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L’architecture soft-tech / mars 2014 / page 4
«
Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe
. »
Albert Einstein
LE CONTEXTEACTUEL : NORMER ET PREVOIR L’IMPREVISIBLE
Le préalable à la réflexion qui nous intéresse, et que nous
développerons plus tard, est issu d’un constat terrain. Depuis
des années, le monde de la conception architecturale ou
technique des bâtiments s’est lancé dans une course effrénée
à la performance : RT2000, puis RT2005, BBC, BBC+, RT2012…
Chaque année de nouvelles exigences réglementaires, nor-
matives ou volontaires, tels de nombreux labels et référen-
tiels locaux, naissent. Les institutions normatives accentuent
la mutation du monde du bâtiment vers une technique en
permanente évolution, solution évidente aux enjeux de la
planète et aux attentes de confort toujours renouvelées…
Ces outils (normes, labellisation, référentiels…) sont utiles
car ils permettent de faire évoluer les pratiques, en quantité
non infinitésimale. Ils initient un changement des règles de
conception ou de construction. Mais peuvent-ils prétendre
initier le changement des règles d’usage ? Sans doute pas,
mais c’est là une hypothèse à vérifier encore…
De fait, quelle est la légitimité sociale de ces normes,
de ces règles, de ces référentiels ? Qui porte la question de
l’usage dans un projet de construction aujourd’hui ? Les
labels garantissent-ils le fait qu’un bâtiment soit construit
avant tout pour accueillir la vie et non pour la performance ?
Quels outils ont été développés pour qualifier le bien vivre
en plus du moins consommer ? Autant de questions sans
réponses claires, car éminemment complexes… Pourtant
la question est déjà bel et bien posée par certains qui sou-
haitent voir émerger la haute qualité d’usage au même
titre que la haute qualité environnementale. Et la méthode
habituelle refait surface : multiplicité de critères, grilles ana-
lytiques, matrice de comparaison… là encore, il faut trouver
une méthode universelle d’évaluation pour pouvoir noter
et comparer, classer, départager… Ainsi nous fabriquons
des grilles pour classer les usagers, sans cesse changeants,
contrairement au bâtiment, figé !
Alors que des modèles physiques permettent de prévoir
de façon très précise le comportement d’un bâtiment face
à une sollicitation donnée, alors que l’ingénierie se perfec-
tionne, que la technique apporte de nouvelles solutions de
régulation, plus fines, plus rapides, plus adaptables… les sol-
licitations du bâtiment, elles, ne s’affinent pas, ne se régulent
pas selon des lois générales : elles dépendent de l’usage réel,
instable, complexe et déterminé par des facteurs multiples.
Or, plus le bâtiment devient performant, plus le rôle de l’usa-
ger devient déterminant, et plus l’occupant risque d’être stig-
matisé en raison de ses mauvaises pratiques.
La question fondamentale, finalement, est d’interroger la
façon de rendre mouvantes les pratiques de conception et
de construction, pour respecter l’imprévisibilité de l’habitant.