Faut-il des règles de politique budgétaire ? 303
spécifique : la dépense financée par l’impôt est aussi nuisible que
celle financée par la dette.
La deuxième est empirique. Ce mécanisme de hausse de taux
d’intérêt comme celui d’éviction ne sont pas observés dans la
réalité. De 2002 à 2005, les taux d’intérêt de court et de long terme
ont été au plus bas, malgré le gonflement des déficits publics, en
Europe comme aux États-Unis et au Japon. C’est de nouveau le cas
depuis 2008 : les grands pays ont à la fois un fort déficit, une forte
dette publique et des taux d’intérêt bas. L’augmentation des dettes
n’a pas eu d’effet sur les taux d’intérêt ou sur les taux d’inflation
anticipés. En 2009, le taux d’intérêt de long terme était de 1,4 % au
Japon, de 3,3 % en Allemagne et aux États-Unis, de 3,6 % au
Royaume-Uni, de 3,7 % en France, donc égaux à la croissance
potentielle nominale anticipée (et même nettement inférieur pour
les États-Unis). Il est difficile de prétendre que ces niveaux de taux
nuisent à l’investissement.
Enfin, cette théorie n’explique pas pourquoi tous les pays
seraient brutalement devenus démagogues et dépensiers en 2002
ou en 2009. Le gonflement des déficits publics correspond, dans la
période récente, au rôle de stabilisation de la politique budgétaire,
plutôt qu’à une hausse autonome des dépenses ou une baisse auto-
nome des recettes. On ne peut prendre comme allant de soi que les
pays de l’OCDE sont caractérisés par de l’indiscipline budgétaire
(comme le prétendent Debrun et Kumar, 2007, ou Wyplosz,
2011, 2012).
Cette théorie oublie que les gouvernements ne sont pas soumis
seulement au poids des électeurs médians, mais aussi à celui des
classes dirigeantes qui veulent des réductions d’impôts sur les
entreprises et sur elles-mêmes et qui promeuvent des stratégies de
réductions des dépenses publiques.
En tout état de cause, pour lutter contre le biais qu’auraient les
gouvernements à faire trop de déficit, cette théorie milite pour la
« règle d’or des finances publiques » : les dépenses courantes
doivent être financées par l’impôt ; les investissements publics,
dont les effets bénéfiques portent sur plusieurs années, peuvent
l’être par l’emprunt public3.
3. Ce point de vue fut développé à la fin du 19th siècle Von Stein (1885), Leroy-Beaulieu (1891)
et Jèze (1896). On le retrouve dans Musgrave (1939) ou Eisner (1989).