pierre.leveau@ac-aix-marseille.fr
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Émilie BOUTHLEY, Pr. Lettres modernes, LGT Philippe de Girard, Avignon
Pierre LEVEAU, Pr. Philosophie, Idem.
30 Mai 2016
« LA MADELEINE AUX DEUX FLAMMES »
Georges De La Tour (1650)
Approche croisée Lettre - Philosophie
Objet : Approche « pluri-disciplinaire » d’une œuvre par 2 professeurs
Objectif : Construction d’un dialogue « inter-disciplinaire » par leurs élèves
Résultat : Formation d’esprits « in-disciplinés » par la mobilisation de compétences
« trans-disciplinaires »
Publique : Classes de 1ière et de Tle Littéraire (45 élèves)
Durée : 1 Heure
Ressources : Dossier Éduthèque-Louvre (http://eduscol.education.fr/louvre/ecriture/char1.htm)
Support-textes (PJ. bibliographie en annexe B. Pascal ; R. Char ; K. Marx)
Vidéo J. Brel : « Madeleine » (https://www.youtube.com/watch?v=TEIHIsIhx6o)
Résumé : On explique comment les élèves peuvent trouver leur style à la faveur
d’approches croisées. On présente dans cette perspective une séance
coanimée par un professeur de lettres et de philosophie sur un tableau du
XVIIe siècle « La Madeleine aux deux flammes » de Georges De La Tour.
On précise avant le sens des termes que l’on utilise pour formuler l’hypothèse
que l’on défend. Si les approches croisées permettent aux élèves de trouver
leur propre style, il convient de les multiplier.
Table des matières
1. Argument ......................................................................................................................... 1
2. Support de la séance ..................................................................................................... 4
3. Déroulement de la séance ............................................................................................. 5
4. Conclusion ...................................................................................................................... 8
5. Bibliographie ................................................................................................................... 8
!
1. Argument
L’Education nationale ne valorise pas plus que l’armée le caractère indiscipliné de ses
membres, fonctionnaires, agents ou élèves. Mais les objets de nos disciplines académiques le
sont parfois, lorsqu’ils émergent à leurs frontières et ne relèvent d’aucunes ou en intéressent
plusieurs. Le terme d« indisciplinarité »1, récemment forgé pour les désigner, peut-il intéresser
les enseignants comme les chercheurs ? Rappelons qu’une approche est dite2 :
! « pluri-disciplinaire » lorsqu’elle mobilise plusieurs disciplines, sans les conduire a
réviser leurs principes, leurs méthodes ou leurs objectifs ;
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
1 CAHIERS S.T.S. : « Indisciplines », 1, 1984 ; LOTY Laurent : « Pour l’indisciplinarité », The Interdisciplinary
Century ; Tensions and convergences in 18th-century Art, History and Literature, Voltaire Foundation, 2005,
pp. 245-259 ; PASQUIER Renaud et SCHREIBER David : « De l’interdiscipline à l’indiscipline. Et retour ? »,
Labyrinthe n°27, 2007 ; WOLTON Daniel : Indiscipliné. La communication, les hommes et la politique, Odile
Jacob, Paris, 2012 ; CATELLIN Sylvie et LOTY Laurent : « Sérendipité et indisciplinarité », Revue Hermès, n°67,
2013, p. 32-40.
2 DARBELLAY Frédéric : « Vers une théorie de l’interdisciplinarité ? Entre unité et diversité », Nouvelles
perspectives en sciences sociales, Vol. 7, 1, 2011, p. 65-87 ; KLEINPETER Edouard : « Taxinomie critique de
l’interdisciplinarité », Revue Hermès, n°67, 2013, p.123-129.
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! « inter-disciplinaire » si leurs échanges les changent : les amènent à modifier leurs
procédures, leurs hypothèses ou leurs postulats ;
! « trans-disciplinaires » lorsqu’elle porte sur les invariants disciplinaires qui leur
permettent de se coordonner et d’ajuster leurs vues.
On peut estimer que ces distinctions suffisent à penser le rapport des disciplines. Mais elles
ne disent rien du tempérament des chercheurs, des enseignants ou des étudiants qui optent
pour l’une ou l’autre de ces approches. Cette lacune justifierait-elle le recours au concept
d’indisciplinarité ? L’utilisera-t-on dans ce cas pour désigner alors un tempérament, un éthos
ou un style, caractérisé par le refus, plus ou moins radical, des disciplines académiques ? Ou
plutôt une méthode de travail, dans une discipline donnée, consistant soit à transgresser, soit
à élargir ou bien encore à ouvrir ses frontières ? En quoi cette démarche se différencierait-elle
alors de la pluri-, de l’inter- ou de la transdisciplinarité ? On peut répondre en appelant :
! « in-disciplinarité » la capacité d’un enseignant, discipliné, à fracturer son
enseignement disciplinaire pour travailler son style.
Cette définition, qui suppose celle de « style », suffit déjà à distinguer cette approche des
précédentes. Contrairement à l’interdisciplinarité, l’indisciplinarité ne prétend pas enrichir ou
modifier le contenu des disciplines. Elle n’entend pas non plus ajuster leurs vues,
complémentaires, les unes aux autres, à la différence de la pluridisciplinarité. Elle n’imagine
pas plus traverser ou transgresser leurs frontières pour les réunir ou les comparer, comme le
fait la transdisciplinarité. Le recours au concept de « fracturation » permet de lui donner un
contenu positif et de comprendre que l’indisciplinarité est moins un tempérament qu’une
méthode consistant, non à ignorer ou à bafouer les disciplines, mais à transformer les
distinctions dialectiques, qui les séparent dans le cadastre du savoir, en distinctions fractales.
Qu’est-ce à dire ? Rappelons qu’opérer une dichotomie, une distinction dialectique,
consiste selon Platon3 à fendre un genre unique en deux espèces qui diffèrent par nature, en
pointant la propriété caractéristique que possèdent tous les membres de l’une à l’exclusion
des autres. Fracturer cette distinction consiste selon Andrew Abbott 4 à la reproduire
paradoxalement dans chacune des espèces, en réintroduisant le tout dans les parties.
L’étrange taxinomie qui en résulte peut être dite « fractale », non parce qu’elle brise une
opposition logique, mais parce qu’elle est automorphe et s’obtient par réitération, comme les
objets du même nom [Fig.1]. Pourquoi cette technique dialectique intéresserait-elle les
enseignants ? Nous savons que nos disciplines ne sont pas des réalités naturelles, mais des
constructions scientifiques, historiques, politiques, culturelles et sociales. L’avènement des
unes oblige les autres à réviser leurs frontières, ce qui déclenche souvent des conflits de
compétences ou de territoire, sinon des guerres. On se souvient que Louis de Bonald publia
en 1819 un texte sur celle des sciences et des lettres5, qui venait du fait que leur distinction
n’était pas dialectique, mais fractale et que chacune empiétait sur le territoire de l’autre. Il y a
des lettres dans les sciences, puisque les scientifiques rédigent des traités, comme des
sciences dans les lettres, puisque les raisonnements des historiens sont aussi scientifiques6.
Que conclure de cet exemple de fracturation de frontières entre disciplines ? On peut dire que
c’est une question de « style », au sens le style d’une discipline académique dépend selon
Gilles Gaston-Granger7 du rapport singulier qu’elle établit entre le langage naturel et un
langage formel. Chacun de ces langages contribue à la constitution de son système
symbolique et une grammaire spécifique y règle leurs relations. La métrique ou l’aventure de
l’OuLliPo en sont des exemples du côté des lettres, comme l’invention des équations,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
3 PLATON : Phèdre, 265 d-e ; Sophiste, 219a-221c.
4 ABBOTT Andrew : « Le chaos des disciplines », Qu’est-ce qu’une discipline ?, EHESS, Paris, 2006, p. 35-67.
5 BONALD Louis de : « Sur la guerre des sciences et des lettres », Œuvres complètes, T.III., Migne, Paris, 1859.
6 LEVEAU Pierre : « La querelle des vernis et le différend des sciences et des lettres », Synergies RUI 7, 2014,
p. 57-69
7 GRANGIER Gilles-Gaston : Pensée formelle et science de l’homme, Ch. III, Aubier-Montaigne, Paris, 1967.
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mathématiques ou chimiques, en sont du côté des sciences. La fracturation de l’opposition
entre langage naturel et langage formel a défini à chaque fois un style particulier, littéraire ou
scientifique, dont la grammaire gle l’usage que l’on fait des signes. Si les styles dépendent
de ces fracturations, concluons que l’indisciplinaripermet de les travailler et de les cultiver,
sinon de les expliquer. Il y a de l’histoire dans la philosophie, comme il y a de la philosophie
dans l’histoire, indépendamment du fait qu’il puisse y avoir une philosophie de l’histoire ou une
histoire de la philosophie. Il y a aussi des mathématiques dans la philosophique, ou de la
philosophie dans les mathématiques, et l’indisciplinarité consiste finalement à fracturer ces
distinctions académiques pour travailler librement son style.
Qu’est-ce que le concept d’indisciplinarité peut donc apporter à l’Education nationale ? On
l’a défini comme un principe d’inclusion, non d’exclusion. L’indisciplinarité ne consiste pas à
sortir de sa discipline, pour en retrouver d’autres ou critiquer l’académisme : ce serait un
contre-sens. Elle demande plutôt de chercher dans la sienne ce qui les rejoint, pour nouer
entre elles des liens internes qui fracturent les distinctions externes que les académies
établissent traditionnellement entre elles. L’indisciplinarité peut ainsi donner à chaque
enseignant ou élève discipliné un style particulier, qui faciliterait et motiverait ensuite leur
approche pluri-, inter-, transdisciplinaire des problèmes ou des objets. On voit donc l’intérêt
que l’Education nationale aurait à intégrer ce concept, à l’heure de la pédagogie de projet
des enseignements pratiques interdisciplinaires des travaux personnels encadrés (TPE) et
des enseignements d’exploration (EdE). Elle encouragerait les membres de la communauté
éducative à trouver leur style en fracturant les clivages académiques.
On en donne un exemple ci-après.
Fig.1 : Deux types de distinctions (d’après A. Abbott)
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2. Support de la séance
Georges DE LA TOUR (1593 – 1652) - La madeleine Pénitente
La madeleine aux deux flammes (1650)
Huile sur toile, 133 cm x 102 cm
Texte 1
Blaise PASCAL : Le divertissement (1662)
« Divertissement. Quand je m'y suis mis quelquefois à
considérer les diverses agitations des hommes et les périls et
les peines ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où
naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et
souvent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des
hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas
demeurer en repos, dans une chambre. Un homme qui a assez
de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir,
n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place.
On n'achètera une charge à l'armée si cher, que parce qu'on
trouverait insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne
recherche les conversations et les divertissements des jeux que
parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand
j'ai pensé de plus près, et qu'après avoir trouvé la cause de tous
nos malheurs, j'ai voulu en découvrir la raison, j'ai trouvé qu'il y
en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de
notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne
peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.
Quelque condition qu'on se figure, si on assemble tous les biens
qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste
du monde ; et cependant, qu'on s'en imagine [un] accompagné
de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s'il est sans
divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur
ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il
tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des
révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies
qui sont inévitables ; de sorte que, s'il est sans ce qu'on appelle
divertissement, le voilà malheureux, et [plus] malheureux que le
moindre de ses sujets, qui joue et qui se divertit. »
Texte 2
René CHAR : Madeleine à la veilleuse (1947)
« Je voudrais aujourd'hui que l'herbe fût blanche pour fouler
l'évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais pas sous votre
main si jeune la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour
discrétionnaire, d'autres pourtant moins avides que moi,
retireront votre chemise de toile, occuperont vôtre alcôve. Mais
ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d'huile se
répandra par le poignard de la flamme sur l'impossible
solution. »
QUESTIONS : Qui est Madeleine ? Comment G. De La Tour la
représente-t-il ? Que fait-elle et à quoi pense-t-elle ? Comment
interpréter le tableau : est-ce une vanité ? Est-ce une métaphore
de la condition humaine ? À quoi nous invite-t-il ?
La madeleine à la veilleuse (1640)
Huile sur toile, 128 cm x 94 cm
Texte 3
K. MARX : L’idéologie allemande (1846)
« La production des idées, des représentations et de la
conscience est d’abord directement et intimement mêlée à
l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle
est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le
commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore
comme l’émanation directe de leur comportement matériel. Il en
va de même de la production intellectuelle telle qu’elle se
présente dans la langue de la politique, celle des lois, de la
morale, de la religion, de la métaphysique, etc., de tout un
peuple. Ce sont les hommes qui sont les producteurs de leurs
représentations, de leurs idées etc. La conscience ne peut
jamais être autre chose que l’Être conscient et l’Être des
hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute
l’idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent
placés la tête en bas comme dans une camera obscura
[chambre noire], ce phénomène découle de leur processus de
vie historique, absolument comme le renversement des objets
sur la rétine découle de son processus de vie directement
physique.
À l’encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur
la terre, c’est de la terre au ciel que l’on monte ici. Autrement dit,
on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se
représentent, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en
os; non, on part des hommes dans leur activité réelle ; c’est à
partir de leur processus de vie réel que l’on représente aussi le
développement des reflets et des échos idéologiques de ce
processus vital. »
Texte 4
René CHAR : Partage formel IX (1947)
« À deux mérites : Héraclite, Georges de La Tour, je vous sais
gré d'avoir de longs moments poussé dehors de chaque pli de
mon corps singulier ce leurre : la condition humaine incohérente,
d'avoir tourné l'anneau dévêtu de la femme d'après le regard du
visage de l'homme, d'avoir rendu agile et recevable ma
dislocation, d'avoir dépensé vos forces à la couronne de cette
conséquence sans mesure de la lumière absolument
impérative : l'action contre le réel, par tradition signifiée,
simulacre et miniature. »
!
QUESTIONS : Quelle autre interprétation donner de ce tableau
et comment l’accréditer ? Quelle était la condition sociale des
femmes à l’époque ? De quoi ce tableau peut-il dénoncer la
vanité : de l’action ou de la contemplation ? Que faire ?
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5
3. Déroulement de la séance
!
CLASSE
VISUEL
1
Accueil des élèves.
Installation et distribution des textes.
2
Réception et interprétation de l’image.
Analyse et discussions libres sur le tableau.
Sur la vanité et le clair-obscur.
3
Synthèse de la réflexion par le professeur de
lettres.
Formulation d’une première hypothèse.
Une méditation sur la condition humaine ?
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