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Shakespeare dans la maison de Molière- 18 -
Garcins et Simon. Ces derniers s’installent rue de Richelieu dans le éâtre de la
République tandis que le Français devient éâtre de la Nation. Talma s’illustre
ainsi tant par ses qualités d’acteur que par sa verve républicaine 9. Notons en
passant que le 26 novembre 1792 paraît à l’a che du éâtre de la République,
Othello , LeMore de Venise , adaptation par Jean-François Ducis de la pièce du
même nom d’un certain William Shakespeare 10. Un premier pont est jeté entre la
France et sa voisine insulaire.
Du fait du scindement de son e ectif, l’ancienne Comédie-Française voit ses
privilèges s’e ondrer. Signi cativement, elle perd sa pension royale. Par ordre du
comité de salut public, la salle à L’Odéon est fermée en 1793, mais les comédiens
sont sauvés in extremis de la guillotine grâce à Charles Hippolyte de Labussière,
lui-même acteur 11. Le 30 mai 1799, les dissensions s’estompent et les deux camps
se réunissent pour reprendre leurs représentations au éâtre-Français, rue de
Richelieu. Talma y gure et instaure un renouveau des conventions de la repré-
sentation. De fait, la révolution a lieu aussi bien hors que dans les murs de cette
troupe désormais cinquantenaire 12.
Sous l’Empire, alors que Napoléon Bonaparte ne cache pas son admiration
pour Talma (il avait noué des liens avec lui pendant la Révolution), le Français
privilégie les œuvres classiques pour lesquelles il rencontre un vif succès grâce au
jeu de Fleury, Dugazon, Dazincourt, M
lle George ou M
lle Duschenois, d’autres
grands noms à l’a che des spectacles. Il faut aussi admettre que la concurrence
est moins vive puisque des vingt-quatre théâtres que comptait la capitale au
e siècle, il n’en reste plus que huit. Le répertoire est néanmoins revu, en
particulier après la mort de Talma en 1826 qui secoue l’Institution. La société
dont les statuts avaient été rétablis et revus dans un nouvel acte de 1804 est sur le
point d’être dissoute, mais le baron Taylor, nommé commissaire royal, fait entrer
de nouveaux auteurs au répertoire : c’est l’avènement du drame romantique 13. Les
• 9 – Plusieurs ouvrages ont été consacrés à ce comédien talentueux : celui, très récent, de Bruno
V , Talma , l’acteur favori de Napoléon I er , Paris, Éditions Pygmalion/Gérard Watelet, 2001 et
celui de Madeleine et Francis A , Talma ou l’histoire au éâtre , Paris, Éditions de Fallois,
2007, qui sert précisément le détail de notre encart en conclusion du présent chapitre.
• 10 – Au sujet de Jean-François Ducis, voir John G , Shakespeare for the Age of Reason ,
Earlier Stage Adaptations of Jean-François Ducis, 1769-1792 , Voltaire Foundation, 1992, ainsi que
PaulA , Jean-François D , Lettres de Jean-François Ducis , Kessinger Publishing, 2009.
• 11 – Employé au bureau de police des Tuileries en 1794, il est horri é par les exécutions en masse
dont il est mis au fait par les dossiers qui parviennent sous ses yeux. Il décide alors de jeter certains
d’entre eux où gurent les noms d’artistes du éâtre-Français.
• 12 – Noëlle G , Jacqueline R , « Agitation dans les rues, sur la salle et sur la
scène », op. cit. , p. 179-188.
• 13 – À ce sujet, on se reportera notamment à l’ouvrage d’Albert S , La Comédie-Française
depuis l’époque romantique. 1825-1984 , Paris, Fischbacher, 1895.
« Shakespeare dans la maison de Molière », Estelle Rivier
ISBN 978-2-7535-2066-0 Presses universitaires de Rennes, 2012, www.pur-editions.fr