Fin de partie (1957), Samuel Beckett

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Fin de partie (1957), Samuel Beckett
Par Lucile Perello
Objectifs généraux de la séquence
- Aborder une œuvre théâtrale majeure, à la manière d’une troupe au travail : scénographie,
dramaturgie, régie, jeu.
- Jouer sur les registres à l’œuvre, tragique, comique, élégiaque, afin de révéler différents
aspects de l’œuvre et de saisir ce qu’est un choix dramaturgique.
- Effectuer des lectures en correspondance qui permettent de contextualiser l’œuvre dans un
paysage culturel et théâtral riche et important, celui des années 1950.
Selon la belle expression d’Anne Ubersfeld, le théâtre est un texte « en route vers la scène ».
Il ne peut donc s’étudier de la même façon qu’une poésie, qu’un essai ou qu’un roman. Il est
troué, amputé de la chair et des mouvements, des voix des acteurs, de la pensée du metteur
en scène, de l’espace imaginé par le scénographe, éclairé, et du temps de la représentation.
Ce sont ces trous demandant à être comblés de vie que la séquence invitera à repérer,
interroger, interpréter, métamorphoser en « cellules théâtrales » plus ou moins abouties, à
l’image des étapes d’un travail théâtral.
On demandera à chaque élève de posséder un cahier de travail sur la pièce, dans lequel il
pourra non seulement noter les cours, mais aussi les idées qui lui traverseront l’esprit à
propos de la pièce, coller les images, de tous ordres, qui entreront pour lui en résonance avec
la pièce. De nombreux artistes ont cette pratique écrite, de mise en réseaux analogiques. Elle
permet un double mouvement de contextualisation (mise en en réseaux avec des œuvres et
des documents de la même période) et d’actualisation (mise en réseaux avec des œuvres et
des documents actuels) de l’œuvre.
Séance 1. Travail de scénographie et de jeu.
Les didascalies chez Beckett, entre contraintes et liberté.
L’espace scénique.
Travail scénographique et de mise en scène : d’ « Intérieurs sans meubles. » (p. 11) à « Il va à
la porte, s’arrête, se retourne, contemple la scène, se tourne vers la salle » p. 13.
Objectifs
- Faire repérer, dans la didascalie initiale, la différence entre les signifiants généraux et les
référents à choisir par la « troupe » pour produire une scénographie, unique, qui sera
toujours invention et non reproduction d’une réalité évanescente.
- Présenter son projet à la classe, en le justifiant. Production :
1/ Du discours du scénographe, à la fois descriptif et argumentatif. Toute forme de
croquis, schémas, photos, reproductions picturales, montages sera acceptée. Il sera
attendu des élèves, qui auront effectué ce travail par trinômes, une qualité de l’oral, de
l’invention dans les « trous » laissés par Beckett en même temps bien sûr qu’une
adéquation de leur projet à l’ensemble de la pièce.
2/ Les autres élèves seront amenés à évaluer le discours de leurs camarades selon les
critères énoncés ci-dessus et à produire, en aval : une lettre du metteur en scène aux
scénographes, précisant les raisons de leur refus de certains projets dans un premier
paragraphe, et leur acceptation d’un projet, qui sera décrit et dont la validité sera
démontrée par rapport à la pièce, dans un second paragraphe.
3/ La séance s’achèvera sur la mise en espace par quelques groupes de la pantomime de
Clov. L’objectif sera de rendre compte des contraintes imposées par l’auteur, de leur
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valeur, et de la liberté laissée par ce même auteur. Cela préparera la séance 2 sur les codes
de jeu.
- Toute la séance sera portée par la question des significations de la scénographie (on notera
que c’est un décor unique pour un seul acte) proposée par Beckett.
Éléments d’appui pour mener la séance :
Repérer
Les signifiants à transformer en référents : « les petites fenêtres » (p. 11), « un tableau
retourné » (p. 11), « un vieux drap » (p. 11), « un fauteuil à roulettes » (p. 11), « l’escabeau »
(p. 12), « les poubelles » (p. 13), ainsi que les éléments de costumes décrits (le « mouchoir »
de Hamm, peut, ou non, être un drap miniature, jouer sur microcosme et macrocosme).
Choisir
Les proportions, les matières, les couleurs… peuvent varier à l’infini, mais doivent pouvoir se
justifier dramaturgiquement, c’est-à-dire correspondre à une logique des propos tenus par la
pièce.
Les proportions de l’espace scénique lui-même, de minuscule à immense, sont à décider.
Justifier
Cet espace choisi par l’auteur pour Fin de partie, quel est-il et que signifie-t-il ?
Quel est-il ? Un espace clos, intérieur, deux fenêtres inaccessibles sans escabeau, les
poubelles placées à un endroit improbable, collées l’une contre l’autre.
Que peut-il signifier (liste ouverte) ? Un jeu parodique avec les lieux théâtraux qui ont
précédé, particulièrement le théâtre bourgeois : donner à lire les didascalies de lieux des
débuts de :
- Britannicus de Racine (XVIIe)
- Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (XVIIIe)
- La Cagnotte de Labiche (XIXe)
- Huis clos de Sartre (1944)
- La Cantatrice Chauve de Ionesco (publiée en 1952).
Comparer ces lieux avec celui de Fin de partie
- Un lieu en lien avec le contexte historique et les représentations imaginaires
d’après la Seconde Guerre mondiale (bunker, abri antiatomique, lieu proche de l’univers de la
science-fiction) : une banque iconographique sur la Seconde Guerre mondiale, mais aussi sur
les productions qui s’en sont suivies (peinture, bande dessinée, cinéma) pourra être avec
profit réunie par la classe.
- Un lieu symbolique : ventre maternel, refuge, boîte crânienne (rappel de la
correspondance entre le microcosme et le macrocosme, courante à la Renaissance, et
réactivée par les artistes du XXe siècle, dont Beckett. La boîte crânienne a été utilisée par un
scénographe pour une mise en scène de la pièce). On insistera sur le fait, qu’au théâtre et au
cinéma, comme dans L’Interprétation des rêves de Freud, tout élément peut acquérir avec
profit une signification métonymique ou métaphorique.
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Séance 2. Travail de dramaturgie et de jeu.
L’expression théâtrale. Tout est choix.
Objectifs
- Lire des textes théoriques : comprendre ce qu’est un code de jeu. Prendre conscience
qu’une représentation n’est jamais la reproduction de la réalité, et procède d’une élaboration
réfléchie. On aura, en amont de la séance, distribué de courts textes sur la pratique du
comédien selon Alfred Jarry, Meyerhold, Antonin Artaud et Bertolt Brecht, auteurs lus et
appréciés de Beckett, (à l’exception de Meyerhold, dont on ne sait si notre auteur l’a lu).
Chaque théoricien propose un code de jeu, lié à une idéologie sur ce que doit apporter le
théâtre à la société. On dégagera en début de séance les idées essentielles de chaque texte.
- Travailler le jeu et l’élaboration du personnage, à partir des deux premières
apparitions et prises de paroles de Clov et Hamm : repérer tous les endroits laissés au choix
de l’interprète et du dramaturge ou du metteur en scène, proposer un code de jeu, construire
un personnage. Prendre conscience de ce qu’est un code de jeu, des éléments qui le
constituent. Ainsi, les élèves, par duo, mettront en espace un des deux monologues de départ,
selon le code de jeu qu’ils auront préalablement choisi.
- S’interroger sur le statut de l’exposition dans Fin de partie :
Éléments d’appui
Une 1re partie de séance, courte, consistera en exercices qui mettront en relief les
multiples choix toujours possibles au niveau de la voix et des gestes, et l’importance de la
décomposition pour accéder à la rigueur d’une diction ou d’un mouvement esthétique.
On fera ainsi prendre conscience de la décomposition des phrases en mots, des mots en
phonèmes, du choix de la hauteur et du rythme de la voix, et ce sur le petit dialogue suivant,
p. 16 :
HAMM – […] Prépare-toi, je vais me coucher.
CLOV – Je viens de te lever.
HAMM – Et après ?
CLOV – Je ne peux pas te lever et te coucher toutes les cinq minutes, j’ai à faire.
On fera prendre conscience, en acte, de la décomposition des mouvements aussi, en microactions sur un rythme particulier, à partir du passage (p. 12) « retourne prendre l’escabeau,
l’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, regarde par la fenêtre. Rire bref. Il descend
de l’escabeau, fait un pas vers la fenêtre à droite, retourne prendre l’escabeau [...] »
2e partie de séance : travail sur les deux monologues du début de la pièce.
Construire un personnage selon un code théâtral choisi, en tenant compte des éléments
verbaux et paraverbaux (cf. Larthomas, Le Langage dramatique) à l’œuvre.
Bilan
Peu d’informations sur les personnages dans ce début :
Clov semble dans un rapport de dépendance à Hamm, comme Lucky l’est vis-à-vis de Pozzo
dans En attendant Godot. Clov annonce la fin (une partie du titre) dès la première réplique
de la pièce, ainsi que le thème principal de la pièce : l’attente de cette fin. Hamm, lui, annonce
la partie en cours : « [...]- à moi (Un temps). De jouer. [...] ».
Les deux personnages sont donc complémentaires et opposés, dès le départ, au niveau de la
parole, mais aussi physiquement et moralement. L’un bouge, l’autre pas, l’un voit, l’autre pas,
l’un dirige, l’autre obéit.
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Les informations sur le lieu
Deux lieux hors scènes sont désignés :
- l’un, imaginable, la cuisine où se retire Clov lorsqu’il est en coulisses ;
- l’autre, imaginaire, les « forêts » dont a rêvé Hamm.
Les informations sur l’action passée ou à venir
Clov a été puni. Il y a eu misère plus haute que celle de Hamm autrefois. Quelque chose doit
finir.
Conclusion
Sommes-nous en présence d’une exposition ?
On partira de la définition donnée par Pierre Larthomas de l’exposition dans son ouvrage Le
Langage dramatique, Édition PUF, 1972 : « Au début de la pièce, il faut, et c’est l’exposition,
définir en la racontant la situation initiale et en même temps éveiller suffisamment
l’attention du spectateur en le faisant déjà participer à l’action. [...] le compromis est
toujours malaisé entre les éléments statiques constitués par le récit plus ou moins déguisé,
mais qui reste récit, et les éléments dynamiques. ».
L’exposition de Fin de partie donne un minimum d’éléments statiques. Nous savons que
deux personnages se trouvent dans un rapport que l’on pourrait qualifier d’interdépendance,
de maître/esclave selon la dialectique hégélienne, même si l’on n’en connaît pas les causes.
Nous savons que l’un d’eux a été puni (peut-être par l’autre). Les éléments dynamiques sont
eux aussi très restreints : quelque chose doit, sans doute, finir. La partie ?
Samuel Beckett surprend et déçoit donc les spectateurs, à qui il ne sert pas ce qu’ils attendent
– les éléments classiques d’une exposition – que les écrivains respectaient jusque-là. C’est
donc un précurseur ; au même titre que Rimbaud, il invente du nouveau et met en jeu le
statut du personnage, du temps et de l’espace au théâtre.
Lectures en réseau
On pourra faire lire les expositions des pièces suivantes :
- Hamlet de Shakespeare ;
- Britannicus de Racine ;
- La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux ;
- Le Malentendu de Camus.
L’objectif de ces lectures sera de rendre attentif aux éléments statiques et dynamiques
présents afin, d’une part, de mesurer la singularité du texte beckettien et, d’autre part,
d’amorcer une réflexion sur le personnel dramatique ainsi que sur l’évolution du registre
tragique.
On pourra aussi faire lire, pour une meilleure connaissance de notre auteur :
- En attendant Godot de Samuel Beckett ;
- l’article sur Hegel de l’Encyclopediae Universalis, abordable par des élèves de terminale, et
qui explique, sans tomber dans le simplisme, en quoi consiste le rapport maître/esclave.
Séance 3. Travail de régie et de mise en scène.
Samuel Beckett, un novateur.
« J’écris quelque chose qui est encore pire [que Godot] ...[...] plutôt difficile et elliptique,
comptant surtout sur la force du texte pour griffer, plus inhumain que Godot. » cité par
Ludovic Janvier dans Beckett, « Écrivains de toujours », Seuil, 1969.
La structure de la pièce
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Objectifs
- Sans a priori, travailler sur la structure de la pièce, son morcellement en unités signifiantes,
à partir d’éléments choisis, du plus traditionnel au plus stylistique, afin d’établir un
programme de répétitions. Travail de régie qui devrait mener à l’esquisse de voies
dramaturgiques.
- Chaque élément portera un titre significatif, soit une citation de Beckett, soit un titre
inventé par les élèves.
- Objectif méthodologique : apprendre à parcourir plusieurs fois une œuvre, rapidement,
à en retrouver les moments clefs, à maîtriser sa structure.
On proposera donc aux élèves (individuellement ou en groupe) de travailler sur la structure
de la pièce à partir des éléments repérables suivants :
- soit les entrées et les sorties de Clov, de Nell et de Nagg. : si Clov est le seul à sortir de scène,
Nell et Nagg s’abolissent de la scène dans leurs poubelles, métaphore des coulisses de la vie ;
- soit la nature de la prise de parole des personnages, monologues ou dialogues, avec ou sans
tirades ;
- soit les répétitions : de thèmes et leitmotiv. On sera particulièrement attentif aux thèmes
suivants : la fin, la faim, la famille, le corps et ses manifestations ; ces différents ensembles,
non exhaustifs, devraient permettre de faire saillir les effets de symétrie et de répétitions avec
variations constitutives de la pièce.
Bilan
Une structure musicale et rythmique
Contrairement aux idées reçues, qui viennent le plus souvent d’une lecture des œuvres
ultérieures de Beckett, et qui conduisent à surinterpréter Fin de partie comme une pièce
circulaire et fermée sur elle-même, on pourra remarquer que c’est une œuvre organisée sur
un système de symétries, d’analogies et de répétitions. La composition de Fin de partie est
peut-être avant tout musicale, rythmique, ce qui lui permet une avancée du début à la fin, par
un système de variations subtiles.
Structure physique et métaphysique de la pièce
Le travail sur la structure devrait aussi révéler une composition qui prend en compte la
contingence humaine : chacun de nous est un être-pour-la-mort (cf. la terminologie utilisée
par le philosophe Heidegger), dépendant du temps qui passe (Nell semble mourir, de
vieillesse, en scène), un être qu’use le frottement d’un rapport qui patine : Clov ne passe-t-il
pas subrepticement de l’obéissance à la désobéissance ?
Structure imaginaire et fantasmatique de la pièce
Enfin, pièce d’un écrivain qui savait quelque chose de l’inconscient, Fin de partie déploie
aussi des possibilités dans les récits de la pièce : peut-être Clov va-t-il partir pour rejoindre,
ou non, l’enfant, qui n’est peut-être qu’un double de lui-même égaré dans un espace-temps
improbable, et dont a parlé Hamm ? Hamm, qui est peut-être lui-même cet enfant ?
Les répétitions, le mélange des discours de rêve, des narrations, des bribes de souvenirs, font
advenir cette « inquiétante étrangeté » sur laquelle Freud a écrit un article célèbre, et qui
déploie ce qu’est le fantastique, cette perception biaisée, erronée mais pourtant vécue par
chacun d’entre nous par moments, de la réalité.
Peut-être Hamm va-t-il, sous son suaire, continuer son calvaire, ou finir. Rien n’est arrêté,
rien n’est dénoué, mais un certain nombre de possibilités sont ouvertes, la partie n’est pas
finie, et peut, sous la même forme ou une autre, se poursuivre ou recommencer.
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Séance 4. Dramaturgie. Lecture à la table.
Qu’est-ce que l’absurde ?
« NELL – Rien n’est plus drôle que le malheur, je te l’accorde » (p. 31)
Objectifs
- À partir d’un travail de lecture à la table de la scène allant de la page 27, « Nagg frappe sur
le couvercle de l’autre poubelle. Un temps » à la page 37 « Clov lui lâche le poignet, la fait
rentrer dans la poubelle, rabat le couvercle, se redresse. », mettre en question les
significations de la scène.
- S’interroger sur la notion « d’absurde » appliquée au texte de Beckett, à partir des
différentes significations du mot.
- Mesurer la présence des registres comique, tragique, élégiaque, dans la scène. Mesurer,
qu’au théâtre, l’accent peut-être mis sur un registre plutôt qu’un autre selon les choix opérés.
On procédera selon les étapes suivantes :
Repérages des cellules de significations dans la scène
- Tentative ratée de baiser ;
- constat sur la vue du couple. Constat sur l’ouïe du couple. Constat sur les litières (déchets
du couple) ;
- [intervention du fils, Hamm] entraîne un discours implicite des parents sur le malheur de
leur fils : « Rien n’est plus drôle que le malheur ».
Constat plus général sur l’usure du comique : « c’est comme la bonne histoire qu’on nous
raconte trop souvent, nous la trouvons toujours drôle, mais nous n’en rions plus. » (p. 32).
Tentative ratée de grattage.
- Nagg veut raconter l’histoire du tailleur ;
- Nell ravive le souvenir du lac de Côme, les fiançailles en avril ;
- Nagg raconte, mal, l’histoire du tailleur (mise en scène du constat sur l’usure du comique
décrété plus haut). Rire forcé de Nagg ;
- impassibilité de Nell perdue dans la profondeur du souvenir du lac de Côme ;
- Nagg disparaît dans sa poubelle ;
- [intervention de Hamm] Clov fait rentrer Nell, sur ordre de Hamm, dans sa poubelle :
« Enlève-moi ces ordures ! Fous-les à la mer ! » (p. 36).
Trois lectures successives feront ressortir
- Le comique de la scène, fondé sur les corps (maquillage), la situation, le ton qui peut
passer de geignard à complice (maladroit), les ratages successifs, la mécanique des
mouvements et des paroles (on pourra faire lire un passage du livre sur Le Rire, de Bergson) ;
- le tragique de la scène, fondé sur la décrépitude des vieux, leur situation (depuis quand
met-on ses parents dans une poubelle ?), la parodie du mythe d’Œdipe à l’œuvre dans cette
scène (on pourra faire lire un résumé de l’histoire des Labdacides), la communication quasi
impossible, qu’elle soit verbale ou gestuelle ;
- l’élégiaque dans la scène : une poésie douce et plaintive, une mélancolie tendre est
particulièrement présente dans les rapports de Nell au passé et de Nagg à Nell, cassées à
chaque fois par les interventions du fils, qui ne peut supporter ce passé dont il est absent,
cette parole qui l’exclut. Il n’est plus au centre. On pourra rappeler aux élèves cette phrase de
Stendhal, ici quelque peu parodiée : « Tout est noble et tendre, tout parle d’amour, rien ne
rappelle les laideurs de la civilisation ». La chartreuse de Parme.
Bilan
On espère avoir ainsi démontré aux élèves que les registres sont affaire d’interprétation. Trois
registres au moins s’entremêlent dans cette scène, comme dans d’autres, parce que la langue,
à la fois économe et poétique de Beckett, joue sur la polysémie des significations et des
situations.
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Pour exemple, Sedan désigne tous les désastres des guerres de 70, 14-18 ; 39-40, « avril »
symbolise le printemps perdu à tout jamais… etc.
Enfin, on reviendra sur le terme absurde et ses significations, en s’appuyant pour ce faire sur
les définitions qu’en fournit le très précieux Vocabulaire esthétique d’Étienne Souriau : si l’on
peut soutenir que le propos philosophique de la scène est absurde, et ainsi proche d’un texte
comme le Mythe de Sysiphe de Camus, c’est-à-dire que le monde d’après l’holocauste, sans
transcendance, sans une avancée vers le progrès, prive la vie de sens et rend la vieillesse
désespérante, on pourra aussi faire remarquer aux élèves que « quelque chose suit son
cours » malgré tout, de l’ordre du souffle, de l’anima. La scène, comme les personnages, a sa
logique, donc n’est pas, au sens premier du terme, absurde.
Enfin, on terminera en mettant en valeur la transposition métaphorique et esthétique
qu’effectue Beckett, clairvoyant, qui jette dans les poubelles les vieillards, dévoilant ainsi la
cruauté encore à l’œuvre aujourd’hui dans notre société, qui réifie les individus non
productifs. On pourra remarquer qu’en mettant en scène une humanité abîmée, souffrante,
l’auteur dévoile le non-sens représenté par l’autre théâtre, qui ne met en scène que des
pantins bien portants, travailleurs, au langage artificiel, et par la société. La dimension
politique et éthique de l’œuvre ne sera ainsi pas évacuée.
Pour aller plus loin, lire :
- L’inquiétante étrangeté, Freud ;
- Œdipe roi, Sophocle ;
- Le Roi Lear et Hamlet, Shakespeare ;
- Le Malade imaginaire, Molière.
Séance 5. Exercices d’invention.
On pourra proposer aux élèves les sujets suivants :
- Vous écrirez la lettre de Jérôme Lindon, jeune éditeur de vingt-six ans, qui propose à
Samuel Beckett d’éditer En attendant Godot et Fin de partie, alors que l’auteur a essuyé
nombre de refus.
- Vous exposerez les impressions de lecture de l’éditeur, en vous appuyant sur des exemples
précis, et le pourquoi de sa volonté d’éditer ces pièces.
- Vous écrirez le premier dialogue entre un metteur en scène, qui décide de monter Fin de
partie, et ses acteurs. En vous appuyant sur le travail fait en classe, vous exposerez le projet
scénographique et dramaturgique du metteur en scène, ce qu’il compte demander à ses
acteurs, et faire ressentir aux spectateurs. Vous exposerez les raisons qui poussent le metteur
en scène à monter Fin de partie en 2010.
- Vous ferez état des doutes, des difficultés et des idées des acteurs en début de travail.
- À la manière de Samuel Beckett, vous écrirez la scène de rencontre entre le petit garçon
(soi-disant) aperçu par Clov, et ce dernier.
Annexes
Textes théoriques distribués en amont de la deuxième séance
« L’acteur devra substituer à sa tête, au moyen d’un masque, l’enfermant, l’effigie du
PERSONNAGE, laquelle n’aura pas, comme à l’antique, caractère de pleurs ou de rire (ce
qui n’est pas un caractère), mais caractère du personnage : l’Avare, l’Hésitant, l’Avide
entassant les crimes…
[…] Par de lents hochements de haut en bas et bas en haut et librations latérales, l’acteur
déplace les ombres sur toute la surface de son masque. Et l’expérience prouve que les six
positions principales (et autant pour le profil, qui sont moins nettes) suffisent à toutes les
expressions. [...]
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Comme ces expressions sont simples, elles sont universelles. »
De l’inutilité du théâtre au théâtre, Alfred Jarry (1873-1907), auteur d’Ubu roi (1896) et
inventeur de la pataphysique, ou science des solutions imaginaires. Accorde une
importance fondamentale au grotesque et à l’art du masque et de la marionnette.
« Un cabotin, c’est un comédien ambulant. Un cabotin appartient à la famille des mimes,
des histrions, des jongleurs. Un cabotin possède une merveilleuse technique d’acteur. [...]
[...] actuellement, la majorité des metteurs en scène se tourne vars la pantomime, et la
préfère au drame littéraire. [...] C’est que, dans ces pièces muettes et dans leur mise en
scène, se révèle, tant pour les acteurs que pour les metteurs en scène, tout l’impact des
éléments primordiaux du théâtre : impact du masque, du geste, du mouvement et de
l’intrigue, tous éléments que l’acteur contemporain ignore complètement. [...]
Chez l’acteur contemporain, le comédien s’est transformé en « diseur intellectuel. »
Le théâtre de foire (1912), Meyerhold (1874-1942), acteur et metteur en scène russe pour
qui il faut s’appuyer sur les formes du passé pour atteindre la biomécanique de l’acteur,
c’est-à-dire un acteur instrument parfait au service d’une tâche politique et sociale.
« Notre idée pétrifiée du théâtre rejoint notre idée pétrifiée d’une culture sans ombres, et où
de quelque côté qu’il se retourne notre esprit ne rencontre plus que le vide, alors que l’espace
est plein.
Mais le vrai théâtre parce qu’il bouge et parce qu’il se sert d’instruments vivants, continue à
agiter des ombres ou n’a cessé de trébucher la vie. […]
Pour le théâtre comme pour la culture, la question reste de nommer et de diriger des ombres
[...]. »
Le théâtre et son double (1938), Antonin Artaud (1896-1948). Artaud va chercher ses
modèles du côté du théâtre balinais et mexicain. Il veut renouer avec une culture qui ne
sépare pas corps et esprit, et désire un « théâtre de la cruauté » qui retrouverait une
efficacité sacrée et magique.
« Les représentations du théâtre bourgeois tendent toujours au camouflage des
contradictions, à la simulation de l’harmonie, à l’idéalisation. Les états de choses sont
représentés comme s’ils ne pouvaient absolument pas être autrement ; les caractères
comme des individualités au sens étymologique du terme, indivisibles par nature, d’une
« seule coulée », comme s’affirmant dans les situations les plus diverses, et à dire vrai,
existant aussi en dehors de toute situation. [...]
Que les scènes soient jouées d’abord simplement, avec l’expérience qui vient de la vie, dans
l’ordre de leur succession, mais sans trop d’égards pour les suivantes ou même le sens
général de la pièce, cela est d’une grande importance pour la mise au point d’une fable
authentique. »
Petit organon pour le théâtre (1948) et Additif au Petit organon (1954), Bertolt Brecht
(1898-1966) : auteur dramatique, metteur en scène et essayiste, poète. Refuse le théâtre
« dramatique » aristotélicien, dans lequel le spectateur s’identifie au personnage, au
profit d’un « théâtre épique » qui permette au spectateur un regard critique sur ce qu’il
regarde, de façon à ensuite agir sur et dans la société.
Textes choisis dans le précieux ouvrage collectif de Monique Banu-Borie, Martine de
Rougemont, Jacques Scherer, Esthétique théâtrale, textes de Platon à Brecht, Édition
SEDES, 1982.
Bibliographie non exhaustive d’études sur Fin de partie, qui ont nourri la
réflexion du professeur et permis d’élaborer cette séquence.
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Adorno, « Pour comprendre Fin de partie » in Notes sur la littérature, coll. Champs Essais,
Flammarion, 1958.
Angel-Perez Élisabeth et Poulain Alexandra, Endgame, ou le théâtre mis en pièces, PUF et
CNED, 2009.
Bardet Guillaume et Caron Dominique, Fin de partie, Samuel Beckett, Réseau Diagonales,
Ellipses, 2009.
Noudelmann François, Beckett ou la scène du pire, étude sur En attendant Godot et Fin de
partie, coll. Unichamp, n° 75, Éditions Honoré Champion, 1998.
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