(Brochure n\260 16 RUPTURES GENERATIONNELLES.pub)

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Première Séance du jeudi 9 décembre
N° 16
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Participation aux frais d’édition 3 euros
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Approches disciplinaires des générations
l s’agit d’ouvrir le séminaire sur les ruptures générationnelles. Pierre m’a demandé de faire les
propos préliminaires sans me dire exactement la philosophie de cette invitation, si c’est pour illustrer ce qu’est une rupture générationnelle ou si c’est pour l’atténuer. Toujours est-il que j’essaierai à la
fois d’exposer les ambitions ou les intentions de l’OMOS sur ce séminaire et puis je ferai quelques considérations plus personnelles sur ce qu’on pourrai faire et comment le faire.
L’ OMOS est un lieu d’échange entre chercheurs et militants. C’est constitutif de chacun des sept
des séminaires. Ceux qui ont reçu le bulletin d’octobre en ont la liste et un énoncé sommaire. Celui-là
commence et donc nous avons la même ambition de dialogue entre chercheurs, c’est-à-dire pas seulement des chercheurs d’un seul type mais essayer d’avoir des chercheurs,, des bourdivins, des marxistes
ça existe encore et d’autres et de différentes disciplines, j’insisterai dans un second point et des militants
de diverses origines et mêmes de divers âges, pour s’enrichir mutuellement et essayer de traiter de la
configuration de la jeunesse actuelle et ses rapports avec les autres ages. Donc après ce préambule général, je ferai quelques considérations préliminaires sur l’étude des générations et puis je terminerai par
des propositions de telle sorte que la discussion avec les autres exposés, à partir de ce corpus, débouche sur un programme.
Considérations préliminaire sur la manière d’étudier les générations et la génération en voie de
constitution. Ce qui serait bien c’est que nous réunissions au moins six disciplines indépendamment du
pluralisme des militants que j’évoquais. De façon analytique pour ne pas être trop long. Il faudrait qu’il y
ait un démographe, si possible. Pourquoi, parce que c’est une science qui pourrait nous asseoir un peu
plus la définition de ce qu’est une cohorte ou une classe d’age avec les statistiques à l’appui sur au
moins quatre dimensions. D’abord l’espérance de vie, car selon les générations, on n’a pas les mêmes
espérances de vie. Les enfants vivront plus longtemps que ma génération. Le taux de suicide perturbe
la statistique. On sait que les tranches d’ages jeunes se suicident plus, pas seulement au Japon mais
même en France même si le décalage est moindre et puis la nuptialité et la fécondité. C’est ce qu’il nous
faudrait pour voir les comportements d’un point de vue statistique des jeunes. On dit qu’il y a un retour
du mariage. Il ne faut pas extrapoler, c’est par rapport à un creux. S’il y a un peu plus de mariage aujourd’hui, ce n’est pas des mariages classiques, ce sont des mariages d’intérêt : c’est quand le PACS
est jugé assez insuffisant, mais il faut voir le nombre de mariages dans la clandestinité, il n’y a plus de
fête…
L’entrée par la démographie ne veut pas dire qu’il faut faire un séminaire de démographie , mais il
faudrait qu’il y ait quelqu’un qui nous en injecte au moment opportun.
L’entrée par l’histoire, là je serai plus long. Les sociétés archaïques, traditionnelles, et il en reste des
traces dans les populations avoisinantes. Les sociétés dites « holistes » lorsque l’individu est pris dans
le groupe ont un rapport à la génération qui est un rapport de tradition. D’ailleurs, souvent on est fils ben.
Donc, là il y a une généalogie qui est traditionnelle et qui fait partie de notre culture dans la mesure où
nous avons quand même tous un peu baigné dans une culture judéo-chrétienne où de générations en
générations, c’est une formule qui marque que l’on est au terme. La genèse commence par la généalogie des patriarches. L’évangile de Saint Mathieu commence par la généalogie de Jésus et ça fait parti
quand même de certaines cultures, de respect des anciens et de perception que l’on est dans une
chaîne humaine. Même dans des théoriciens comme les solidaristes, on nous ressort aujourd’hui pour
donner de la patine à notre république, que ce soit dans Léon Bourgeois ou d’autres, reprennent en fait
cette thématique de la continuité de l’unité de l’humanité. Alors chez les grecs, il y a aussi cette conception, je ne reviendrais pas sur des éléments que j’avais exposés un autre jour sur les trois attitudes des
grecs à l’égard de l’histoire. Est-ce que les générations sont en ascension ? Est-ce qu’elles sont meilleures ? Est-ce qu’il y a perfectibilité de l’humanité ? C’est le point de vue des sophistes et un peu d’Aristote, quoiqu’on en dise. Le déclin, c’est l’inverse, c’est Hésiode, ça va de mal en pis ou c’est toujours pareil, donc les générations répètent ce que les autres ont fait antérieurement.
La notion de progrès dans les générations va s’affirmer avec le christianisme, et ça se voit dans la
langue latine. Génératio veut dire au départ enfantement, la création d’un nouvel être ; et c’est autours
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du 4ème siècle que génération ne va pas seulement indiquer l’acte de générer mais la chaîne d’homme.
C’est un théologien que vous connaissez tous Ambroise qui parle des générations humaines mais pourquoi ? Parce que le christianisme a une conception évolutive de sa propre religion. Dès le 4ème siècle, on
dit il y eu Jésus-Christ et après il y eu les apôtres et après les post apostoliques , les martyres, les patristiques. Donc toute la patristique, tous les grands docteurs, Saint Augustin et les autres, il y a donc une succession et une progression. La révélation est donnée mais elle s’enrichit et se développe. Chaque génération apporte quelque chose. Donc c’est au 4ème siècle qu’on a pleinement conscience que le christianisme
s’est développé, qu’il a des dogmes qui n’étaient pas formulés dans l’évangile. Je veux simplement m’en
tenir à l’essentiel, à savoir que dans le christianisme, il y a bien cette notion de progression, en tout cas
d’articulation entre génération qui se formule de différentes façons. Bernard de Chartres avec cette
phrase « Nous somme des nains montés sur des épaules de géants ». Il y a Pascal. Pascal dit « l’humanité est une et apprend chaque jour ». Il y a dans le christianisme le maintien d’une perspective à la fois
de révélation et de croissance qui est dominante. L’histoire moderne va transformer la généalogie qui
n’aura plus le côté sacré, le côté mythique. Nous avons de grands anciens, mais à partir du 17ème siècle, il
y a une rupture ; la généalogie devient une science. Elle va même devenir un instrument de gestion de la
propriété et les français comptent, je vous cite Ménestrier, il y a Laboureur et le père Anselme, il y donc
toute une réforme de la généalogie qui devient un instrument préparatoire de l’histoire. Et c’est vraiment
avec le 18ème siècle qu’on entre dans un rapport aux générations comme élément d’analyse des ruptures.
Jean-Jacques Rousseau dans le discours sur les Sciences et les Arts de 1750, il utilise la formule, tout le
préambule qui est très beau sur une rupture dans l’histoire. Jusque là, on était dans la tradition dans les
certitudes et voilà que nous entrons « dans les lumières de la raison ». C’est une formule que Kant reprendra. Les lumières de la raison apportent la distanciation à l’égard de la tradition, à l’égard des vérités
proclamées mais sans fondement donc toutes ses merveilles du 18ème siècle, il nous dit se sont renouvelées depuis peu de générations, donc conscience que ces hommes de la lumière sont une génération
nouvelle par rapport aux classiques est constitutive. C’est à partir de là que je vais vous fournir des repères sur l’histoire de l’histoire par rapport aux générations. Je vais en citer trois. La première c’est Alexis de
Tocqueville dans « De la démocratie en Amérique » de 1835, Tocqueville est prémarxiste. Ce grand libéral dit : « les publicistes anciens et modernes ont trop négligé la loi des successions », c’est-à-dire que au
lieu de s’attacher à la transmission génétique et à la filiation biologique, ce qui est intéressant à considérer
c’est la transmission des biens. Donc c’est une conception de l’histoire profondément liée au capital, à la
propriété. Donc il y a la prise en compte par les fondateurs de l’histoire française qu’ il faut avoir une approche de génération mais au sens social pas simplement biologique et de ce qui est transmis notamment
en terme de biens de propriété. Et bien sûr Karl Marx (le 18 brumaire de Louis Bonaparte de 1852) avec
toute une entrée formidable sur les générations, les stigmates des générations, la tradition de toutes les
générations mortes qui pèsent sur nous. La révolution se fait à travers des représentations qui sont celles
de Rome antique, on a des Brutus, on a des César, on a toutes ces figures qui masquent ce que font réellement les bourgeois à savoir une révolution bourgeoise. Et Karl Marx, c’est lorsque la chose est faite que
l’on peut se débarrasser des figurants, des figuratifs pour avoir les gens concrets, c’est-à-dire RoyerCollard, Guizot, Benjamin Constant, les penseurs de la bourgeoisie française.
Le troisième texte que je voudrais évoquer, c’est de François Guizot qui a fait un livre que Pierre Rosenvallon sous-évalue en le classant parmi les œuvres politiques pourquoi parce que c’est la préface à
l’édition de ses discours mais en réalité c’est une œuvre historique aussi solide, plus importante à mes
yeux que bien d’autres texte de François Guizot. Trois générations : 1789, 1814, 1848 ; c’est un texte de
1862. Il y a une des rares tentatives avant la période moderne de penser le concept de génération à la
fois dans son unité et dans la diversité. Pour Guizot, il y a trois générations à partir de la révolution française et 1830 n’en fonde pas une. Il y a trois générations de groupes d’hommes qui ont une unité parce
qu’ils sont impliqués dans le même évènement politique fondateur et à ses yeux 1830 n’est pas un événement politique fondateur, c’est une transition ; c’est la réalisation de ce que voulait les gens de 1814. Il y a
une problématique de la génération politique ; et ce groupe d’hommes générationnel est clivé par les classes sociales, est clivé par des oppositions idéologiques. Il y a trois dimensions qu’il faut prendre en
compte pour étudier chaque génération ; ses options idéologiques, ses désirs et ses pratiques.
Une nouvelle époque de l’histoire française arrive avec « les Annales » en 1929 où on va insister sur
les classes sociales en tant que groupes et sur l’infrastructure économique. En histoire sociale ce sera
principalement Ernest Labrousse qui fait sa thèse en 1944 et qui est le fondateur du centre d’histoire du
syndicalisme qui est devenu le centre d’histoire des mouvements sociaux et le centre d’histoire sociale du
20ème siècle . Les orientations contemporaines de l’histoire sociale ont leurs origines dans l’action de La4
brousse. Or nous sommes dans une période où l’héritage de Labrousse est contesté. Antoine Prost semble le porte-parole de cette contestation dans les douze leçons sur l’histoire de 1996 où il dit : « le paradigme Labrousse est mort ». Ces gens de l’école des « Annales » avaient de grands mérites mais ils négligeaient la psychologie, ils négligeaient les institutions et le droit. On peut discuter de ce jugement, je
pense qu’il est pour partie totalement erroné mais il fonctionne et les jeunes historiens sont dans cet esprit
là. Si on veut faire carrière aujourd’hui, il faut commencer par dire, je ne reprends pas les turpitudes de
Labrousse. Je les reprendrais un peu mais c’est parce que je n’ai pas fait cette rupture générationnelle de
notre sujet. Il y aura un inventaire à effectuer sur l’usage contemporain de la notion de génération, je vous
en donne deux exemples. Le premier, c’est dans l’histoire littéraire, cela avait été amplifié par un livre de
H. Peyre « les générations littéraires » et on le retrouve dans l’histoire des idées politiques chez Michel
Winock, « le siècle des intellectuels » où vous avez une classification en trois générations : les années
Barrès, les années Gide, les années Sartre. Nous sommes sortis de Sartre donc il n’en traite pas mais
nous sommes dans les années Bourdieu et peut-être post-Bourdieu. Sur le plan de l’histoire du mouvement ouvrier la rue Malher, l’histoire du syndicalisme est devenu simplement un des trois piliers. Ce piler
est surtout consacré à la prosoprographie c’est-à-dire l’histoire des itinéraires des individus, c’est le développement du Maitron dont je vous rappelle que le tome 1 était paru en 1964, c’était pas du tout une approche individuelle que le Maitron voulait mais son œuvre aboutit à une approche du mouvement ouvrier
considéré d’ailleurs comme mort à partir des individus, à partir des générations. Donc la seconde discipline à convoquer est l’histoire il faudrait voir si on ne peut pas faire venir Michel Pigener à l’occasion.
Troisième discipline, c’est psychologie, psychanalyse. Il faut prendre sous l’angle historique. La
grande secousse, c’est évidemment Sigmond Freud avec la mort du père « Totem et tabou » et 1912, et
puis le malaise dans la culture de 1930. La psychanalyse avance parce qu’à l’origine de la société il y a le
meurtre du père. Il y a la horde primitive, elle en a assez de la tyrannie du père abusif elle le tue. A ce
moment là la société peut se constituer. En même temps, le tabou de l’inceste est maintenu. Et puis sur le
plan psychologique, c’est évidemment le concept d’Electre, le concept d’Œdipe, le rapport conflictuel et
comment on se structure en s’opposant. C’est passé dans la psychologie ordinaire et de la psychologie
des jeunes à travers un livre important de 1957 d’ Hélène Deutsch qui s’appelle le « selected problems of
adolescence » les cohortes d’adolescents se structurent dans l’opposition à la génération précédente et
c’est développé en particulier par Gérard Mendel qui vient de nous quitter qui était un inventeur de la socio-psychanalyse. La génération de 1968 a largement baigné dans cette culture. Il y a un redoublement
de notre sujet, l’interférence entre la conscience le savoir de l’époque. Autre discipline énorme qu’il faudrait essayer d’associer, ce sont les différentes facettes de la sociologie qui a fait beaucoup de travaux
sur les générations. Je pense qu’un des hommes qui a le plus contribué à solidifier, c’est Karl Mannheim
(in Wissen soziologie, réédition 1964 ) sans oublier Wilhelm Dilthey ( « Ueber das studium der Geschichte der Wissenschaften vom Menschen » in Schriften t IV, 1924 ) mais aujourd’hui il y a une sociologie de la jeunesse, on peut citer des noms, François Dubet, Olivier Galland, Franck Poupeau, Gérard
Mauger qui ont étudié les bandes de jeunes et les grèves récentes des enseignants ; sociologie de l’école
Jean-Pierre Terrail, Terrail vient de la sociologie du travail et sa thèse était sur les jeunes ouvriers de R.
V.I. donc il a une culture qui permettrait le dialogue ; sociologie de l’emploi… le centre d’étude de l’emploi
à une époque a beaucoup travaillé, il y avait Gabrielle Balazs, Jean-Pierre Faguer qui étaient dans la
mouvance de Bourdieu. D’après mes fiches, leur dernier travail est de 1997, il faudrait voir du côté du
CEREQ, peut-être aussi Serge Volkoff qui travaille sur l’ensemble des tranches d’âges ; sociologie du travail avec **Pialou**, il n’y en pas tant qui essayent d’étudier les jeunes ouvriers et puis la sociolinguistique, peut-être voir Josette Lefèvre pourrait nous cerner la manière dont les classes d’âges sont
désignées dans le discours syndical de 1970 à 2003.
Avant-dernière discipline, la science politique ; c’est Annick Percheron en France, s’inspirant des travaux américains, qui a travaillé le plus sur la socialisation politique des enfants et des jeunes. Cela avait
aboutit au congrès de l’A. F.S.P (Association Française des Sciences Politiques) en 1981 à une table
ronde qui a été éditée « générations et politique ». Le débat tournait autour de la définition, de la pertinence de la notion avec notamment Pierre Favre, Raoul Girardet, Alexis Ferrand . Beaucoup de travaux
sur les militants politiques de François Subileau et Marie-Claire Lavabre (PS, PC) ont essayé de voir les
différentes générations et puis Anne Muxel, Sophie Béroud vient de sortir une enquête pour la C.G.T. sur
les jeunes face au syndicalisme et à la vie associative. Enfin, il faudrait un philosophe. Qui a dit « la naissance des enfants c’est la mort des parents », c’est Hegel. Le travail qui a été fait par Lucien Sève sur la
théorie de la personnalité nous aiderait grandement.
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Les propositions :
Ces propositions sont par définition des indications qui tiennent compte des possibilités, il peut y avoir
des contre-propositions au sens de critique mais aussi des suggestions meilleures ou complémentaires.
Donc 6 sessions et 7 réunions parce qu’il y en a une qui serait double.
Première session sur
« les vécus familiaux et l’affectivité de la jeune génération ».
Deuxième session sur
« formation scolaire et cadre gnoséologique ».
Troisième session sur
« pratiques sociales et culturelles ».
Quatrième session sur
« le rapport au travail ».
Cinquième session qui serait double sur
« attitudes et comportements politiques, engagements syndicaux et associatifs »
avec Anne Muxel et Sophie Béroud.
Sixième session qui pourrait être conclusive, synthétique, mise en perspective :
« les générations actuelles, ceux de la Résistance, celle de la guerre froide, de la
guerre d’Algérie, la génération de 1968, la génération Mitterrand (celle des fruits
secs) et puis y a t-il une génération à partir de 1995 ? ».
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n réfléchissant sur le thème de cette soirée, plusieurs faits me viennent à l’esprit d’exemples de
jeunes dans mon environnement :
- un jeune français de 19 ans qui a passé la moitié de sa vie et sa scolarité en Angleterre, à de très
bons résultats, est particulièrement performant au point qu’il a le choix pour la poursuite de ses études
(philosophie, langues orientales etc) entre Oxford et Cambridge, lâche tout, et aujourd’hui il est manutentionnaire dans une grande surface ;
-un autre exemple, un jeune diplômé de physique, il n’a pas de débouché dans un centre de recherche en France, il a la possibilité d’aller aux U.S.A., mais il s’y refuse et par défaut se retrouve professeur,
et en regardant autour de moi, beaucoup de situations de ce type, avec parfois la drogue, la conversion à
l’Islam.
Je vois à la fois des aspects individualistes de situation…
N’y a-t-il pas le sentiment de ne pas pouvoir entrer dans cette société aujourd’hui, y compris lorsque
l’on fait l’effort, de toute façon on n’y arrivera pas. Est-ce qu’il n’y a pas la recherche de se construire
« des petits espaces ».
…et des aspects collectifs.
Ce jeune français qui a passé la moitié de sa vie en Angleterre, lui et sa classe ont participé aux mobilisations, aux manifestations contre la guerre en Irak et contre l’intervention de l’armée anglaise en Irak.
On peut se rappeler des moments de mobilisations très fort : entre les 2 tours de la présidentielle, la
participation importante de beaucoup de jeunes au F.S.E. à Saint-Denis, la place des jeunes à la fête de
l’Humanité, à ce propos, quel rôle joue la musique ? Dans une soirée qu’animait Jean-Marie Vincent, la
discussion avait porté sur l’aspect fugitif de la promotion de la musique, notamment par des émissions de
TV promotionnant en permanence des jeunes avec des sorties de CD, le tout dans une durée très éphémère, mais pouvant donner l’illusion de pouvoir peut-être s’en sortir.
En 1998, il y a eu un mouvement de masse sur l’école en Seine Saint-Denis très important, élèves,
enseignants, parents sur la bataille contre l’échec scolaire, pour la réussite et avoir des moyens. Il y a
quelque chose qui était présent : « l’idée du tous ensemble », mais il y a eu aussi ce qui s’exprimait de la
part des écoliers : « on n’est pas des moins que rien ». J’ai eu l’expérience d’avoir discuté avec des jeunes de troisième, en grève dans un collège, dans cette période, où les camionneurs avaient menés des
actions spectaculaires entres autres en brûlant des pneus, ces jeunes nous disaient : « il va falloir qu’on
fasse comme eux pour se faire entendre ».
Qu’est-ce qui se construit dans cette période de la scolarité, les acquis de connaissances, mais pas
seulement. J’ai eu l’occasion de lire un article dans Le Monde (Le désir d’apprendre, 30/11/04) relatant
des études sur la période pré-collège, le moment où l’enfant passe d’un apprentissage spontané et où il
rentre ensuite dans les apprentissages imposés par le cadre scolaire devenant intellectuels, collectifs. Le
phénomène de classe va jouer, mais le regard des adultes, au sens parents et enseignants à ce moment
est très décisif sur l’opinion qu’ont les enfants sur eux-mêmes, y compris sur leurs performances et leurs
motivations.
Ne pas pouvoir entrer dans la société, ou quoiqu’il arrive on ne pourra pas.
La question n’est jamais posée de cette manière là ?
Est-ce que les jeunes ont le moyen de l’exprimer, la société en tous les cas ne la pose pas, je trouve
qu’il y a là un véritable problème car c’est son propre renouvellement qui est posé. La société ne se régénère pas. Aujourd’hui, tout pousse à l’émancipation humaine mais rien n’est fait pour la favoriser.
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Ayant une discussion avec deux responsables syndicaux CGT à l’Escale d’Air France c’est un secteur d’ activités regroupant 8500 salariés :
- une première remarque me frappe quand ils donnent la moyenne d’âge des salariés de ce secteur :
33 ans, mais tout de suite ces militants me disent : personne ne croit plus au changement. Il y a le sentiment qu’il n’y a plus de repères et en même temps individuellement il y a du respect pour les aînés quand
ils portent la question de la connaissance professionnelle mais quand le rapport est vers une hiérarchie
qui n’est pas « professionnelle » plus instrumentale dans la fonction de l’entreprise, le respect n’existe
pas, c’est direct, c’est frontal, c’est collectif ;
-autre sentiment celui d’ une génération qui ne s’inscrit pas dans la durée mais dans la consommation
immédiate, la satisfaction des besoins à court terme : « tu existes si tu consommes » ;
-mondialisation, privatisation, service public, trois éléments dont l’entreprise est directement concernée et le fait d’une certaine acceptation d’être dans une société où le mode concurrentiel est la norme :
« bouffer les autres pour exister », comment dans ces conditions réfléchir à une autre organisation de la
société, du point de vue du développement, avec une coopération entre le rail et l’avion par exemple ?
-mais en même temps, parce qu’il y a des conditions de travail totalement inhumaines il y a un ras le
bol explosif souterrain extraordinaire sans que personne n’en ait la maîtrise et c’est pourtant un secteur où
il y a 15-16 syndicats divers, assez organisés et la C.G.T. est influente, et c’est un secteur où il y a des
luttes très importantes qui se mènent pour essayer de repousser ce qu’on leur demande, sans cesse, de
faire toujours plus, des horaires pratiqués inhumains. Il y des a choses qui restent très fortes, les valeurs
anti-racistes, mais le manque de repères, ne plus croire dans l’avenir, cela pèse.
Sur les 8 500 salariés, depuis 1995, tous les contrats sont des contrats précaires, dans un secteur
très précis, il y a 2 000 salariés qui ont Bac+3 (activités de passages, ventes commerciales, enregistrement des bagages). Ce sont tous des métiers pour lesquels ils n’ont pas été formés ou à l’inverse ils ont
des formations ( l’éventail de Bac+3 à Bac+7) qu’ils ne mettent pas en œuvre dans leurs métiers. Beaucoup de jeunes aujourd’hui sont en train de démissionner, à une époque on entrait à Air France avec le
sentiment d’appartenir à quelque chose de valorisant, pour la génération « d’avant » l’avenir ne pouvait
que s’améliorer aujourd’hui ce n’est plus le cas.
Dans des batailles menées autour de l’aéroport, on voyait combien de jeunes des populations riveraines qui souhaitaient avoir un débouché, cachaient leur niveau de formation pour pouvoir être embauchés,
comment avec une telle précarité il est possible de se projeter dans l’avenir.
Le fait de ne plus croire à la capacité de l’État d’intervenir, cela peut faire réfléchir, entre autres, sur le
mot d’ordre de renationalisation d’Air France, sur les questions d’appropriation, de pouvoirs à l’entreprise
etc.…
Cette discussion m’a remis en mémoire une école professionnelle (Citroën) à Saint-Ouen qui montre
que là aussi, les choix patronaux introduisaient quelque chose de particulier en matière de formation.
L’embauche des jeunes apprentis ne se faisait pas que sur les résultats scolaires mais sur une rencontre
avec le jeune, ses parents, mais surtout une rencontre individuelle avec l’enfant sur ses motivations. Une
formation sérieuse professionnelle pouvait s’engager déboucher sur un emploi sans aucun problème, sauf
que dans l’entreprise ils passaient par un contrat intérimaire partiel pour pouvoir accéder à un C.D.I..
Une dernière remarque, sur les deux militants CGT d’Air France, il y a une jeune femme de 34 ans
elle dit à la fin de notre discussion qu’elle partait en Inde pour y passer les fêtes de fin d’années avec les
5 enfants hindous qu’elle parraine depuis près de 7 à 8 ans.
Je pense qu’il y a quelque chose sur cette question d’être utile, c’est envie de faire du bien au Monde
pose la question aussi d’activités qui ne soient pas marchandes pour le développement des individus
dans la société. Le développement n’est pas seulement sous l’angle économique, il y a la question du
comment est l’individu dans la société.
J’ai bien conscience de poser plus de questions que je ne développe de débuts de réponses, mais il y
a des faits il y a besoin de comprendre ce qui se passe, il y a des choses possibles, des potentiels, mais
comment faire émerger ?
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En guise de présentation, je dirais juste que je suis étudiant en Philo et, comme il faut bien vivre, travailleur précaire et exploité.
eut-on parler de conscience de génération ? L’expression « ruptures générationnelles » intègre
pleinement le concept de générations, mais encore faut-il savoir de quoi il s’agit : de générations
au sens large ou de classes d’âges. En d’autres termes, faut-il étudier des groupes divisés selon leur âge
(jeunes, jeunes actifs, actifs, préretraités, retraités…) ou différentes générations qui évolueraient en même
temps au sein des différentes époques ?
Les ruptures que l’on observe le plus facilement sont celles qui peuvent exister entre les jeunes et
celles et ceux que je qualifierai d’ « actifs responsables » ; par l’expression « actifs responsables », j’entends les individus qui sont pleinement intégrés dans la société (que ce soit par le monde du travail, par le
monde universitaire…) et qui peuvent être considérés comme référents de la normalité d’une société.
Personnellement, et sans avoir poussé plus ma réflexion, je pense que les gens agissent en fonction
de leur âge et de leur références, et que l’on peut observer un « glissement » au cours de l’évolution, au
cours du vieillissement (du mûrissement), et qui n’est pas typique d’une génération. Je pense ainsi que
l’on passe de génération en génération, d’âge en âge, un peu comme des poissons d’élevage qui passeraient de bac en bac au fur et à mesure qu’ils grandissent ; dans chaque bac, une conscience, des références s’acquièrent. Mais pour chaque tranche d’âge, il peut y avoir plusieurs bacs parallèles. Nous verrons plus tard ce qu’il en est des évènements déclencheurs des générations, mais, pour illustrer mon propos, je propose d’étudier le cas de la génération 68, ou plutôt des générations 68 puisque, comme je
viens de le dire, une tranche d’âge peut donner naissance à plusieurs générations.
Tous les poissons qui ont grandi dans le bac de 68 (68 étant ici compris comme révolution culturelle
positive, nous parlons donc de celles et ceux qui partageaient les idées des manifestant-e-s) ont acquis
des références communes, des agissements communs, des pratiques, ou des théories de pratiques, communes que ce soit pour l’éducation, pour la politique… En grandissant, en changeant de bac, bien qu’ils
aient gardé ces références et qu’ils aient une conscience de génération entre eux, je pense qu’ils ont
« glissé » (comme je le disais plus tôt). Ils poursuivent donc leur chemin, mais ne prennent pas nécessairement la même voie que celles et ceux qui étaient dans leur bac. En d’autres termes, je pense qu’une
génération ne s’observe pas sur la durée, mais plutôt sur une période. Une fois cette période passée, la
génération peut parfaitement péricliter. De ce point de vue là on ne peut pas vraiment parler d’une génération qui a évolué mais plutôt de personnes qui ont grandi, qui ont vieilli.
Prenons un autre exemple, celui ruptures dans les modes de communication. Il existe une rupture
des modes de communication et de langage entre les jeunes et les « actifs responsable » d’une même
époque. Ce phénomène s’observant sur toutes les époques, il répond à une logique d’âge, et non de génération.
Les jeunes s’inventent des langages, des médiums pour faire passer leurs informations, qu’il s’agisse
de langages musicaux, artistiques ou des modifications de la langue elle-même. Cela se perd au fur et à
mesure du mûrissement, de sorte que l’existence d’un langage différent ou alternatif n’est observable que
chez les personnes jeunes, et que cela disparaît au fur et à mesure que les individus changent de bac.
Pour continuer à filer la métaphore, je pourrais dire que les langages alternatifs sont comme un colorant
qui est présent dans le bac d’une classe d’âge et qui affecte tous les sujets qui passent par ce bac. En
étant plongé dans le bac suivant, le colorant est dilué et le phénomène s’estompe. On observe une chose
semblable avec le besoin de révolte.
Le besoin d’affrontement est donc également une bonne illustration des ruptures entre générations,
ou entre classe d’âge, je ne sais toujours pas quel est le terme correct. Mon interrogation initiale sur le
sens du mot génération persiste… Mais reprenons. Le besoin d’affrontement, d’opposition, de rébellion
chez les jeunes s’observe aussi bien dans les milieux politisés que non politisés.
Prenons l’exemple de l’engagement dans les mouvements anarchistes. Ces organisations sont beaucoup plus jeunes que la moyenne. Ainsi, les jeunes qui ont envie d’exprimer un sentiment fort d’opposition
au système se retrouvent dans ces structures, mais en sortent généralement rapidement, de sorte que les
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mouvements ne vieillissent pas, à l’exception de quelques « attardés » qui restent, et dont nous parlerons
plus tard.
Dans les mouvements trotskistes, le même phénomène s’observe. La Ligue attire de nombreux jeunes dans ses meetings. Mais là aussi la présence de quelques « attardés » persiste. J’en ai parlé avec
une amie qui m’a dit la chose suivante : « Je ne sais pas s’il existe des générations, mais en tous cas, il
existe des soixante-huitards attardés ». Mais qui sont ces attardés ? Les gens qui sont passés par des
mouvements trotskistes étant jeunes, les ont souvent quittés parce qu’ils ont évolué, parce qu’ils ont grandi. La plupart de ces personnes se sont détachés, si ce n’est des idéaux, des mouvements en euxmêmes, de sorte qu’il reste, au sein de ces organisations, des attardés, qui n’ont pas évolués (ont-ils
changés de bac ?) et qui sont restés fidèles à leurs idéaux.. Je le disais, la LCR séduit franchement plus
les jeunes qui ont envie d’avoir une représentation politique, un combat et un idéal, que d’autres mouvements qui sont plus institutionnels. Je pense que cela vient du fait que ce sont des mouvements qui illustrent la volonté d’affrontement et de révolte, concept qui fait écho à une aspiration typiquement jeune.
Il y a quelques mois, j’ai eu une discussion à ce sujet avec un ami qui est au PS. Il m’a dit une phrase
que je trouve intéressante : « Quand on est jeune, on est révolté, on a cette volonté de révolution, de rébellion, on a sa carte à la Ligue ou à la CNT. Quand on grandit, on devient plus raisonnable, on se dit qu’il
faut faire un travail plus parlementaire ; à ce moment-là on adhère au PS. Et quand on est adulte, on a fini
sa maturation, on est devenu libéral, par réalisme ». Je pense que ça illustre un imaginaire qui est ancré
chez beaucoup de jeunes, selon lequel les autres organisations qui sont plus conformistes sont des organisations plus réalistes.
Le fait qu’il existe une rupture entre les jeunes et les moins jeunes est une constante. J’ai sous la
main un article publié par « Lien Social » intitulé « Ras le bol les jeunes ! » et qui commence comme ça :
« On en le dira jamais assez : le niveau baisse, baisse et la jeunesse n’est plus ce qu’elle était. A
preuve ces quatre témoignages désabusés ». Suivent quatre citations qui constatent que la jeunesse met
en péril l’avenir de la société, le genre de considération que l’on entend encore de nos jours. Le dit article
se conclu de la sorte « Une précision toutefois : la première citation est de Socrate (470-399 av. JC), la
deuxième d’Hésiode (720 av. JC), la troisième d’un prêtre égyptien (2000 av. JC) et la dernière, vielle de
plus de 3000 ans, a été découverte sur une poterie d’argile dans les ruines de Babylone ». Cet extrait se
passe de commentaire, on notera juste que la rupture est une constante sur toutes les époque, et ce
quelle que soit la génération concernée…
On constate qu’il y a des gens qui arrivent avant des « époques », d’autres qui arrivent après ou qui
gardent l’idéal d’une époque (d’un bac), les attardés donc je parlais tout à l’heure. On peut se demander
pourquoi les précurseurs, que ce soit dans les courants de pensée, dans les mouvements associatifs ou
politiques, n’évoluent pas forcément en même temps que le mouvement qu’ils ont imaginé, ou sans pour
autant qu’ils en soient les créateurs, du mouvement auquel ils avaient pensé. Je pense que cela s’explique par le fait qu’une génération (je lâche cette fois le mot) résulte d’évènements. Une intervention précédente avait citée toute une série d’évènements fondateurs de génération : Mitterrand, guerre d’Algérie et
seconde guerre mondiale, 68... Mais existe-t-il des périodes sans génération puisque sans référence particulière, sans événement majeur ? On disait que la génération Mitterrand était une non-génération. Je
pense que ce sont plutôt ceux qui sont arrivés après, la génération post-Mitterrand, qui n’a pas de point
commun car pas d’évènement phare (notons toutefois la chute du mu,r comme le disais Aline, mais qui ne
concerne à mon avis qu’une minorité de personnes)
Beaucoup de médias ont été très séduits par l’idée d’une génération 21 avril. Après le 21 avril 2002,
on a entendu partout que les jeunes avaient enfin une conscience politique, qu’ils étaient descendus dans
la rue, comme si les jeunes formaient un seul et même groupe (je l’ai dit plus tôt, je pense que, pour une
même période, il peut y avoir plusieurs bacs mis en parallèles). Je pense que c’est une erreur fondamentale, notamment parce qu’il faut se poser la question de savoir qui sont les jeunes qui sont descendus
dans la rue, car tous n’ont pas manifestés. Il faut s’interroger sur le pourquoi de ces manifestations, de ce
mouvement, et sur l’absence de suite, sur le fait que toute cette énergie soit retombée d’un coup, sans
concrétisation politique ou autre. Le 21 avril peut être une référence sans pour autant engendrer une génération. Peut-être qu’à posteriori le 21 avril pourra être considéré comme un évènement déclencheur,
mais nul ne peut dire si ça sera le cas. On ne décrète pas une génération, on la constate a posteriori.
10
A l’heure actuelle, je pense que ce sont les mouvements altermondialistes qui sont les fondateurs
d’une nouvelle génération, et ce que je trouve intéressant c’est que nous ne sommes pas en présence
d’une génération d’âge, mais d’une génération d’époque, puisque l’on y retrouve toutes les tranches d’âges, et particulièrement des « attardés » ou des désabusés qui vont être séduits par des principes, et des
personnes jeunes qui vont se retrouver dans les pratiques. J’ai noté qu’il avait été évoqué une session sur
pratiques sociales et culturelles, et je pense que c’est là que l’on trouve l’outil le plus important pour une
génération : ce sont les pratiques, qu’elles soient de communication ou d’organisation, de fonctionnement,
qui marquent une génération.
Je vais conclure sur la culture politique et sur un constat que je trouve étonnant, mais en même
temps facilement explicable pour un psy. Les jeunes qui veulent entrer dans les mouvements politiques
traditionnels doivent se calquer sur les modèles qui existent déjà au sein du parti. Ce qui est frappant,
c’est que les jeunes ne sont pas, loin s’en faut, ceux qui veulent changer les partis, et qu’ils sont même
souvent parmi les plus conformes aux pratiques existantes. On observe là un besoin de référence pour
les jeunes qu’il serait, je pense, intéressant d’étudier.
11
! !
e pense faire partie de la génération 89, la génération chute du mur. J’étais au lycée quand le mur
est tombé, ma correspondante berlinoise était à la maison et nous n’avons pas pu monter dans le
train, éberluées par les images de la télé. S’il est dans chaque parcours militant des dates et des faits
marquants, pour moi ce sera Rostropovitch jouant les suites de Bach devant le mur tagué. Quasiment au
même moment, nous apprenions! à nous lever au lycée, contre une politique de l’éducation jospinienne
molle. En démarrant notre vie militante contre une gauche déjà trop instituée, en nous ouvrant au monde
à la fin de la guerre froide, notre rapport à la politique ne peut donc plus être bicéphale.
Pendant que nous tentions de construire nos idéaux, nos utopies, la génération du baby boom, la génération qui a fait élire Mitterrand, celle qui tentait de résister au sida, accédait à tous les postes des institutions politiques et culturelles.
De cette génération-là, nous attendons maintenant patiemment le départ en retraite. Non pas pour
prendre leur place, mais pour commencer à travailler. Car, comme nous avons construit notre rapport au
monde, notre rapport au travail est différent et au-delà de la pression du chômage, il nous est bien difficile
de travailler. J’ai dit une fois à Pierre Zarka : « je travaille comme je milite » mais je suis incapable de définir ce que cela signifie. J’ai choisi de travailler dans le secteur culturel pour créer des lieux de lien et de
transformations sociales, et surtout pour faire péter les barrières qu’on avait construites entre le secteur
culturel et socioculturel, celles que la génération strass-langienne, en ne s’intéressant qu’à des créateurs
mondains et un public camif-maif-télérama, avaient inévitablement contribué à fortifier.
Pour moi, il existe trois signes forts que ma génération a lancé aux générations en cours, trois traces
qu’elle a révélé, incarné et laissé aux suivantes : la techno, l’altermondialisme, et le renouvellement des
formes de désobéissances civiles. (Je ne parlerais pas ici des mouvements de désobéissances civiles.)
S’il semble que la naissance de la techno ait été portée par une classe d’âge, les mouvements altermondialistes sont transgénérationnels. Rappelons que si le public des forums sociaux est jeune, les têtes
de réseaux, présents dans les tribunes, sont souvent cinquantenaires.
Pour que naisse la techno, à la fin des années 80, il a fallu un contexte particulier : un ghetto, une urbanité déstructurée, une zone désertique ou abandonnée, dont l’histoire récente avait été marquée par
des conflits sociaux et un chômage endémique sans précédent : Détroit, ! Chicago n’étaient plus la paillette de l’américan way of live, Manchester et Sheffield s’était pris de plein fouet le saccage thatchérien. Et
puis le silence s’était installé.
Dans cette période en suspension, dans ces villes, on a squatté les usines désaffectées pour en faire
de lieux de solidarité et de fête. Et comme pour se moquer du sort, on a reproduit la rythmique artificielle
des machines, jusqu'
à en faire parfois une musique de transe. Il a fallu un puissant besoin de faire la fête,
d’être ensemble malgré tout, d’oublier le rapport au temps, il a fallu le besoin de construire au milieu de
rien un microcosme, d’inventer un ailleurs, de réinventer un ordre des choses : un lieu-phare pour se retrouver, des mélomanes pour titiller l’intellect’, des labels pour structurer l’économique, des organisateurs!
pour fédérer les énergies, des radios pour informer tout le monde et de la drogue pour aller plus loin. La
fête comme la liberté est difficile à vivre alors l’hédonisme s’est structuré. On a recréé une petite société,
juste à côté de celle qui avait été détruite par les politiques libérales.
En s’appropriant les machines analogiques, en les détournant, en s’acclimatant à la lutherie électronique, en modelant leur dispositif technique de création à leur désir, les musiciens et les Djs ont montré que
la machine n’était plus une aliénation pour l’homme mais une puissante source de création. Nés, à l’aube
de l’Internet, du téléphone portable, du ! monde global et virtuel, ils ont circulé directement dans les réseaux internationaux et s’acclimatent à toutes les villes imputées par une certaine effervescence intellectuelle. Berlin viendra très, très vite après les villes pionnières, offrant à l’Europe des friches industrielles
magnifiques.
On aurait pu penser que cette période allait laisser des icônes, mais non, la personnification du mouvement a été plus complexe. Caché derrière un pseudo, le nom d’un label ou le nom d’une ville pionnière,
le Dj a refusé la mise en avant. En cassant le dispositif frontal d’une scène de rock pour imposer la quadriphonie, il se cache derrière le son. Il travaille le temps, puisse dans les sonorités urbaines, les dénature
puis les restructure. L’individuation est poussée à l’extrême, mais une individuation qui évolue en microréseaux, à l’échelle planétaire. Sans vouloir délivrer de message, le DJ est un anti-héro du monde moderne.
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Pour moi, son invention n’est pas tant d’avoir inventée un rapport au temps propre à toute démarche déviante ou underground mais rapport à l’espace. Il nous a juste fait signe, juste avant les altermondialistes qu’un nouveau rapport au monde était en cours. Dès lors, ce qu’il nous faut comme espace
pour accueillir nos désirs est infini.
Juste après lui, est né, à Seattle sans doute, le mouvement altermondialiste. Il s’agit de faire de nouveau de la politique, ou de faire autrement de la politique. Il s’agit de porter un combat directement à l’échelle mondiale, là où le monde politique classique fait grand silence et où pourtant tout semble se décider, une échelle ou notre citoyenneté et notamment notre délégation de citoyenneté par le droit de vote
ne nous permet pas d’aller, une échelle infinie. Il s’agit aussi de répondre à deux besoins pressants :
être quand même ensemble et être ensemble à l’échelle mondiale.
Il est intéressant de regarder comment se sont formés ses mouvements, comment ils se sont structurés, déstructurés, comment ils ont inauguré une nouvelle façon de faire de la politique. Que se soit à
Porto Alegre lors des contre-sommets du G8, lors des Forums Sociaux Locaux ou Régionaux, nous n’avons pas pondu un texte d’orientation à quelques-uns, remanié indéfiniment par d’autre pour être sûr
que son sujet soit bien pris en compte,! et enfin on n’a pas attendu de savoir par qui il allait être signé
pour constater qu’encore une fois qu’il allait être suivi par un cercle très restreint de personnes, toujours
les mêmes. Non, nous avons pondu une chartre des principes, la plus large possible dans ses orientations politiques (contre la guerre, l’impérialisme, le libéralisme et toutes les formes de domination, pour
la construction d’alternatives au monde capitaliste). Et cette chartre, nous l’avons pondue ensemble, à
plusieurs centaines. Lors de la préparation du contre-G8, je me souviens de deux jours de discussions à
Genève pour se mettre d’accord sur dix principes. Personne ne pouvait voter, personne n’était représentatif de quelque chose, peu étaient mandatés pourtant chaque parole était prise en compte. Nous pouvions ! alors parler de processus politique.
Faire de la politique dans la construction d’un forum, signifie donc créer un espace autour de nous,
pour nous retrouver, des espaces conviviaux, des espaces d’accueil, de restauration de bonne bouffe
équitable, réfléchir sur des transports écologiques, le tri des ordures, et des espaces de forum, de
confrontations… Les commissions de l’anti-G8, comme celle du Forum social européen de Paris Saint
Denis, n’étaient donc pas politiques mais bien souvent pratiques.
Il ne s’agit pas de construire une parole commune mais un espace d’en-commun. Dès lors, pas de
porte-parole, pas d’icône, pas de campagne de communication. Nous ne savons pas ce qu’il restera de
ces mouvements, mais nous aurons dans nos mémoires, comme pour le mouvement techno de noms
de villes : Seatle, Nice, Copenhagen, Gènes, Porto Alegre, Bombay, Florence, Paris Saint Denis, Cancun, Davos, Evian…..
Les deux exemples que j’ai voulu donné sont évidemment très loin d’avoir été portés par toute une
classe d’âge, de plus, je n’aurais de cesse que de répéter combien l’altemondialisme est transgénérationel. Mais il s’agissait de décrire deux faits qui ont indiscutablement laissé des traces indélébiles.
La génération conscientisée post-chute du mur tente de continuer à faire de la politique, mais est
incapable de se retrouver dans les structures habituelles des partis politiques comme du mouvement social. (Rappelons juste le peu de jeunes syndiqués.). Il ne s’agit pas seulement d’une crise de représentation des institutions politiques, il s! te agit aussi de ne pas encore retrouver dans les discours politiques,
les revendications universalistes d’un mouvement bien en marche.
Alors, nous tentons de nous structurer directement à l’échelle mondiale, sans provoquer de machines à pouvoir, ni de machines à icônes, en créant des espaces éphémères mais révélateurs de la société dans laquelle nous voudrions vivre. « Voilà qui est neuf… Nous sommes condamnés à nous inventer
en tant que personne, dans la mesure où il n’existe plus de structure d’accueil pour donner un cadre à
nos rêves (…) . Nous sommes condamnés à innover ou à crever. »1 Et puisqu’elles ont un espace infini
pour les accueillir, les actions se radicalisent et les grandes utopies renaissent. Nous vivons peut-être!
une succession de ruptures générationnelles très courtes et très fortes. Nous vivons certainement une
période de régénération des utopies et de création de puissants espaces d’en-commun.
1
Jean Duvignaud, Anomie, hérésie et subversion, 1973. A lire aussi : Baroque et Kitsch, imaginaires de rupture, Actes Sud, 1997.
13
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’ai été, avec Aline, dans l’organisation du Forum Social Européen de Paris-Saint-Denis.
Ma première remarque c’est qu’il y a un véritable recul de la problématique « jeune » dans la société. Je suis entré en responsabilité politique à la fin des années 80 ; il n’y avait pas un mois sans qu’il
n’y ait une initiative, une rencontre, un débat sur la jeunesse, que cela soit organisé par la Fondation Copernic, par le Parti communiste, ou des institutions comme les conseils généraux, des groupes parlementaires etc…. Je crois qu’il vaut mieux être sociologue et s’intéresser aux effets des 35h, que d’être sociologue et s’intéresser aux questions de la jeunesse ; on aura plus de chances de se faire inviter dans des débats et d’être entendu…
Par rapport au début des années 1990 nous sommes largement en deçà de l’intérêt qu’on portait à la
question de la jeunesse. C’est tellement vrai, que, en 2002, le ministère de la jeunesse et des sports est
devenu le ministre des sports avec une délégation à la jeunesse. Le gouvernement a trouvé cet argument : « la jeunesse ; c’est l’Éducation Nationale ». On résume la jeunesse au statut de lycéen ou d’étudiant. Je trouve cela très symbolique ; quand une société refuse de s’interroger sur un concept ( celui de
génération..), elle le catégorise de manière administrative. Nous voilà tous tombés dans la catégorie lycéens-étudiants ; quel mépris pour ceux qui ne sont ni lycéens, ni étudiants…une première forme d’exclusion …
La question de la jeunesse semble être « cannibaliseé » dans une sorte de discours consensuel : « Il
n’y a plus de spécificité de la jeunesse, les débats qui sont portés par les jeunes relèvent de question plus
globales que la société doit traiter dans son ensemble » . Avec un tel discours nous réduisons les jeunes
à l’état d’ « adulte en miniature » et nous nous interdisons d’analyser les processus de transformation
dans les rapports sociaux en cours. Et nous courons derrière des changements sociaux, sociétaux…
3 raisons au recul
La première, c’est un recul démographique. Proportionnellement, le nombre de jeunes a reculé de
manière significative. La balance démographique penche nettement vers les plus âgés aujourd’hui.
Il y a un recul politique. Sur l’échiquier politique, la question de la jeunesse s’est affaiblie, car l’histoire du 20ème siècle est remplie d’évènements qui ont bousculé les générations, qui ont amenés les plus
âgés à sentir que le temps était venu de « céder la place » . Mais pour le moment , rien n’est venu perturber avec l’ampleur nécessaire le champ du politique. Il faut rajouter à cela que cette génération n’a pas
fait l’expérience de sa capacité à s’imposer sur la scène politique. Quel est le dernier grand mouvement
en terme générationnel ? Si l’on parle du 21 avril, les jeunes ont peut-être commencé (ce sont les premiers à être descendus dans la rue), mais ce mouvement n’a pas été perçu comme la mobilisation d’une
génération. Le dernier grand mouvement remonte à 1993, c’est la lutte pour le SMIC jeune. C’est la dernière lutte qui est menée par et pour les jeunes, et qui a aboutit à une victoire. La lutte contre le FN, a
peut être été perçu comme une mobilisation jeunes, mais contrebalancée par les score du FN dans la jeunesse. Les derniers mouvements lycéens n’ont jamais été jusqu’au bout depuis 10 ans et ont eut du mal à
trouver un cadre national. Pourquoi ? Parce que quand on mobilise des lycéens dans la rue, on prend le
risque de reproduire les phénomènes de violence qui reste dans les mémoires depuis 1998. Il suffit, encore aujourd’hui, de parler avec des syndicalistes de la FSU qui encadraient les élèves pour comprendre
les réticences et les inquiétudes que suscitent toute idée de manifestations des élèves. Ce phénomène de
violence a cassé ces expérimentations en cours pour une part.
Tout ce que je viens de dire ne signifie pas que la jeunesse ne fait pas de politique. Pour preuve,
dans les quartiers, on est surpris par la qualité des discussion avec les jeunes, de leurs points de repère
politiques. Ca discute énormément autour du problème palestinien et au travers de cela, ils font énormément de politique. Ils ont même une grille de lecture plus critique que je ne pouvais l’avoir à leur âge. Leur
culture politique s’inspire beaucoup du traitement des « guignols de l’info ». Ce n’est pas méprisant quand
je dis cela ; cela signifie qu’ils ont conscience que le monde est géré par des « world-companies », par un
système capitaliste qui a des intérêts contradictoires avec la majorité de la population, qu’il y a un pays
maître du monde, qu’il y a une violence normalisée au niveau des états, qu’il y a des états qui peuvent se
permettre d’user de la force contre l’avis de la communauté internationale. C’est très certainement une
compréhension plus critique que ne l’ont eu d’autres générations mais elle porte aussi beaucoup plus de
fatalisme.
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Dernier grand recul, le recul « philosophique ». Quand on interroge des responsables syndicaux ou
politiques sur la jeunesse, on a le droit au vieux poncif « Il faut faire avec les jeunes ; c’est l’avenir. » Cette
motivation ne peut pas être l’argument qu’on emploie pour décider de s’adresser aux jeunes ; ce n’est pas
parce que « c’est l’avenir » ou encore parce que « c’est à eux de prendre le relais ». Ils portent des choses différentes dans leur expérience, dans leur formation, dans leur compréhension du monde, la société
doit dégager une volonté politique de le comprendre comme un défi posé à elle-même.
Sans cela, je suis assez convaincu que les clefs du pouvoir se transmettent à ceux qui donnent l’assurance qu’ils géreront « l’héritage ». On reste dans un schéma de reproduction.
« Le fond fait partie de la forme », cette phrase que j’ai martelée quand j’étais en responsabilité ne
voulait pas défendre le « tout est dans tout », ce que je voulais dire c’est que l’expérimentation d’une démarche politique est le seule voie pour qu’elle porte l’espoir. Nos gestes quotidien traduisent notre projet
politique. D’ailleurs cela handicape parfois les communistes, car on a un discours « coiffant » sur la lutte
des classes. Il y a un problème de hiérarchisation et de compréhension des problématiques dans lesquels
sont les jeunes. Un exemple ; Au FSE de Londres, il y a eut un débat sur « les jeunes et le travail » et
tous les intervenants se félicitaient des liens jeunes/syndicats ; nous étions 20 à débattre…dans le FSE
plusieurs milliers de jeunes étaient pourtant présents. La question du syndicalisme à l’entreprise n’était
prise que par le prisme du travail ; or la première cause de suicide chez les jeunes en France, c’est une
homosexualité non assumée. Est- ce que ce n’est pas une question du champ syndical en sachant qu’il y
a énormément de brimades sur la sexualité qui sont subies au travail, cela ne fait-il pas parti du champ du
syndicalisme?.
Cela pour dire que tout ne va pas avec la grille de lecture des générations précédentes. Comment expliquer l’engagement des jeunes pour le PACS ? C’est aujourd’hui une référence pour eux. Ca été un événement pour des milliers de jeunes qui a compté autant que d’autres évènements que certains considèrent pourtant comme plus « politique ».
Finalement tout système dominant craint obligatoirement la remise en cause, c’est le propre d’un système dominant. Le transfert de pouvoir butent aujourd’hui sur une négation de l’idée de génération et de
progrès. Nous avons aujourd’hui des populations qui se côtoient , qui coexistent mais qui ne s’affrontent
même plus. Je prends un exemple ; toujours lors du FSE, plusieurs milliers de jeunes dans les salles de
débats, et très peu d’intervention de jeunes ; ils étaient dans la salle, ils étaient très attentifs mais faisaient
les débats « à côté ». Ils les recommençaient et ils en débattaient mais pas avec la salle qui, elle, était
blanche, quinquagénaire, masculine et qui ne parlait pas obligatoirement avec les mêmes mots.
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e crois qu’il faut vérifier la problématique jeunesse ou génération, car génération cela inclut jeunesse la plupart du temps mais cela dépasse le problème de la jeunesse. On a tendance à discuter parfois en terme de jeunesse ou d’autres fois en terme de génération. Je fais partie de la génération
de 1968, je ne dirais pas la jeunesse de 1968 quoique…Un point commun de ce que l’on a appelé ensuite
le mouvement de 1968, c’est la jeunesse avec tout ce que cela représentait d’espoir, de transformation du
monde. C’est ce qui a permis la conjonction du mouvement ouvrier et du mouvement étudiant.
Je crois qu’il y a des caractéristiques de la jeunesse qui se retrouvent à chaque génération. Quelques
caractéristiques de la période nouvelle que nous vivons depuis 1968 sont intéressantes à examiner.
Je vais ajouter, à ce qu’a dit Pierre, un élément: c’est la massification de l’enseignement, l’accès
d’une jeunesse à l’éducation de niveau second degré et plus. Aujourd’hui, il y a en France presque 2,5
millions d’étudiants ! (850 000 en 1968, 500 000 en 1965). On est passé d’une qualité de culture commune, de culture générale d’une génération qui est très largement en progrès par rapport aux générations
précédentes. Dans le même temps les effets de cette massification de l’enseignement sont parfois redoutables. Autant dans les générations précédentes, un jeune qui sortait de l’école quel que soit l’âge sans
aucun diplôme qualifiant pouvait quand même s’insérer dans la société, trouver sa place, sa voie etc…
Autant dans la nouvelle organisation sociale sur la base de l société de la connaissance qui se développe
aujourd'
hui, un jeune qui sort du système éducatif sans qualification suffisante tombe facilement dans la
marginalité. Ceux qui sortent sans aucune qualification, ce n’est pas rien, c’est 150 000 jeunes par an !
(chiffre officiel). Alors quand on parle de la « trouille » des manifestations, je l’ai vécu, y compris avec des
responsabilités lourdes dans les dernières manifestations où on a dû parfois improviser des services d’ordre solides le long des cortèges de jeunes car on craignait les débordements, mais c’est vrai que là on a
affaire à cette partie de la jeunesse en rupture, en révolte contre la société.
Je sais bien que les questions de la violences ont toujours existé. Cela n’est pas un phénomène nouveau. Par contre ce qui est nouveau c’est cette masse de jeunes qui ne trouvent plus de place dans la société et cela se conjugue avec un autre phénomène, celui de l’immigration et ses effets. Il faut toujours
parler avec prudence de ces choses là mais la caractéristique de la période des trente glorieuses, de l’expansion économique des années 1950/1960, c’est un afflux de population immigrée, notamment maghrébine, avec des problèmes d'
intégration, de cohabitation de cultures qui se sont posés un moment donné
et continuent de se poser pour les enfants de cette immigration qui se sentent stigmatisés, marginalisés,
rejetés. Voir le dernier livre de Stéphane Beaud « La France, pays de misère ». C’est un livre qui relate
une correspondance par mail entre un jeune issu de l’immigration récente et un sociologue, qui fait une
enquête. C’est, entre autres, une véritable analyse de la société des années 1980 /1990 vue du point de
vue d’un jeune de la première génération de cette immigration massive des années 1960 et qui produit
des phénomènes sociaux redoutables y compris avec la montée de Le Pen, les phénomènes de racisme
etc…
On trouve tout cela en même temps dans la nouveauté de la situation des jeunes générations aujourd’hui.
Le troisième élément, c’est la perte de crédibilité de toutes les utopies que ce soit celles de l’utopie
communiste, de l’effondrement du système soviétique etc, que ce soit l’utopie mitterrandienne, ( changer
la société, changer la vie, c’était le thème de 1981 ). On a vu ce que cela a donné, d’où une soif de vivre
l’instant présent. Il n’y a pas d’avenir, donc on vit le présent sous toutes ses formes et notamment sous la
forme ludique autant que possible, avec parfois même un rejet des contraintes du travail. Cela se ressent
dans la façon dont les jeunes conduisent leurs études. Il y a une difficulté à accepter ces contraintes qui
sont constitutives du cheminement des études normalement menées, de l'
acquisition des savoirs. Cela a
aussi des répercussions ensuite. Il y a une part d’instabilité aujourd’hui qu’on ne trouvait pas forcément
dans la génération qui est la mienne.
Tout cela modifie le rapport à l’autorité. Aujourd’hui, l’autorité doit être justifiée, elle ne peut pas être
spontanément acceptée. Dans ma génération, il y avait une autorité spontanée du maître, du professeur.
C’était l’autorité du savoir, elle était comme cela, c’était institué, on ne la contestait pas même si on était
des chahuteurs mais fondamentalement on ne contestait pas l’autorité du détenteur de savoir. Aujourd’hui, le détenteur de savoir, c’est qui ? Ce n’est pas le prof, c’est la télé, c’est de multiples sources d’informations, de communications de la connaissance qui arrivent de tous les côtés. Il n’y a plus d’autorité
spontanée, spontanément admise en tout cas, ni d’individus, ni d’organisations puisque les organisations
sont en échec. Il y a une espèce de mise à distance permanente, et même de mise en dérision permanente (le phénomène des « guignols » est tout à fait significatif) ; la dérision comme mode d’appréhension
du monde. C’est un des phénomènes caractéristiques de la jeunesse aujourd’hui.
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()
l y a un certain déterminisme et fatalisme dans la conception d’appréhender les questions de générations. Je pense qu’on ne naît pas dans une génération, que c’est la génération qui se construit
elle-même. On a un regard critique par rapport à une génération qui est déjà passée. On est au-dessus.
On dit la génération qui vient, la génération qu’on a été, la génération que l’on a suivie. Or, il faudrait
peut-être qu’on soit en capacité d’anticiper ce qui va bouillonner, ce que va devenir cette génération à venir. Je crois que c’est l’objectif, de la conjonction entre Médef et les politiques libérales gouvernementales,
notamment par une forte structuration de la pensée à travers l’utilisation des médias, et les télévisions
fondées sur la dérision et le fatalisme élitiste. Coluche, Bigard, tous ces humoristes font leurs choux gras
de cette dérision. Ils ne font pas comme les chansonniers de jadis. Dans leurs critiques, il y a en même
temps une structuration de comportement. Cela a des effets sur un certain nombre de générations. La
mise en avant du fatalisme élitisme développe l’idée que l’on peut gagner de l’argent facile tout en dévalorisant le travail. Ce n’est pas le hasard si dans le même temps on accrédite l’idée de la disparition de la
classe ouvrière. On met dans la tête des jeunes, que sans effort ils peuvent arriver à être un Zidane, une
Laura Fabian en passant par la Star Académy. Ce qui est posé, c’est que le travail n’est plus pour eux la
meilleure façon d’y arriver. Quand il y a tout un environnement, une maturation sur le fait qu’on peut gagner de l’argent facile, sans presque rien faire en faisant peu d’effort, en vivant sa jeunesse en tant qu’individu libre de toutes contraintes. On ne peut pas s’étonner que des jeunes, aujourd’hui pensent qu’avec
un emploi précaire, ou un travail dans hors des statuts ils sont plus indépendants. Ils peuvent partir quand
ils ont envie de partir. Ils ne sont plus contraints à des statuts, des conventions. Quand ils ont assez d’argent pour faire ce qu’ils ont envie de faire, ils s’en vont, ils vont faire autre chose…
Il y a un travail de recherches à faire.
Quand le gouvernement, dit au niveau de l’éducation, il faut un minimum de lecture, de calcul, d’écriture, ça apparaît dans la tête de beaucoup comme étant le bon sens. Pourquoi faire de grandes études
quand je vois que mon copain qui a bac+3 est magasinier… Ils sont en train de structurer une société et
former une génération. En même temps le sentiment de pouvoir faire ce que j’ai envie de faire quand je
veux le faire traduit aussi un sentiment de révolte, de liberté, d’intervention, rejeter les contraintes, se sentir responsable de sa vie, peut-être porteur d’une potentialité de changement.
On est à un carrefour. Si on remonte en arrière, par ex. en 1848, il y avait un recul de comportement.
La bourgeoisie en pleine expansion étalait sa richesse, alors qu’à côté ça crevait de misère, que les enfants étaient surexploités. Pour faire bonne conscience la dame patronnesse au sortir de l’église filait sa
pièce aux mendiants… Et bien, je crois qu’ils sont en train de revenir à cela. Ce n’est pas Madame Chirac
et ses pièces jaunes qui dira le contraire.
Les générations ne naissent pas comme cela spontanément. Il y a des phénomènes structurants, il y
a des évènements, 1936, 1944, 1968, Moi je suis un soixante-huitard mais pas du côté des étudiants du
côté des ouvriers. Ce sentiment de liberté, nous, c’était autre chose ; les étudiants étaient vus un peu
comme des gauchistes. Les conséquences de 1968 dans notre génération ont eu des implications un peu
différentes. Par contre, la génération Mitterrand 1981, a été une cruelle désillusion pour le monde ouvrier.
Parce qu’on y a cru.
17
*
+
,
e partirais de l’interrogation de Clément Aumonier quant à la pertinence de la notion de
« génération ». Je partage son idée que l’on n’est pas toujours exactement le ou la même suivant
l’âge et on se construit tous les jours. Mais je crois que l’on est toute sa vie, la génération des faits les
plus marquants qui se sont imprimés sur la personnalité et souvent au sortir de l’adolescence. Cette notion participe à historiciser les approches sociologiques, notamment en faisant de chacun(e) d’entre nous
aussi une production historique. En ce qui concerne ce qui a été dit quant au 21 avril 2002, je crois plutôt
que s’est formée une génération de la désillusion devant les forces politiques traditionnelles.
On dégage rapidement quelques caractéristiques des générations montantes, mais elles étaient déjà
en germes en 1968 : affirmation de l’individuation, hédonisme, aspiration à la démocratie et à un autre ordre du monde, un goût pour le tiers-mondisme…. or il semble bien que les différences soient aujourd’hui
plus importantes qu’entre les générations du « baby boom » et leurs parents. A quoi tient cette accentuation des différences si ce n’est à l’environnement ?
Au plan politique : 1968 porte l’empreinte des peuples et des mouvements populaires forts et victorieux : les empires coloniaux viennent de s’effondrer, le souvenir de la résistance et du triomphe sur le nazisme est porté par la génération précédente, la personnalité de De Gaulle réactualisant ce souvenir, la
génération grandit sous l’esprit de la lancée des conquêtes sociales
Au plan idéologique : les années soixante se caractérisent par la montée du rationalisme et du marxisme, l’essor de la sociologie et des sciences humaines (je ne sais si une étude a été faite, mais le démarrage du mai 68 étudiant est plus particulièrement net dans les facs de lettres et sciences humaines);
c’est l’essor des système de pensée qui tentent d’expliquer de manière cohérente le monde. Les mots se
terminant en « isme » sont très prisés au-delà des sphères intellectuelles : le PC est à plus de 20% des
suffrages exprimés en 1967. L’Union Soviétique n’a pas encore écrasé le Printemps de Prague et apparaît notamment avec la conquête spatiale porteuse d’un certain dynamisme. Après la venue de Kroutchev
en France, un commentaire de France-Soir parle à propos des pays de l’Est, de « nouveaux pays », tandis que les USA offrent le visage de la guerre au Vietnam, de la ségrégation raciale et de la défaite devant
Cuba.
Au plan social : ce sont les années de croissance : avec moins de 200.000 chômeurs, il faut parfois
seulement une semaine pour qu’un ouvrier qui vient de quitter son emploi en trouve un autre. Des années
d’ascension sociale : il y a 180.000 étudiants dans l’enseignement supérieur en 1962 et 850.000 en 68 ;
c’est l’apparition des cadres comme catégorie de salariés… C’est en même temps l’apparition de la
contraception moins de dix ans avant l’IVG, l’affirmation du mouvement de libération des femmes, la libération des mœurs, la contestation des autorités, de manière plus marginale l’expression du désir d’autogestion, une quête de sens que l’on retrouve dans le mot d’ordre « boulot, métro, dodo ». Il en découle
une volonté aiguë de trouver sa place dans la société, 1968 en a été une expression ; certains ont continué à la chercher dans la contestation, d’autres l’ont trouvé dans l’intégration même si parfois, ils se sont
aidés de la récupération de la contestation.
Mais finalement ces mouvements ne remettent pas en cause un certain positivisme, au contraire s’en
nourrissent, le développement des techniques apparaît comme portant unilatéralement la promesse de
mieux-être social du positivisme et un goût pour le travail vécu comme facteur d’émancipation et d’ascension sociale ; et la politique porte partout même dans les sphères de l’extrême –gauche, libertaires exceptés mais peu présents- la question de la conquête de pouvoir.
Il découlait de ce climat un certain déterminisme : le progrès social pour les uns, la révolution pour
d’autres apparaissent inévitables et certains; les actions collectives mais aussi la recherche de modes
d’incarnation en découlent. Les recherches de formes nouvelles, les assemblées générales qui sont essentiellement le fait des luttes des intellectuels et assez peu chez les ouvrier se mêlent à cette recherche
d’incarnation : les appareils syndicaux et politiques pour les uns et un romantisme pour d’autres mais lié à
l’héritage du passé :le modèle bolchevique, trotskyste ou stalinien pour aller vite, la Chine, les barricades,
la guérilla. En Allemagne et en Italie 68 se mêle à la volonté de régler les comptes à ce qui survit d’éléments issus du fascisme dans les institutions. Enfin, le 68 tchécoslovaque témoigne du fait, que la génération d’après la seconde guerre mondiale aspire à un renouveau démocratique dans tous les pays développés. Ces traits ont bien évidemment bougés sous l’effet des évolutions du monde, mais ils continuent
de participer de l’inconscient collectif des quinquagénaires, même quand ceux-ci se sont singulièrement
assagis.
18
Ce rappel pour dire que si la génération du « baby-boom » était bien différente de la précédente, au
point qu’à l’époque se développait un discours sur « le conflit des générations », je pense néanmoins que
la rupture entre cette génération- ci et la nouvelle qui émerge, est qualitativement plus importante.
Personnellement, j’ai tendance à la situer à plusieurs niveaux qui finissent par dessiner une cohérence et que je souhaiterais approfondir par la suite ; certains se croisent avec les propositions faites par
René Mouriaux.
Le féminisme : son irruption n’entraîne pas seulement une plus grande participation féminine, mais a
contribué à mettre davantage en lumière les rapports sociaux de domination et de subordination comme
autant d’obstacles à franchir y compris au sein des mouvements eux-mêmes. Une contribution à l’exigence d’autonomie et une certaine déstabilisation masculine dans les milieux les plus marqués par la domination masculine.
Le rapport individu/ collectif : l’approche la plus facile est d’évoquer la percée de l’individualisme, mais
elle rend alors incompréhensible les mobilisations. Il s’agit surtout d’explorer les rapports à l’autorité et de
ce fait à tout ce qui est ou devient institutions. Par exemple, le MIB professe qu’en se vidant progressivement de leur capacité à accomplir leur fonction initiale, les institutions ne conservent que leur caractère
répressif. Mais disons que d’une manière plus générale le rejet de rapports hétéronomes, pas toujours de
manière intellectualisée et souvent sans modalités de substitution, marque de plus en plus les activités
des nouvelles générations. Personnellement j’ai pu le vérifier en ce qui concerne les rapports au politique,
à la conduite des mouvements sociaux et au fait de s’organiser mais aussi dans les rapports plus complexes à l’information. Si on prend ce point de vue, alors on mesure qu’il n’y a pas recul du collectif mais
plutôt modification de sa définition. Tant qu’il est vécu comme impliquant de se couler dans une certaine
normalité définie au préalable et dépossédante, on trouve des manifestation de désertion ; dès qu’il apparaît au contraire comme faisant appel à la spécificité de chacun de ses membres et fonctionnant sur une
base démocratique et responsabilisante, il prend un essor nouveau. Les assemblées générales des mouvements sociaux et la critique persistante à l’égard des organisations, l’auto- organisation du rassemblement du Larzac allant jusqu’au ramassage des ordures, les débuts du FSE et la nature des critiques qui
commencent à se manifester à l’égard d’organisateurs qui commencent à paraître immuables, en témoignent. De ce fait, la question du rapport aux institutions devient effectivement un nœud : je partage ce
qu’en a dit Marchillé. Comment ne pas être frappé que l’attachement aux valeurs humaines, le besoin d’être utile à son prochain ne se sente que peu concerné par la défense du service public, si ce n’est que l’image dominante du service public n’est pas celle-ci mais celle d’une institution et que la plupart du temps
les luttes donnent davantage le sentiment de défendre l’institution que sa finalité ?
Les rapports au progrès des connaissances : pensons que nous avons affaire à des générations
massivement scolarisées et largement engagée dans des études après le bac. Nous assistons à la fin du
positivisme et d’un certain scientisme. L’imprévisibilité vécue comme systémique : elle recouvre l’instabilité et l’insécurité sociale, les accidents du type marée noire ou AZF ou encore l’irruption de Le Pen au second tour d’une élection présidentielle ou la montée des violences, mais aussi les échecs du politique et
les difficultés des familles à transmettre des conseils utiles dans un contexte qui leur échappe-, et le recours au pragmatisme que cette culture de l’aléatoire et du risque engendre. (Cela entraîne certainement
une modification des rapports au temps sur lesquels il serait utile de revenir). En même temps, une familiarité nouvelle avec le monde et des valeurs humaines profondes et vécues comme moyen d’identification
des problèmes et de sélection des affinités et une aspiration à pouvoir exercer sa créativité dans tous les
domaines d’où la montée de l’attrait pour des activités culturelles et artistiques comme mode d’expression
et comme activité sociale, Aline Pénitot en a fait une démonstration.
Le rapport au travail : c’est peut-être dans ce domaine que l’on perçoit le mieux que l’on va vers une
société aux comportements éclatés : retenons comme dominante une ambivalence : à la fois, il perd de sa
centralité non pas pour le rejeter mais pour devenir une activité devant assurer à la fois revenus et moyen
d’épanouissement et en même temps l’accomplissement d’un destin personnel s’individualise à défaut de
projet transformateur collectif. Dans une étude faite sur les jeunes embauchés à l’EDF, Michel
Vakaloulis montre que cet aspect est renforcé par un univers sélectif dans tous els domaines et pratiqué dès le plus jeune âge à l’école. Tout les appelle à indexer leur sort individuel à leurs efforts personnels. Ils sont pris dans des rapports de « donnant- donnant » précise Vakaloulis : « ils sont socialement
conditionnés à préférer ce qu’ils peuvent arracher immédiatement par rapport à un rendement différé de
leur investissement dans l’entreprise. » Mais si cela peut conduire à des comportements opportunistes
voire a chercher dans le boursicotage ou le petit trafic les moyens banalisés d’accroître ses revenus, et
c’est ici que les réactions sont très éclatées, d’autres gardent leurs valeurs, cherchent à réaliser ce qu’ils
considèrent être leurs talents et compétences, veulent les faire reconnaître par leurs collègues notamment
19
plus âgés et certains de ceux-ci continuent de se réaliser ou de tenter de se réaliser en même temps dans
des activités hors travail. Ceux-ci nourrissent un regard double sur la mobilité et la précarité : elle représente à la fois leur fragilité et les incertitudes de l’avenir et le temps libre ou la promesse de « ne pas faire
cela toute la vie » et de continuer à explorer d’autres activités et d’autres univers. Ce qui me conduit à dire
un mot concernant l’idée avancée par Aline : « Je milite comme je travaille » : les modes de fonctionnements des forces politiques ou syndicales sont imprégnées de l’univers ouvrier du XIX° et du début du XX
° siècle : ils reproduisent en gros les modes de commandements et les structures de transmissions des
tâches et des objectifs. Visiblement tout le monde, y compris dans les sphères de « la nouvelle militance »
a du mal à dégager un autre type d’efficacité.
L’apport de la présence de jeunes, français ou non, issus de l’immigration se traduit par un aiguisement du sentiment d’être hors normalité et une accélération du renouvellement des pratiques culturelles et
sociales et ce, du fait même des difficultés rencontrées à la fois par la sphère sociale, souvent ouvrière et
modeste, voire pauvre et par l’existence du racisme même larvé. Ils contribuent certainement à accélérer
une préhension plus familière de la dimension « monde ». Cette perception d’être hors d’une certaine normalité gagne progressivement l’ensemble de la jeunesse d’abord des milieux populaires et ce, quelle que
soit son origine, pour finir par participer à la définition d’une autre normalité ou en tous cas porter la recherche d’une autre normalité.
On ne peut faire le tour de cette problématique sans prendre en comte que le segment le plus jeune
de la population subit une stigmatisation qui tend à se banaliser. Je m’arrêterais sur trois aspects :
Le regard médiatique : les jeunes ne sont que l’échec scolaire, les violences, la drogue, la galère ou
alors les vedettes du sport ou de la star academy ; leur normalité et celle du monde du travail est exclue
des représentations médiatiques.
L’omniprésence du répressif : le nombre de jeunes qui ont expérimenté d’être a priori suspects de
quelque chose ou condamnés pour ce qui est davantage du ressort d’une insolence ou d’une incivilité
qu’un délit ne se compte plus.
Le regard des adultes : cela conduit à un regard des adultes méfiant ou craintif et ce regard est perçu
comme tel par les jeunes qui vivent alors la société la plus environnante comme une porte close.
En fait, la rupture part du politique et se retrouve dans le politique : la faillite de l’Est, du mitterrandisme et des « idéologies » dit-on ; la capacité d’adaptation du capitalisme durant les années soixantedix et la disparition du système bolchevique du paysage politique mondial management favorisent la recherche de solutions qui lient plus étroitement le sort individuel et la trajectoire sociale personnelle et une
réelle aspiration à une autre organisation sociale. Les générations issues du « baby-boom », mais aussi
celles qui avaient 20 ans au moment de la chute du Mur de Berlin transmettent un sentiment désabusé ou
de défaite des idéaux et mouvements collectifs. Les individus ne situent plus où est la cohérence du
monde de la même manière : la course à l’argent, l’appétit de domination sur les autres, le racisme et les
discriminations y sont fortement dénoncés. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas la volonté de se doter
d’outils de compréhensions : le succès des universités d’été d’ATTAC ou du FSE témoigne de cette quête
de rationalité, mais le parcours ne part plus de l’analyse théorique reconnue et la cohérence politique et
le caractère systémique de l’ordre régnant n’est pas perçue comme tels, ou lorsqu’ils le sont, c’est à travers le sentiment que s’il faut nécessairement le combattre, il n’est pas envisagé qu’il soit dépassable. Les
plus jeunes rejettent la société marchande tout en ne connaissant qu’elle. Il y a donc une quête de sens,
qui s’exprime surtout par défaut ou par des comportements qui signalent des manques, je repense à
l’exemple des services publics, revenir sur les finalités me semblent une attente à laquelle il est urgent de
répondre.
Enfin, puisque j’évoque la recherche de rationalité, je serais tenté de dire que le « faire » et les pratiques deviennent souvent la preuve des intentions affichées ; que cela est souvent sous-estimé par les forces démocratiques mais que Nicolas Sarkozy semble l’avoir compris. Au fond, cette place fondamentale
accordée aux comportements représente un carrefour soit vers l’intégration du pragmatisme et du non politique comme une donnée durable, soit au contraire, les pratiques peuvent devenir un chemin d’accès à
la reconstruction d’une lecture cohérente du réel.
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ur le rejet du travail. Je ne crois pas que ce soit ça., Alors que la société, aujourd’hui, offre des
multitudes de possibilités de se réaliser, une émancipation avec un développement extraordinaire de connaissances, le choix de rebondir dans sa vie, entre autres pas toujours la même activité professionnelle, n’est pas que fait par les individus, il est imposé le plus souvent. Les situations et les conditions dans lesquelles la génération, depuis 15/20 ans s’envisage dans la société est fait de ses propres
choix, mais aussi avec des contraintes : la précarité, sous tous ses aspects, par exemple.
Il y a des situations au travail, des conditions inhumaines provoquant de plus en plus d’accidents du
travail, mortels, des suicides travail. Comment aujourd’hui, accompagner un véritable travail, notamment d’un couple avec des jeunes enfants quand vous travaillez sur Roissy et que vous vous poser la
question d’une crèche. Comment répondre à cette question quand on travaille à 4h du matin. On emmène l’enfant à cette heure à la crèche sur le lieu de travail ?. Comment on s’engage sur ces questions?
Comment répondre à cela ? Formater des catégories entières de familles à travailler et à vivre en fonction du travail ou pas. Sur rejet du travail, il y a l’évolution de la société mais aussi d’autre chose sur
quelle conception de celle-ci , quelle place de l’être humain ?
$# !
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e veux dire qu’il y a un rapport à l’effort et au travail aujourd’hui des jeunes qui est différent de celui qu’on avait spontanément autrefois, en tout cas au niveau des études. Aujourd’hui, l’effort et le
travail doivent être justifiés soit par le plaisir escompté, soit par un gain matériel immédiat ou à très court
terme. Il ne se justifie pas par la simple perspective d'
en savoir plus, ou par la curiosité intellectuelle. Apprendre, ça exige un travail, un effort parfois douloureux. Il faut en tout cas être actif, et les jeunes sont
habitués - c'
est une influence des médias, notamment de la télé - à être plutôt passifs devant l'
information. Mais une des sources de ce phénomène là se trouve aussi à l’école. La massification a entraîné
des modifications des comportements scolaires, des pédagogies beaucoup plus qu'
autrefois basées sur
le ludique, etc. Il faudrait creuser cela.
21
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&
3 réflexions :
a gauche, quand elle était au pouvoir, n’a pas fait seulement la démonstration qu’elle n’avait
pas réussi à changer fondamentalement « la donne ». Elle a fait la démonstration qu’elle ne
croyait plus au changement. Finalement le message envoyé à toute une génération c’est que notre vie
dans 20, ou 40 ans sera pareille à celle d’aujourd’hui (précarité, repli sur soi...) Finalement cette idée de
« fin de l’histoire » proclamée au début des années 90 a marqué et profité de l’absence de grandes mobilisation victorieuse dans notre pays. Nous avons certainement sous estimé la force et les effets de cette
campagne. C’est la notion de progrès qui s’en trouve modifiée pour la jeune génération.
Sur l’autorité ; animateur « jeunesse » dans un quartier difficile de Montreuil, j’ai pu observer que la
question de l’autorité était posée. Je ne parle pas d’autoritarisme, je parle de la légitimité des intervenants
dans les quartiers dits « sensibles ». La première question qu’un jeune vous pose quand vous l’abordez,
c’est : « Tu es qui, toi ? » Au travers de cette question se pose la reconnaissance ou non, la confiance ou
la riposte, l’intérêt ou la fuite. En fonction, de l’institution que l’on représente, de l’expérience que l’on incarne, des repères qui nous sont prêtés, les réactions peuvent varier du tout au tout. Et son statut, il faut
le gagner. C’est vrai en politique…
J’ai vécu à de nombreuses reprises dans mes responsabilités politiques des moments où les personnalités estimaient que leurs statuts de dirigeant ou d’élus étaient un argument en soi pour peser dans un
débat, que le statut faisait autorité. Ca ne fonctionne plus comme ça. Le « je m’assois 5 minutes, j’écoute
10 minutes, je réponds pendant 15 minutes, et je m’en vais vite» correspond mal aux attentes des jeunes.
Même à l’intérieur des organismes les plus structurées et les plus sensibles à la hiérarchie (Eglise, partis
politiques..) la parole se libère ; l’autorité s’acquière.
Je me souviens de ce que disait Djamel Debouze dans une récente émission : « Sarko, je ne sais
pas si je dois le classer à droite…je ne sais plus quoi en penser…parce que ce mec là est de droite mais
c’est lui qui abroge la double peine, il aide mon association des jeunes des cités et les faits montrent que
finalement, il fait des choses différentes de ce qu’à fait la gauche et il les fait en mieux… ». Le poids des
actes…pèsent lourds quand a contrario la gauche n’a pas eut le courage d’accorder le droit de vote pour
les résidents étrangers. Cela nous met en difficulté sur les repères qu’on défend et ceux qu’on ne défend
pas ou plus.
Toute dernière chose, en forme de sirène d’alarme. Le président du centre de la jeunesse de la C.
G.T. vient de quitter son mandat sans qu’aucun jeune ne décide de prendre le relais. A l’époque où j’occupait des responsabilités dans la JC, nous vivions cette même situation dans de nombreuses fédérations et
bien d’autres organisations de jeunesse la connaisse de manière régulière. Cela pose finalement la question de l’exercice du pouvoir et du rapport des organisations de jeunesse avec leurs organisations
« référentes », sommes nous dans la subordination, la reproduction ou dans le respects des spécificités
de chaque génération ? Il y a énormément de mal à travailler ensemble, en bonne intelligence Je discutais avec des jeunes de la C.F.D.T qui me faisaient part des mêmes difficultés. « Nos référents politiques
sont critiques parce que tous les vendredi soir on se retrouve avec la C.G.T. et on discute, on a des rapports qui sont complètement différents entre les confédérations de jeunes et les confédérations au niveau
national. » Pourraient-on expliquer ainsi le fait que de nombreux jeunes restent réticents à toutes idées de
structurations permanentes vécues comme carcan ?
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Juste 4 petits points.
1. Il faut articuler continuité et rupture. C’est un vieux débat. La meilleure image est la spirale par rapport à la linéarité du progrès ou du recul ou de la stagnation ou au cercle, la spirale aide à penser à la fois
le mouvement , le changement et la continuité, le retour et les transformations. Sur tous les points qui ont
été évoqués, je pourrais faire la démonstration de la continuité. Les jeunes et la violence . Il faut voir sur
les grèves des années 1870 les militants sont accablés par la violence des jeunes. Les apaches des années 1910…La désespérance d’aujourd’hui est-elle plus forte que celle au lendemain de 1848 ? Il faut attendre 1864 pour que le mouvement ouvrier se réveille. Donc il y a près de 20 ans de silenceou là il y a
rien sauf les héros qui témoignent. Après 1871 Thiers déclare toute tentative de perturbation sociale impossible à souffrir.
2. Unité et diversité. Sur le rejet du travail, il faut faire attention au globalisme ; il y a eu des atténuations, il y a eu une mise en perspective mais je pense quand même qu’il y a des populations qu’il continue
à avoir dans la jeunesse une intensité du travail parce qu’ils savent que c’est la condition de leur succès.
Les enfants d’Ernest Seillères ou bien ce sont des débauchés ou bien c’est des superactifs. On voit dans
les grandes écoles des sacrées figures de besogneux exacerbés …D’autre part, je pense que chez les
beurettes il y a le sentiment que c’est le seul moyen de s’en sortir. C’est 2 exemples ou il y a maintien
d’une intensification du rapport au travail scolaire.
3. Chaque génération constituée ou en voie de constitution évolue et change de bassin. Mais l’image du bassin ne supprime pas le fait qu’on appartient à un vivier.
4. Notre séminaire vise à comprendre la génération actuelle, sans la couper des précédente. Je
pense qu’il y a toujours de l’imitation Il n’y a jamais une génération qui soit dans une telle situation, qu’elle
n’imite personne. Le problème, c’est ou chercher leurs modèles et de fait on leur en fournit à travers Star
Académie etc. Ce qu’il faut, c’est saisir les potentialités et les contradictions. La génération présente a d’énormes potentialités ; en même temps, ce n’est pas une peuplade de sauvages n’ayant que des qualités.
De même que les classes dangereuses, c’est à la fois les prolétaires, les immigrés, les jeunes, ceux qui
arrivent et qui n’ont pas la culture de la rationalité bourgeoise, c’est à dire chacun à sa place, quand on a
du capital, tant mieux, quand on n’en a pas, on ne fait pas les « cons ». Donc les potentialités et les
contradictions ce qui est frappant, cela a été évoqué, c’est à quel point il y a une radicalité et l’acceptation
des grands principes de l’économie de marché. C’est à dire qu’ils sont dans la concurrence. Et c’est la
contradiction. A la fois, ils veulent en sortir, ils ont une aspiration à une société non marchande, et en
même temps ils n’en connaissent qu’une et jouent dessus à fond . Je pense à des étudiants et étudiantes
vraiment à gauche, marxistes et qui disent, si j’ai un poste, c’est que j’aurai tué mes condisciples.
23
*
-
e voulais revenir sur l’échange concernant l’autorité. Je partage l’idée selon laquelle, lorsqu’elle
n’est pas justifiée, ça ne marche pas. Mais je pense que le problème va au-delà. Pour moi, c’est un
phénomène positif, - même si en absence de réponses, cela pose des problèmes-, il y a une remise en
cause de tout ce qui fait appel à de la docilité. Même si on veut le justifier. Par exemple, je ne peux pas
m’empêcher de penser qu’un des aspects de la crise de l’école repose aussi sur les modalités de la transmission du savoir. Et pourtant chaque élève sait pertinemment qu’il n’en sait pas autant que l’enseignant.
Tout ce qui s’apparente à un ordre est mal reçu. On retrouve ces comportements en politique, tout ce qui
est de l’ordre de la participation, de l’implication, tout ce qui est de l’ordre de la participation, de l’implication, tout ce qui fait appel à la créativité, à la découverte est assez mobilisateur. Ca ne veut pas dire que
ce soit pas sans contradiction, nous sommes dans un entre-deux, et on peut très bien m’opposer des
exemples contraires, mais où est le potentiel dynamique ? Vers quoi s’oriente le nouveau ? Tout ce qui à
un moment donné ou à un autre renvoie à la docilité, alors là la machine se grippe, le contact ne se fait
plus. Un sondage montre que si on prend les rapports à l’information, on retrouve cette problématique.
Question posée à des lycéens de terminal : « est- ce que vous aimeriez participer à la confection d’un
quotidien ? » Plus de 63% répondent « oui ». Lisez-vous des quotidiens ? 1.5 pour cent répond « oui ».
Alors qu’est-ce qui se passe ? La participation, oui. L’acceptation d’ingurgiter ce qui a été concocté en dehors, non, ça ne marche plus. C’est pourquoi j’évoquais les rapports hétoronomes. Je crois qu’il y a beaucoup de pratiques sociales comme cela. C’est vrai pour le travail, c’est vrai pour la politique…C’est quelque chose qui mérite d’être vérifié, d’être creusé. A une époque c’était des modalités, j’allais dire normales, de transmission du savoir ou de la politique. Là pour moi, il y a des faits générationnels qui sont liés à
des époques qui sont différentes. Je faisais allusion au fonctionnement du parti ou des partis ou des organisations syndicales, j’aurai pu prendre l’école. Quand j’étais à l’école, c’était déjà différent entre le moment où j’étais au lycée et au moment où j’étais à la communale mais pas pour des raisons d’âge parce
que ça se modifiait déjà aussi à l’école primaire où l’élève était considéré comme une éponge. Et le bon
élève, c’était celui qui absorbait le mieux. « On ne demande pas pourquoi en maths » disait un enseignant. Il y avait là toute une conception de l’enseignement… De ce point de vue, il y a eu des réactions de
1968 très fortes certainement alors mal appréciées par le PC. Et je crois qu’il y avait une modalité des
rapports qui étaient des rapports d’acceptation, d’intégration de ce type de rapports ; c’était quelque chose
qui était admis. Et ce quelque chose n’est plus admis aujourd’hui. Si on le transpose au travail le patronat
l’a compris. Quand on passe de l’existence des contremaîtres à celle des ARH ou des D.R.H. il transforme ses modalités de commandement. Il ne retire rien de la dimension, au fond, coercitive et dominatrice mais dans la modalité par lequel il passe, le commandement est complètement bouleversé.
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