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P
HILOSOPHIE DE L
'A
RT
,
DE L
ŒUVRE D
ART ET ESTHETIQUE
(notes d’étudiant)
Cours de philosophie de l'Art expérimental: c'est la première année.
Place de ce cours dans le cursus de séminariste? Il faut une vision d'ensemble des cours. Il y a des
cours historiques et des cours systématiques.
Les cours systématiques abordent pour eux-mêmes les thèmes qui y sont abordés. Ils peuvent être
répartis en 5 grands domaines:
- La métaphysique se pose la question du sens et de la finalité de tout ce qui est.
- La philosophie de la nature (cosmologie) pose la même question mais dans le seul
domaine du monde dans lequel nous vivons. Quel est le sens de cet univers matériel dans
lequel nous sommes perdus?
- L'anthropologie se pose la même question du sens de la réalité mais cette fois ci à propos
de l'homme. Qu'est-ce que l'homme dans sa spécificité? Quelle est sa raison propre? Le
problème de l'union du corps et de l'âme.
- La philosophie de l'épistémologie: L'être humain se distingue de l'animal par deux choses:
son pouvoir de connaître et son agir libre. L'épistémologie parle donc des limites et des
pouvoirs de la connaissance humaine. C'est l'objet du cours d'épistémologie et de logique.
- La philosophie morale pose la question de la finalité, des moyens et des normes de l'agir
humain. Ce domaine est étudié en philosophie morale générale, droit naturel et
philosophie politique, philosophie de l'économie, philosophie de l'art (qui est un domaine
particulier de l'agir humain). Le cours que nous allons suivre s'inscrit donc dans le domaine
de la morale.
0 Introduction:
0.1 Généralités:
Les réalités en quoi consiste ce qu'on appelle l'art sont complexes et on en a dit des tas de
choses…. On peut être sûr que quoi qu'on en dise, on dit toujours quelque chose de vrai, comme
disait E.Gilson. On peut donc se faire une idée cohérente de la chose.
Que ce soit la réflexion des artistes, de ceux qui les écoutent ou les contemplent, des
psychologues et des philologues… on peut se rendre compte que tout cela constitue une sorte de
"bavardage"…
Tentons de mettre de l'ordre dans cette forêt, de faire une sorte de carte de cette matière.
On peut aborder cette matière de façon historique mais ici, le point de vue sera
systématique. Ce point de vue pourrait aussi comprendre plusieurs orientations: toutes les
traditions ontveloppé des réflexions sur l'art: le réalisme métaphysique (antiquité, moyen-âge,
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contemporains, renaissance thomiste…), le nominalisme et le rationalisme, l'idéalisme
(Descartes, Hegel) La tradition anti-intellectualiste (Kant, Schopenhauer, Nietzsche, Adorno…)
Le point de vue de ce cours sera celui du point de vue de la tradition du réalisme
métaphysique. La réflexion sera tributaire de la réflexion d'Aristote sur l'art…
Dans le cours de métaphysique, on trouve les justifications des positions de ce cours.
Nous parlerons de l'art en général et non pas appliqué à tel ou tel domaine.
"Voir clair" sera la devise de ce cours.
0.2 Quelques distinctions:
Réfléchir sur l'art nécessite trois grandes distinctions:
- La production de l'œuvre d'art (point de vue de l'artiste)
- L'œuvre d'art elle-même (point de vue de l'œuvre)
- La réception (contemplation) de l'œuvre d'art (point de vue de celui qui regarde)
0.3 Plan du cours:
L'art est la capacité habituelle à produire des artefacts. Cette capacité est l'objet de l'étude
de la philosophie de l'art. La philosophie de l'art est un domaine de la philosophie de l'action.
Le premier chapitre "philosophie de l'art" portera sur la finalité de l'art, le but. Est-ce le
beau, est-ce l'utile, est-ce la connaissance du réel? Est-ce que l'art est une science? Les rapports
entre l'art et la morale? Qu'est-ce que l'art et comment décrire le processus de production de l'art
?
Le deuxième chapitre: Considérer l'œuvre d'art en elle-même concerne l'ontologie de
l'œuvre d'art, la métaphysique appliquée au seul domaine des œuvres d'art. L'ontologie va donc
considérer l'œuvre d'art dans son être propre: Quel est le statut ontologique de l'œuvre d'art?
Quelle est sa valeur propre en regard des êtres (animaux, végétaux, homme) ou des matériaux
qu'elle met en oeuvre? En quoi consiste la beauté de l'œuvre d'art? Une œuvre d'art est-elle
ouverte ou fermée sur la réalité qui l'entoure?
Le troisième chapitre concernera l'objet de contemplation qu'est l'œuvre d'art. L'étude de la
perception de l'œuvre d'art relève de l'esthétique. Elle peut être analysée, étudiée sur toutes les
coutures. Tant la perception sensible qu'intellectuelle relève de l'épistémologie appliquée à
l'œuvre d'art. Comment juger de la valeur de l'œuvre d'art?
1 Chapitre 1
er
: Philosophie de l'art.
1.1 Définition de l'art:
Au 13
ième
, saint Thomas, en reprenant Aristote, le définit comme ceci:
"L'art est la droite règle des choses à faire".(I,II…)
L'art est une vertu de l'intelligence en tant qu'elle s'applique à la pratique, qu'elle dirige
notre activité. Il est la vertu qui régit le faire, comme la prudence est la vertu qui régit l'agir en
général.
L'art est une vertu (bonne habitude, un "habitus"): C'est une capacité à poser un acte bon,
qui est devenue comme une seconde nature. Par exemple partager ses richesses. Les vices ont les
mêmes capacités, mais dans les actes mauvais. Les vices deviennent aussi une seconde nature,
dans la pratique du mal, alors que les vertus deviennent une seconde nature dans la pratique du
bien.
L'art ("ars", en latin qui traduit "technê", en grec) est une vertu de notre intelligence. C'est
une capacité habituelle de notre intelligence à régir notre activité de production d'artefact. Elle
implique une connaissance des lois qui régissent la production des choses.
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L'art ne se confond pas avec le savoir (la science) qu'il implique mais il consiste en la capacité
que nous avons à le faire. L'art sans le savoir n'est rien mais il ne se confond pas pour autant avec
la science. Le "savoir-faire" est nécessaire mais il ne se confond pas avec l'art.
La prudence est la capacité habituelle à régir notre action, notre agir. Elle est la capacité à
appliquer les lois générales à des cas particuliers, dans l'action concrète.
L'art est la capacité à appliquer les lois de l'art à des situations particulières. Par exemple,
pour le menuisier, ce sera la capacité à appliquer les lois de la menuiserie à tel ou tel morceau de
bois…
La réflexion sur l'art, pour des raisons historiques, ne pourra pas suivre totalement cette
définition, car par exemple, au moyen-âge, on ignore totalement l'idée d'ordonner la fabrication
d'un objet dans le seul but de sa beauté, et ce jusqu'au 17
ième
au moins. Une telle ordination
théorique de l'art à la beauté seule est un fait historique très récent puisqu'il date, au plus tôt, du
milieu du 18
ième
et surtout du 19
ième
siècle. La beauté n'est pas le but recherché en théorie et en
premier lieu. Ce que l'on recherche avant tout est la fonction de la chose.
En conséquence, le moyen-âge et saint Thomas ignorent complètement la distinction entre
l'art qui aurait une fonction ordonnée au beau et l'art qui serait ordonné à l'utile. La distinction
entre art servile et art libéraux est la seule qui existe à l'époque, et implique un certain dédain du
corps au profit de l'intelligence.
Les arts serviles (que nous appellerions l'art: peinture, sculpture, musique…) et les arts
libéraux (que nous n'appellerions plus des arts: rhétorique (l'éloquence), dialectique, logique!…):
Le paradoxe tient en ceci que les arts serviles étaient considérés comme des arts mineurs, moins
nobles que les arts libéraux. Les arts libéraux seraient supérieurs parce qu'ils s'attachent aux
exercices de l'intelligence et n'impliquent pas l'exercice du corps. Gilson et d'autres ont souligné le
caractère paradoxal de cette conception et ont tous dénoncé cet "intellectualisme outré".
Les arts libéraux ne sont considérés comme art que par analogie avec les arts serviles. La
démonstration et les mathématiques ne produisent pas des artefacts…c'est donc une analogie. Il y
a d'autant plus art que l'intelligence s'ordonne à produire des artefacts et nécessite le rôle du
corps. Il ne vient spontanément à l'esprit de désigner la logique ou la rhétorique comme des
arts…L'art est d'autant plus art qu'il est lié à la matière et au corps mais paradoxalement il est
qualifié par les médiévaux comme mineur. L'art est qualifié de supérieur alors qu'il est moins de
l'art, puisqu'il est art par analogie aux arts serviles. Tout vient de la conception négative du corps.
S'adonner aux ches manuelles est asservissant pour les Grecs. La matière est considérée
négativement.
Cette distinction trahit un mépris du corps, qui déteindra sur la doctrine de saint Thomas. Il
se contente de recopier Aristote. "Capacité habituelle de l'intelligence à régir le faire". Le mot
intelligence trahit le fait qu'il pense aux arts libéraux et non pas aux arts serviles. Saint Thomas
définit l'art en pensant à la logique. Corrigeons cette définition:
Bien évidemment l'intelligence intervient dans l'art, mais l'art est une capacité de l'homme
tout entier…de son imagination (capacité de produire des images), de son corps (pour la peinture:
les mains), de sa volonté… Saint Thomas ne devrait plus faire cette distinction entre arts serviles et
arts libéraux, puisqu'il a intégré le corps dans sa pensée, par rapport aux autres auteurs qui l'ont
précédé, mais cela vient du fait qu'il recopie Aristote. L'art désigne la capacité du producteur.
1.2 Science et art, art et imitation:
Première question: la finalité de l'art. E. Gilson, dans "introduction aux arts du beau", dit
que l'art n'est pas une façon de connaissance mais du faire (de la faculté de faire).
L'art relève du faire et non du connaître. Par essence, l'art est plutôt un moyen d'aimer et non de
connaître ou de transmettre des idées ou des messages. L'œuvre d'art est plus un moignage
d'amour qu'un message donné, mais ceci "de jure", car "de facto", ces deux aspects sont mêlés et
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la réalité de l'art est ambiguë de ce fait même. L'art relève de l'agir humain et donc "in fine" de
l'amour. Ce n'est qu'accidentellement qu'elle peut être le lieu d'une connaissance. L'art n'a pas
pour finalité de rendre compte de ce qui existe déjà, d'un ordre réel pré-existant. Cela relève de la
science, du savoir. Au contraire, l'art est la faculté d'instaurer une nouvelle réalité qui n'existait
pas avant, de créer quelque chose. Faire naître des réalités nouvelles c'est agir, c'est faire-être.
L'art relève donc de la création et non de la connaissance. Nous sommes appelés à participer à
l'œuvre de Dieu, et l'art est une modalité de cet agir auquel l'homme participe.
C'est Platon qui le premier fait la confusion entre connaître et faire, entre science et agir.
L'essence de l'art se situe pour lui dans l'imitation (mimesis) de ce qui existe. Toute alité ici bas
constitue les images dégénérés de celles du monde des idées. L'idée est plus digne dans l'individu
qui les réalise imparfaitement. La mission de l'artisan est de réaliser l'idée. L'art pour Platon est de
contempler les idées dans le but d'en faire une copie plus conforme. Ce qui va à l'encontre de
notre position qui ne considère pas l'art comme une imitation mais comme une création.
L'artisan qui produit un lit produit l'idée de lit qui existe de toute éternité… Il y a donc priorité
de la science sur l'art. L'art est réduit à une connaissance inférieure des idées pour Platon. La
peinture par exemple pour Platon est abominable car c'est la représentation d'une imitation. Elle
imite des imitations…puisque les réalités ne sont déjà que des images des idées.
L'art doit donc se détacher de la matière et du corps le plus possible pour se rapprocher des
idées pour Platon. L'art sera mieux accepté par Platon d'autant plus qu'il sera détaché de la
matière, d'où la primauté des arts libéraux. L'art suprême sera la dialectique…
Le seul art qui trouve grâce aux yeux de Platon est l'art archaïque car il ne représente pas
des individus mais des formes vagues qui peuvent donc représenter l'humanité en général. Il y a
donc une grande différence entre l'art archaïque et l'art hellénistique.
Pour Aristote il en va autrement: le maître mot de sa philosophie est "poiésis" (fabrication,
faire). Il est l'auteur d'une "poiétique". Le faire implique un savoir-faire (épistêmê poiêtikê), qui est
ordonné à la fabrication sans se confondre avec. Il faut connaître les matériaux que l'on va
produire et l'essence de l'art (la têchnê) ne se situe pas dans le savoir mais dans la production elle-
même.
Aristote est conscient de l'irréductibilité de l'agir au connaître. Cela se manifeste dans sa
conception de l'art, qui est la fabrication elle-même. Ceci dit, on trouve aussi chez Aristote le mot
"mimesis". C'est pourquoi la conception de l'art chez lui sera mal comprise. "L'art imite la nature",
dira Aristote, mais saint Thomas ajoute, "mais dans son opération". Il ne s'agit pas de la copier.
La nature pour Aristote (et saint Thomas) est ce qui dans la chose préside à son activité, ce
qui nous permet d'agir de telle ou telle façon, conformément à notre nature. Les choses
produisent des effets conformément à leur nature. Il appartient à la nature du feu de brûler… De
même, l'art produit des effets (comme le pommier produit des pommes). Quand il dit que l'art
produit des effets, il s'agit de produire des choses et non pas de reproduire la nature existante.
(Idiosyncrasie: caractère propre au comportement d'un individu).
Aristote sera mal compris et cela donnera naissance au naturalisme (imitation servile des
choses qui tombent sous le sens) au 17
ième
et au 18
ième
. L'art est défini comme imitation de la
nature. Par exemple, l'art français: les natures mortes de Chardin sont pratiquement des photos,
volonté de reproduire la réalité de manière littérale. Antoine Watteau s'acharne à reproduire les
choses telles qu'elles sont. L'intention est d'imiter, cela ne veut pas dire que la alité est
reproduite telle quelle. Par exemple, la musique française de clavecin de Couperin, de Rameau ont
l'intention de décrire la réalité. "Les moissonneurs", "le moucheron", "la commère"…. "Les quatre
saisons" de Vivaldi.
La confusion se retrouvera entre science et savoir dans la réflexion philosophique sur l'art
au 19
ième
siècle. On constate dans la philosophie au 19
ième
et 20
ième
une remise en question de la
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raison telle que les Grecs l'avaient définie. Un rejet massif de la raison métaphysique va s'observer
dans toute l'histoire de la philosophie à cette époque.
Rejetant la raison, beaucoup de philosophes vont voir dans les beaux-arts une manière supra
rationnelle pour nous faire pénétrer le cœur de la réalité. Ils réduiront la connaissance à l'art et ils
diront qu'il n'y a pas de meilleure manière de connaître qu'à travers l'art. La raison sera réduite à
être qu'une manière de vivre de façon cohérente et à organiser la vie quotidienne.
1.2.1 Schopenhauer:
Dans le livre 3 de "le monde et son objet de représentation" il voit dans l'art l'essence de la
volonté sourde et aveugle de la réalité. Cette force aveugle est l'essence de la réalité. La raison
n'est pas capable d'aller au-delà de ses représentations et est prisonnière de celles-ci. (Dans la
ligne droite de Kant). Le seul moyen d'accéder au noumène (au-delà des apparences, la "volonté")
c'est l'art (qu'il définit comme une "contemplation de la réalité dans son essence"). Par exemple,
la peinture de C. David Friedrich imite selon Schopenhauer les différentes formes naturelles
d'objectivation de cette volonté. La musique est la reproduction littérale de cette volonté sourde
qui porte le réel. Elle est reproduction de la volonté.
1.2.2 Nietzsche:
Il voit dans la poésie et dans la musique de Wagner le moyen privilégié pour voir l'essence
conflictuelle de la vie. Dans "la naissance de la tragédie", il accorde une place essentielle à l'art.
L'essence de la vie est conflictuelle (principes apollinien et dionysiaque). La fonction de l'art est de
prolonger dans des œuvres nouvelles ce conflit qui est constitutif de la réalité. Le connaître se
réduit à l'art. La tragédie grecque est pour lui la forme par excellence de l'art car elle met en scène
des situations conflictuelles insolubles entre les hommes et les dieux.
Les drames musicaux de Wagner sont en quelque manière la renaissance de la tragédie grecque.
"La tétralogie" de Wagner représente aussi ce conflit entre le peuple des ténèbres et les dieux.
Wagner et Nietzsche ont été influencé par Schopenhauer.
1.2.3 Heidegger:
"L'origine de l'œuvre d'art" dans "les chemins qui ne mènent nulle part", synthétise sa
pensée: la finalité de l'œuvre d'art est de manifester la vérité, de la dévoiler. Au-delà des
apparences, il faut accéder à la vérité et la poésie est le moyen qu'il privilégie pour découvrir
l'être. Ce ne sera donc plus la métaphysique mais la poésie. Dans "la limitation de l'être" il le dit
explicitement.
Il rejette la raison théorique et lui substitue la poésie grecque. Mais la poésie est incapable
de réaliser complètement l'art, car elle n'emploie que des mots et reproduit donc la réalité. Il faut
donc pour lui réduire la connaissance à l'art. La poésie doit donc se substituer à la métaphysique.
Il opère une hybridation entre production et contemplation. "Technê" signifiait
originellement, dit-il, le savoir fondamental de la réalité. Donc il veut unir la production et la
contemplation et nier la différence. L'authentique philosophie est la poésie et se rejoignent au-
delà de la logique. Parménide s'exprime dans des vers et pour lui c'est l'art dans son vrai sens.
1.2.4 Carnap:
Néopositiviste du cercle de Vienne, il estime que la musique doit se substituer à la
métaphysique pour dire l'essence de la vie. Les mots de notre langage qui ne correspondent pas à
des phénomènes sensibles sont dénués de sens. Il faut donc recourir à la musique qui sera en
mesure de nous révéler ce qu'est l'essence de l'existence.
Ce qui nous montre que le rôle de l'art est de connaître la alité telle qu'elle est, au-delà de
la conception du langage et du rationnel.
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