage de pays
concurrents comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie et certains pays de l’Europe de l’Est. La crise
du tourisme limite à 1,5% des recettes méditerranéennes la part du Maroc dans un secteur où il
recèle d’énormes potentialités.
Au niveau du tissu économique, les entreprises sont généralement sous-capitalisées
avec une prédominance du capital familial. Les systèmes d’information sont peu développés et
se limitent dans les grandes entreprises à l’automatisation des tâches quotidiennes de gestion.
Le taux d’encadrement du personnel est insuffisant. Cette situation se répercute sur la
productivité apparente du travail en milieu urbain qui a même baissé de 1,3% l’an entre 1988 et
1993.
L’économie marocaine est encore fortement protégée. La protection commerciale des
entreprises a tendance toutefois à baisser puisque les droits de douanes représentent 16,7% de
la valeur des importations en 1996 contre 20,3% en 1993.
Le niveau de développement technologique reste insuffisant ainsi qu’en témoigne la
part limitée à la fois des dépenses de recherche dans le PIB (0,3%) et des biens d’équipement
dans les importations globales du pays (21% en 1996). Il se distingue aussi par la baisse de la
part des sciences de l’ingénieur dans l’effectif global des étudiants de l’enseignement supérieur
(2,8% en 1995-1996 contre 4,8% en 1982-1983).
Le poids des entreprises publiques reste important malgré les privatisations déjà
réalisées. Ce secteur, qui emploie 210.000 agents pour une masse salariale de 14 milliards de
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dirhams, a investi 18 milliards de dirhams en 1995, soit 6,5% du PIB et environ 31% de la
formation brute du capital fixe.
L’activité économique se heurte à l’insuffisance de certaines infrastructures physiques
et particulièrement le réseau électrique et les télécommunications. La densité téléphonique est
de 4,2% au Maroc contre 24% pour les pays du sud est asiatique et 30% au Portugal.
Sur le plan social le taux d’analphabétisme demeure élevé (55% en 1994 au niveau
national) particulièrement pour la femme en milieu rural (89%). Les campagnes accusent un
retard considérable par rapport aux villes en matière de scolarisation et d’accès aux services et
équipements de base. La couverture sociale de la population reste insuffisante puisque les
salariés déclarés à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale ne dépassent pas 28% de l’ensemble
des salariés identifiés par le recensement de 1994.
1.3 Comparaison internationale
Le positionnement du Maroc parmi les pays en développement sur le plan des
indicateurs socio-économiques (cf annexe 2), confirme les insuffisances précédemment citées
en matière d’alphabétisme, de niveau de développement du monde rural et de train de vie de
l’Etat.
Le taux d’investissement au Maroc (20% du PIB en 1996) est équivalent à la moyenne
de l’Amérique Latine mais, reste nettement en deçà du niveau atteint par les pays du sud est
asiatique (33% du PIB). La même constatation prévaut pour le taux d’épargne.
La couverture sociale se limite au secteur organisé. Les prestations de la Caisse
Nationale de Sécurité Sociale n’excèdent pas 1,8% du PIB pour le Maroc contre 2,3% pour la
Malaisie, presque 5% pour la Turquie et plus de 20% pour les pays de l’Europe occidentale.
Le marché de l’emploi se distingue par des rigidités lorsque son fonctionnement est
comparé à celui des pays de l’Asie de l’est (Corée du Sud, Singapour et Taiwan). De telles
rigidités entravent la croissance des exportations à forte intensité de main d’œuvre qualifiée.
Les coûts non salariaux au Maroc se situent au minimum à 20% de la masse salariale
nette du secteur privé urbain. Ils sont parmi les plus élevés d’un groupe de pays à revenu
intermédiaire comme la Thaïlande, la Malaisie, la Tunisie, la Turquie, la Bolivie, l’Iran, la
Corée du Sud, les Philippines, l’Uruguay, la Hongrie ou la Roumanie (2).
Une comparaison détaillée (3) des finances publiques du Maroc avec celles de pays
comme le Chili, la Corée, l’Egypte, l’Espagne, l’Indonésie, la Malaisie, le Portugal, la Tunisie
et la Turquie a révélé les conclusions suivantes (voir annexe 3) :
(2) Banque Mondiale, Mémorandum Economique vers une augmentation de la croissance et de l’emploi -
septembre 1995
(3) Comparaison effectuée en février 1996 par la Direction des Etudes et des Prévisions Financières
(Ministère des Finances et des Investissements Extérieurs)
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