Compte-rendu de la session Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Paris – Centre universitaire des Saints Pères 5 juin 2013 Modérateurs : Colette MENARD, Inpes et Benoît FELIX, CRIPS Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Introduction Colette MENARD Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) La présente session a été organisée par l’Inpes en collaboration avec l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) représenté par son directeur Olivier Toche, avec l’Ecole des parents et des éducateurs représentée par Mirenxtu Bacquerie, avec le Centre régional d’information et de prévention du SIDA (CRIPS) d’Île-de-France représenté par Benoît Félix, avec David Heard, responsable du département des campagnes de l’Inpes et Annick Gardies, directrice de l’information et de la communication de l’Inpes. Au cours de la matinée, nous mobiliserons divers experts pour dresser un état des connaissances relatives aux jeunes avant d’aborder concrètement, à l’occasion des débats de l’après-midi, des dispositifs de communication en direction des jeunes publics. Annick GARDIES Directrice de l’information et de la communication de l’Inpes La ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, vient tout juste d’évoquer en ouverture de nos Journées la communication et le nécessaire ciblage des publics auxquels elle s’adresse : en vous proposant une session sur la communication en direction des adolescents, nous voici donc au cœur des enjeux ! La communication dans le domaine de la santé publique est une notion qui interroge, inquiète voire effraie. Pourtant, en matière de prévention et de promotion de la santé, il convient d’encourager chacun à prendre en charge sa santé et à adopter des comportements favorables au bien-être physique, mental et social. Aussi, comment atteindre cet objectif si ce n’est en suscitant un désir de changement ? Comment donner envie de changer et comment réussir à nouer le contact avec les jeunes ? La problématique est complexe et questionne les différents acteurs de la prévention. Elle désarçonne et fascine à la fois, les jeunes demeurant un objet de questionnement et d’attention pour chacun d’entre nous. Nous éprouvons le besoin de comprendre leur psychologie, leurs comportements tandis que leur santé nous préoccupe. Pourtant, comme en témoignent les études, et les tout derniers résultats du Baromètre santé jeunes de l’Inpes sont là pour le réaffirmer : les jeunes sont plutôt en bonne santé 1. Les jeunes sont au cœur des actions de terrain et au cœur des politiques publiques, car chacun sait que plus les habitudes de vie favorables à la santé sont prises tôt, plus elles portent leurs fruits. La communication en promotion de la santé étant également l’un des domaines d’expertise de l’Inpes, il apparaissait donc légitime de mettre en avant ce sujet à l’occasion de la huitième édition des Journées de la prévention. Au travers de cette mise en exergue, il s’agissait de prolonger une action amorcée dès les années 90, notamment par l’intermédiaire d’une étude pilotée par le Comité français d’éducation pour la santé (CFES), prédécesseur de l’Inpes. Ladite étude, intitulée « La communication sur la santé auprès des jeunes », permettait déjà de conclure qu’il était crucial de nouer une relation avec les jeunes. Qu’il fallait par conséquent travailler sur le présent 1 Pour plus d’informations, voir les résultats récemment édités du Baromètre santé-jeunes de l’Inpes de 2010 : www.inpes.sante.fr/Barometres/barometre-sante-2010 2 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? et l’immédiateté, insister sur des valeurs plutôt que sur des bénéfices en termes de santé. Cette étude illustrait, déjà en 1990, le caractère indispensable de la multiplication des approches créatives, de la mobilisation de ressorts de communication comme l’émotion, l’humour voire la peur, à condition que celle-ci soit savamment dosée. Enfin, elle faisait apparaître la nécessité d’être présent à l’occasion des événements investis par les jeunes (festivals, concerts…). L’Inpes a donc travaillé au fur et à mesure des années à partir des indications de ses études et de son Baromètre santé-jeunes. A titre d’exemple, l’Inpes a investi le sujet de l’entrée en sexualité au travers d’une web-série PuceauX. Par l’intermédiaire du site internet on sexprime.fr2, l’Inpes travaille par ailleurs sur les addictions au tabac, à l’alcool et aux drogues illicites. Certaines campagnes, telles que Toxicorp, Le cannabis est une réalité, Contre les drogues chacun peut agir ou le manga Attraction sont autant d’exemples de stratégies de communication marquantes. Face au catalogue de ces dispositifs, vous pourriez légitimement vous interroger sur leur impact réel. Aujourd’hui, grâce à Internet, nous disposons de nouveaux éléments d’évaluation qui tendent à confirmer le succès de ces opérations qui génèrent des centaines de milliers voire de millions de pages vues. Preuve de l’intérêt que les jeunes y portent. De plus, les dispositifs d’information et de communication sont reconnus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l’une des dix stratégies efficaces dans le cadre par exemple de la lutte contre le tabagisme. C’est d’ailleurs à ce titre que les campagnes de communication anti-tabac sont aujourd’hui déclinées dans plus de 20 pays dans le monde. Il est donc possible d’intéresser les jeunes à la prévention. En effet, certains discours retiennent leur attention et suscitent leur adhésion. Il ne s’agit cependant pas d’un processus mécanique et seule la complémentarité des actions assure l’efficacité de la communication. Une campagne de communication vise à alerter, à donner une visibilité à un sujet, à délivrer un message, etc. Néanmoins, pour obtenir un effet, il est nécessaire de communiquer dans la durée, continuellement, et de multiplier les approches créatives et les canaux de diffusion. Les campagnes créent un terrain favorable aux changements de comportement mais nécessitent d’être relayées par des actions de proximité plus pédagogiques et pérennes. Les campagnes de communication nécessitent également d’être relayées par des pairs. Or, ces pairs aujourd’hui se trouvent souvent sur les réseaux sociaux et sur le web. Il nous faut donc conquérir les jeunes là où ils sont : c’est-à-dire sur le web. Il faut leur donner le désir d’adopter des comportements favorables à leur santé au travers des moyens et des techniques de leur époque. Grâce à cette délicate alchimie alliant opérations de communication, actions interindividuelles et actions de terrain, nous réussirons tous ensemble. Car en promotion de la santé, et tout particulièrement en communication, il n’existe pas de recette miraculeuse. Certaines actions fonctionnent, d’autres sont plus ou moins efficaces mais dans tous les cas, la duplication du succès n’est pas chose aisée. Ceci dit, en communication comme ailleurs, l’expérience des uns peut faire le bonheur des autres. C’est la raison pour laquelle nous avons construit cette journée de façon à ce qu’elle constitue un temps de partage, d’écoute et d’échange. Je vous souhaite une bonne journée ! 2 www.onsexprime.fr 3 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Adolescence : état des connaissances Un portrait socio-comportemental des jeunes La jeunesse, objet immémorial de représentations des adultes Patrice HUERRE Pédopsychiatre3 Les jeunes ont toujours constitué une surface importante de projection pour les adultes. En effet, les adultes ont de tout temps projeté sur les adolescents leurs craintes et leurs espoirs selon les périodes de l’Histoire ainsi que nombre de leurs fantasmes. Notre époque n’est pas avare de ces fantasmes, comme l’illustre le fait que 75 % des parents s’inquiètent au sujet de leurs adolescents et font état d’un malaise de leur progéniture. Parallèlement, 75 % desdits adolescents se trouvent bien à l’école, en famille et sont plutôt optimistes vis-à-vis de l’avenir. Aussi, dans l’approche de la jeunesse, il convient de se méfier de nos représentations d’adultes qui témoignent davantage de nos inquiétudes que de la manière dont les adolescents voient le monde. Par ailleurs, les adolescents actuels ne sont pas des mutants qui nécessitent de dépêcher des spécialistes des tribus primitives pour en comprendre les us et coutumes. En effet, les adolescents d’aujourd’hui sont occupés par les mêmes questions que les générations précédentes même si les formes de réponses proposées diffèrent. Les questions qui les occupent – en particulier les changements pubertaires – demeurent néanmoins identiques et le temps de leur résolution n’a pas varié. La représentation négative de la jeunesse n’est pas nouvelle. Dès l’antiquité, Hésiode considérait qu’avec la jeunesse qu’il observait, le monde courait à sa perte. En revanche, la nouveauté réside dans notre formidable capacité d’amnésie. Par ailleurs, les théories relatives à la jeunesse fleurissent en période de crise et de grands changements sociaux. Ces théories rendent invariablement compte des inquiétudes des contemporains. Ainsi, la place faite à la jeunesse correspond à deux grandes caractéristiques historiques : d’une part, lors de circonstances guerrières ou révolutionnaires, la jeunesse est l’objet de louanges. D’autre part, à l’occasion de périodes plus calmes, la jeunesse dérange invariablement. Ainsi, au cours des périodes de crise, aucune place n’est faite à la jeunesse et la tendance est au maintien de la place des adultes. Ce mécanisme se retrouve dans l’ensemble des sociétés animales. En effet, le groupe des juvéniles fera en permanence l’objet de mesures d’inclusion ou d’exclusion du groupe en fonction des conditions écologiques du territoire. Dans ce cadre, il est une bonne chose de prévenir et non « d’avoir des préventions ». Or, l’époque se caractérise plutôt par le fait « d’avoir des préventions ». Malgré cela, les jeunes vont globalement bien, et globalement mieux que les générations précédentes. En revanche, un écart se creuse entre des jeunes qui vont bien – et ceux-ci sont de plus en plus nombreux – et les jeunes 3 Patrice Huerre est psychiatre des hôpitaux et psychanalyste, ancien chef de service en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Vice-président de la maison des adolescents des Hauts-de-Seine, il a été à l’origine de l’établissement de deux cliniques spécialisées dans les soins et l’étude des adolescents. Depuis plus de 30 ans, il s’est spécialisé sur les problématiques de prévention et de soins des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Il préside par ailleurs l’institut virtuel de Seine-Ouest et occupe la charge de membre du collège international de l’adolescent. A l’échelle nationale, il est coordinateur des unités d’hospitalisation des jeunes adolescents du groupe ORPEA-CLINEA 4 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? les plus vulnérables dont la situation s’aggrave. S’agissant du rapport au changement, les jeunes ne semblent pas réfractaires à celui-ci ou effrayés par lui, au contraire des adultes. En revanche, dans une période qui privilégie les réponses – voir « la réponse » - aux questions, l’absence de formulation des questions engendre des réponses inadaptées. Des adolescents d’aujourd’hui pas si différents des adolescents d’hier Le groupe d’âge des jeunes se caractérise à la fois par des constantes et des changements. Au rang des constantes, leur corps change et les transformations pubertaires n’ont pas encore été évincées par les évolutions technologiques. Cette maturation demeure à cet égard déterminante pour la suite du parcours de l’adolescent. En outre, les jeunes d’aujourd’hui, à l’image des générations précédentes, expriment un désir d’appartenance générationnelle qui évolue néanmoins vers un sentiment d’appartenance à des groupes d’âge de plus en plus étroits. Ainsi, le sentiment d’appartenance s’oriente des groupes des collégiens et des lycées à des subdivisions plus fines des groupes d’âge. Alors que le rapport des jeunes à leurs camarades du même âge conserve toute sa vivacité, les jeunes manifestent des attentes identiques vis-à-vis des adultes. En effet, les études témoignent du fait que les parents conservent la première place du « hit-parade » des adultes importants, une situation souvent autrement perçue par les parents eux-mêmes. Pourtant, les jeunes ne maltraitent leurs parents qu’en raison d’un fort investissement affectif. Dans le cas contraire, l’indifférence et la cohabitation pacifique seraient la règle. De manière générale, les figures d’adultes rencontrées à l’occasion du parcours d’un adolescent sont constamment investies d’attentes. Parallèlement, le besoin de transmission est de plus en plus fort. Dans une période qui privilégie le présent et l’immédiat, ce besoin d’inscription dans une histoire et une filiation culturelle ou familiale apparaît prégnant. Une fois encore, l’adolescent feindra l’indifférence vis-à-vis des parcours de vie familiaux mais n’en perdra cependant pas une miette. L’un des problèmes principaux des adultes réside dans l’inversion des attentes. En effet, les attentes classiques de l’enfant correspondaient à obtenir l’assurance de l’amour de ses parents. Or, la dynamique est actuellement inverse et de nombreux parents cherchent à être rassurés sur l’amour de leurs enfants. Dans ce cadre, de nombreux parents arrivent en consultation effondrés parce que leur enfant leur a dit « je ne t’aime plus », vivant cette réaction ordinaire comme une atteinte directe au modèle du bon parent qu’ils avaient endossé. Enfin, les jeunes se caractérisent toujours par un besoin d’exploration. La jeunesse est caractérisée par le besoin d’exploration de son être, de ses capacités et de ses compétences. Cette exploration amène à côtoyer les limites d’un « soi » pour partie inconnu. Cette démarche d’exploration est improprement qualifiée de « prise de risques ». Or, le fait de prendre des risques correspond au fait de prendre possession d’un territoire mais aussi de capacités physiques et relationnelles nouvelles. Dans cette perspective, ce besoin d’exploration et de « prise de risques » apparaît fondamental. Les écueils de l’hyperstimulation des enfants Au rang des changements, quelques données nouvelles appellent une attention particulière. Les adolescents d’aujourd’hui sont les bébés d’hier. Or, ces anciens bébés sont depuis une quinzaine d’années l’objet de nombreuses sollicitations bien intentionnées dont nous savons que l’enfer est pavé. En effet, de nombreux parents estiment qu’en stimulant précocement leur enfant, ils l’aideront à s’inscrire plus facilement dans le monde de demain et dans la grande compétition mondiale qui l’attend. Ainsi, les berceaux sont dès la naissance submergés de jeux à haute valeur technologique qui ont vocation à développer les compétences des enfants au travers de diverses 5 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? stimulations sensorielles Ces stimulations expliquent la multiplication des cas d’enfants réputés turbulents, trop rapidement catalogués « hyperactifs » et rangés du côté de la pathologie. Plutôt qu’hyperactifs, ces enfants sont des enfants « hyperactivés ». Pour cette raison, il convient de chercher davantage le remède du côté de la désactivation que du côté d’une éventuelle pathologie de l’enfant. Depuis quelques années, nombreux sont ceux qui identifient une « épidémie » d’enfants précoces et dénoncent une école incapable de répondre à leurs talents intellectuels. Ces phénomènes traduisent cette volonté bien intentionnée d’une progression rapide de l’enfant. A cet égard, nous assistons au développement d’officines préparant dès la maternelle l’entrée des enfants au cours préparatoire, comme si cette entrée déterminait l’avenir à 30 ans. Ce renforcement de la stimulation précoce correspond à un véritable problème de santé publique. En effet, ces phénomènes ont tendance à projeter les enfants dans des situations inadaptées, dans un bannissement du temps du jeu gratuit ou de la rêverie au profit d’une activité qui tendrait à l’activisme, d’emploi du temps juvénile susceptible de faire frémir des adultes en bonne santé. Ces dynamiques aboutissent à un effacement de la période fondamentale de latence 4 au détriment de l’enfance et de l’appréhension de la puberté. De cette manière, des enfants intègrent hyperactivés l’enseignement primaire et forment ensuite des enfants se comportant comme des adolescents sans l’être physiquement. Il s’agit ainsi de réhabiliter l’enfance comme étape nécessaire. Ces phénomènes se traduisent par un nombre croissant d’adolescents –parmi les plus vulnérablesrecherchant des stimulations leur faisant défaut à l’école. Parmi ces stimulations, certains adolescents rechercheront la scarification, l’alcoolisation et la prise de risque comme autant de manières de soutenir un sentiment d’existence qui serait à défaut mis en péril et menacé par des épisodes d’effondrement dépressif en l’absence de cette autostimulation. Ces phénomènes sont également susceptibles de se traduire par le découragement d’adolescents qui se mettraient dans une situation de retrait scolaire et social. Malgré ce tableau de changements problématiques qui interrogent nos pratiques précoces avec les enfants, il convient de rappeler que la plupart des adolescents s’inscrivent dans un mouvement de créativité et de curiosité à l’égard du monde. Parmi les données nouvelles pour les jeunes, les univers numériques ne peuvent être passés sous silence. Cependant, si les supports changent en charriant leur lot d’avantages et de craintes parentales, les enjeux demeurent les mêmes. Actuellement, la moyenne nationale d’envoi de SMS par un adolescent s’élève à 84 par jour, ce qui matérialise une fracture générationnelle. Un signe de bonne santé de l’adolescent sera un usage modéré des SMS et des réseaux sociaux. A contrario, les adolescents qui n’utiliseraient pas ces outils pourraient aujourd’hui nous inquiéter, dans une inversion de nos systèmes de repérages. Ainsi, l’excès ou la carence d’usage de ces moyens de communication peuvent révéler une certaine difficulté à être avec les autres et avec le monde. Cependant, les réseaux sociaux s’ajustent à une demande évolutive, notamment en matière de rajeunissement. A titre d’exemple, de nouveaux réseaux sociaux émergent et relèguent les précédents au rang d’antiquité. En effet, pour un enfant d’une dizaine d’années, Facebook est un réseau social de « vieux », les « vieux » correspondant aux adolescents de 15 à 16 ans dans un renforcement de la subdivision générationnelle. Quels besoins pour les jeunes ? En premier lieu, il convient de rappeler le rôle des parents et des adultes. D’une certaine façon, les adolescents cherchent désespérément des figures adultes tenant leur place. En effet, une 4 Entre l’âge de six ans et le début de la puberté, cette période met progressivement en phase l’activité psychique primaire de l’enfant avec son développement corporel 6 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? position adulte fondée sur une histoire de vie peut être soutenue sans rigidité et recherchée par l’adolescent comme point de repère dans une construction identitaire. Sans cette balise, il est très difficile pour l’adolescent de pouvoir se situer. Certes, les adolescents « nous cherchent » mais le véritable enjeu est de savoir s’ils « nous trouvent ». Ensuite, il conviendrait d’opérer une révision de notre manière de considérer la première enfance. Si j’étais dans la position du décideur, je réhabiliterais grandement les métiers de la première enfance, non pas dans la recherche d’une hyperstimulation mais dans l’objectif d’une rencontre du tout-petit avec des adultes bienveillants qui lui offrent des territoires de jeu et des espaces de créativité et découverte. Ce chantier exigerait une meilleure formation des personnels et une revalorisation financière de ces métiers. Enfin, il apparaît crucial de procéder à une réhabilitation du jeu. La capacité de jeu acquise au cours des premiers temps de la vie, permise par des dispositifs relationnels adaptés, ouvre une capacité de jeu en matière d’apprentissage, de rapport au savoir et dans les relations à autrui. Il est ainsi nécessaire de réintroduire cette dimension du jeu qui présente des conséquences durables jusqu’à l’âge adulte. A titre d’exemple, un enfant ennuyé par nos discussions d’adultes à l’occasion d’une consultation s’était mis à faire voler un feutre. Je lui demandai alors ce qu’il faisait et il me répondit « je pars en avion ». Je lui proposai alors de l’accompagner et il accéda à ma requête. Nous sommes partis en voyage, traversant les nuages avant d’atterrir de l’autre côté de l’Atlantique après un périple de quelques minutes quand le père, la mine effarée me demanda « Docteur, avez-vous remarqué qu’il s’agit d’un stylo feutre ? ». Ainsi, même chez les personnes intégrées d’un point de vue socio-professionnel, l’impact du manque de jeu peut être durable. Vous connaissez certainement des personnes que vous prévenez lorsque vous plaisantez de peur qu’ils ne prennent votre trait d’esprit au premier degré. Le jeu organise nos relations au monde, aux surprises et à la nouveauté et la capacité de jeu s’acquiert au cours de nos histoires respectives. Dans ce cadre, les adolescents vulnérables qui ont connu des placements doivent faire l’objet d’une restauration de cette capacité fondamentale. Le monde de demain sera fait de surprises et notre capacité de composer avec celles-ci découlera de cette capacité de jeu. Dans ce contexte, certaines personnes considéreront que tout phénomène nouveau est inquiétant dans une attitude de repli stratégique vers un univers familier. Or, ces personnes seront probablement très malheureuses. En revanche, d’autres envisageront la nouveauté dans une forme d’attraction et connaîtront vraisemblablement de nombreuses satisfactions. En tout état de cause, il est toujours plus agréable d’imaginer l’avenir au travers des poètes, des romanciers et des cinéastes qu’au travers des prévisionnistes. Colette MENARD Ce portrait des adolescents ne manquera pas d’interpeller les parents et les professionnels de santé que nous sommes sur nos responsabilités parentales et sur les enjeux de l’écoute des jeunes. Nous allons maintenant compléter cet apport par un portrait des jeunes du point de vue de leur ancrage social, culturel et de leurs modes de vie. 7 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Atlas des jeunes en France : un portrait social des 15-30 ans Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY Chargée de recherche à l’INJEP5 L’observatoire de la jeunesse et des politiques de jeunesse de l’INJEP a pour objectif d’apporter à partir des sciences humaines un éclairage sur la situation des jeunes, notamment en matière de santé. Mon intervention visera à vous apporter des éléments de contexte géographique et sociologique de la jeunesse. Ce portrait prendra cependant moins en compte les adolescents pour lesquels les statistiques sont moins accessibles. Néanmoins, l’aperçu de la situation générale des jeunes ouvre une voie d’entrée vers les adolescents dont les « aînés » de 25 ans constituent d’un point de vue social les modèles de référence. « La jeunesse n’est qu’un mot » qui recouvre des situations diverses La jeunesse en France n’est pas la jeunesse parisienne. Elle n’est pas seulement la jeunesse des classes moyennes ou la jeunesse de la métropole et s’étale au contraire diversement sur le territoire. 5 Sociologue, Yaëlle Amsellem-Mainguy est spécialiste des problématiques de santé, de sexualité, de genre et d’information des jeunes en matière de santé. Rédactrice en chef de la revue bimestrielle Agora débats/jeunesses de l’INJEP, elle a récemment publié en collaboration avec Joaquim Timoté un Atlas des jeunes en France 8 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 1 – Répartition de la jeunesse sur le territoire français Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © Figure 2 – Les villes françaises les plus jeunes Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © 9 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De plus, les jeunes ne sont pas égaux devant les difficultés qui se concentrent sur les jeunes peu ou non-diplômés. Par ailleurs, si la jeunesse intervient de plus en plus tôt avec un franchissement précoce des seuils de la préadolescence et de l’adolescence, les jeunes demeurent également plus longtemps dans cette catégorie d’âge. Nous observons en outre une désynchronisation des seuils traditionnels de passage de la jeunesse à l’âge adulte matérialisés par la mise en couple, le premier emploi ou le départ du domicile des parents. Dans ce contexte, l’image du Tanguy qui reste volontairement chez ses parents ne correspond pas à réalité de jeunes contraints de demeurer au domicile parental en raison de difficultés professionnelles et globales. De cette manière, les seuils de passage traditionnels sont remis en question et perdent de leur caractère définitif en raison d’allers-retours résidentiels des jeunes en fonction de divers paramètres (perte d’emploi, rupture de cohabitation…). Par ailleurs, la jeunesse se caractérise par une fragmentation qui dessine plusieurs jeunesses en France, de la jeunesse diplômée des classes moyennes, insérée socialement et économiquement, à la jeunesse de milieu rural en passant par la jeunesse d’Outre-mer. Ces différentes jeunesses connaissent des situations différentes en matière de mobilités, de logement ou encore d’emploi. Une tension entre quête d’autonomisation des jeunes et relation de dépendance S’agissant du logement, nous observons une quête d’autonomisation de la part des jeunes. En effet, les jeunes négocient leur orientation professionnelle avec les parents, revendiquent de choisir leurs amis, leurs loisirs et souhaitent avoir prise sur leur monde. Néanmoins, bien que les jeunes quittent le domicile parental en moyenne à 23 ans, ceux-ci quittent le logement familial dans une situation de dépendance économique forte aux parents 6. Cette tension entre autonomie et dépendance entrave le passage à la vie adulte et la reconnaissance de soi comme un individu à part entière. La part du logement dans le budget global, sensiblement supérieur chez les jeunes, impacte également leurs conditions de vie et de santé. Figure 3 - Part des jeunes vivant chez leurs parents 6 Parents propriétaires du logement, parents garants, paiement du loyer, soutien à la gestion du domicile… 10 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © Le rapport sur la jeunesse édité par l’INJEP, disponible sur le site de la Documentation française7 fait ainsi état d’importantes inégalités entre jeunes et témoigne de leur pauvreté En 2009, 15 % des moins de 30 ans et près de 20 % des 18-25 ans vivaient sous le seuil de pauvreté. A l’échelle du territoire national, les situations socio-économiques des jeunes sont très contrastées. De manière générale, le diplôme protégera de la précarité et de la pauvreté dans une certaine mesure. En revanche, les jeunes dépourvus de diplôme se retrouveront généralement marginalisés et passeront notamment entre les mailles des campagnes de prévention menées au sein des établissements scolaires. Ces jeunes seront difficilement saisissables et les professionnels de la jeunesse constituent dans ce cadre des vecteurs de prévention importants, assumant des missions de santé en dépit d’une absence de formation. A titre d’exemple, les professionnels des missions locales sont ainsi confrontés au-delà de leurs missions d’insertion professionnelle à des problématiques lourdes de santé. Figure 4 - Part des jeunes sans emploi ni formation Extrait : F.Labadie (dir), 2012, Inégalités entre les jeunes sur fond de crise, Rapport de l’Observatoire de la jeunesse 2012, La Documentation Française © 7 www.ladocumentationfrancaise.fr/selections/rapports-publics/rapports-recents 11 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 5 - Taux de pauvreté des jeunes Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © Un passage à l’âge adulte bouleversé ? S’agissant des changements en matière de passage à l’âge adulte entre 1950 et 2000, la scolarité obligatoire a été repoussée de deux ans tandis que les jeunes sortent du système scolaire en moyenne trois ans plus tard. Si l’âge de la majorité civile a baissé, l’âge moyen du premier emploi stable était de 20 ans en 1950 contre 28 ans en 2000. Figure 6 - Etre jeune en 1950 et en 2000 Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © L’indépendance précoce constitue une norme très valorisée par les parents et la société. Pourtant, les moyens d’autofinancement de cette indépendance surviennent assez tardivement dans 12 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? les trajectoires de vie et aboutissent à des situations tendues mêlant quête d’indépendance, situation d’échec, précarité des emplois et pression sociale. Ces injonctions paradoxales de la société contribuent à faire peser sur les jeunes une forte violence symbolique. Les jeunes et leurs valeurs Les enquêtes valeurs, menées par l’INJEP 8 permettent de rendre compte des domaines les plus importants dans la vie des jeunes de 18-29 ans. Dans la dernière enquête, les trios de tête sont les suivants : la famille, le travail et les amis et relations, dans une forte proximité avec les valeurs des plus de 30 ans. Ainsi, les différentes générations se retrouvent sur certaines valeurs cardinales. En revanche, les représentations symboliques associées au travail sont différentes chez les jeunes qui le considèrent comme un devoir social et citent davantage les dimensions de réalisation de soi et de qualité des relations interpersonnelles au travail que les plus de 30 ans. Les domaines des relations amicales et des loisirs sont également très investis par les jeunes. En effet, les jeunes identifient l’amitié comme une valeur centrale, une amitié cultivée de manière plus intensive aux premiers temps de la vie. En matière de loisirs et d’activités, les jeunes citent en priorité les sorties au cinéma et le fait de rester entre amis au sein de lieux publics tels que des centres commerciaux, une activité souvent perçue comme oisive par les parents mais qui revêt une valeur importante pour les jeunes. Par ailleurs, l’analyse des activités préférées des 12-17 ans révèle l’importance accordée au groupe de pairs, dans une construction de l’identité, du vivre-ensemble et de l’appartenance générationnelle. Pour être jeune, l’adolescent a besoin d’être reconnu en tant que tel par les adultes mais surtout par les personnes de sa génération. Figure 7 – les activités préférées des 12-17 ans Extrait : Y. Amsellem-Mainguy, J. Timoteo, 2012, Atlas des jeunes en France, Edition Autrement © En matière de contrôle parental des sorties avant 18 ans, nous observons un fort décalage entre les générations. En effet, plus de 60 % des jeunes femmes et un peu moins de 30 % des jeunes hommes étaient interdits de sortie au cours de la période 1954-1965 contre moins de 20 % des jeunes femmes et moins de 10 % des jeunes hommes en 2005-2006. L’absence de contrôle des sorties demeure stable depuis 50 ans et n’accrédite pas la thèse de l’accentuation du laxisme des parents. En revanche, le contrôle parental des sorties laisse apparaître une distinction de traitement plus 8 O. Galland, B. Roudet, 2012, Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, La documentation française. 13 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? large des filles et des garçons. La jeunesse, fragmentée d’un point de vue social et géographique, l’est aussi autrement avec des problématiques spécifiques en fonction du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité du genre. Jeunes, Technologies de l’information et de la communication (TIC) et pratiques culturelles Enfin, les jeunes sont nés avec des TIC qu’ils se sont totalement appropriés. Cependant, il est délicat de tirer un constat uniforme de leurs pratiques sur Internet et les réseaux sociaux. A titre d’exemple, 43 % des 25-34 ans et 27 % des 15-24 ans sont inscrits sur le réseau social Copains d’avant. En revanche, les plus jeunes qui sont davantage inscrits dans une relation avec les « copains de maintenant » n’éprouvent pas le besoin de s’inscrire sur un site de retrouvailles d’anciens amis. Les différents réseaux sociaux laissent ainsi apparaître des décalages générationnels. Les jeunes se caractérisent par ailleurs par un usage plus actif du smartphone et des MMS que les générations précédentes. Toutefois on constate des distinctions dans les usages d’internet, notamment sur la diversité des sites consultés en fonction des milieux sociaux. Se retrouvent ici le poids du capital culturel et celui de la culture légtime, reconnue et valorisée par l’école. Contrairement aux idées reçues, les jeunes lisent beaucoup. Certes, ils ne lisent pas nécessairement les ouvrages « légitimes » d’Honoré de Balzac mais ils lisent intensément par le biais d’Internet. Bien qu’ils s’en défendent, ils lisent entre autres des articles d’actualité ou encore des mangas qui jouent un rôle important dans leur construction identitaire. Pour conclure, le jeune n’existe pas, pas plus que l’adulte ou le vieux. La jeunesse s’incarne en effet dans différentes réalités. En outre, les jeunes sont certes vulnérables mais ils le sont au même titre que le reste de la société. Ils se construisent en tant qu’individus, s’intègrent dans la société dans un contexte d’incertitude au sein duquel leur vécu et leur parcours sont le résultat d’une articulation entre leurs ressources sociales, leur capacité à s’adapter aux normes sociales et à accepter individuellement les conséquences de leur choix. La non-possession des attributs matériels ou relationnels et la difficulté à se construire comme jeune constituent des éléments induisant des situations potentielles de vulnérabilité. Néanmoins, la jeunesse n’implique pas nécessairement la vulnérabilité. Echanges avec la salle Colette MENARD Ce riche portrait social des jeunes illustre à la fois les difficultés et les inégalités qu’ils subissent mais aussi leurs aspirations ainsi que le hiatus entre les représentations des adultes et les leurs. L’appartenance à un groupe d’âge comme moyen de construction identitaire ? De la salle Comment aider les jeunes à s’identifier à un groupe d’âge plus resserré qu’auparavant alors que ceux-ci se caractérisent par des développements pubertaires très différents au même âge ? Patrice HUERRE L’appartenance au groupe d’âge est importante et constitue un élément de repérage. Néanmoins, il ne s’agit pas de l’unique critère. Certains jeunes cherchent d’ailleurs à se différencier à tout prix d’un groupe d’âge. J’ai ainsi le souvenir d’un jeune homme aux tendances 14 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? suicidaires qui était un amoureux de la musique anglaise du 18 ème siècle alors qu’il était en fin de collège. Grâce à cela, il réussissait à s’appuyer sur une image particulière. Ses camarades ont ensuite commencé à apprécier cette musique et il a éprouvé le besoin de se différencier à nouveau. La construction de l’adolescent s’articule autour du regard des personnes du même âge ou d’un autre groupe d’âge. Ce regard de l’autre nous attribue une valeur difficilement qualifiable mais néanmoins essentielle dans le processus de construction. Au sein du groupe d’âge, les phénomènes de violence sont courants, avec des phénomènes de rumeurs et la mise en avant des petites différences, davantage que les grandes différences souvent plus respectées. Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY Nous travaillons actuellement sur la problématique de l’homophobie 9 et sur le vécu de la différence par les jeunes. Dans les situations de différence, le groupe des pairs n’est pas toujours le groupe de repère et les jeunes éprouvant un sentiment d’isolement se tourneront généralement vers des associations communautaires telles que les centres Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Dans cette configuration, le jeune se retrouve reconnu au travers d’une autre dimension de son identité. La jeunesse cache en ce sens de multiples facettes identitaires qui constituent autant de repères que les jeunes activent en permanence. Comment prévenir la détresse de certains jeunes ? De la salle Il existe en effet plusieurs jeunesses en France. Face à ce constat, comment faire concrètement pour diminuer les écarts entre les jeunes heureux et les jeunes en souffrance ? Quels outils permettent de réduire ce fossé ? Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY La personne détenant le remède miraculeux à ces inégalités vaudrait des milliards. De mon point de vue, il est nécessaire de favoriser la mise en réseau des acteurs associatifs, des collectivités locales et des services décentralisés de l’Etat. C’est dans la complémentarité de l’approche des jeunes et dans la mise en réseau que nous aboutirons à un portrait réel de la jeunesse à l’échelle d’un territoire. Pour l’heure, nous observons une approche compartimentée des enjeux, une sectorisation des prérogatives et une concurrence entre les services peu propices au soutien des jeunes. De plus, la pluridisciplinarité des approches est indispensable à la compréhension d’un territoire, et plus largement de la population. Patrice HUERRE Il s’agit également de former les acteurs de terrain au caractère problématique ou non d’une situation. A titre d’exemple, un adolescent tapageur fera l’objet d’une prise en compte rapide. En revanche, entre l’apparition des premiers symptômes d’une psychose et sa prise en charge, le délai de prise en soins sera de trois ans, car le jeune en question se situe au fond de la classe, ne dérange pas et maintient quelques bons résultats scolaires malgré une grave dépression. La mission préalable à une mise en cohérence des mesures est ainsi de favoriser les conditions d’évaluation des situations problématiques par les acteurs de première ligne. La « conduite à risques » des jeunes, une conduite anormale ? De la salle 9 C.Chartrain, 2013 (à paraître en octobre), « Homophobie, lesbophobie, transphobie : agir dans et hors cadre scolaire auprès des jeunes », Cahier de l’action, n°40, INJEP 15 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? La notion de conduite à risques me semble davantage relever d’une conception d’adulte. En effet, la notion de prise de risques participe d’une démarche de construction et d’expérimentation de l’adolescent. Patrice HUERRE Absolument. Les prises de risques sont naturelles et l’absence de prise de risques à l’adolescence constitue un signe de mauvaise santé. Je déplore à ce titre que le principe de précaution soit érigé en modèle absolu. En effet, les campagnes préventives visent une diminution des prises de risques, ce qui est à mon sens moins constructif qu’une facilitation des prises de risques accompagnée par des professionnels. Le besoin de s’éprouver afin d’être valorisé en retour par des adultes permettra d’éviter l’escalade dans les prises de risque. Adolescents et sphère numérique, la naissance d’une addiction ? De la salle Les pratiques des jeunes sur les réseaux sociaux doivent-elles être qualifiées d’addictions et si oui, à partir de quel niveau ? Serge Tisseron évoque un phénomène d’exagération tandis que Marcel Rufo utilise la qualification d’addiction. Patrice HUERRE Je n’arbitrerai pas entre ces deux bons amis. D’ailleurs, leurs analyses n’ont pas d’importance particulière puisqu’il revient aux parents d’apprécier les relations spécifiques d’un jeune donné à ces supports. Les univers virtuels, par leur pouvoir de fascination et d’attraction, présentent en effet des risques d’excès en l’absence d’autre support d’investissement. Cependant, cet excès est avant tout le signe d’un problème de diversité de champs d’investissement dans la vie. Il est important de demeurer vigilants à ces pratiques numériques qui ouvrent d’une part des possibilités d’échange et de désinhibition pour des jeunes timides mais qui sont susceptibles d’autre part de revêtir une importance démesurée qui constitue un signe d’alerte. Aucun parent ne se plaindrait d’un jeune qui lirait dix heures par jour. Pourtant, cette forme d’excès constitue également un signe d’alerte en ce sens qu’elle empêche le développement d’autres potentialités. En tout état de cause, il convient de procéder à chaque fois à une évaluation singulière. Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY Les jeunes se voient souvent reprocher leur usage intensif d’internet. Néanmoins, ceux-ci pointent les addictions des adultes aux outils technologiques et contestent leur argumentation en termes d’une priorité de l’usage professionnel des adultes sur les usages de sociabilité des jeunes. En effet, nombreux sont les adultes qui s’inscrivent dans une relation de dépendance au smartphone. Patrice HUERRE De plus, les jeunes ayant la pratique la plus intensive des réseaux sociaux sont également ceux qui ont le plus d’amis dans la vie. Les jeunes en situation de handicap, laissés-pour-compte des stratégies de communication en prévention ? De la salle (Samuel TOURBEZ, Conseil général du Nord, pôle de santé publique) Les jeunes porteurs de handicap sont parfois les laissés-pour-compte des stratégies de communication en direction des jeunes. A titre d’exemple, le conseil général du Nord a été alerté par une association en charge de jeunes porteurs de handicaps sensoriels sur le fait qu’il n’existait pas d’outils au service de ces jeunes. Objets d’une double peine, le handicap et l’adolescence, ceux-ci ont à la fois des difficultés mais aussi des rêves. Aussi, comment ne pas oublier ces jeunes 16 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? et trouver des outils de communication adaptés à leurs handicaps ? A titre d’exemple, les personnes malentendantes éprouvent parfois de grandes difficultés à interpréter les messages de prévention. Annick GARDIES L’accessibilité de l’information en santé est en effet une problématique prioritaire. Un agent de l’Inpes est en charge de cette problématique depuis plusieurs années et un atelier des journées de la prévention est consacré au montage de projets de prévention pour la santé en direction des personnes en situation de handicap. S’agissant de l’appréhension des messages de prévention par les personnes malentendantes, l’Inpes retravaille certains outils notamment par un questionnement des codes graphiques employés pour les messages de prévention. A cet égard, l’Inpes vient de publier deux ouvrages pratiques à destination des praticiens en lien avec les personnes porteuses de handicaps auditifs ou visuels. Ces ouvrages ont vocation à guider les acteurs de terrain dans le montage d’opérations de communication et dans la conception de textes et d’éléments visuels adaptés aux personnes en situation de handicap. La violence comme mode de communication des adolescents ? Agressivité verbale, violence et médiation De la salle Les jeunes communiquent entre eux sur le mode d’une agressivité verbale très forte qu’ils qualifient souvent d’ironie. Que penser de ce mode de communication ? Patrice HUERRE L’adulte peut éprouver un sentiment de décalage vis-à-vis de ce mode de communication. Néanmoins, pour la plupart des adolescents, ce code d’échange ne présentera pas d’impact particulier. En revanche, les adolescents les plus vulnérables prendront cette agressivité de plein fouet. L’agressivité fait partie des pulsions émergentes de l’adolescence et sa formulation verbale plutôt que physique n’est pas si inquiétante. L’étape suivante consistera à transformer ces mouvements agressifs en mouvements plus constructifs au travers d’un processus maturatif. Il n’est pas étonnant qu’un adolescent soit débordé par des tendances agressives. Les phénomènes d’intériorisation de cette agressivité - se traduisant par exemple par un retrait scolaire et social – ou les phénomènes de désinhibition totale de cette agressivité sont en revanche plus inquiétants. De la salle Professionnel des antennes jeunes de la mairie de Paris depuis 15 ans, il me semble que le problème principal de la jeunesse réside essentiellement dans la place qui lui est faite dans la société. J’ai en effet le sentiment que la jeunesse n’a de place que dans la consommation. De plus, les adultes ont tendance à se substituer aux jeunes en les privant de toute capacité de choix et d’autonomie. Les jeunes, souvent considérés comme des jouets, sont pourtant des individus en construction qui doivent être accompagnés plutôt que guidés. Riche d’une double culture – mon enfant est né en Afrique – j’ai constaté que la jeunesse africaine est à la fois insérée à la société et autonomisée. A partir d’un certain âge, les parents ignorent les activités des jeunes qui bénéficient d’une véritable autonomie. Le jeune africain s’inscrit ainsi dans un monde qui lui appartient, à mille lieux de phénomènes occidentaux tels que le suicide par exemple. Patrice HUERRE Les échanges avec d’autres manières de considérer la jeunesse sont en effet susceptibles de nous permettre de tirer des enseignements pour notre propre rapport aux jeunes. 17 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De la salle Quels seraient les conseils à donner aux animateurs et aux référents adultes confrontés aux agressions verbales des jeunes et non-formés à ces situations ? Patrice HUERRE Il est d’abord nécessaire de disposer d’un éclairage sur la situation pour mieux la comprendre. Audelà de cette difficulté première, il s’agit de lier les deux attitudes complémentaires de la compréhension bienveillante mais aussi de l’autorité. Significativement, les adultes ne savent pas toujours quelle attitude adopter vis-à-vis des enfants en bas âge souvent débordants. Pour poursuivre l’analogie, si un enfant de deux ans s’approche malicieusement de l’eau de javel oubliée dans un coin de la cuisine, faut-il adopter le discours suivant « je te préviens, c’est dangereux, je t’aurais prévenu. Néanmoins, je respecte tes choix et ta vie privée » ou l’attitude du parent mettant une volée à l’enfant en pleine exploration ? A la lueur de cette analogie, la position à adopter vis-à-vis de l’adolescent apparaît plus évidente. Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY Il est nécessaire de faire comprendre aux animateurs qu’ils ne sont pas formés pour faire face à la violence mais aussi qu’ils ne sont pas seuls pour affronter ces situations. Les colonies de vacances réunissent une équipe d’animateurs et il est important de déconstruire collectivement les situations de tension qui peuvent émerger à cette occasion. Ancienne animatrice, j’ai investi la problématique de la violence en colonies de vacances 10. Dans ce cadre, j’ai constaté que les professionnels de jeunesse identifient sans difficulté une violence physique qui est visible et qui interpelle. En revanche, les phénomènes de violence psychologique sont plus insidieux et souvent sous-évalués par les animateurs qui relativisent ces pratiques ou les mettent sur le compte de l’humour. J’ai à cet égard le souvenir d’un simulacre d’acte sexuel effectué par huit adolescents habillés sur un autre adolescent. Les animateurs ont relativisé cet épisode qui a été pourtant mal vécu par l’adolescent en question. Il convient ainsi de sensibiliser les professionnels à la violence symbolique et psychologique, distincte de la violence pénalement condamnable mais lourde de conséquences. Dans ce cadre, la mise en réseau des professionnels de jeunesse insuffisamment connectés joue à nouveau un rôle crucial dans l’appréhension de situations potentiellement explosives. Colette MENARD Après avoir abordé les enjeux de communication interpersonnelle en direction des jeunes, j’invite Adrien Taquet à nous présenter les problématiques et les enjeux de la communication publique. 10 Y.Amsellem-Mainguy, A.Mardon, 2011, Partir en vacances entre jeunes : l’expérience des colos, Rapport d’étude, INJEP (http://www.injep.fr/IMG/pdf/ACM_Rapport_Volume2_DEF.pdf) 18 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Du marketing marchand au marketing social : quelles passerelles ? Quelles impasses ? Le marketing, un ensemble de techniques transposable aux actions de prévention Adrien TAQUET Directeur général de l’agence de communication Jésus Le marketing marchand correspond à l’ensemble des techniques permettant de faire coïncider une offre avec une demande dans le secteur concurrentiel. Le marketing social tend pour sa part vers des objectifs similaires dans le secteur non-marchand. Dans un cas comme dans l’autre, cette démarche répondra à 5 étapes distinctes. En premier lieu, il va s’agir d’étudier les besoins et les attentes des consommateurs : sont-ils, par exemple, en attente de l’émergence de nouveaux produits. Dans le secteur non marchand, en particulier dans le domaine de la santé, ce sont les pouvoirs publics qui détermineront en règle générale ces nouvelles « nécessité de santé publique ». Une entreprise évaluera ensuite l’opportunité concurrentielle de lancer un nouveau produit : existe-t-il des concurrents qui répondent au besoin du consommateur, ou ai-je à l’inverse le champ libre me laissant espérer des profits conséquents. L’autorité publique elle, dans le domaine de la santé, n’a pas de véritables concurrents au sens strict du terme. L’analyse de la « concurrence » va ainsi pouvoir consister à étudier les stratégies déployées par les alcooliers ou les fabricants de tabacs, mais aussi à « benchmarker » les initiatives menées par les autorités publiques dans d’autres pays afin de s’en inspirer. En troisième lieu, il s’agira pour une entreprise de modéliser son offre sur la base d’études (modélisation financière recherches packaging, etc). Pour l’entité publique en matière de prévention, il s’agira de construire une offre de santé la mieux adaptée possible à une population identifiée comme prioritaire : une étape qui en appelle à des compétences psycho et médico-sociales. La quatrième étape du marketing correspond à la phase de promotion de l’offre : là, dans un cas comme dans l’autre, on touche à la « communication », entendue au sens large puisque, on le verra, elle ne se limite pas à la seule « publicité ». Dernière étape enfin, il s’agira pour l’entreprise d’évaluer les conditions de mise à disposition de l’offre : vente en magasin, par correspondance, etc. De la même façon, l’institution publique devra s’interroger sur les canaux de mise à disposition de son offre de prévention, en fonction des cibles qu’elle souhaite viser : la mise en place d’un numéro d’appel est-il le plus pertinent et le plus efficace ? Faut-il accompagner celui-ci d’un site internet et de la mise à disposition de brochures d’information dans des lieux clés, fréquentés par nos cibles ? Quel rôles doivent et peuvent jouer les acteurs de terrains (associations…) et les professionnels de santé, et de quels outils ces relais nécessitent-ils pour accomplir cette mission ? etc. Autant de questions dont les réponses doivent constituer un ensemble cohérent de moyens et de ressources mis à disposition. En dépit des points de rencontre et des étapes communes au marketing marchand et au marketing social, communiquer sur la prévention des risques auprès des jeunes revêt des spécificités qu’il est nécessaire de prendre en compte (1). Pour autant, il existe un intérêt indéniable d’emprunter en les adaptant les techniques du marketing marchand pour s’adresser aux jeunes (2). Les spécificités de la communication en matière de prévention 19 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Une première série de spécificités est liée à l’émetteur. En effet, la communication autour d’une politique publique revêt souvent une dimension à la fois individuelle et collective. La santé est un enjeu de société : la communication en matière de santé façonne ainsi les représentations sociales et traduit une volonté politique spécifique. Parallèlement, l’objet de la communication en matière de prévention des risques est de modifier des perceptions et des comportements individuels, parfois en ciblant des populations considérées comme particulièrement exposées à un risque précis. Cette double dimension individuelle et collective de la communication en matière de prévention de santé suppose l’articulation d’une stratégie à deux étages : d’une part, une stratégie en direction du plus grand nombre via des campagnes plutôt mass media et d’autre part, une stratégie plus ciblée pour atteindre les populations exposées. Par ailleurs, une autre spécificité liée à l’émetteur tient à l’autorité de la puissance publique. En effet, une prise de parole gouvernementale autorise, par nature, un éventail de moyens coercitifs, ce qui est totalement inédit dans le secteur concurrentiel. Seule la puissance publique peut, par exemple, apposer des messages de prévention sur des produits considérés comme étant nocifs, comme autant de « contre-publicités » au produit qui accueille le message (tabac, jeux en ligne, aliments..). Une deuxième série de spécificités est liée aux objectifs poursuivis. L’objectif en matière de prévention n’est pas de vendre mais de modifier les comportements individuels, un chantier qui nécessite un temps long. Cet objectif de modification des comportements individuels implique des insights 11 particuliers en la matière, nécessairement différents selon les sujets et pointus en fonctions des cibles et des sous-cibles. Si nous prenons l’exemple du tabac, des messages selon lesquels le tabac tue ou entraîne une mort lente et douloureuse n’auront que peu d’effet sur des adolescents, dont le rapport à l’avenir reste très distancié. A l’inverse, des trentenaires approchant la quarantaine seront plus sensibles à des messages portant sur leur impuissance ou sur le fait que le tabac peut nuire à leur fertilité. Il y a ainsi un véritable enjeu, et une difficulté véritable, à choisir le bon insight en fonction de le cible, en ce qu’il servira de levier direct à la modification de comportement que l’on cherche à provoquer. Car l’on touche là, en effet, à une « communication de l’intime », propre à la plupart des campagnes de prévention en matière de santé. « Communication de l’intime » car elle touche à notre façon de manger, de boire ou de faire l’amour. Cette communication pénètre la cuisine et l’alcôve, et peut ainsi légitimement soulever la question de la liberté individuelle. Dernière spécificité lié aux objectifs poursuivis, mais cette fois-ci par rapport non plus au secteur marchand mais à d’autres communications publiques : hormis pour les Substances psychoactives (SPA), le travail de prévention en matière de santé ne s’accompagne pas d’un pouvoir de sanction susceptible de modifier les comportements. Ce qui rend le travail d’autant plus difficile, puisqu’il ne peut s’appuyer, à l’image de la sécurité routière par exemple, sur l’articulation entre prévention et répression. Au final, la communication en matière de prévention des risques a globalement évolué ces dernières années d’un « marketing de l’alerte » à un marketing des services. Longtemps en effet, elle s’est limitée à alerter le public. Au fil des campagnes et des années cependant, les techniques de communication ont progressé et bénéficié de l’apport des connaissances psychosociales et médicales. De cette manière, la communication a évolué d’une logique d’alerte à une logique que l’on pourrait apparenter à de « l’accompagnement client », qui consiste à mettre 11 Issue de la psychologie, la notion d'insight revêt en marketing une définition tout à fait différente. On utilise le terme d'insight consommateur (consumer insight) pour qualifier une idée d'un consommateur qui peut être porteuse en termes de développement d'activité pour l'entreprise qui choisira de l'exploiter et d'y répondre par un produit. Contrairement à une approche "d'offre" où c'est l'entreprise ou la marque qui prend l'initiative d'une innovation produit, l'insight est donc bien l'expression d'un besoin du consommateur donc, d'une "demande" dont l'entreprise ou le marché choisira ou non de se saisir 20 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? en place un ensemble de services ayant vocation à accompagner l’individu dans le changement de comportement sur le long terme. Dans ce nouveau contexte, l’aspect purement publicitaire des campagnes de prévention ne constitue plus que la face émergée de l’iceberg. Figure 8 - Visuel de la campagne un verre ça va, trois verres… bonjour les dégâts ! (1984) Au cours des dernières années, l’Inpes a ainsi mené quelques campagnes marquantes parmi lesquelles « Le cannabis est une réalité » qui mettait en scène de manière réaliste des témoignages de fumeurs de cannabis dans une figure du pair expliquant les conséquences de la consommation du cannabis. En aval de ces spots TV, un site internet, une brochure et des relais de terrain complétaient ce dispositif de sensibilisation. Figure 9: - Visuel de la campagne « Le cannabis est une réalité » (2005) Plus récemment, la campagne « Contre les drogues, chacun peut agir » visait à mobiliser l’entourage dans le processus de modification des comportements individuels, en reposant sur le concept d’empowerment 12. Là-aussi, cet « appel » via les grands media à agir ne pouvait trouver une réalité et une efficacité qu’au travers de la mise en place complémentaire d’outils d’information et de consultation pour les différents publics qui, pour certains, vont bien au-delà des outils de communication « traditionnels » pour s’approcher de dispositifs medico-sociaux. 12 Le concept d’empowerment désigne l'octroi de plus de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques qu'ils subissent 21 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 10 - Affiche de Drogues info service C’est tout l’objet des outils développés par l’Inpes ces dernières années en matière de prévention des risques liés à l’alcool et aux drogues par exemples (sites internet, applications mobiles…) : chacun de ces dispositifs de communication est de plus en plus orienté vers la prise de contact entre l’individu concerné et le professionnel de santé. Enfin pour conclure, une troisième série de spécificités en matière de prévention des risques est liée à la cible. La jeunesse correspondant à une étape particulière de la construction de soi, où l’on sait que la transgression peut occuper un rôle particulier, l’idée de risque s’en trouve par ailleurs comme « déclassé » en tant que levier efficace de communication. De la même manière on l’a vu, le rapport à l’avenir est difficilement activable auprès des jeunes, ces préoccupations étant davantage associées aux parents. Les jeunes enfin, se caractérisent par un rapport particulier à l’autorité. Ce qui explique la nécessité, souvent, de mettre en retrait de la communication l’émetteur qu’est l’Etat, au profit par exemple de la mise en scène et de la médiation des pairs, dont on sait l’influence dans la vie de tous les jours de nos adolescents, et donc l’efficacité potentielle de communication qui s’appuie sur cette mécanique. Pour l’ensemble de ces raisons, la cible jeune est difficile à sensibiliser et à atteindre dans le cadre de campagnes de prévention des risques, à l’inverse des campagnes publicitaires marchandes où ils figurent comme la cible favorite des marques. 22 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De l’intérêt d’emprunter, en les adaptant, les techniques du marketing marchand Avant toute chose, il est nécessaire pour le marketing social d’emprunter en les adaptant les techniques du marketing marchand afin de ne pas laisser le monopole de la parole aux alcooliers et aux fabricants de tabac qui continuent de s’adresser à la jeunesse en dépit des dispositions légales. Mais il va également s’agir de s’inspirer de l’expertise développée par ces marques au cours des années, pour bâtir des discours et des dispositifs plus efficaces, en direction de notre cible jeune en particulier. Autrefois, la communication reposait sur une trilogie somme toute assez simple : identification du problème – analyse du problème – résolution du problème. Aujourd’hui, le storytelling a enrichi la communication en appliquant des procédés narratifs aux stratégies de communication. Ce procédé consiste en une démarche en 3 étapes : capter l’attention de la cible tout d’abord, stimuler son désir de changement ensuite, avant de chercher à emporter son adhésion par des arguments qui, à ce stade, vont devenir plus rationnels. Si l’on prend un peu de recul, on pourrait considérer que la communication en matière de prévention des risques a été plutôt pionnière à cet égard, puisqu’elle s’appuie bien désormais sur ce type de procédé persuasif : capter l’attention (les campagnes de mass media), susciter le désir de changement (la mise en scène d’insights pointus selon les cibles), emporter l’adhésion au changement par des arguments rationnels (l’ensemble des dispositifs d’aide mis en place en aval de la communication pour accompagner la modification du comportement). Au-delà de la mise en œuvre d’un storytelling efficace, les campagnes de prévention doivent, on l’a vue, s’adapter au sujet et à la cible particulière que constitue la cible jeune. Il est ainsi nécessaire de s’adapter à leurs codes et à leur discours, comme l’illustre par exemple la web-série « PuceauX » qui traite de la sexualité et de la contraception des jeunes adolescents : principe de web série, mise en scène des pairs, de leurs préoccupations, de leurs codes, de leurs langages. Ce qui n’est pas forcément intuitif pour une institution comme l’Etat, par crainte de remise en cause de son autorité d’une part, pour des soucis de crédibilité aux yeux de la cible d’autre part.. Néanmoins, cet effort d’adaptation peut s’avérer fructueux dans l’atteinte des cibles, et la série « PuceauX » en est un bon exemple. Au même titre, il y a quelques années, le site onsexprime.fr prenait le parti d’aborder les sujets de conversation privilégiés des jeunes afin de modifier des perceptions et des comportements en partie façonnés par la pornographie. Le dispositif mobilisait consécutivement une antenne libre sur Skyrock mais aussi un système de forums modérés par des représentants de l’Inpes. L’adaptation aux codes et usages de la jeunesse peut également pousser à emprunter plus encore à leurs référents culturels : c’est le parti adopté par l’Inpes dans la lutte contre le tabagisme, avec le dispositif « Attraction », qui n’était autre qu’un manga immersif diffusé sur le web. On l’a dit à plusieurs reprises, la stratégie qui consiste à passer par la médiation des pairs, si elle est traitée de façon crédible, que ce soit via un registre réaliste ou humoristique, peut modifier les comportements, tant on sait l’importance et l’influence du groupe à cet âge de construction de soi. Enfin, les campagnes de prévention en direction des jeunes doivent être en phase avec la réalité de leur vie. Cela passe, évidemment, par une appréhension de leur consommation media, bien différente de celle de leurs aînés, qui se caractérise par la surconsommation des nouvelles technologies, en particulier mobiles (dont les smartphones), et la multi-consommation simultanée (web+radio, tv+tablette, etc.). Dans cette optique, il convient également de bien avoir conscience que certaines populations fragiles sont, à l’inverse, dépourvues d’accès aux TIC, déscolarisés et désocialisés, ce à quoi les stratégies de communication doivent s’adapter au risque d’être totalement inefficaces. Cet impératif s’exprime avec d’autant plus de force que les cibles 23 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? prioritaires des campagnes de prévention s’inscrivent souvent dans des situations de marginalisation sociale. C’est dans ce cadre, particulièrement mais non exclusivement bien entendu, qu’il est absolument nécessaire pour toute stratégie de communication qui se veut efficace de s’appuyer sur les acteurs de terrain, qui sont les meilleurs liens avec les populations les plus isolées et vulnérables. Echanges avec la salle De l’écran au terrain : déclinaison opérationnelle des campagnes de communication De la salle Comment mettre en application sur le terrain ces stratégies de communication ? Au-delà de la communication grand public, de quelle manière une structure jeunesse peut-elle inciter les jeunes à consulter les campagnes de prévention et d’information sur le web ? Adrien TAQUET La communication à l’échelle nationale a vocation à faciliter le travail des acteurs de terrain qui s’inscrivent à l’échelle locale. Cette stratégie passe par la mise à disposition d’outils web, d’affiches et de documentation. Les communicants ne sont malheureusement que des « facilitateurs » qui tentent de déployer des messages puissants pour irriguer le terrain et aider les acteurs locaux. Néanmoins, ces stratégies ne se substitueront jamais aux talents des acteurs de terrain et à leur rôle d’accompagnement des jeunes. Annick GARDIES Les campagnes à l’échelle nationale ont une fonction d’alerte et peuvent être pour les acteurs de terrain un prétexte pour susciter la discussion et la mise en contact. En effet, les jeunes discutent de manière interminable de mangas ou de web-série. Dans ce cadre, il est possible de s’arrimer sur les campagnes de prévention qui prennent cette forme afin de mettre en place des modes d’action de terrain. A partir d’un outil de communication mass media ou web, nous créons par ailleurs des documents favorisant un travail de terrain. De la salle (Béatrice MAGDELAINE, Familles rurales) Bien que favorables à la mise en réseau d’outils qui permet dans le meilleur des cas de fournir des moyens d’accompagnement du haut vers le bas, nous rencontrons cependant des difficultés d’autres ordres. En effet, les jeunes expriment une certitude lassitude et une forme de rejet vis-àvis des documents de l’Inpes ou de l’Agence régionale de santé (ARS) qui revêtent un caractère institutionnel ou scolaire. Ainsi, les acteurs de terrain sont en permanence contraints d’adapter ces documents d’accroche dans un contexte de budget contraint. De plus, ces outils ne sont pas toujours assez synthétiques ou adaptés du point de vue du vocabulaire et des illustrations. Annick GARDIES En effet, même avec un million d’outils, ceux-ci ne seront jamais complètement adaptés au cas d’une personne inscrite dans une situation singulière. Il s’agit d’une problématique centrale et il n’existe pas de recette miraculeuse à cet état de fait. Il est nécessaire d’intégrer cette réalité qui pousse à l’humilité. Les communicants ont un rôle d’alerte mais ont conscience du caractère éphémère de l’effet de surprise des jeunes et de leur tendance à la lassitude. Les jeunes sont curieux, malins et bien plus en avance que nous sur les nouvelles tendances. En ce sens, rien ne remplace la relation interindividuelle car nos stratégies de communication ne constituent que des 24 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? outils qui s’inscrivent dans une complémentarité des modes d’action, a fortiori dans la temporalité longue des changements de comportement. Yaëlle AMSELLEM-MAINGUY Une partie des outils développés par l’Inpes peut servir, à défaut des jeunes accompagnés par les structures jeunesse, aux jeunes chargés de les accompagner. En effet, ces structures sont en partie investies par des jeunes professionnels de jeunesse qui peuvent s’approprier les campagnes afin de développer des actions en fonction des problématiques de terrain. Dans cette perspective, chaque acteur de terrain est en mesure de se saisir des préoccupations des jeunes plutôt que de plaquer mécaniquement des priorités institutionnelles. Les intervenants jeunesse, lorsqu’ils sont imprégnés des campagnes de prévention, peuvent ainsi constituer des relais de connaissance et de prévention auprès des jeunes. Actions de prévention : de l’injonction normative à la responsabilisation des publics ? De la salle (Madame SAINT-CHARLES, conseillère conjugale) A l’occasion de mes entretiens sur le sujet de la contraception, je communique automatiquement aux usagers le support d’information sur le tabac « Autopsie du meurtrier » qui ne manque jamais de les dégoûter. Néanmoins, je constate à l’occasion des entretiens ultérieurs que ce support ne génère pas d’arrêt de la cigarette. En ce sens, il convient d’adapter les approches au cas par cas, selon la personnalité ou la culture de l’usage. Par ailleurs, l’année 2013 étant consacrée à la contraception, de nombreux spots publicitaires sont diffusés aux moments de large audience et atteignent les jeunes. Ceux-ci sont bien informés mais continuent pourtant d’avoir des rapports sexuels sans préservatif. Aussi, plutôt que de mettre en place des outils pour les jeunes, pourquoi ne leur demandons-nous pas directement leurs attentes ? En effet, lorsque j’ai épuisé tous les outils de contraception et les moyens de conviction dont je dispose, je pose cette question simple à l’usager : « Etes-vous certaine de vouloir une contraception ? ». Bien souvent, les usagers me répondent : « Non, Madame. Cela me barbe ». Dans ce cas, je propose à l’usager de procéder à sa manière plutôt de tenter de le contraindre vainement à employer des moyens de contraception qui ne lui conviennent pas. Je pense qu’il est nécessaire d’interroger les jeunes sur leurs véritables attentes afin de mener un travail collectif et efficace. Adrien TAQUET Votre anecdote est assez symptomatique de l’évolution de la communication des autorités publiques. En effet, alors que la mode était auparavant à l’injonction normative, le discours met aujourd’hui en valeur une logique du type « la bonne contraception, c’est celle que l’on choisit ». Cette évolution traduit une valorisation de la liberté individuelle, une notion importante pour les jeunes parce qu’elle traduit une liberté de choix non-contrainte. Cette attitude semble porter ses fruits et conforter la pertinence de cette nouvelle approche. Colette MENARD L’écoute des adolescents apparaît ainsi prioritaire. Le rôle de la communication est de sensibiliser à des messages en tenant compte des aspirations et des valeurs des jeunes comme préalable à un travail mené par les acteurs de terrain dans une communication interpersonnelle respectueuse de leur liberté de choix. Vers une émergence de « marques » prévention ? De la salle 25 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Etudiante en communication au CELSA, je rédige un mémoire sur la prévention auprès des adolescents sur les réseaux sociaux. Peut-on imaginer à terme l’émergence de « marques » prévention, je pense notamment au personnage de Sam capitaine de soirée ? S’agit-il selon vous de ressorts intéressants à développer en matière de campagne de prévention ? Par ailleurs, jusqu’où aller dans le community management dans le cadre d’une campagne de prévention mobilisant le « LOL » comme ressort d’adhésion ? Enfin, est-ce que les dispositifs de type Branded Entertainment 13 matérialisés par exemple par le manga Attraction font preuve d’une efficacité avérée ? Figure 11: - Sam, capitaine de soirée Adrien TAQUET Des marques, certes moins personnifiées que Sam, existent déjà en matière de prévention. C’est par exemple le cas de la marque « Manger bouger ». La personnification comme mode d’incarnation d’un message peut s’appliquer au domaine de la prévention. Le Branded Entertainment est à mon sens une notion-tiroir mais il est en effet possible de déployer un récit de marque sur des problématiques de prévention. Enfin, s’agissant du « LOL » et du community management, il est nécessaire de garder à l’esprit que l’objectif des campagnes de prévention en direction des jeunes est de s’adresser à une population versatile, exigeante, attaché aux codes et aux signes d’appartenance. Les jeunes ont pris le pouvoir et décident de ce qui est à la mode. A titre d’exemple, le Harlem Shake 14 a correspondu à un épiphénomène massif mais qui n’offre aucune garantie de résultat. La Croix-Rouge a cependant diffusé un Harlem Shake et a décuplé les visites de son site grâce à cette campagne. 13 Le Branded Entertainment désigne un contenu dérivé de l’industrie du divertissement (TV, musique, cinéma, jeux vidéo, etc.) dans lequel une marque est impliquée, soit dans la création, soit dans le financement. Ce contenu peut prendre les formes vidéo (film, série, ou programme court), audio, événement sportif, multimédia, jeu vidéo ou autres. 14 Le Harlem shake est une vidéo présentant un groupe de personnes, souvent vêtues de costumes, dansant de manière fantaisiste sur le morceau Harlem Shake du compositeur de musique électronique Baauer. Ce contenu vidéo a fait l’objet de nombreuses reprises sur le web, réalisant un buzz médiatique 26 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Faire passer le message : 5 expériences de communication Benoît FELIX CRIPS Île-de-France Les prochaines interventions seront l’occasion de vous présenter des outils de communication de prévention en direction des jeunes. A cet égard, Mareike Awolin va nous présenter une campagne de prévention originale sur le thème de l’alcool. Vue de l’étranger – « Alkohol ? Kenn dein limit » : une campagne de prévention sur la consommation d’alcool en direction des jeunes Mareike AWOLIN Federal Centre for Health Education, Cologne Le centre fédéral pour l’éducation et la promotion de la santé de Cologne est régi par le ministère de la Santé allemand. Sa mission principale est de développer des directives sur le contenu et les méthodes de la santé mais aussi de coordonner une coopération nationale et internationale sur ces sujets. De plus, il œuvre à la planification, à la mise en œuvre et à l’évaluation des campagnes de prévention. Quelle consommation d’alcool en Allemagne ? 6,2 millions d’Allemands consomment de 12 à 24 grammes d’alcool pur par jour, 2 millions d’Allemands présentent une consommation abusive d’alcool tandis que 1,3 million d’Allemands présentent une addiction à l’alcool. Au total, 9,5 millions d’Allemands âgés de 18 à 64 ans consomment de l’alcool de manière nocive. S’agissant des tendances de consommation régulière chez les Allemands âgés de 12 à 25 ans entre 1973 et 2010, nous observons une diminution globale puisque 34,5 % des 18-25 ans et 12,9 % des 12-17 ans consomment aujourd’hui régulièrement de l’alcool contre 67 % et plus de 25 % en 1973. En revanche, nous observons une augmentation des pratiques de « binge drinking » 15 au sein de la tranche d’âge des 12-17 ans et particulièrement chez les garçons. 15 Le binge drinking est un mode de consommation excessif de grandes quantités de boissons alcoolisées sur une courte période de temps, par épisodes ponctuels ou répétés 27 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 12 - Tendances de la consommation régulière d'alcool des jeunes Allemands de 1973 à 2010 Bien que l’Allemagne dispose d’une loi relative à la consommation d’alcool des mineurs, celle-ci demeure libérale puisqu’elle fixe à 15 ans l’âge d’autorisation de l’achat d’alcool. Ainsi, les consommations des 15-18 ans se concentrent essentiellement sur la bière puis sur les alcools purs et spiritueux à partir de la tranche d’âge supérieure. Les admissions à l’hôpital des jeunes suite à une intoxication alcoolique ont connu une forte augmentation depuis 2000 avec plus de 26 000 admissions en 2011. Figure 13 - Admissions des 10-20 ans à l'hôpital suite à une intoxication alcoolique 28 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Face à ces schémas différents de consommation d’alcool selon les tranches d’âge et les sexes, nous ciblons ces groupes de manière différente. Ainsi, la campagne Null Alkohol Voll Power 16cible les 12-15 ans. La campagne « Alkohol ? Keinn dein limit » 17 vise les 16-20 ans tandis qu’une autre campagne du même nom cible davantage les adultes de 30 à 50 ans. Figure 14 - A public différent, campagne différente En matière d’actions publiques de santé, il est toujours important d’analyser le contexte de départ avant de mettre au point un plan décliné par une mise en œuvre suivie par une phase d’évaluation. Dans ce cadre, nous nous sommes appuyés sur le cadre de communication développé par Mac Guire et Rogers selon lequel il est dans un premier temps nécessaire d’informer le groupe cible. Il s’agit ensuite de mener un travail de conviction qui induit une phase de choix qui débouche dans le meilleur des cas sur la mise en œuvre du changement de comportement, puis de la confirmation de ce changement comportemental. « Alkohol ? Kenn dein limit » : un dispositif complet de sensibilisation des jeunes à la consommation d’alcool Le slogan de cette campagne est que « l’alcool fait plus de dégâts que tu ne le penses ». Engagée depuis 2009, cette campagne est soutenue dans le cadre spécifique d’un partenariat privépublic avec l’association allemande des assurances-santé privées. Son budget est de dix millions d’euros par an, un budget certes conséquent mais dérisoire en comparaison avec les budgets publicitaires des alcooliers en Allemagne. L’approche de la campagne est multi-niveaux. En effet, la campagne a pour but de réduire les pratiques de « binge drinking », de diminuer le nombre d’intoxications alcooliques et les schémas de consommations d’alcool réguliers et à risques. Cette campagne s’inscrit dans le long terme et vise à améliorer progressivement la connaissance et les attitudes des jeunes publics. Une campagne transverse mass media/web/communication interpersonnelle Notre communication s’articule autour des médias de masse, de la communication en ligne et de la communication interpersonnelle. S’agissant des médias de masse, la campagne s’appuie essentiellement sur des images vectrices de messages. Ces images doivent être immédiatement compréhensibles et non-équivoques. Dans cette perspective, la campagne emploie parfois des images choquantes. Certains visuels de campagne reprennent des contextes sociaux ordinaires des jeunes, la discothèque, la soirée à la maison ou au bar. Cependant, les légendes apposées aux photos expliquent la suite de la soirée en cas de consommation excessive d’alcool. A titre d’exemple, une jeune femme va perdre selon la légende le contrôle et sera prise en photographie nue. L’objectif 16 17 Zéro alcool puissance maximum Alcool ? Connais tes limites 29 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? de ces affiches était de prouver aux jeunes qu’il est possible d’anticiper les conséquences désastreuses de situation ordinaires. Figure 15 - le poids des photos, le choc des mots En 2012, la campagne d’affichage reposait sur une ligne de communication mettant en valeur la responsabilité et la capacité de choisir des jeunes. Ces affiches étaient composées d’un polaroïd du début positif d’une soirée et d’un arrière-plan montrant les conséquences de l’abus d’alcool. Figure 16 – Les dangers d'une nuit d'ivresse L’affiche de gauche met en scène deux amies qui se retrouvent dans une situation désastreuse. L’affiche du milieu montre la limite entre le flirt agréable et un piteux état tandis que l’affiche de droite montre deux meilleurs amis qui finissent par se battre en fin de soirée. Ces supports visuels ont fait l’objet d’une importante campagne d’affichage dans les lieux de vie des jeunes (abribus, établissements scolaires) et d’encarts publicitaires dans les magazines prisés par cette cible (sport, 30 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? informatique). Ces images sont également présentes dans les carrousels à cartes postales omniprésents dans les bars et restaurants d’Allemagne. Des clips vidéo sont par ailleurs diffusés dans les cinémas, sur Internet ou au sein des discothèques. [Projection d’un clip vidéo de prévention] Chaque vidéo fait l’objet de débats au sein de notre institution et de focus groups réunissant notre public-cible pour déterminer la pertinence des contenus. Outre les contenus vidéo, nous proposons des informations par des brochures. La communication web de la campagne se développe en premier lieu depuis un site internet dédié 18 qui délivre des informations sur les risques de l’alcool. Ce site internet dispose d’un design interactif et très ergonomique pour s’adapter aux dispositifs mobiles. Les informations présentes sur le site prennent aussi les formes interactives d’un calculateur d’unités alcooliques et caloriques par boisson ou d’une carte de l’influence de la consommation d’alcool sur les différentes parties du corps. Figure 17 - Page d'accueil du site de la campagne Le site internet peut-être personnalisé en fonction du sexe du visiteur. Cette personnalisation permet de s’adapter aux différences de consommation et de comportements par genre. Pour aider à modifier les comportements, le site dispose d’un test auto-administré permettant au visiteur d’évaluer en temps réel sa consommation d’alcool sur une base scientifique. Par ailleurs, un programme de deux semaines est proposé pour engager un changement de comportements au travers d’une évaluation réalisée par ordinateur. Les réseaux sociaux sont également l’occasion de fournir des informations mais aussi d’entretenir un échange direct avec le groupe-cible. Le réseau Facebook est à cet égard un canal de communication privilégié. La page Facebook dédiée à la campagne compte ainsi plus de 260 000 « likers » et propose des mises à jour quotidiennes, des échanges de photographies et de vidéos. 18 www.kenn-dein-limit.info 31 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Cette page est l’occasion d’écouter les jeunes et de mieux connaître leurs centres d’intérêt. Un questionnaire a par ailleurs été développé en 2011 via Facebook tandis qu’un système de bannières contenues dans les mails permet aux jeunes de faire la promotion de notre site auprès de leurs amis. En matière de communication interpersonnelle, des supports ont été conçus à destination des enseignants et des acteurs de terrain pour animer des séances de prévention. De plus, le programme a formé 50 éducateurs de 18 à 25 ans qui vont à la rencontre d’autres jeunes dans les rues et les festivals d’Allemagne pour les sensibiliser à la consommation responsable d’alcool. En dépit de nos craintes initiales, ce projet s’est avéré être un succès et permet une communication entre pairs qui ne présente pas d’obstacles de langage et de codes. La durée moyenne des conversations est de 20 minutes et constitue l’occasion de prendre des photographies mises en ligne pour promouvoir ce sujet par de nouveaux ambassadeurs. Ces animations de rue ont permis de s’adresser à plus de 36 000 jeunes par an. Notre institution mène des évaluations qui nous permettent de disposer d’éléments détaillés sur la consommation d’alcool et de mieux connaître les motivations de ces consommations. A cet égard, notre enquête de 2010 a fait ressortir que plus de 90 % des jeunes de 12 à 25 ans connaissaient tout ou partie de la campagne « Alcool ? Connais tes limites ». En conclusion, notre institution emploie des stratégies de marketing social de pointe. Les missions de prévention doivent reposer sur des stratégies planifiées et inclure la société dans son ensemble. Cependant, le travail de prévention nécessite un engagement continu et de long terme pour participer durablement aux changements comportementaux. Echanges avec la salle L’éventail des outils de prévention de la consommation d’alcool De la salle A-t-il été facile d’introduire les cartes postales de la campagne au sein des restaurants et des bars ? Mareike AWOLIN Cette stratégie marketing est très courante en Allemagne. Vous payez les propriétaires pour que vos cartes postales soient disposées dans le carrousel des établissements. Benoît FELIX Est-ce que ces présentoirs associent cartes postales commerciales et messages de prévention ? Mareike AWOLIN Tout à fait. Nos cartes postales sont parfois disposées à côté de cartes faisant la promotion de boissons alcoolisées. De la salle Le budget de 10 millions d’euros que vous évoquez comprend-il l’ensemble des actions du programme ? Mareike AWOLIN Il s’agit d’un budget annuel qui comprend l’ensemble des actions présentées mais aussi des opérations de coopération locale et régionale. 32 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De la salle Avez-vous construit les contenus d’information en lien avec les jeunes ambassadeurs que vous mobilisez dans la rue ? Mareike AWOLIN Nous avons recruté 50 animateurs qui disposent d’une formation visant à clarifier les messages clés de la campagne mais aussi à développer des compétences de communication. De la salle Quelles sont les raisons de la consommation d’alcool plus forte chez les hommes que chez les femmes ? Par ailleurs, comment expliquez-vous le développement des pratiques de binge drinking ? Mareike AWOLIN Le binge drinking désigne la consommation de plus de cinq boissons alcoolisées sur un même lieu. Ce phénomène est en développement et nous a amenés à cibler plus particulièrement les jeunes. Nous recherchons des explications à la consommation plus forte et régulière des hommes. Cette consommation relève peut-être d’une tradition. En tout état de cause, les jeunes femmes ne consommaient pas autant d’alcool auparavant. De la salle Dans quelle mesure les établissements scolaires se sont emparés de ce programme et quelles actions ont été développées ? Mareike AWOLIN Des programmes sont spécifiquement dédiés au milieu scolaire. Nous parcourons l’ensemble de l’Allemagne pour toucher un large public d’établissements scolaires. Nous envoyons par ailleurs régulièrement des supports d’information et les retours des établissements font état d’un impact positif de ces actions. Benoît FELIX La parole est à nos jeunes témoins. De la salle (Léo DUVERNEY, jeune témoin) Je suis assez sensible au projet des éducateurs jeunes et au programme visant à réduire sa consommation en deux semaines. Cette approche lie prévention et accompagnement. Benoit FELIX Le site dédié est par ailleurs très attractif. Il permet d’observer les organes atteints par la consommation d’alcool par une infographie très ludique. De plus, il permet de calculer le nombre de calories en fonction des boissons converties en apports caloriques d’aliments. La page Facebook comme forum d’échanges De la salle (Alice Benoist, jeune témoin) Cette approche cross-média permet d’atteindre un public très large. En revanche, disposez-vous d’informations sur les retombées de ces campagnes au travers de témoignages par exemple ? Est-ce que les jeunes ne consomment pas ces messages par curiosité, noyés qu’ils sont par la publicité ? Mareike AWOLIN 33 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Nous disposons en effet de témoignages que nous incluons à nos supports de prévention. La page Facebook est à ce titre une sorte de forum qui nous fournit de nombreux retours positifs, négatifs ou indifférents. Le but est que chacun puisse s’exprimer. De plus, lorsqu’un jeune valorise le fait de boire excessivement, il est souvent régulé par d’autres internautes qui mettent en avant les risques de sa consommation. Par ailleurs, nous testons nos images sur des focus groups pour en évaluer l’impact. De la salle (David HEARD, Inpes) De son élaboration à son aboutissement, quels ont été la durée et le nombre de personnes mobilisées au cours de cette campagne ? Mareike AWOLIN Nous avons obtenu le budget et conçu la stratégie de communication assez rapidement, notamment parce que nous avons bénéficié de l’expérience des campagnes précédentes. Il est difficile d’évaluer le nombre de personnes mobilisées au cours de cette campagne transverse. Dix employés travaillaient à plein-temps mais d’autres personnes du département des campagnes participaient ponctuellement aux travaux. De la salle (Peggy PIRCHER, Association école des parents qui gère le dispositif fil santé jeunes) Modérez-vous les interactions sur la page Facebook ou les échanges sont-ils totalement libres ? Mareike AWOLIN La page est supervisée par des modérateurs qui consultent l’ensemble des échanges. Ce community management représente un travail considérable mais la page Facebook est un vecteur d’informations important. Malgré tout, notre modération est limitée pour permettre aux jeunes de s’exprimer librement. De la salle Au-delà du programme auto-administré de réduction d’alcool sur deux semaines disponibles sur votre site, avez-vous des demandes de suivi personnalisé et de plus long terme, accompagné par des professionnels ? Mareike AWOLIN Nous étendons en effet ce test à des programmes plus soutenus. Benoît FELIX Après cette présentation d’un dispositif allemand de prévention multi-supports, Julie Mattéa-Fourès va nous présenter de quelle manière l’Inpes a développé une campagne de prévention relative au tabac au travers du manga. Jeunes et tabac : le manga, une expérience interactive pour toucher du doigt les manipulations de l’industrie du tabac Julie-Mattéa FOURES Chargée de communication, Inpes Le manga Attraction a été développé par l’Inpes en 2010 pour lutter contre le tabagisme des jeunes. Cette expérience montre qu’au-delà d’une simple campagne de communication, il est possible d’utiliser les nouvelles technologies pour donner de l’ampleur à un message de prévention. 34 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De plus, cette expérience constitue un exemple de déclinaison d’une communication au service des acteurs de terrain. La prévention du tabagisme chez les jeunes, une priorité Cette campagne s’inscrit dans un contexte de lutte contre le tabagisme des jeunes qui a dernièrement connu une hausse inquiétante. Cette reprise de la prévalence du tabagisme chez les jeunes est d’autant plus inquiétante que la précocité de l’expérimentation est identifiée comme un facteur de risque important pour l’installation durable dans la consommation et la dépendance. Par ailleurs, en dépit d’un contexte réglementaire restrictif, les jeunes demeurent une cible privilégiée de l’industrie du tabac qui déploie des stratégies marketing agressives. Aussi, dans la continuité de nombreuses campagnes, l’Inpes a engagé en 2010 la campagne de communication Attraction. Les partis pris d’une campagne innovante La problématique de la campagne pouvait se formuler de la manière suivante : « comment dénormaliser le produit tabac auprès d’une population qui se sent invincible ? ». En effet, une communication qui mettrait en valeur les risques n’aurait que peu de sens auprès d’une population peu concernée par la question. Par conséquent, l’objectif de la campagne était de faire prendre conscience du fait que la cigarette prive les jeunes de leur liberté et de les inciter à résister au tabac ou à arrêter. La campagne Attraction avait ainsi pour parti pris de recourir au manga, genre plébiscité par les adolescents. La France est en effet le plus gros consommateur mondial de manga après le Japon. Par ailleurs, les jeunes retrouvent souvent dans le manga des thèmes qui leur sont spécifiquement dédiés. De plus, l’univers du manga se prête parfaitement au renouvellement du discours sur le tabac par la mise en scène métaphorique d’une confrontation entre bien et mal. Ce mode de narration et ses codes permettent ainsi d’amener les jeunes à s’interroger sur leur capacité à résister à l’influence de leurs pairs. Un autre parti pris de la campagne était d’opter pour un récit interactif. L’interactivité est un ressort très fort d’interpellation de jeunes friands de réseaux sociaux. Dans cette perspective, l’adolescent pourra incarner à cinq moments clés du récit l’un des trois héros et prendre ainsi part au déroulement du manga. Le manga Attraction incarne à cet égard les prémisses du développement des serious games 19. Le troisième parti pris de la campagne était de déployer un récit s’ouvrant sur de l’information. L’innovation n’étant pas une fin en soi, il apparaissait logique de faire déboucher le manga sur des informations relatives à la dépendance, aux manipulations de l’industrie et aux aides pour l’arrêt du tabac. Le dispositif comprenait à ce titre des tests de dépendance et une calculette permettant d’évaluer les dépenses pour le tabac. Par ailleurs, il était possible de s’inscrire aux séances de coaching par mail de tabac info service. Le dernier parti pris résidait dans l’utilisation d’Internet, média le plus populaire auprès des jeunes. Internet constitue un espace de liberté et de distraction qui permet de faire entendre les messages de prévention. 19 Le serious game ou jeu sérieux est une application développée à partir des technologies du jeu vidéo qui combine une intention « sérieuse » - de type pédagogique, informative, communicationnelle, marketing, idéologique ou d’entraînement - avec des ressorts ludiques. La vocation d’un jeu sérieux est donc de rendre attrayante la dimension sérieuse par une forme, une interaction, des règles et éventuellement des objectifs ludiques 35 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Une expérience interactive autour du manga La campagne reposait ainsi sur une expérience interactive sur internet promue à la manière des lancements de jeux vidéo via des bannières, une affiche et une bande-annonce diffusée au cinéma à l’occasion de la sortie du dernier Harry Potter. Les réseaux sociaux ont été investis tandis que les blogueurs spécialisés dans le manga ont été mobilisés. Des cartes postales ont également été distribuées. Pour ne pas asséner un message de prévention descendant, l’ensemble de ces outils occultait les mentions du type ministère de la Santé ou Inpes. Le manga Attraction plonge l’internaute dans un Tokyo futuriste pour suivre les aventures de trois adolescents attirés par le mystérieux club « Attraction ». Au sein de ce club, le monde du tabac a revêtu ses plus beaux atours. D’abord fascinés, les adolescents vont rapidement se rendre compte que ce monde de séduction n’est qu’une illusion et auront pour mission de révéler l’envers du décor. Figure 18 - Les héros du manga Attraction L’interaction sur le site est permise par la webcam ou à défaut par la souris. En bougeant sa tête via la webcam, il est possible d’obtenir les conseils de l’un des héros. Ensuite, l’internaute compose un code de couleur lui permettant d’entrer dans le club Attraction. [Projection du manga Attraction 20] Au travers de l’histoire vécue par ces trois héros, le manga interroge plusieurs thèmes en lien avec le tabagisme des adolescents. Les différentes séquences sont conçues pour faire prendre conscience aux adolescents que l’attractivité de la cigarette est fondée sur des stratégies marketing qui jouent sur la séduction, la transgression et la promesse d’accession à un monde mature. Ce manga les interroge également de manière ludique sur leur capacité à résister à l’influence des pairs et aux représentations collectives de la cigarette. Un outil de communication converti en outil d’intervention Afin de prolonger cette action, l’Inpes a travaillé sur la conversion de cette campagne en outil d’intervention. Cette opération a été un succès qui a suscité plus de 400 000 visites sur le site lors de la première diffusion du manga et autant de trafic à l’occasion de sa rediffusion. Par ailleurs, les retours issus du milieu de l’éducation furent très positifs. En revanche, ceux-ci nous ont interrogés sur les possibilités d’utilisation de cette campagne au-delà de la simple diffusion du manga. L’Inpesa ainsi souhaité approfondir ces messages médiatiques souvent éphémères par un prolongement comme outil d’intervention. La contrainte principale de cette opération consistait à passer d’un support initialement destiné aux adolescents dans le cadre d’une expérience isolée à un support impliquant un échange. 20 www.attraction-lemanga.fr 36 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? L’Inpes a consécutivement décidé de créer un outil d’intervention en éducation et promotion de la santé. Il s’agissait de proposer aux intervenants une démarche et des repères d’utilisation du manga permettant une interaction avec le destinataire. Le processus de production de cet outil s’est inspiré de la construction de l’outil « Jeune et homo sous le regard des autres » 21. Un groupe de travail a ainsi été constitué de plusieurs représentants institutionnels et d’un enseignant qui a validé à la fois le projet, les objectifs, la démarche et les destinataires. Le groupe de travail a ensuite défini le sommaire, les thèmes abordés et procédé à la validation des contenus pour créer un outil faisant l’objet d’un consensus. Il s’agissait également par ce travail de comprendre les contraintes de terrain et de les intégrer à l’outil afin d’optimiser son utilisation. Ce processus de production a débouché en 2013 à la diffusion de l’outil Attraction auprès des professionnels de l’éducation, de la prévention, de l’animation socioculturelle ou de toute autre personne volontaire Le public ciblé par l’animation de sessions correspond aux jeunes de 11 à 18 ans. L’outil a pour objectif général de prévenir la consommation de tabac ou d’inciter à l’arrêt. Il a également pour objectifs spécifiques de faire prendre conscience aux adolescents des influences dont ils sont l’objet (stratégies de l’industrie du tabac, influence des pairs, représentations sociales), de leur donner les ressources pour faire leurs choix, de faire évoluer leurs représentations individuelles et collectives du tabac et de renforcer leur esprit critique et leur capacité à dire non. L’outil est composé d’un DVD reprenant l’expérience sans nécessiter de connexion Internet et d’un livret d’accompagnement qui donne aux intervenants les moyens d’animer une session de prévention du tabagisme autour du manga. L’intervenant fait visionner le manga aux adolescents et peut ensuite exploiter différentes pistes de débats 22. La première partie de l’outil correspond à une présentation générale de l’outil et de l’Inpes. La deuxième partie présente des éléments de connaissance visant à aider l’animateur à développer une culture générale sur le sujet du tabac et à réagir aux réactions de son public. La troisième partie présente le manga d’un point de vue fonctionnel (synopsis, présentation des personnages, présentation des séquences et interactions reliées). La quatrième partie fournit des éléments de préparation de la séance d’animation au travers de recommandations techniques et de conseils d’animation. La cinquième partie propose des pistes de débat avec une présentation des enjeux liés au débat et les séquences afférentes ou encore des informations permettant d’aller plus loin par des prolongements du débat ou des liens vers d’autres outils. Une dernière section comprend des ressources pour permettre à l’animateur de s’informer ou d’orienter les adolescents vers une prise en charge. Cette partie présente également les autres outils de l’Inpes sur le thème du tabagisme et comporte un questionnaire permettant d’évaluer l’évolution du point de vue du public. Une fiche focus identifie enfin les compétences psychosociales à mettre en œuvre. Après plusieurs mois de développement, cet outil est en cours de finalisation et sera diffusé auprès des différents partenaires de l’Inpes au second semestre 2013 (Education nationale, réseaux de l’éducation populaire, associations de lutte contre le tabagisme…) 23. Echanges avec la salle 21 www.inpes.sante.fr/professionnels-education/outils/jeune-et-homo/outil-lutte-homophobie.asp Tabac et relations aux autres, tabac et représentations sociales, tabac et choix individuels, faire le choix de ne pas commencer ou d’arrêter 23 L’outil sera également mis à disposition gratuitement sur le site www.inpes.santé.fr 22 37 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Les 11-16 ans, cœur de cible du dispositif Attraction Benoît FELIX Quel le cœur de cible de ce dispositif au-delà de la cible large des 11-18 ans ? Julie MATTEA-FOURES Le cœur de cible se situe plutôt autour de 11-16 ans, l’expérimentation du tabac se situant aujourd’hui autour de 14 ans. Benoît FELIX Qu’ont pensé nos jeunes témoins du site interactif ? De la salle Le manga Attraction me semble davantage être une incitation à ne pas commencer le tabac qu’à arrêter. Julie MATTEA-FOURES Le manga a vocation à faire s’interroger les fumeurs sur ce qu’ils mettent en œuvre lorsqu’ils fument : une dépendance, une représentation ? L’objectif est avant tout de soulever des questionnements qui peuvent les aider à cheminer vers un arrêt du tabac. Comment associer les jeunes aux stratégies de prévention ? De la salle Les stratégies de communication en direction des jeunes ne sont pas exemptes de représentations d’adultes. Aussi, est-ce que les prochains outils développés par l’Inpes s’appuieront sur les compétences psychosociales des jeunes en les associant directement à l’élaboration des outils ? Julie MATTEA-FOURES Ce serait une solution idéale. Néanmoins, la jeunesse est très diverse et la représentativité est difficile à atteindre dans un groupe de travail. Aussi, le fait de travailler avec des experts en lien avec la jeunesse sur le terrain permet en partie de pallier cette absence de représentation des jeunes. De la salle (David HEARD) En guise de solution intermédiaire, il est possible de mettre sur pied des focus groups réunissant des jeunes pour tester et affiner les axes de communication. D’un outil de communication à un outil d’intervention De la salle Intervenante auprès des jeunes dans une association de prévention, j’avais testé le site interactif Attraction et je suis satisfaite de la conversion de ce projet en outil d’animation. En effet, bien que cet outil présente un intérêt certain du point de vue de l’interactivité, il nous était apparu qu’il avait besoin d’être accompagné d’un support d’animation propre à poursuivre le débat et à travailler sur les capacités de résistance à la pression sociale des jeunes. Julie MATTEA-FOURES Tout à fait. La transition de l’expérience isolée devant l’ordinateur à la session de groupe est délicate. L’adolescent n’osera pas nécessairement présenter ses interrogations face à la pression du groupe et l’animation au travers d’un support didactique permet de faciliter les échanges. 38 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Le manga comme point d’entrée Benoît FELIX Cet outil au service de l’échange suppose un temps d’appropriation par l’intervenant. Il est l’occasion de se familiariser à l’interactivité et de découvrir par le manga une partie de la culture des jeunes. De la salle Sur quelle base avez-vous choisi le manga pour atteindre une majorité de jeunes ? Julie MATTEA-FOURES Le manga est un genre très populaire, en particulier auprès des 11-16 ans qui sont de grands consommateurs de ce genre. Un autre outil dédié aux addictions et aux drogues, Kuza, reprend également ce genre 24. Nous ne toucherons peut-être pas l’ensemble des jeunes mais nous avons eu la confirmation qu’il s’agissait d’un genre très populaire auprès de cette cible. De plus, ce genre permet de traiter de manière métaphorique des thèmes complexes car binaires. Benoît FELIX Il est à noter que cet outil ne nécessite ni l’usage de la webcam ni une connexion Internet grâce au disque incorporé. Après avoir parcouru l’Allemagne et le Japon, nous nous rendons en Auvergne pour discuter d’une campagne qui a pour objectif de réduire la consommation d’alcool en soirée. Auvernight : un tirage au sort pour réduire la consommation d’alcool en soirée Le web, territoire de rencontre avec les jeunes publics consommateurs d’alcool Renaud BOUTHIER Directeur de l’association Avenir Santé L’initiative Auvernight correspond à un projet expérimental et innovant utilisant la sphère numérique en prévention auprès des jeunes. L’association Avenir Santé est engagée à l’échelle nationale pour la santé des 12-25 ans et mène des actions de terrain au sein d’établissements scolaires, de structures de santé ou dans la rue. Ces actions de terrain sont menées par un réseau de 250 jeunes intervenants formés à cet effet. Avenir Santé mène également des actions portant sur l’environnement des jeunes et de leurs prises de risques au travers d’opérations de conseil et d’étude. Avenir Santé, association mixte composée de jeunes bénévoles et de salariés, agit sur sept régions françaises et sensibilise environ 260 000 jeunes par an. Elle est une association généraliste qui articule son action autour de quatre thèmes principaux : addictions, accidents de la route, Infections sexuellement transmissibles (IST) et risques auditifs. Auvernight a pour objectif de prévenir les hyperconsommations d’alcool et plus largement d’autres produits psycho-actifs en milieux festifs, environnement parfois « exutoire », distinct d’autres plus régulés. Le projet s’adresse aux jeunes de quatre départements auvergnats qui correspondent à des zones moins pourvues en matière d’actions de prévention. Ces dernières supposent d’être aux côtés des jeunes et d’agir avec eux : dans cette perspective, il s’agissait d’investir la sphère numérique pour aller à leur rencontre et en assumant un rôle « d’éducateurs numériques ». 24 www.kusa-lemanga.fr 39 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Ce projet s’inscrit dans une dynamique partenariale forte qui réunit notamment les experts du Centre de ressources addictions Auvergne (CR2A) et répond à un protocole d’évaluation rigoureux. Il intègre également de nouvelles façons de communiquer en direction des jeunes, notamment par la logique participative permise par Internet. Selon l’enquête ESCAPAD 2011 de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), les jeunes Auvergnats déclarent davantage d’épisodes répétés d’alcoolisation ponctuelle que les autres jeunes métropolitains. Par ailleurs, une étude menée également en 2011 par l’université de Columbia sur un panel de 2050 jeunes hyper-connectés, connectés ou non-connectés a montré que les jeunes connectés ou hyper-connectés consommaient cinq fois plus de tabac, trois fois plus d’alcool et deux fois plus de cannabis que les jeunes non-connectés. La communication via la sphère numérique permet ainsi d’atteindre des jeunes potentiellement plus consommateurs que d’autres. Par ailleurs, la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » (HPST) a la promotion de l’alcool sur la toile et une « déferlante » de messages publicitaires des alcooliers. Il apparaît ainsi nécessaire d’agir en prévention sur Internet. Auvernight, un zeste de prévention dans un univers de fête Le projet Auvernight se matérialise par une page Facebook dédiée à l’annonce de soirées et plus largement à la fête. Cette page ne revêt pas de coloration prévention mais introduit un zeste de prévention au sein de l’environnement festif auvergnat au travers de vidéos préventives, d’affiches et de supports audiovisuels. 81 % des 15-16 ans disposant d’un compte Facebook, il apparaissait crucial d’avoir une présence sur ce réseau social notamment face à des groupes dédiés à l’alcool : « Mieux vaut être saoul que con, ça dure moins longtemps » ou « Consommer avec modération… Mais putain, c’est qui ce modération ? » ne concourant pas, c’est le moins que l’on puisse dire, à la prévention. Sans dénier ces modalités d’expression des jeunes, il nous paraissait intéressant d’introduire une page respectant l’environnement festif des jeunes tout en distillant une pointe de prévention. Des SMS préventifs aux moments –clés de la vie festive des jeunes Auvergnats Au-delà de ce support de prévention relatif aux consommations de produits psychoactifs, le programme consiste également à envoyer des SMS de prévention des risques aux « likers » de la page Facebook et ce, sur une période limitée et aux moments-clés de leur vie festive (vendredi et samedi soir). Exemples de textos envoyés: « Si tu as bu ou fumé et que tu comptes sortir, mieux vaut composer le numéro d’un taxi plutôt que celui d’un SAMU », « Un joint s’éteint, un être s’éveille », « Si tu bois ce week-end, tu t’es déjà dit que tu pouvais limiter le nombre de verres ? » ou « Trop d’alcool ne permet pas de choper… Enfin si, des MST ». L’appât du gain comme méthode d’approche de publics éloignés de la prévention Pour attirer les jeunes Auvergnats sur la page Facebook Auvernight et leur envoyer des SMS, le projet propose un tirage au sort permettant de gagner des lots d’une valeur de 3 500 euros (correspondant à un voyage à Miami ou à de l’appareillage multimédia). Pour participer à ce tirage au sort, les internautes doivent aimer la page Facebook et accepter de recevoir des SMS préventifs. Cette logique de tirage au sort comme ressort de participation de la jeunesse peut apparaître discutable d’un point de vue philosophique. En effet, il serait préférable que ces jeunes s’inscrivent d’eux-mêmes mais notre parti pris a été d’atteindre d’autres catégories de jeunes, imperméables à la prévention et davantage perméables à l’appât du gain. De plus, pour participer au tirage au sort, les jeunes Auvergnats doivent répondre à un questionnaire relatif à 40 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? leurs représentations de la fête, au lien entre alcool, cannabis et fête et à leurs consommations d’alcool. Un questionnaire identique leur sera ensuite envoyé après l’envoi des SMS préventifs pour évaluer un mois et demi plus tard les éventuelles évolutions25. Ces évolutions seront comparées aux réponses d’un groupe témoin composé d’étudiants en première année de psychologie de l’université de Clermont-Ferrand. La première phase de tirage au sort et d’envoi des SMS a eu lieu à la fin de l’année 2012 et nous en sommes à la deuxième. Le nombre d’inscrits au tirage au sort s’élève à 850 jeunes pour 1 200 « likers » de la page Facebook. Les résultats de la première phase témoignent d’évolutions intéressantes du point de vue des représentations et des consommations déclarées. Néanmoins, ces tendances restent à confirmer et une évaluation finale sera réalisée à la suite d’une troisième phase (d’envois des SMS). Ce projet, financé par l’ARS Auvergne et les Préfectures des quatre départements de la région, pourrait faire l’objet d’un développement sur d’autres zones. D’une manière générale, il se poursuivra en 2013 en Auvergne et a également vocation à sensibiliser les institutions à l’importance de la sphère numérique et des actions de prévention qui peuvent y être menées. Echanges avec la salle Données relatives aux mineurs : un usage sujet à caution Benoit FELIX Ce projet est un exemple d’une campagne originale et locale à faible coût. Cependant, que se passe-t-il si le gagnant du voyage à Miami est un enfant de 12 ans ? Par ailleurs, avez-vous réalisé une déclaration à la Commission nationale de l’information et des libertés (CNIL) au sujet de la constitution d’un fichier de numéros de téléphones de mineurs ? Renaud BOUTHIER Le concours est ouvert aux Auvergnats à partir de 13 ans. Les déclarations à la CNIL ont été effectuées. En revanche, il est de la responsabilité des parents de décider des modalités d’utilisation du lot. Benoît FELIX Je tiens à mettre en garde les porteurs de projet sur les conditions de préservation des fichiers contenant des informations relatives à des mineurs. Les modalités de « recrutement » des jeunes sur Facebook De la salle Vous comparez un groupe de 12-25 ans à un groupe témoin composé d’étudiants en psychologie. La comparaison est-elle judicieuse ? Par ailleurs, travaillez-vous en lien avec les services de médecine préventive universitaire ? Renaud BOUTHIER La majorité des Auvergnats inscrits à notre tirage au sort présentent un état civil très proche des membres du groupe témoin, avec une représentation majoritaire de la tranche 18-25 ans. Ainsi, le groupe témoin constitué d’étudiants en première année universitaire est assez proche du profil des 25 Le deuxième remplissage du questionnaire est une condition pour connaitre les résultats du tirage au sort 41 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? participants au tirage au sort. Notre association s’inscrit de manière générale dans un partenariat régulier avec la médecine préventive universitaire de Clermont-Ferrand qui demeure cependant peu mobilisée dans le cadre de ce projet. Il mobilise d’autres partenaires qui disposent notamment d’une capacité de communication importante (comme les mutuelles étudiantes). De la salle Avez-vous rencontré des difficultés dans le recrutement de fans pour la page Facebook ? Avez-vous mené une campagne de communication particulière pour faire monter en puissance cette page ? Renaud BOUTHIER 80 % des fans ont été recrutés sur des périodes très restreintes. Ce recrutement s’est essentiellement effectué par le biais d’une opération d’e-mailing effectuée par les mutuelles étudiantes. Internet est un univers d’instantanéité. Malgré une intense campagne de distribution de flyers pourvus de Quick Response (QR) code 26, l’e-mailing constitue la modalité de recrutement la plus efficace car la personne peut cliquer instantanément sur le lien contenu dans le mail et s’inscrire dans la foulée. Benoît FELIX Quel a été le coût de la campagne ? Renaud BOUTHIER Le coût du projet s’élève à 50 000 euros sur une année. La sensibilisation et l’éducation à la santé par un tirage au sort et sur Facebook : une expérimentation atypique et controversée De la salle Je travaille au sein d’une association de prévention et je suis très sceptique vis-à-vis de ce projet. Je suis en premier lieu sceptique vis-à-vis du coût financier que représente ce lot. Par ailleurs, je n’ai pas le sentiment que cette opération constitue véritablement une opération de prévention. Elle ne comprend aucune dimension d’échange avec le jeune pourtant inhérente au travail de prévention. Le travail de prévention suppose de travailler sur les représentations et d’échanger avec les jeunes en milieu festif. Le montant de 3 500 euros est à titre d’exemple supérieur au coût de deux soirées de prévention et paraît disproportionné. Le succès de la page Facebook est par ailleurs à mettre en relation avec l’effet d’attraction du lot. Pour autant, ces jeunes seront-ils réellement interpellés par un message de prévention ? Est-ce qu’un professionnel de prévention anime la page pour apporter des informations aux jeunes ? Par ailleurs, quel est l’avis de vos financeurs sur le montant du lot ? N’ont-ils pas suggéré de proposer des lots d’une valeur moindre ? Cette stratégie de la récompense et de l’attraction du jeune à tout prix me semble peu propice au déploiement d’une réelle opération de prévention. Renaud BOUTHIER Ce projet est atypique et peut surprendre. Notre but est de sensibiliser des jeunes attirés par le gain, par Miami et l’environnement festif, ceux qui sont peu présents dans les réseaux de prévention habituels. Aussi, il s’agit de sortir des lieux les plus habitués aux actions de prévention. Ce projet est une expérience qui ne répond pas aux modèles éducatifs traditionnels que l’association Avenir Santé déploie par ailleurs. Néanmoins, il s’agit d’une expérimentation 26 Le QR code est un code-barres de deux dimensions qui peut être encodé rapidement après avoir été lu par un téléphone mobile, un smartphone ou encore une webcam 42 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? complémentaire qui permettra d’évaluer un éventuel impact sur les représentations et les consommations de certains jeunes. Pour évaluer l’impact et le ressenti de cette initiative, nous interrogerons téléphoniquement 10 % des jeunes concernés (fans de la page Facebook). Il est important de ne pas jeter l’anathème sur ce type d’expérimentation. Les financeurs, d’abord surpris, ont ensuite compris que cette opération pouvait correspondre à certains profils de jeunes qui échappent à la prévention traditionnelle. Ce projet tente d’être « sexy », un attribut qui fait parfois défaut aux acteurs de la prévention mais qui peut permettre d’attirer de nouveaux publics. Cette expérience n’a pas nécessairement vocation à être reproduite dans toutes les situations mais s’inscrit dans un droit à l’expérimentation et dans un créneau disponible. De plus, ce projet fera l’objet d’une évaluation seule susceptible de tirer les conclusions de cette expérience. Le montant de 3 500 euros peut choquer mais d’autres projets sont sensiblement plus coûteux. Ce projet est original et atypique et je comprends qu’il puisse heurter la composante traditionnelle de la prévention et de l’éducation à la santé. Benoît FELIX Que pensent nos jeunes témoins de cette campagne ? De la salle Je respecte cette initiative qui tente d’attirer la cible insaisissable des jeunes. Les jeunes sont confrontés à une multitude de messages et il apparaît très difficile de les impliquer dans une campagne de prévention. Dans cette perspective, le principe de la dotation peut permettre d’attirer certains jeunes. En revanche, je reste dubitative face au choix de la destination. En effet, les gagnants risquent de renforcer leur consommation en allant à Miami qui constitue un cliché de l’alcool et de la fête et véhicule des représentations particulières. Benoît FELIX J’imagine que le choix de la destination a été effectué en fonction du public cible de la campagne. De la salle (Béatrice-Anne BARATCHART, médecin à l’ARS d’Aquitaine) Qui sont les personnes chargées de l’élaboration des SMS de prévention ? Renaud BOUTHIER Les SMS sont élaborés par les professionnels de notre association. De la salle (Béatrice-Anne BARTCHART, médecin à l’ARS d’Aquitaine) Je suis également sceptique. A mon sens, ce projet pourrait être sauvé si des jeunes étaient associés à la conception de ces messages pour les rendre eux aussi plus « sexy ». De la salle (Léo DUVERNEY) A l’inverse, je trouve ces messages plutôt amusants. En revanche, ces messages n’auraient à titre personnel aucune influence sur un changement de comportement. Par ailleurs, je m’interroge sur la pertinence des réponses aux questionnaires. En effet, certaines personnes remplissent peut-être ce questionnaire à la hâte pour connaître le résultat du tirage au sort ou le rédigent dans le sens des attentes des organisateurs. Renaud BOUTHIER Les jeunes doivent réagir à des phrases du type « l’alcool améliore l’ambiance d’une soirée » en se positionnant sur une échelle de zéro à cinq. Votre remarque est juste, certains jeunes peuvent 43 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? remplir ce questionnaire à la hâte. Néanmoins, la taille de l’échantillon permet d’éviter des biais de remplissage et d’atteindre une certaine fiabilité statistique. Benoît FELIX Quelle est l’opinion de notre collègue allemande sur ce type d’expérimentation ? Mareike AWOLIN La stratégie est intéressante, notamment en ce qui concerne les SMS. En revanche, je suis plus sceptique vis-à-vis de la loterie et du montant du prix. Les changements de comportement des jeunes doivent venir d’eux-mêmes et le lot ne doit pas être l’unique motivation. Par ailleurs, les jeunes peuvent-ils ne s’inscrire qu’à une seule phase du programme ou doivent-ils suivre toutes les phases de celui-ci ? Renaud BOUTHIER A chaque session de tirage au sort, nous demandons aux jeunes de s’inscrire et de remplir à nouveau le questionnaire. De la salle Vous avez mis en valeur le caractère innovant et original de ce programme en matière de prévention et d’éducation à la santé. Aussi, où se situe selon vous la part éducative du programme ? Je ne suis pas convaincue du rôle d’autonomisation et de responsabilisation du montant du lot. Par ailleurs, sur le point de l’évaluation, disposez-vous d’éléments d’analyse qualitative ? Renaud BOUTHIER Votre question renvoie à la conception de l’éducation à la santé. Eduquer consiste à donner des compétences et à accompagner les personnes vers des choix responsables en matière de santé. Le parti pris de ce projet est d’accompagner les jeunes à des moments clés de leur vie festive en leur rappelant certaines choses et en les faisant réfléchir sur des problématiques de consommation selon le concept anglo-saxon du « take care ». En effet, ils sont interpellés par un SMS un samedi soir avant de sortir. Cette interpellation est un moyen de les faire réfléchir à leur consommation d’alcool ou de cannabis ou à la problématique des accidents de la route. Il s’agit d’un processus éducatif fondé sur une rencontre d’un autre ordre et avec des modalités différentes qui reposent sur des questionnements. Benoît FELIX Après l’Auvergne, nous rejoignons la Réunion pour examiner de quelle manière une des premières associations françaises de prévention du SIDA en est venue à aborder le terrain juridique par un document pédagogique relatif à la sexualité et à la loi. 44 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? « Sexe et loi » : une approche réunionnaise pour aborder les questions liées à la sexualité Figure 19 - Brochure sexe et loi Les risques liés à la sexualité dans le contexte réunionnais Alain DOMERCQ Médecin et président de l’Association réunionnaise pour la prévention du SIDA L’Association réunionnaise pour la prévention du SIDA (ARPS) est basée à Saint-Denis depuis 1988. Elle travaille à la prise en charge globale des risques liés à la sexualité mais aussi sur les grossesses précoces non-désirées, phénomène très prégnant à la Réunion. L’ARPS est également confrontée à un nombre important d’Interruptions volontaires de grossesse (IVG) et à des conduites à risques courantes. Elle mène par ailleurs des actions de prévention de proximité auprès des prostituées et œuvre à la lutte contre l’homophobie. Isolée géographiquement, l’Île de la Réunion connaît une situation économique difficile et compte de nombreux bénéficiaires des minima sociaux et un taux de chômage important. Plus de 60 % des jeunes sont au chômage pour une moyenne de 30 % de chômage. L’ARPS, du fait de son isolement et de la transmission décalée des documents métropolitains, a pris l’habitude d’éditer ses propres brochures sur le désir de grossesse, la syphilis, les hépatites… Les nouvelles technologies, extrêmement développées au sein de l’Île, permettent aux Réunionnais – en particulier aux jeunesde bénéficier d’un accès rapide et instantané à l’information. Aussi, les rencontres virtuelles sont très développées et l’accès à la pornographie est très aisé. Les jeunes réunionnais subissent de plein fouet une situation économique critique et accumulent une série de difficultés aussi bien professionnelles, sociales, affectives que sexuelles. Dans ce contexte, les acteurs de la prévention sont l’objet de nombreuses sollicitations de la part des jeunes, des éducateurs ou de parents parfois désarçonnés par les mutations économiques, technologiques et sociales très rapides connues par l’Île de la Réunion depuis 20 ans. Face à l’évolution rapide de la sexualité, à l’augmentation des rencontres, aux évolutions sociales et aux discriminations en matière d’orientation sexuelle, les besoins de prévention sont nombreux. La société réunionnaise, pluriethnique et pluriculturelle, appelle par ailleurs une série de réponses variées. Il s’agit ainsi de répondre aux questions de droits et de devoirs, d’interdits et de limites mais aussi de combattre la persistance des idées reçues sans être dans le jugement ou le prosélytisme religieux ou culturel. Ce contexte complexe amène ainsi à s’interroger sur un cadre de réponse commun et sur la recherche de réponses aussi satisfaisantes que possibles pour les jeunes 45 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? et leurs parents. Dans le cadre de ces réflexions, nous sommes arrivés au seul cadre qui s’impose à tous, le cadre de la loi. Ainsi, le projet « sexe et loi », engagé par le docteur Xavier Larmurier, comporte au sein d’un programme global de formation d’intervenants et de sessions d’information un projet d’édition d’une brochure consacrée au sexe et à la loi. Vulgariser la loi, cadre commun des pratiques sexuelles Delphine NAU Assistante sociale Notre objectif était de communiquer sur la loi sans adopter un discours moralisateur. Le langage juridique est difficile d’accès pour les jeunes et il apparaissait utile de développer un support propice à la vulgarisation du langage juridique au service de la compréhension des publics. Les objectifs de la brochure « sexe et loi » sont de poser un cadre, de rappeler les interdits, de faire connaître les droits de chacun et de se faire reconnaitre en tant que victime. De plus, cette brochure entend favoriser la réflexion sur les pratiques sexuelles acceptables et favoriser le respect de la personne dans une absence de jugement. Enfin, cette brochure ambitionne de favoriser le dépistage des victimes et leur prise en charge précoce et de promouvoir une meilleure connaissance des institutions, des recours et des relais possibles. Néophytes en droit, nous avons bénéficié pour la conception de la brochure du concours d’un comité de lecture composé de professionnels du droit (juges d’instruction, juristes) mais aussi d’autres champs (médecins, experts en prévention des risques liés à la sexualité) et d’un accompagnement permanent des animateurs de l’ARPS aux prises avec les réalités de terrain et les interrogations des jeunes et de leurs parents. Après un recueil des expériences des animateurs dans le domaine, nous avons procédé au recensement des problématiques les plus pertinentes et des questions les plus fréquemment posées par les jeunes ou leur entourage. La brochure « sexe et loi » répondait à l’impératif de répondre aux questions quotidiennes mais aussi d’être précise en fournissant des références juridiques. Le document aborde ainsi 15 thématiques (majorité sexuelle, contraception pornographie, IVG…) traitées à chaque fois selon la double entrée des textes de loi agrémentés d’extraits d’une part et des questions des adolescents auxquelles sont apportées des réponses juridiques et psychosociales d’autre part. 46 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 20 - Exemple de double-page de la brochure "sexe et loi" Ce projet a par ailleurs nécessité un important travail de formation des intervenants internes mais aussi des relais de prévention (infirmières scolaires, travailleurs sociaux…). La brochure « sexe et loi » est téléchargeable depuis quelques semaines sur le site de l’ARPS 27et fera peut-être l’objet d’une diffusion nationale par l’intermédiaire du CRIPS Île-de-France. Dans le prolongement de ce projet, nous envisageons d’étendre l’offre de formations auprès des relais et des professionnels et de créer de nouveaux modules de prévention auprès des jeunes à partir de cet outil. Echanges avec la salle Un document en direction des jeunes, de leur entourage et des acteurs de la prévention Benoît FELIX Cette brochure fera l’objet d’une diffusion par le CRIPS Île-de-France tenant compte des modifications législatives relatives au mariage homosexuel. Qu’ont pensé nos jeunes témoins de cette brochure ? De la salle (Léo DUVERNEY) Nous sommes unanimes. Cette brochure est bien conçue, complète et intéressante. 27 www.arps-info.com/commun/publications-sida.html 47 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De la salle Cette brochure est d’autant plus intéressante qu’elle s’adresse aussi bien aux jeunes qu’à leurs parents. Alain DOMERCQ Après avoir initialement prévu de concevoir une brochure exclusivement destinée aux jeunes, le parti pris de l’ARPS a été de développer une double entrée permettant de répondre simplement à des questions complexes, à la fois par des informations quotidiennes et théoriques. Par ailleurs, il s’agissait d’offrir des outils aux parents et aux encadrants et de susciter un dialogue. De la salle L’initiative de rapprocher ces thématiques de la législation est très bonne. En revanche, les jeunes ne vont pas nécessairement aller chercher ces supports de prévention. Une constitution de repères incontestables en matière de sexualité Alain DOMERCQ Cette question renvoie à l’importance du rôle des animateurs. Aussi, ce programme articule à la fois un projet d’édition, de formation des animateurs et de sensibilisation des relais de terrain pour générer un dialogue sur le sexe et la loi. A l’image de la brochure « Les filles/Les garçons » 28, la brochure sexe et loi est un support dense au service des actions de proximité et de la constitution de repères pour les intervenants en prévention. Le document aborde les thématiques de l’autorité parentale, de l’homosexualité, du droit à la contraception selon une approche européenne qui permet de saisir les différences et les évolutions sur ces sujets. La brochure aborde des sujets problématiques en milieu insulaire tels que l’IVG ou l’homophobie et rappelle les droits en la matière. Le mariage homosexuel a également été l’objet d’actions de prévention car il fait souvent l’objet en milieu insulaire de discours discriminants. Les mineurs-parents sont par ailleurs une problématique fréquente de l’Île de la Réunion que nous devions aborder au même titre que les infractions sexuelles qui correspondent à 30 % des peines. Un important travail graphique a été mené pour rendre le support lisible tandis que nous avons fait en sorte de mettre en relief des situations vis-à-vis desquelles les jeunes pouvaient se retrouver. Le viol, les agressions sexuelles, l’inceste, le harcèlement sexuel, la pornographie et les mineurs sont autant d’autres thèmes qui permettent une remise à niveau des connaissances. A titre d’exemple, j’ai diffusé cette brochure au sein du milieu médical et de nombreux praticiens m’ont fait part de leur méconnaissance des droits et des devoirs de chacun. En effet, de nombreux praticiens envisagent de parler aux parents de la contraception des enfants ou orientent fortement les décisions d’IVG dans une forme de jugement. Dans cette perspective, la référence à la loi comme repère peu contestable permet d’éviter le jugement tout en laissant une place au rôle de l’éducation. La sensibilisation des parents, une mission délicate De la salle Professionnel de santé en centre de planification, je suis heureuse que vous évoquiez le rôle des parents peu mentionné au cours des débats précédents. En effet, il est nécessaire d’informer et de sensibiliser les parents à certaines problématiques. Dans cette perspective, quels sont selon vous les leviers de sensibilisation des parents en matière de tabagisme et d’alcool ? 28 www.lecrips-idf.net 48 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Alain DOMERCQ Dans le cadre de la prévention des grossesses précoces, nous organisons des ateliers réunissant les parents. Des programmes sont également menés en milieu scolaire avec des adultes-relais. Si l’organisation de ces événements reste complexe, nous parvenons chemin faisant à inclure les parents, notamment à l’occasion d’opérations ponctuelles grand public sur la plage ou sur des stands. Le travail de prévention en lien avec les parents demeure néanmoins limité. Julie MATTEA-FOURES Peu de campagnes de communication de l’Inpes sont destinées aux parents. La campagne « Contre les drogues chacun peut agir » et « Le cannabis est une réalité » comprenaient cependant un volet adressé aux parents et des annonces presse dédiées. Un guide destiné aux parents a été également conçu à l’occasion de la campagne « Le cannabis est une réalité » pour permettre aux parents d’évoquer le cannabis avec un adolescent consommateur. A contrario, les sites thématiques développés par l’Inpes intègrent le plus souvent la dimension familiale des problématiques qui se décline par des actions de terrain. De la salle Quels ont été vos partenaires en matière de formation des intervenants ? Alain DOMERCQ L’édition de la brochure date de septembre 2012 et notre réseau de partenaires privilégiés est pour l’instant celui des infirmières scolaires. Par ailleurs, nous envisageons de développer cet outil auprès des structures jeunesse afin de battre en brèche les stéréotypes véhiculés dans l’entourage des jeunes. Cette brochure n’a pas vocation à édicter une norme morale ou à mettre les gens en prison. Elle entend seulement les aider à se positionner et le cas échéant, à modifier leurs comportements. De la salle Je ne sais pas s’il s’agit d’une problématique forte à l’Île de la Réunion mais envisagez-vous de consacrer une page de la brochure destinée au CRIPS d’Île-de-France à la problématique des mutilations sexuelles ? Alain DOMERCQ Le sujet n’est pas abordé dans la brochure car ces pratiques sont peu répandues à l’Île de la Réunion. Néanmoins, il sera tout à fait opportun d’intégrer cette problématique. Benoît FELIX Lucile Bluzat va désormais nous présenter un site internet, Onsexprime.fr, et une web-série développés par l’Inpes pour aborder les problèmes de sexualité des adolescents. 49 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Jeunes et sexualité, onsexprime.fr : comment une web-série et un community manager ont contribué à faire émerger un site participatif sur la sexualité Porter sur le web une parole contribuant à une entrée et à une installation positive des jeunes dans la sexualité Lucile BLUZAT Inpes Le site internet onsexprime.fr a été développé en 2008 pour aborder la santé sexuelle des adolescents et a été remis à jour en 2012. Il a été refondu pour porter sur Internet une parole contribuant à favoriser pour les jeunes une entrée et une installation positives dans la sexualité. Il a pour stratégie de développer une information adaptée aux jeunes, susceptible de répondre à leurs attentes et à leurs questionnements en promouvant des comportements de prévention par une approche globale de la sexualité. A cet égard, le baromètre santé des jeunes de l’Inpes montre que 90 % des jeunes s’estiment très bien informés sur le Virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et les IST. Aussi, il s’agit de développer une approche globale qui ne se restreint pas à une approche par risque. Il s’agit également de s’inscrire dans leurs codes et leurs modes de consommation médias. Ayant largement délaissé la télévision, les jeunes développent des usages intensifs d’Internet et de la téléphonie mobile. Pour faire connaître la nouvelle formule du site onsexprime.fr auprès de nouveaux publics, l’Inpes a exploité au maximum les outils participatifs du web 2.0 afin d’atteindre le maximum de jeunes en quête d’informations sur la sexualité. Un dispositif internet et internet mobile a consécutivement été mis en place notamment au travers d’investissements importants en achats publicitaires et de la diffusion d’une web-série intitulée « PuceauX ! ». En effet, les web-séries constituent des objets internet très courus des jeunes. De plus, ce contenu permettait de déployer un véritable storytelling propre à faire émerger les grands sujets de l’entrée et de l’installation dans la sexualité. « PuceauX ! » : le storytelling au service de la prévention « PuceauX ! » met en scène l’histoire de deux adolescents, Karim et Alex, qui pour préparer leur première fois ont une « idée de génie » : réaliser leur propre film X. Cette série est ainsi l’occasion d’aborder les thèmes de l’amour et de la première fois au travers du personnage d’Alex qui prépare fébrilement sa première fois avec la jeune fille dont il est amoureux. C’est également l’occasion d’aborder les thématiques de la pornographie, du sexisme, de l’homophobie, du rapport au corps et au plaisir ou encore les IST. Chaque étape de la préparation de ce film X est de cette manière l’occasion de nouvelles aventures et de nouveaux questionnements. [Projection d’un extrait de la web-série « PuceauX ! »] 50 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Figure 21 - Visuel de la web-série "PuceauX!" La web-série comporte six épisodes, une bande-annonce, un making-of et des interviews des acteurs. La diffusion d’une bande-annonce a débuté en novembre 2012 pour créer une attente des jeunes avant une diffusion des épisodes chaque dimanche soir. Ce rythme hebdomadaire a permis à la série de s’installer et à donner l’occasion de discuter des problématiques soulevées par chaque épisode. Les épisodes étaient annoncés sur une page Facebook et mis en ligne à la fois sur le site onsexprime.fr et sur le réseau de partage de vidéos Youtube. La sortie des épisodes a également été accompagnée d’une importante campagne de bannières à la fois sur Internet et sur l’Internet mobile. Elle a par ailleurs été soutenue par un partenariat radio avec Skyrock dont le cœur de cible est un public jeune. Au-delà de spots diffusés aux heures de grande écoute, un partenariat avec les animateurs de Skyrock a permis de mettre en place de « vraies-fausses interviews » avec les acteurs de la série. Ce partenariat a ainsi contribué à augmenter considérablement la visibilité de la série et du site et a légitimé ces actions auprès du public jeune attaché aux figures que représentent ces animateurs. « PuceauX ! » a constitué un véritable succès d’un point de vue quantitatif. En effet, les vidéos ont été vues 3 600 000 de fois durant la période de la campagne avec une moyenne de 480 000 vues par épisode. D’un point de vue qualitatif, 75 % de l’audience sur Youtube avaient moins de 24 ans et 60 % de ces internautes avaient entre 13 et 17 ans. De plus, la série a permis de créer un trafic vers le site onsexprime.fr et vers les autres contenus du site puisque 12,9 % des internautes de Youtube ont visionné les autres contenus vidéos de la chaîne onsexprime parmi lesquels les interviews des IST. Au-delà de l’effet viral, un approfondissement du dialogue relatif à la sexualité Ce volet d’animation des réseaux sociaux par la web-série nous a permis d’ouvrir le dialogue et d’approfondir les sujets abordés lors des épisodes. Il a également permis de lier les vidéos avec des articles et des contenus d’onsexprime.fr et de susciter des débats aussi bien sur Youtube que sur la page Facebook. L’animation des réseaux sociaux a rencontré une forte adhésion puisque la page Facebook dédiée a été « likée » par 48 000 personnes tandis que la chaîne Youtube onsexprime a atteint 17 000 abonnés. Cette animation a par ailleurs entraîné 23 500 « likes », plus de 1 200 commentaires, 9 150 « pouces verts » (appréciations positives) sur Youtube et 4 286 partages de vidéos qui sont autant de moyens d’augmentation de la visibilité et de la légitimité des contenus par cette promotion par des pairs. Un community manager animait les comptes et faisait vivre les commentaires et les débats. Un appel à témoignages a par ailleurs été lancé pour la 51 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? première fois sur le site et a connu un franc succès avec des interventions d’adolescents dans leur grande majorité positives. Outre les adolescents, des professionnels de la santé et du monde associatif, des journalistes et des blogueurs ont applaudi l’initiative et se sont impliqués dans les commentaires et les interactions avec les jeunes dans une logique de dialogue vertueux. Le community manager était présent pour répondre aux questions des internautes et le cas échéant pour les orienter vers le fil santé jeunes. Des interactions se sont également créées et autorégulées entre internautes, autour de discussions et d’échanges de conseils souvent pertinents. Ces échanges se créaient entre jeunes mais des adultes intervenaient également et participaient à créer une spirale vertueuse de discussions. Ces interactions ont contribué à un travail de déconstruction du sujet abordé dans l’épisode. Elles permettaient en outre de distiller directement sur les réseaux sociaux les contenus du site en les rendant plus facilement appropriables. En conclusion, cette expérience nous a permis de définir des territoires de prise de parole sur le web participatif. Nous avons à cette occasion observé que les internautes agissent différemment selon les lieux d’interaction. A titre d’exemple, l’anonymat de Youtube permet les polémiques et les provocations d’adolescent - cependant recadrées par des « commentaires-cadres ». La présence du dispositif sur Youtube a permis d’atteindre un public masculin souvent plus éloigné du site onsexprime.fr et des publics peu concernés par les problématiques de prévention. Sur Facebook, le cadre étant celui de la communauté et les commentaires n’étant pas anonymes, il est difficile de dépasser le commentaire « kikoo » ou « LOL » pour des commentaires plus engageants ou approfondis. En revanche, les internautes de Facebook visitant le site onsexprime.fr passaient en moyenne plus de huit minutes sur le site. Facebook favorise davantage les commentaires ludiques et humoristiques au détriment des commentaires sérieux à l’exception des problématiques de discrimination et de sexisme. En revanche, le réseau Facebook constituait un très bon « appât » pour orienter les adolescents vers d’autres contenus. Malgré tout, nous observons la difficulté de maintenir l’attention des jeunes internautes puisque les interactions ont globalement diminué depuis la fin de la campagne. Néanmoins, la grande majorité des adolescents demeure spectateur des échanges entre community manager, adultes et jeunes. A l’avenir, comment réussir à faire de ces multiples spectateurs des communautés d’échange autour de la sexualité ? Est-ce finalement souhaitable ? En effet, l’appartenance des jeunes aux communautés tient en partie à une volonté de valorisation de soi. Dans ce contexte, l’appartenance à une communauté relative aux problématiques de sexualité n’est pas nécessairement valorisante car témoigne d’une certaine insécurité sur ces questions. Notre objectif est en tout état de cause de continuer à diffuser des contenus sur les lieux de présence et d’interaction des jeunes, de faire vivre les échanges par le biais du community management et du fil santé jeunes. Enfin, nous considérons que les jeunes fidèles à notre page Facebook s’inscrivent dans une logique d’engagement et peuvent constituer par notre offre d’information des leaders d’opinion sur ces sujets. Echanges avec la salle Quel storytelling pour quel public ? Benoît FELIX Je vous invite à visiter le site onsexprime.fr à la fois ludique et riche de nombreux témoignages et d’éléments d’information. Que pensent nos jeunes témoins de cette initiative ? 52 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? De la salle (Lucile DEAL, jeune témoin, Crips IDF) J’ai visité le site onsexprime.fr que je trouve très riche et bien conçu. J’ai notamment beaucoup apprécié les contenus vidéo du site. En revanche, j’ai peu accroché à la web-série « PuceauX ». Les personnages m’ont paru un peu stéréotypés, je suis peut-être déjà trop vieille pour m’identifier. Lucile BLUZAT Cette dimension caricaturale des personnages était voulue car elle accentuait les ressorts humoristiques et la tension dramatique. De plus, cette dimension caricaturale permettait de créer de la distance vis-à-vis des personnages pour des jeunes qui s’estiment souvent plus informés qu’ils ne le sont et qui auraient pu se sentir victimes de moquerie si les personnages avaient été plus proches d’eux. De la salle (David HEARD) Cet aspect « cliché » a été longuement débattu au cours de nos sessions de travail et pose la question délicate de la stratégie du plus petit dénominateur commun. En effet, pour toucher le public le plus large, il convenait de limiter les aspérités des personnages susceptibles de nous couper d’une partie du public. Quelle puissance de diffusion des campagnes de prévention ? De la salle (Lucile DEAL) Par ailleurs, nous sommes peut-être encore une fois trop vieux, mais nous n’avions pas entendu parler du site et de la web-série. Il est ainsi dommageable que la campagne n’ait pas été plus largement promue. Lucile BLUZAT Cette remarque est également valable pour nos campagnes à la télévision. Malgré des budgets conséquents, l’Inpes ne dispose pas de budgets publicitaires comparables aux budgets des principaux annonceurs privés. Notre couverture radio n’était pas considérable mais les investissements sur Internet nous ont permis de toucher des publics qui contribuent à démultiplier notre audience grâce à la dynamique participative du web. Benoit FELIX La web-série a tout de même fait l’objet de quatre millions de visionnages. Lucile BLUZAT De plus, le site a été visité plus de 700 000 fois au cours de la campagne. De la salle (Aurélie NISAND, Agence Mac Cann) A titre de comparaison, les adolescents de 13 à 17 ans sont au nombre de quatre millions en France. Certains adolescents ont vu les vidéos à plusieurs reprises et nous n’avons touché l’ensemble de cette tranche d’âge mais certaines expressions de la série ont intégré les cours de lycée telles que « Cimer, pas de galère frère ». De manière générale, ces contenus vidéo ont rencontré un accueil et une diffusion très satisfaisants chez les adolescents. Par ailleurs, la dimension caricaturale des personnages correspondait à un parti pris éditorial qui consistait à privilégier l’humour sur la véracité et le glauque pour aborder des sujets délicats. De la salle Le concept de la web-série a-t-il été élaboré en concertation avec les professionnels de la santé ou uniquement par une agence de communication ? 53 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Lucile BLUZAT L’Inpes fournit à l’agence de communication un brief issu des travaux du programme interne santé sexuelle et du département des campagnes de l’Inpes. L’agence de communication propose ensuite un synopsis retravaillé par nos soins notamment avec des professionnels de l’éducation et de l’éducation. De la salle Quel est le budget de cette campagne ? De la salle (David HEARD) Le budget de la campagne comprenait à la fois la fabrication du site internet, la fabrication des six épisodes de la web-série et la promotion de l’ensemble du dispositif. La réalisation des six épisodes a représenté un coût de 300 000 euros tous droits cédés pour cinq ans de diffusion, ce qui nous permet d’exploiter et le cas échéant de décliner en outils le film. Le dispositif web et la campagne de promotion ont pour leur part représenté un coût d’un million d’euros. 54 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? Conclusion Annick GARDIES La meilleure façon de conclure cette journée de débats consacrée aux stratégies de communication en direction des jeunes est de laisser la parole à nos jeunes témoins. Alice BENOIST Nous ne sommes pas si éloignés de la période de l’adolescence puisque nous avons une vingtaine d’années. Pourtant, beaucoup de choses ont évolué puisque nous n’avons pas le sentiment d’être concernés par toutes ces initiatives. Il est nécessaire de conserver à l’esprit qu’il est important de continuer vos recherches afin de ne pas perdre le fil de l’évolution rapide des jeunes et de la société. Aussi, je vous invite à conserver cette curiosité qui vous permettra de continuer à vous adapter et à communiquer de manière efficace en direction des jeunes pour les sensibiliser à la prévention. Annick GARDIES La communication n’est pas une fonction facile. Elle répond à des objectifs d’alerte et d’information mais comporte des limites. En effet, les campagnes médiatiques ne peuvent à elles seules tout résoudre et s’inscrivent dans une relation de complémentarité avec l’action de terrain de prévention. Les relations interpersonnelles, relais indispensables de prévention, passent aussi bien par le fil santé jeunes que par le web. A cet égard, les témoignages précédents prouvent que le web a été intégré à nos modalités d’action. Il permet de cibler plus finement les publics et d’apporter des réponses individuelles. Au-delà du web, il appartient aux communicants d’outiller les acteurs de terrain dans une collaboration permanente. Que ce soit à la phase d’élaboration des campagnes ou au moment du déploiement de celles-ci, les communicants ont besoin des acteurs de terrain pour être au plus près des besoins et des codes des jeunes publics. 55 Quelles stratégies de communication pour sensibiliser les adolescents à la prévention ? SIGLES ARPS : Association réunionnaise de prévention du SIDA ARS : Agence régionale de santé CFES : Comité français d’éducation pour la santé CNIL : Commission nationale de l’informatique et des libertés CR2A : Centre de ressources addictions Auvergne CRIPS : Centre régional d’information et de prévention du SIDA HPST : « Hôpital, patients, santé et territoires » (loi) INJEP : Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire Inpes : Institut national d’éducation et de prévention pour la santé IST : Infection sexuellement transmissible IVG : Interruption volontaire de grossesse LGBT : Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres OFDT : Office français des drogues et des toxicomanies OMS : Organisation mondiale de la santé QR code : Quick response code SPA : Substance psychoactive TIC : Technologies de l’information et de la communication VIH : Virus de l’immunodéficience humaine e Compte r endu – 8 j ournées d e l a p révention Juin 2013 © Inpes 56