Revue d’anthropologie des connaissances – 2010/188
INTRODUCTION
Au cours de cinq années d’ethnographie du jeu en ligne « Mountyhall, la terre
des trõlls » (http://www.mountyhall.com), nous avons observé ses participants
expérimenter d’autres interfaces que l’interface offi cielle1. En particulier, le
terrain de jeu commun a donné lieu à des représentations alternatives – nom-
mées, selon les cas, « vues 2D », « cartes », « GPS », etc. Nous présen-
tons l’histoire de ces expérimentations, qui séduisent certains, apparaissent
à d’autres contestables, et enfi n, selon les cas, déçoivent et/ou se banalisent.
De telles modifi cations (Fig. 1), qui ne sont pas ici l’œuvre de l’« éditeur » ou
« gestionnaire », mais de « participants » ou « joueurs », touchent aussi les
jeux les plus diffusés aujourd’hui2, en ligne comme hors ligne, industriels com-
me associatifs (Jeppesen, Molin, 2003 ; Zabban, 2007). Elles donnent alors lieu
à de subtiles distinctions entre, d’une part, les « programmes tiers3 », interdits
car considérés comme des tricheries qui modifi ent les règles et, d’autre part
les « modifi cations d’interface » autorisées, favorisées et régulées4. Et certains
auteurs proposent d’y lire une tendance culturelle, propre à une culture de
la participation (Raessens, 2005 ; Genvo, 2008). Nous avons rencontré, sur
le terrain du jeu web Mountyhall, de telles modifi cations d’interface, bien qu’il
soit marginal par rapport aux grandes productions de l’industrie du jeu vidéo.
En effet, au cours de ses sept années d’existence à ce jour, l’espace social en
ligne5 constitué autour de ce jeu ne comprend qu’un peu plus de cinq cents
sites, et n’est parcouru quotidiennement que par environ onze mille partici-
pants francophones (Boutet, 2008).
Totalement gratuit, fi nancé par les dons et la publicité, géré par une asso-
ciation belge sans but lucratif (http://jeuxweb.org/), Mountyhall témoigne néan-
moins de la vitalité du secteur du jeu alternatif6 qui n’a pas été jusqu’ici exploré
par les Game Studies. En dehors de quelques références aux fans, le gratuit et
1 Voir l’encadré ci-dessous pour une description du jeu dans ses grandes lignes.
2 Voir notamment : http://www.wowinterface.com/ et http://www.eq2interface.com/
3 Les plus connus et débattus sont les « bots » – selon un nom dérivé du terme « robot ». Il s’agit
d’automatisations qui jouent à la place du joueur. Mais cela concerne aussi tous les programmes
permettant de créer de l’or, de dupliquer les objets, ou de téléporter le joueur.
4 Pour un exemple d’une telle tentative de défi nition, sur le forum offi ciel français de
World of Warcraft : http://forums.wow-europe.com/thread.html?topicId=17792134&sid=2
Ces modifi cations sont donc des objets controversés, révélateurs des tensions entre acteurs, par
exemple : http://www.eq2interface.com/forums/showthread.php?t=2417&highlight=hack
5 Nous réservons l’appellation d’« espace social en ligne » à l’ensemble formé par les sites web et
les communications entre les participants, tandis que nous désignons comme « terrain de jeu » le
monde virtuel lui-même, c’est-à-dire l’espace de participation plus restreint que propose l’interface
de jeu.
6 Le terme de « jeux alternatifs » est utilisé notamment par les annuaires français du genre,
eux-mêmes gratuits et associatifs : http://www.tourdejeu.com ; http://www.jeux-web.com/ ; http://
www.gamersroom.com/. Plusieurs traits inscrivent ces jeux dans la consommation engagée : une
alternative au marché, qui s’appuie sur la participation des consommateurs à la production, à la fois
par le don et par le bénévolat, et qui construit ainsi une résistance à – ou pour mieux dire ici une