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On entend communément dire : « En France, ce n’est pas
comme aux USA, on a maintenu et renouvelé régulièrement les
infrastructures d’eau potable et d’assainissement » mais aussi :
« Notre taux de renouvellement actuel est très insufsant, les
canalisations n’ont pas une durée de vie moyenne de 170 ans,
nous courrons à la catastrophe ». C’est qu’il subsiste bien des
confusions de langage et des incompréhensions des enjeux de la
gestion du patrimoine collectif constitué par les infrastructures de
nos services d’eau potable.
Il faut dire que, pour s’approprier les notions nécessaires à
une compréhension approfondie de ces questions, l’effort n’est
pas négligeable. A la croisée des connaissances de terrain, de
l’ingénierie et des techniques comptables et nancières les
plus pointues, choisir les investissements, programmer le
renouvellement de ces réseaux enterrés, non visitables et souvent
mal connus, et organiser les moyens nanciers pour y faire face,
non pas ponctuellement, mais dans la durée, cela demande à la
fois pragmatisme et anticipation.
Cela demande aussi un réel sens des responsabilités. Un sous-
investissement durant quelques années ne se traduit pas
nécessairement par des conséquences concrètes immédiates,
mais des pratiques insufsantes maintenues sur la longue durée
conduisent à des difcultés majeures, voire insurmontables. A
l’écoute permanente des attentes des abonnés, la tentation est
grande de privilégier le fonctionnement courant et de maintenir
au plus bas le prix de l’eau, en s’en remettant pour ces enjeux
de moyen terme implicitement à la solidarité nationale, relayée
depuis 1964 par la solidarité de bassin : quand le problème se
posera, et qu’il faudra renouveler à grand prix les installations,
les moyens locaux seront à l’évidence incapables d’y faire face, la
solidarité sera bien obligée d’y pourvoir. La vertu serait nalement
récompensée par une double peine : nous payons, nous faisons
comme il faut, mais de plus nous devrons payer pour les autres
qui n’auront pas fait le même effort.
Mais compter sur des formes de mutualisations dont ce n’est pas
l’objet et sur le report des dépenses nécessaires à plus tard, c’est
aujourd’hui tout simplement irréaliste. Il faut être conscient que
cette question se pose maintenant dans des termes très nouveaux.
Le XXème, en France, n’y a pas été confronté, à la fois parce qu’il a
correspondu à une période de développement de ces services, par
l’augmentation des abonnés et du confort, et dans un contexte
industriel dynamique et très consommateur d’eau, et aussi parce
que deux guerres meurtrières et destructrices à 25 ans d’écart ont
signicativement ruiné ces patrimoines et rendu nécessaires des
réinvestissements sur des bases économiques d’une autre nature.
Les premières décennies du XXIème siècle, elles, se situent dans
un contexte radicalement différent : elles héritent d’un patrimoine
qui devient ancien et qu’il faut savoir renouveler, dans un
contexte de baisse durable des nances publiques et de réduction
structurelle des consommations : l’ensemble ne tiendra dans la
durée que si chacun fait, à son niveau, les efforts d’adaptation et
de gestion patrimoniale qui lui incombent, sans attendre ni les
secours hypothétiques des autres, ni les prochaines générations
pour résoudre à grand coût les problèmes qui peuvent aujourd’hui
trouver, à coût raisonnable, des solutions. Des 3 T résumés par
l’OCDE (taxes, tariffs and transfers), c’est sur le seul tarif qu’il
nous faut compter pour cette responsabilité patrimoniale, ce qui
n’est pas le plus simple. L’expérience des décennies passées est,
de ce fait, de peu d’intérêt, voire même mauvaise conseillère, car
bénéciant d’un tout autre contexte, et il nous faut hic et nunc
prendre ce sujet à bras le corps.
On le verra dans cet ouvrage, les situations locales sont très
différentes, et, s’il y a un corpus d’outils et de bonnes pratiques,
l’application au cas particulier est complexe et délicate : ceci
entretient l’idée que l’effort ne serait peut-être pas aussi nécessaire
que des techniciens, souvent suspects de perfectionnisme,
le prétendent, et qu’on pourrait tout au moins en reporter les
décisions en toute bonne conscience. Sans sous-estimer les
contraintes de l’immédiat, sans perfectionnisme, ce sont cette
fausse bonne conscience et cet aveuglement, confortés par le
confort passé, qu’il nous faut éviter, et cette responsabilité à
l’égard de prochaines générations qu’il nous faut assumer dans
un contexte nouveau.
Le guide intitulé « gestion patrimoniale des réseaux d’eau
potable – élaboration du descriptif détaillé des ouvrages de
transport et de distribution d’eau », publié en 2013 par l’ASTEE
en collaboration avec l’AITF et la FNCCR et avec le soutien de
l’ONEMA, a rencontré un grand succès et a servi de support à
de nombreux formations et échanges de pratiques. Nous avons
souhaité poursuivre cette collaboration fructueuse et aborder,
dans cet ouvrage très complet, écrit par des praticiens pour des
praticiens, les austères et complexes sujets de la conception des
plans d’action, des programmes pluriannuels d’investissement et
des exercices comptables et nanciers indispensables pour les
mettre en œuvre. Ecrit dans un style accessible à tous, mais précis,
documenté et approfondi, ce nouveau guide est un véritable outil
de travail opérationnel. Merci aux groupes de travail qui l’ont
élaboré, à Caty Werey, Sylvain Charrière, coordonnateurs de ces
groupes et à Dominique Gâtel, président de la commission eau
potable de l’ASTEE, qui ont, par leur énergie, mené à bien cette
importante entreprise.
Pierre-Alain Roche, Président de l’ASTEE
Préface