Entretien avec Henri Crohas Nous nous sommes rendus le jeudi 22 octobre 2009 au siège d’Archos, situé à Igny, en banlieue parisienne. Notre équipe était composée de Cajl pour JBMM et de Thocan pour ArchosLounge. Nous avons été reçus par Henri Crohas (le PDG d’Archos) et Virginie Bajan (PR & Communication Manager), pendant plus de deux heures riches d’information. Préambule Cet entretien a été préparé avec Hellena, membre émérite de la communauté Archosienne, qui a pu nous apporter une aide précieuse lors de l’élaboration des questions. Ce compte rendu est découpé en cinq parties, permettant de faciliter la lecture de cette interview longue, mais passionnante : • • • • • • • Episode Episode Episode Episode Episode Episode Episode 1 2 3 4 5 6 7 : : : : : : : PREAMBULE RETOUR SUR LA CONFERENCE L’ARCHOS 5IT : RUPTURE OU SIMPLE TRANSITION ? COUVERTURE DE PRESSE ET SANTE FINANCIERE PARTENAIRES CONCURRENCE ET EVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES CONCLUSIONS Retour sur la conférence AL&JBMM : Bonjour Henri Crohas et merci d’avoir accepté de nous consacrer du temps pour cette interview. Un mois s’est écoulé depuis la dernière conférence et l’annonce de l’Archos 5 Internet Tablet. Depuis désormais trois ans, Archos planifie des conférences pour le lancement de ses produits. Quel sentiment ces shows à l’américaine vous procurent-ils ? HC : La préparation de ce type de conférence est toujours un exercice difficile. Si je ne suis pas un grand communiquant, j’essaie de communiquer à bon escient. La communication vers la presse a toujours été pratiquée chez Archos, où on faisait beaucoup de road shows, plus à l’étranger qu’en France. L’étranger était favorisé car il était nécessaire qu’on s’y développe, qu’on s’y implante. Le premier combat d’Archos fut pendant longtemps aux Etats-Unis. Quand Archos a percé avec le Jukebox6000, c’était aux Etats-Unis. On est entré rapidement chez Best Buy et, d’emblée, nous avons obtenu des reviews extraordinaires. Aux USA, comme le pays est très grand, seules les très grandes entreprises font des conférences. Pour nous, il est préférable de passer par des road shows : Washington, New York, Chicago, Dallas, San Francisco, Los Angeles… à chaque fois en «one to one». Par la suite, nous avons été reconnus en France, mais ce n’est pas venu tout de suite. A l’époque, de nombreux journaux français avaient une réaction de dénigrement : «c’est français, donc ça ne peut pas marcher !». Aujourd’hui, nous avons désormais une très bonne image en France, même si la popularité génère forcément des détracteurs. AL&JBMM : Quel est le moment que vous préférez lors des présentations ? HC : D’une manière générale, effectuer ce genre de présentation est un moment d’émotion intense. AL&JBMM : Pourquoi avoir changé le format des conférences en 2008 (en petits comités presse) pour revenir au show à l’américaine en 2009 ? Ca coute probablement moins cher de faire une conférence en petit comité que de faire une conférence plénière… Or, cette année, Archos a réalisé deux grandes messes ! Quel est votre secret pour vous permettre de faire ces deux conférences alors que la société, tant française que votre propre entreprise, traverse de très grandes difficultés ? Serait-ce une conséquence de la présence de certains partenaires ? HC : Je ne peux pas le dire... même si ce n’est peut-être pas faux. Je pense que, à l’intérieur d’un budget marketing, c’est ce qui paie le mieux. C’est là où on a le meilleur retour sur investissement. Nous l’avons fait en France et en Grande Bretagne, nous avons réalisé un presse-tour en Allemagne et aux USA. Ensuite, le deuxième axe, c’est avec le retailer. C’est sur ces deux axes là que nous mettons notre budget marketing. L’année d’avant, nous avions fait moins et je pense que c’était une erreur. Un rythme de deux conférences par an est bon, même si on doit évidemment faire en sorte que ça puisse correspondre aux sorties des produits. AL&JBMM : Pour la communauté, en tous cas, c’est clairement ce qu’il y a de mieux ! Même si nous devons faire attentions à ce que nos serveurs ne s’écroulent pas sous la charge… (rires) Vous nous aviez donné rendez-vous à Las Vegas, avec la présentation de l’Archosphone... Y-a-t-il d’autres surprises à espérer ? HC : L’Archosphone à Las Vegas, je ne peux pas le promettre. Il y aura des annonces à Las Vegas, c’est sûr, mais les choses ne sont pas figées à ce point là. L’Archos 5IT : Rupture ou simple transition ? AL&JBMM : vous avez présenté lors de cette conférence l’Archos 5IT, qui est désormais disponible dans le commerce. Que représente pour vous cette nouvelle génération ? nous avons, en gros, avec d’autres, inventés le baladeur mp3 à disque dur. Puis nous avons inventé le baladeur vidéo, avec l’AV120 et surtout l’AV300. Et enfin, aujourd’hui, l’Archos 5IT qui constitue une nouvelle étape. HC : Comme je l’expliquais lors de la conférence, le succès de l’iPod Touch a été une surprise pour nous. Jusqu’en 2007-2008, Apple avait réalisé environ 3 millions de pièce et Archos en faisait globalement un pour 4, un pour 5. Et puis l’activité d’Archos a plongé pendant les années 2008-2009 et nous nous sommes retrouvés nichés dans le haut de gamme par Apple. Pendant ce temps, les autres concurrents ont déserté vers le bas de gamme... Puis, alors que tout laissait penser que l’iPod Touch ne marchait pas très bien et que les consommateurs s’étaient focalisés sur l’iPhone, on s’est aperçu que le Touch se vendait aux alentours de 3 produits pour 2 iPhone, alors que toute la communication et les budgets sont mis sur le téléphone d’Apple. Cela montre que le téléphone n’envahit finalement pas tout, même s’il empiète évidemment sur le marché des baladeurs. Il y a donc beaucoup de gens qui préfèrent avoir un téléphone normal dans la poche et un autre produit pour se divertir. Il se vend d’ailleurs actuellement un très grand nombre de baladeurs mp3 bas de gamme. Ce qui importe dans Android, c’est l’ouverture de la plateforme, c’est l’ouverture à toutes les applications. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore Marketplace, mais nous avons cependant bon espoir de l’avoir et, de toute manière, nous allons continuer de développer notre AppsLib car tous les produits Android ne seront pas forcément Marketplace. Or, nous allons aller plus loin que les tablettes d’aujourd’hui, où nous sommes actuellement face à l’iPod Touch, dans les mêmes prix (en gros entre 250 et 350 euros). Pourquoi c’est une grande rupture ? Je pense que nous pourrons faire de l’Android entre 100 et 200 dollars en 2010. Dès janvier/février, nous allons introduire de nouveaux produits qui ne seront pas des baladeurs 5 pouces, mais qui seront des produits différenciés et à moins de 200 euros. Et je pense qu’en 2011, nous arriverons à passer la barre des 100 euros avec ce type de produits. Cela veut dire qu’Android va envahir toute une catégorie de nouveaux marchés : des cadres photos, des PMP de grands écrans, jusqu’aux radioréveils… Android va donc nous permettre de déployer une gamme beaucoup plus large. Mais attention, je n’ai pas dit qu’Archos allait se mettre à fabriquer des radioréveils ! (rires) AL&JBMM : Ce succès semble même surprendre Google ! AL&JBMM : Estce une génération de transition, de rénovation ou de révolution ? HC : Il y a eu 3 ruptures fortes dans les produits Archos : la première fut avec le Jukebox6000 où HC : Google ne pensait pas forcément avoir ce succès, mais c’est surtout que Google aujourd’hui ne le veut pas ! Android est complètement libre, à l’inverse du Markeplace et des principales applications de Google (comme GoogleMaps). Google ne tient pas vraiment à avoir autant de succès, car Android a été conçu contre l’iPhone, les Nokia, Windows mobile etc. A mon avis, Android est fait pour promouvoir les applications web 2.0 de Google. Le browser est le sien. Une fois que le browser est présent dans le produit, c’est une force majeure sur le produit. Quand une société tient les mails, les applications bureautiques (type GoogleDocs), elle prend vraiment le pas sur les autres. Et c’est pour cela que Google ne souhaite pas mettre Marketplace sur tous les produits : un radioréveil ne va promouvoir ni Googlemaps, ni les mails… Cela ne sert pas la promotion pour l’environnement Google au final... AL&JBMM : Avez-vous vraiment appris au dernier moment l’incompatibilité de l’Archos 5IT avec ce portail ? HC : Les pourparlers laissaient penser que nous aurions accès au Marketplace... AL&JBMM : On parle beaucoup de l’absence de boussole et de caméra... HC : Je ne peux pas répondre à la place de Google. Mais je peux en revanche vous dire que nous allons sortir très bientôt des produits avec caméra et boussole. Je ne peux pas vous en dire plus… AL&JBMM : Des chinois annoncent pourtant des produits compatibles avec le Marketplace alors qu’ils n’ont pas de caméra... HC : Les chinois annoncent tout ce qu’ils veulent. Ils auront Android Market parce qu’ils l’auront mis sur leur produit, sans l’accord de Google. Archos pourrait très bien mettre également sur ses produits Android Market si nous n’étions pas respectueux des lois. Les chinois font des téléphones compatibles iPhones, avec les applications de l’iPhone dessus... Les protections n’ont pas résisté long- temps. On trouve toutes ces bidouilles sur Internet… Archos veut évidemment faire des produits Marketplace et on en fera. C’est une question de quelques mois, voire de semaines. Mais, en parallèle, sur les produits éloignés du monde de la téléphonie, on y trouvera également de l’Android, notamment dans les produits d’entrée de gamme. Ce qui nous permettra d’ajouter de nouvelles étagères à notre magasin. Au sein d’une même étagère, les produits se phagocytent entre eux, c’est donc intéressant pour nous d’ajouter d’en ajouter de nouvelles. Ainsi, en plus de notre étagère mp3/mp4, nous avons désormais l’étagère du netbook, un peu différente de celles des PC portables. Il y a également celle des téléphones, qui est extrêmement intéressante mais difficile à conquérir, mais vous savez déjà que nous avons des velléités de faire un téléphone. Nous persistons et j’espère qu’on va signer... AL&JBMM : Signer avec des opérateurs téléphoniques ? (rires) HC : Dans tous les sens du terme ! On peut en effet difficilement entrer dans la téléphonie sans le concours des opérateurs... Il y a également l’étagère du cadre photo, une belle étagère qui s’est construite assez rapidement. AL&JBMM : Pourquoi n’avez-vous pas investi dans ce domaine, qui paraissait très proche technologiquement du savoir faire d’Archos ? HC : Parce que nous n’avions pas mis encore en place notre nouvelle stratégie à l’époque et que nous sommes limités par nos forces internes. Les différents partenariats chinois qui sont mis actuellement en place pour les mp3, les mp4 et les netbooks permettent justement de dupliquer nos forces. En interne, nous faisons da- vantage de design, d’architecture produit et de marketing en aval, et cela nous permet d’étendre nos marchés, par le bas et le haut, et donc de le rééquilibrer : par le haut avec l’Archos 9 et les netbooks, par le bas grâce aux mp3/mp4 et à la démocratisation d’Android. Android va aller dans des produits plus démocratiques. AL&JBMM : Cela devrait vous permettre d’améliorer la cohérence de votre gamme, aujourd’hui éclatée sur plusieurs plateformes : Android, Windows, interfaces chinoises... Y aura-t-il des netbooks sous Android dans les prochaines années ? HC : Je ne pense pas. Tout dépend de ce qu’on appelle un netbook... Pour moi, un netbook c’est un PC avec de l’Intel et du Windows. Après, on parle de Smartbook... Mais je trouve que les Smartbooks sont des produits ambigus, coincés entre les produits Android et Windows... Les prix des netbooks descendent à une vitesse vertigineuse. Intel et Microsoft adaptent leur politique pour systématiquement arrêter l’entrée. Il faut se souvenir que l’entrée des netbooks a été réalisée sous Linux et que Microsoft a réussi à éjecter cet OS de la quasi totalité des netbooks du marché. AL&JBMM : A ce titre, qu’a donné votre tentative d’Archos 10 sous Ubuntu ? HC : Je crois qu’on a fait quelques centaines de pièces et voilà. C’était un test pour répondre à une catégorie précise de clients… AL&JBMM : Quel est le résultat de ce test ? Pensez-vous le réitérer dans le futur ? HC : Je ne sais pas, je ne peux pas répondre catégoriquement mais, en tous cas, ça n’attire pas les foules : les retailers n’en veulent plus parce qu’ils ont connu la phase où ils vendaient un PC et où les gens revenaient en disant que ça ne fonctionnait pas... Les gens ne se précipitent pas chez leur distributeur pour demander du Linux ! Hormis quelques consommateurs avertis. Pourtant, Linux a toute sa vertu sur les produits que nous concevons... Couverture de presse et santé financière AL&JBMM : Revenons à l’Archos 5IT… Quel est votre sentiment sur le lancement de ce nouveau produit ? Côté presse, les retours sur la conférence semblent avoir été extraordinaires mais, par contre, par la suite, la sortie précipitée d u produit, doté d’un firmware encore instable, a largement impacté les tests publiés par les sites internet... HC : D’une manière générale, la couverture presse est très importante en France et à également à l’étranger. Nous avons un bon effet de levier marketing, avec un retour sur investissement extraordinaire, même si cela demande beaucoup d’énergie. Cette année, la couverture presse est très bonne. En termes de critique produit, elle est bonne également mais il est vrai que certaines imperfections ont été relayées. Cependant, il est important de ne pas rater les saisons. Donc oui, on a eu quelques problèmes de démarrage, mais maintenant, je pense que les nouvelles versions de firmware sont bien meilleures et celle qui doit sortir dans une quinzaine de jours devrait à peu près tout stabiliser de manière solide. Avec cela, les critiques vont s’estomper. tique d’Amazon est de retirer le produit dès qu’il y a deux critiques négatives sur le même problème, jusqu’à ce que le problème soit parfaitement expliqué. Après, les concurrents ont tout fait pour monter ce cas en exergue, mais on repart désormais et ça se passe très bien. L’accueil du produit est bon. très bien. A chaque fois qu’il y a eu une vraie rupture entre deux générations, il faut attendre que la machine se mette en route… Et là, ça se passe AL&JBMM : Depuis 2007, Archos traverse de nombreuses difficultés financières et le dernier communiqué financier ne semble pas montrer d’amélioration… Quelle est la situation financière de l’entreprise aujourd’hui ? Quelles sont les perspectives ? HC : Vous comprendrez que je n’ai pas beaucoup plus à dire que ce qu’il y a dans le dernier communiqué de presse. L’élé-ment essentiel, que tout Aux USA, les produits Archos n’ont jamais été aussi bien distribués que cette année. AL&JBMM : Malgré la fermeture de Circuit City en début d’année ? HC : Oui. Il faut savoir qu’aux USA, il y avait quatre grands distributeurs et aujourd’hui, Best Buy domine, tout comme Dixon en Grande Bretagne. Best Buy domine devant Radio Shack et des généralistes comme Wallmart... Best Buy et Radio Shack ont pris l’Archos 5IT seul en face de l’iPod Touch, en le mettant en exergue... Même Amazon, alors qu’il y a eu un glitch... AL&JBMM : Ha oui, ça a fait grand bruit sur internet… Pour Amazon, il y a eu une série de produits qui sont partis chez le distributeur sans que les applications soient installées dessus. Le «bug» était donc déroutant pour le consommateur. Or, la poli- le monde a compris, c’est que nous sommes en train de préparer une augmentation de capital publique. Après, je ne peux pas davantage m’étendre sur le sujet... comme vous donner les caractéristiques de l’augmentation de capital. Une fois qu’elle sera réalisée, nous aurons vraiment tous les éléments pour repartir de l’avant. AL&JBMM : Par contre, pouvons-nous en déduire que si jamais l’augmentation de capital ne se réalisait pas, c’est un grand risque pour Archos d’ici la fin d’année ? HC : Oui, c’est ce que dit le communiqué de presse. Une augmentation de capital est nécessaire. Si ça n’est pas possible, nous verrons, il y a d’autres options. Le marché semble être favorable pour faire cette opération. Nous avons souhaité faire un communiqué le plus clair possible, afin de purger toutes les interrogations. Nous allons employer toute notre énergie pour la faire. AL&JBMM : Beaucoup d’actionnaires font actuellement le parallèle avec 2005, dans un élan d’espérance, quand l’action était descendue à deux euros. A l’époque, l’entrée d’EchoStar avait fait exploser le cours... Quelle est la relation actuelle entre Archos et EchoStar ? HC : D’abord sur le redressement, c’était en 2004. Nous avions rencontré EchoStar en 2004, mais ils ne sont rentrés au capital qu’en avril 2005, six à huit mois plus tard. Dans l’intervalle, l’AV400 a été un produit qui a cartonné. Archos s’est donc redressé tout seul, avant l’entrée d’EchoStar et ils ont fait effet de levier. L’idée d’EchoStar, c’était que nos produits pouvaient être liés aux leurs. Nous avons donc fait des produits pour eux, avec deux lancements qui se sont plutôt bien passés, mais EchoStar a finalement décidé que ce n’était pas un moyen de promotion efficace pour acquérir davantage d’abonnés. Ils ont donc changé leur fusil d’épaule depuis, ce qui fait qu’EchoStar est actuellement un actionnaire plus distant. Serein, mais distant puisqu’ils ont décidé de se retirer du conseil d’administration. AL&JBMM : La société a fortement réduit ses effectifs cette année. Comment cela s’est-il traduit dans votre organisation interne ? HC : Il y a eu effectivement une réduction d’effectif assez forte, mais qui correspond également à notre stratégie de partenariats où les compétences demandées en interne ne sont pas forcément les mêmes : nous avons besoins de plus de ressources en design, en logiciel et architecture et moins pour la production. Donc la société en elle-même n’en a pas beaucoup souffert, puisque nous avons pu maintenir voire accroître notre effort en R&D et optimisé notre organisation interne. Après deux années difficiles, nous avons cherché un nouveau mode de fonctionnement, que nous avons trouvé l’année dernière. Sa mise en place prend forcément plusieurs mois... AL&JBMM : Vous avez toujours été discrets sur le nombre de produits vendus, contrairement à Apple... Avez-vous une idée du nombre de produits vendus par Archos ? HC : C’est une colle, je ne sais pas... Je crois qu’on a du faire un milliard de CA. Et en termes de nombre de produits, ça doit faire de 3 à 5 millions de produits... On ne donne pas de chiffre en termes de vente de produits, car il y a peu de concurrents qui le font. Même pour Apple, il est nécessaire de faire des recoupements. Ce n’est pas forcément pertinent quand on a une gamme très différenciée en termes de prix. Nous avons des clippers à 30 euros... où la distribution prend des marges importantes. Partenaires AL&JBMM : L’Archos Media Club et Archos Content Portal semblent désormais au point mort : quelle est exactement la situation et que deviennent les partenaires ? HC : L’idée de l’époque, c’était que la vidéo primait et que la VOD allait beaucoup se développer. Nous avions donc mis en œuvre cette technologie de portail, qui était pour nous une excellente exposition marketing. Mais la vente de vidéo a évolué différemment puisqu’il y a, plus que jamais, de la vidéo sur internet, mais qu’elle est offerte sous d’autres formes : piratage, publicité, catch-up TV... L’AMC a donc perdu de son intérêt et la volonté d’avoir un iTunes vidéo fédérateur. Les services de VOD ne sont pas dans une forme extraordinaire et se font désormais différemment. AL&JBMM : Est-ce pour cela que vous avez ensuite proposé des WebTV et des WebRadios ? HC : Oui, c’est pour cela que nous avons mis ensuite l’accent dessus… La stratégie des AMC et ACP nous a cependant apporté beaucoup de visibilité mais aujourd’hui, les temps ont changé. AL&JBMM : Est-ce difficile de jongler avec les partenaires ? Lors des conférences, voir Microsoft monter sur scène alors que vous parliez au départ d’Android... HC : Non, ce n’est pas simple, mais en termes d’exposition c’est très important. En termes de partenariats également, même si on ne peut pas toujours en parler de manière ouverte. Tant que les produits ne sont pas sortis, il n’est pas forcément utile de parler des partenariats conclus... Nous avons aujourd’hui un produit qu’Intel et Microsoft considèrent comme révolutionnaire, et j’en voudrais pour preuve qu’Intel a montré ce produit lors de la conférence des développeurs. C’est l’Archos 9 qui a tout focalisé. Ce sont des gens qui aident bien, avec de gros budgets marketing. Et pour Orange, c’est qu’il y a un intérêt... AL&JBMM : C’est tout de même amusant de voir Orange et son « 4ème écran » six mois après SFR et son Archos 5 3G+ ! Les actionnaires sont désespérés de ne pas voir de partenaire pérenne… HC : Ca prouve surtout que les relations sont bonnes avec ces deux sociétés ! On entend des rumeurs qui se plaisent à dire que les relations sont devenues exécrables, mais c’est tout à fait faux... On peut désormais en parler a posteriori, mais nous avions effectivement avec Orange, il y a quelques années, un produit qui n’a pas abouti pour des raisons technologiques… Un produit qui ne collait pas dans le déploiement d’Orange. Aujourd’hui la relation avec Orange est demeurée très bonne, la preuve ! Alors oui, tout ne débouche pas sur des partenariats stratégiques, mais c’est le jeu de ce métier. Et la relation avec SFR est également très bonne. Le fait que nous puissions afficher de bonnes relations avec les deux opérateurs français est un bon signe ! AL&JBMM : Et le projet avec Alcatel annoncé en 2006 ? HC : On parle ici de TV mobile par satellite. C’est une technologie qui finira par percer. EchoStar fait des choses aux USA, Alcatel fait des choses en Europe en promouvant le DVB-SH. Ce sont des technologies extrêmement intéressantes, mais il faut désormais que le déploiement se fasse. Il y a eu un satellite lancé récemment par Solaris, après Barcelone (Ndlr : lors du Mobile World Congress, en février dernier) mais aujourd’hui, le satellite a des problèmes techniques. Donc tant que le réseau ne sera pas important, le projet ne se concrétisera pas. Le DVB-SH, c’est recevoir la TV partout, avec des antennes que nous pouvons mettre dans nos pro- duits. C’est plus intéressant que le DVB-H, la TNT mobile qui est également une technologie extraordinaire mais qui bute sur un modèle économique basé sur le déploiement coûteux d’émetteurs. Et pendant ce temps là, les débits de l’internet augmentent à tout allure et la TV sur internet se déploie même si elle reste encore très balbutiante… AL&JBMM : L’Europe investit sur le DVB-SH... HC : Oui, pour moi, c’est une technologie qui finira par percer. Mais il faut que quelqu’un puisse investir dans un réseau satellitaire. Ce sont des satellites qui doivent être très puissants, car ils doivent compenser le fait qu’il n’y a plus de parabole. AL&JBMM : Vous avez évoqué le pôle System@ tic lors de la dernière conférence. Que pouvez-vous nous en dire ? HC : C’est une politique très intelligente de la part de l’Etat, ce qui n’a pas été toujours le cas, et qui ne fonctionnent pas mal. Il y a des projets avec un leader pour chacun d’entre eux : Archos était leader du projet E-compagnon, projet désormais terminé, qui nous a permis de développer des briques de l’Archos 5. Nous cherchons actuellement à lancer d’autres projets de ce type là. Cette politique est gérée au niveau de la région, sous forme de pôles. C’est la région et le pôle qui décide des projets. C’est une fédération régionale intelligente. Le siège est à Saclay, il y a un pôle parisien dans lequel nous sommes. AL&JBMM : Archos se diversifie et des concurrents font le chemin inverse en venant empiéter sur les terres d’Archos. Quelles sont les sociétés sur lesquelles vous focalisez le plus votre attention... à part Apple ! HTC par exemple ? HC : Incontestablement, le concurrent dominant, c’est Apple, même si nous ne cherchons pas forcément à le concurrencer. Nous cherchons justement à sortir de notre étagère de produits hauts de gamme concurrents d’Apple, qui est une niche trop étroite. En entrée de gamme, avec les baladeurs mp3 et mp4, le nombre de concurrents a sérieusement diminué et on retrouve surtout aujourd’hui les marques Sony, Samsung, Philips... et aux USA SanDisk et Creative Labs. Il n’y a pratiquement plus de marques chinoises. C’est la caractéristique d’un marché mature où la reconnaissance des marques joue beaucoup. Il y a deux ans, quand nous nous étions retirés de ce marché, les no-names chinoises étaient partout et aujourd’hui, c’est le retour des marques. Il s’est produit la même chose avec les ordinateurs, par exemple. Du côté des téléphones, HTC va faire des écrans presque aussi grands que nous, car le multimédia devient une caractéristique du téléphone. Faire du bon multimédia, ce n’est pas si facile que cela. Du côté du PC et des netbooks, le jeu est complètement inversé puisque c’est Archos qui est nouvel entrant. C’est un marché très difficile, puisque tenu par des «gros», et sur lequel on ne peut entrer que sous deux axes : l’innovation et la thématique. A ce titre, l’éducation est un très bon thème, mais de longue haleine et uniquement français. AL&JBMM : Les actionnaires se demandent justement quand arriveront les premières ventes de cartables numériques.... HC : C’est un sujet de longue haleine. Surtout en France. Il n’y a pas de politique massive de déploiement d’ordinateurs pour écolier, mais ça se fera. Les écoliers auront ce type d’équipements entre les mains, c’est un sujet dans l’ère du temps et qui va se faire. Il faut savoir que, pour distribuer des cartables numériques dans les écoles rurales, ce sont des processus longs, comme tous les processus de l’état, avec beaucoup d’inertie. AL&JBMM : Et ce n’est effectivement pas des communes de moins de 5 000 habitants qui vont publier un communiqué de presse ! N’est-ce pas finalement très chronophage ? HC : Dans ce marché des netbooks auquel je tiens, l’angle de l’éducation a de l’inertie, mais c’est un investissement lourd et à long terme. Il faut savoir que ce n’est pas nous qui allons taper aux portes mais des grossistes distributeurs (la Camif, par exemple) qui proposent ce type de produits packagés avec l’ensemble présenté à la conférence de juin. L’autre angle, c’est l’innovation avec l’Archos 9. Les autres netbooks sont des produits d’opportunités et de négoce. Il n’est pas question de réellement concurrencer Acer... Concurrences et évolutions tehnologiques AL&JBMM : Y a-t-il des concurrents ou des produits qui vous surprennent ? Microsoft. Il y aura donc de toute manière une demande intéressante pour un vrai PC. HC : Il y a tellement de choses que nous aurions dû faire... (rires) Les produits qui surprennent ne sont pas forcément ceux qui réussissent. Le Palm Pré, par exemple, est un produit remarquable mais il n’y arrive apparemment pas. C’est pourtant un produit très intéressant... A l’inverse, dans les produits qui fonctionnent bien, le succès de l’ebook est également intéressant... Je n’y croyais pas vraiment, mais Amazon semble réussir (Ndlr : avec son Kindle). C’est un marché que nous regardons désormais. AL&JBMM : Aujourd’hui, les gens sont habitués au «toucher tactile» à la façon Apple. Ce qui est inquiétant avec l’A9, c’est qu’on en revient au stylet ou au pad. Double cliquer avec le doigt ne marche pas... Amazon a quelques avantages pour promouvoir son produit : son contenu numérique, ses clients... AL&JBMM : Quel est votre sentiment par rapport à la tablette d’Apple ? On a vu avec l’Archos SFR, que le système de tablette 3G qui oblige à acquérir un abonnement supplémentaire, ne fonctionne pas. C’est un frein majeur à ce type de produit. La tablette d’Apple étant pressentie comme chère, 800 ou 900 euros, avec un OS dérivé de l’iPhone qui ne permet pas d’y installer les applications classiques d’un Macbook, et probablement une connexion 3G, pensezvous qu’Apple va réussir ce que vous n’avez pas réussi à faire avec l’Archos 3G+ de SFR ? HC : Peut-être bien, c’est souvent le cas. Cette équation n’est pas simple, mais Apple a les consommateurs les plus déraisonnables du monde ! Les opérateurs cherchent ce marché là, ils ne demandent qu’à mettre des clefs 3G dans les PC. C’est lourd pour les réseaux, mais ils le cherchent tout de même. Apple est capable de vendre des produits que personne d’autres n’arrive à vendre. L’équation consommateur est très difficile. AL&JBMM : Est-ce que cela va être l’actualité majeure de 2010 ? HC : Non, je n’espère pas. J’espère qu’il y aura autre chose que ça. Ce produit, peut-être à tort, ne m’inquiète pas. L’Archos 9 est un vrai PC, Intel HC : Il y a forcément une phase d’adaptation. Windows 7 starter n’est pas entièrement adapté pour une utilisation tactile. Cependant nous avons travaillé dans le but d’optimiser la navigation au doigt notamment pour le double clic, le clic droit ou encore la navigation web. C’est pour cela que nous proposons également un clavier bluetooth très fin pour les applications classiques. Il n’y a de toute manière rien de mieux qu’un clavier pour saisir un texte ! Une tablette, c’est avant tout pour d’autres usages que la frappe. Nous sommes approchés par de nombreux professionnels divers qui ont besoin d’un outil pour exposer quelque chose à un client, pour saisir rapidement des mesures, etc. L’Archos 9 peut répondre à leurs attentes. AL&JBMM : Archos semble avoir choisi une autre voie de développement que le multi-touch. Quels sont les raisons et les avantages de ce choix ? Est-il amener à perdurer ? HC : La technologie capacitive est très intéressante, puisqu’on n’a alors pas besoin de réellement appuyer sur l’écran, mais elle est beaucoup plus chère que la technologie résistive qui, elle, a fait beaucoup de progrès. Aujourd’hui, nous avons déjà un écran très réactif et dans le futur, ça sera encore mieux. Son coût est plus bas et permet de faire des produits plus fins car, pour intégrer un écran capacitif, il faut forcément une vitre assez importante et mettre le capteur sous la vitre, ce qui consomme pas mal d’épaisseur. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que le capacitif et le résistif perdurent ensemble. De nombreux smartphones tels que ceux de HTC sont capacitifs, alors que le tout dernier de la gamme, le Tatoo est redevenu résistif. Pourquoi ? A cause de ces deux raisons : différence de prix et épaisseur du produit. Le capacitif est également limité en taille d’écran : quand on fait augmenter la taille des dalles, le prix monte très rapidement et la dalle devient très imprécise. Voilà pourquoi les deux technologies perdurent. Mais ce n’est pas une religion, chez Archos... AL&JBMM : Et pour le disque dur, a-t-il encore un avenir chez Archos ? Avec la nouvelle génération, il y a une différence très importante entre les deux versions de l’Archos 5IT… HC : Oui, il a encore un avenir car il y a une catégorie d’utilisateurs, et c’est beaucoup la notre, qui veut de la capacité. Pour pleins de raisons : des gens qui aiment le film, la vidéo et l’arrivée de la HD accroit encore cette demande, notamment chez les professionnels. Néanmoins, la mémoire flash continue de voir baisser ses prix et, en parallèle, la taille des disques durs ne diminue plus. Au contraire, même, il y a eu des disques durs en 1», ils ont été abandonnés. Il n’y a plus aujourd’hui qu’un seul fournisseur de disques durs 1,8» qui alimente l’iPod Classic d’Apple, gamme qui se vend désormais très peu par rapport aux autres produits d’Apple. Il n’y a plus de petits disques à cause de la concurrence de la flash. AL&JBMM : La technologie 1,8» est-elle encore trop onéreuse ? HC : Le rapport entre le prix de la flash et celui du disque dur 1,8» fait qu’on préfère désormais aller vers la flash. On est d’ailleurs revenu en arrière par rapport à l’année dernière : avec la Gen6, le produit de centre de gamme était le 60Go, aujourd’hui c’est le 32Go. Mais le consommateur de produits Archos va peut-être dé- cider qu’il privilégie le produit le plus fin et léger au détriment de la capacité... AL&JBMM : Le 64Go est-il d’ailleurs toujours prévu ? HC : Oui, il va bientôt arriver. Mais 64Go de flash est plus cher qu’un disque dur de capacité équivalente... AL&JBMM : Comme il faut toujours savoir être un peu désagréable au cours d’un entretien (rires), pouvez-vous nous éclairer sur les accessoires qui ont été abandonnés ces dernières années ? C’est en effet un phénomène un peu récurrent chez Archos : chaque génération a des accessoires qui ne voient jamais le jour... La TVPortation en 2007 et la clef 3G en 2008 n’ont pas vu le jour, la FM Remote a sauté une génération... HC : Pour la TVPortation, elle a été abandonnée car le marché n’était probablement pas là et notre partenaire EchoStar est le champion de la TVPortation dans le monde, grâce à son rachat de Sling. Finalement, c’est une technologie qui est en concurrence avec tous les catch-up TV qu’on peut avoir sur internet. Dès lors, pourquoi regarder ses propres émissions provenant de chez soi si, en parallèle, on peut les avoir directement sur l’internet un peu partout... A un moment, on a été confronté à cette constatation là et on donc abandonné cette technologie. AL&JBMM : Et pour la clef 3G ? Elle avait été annoncée l’année dernière par Rémi... (NDLR : Rémi Durand) HC : Il s’est trompé d’année, c’est tout... (rires) AL&JBMM : Ça marche, cette année ? HC : En théorie, elle fonctionne, mais il faut paramétrer les clefs avec les critères de l’opérateur. Tout est là pour que ça marche, mais il faut qu’on remette ça au goût du jour... Cette année, nous nous sommes surtout focalisés sur le tethering, qui est une superbe alternative pour ne pas payer un abonnement internet supplémentaire et pouvoir toujours être connecté... musique sur eux. Et pour la vidéo, c’est la même histoire... Donc là, oui, j’avais une vision mais pour le reste... AL&JBMM : Le reste, c’était quoi ? La télévision ? HC : C’était la télévision, oui. Mais la télévision n’a pas été le grand moteur escompté, car on voit bien que la TV recule devant l’internet, à une vitesse impressionnante... AL&JBMM : « One more thing» ! Dans vos rêves les plus fous au lancement du JukeBox 6000, il y a 10 ans, comment envisagez-vous vos baladeurs aujourd’hui ? Etait-ce globalement fidèle à la réalité d’aujourd’hui ou bien aviez-vous un peu la vision du XXème siècle de Jules Vernes ? HC : Non, j’avais une vision semblable à celle de Jules Vernes : on voit les tendances du marché, mais le marché va extrêmement vite et notre vision se limite à un ou deux ans. Tout cela est extrêmement mouvant : je ne peux pas dire que je vois, en termes de produit, plus loin que l’année prochaine. En 2000, j’avais cependant certainement la vision qu’il fallait de la vidéo. C’était une évidence, même si beaucoup n’y croyaient pas, car ils pensaient qu’on n’avait pas besoin d’avoir autant de musique dans la poche. Et c’est vrai : on a pas besoin d’avoir autant de musique dans la poche. Sauf que les gens ont tout de même une quantité impressionnante de AL&JBMM : Voilà maintenant deux heures que nous discutons ensemble et nous ne voulons pas vous retenir plus longtemps. Un grand merci pour cet entretien fort agréable et instructif… Conclusion Avoir un long entretien avec Henri Crohas est une « aventure » rare, la dernière remontant au lancement du 605, en 2007. Nous avons pu constater que sa passion est toujours là. Pouvoir poser nos questions sans tabou et obtenir des réponses franches quasiment du tac au tac, sur l’ensemble des sujets abordés, nous a permis d’entrevoir et de comprendre le prochain virage d’Archos sous 3 axes : • Il est d’abord financier, car l’augmentation de capital est nécessaire pour assurer la pérennité du développement d’Archos. • Il est ensuite technique, car le portage Android est un combat ambitieux et motivant tout en gardant les spécificités archosiennes. • Il est enfin commercial, car Archos doit rester présent sur un marché en pleine mutation. La société se doit de gagner de nouvelles étagères grâces à des produits aussi bien High Tech qu’ultra simples. Les deux communautés que sont ArchosLounge et JBMM seront toujours aussi présentes et passionnées, leur but n’étant pas de dénigrer ou d’encenser Archos abusivement, mais d’aider cette PME française à comprendre les attentes des anciens mais aussi des futurs archosiens. A Archos, en revanche, de tout mettre en œuvre pour que ce virage débouche sur une longue ligne droite plutôt que sur une impasse... Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. Beaumarchais, « Le Mariage de Figaro » Crédits photos : Archos, ArchosLounge, Clubic, GeekInc., JBMM, Le Monde, Mobile-actus, PCPOP