textes Samuel Beckett mises en scène Bernard Levy en attendant godot 18 › 27 janv 2o13 fin de partie 7 › 16 fév 2o13 reprises ATH_12_8p_bible_BECK_04.indd 1 09/01/13 18:31 Quiconque tente de trouver une motivation à ce récit sera poursuivi ; quiconque tente d’y trouver une morale sera banni ; quiconque tente d’y trouver une intrigue sera fusillé, par ordre de l’Auteur. Mark Twain, préface aux Aventures d’Huckleberry Finn, 1885 Ce qu’il y a de bien, avec Beckett, c’est que plus on l’approche, plus il disparaît. On pense l’avoir cerné qu’il est déjà très loin. Soit l’œuvre se rétracte, blindée par la justesse de chaque phrase, de chaque mot – impossible de lire plus loin que ce qui a été parfaitement écrit. Soit, c’est le contraire : plus on cherche plus on trouve, pour finir précipité dans un dédale de sens multiples, d’allusions aux épîtres et de pitreries graveleuses, de lambeaux de références croisées – peinture, littérature, poésie, philosophie, échecs, de Pétrarque à Joyce, de Dante à Schopenhauer et du Caravage à Karpov… Commençons par le début alors, pour observer que, dès le début, c’est compliqué. Où mettre Beckett ? Bien sûr, en Irlande, on trouvera en anglais les livres du grand écrivain national, tandis qu’ici, on s’enor­ gueillira de classer dans la littérature française les livres publiés à Paris aux éditions de Minuit de celui qui aura fait le choix d’une langue étrangère. C’est, comme on dit de ce côté-ci de la Manche, de bonne guerre. Mais où ranger ses livres au Brésil ou en Italie ? Au Danemark ou en Hongrie ? Mieux, sachant que Beckett a traduit la plupart de ses œuvres, partant tantôt de l’anglais, tantôt du français, quelle version de départ choisir, l’originale ou la suivante, pas moins originale et peut-être amendée ? Allez poser la question à un éditeur turc… HAMM. - On n’est pas en train de… de… signifier quelque chose ? CLOV. – Signifier ? Nous, signifier ! (Rire bref.) Ah, elle est bonne ! Fin de partie Cela fait maintenant soixante ans qu’on attend Godot, soixante années au cours desquelles on aura assisté à bien des attaques et à bien des louanges, au plus vif enthousiasme comme à la répulsion la plus déchaînée. Une pièce écrite sur un cahier d’écolier, en moins d’une saison si l’on en croit les dates mentionnées : 9 octobre 1948 – 29 janvier 1949. Il faudra encore une mesure d’attente, et toute l’énergie de Suzanne, l’épouse de Beckett, pour que la pièce soit enfin représentée en janvier 1953 dans la mise en scène de Roger Blin au Théâtre Babylone. Contrairement à la légende, la critique, quoique parfois perplexe, est largement favorable, et la pièce trouve immé­ diatement de puissants admirateurs : Anouilh, Audiberti, Salacrou…1 C’est leur engagement qui va amener le public dans la salle, et avec lui la discorde. Les “pour” et les “contre” iront même un soir jusqu’à en venir aux mains, ce qui est l’assurance d’un succès. Dès lors, chacun se presse au théâtre pour savoir à quel camp il appartient. L’affluence est telle que le directeur, Jean-Marie Serreau, emprunte chaque soir des chaises au café d’à-côté pour les spectateurs de dernière minute. Deux ans plus tard, la pièce se crée à Londres dans une version anglaise châtiée : comme c’est l’usage, elle doit passer par la censure du Lord Chamberlain qu’on s’est chargé d’avertir du danger. “L’un des nombreux thèmes qui traversent la pièce est le désir des deux clochards de se soulager continuellement, lui écrit ainsi Lady Dorothy Howitt. Une telle dramatisation des nécessités hygiéniques est choquante et va à l’encontre de tout sens britannique de la décence.” Plutôt que ses personnages, c’est donc la pièce qu’on purge…2 Ce qui n’empêche pas les grands noms du théâtre de s’y intéresser. Alors qu’à Broadway échoue à se monter une production avec Buster Keaton dans le rôle de Vladimir et Marlon Brando dans celui d’Estragon, à Londres, Alec Guinness et Sir Ralph Richardson sont sur les rangs. Le gros coup ne se fait pas, laissant Beckett sans regrets. 1 On pourra consulter pour s’en convaincre le dossier de presse d’En attendant Godot, textes réunis et présentés par André Derval, éd. 10/18, 2007 | 2 Il faudra attendre 1964 pour que le texte intégral de Godot puisse être joué au Royaume-Uni. ATH_12_8p_bible_BECK_04.indd 2-3 09/01/13 18:31 À un ami, il écrit “[Richardson] voulait tout savoir de Pozzo, son adresse postale et son curriculum vitae, et semblait faire de cela et d’autres informations à venir la condition à laquelle il condescendrait à illustrer le personnage de Vladimir. Trop fatigué pour donner satisfaction. Je lui ai dit que tout ce que je savais de Pozzo était dans le texte, que si j’en avais su plus, je l’aurais mis dans le texte, et que cela était vrai de tous les autres personnages. […] J’ai aussi dit à Richardson que si, par Godot, j’avais voulu dire Dieu, j’aurais dit Dieu et non Godot. Cela a semblé grandement le décevoir.” 3 WINNIE : Ça signifie quoi ? — dit-il — c’est censé signifier quoi ? — et patati — et patata — toutes les bêtises — habituelles. Oh les beaux jours Fort heureusement, certains ont su prendre Beckett comme il vient, comme il va de lui-même, pour devenir ses passeurs ou ses interprètes. Jérôme Lindon tout d’abord : après avoir commencé le manuscrit de Molloy, le jeune éditeur – 21 ans – est pris d’une telle crise de rire dans les couloirs de la station La Motte-Piquet-Grenelle qu’il redoute de passer pour fou. Ou le critique du Sunday Times, Harold Hobson, qui trouve les mots justes pour convaincre les spectateurs de courir attendre Godot : “Dans le pire des cas, vous découvrirez une curiosité, un trèfle à quatre feuilles, une tulipe noire ; dans le meilleur, quelque chose qui se logera dans un coin de votre esprit aussi longtemps que vous vivrez.” Ce fut aussi le cas dans de nombreuses prisons (démolissant au passage le portrait factice d’un dramaturge qui écrirait des choses absconses pour une poignée d’intellectuels), dès 1953, quand un détenu de la centrale de Lüttringhausen traduisit lui-même le texte de Godot en allemand et obtint la permission de jouer la pièce, inau­ gurant une longue série de représentations du théâtre de Beckett dans les institutions pénitentiaires du monde entier, où l’attente et le dénuement sont compris sans doute mieux qu’ailleurs. Reste qu’avec le succès, on sommera de plus en plus souvent l’auteur de s’expliquer. Toutes questions qu’on n’imaginerait pas poser à un peintre, à un poète, Beckett (qui refusera toujours farouchement de passer à la radio ou à la télévision) y opposera les mêmes réponses, tour à tour avec une politesse désolée ou avec une courte franchise. “Tout ce que j’ai pu savoir, je l’ai montré. Ce n’est pas beaucoup. Mais ça me suffit, et largement. Je dirai même que je me serais contenté de moins. Quant à vouloir trouver à tout cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le spectacle, avec le programme et les esquimaux, je suis incapable d’en voir l’intérêt. Mais ce doit être possible. Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaître un peu que très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes.” 4 Quiconque est désireux d’en savoir plus pourra toujours chercher… Dans la biographie de l’auteur – remarquer que Beckett, résistant fuyant Paris après le démantèlement de son réseau, s’en fut avec sa femme sur les routes. Que, comme Vladimir, il fit les vendanges dans le Vaucluse “chez un nommé Bonnelly, à Roussillon”, attendant une improbable Libération et glanant pour survivre ici une patate, là un rutabaga négligé par les journaliers. On pourra aussi découvrir des indications dans d’autres de ses œuvres, comme ce charmant paradoxe glissé dans Watt 5 : “La seule manière de parler de rien est d’en parler comme si c’était quelque chose, tout comme la seule manière de parler de Dieu est d’en parler comme s’Il était un homme.” 4 Lettre à Michel Polac, 1952 | 5 Roman écrit en 1945, publié en anglais en 1953 et en français en 1969 3 Lettre à Barney Rosset, 18 octobre 1954 ATH_12_8p_bible_BECK_04.indd 4-5 09/01/13 18:31 Nagg : Notre ouïe n’a pas baissé. Nell : Notre quoi ? Fin de partie Dans de telles conditions, il fallait tout le naturel d’un acteur austra­ lien pour oser, au détour d’une répétition, aller demander à Beckett : “Ça parle de quoi, au fond, Fin de partie ?” Touché peut-être par la candeur de Lawrence Held (qui jouait le rôle de Nagg), il répondit : “Eh bien, c’est comme la dernière partie d’échecs entre Karpov et Korchnoi : dès le troisième coup, ils savaient qu’ils ne gagneraient ni l’un ni l’autre… Et ils ont continué à jouer.” Remarque qui allait précipiter nombre d’analyses échiquéennes assez intéressantes : Fin de partie vue comme un échiquier où ne reste plus qu’un roi tout aussi puissant que vulnérable – Hamm, flanqué de Clov, encore mobile mais sans arrêt entravé, et les deux pions que figurent Nell et Nagg. Une partie qui se termine par l’immobilité, un jeu où personne ne gagne mais qu’on rejouera à nouveau dès le lendemain… Là encore, on peut être séduit par cette interprétation et la mener de case en case, au gré de ses propres chimères. On peut aussi imaginer que la noirceur générale de la pièce a sans doute beaucoup à voir avec l’abattement de l’auteur, qui venait d’assister à la maladie puis à la mort de son frère. On peut rappeler que le nom de Hamm est celui de l’un des fils de Noé et vérifier chez des biographes d’un respect égal à leur minutie 6 que Beckett, sa correspondance l’atteste, relisait la Genèse avant d’écrire Fin de partie. On peut même affirmer que ce nom est une référence directe à Hamlet – ce que maintint Adorno lors d’un déjeuner avec Beckett, malgré les plus énergiques dénégations de ce dernier… Mais la meilleure chose à faire semble encore de suivre l’indication que Beckett donnait au metteur en scène Peter Hall : “Quand on lui demandait : ‘Qu’est-ce que ça veut dire ?’, il répondait : ‘Qu’est-ce que ça dit ?’ ” 6 En tête, évidemment, James Knowlson, auteur de Beckett, éd. Actes Sud, 1999 (1 421 pages !), ouvrage qui a grandement aidé la rédaction de ce programme. enattendant godot texte Samuel Beckett mise en scène Bernard Levy 18 › 27 janv 2o13 assistant à la mise en scène Jean-Luc Vincent | chorégraphie Jean-Claude Gallotta décor Giulio Lichtner | lumières Christian Pinaud | son Marco Bretonnière | costumes Elsa Pavanel assistée de Séverine Thiébault maquillages, coiffures Bérangère Prost production déléguée en 2009 : MC2 Grenoble production déléguée pour la reprise : Scène nationale de Sénart | coproduction : MC2 Grenoble, Le Parvisscène nationale de Tarbes, Scène nationale de Sénart, Cie Lire aux Éclats | coréalisation : Athénée Théâtre Louis-Jouvet avec Gilles Arbona Vladimir Thierry Bosc Estragon Garlan Le Martelot l’Enfant Georges Ser Lucky Patrick Zimmermann Pozzo findepartie texte Samuel Beckett mise en scène Bernard Levy 7 › 16 fév 2o13 assistant à la mise en scène Jean-Luc Vincent décor Giulio Lichtner | lumières Christian Pinaud | son Marco Bretonnière | costumes Elsa Pavanel assistée de Séverine Thiébault maquillages, coiffures Bérangère Prost production déléguée : Scène nationale de Sénart coproduction : Cie Lire aux Éclats | coréalisation : Athénée Théâtre Louis-Jouvet avec Gilles Arbona Clov Thierry Bosc Hamm Annie Perret Nell Georges Ser Nagg dialogues À l’issue de la représentation, Bernard Levy et l’équipe artistique vous retrouvent au foyer-bar pour échanger à chaud sur le spectacle mardi 22 janv en attendant godot | entrée libre mardi 12 fév fin de partie | entrée libre ATH_12_8p_bible_BECK_04.indd 6-7 09/01/13 18:31 prochainement histoire du soldat conte musical d’Igor Stravinski texte Charles-Ferdinand Ramuz direction musicale Hélène Bouchez mise en scène Roland Auzet avec Thomas Fersen 21 févr › 2 mars 2o13 le prix des boîtes Frédéric Pommier mise en scène Jorge Lavelli 21 mars › 13 avril 2o13 blanche-neige opéra de Marius Felix Lange d’après le conte des frères Grimm direction musicale Vincent Monteil mise en scène Waut Koeken avec l’Orchestre Lamoureux 2o › 26 avril 2o13 Téléchargez notre appli iPhone ou consultez notre site mobile m.athenee-theatre.com blog de l’Athénée venez tous les jours au théâtre blog.atheneetheatre.com malte martin atelier graphique | assisté par adeline goyet | impression Moutot | licence nº 19 125 texte Square de l’Opéra Louis-Jouvet 7 rue Boudreau 75 009 Paris Mº Opéra, Havre-Caumartin, RER A Auber réservations 01 53 05 19 19 | athenee-theatre.com Mio Padre le nouveau bar de l’Athénée, situé au premier étage, vous propose sa carte d’hiver aux saveurs italiennes, une heure avant et après chaque représentation. La librairie L’Échappée littéraire vous accueille dans le hall du théâtre les soirs de représentations. Le personnel d’accueil est habillé par les créations un été en automne ATH_12_8p_bible_BECK_04.indd 8 09/01/13 18:31