Dans un monde grandement
corrompu, Carmen L., nous rap-
pelle comment se développent le
jugement moral, les notions
éthiques à Lima (Pérou).
Si nous demandons : “pourquoi
étudies-tu ?” et que l’on nous ré-
ponde “moi, j’étudie parce que
sinon mes parents me punis-
sent”, un autre dira “moi, j’étudie
pour me rendre plus fort et ainsi
transformer la réalité qui m’en-
toure, construire un monde plus
juste”. Nous trouverons que ces
deux réponses révèlent des
mondes intérieurs bien différents.
Le premier raisonnement im-
plique une perspective indivi-
duelle, d’intérêts concrets.
L’obéissance à la norme porte sa
propre valeur, ainsi évite-t-on le
risque et la punition. En revanche
dans le second raisonnement, on
agit suivant des principes univer-
sels que l’individu a intériorisés :
justice, égalité, solidarité.
Pourquoi la différence de rai-
sonnements ? Pourquoi certains
individus restent-ils dans une
perspective individualiste, et en
revanche d’autres sont-ils capa-
bles d’une perspective sociale ?
Qu’est-ce qui rend possible de
passer d’un niveau égocentrique
à un niveau permettant de recon-
naître ce qui est correct de ce qui
ne l’est pas, et respecter les droits
d’autrui ?
L’être humain à sa naissance est
encore un être inachevé, mais il
porte en lui un ensemble de choix
capables de se développer. Même
s’il est influencé par son milieu,
son héritage génétique, il est ca-
pable de réagir et d’interpréter son
monde. Il dispose du jugement ou
critère moral pour différencier ce
qui est bon de ce qui est mauvais,
ce qui est juste de ce qui ne l’est
pas, et reconnaître les valeurs uni-
verselles applicables en tout
temps et tout lieu.
Le jugement moral se déve-
loppe avec l’acquisition progres-
sive et le renforcement des
notions de bien et de mal, des
principes autonomes de justice,
fruits de la coopération sociale, du
respect des autres et de la solida-
rité. Ces principes guideront les
choix de chaque personne dans
les différentes situations de la vie.
Comme nous le savons, de nom-
breuses personnes ne dévelop-
pent pas leur jugement moral.
Elles restent à l’âge adulte avec
celui de leur enfance.
La construction du
jugement moral
chez l’enfant
La morale est une caractéris-
tique propre à l’être humain, on la
conçoit comme un ensemble de
normes et de principes fondés sur
une vie en liberté. Pour Piaget,
“toute moralité consiste en un sys-
tème de règles et l’essence de
toute moralité doit être trouvée
dans le respect que l’individu ac-
quiert par ces règles” (1932). En
suivant cette idée, nous compre-
nons que pour lui, il existe une
forte relation entre la moralité hu-
maine et les règles. À travers ses
recherches, Piaget constata l’exis-
tence d’un chemin possible dans
le développement de la moralité
enfantine qui commencerait par
l’anomie, passerait par l’hétéro-
nomie pour arriver à l’autonomie.
L’anomie se réfère à l’absence
de normes, de règles, caractéris-
tique des nouveau-nés, qui mé-
connaissent les règles de la so-
ciété. L’hétéronomie se réfère à un
état où les enfants perçoivent déjà
l’existence de règles, un état où
l’on différencie les choses qui peu-
vent se faire de celles qui ne peu-
vent pas se faire. Mais l’origine de
ces règles est extérieure, elle se
trouve chez les autres, par exem-
ple chez les adultes ou en Dieu.
L’autonomie se réfère à l’applica-
tion des règles dans la vie en so-
ciété, mais son origine se trouve
dans le sujet lui-même. Elle im-
plique un continuel processus de
maturité morale. Les règles ces-
sent d’être extérieures pour s’in-
térioriser librement comme
produit du respect mutuel dans
une saine convivialité.
Ces trois états moraux ne se
construisent pas de façon linéaire
chez l’individu. Au contraire, des
adultes restent dans l’anomie :
personnes égocentriques qui ne
tiennent pas compte des intérêts
des autres ou de la société, qui
agissent pour défendre leurs inté-
rêts personnels. Certains parvien-
nent à l’hétéronomie, mettant
l’accent sur ce que pensent les
autres, montrant beaucoup de
respect pour la norme en elle-
même et cherchant une punition
pour celui qui transgresse. Mais ils
ne comprennent rien ou presque
au bien commun.
Enfin, des personnes arrivent à
l’autonomie. Elles sont capables
de développer une capacité ra-
tionnelle leur permettant de com-
prendre les contradictions de leur
propre pensée, et de comparer
leurs idées et valeurs avec celles
d’autrui. Elles établissent des cri-
tères de justice et d’égalité qui,
parfois, les amèneront à s’oppo-
ser à l’autorité et aux traditions de
Une des responsabilités de l’école :
le développement du jugement moral
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