© FMGB Guggenheim Bilbao Museoa, Bilbao 2007© FMGB Guggenheim Bilbao Museoa, Bilbao 2008
page
04
La Galerie Drouin fut inaugurée en 1939 avec une exposition de la peinture monumentale de Pavel
Tchelitchew intitulée Phenomena, à la lumière des bougies. Ensuite vint une exposition darts décoratifs
orchestrée par la peintre Leonor Fini, amie denfance de Castelli à Trieste. Sous sa direction, lexposition
prit une tournure nettement surréaliste, car elle présentait en même temps des tableaux et des objets,
tels que tables, buffets, miroirs et chaises de Salvador Dalí, Meret Oppenheim, Max Ernst, Eugene
Berman, Valentine Hugo, Filippo de Pisis et de la propre Fini. Le critique Marcel Zahar, dans une chronique
pour la revue Studio, commentait ainsi que le tout Paris avait été invité à linauguration privée et quon
avait limpression quil sagissait danoblir les uvres dun groupe dartistes intéressants qui étaient là grâce
au Surréalisme(10).
Dalí présenta un fauteuil qui respirait, une idée dans laquelle il persista, déclarant en 1940: Ce
fauteuil vivra, respirera, aura un mécanisme qui sadaptera à la respiration du corps humain(11). Luvre
de Max Ernst LAnge du foyer, image prophétique de la guerre imminente, occupa une place dhonneur
dans lune des trois salles et aurait pu marquer le style de toute lexposition, mais ce furent les uvres
darts décoratives qui finalement suscitèrent le plus dintérêt. Comme le remarqua Zahar, nous avons
été heureux de constater que le talent de ces artistes sest appliqué à des uvres qui avaient une finalité
décorative: panneaux muraux et buffets peints. Les résultats, originaux et séduisants, suggèrent de
nouvelles et possibles collaborations entre décorateurs et artistes(12). Meret Oppenheim présenta une
table à pattes doiseau et un miroir encadré dune chevelure ondulée(13) . Fini créa plusieurs panneaux
peints (probablement pour des portes), une chaise-corset et une monumentale Armoire anthropomorphe,
tandis que le peintre néoromantique Eugene Berman exposa une armoire en trompe-lil, dont liconographie
de détérioration et dabandon semblait elle aussi suggérer la guerre imminente. Castelli se rappelait plus
tard que latmosphère de linauguration avait été très spéciale, chic, intense et décadente. Lactualité
et lélégance de lévénement prirent encore plus dampleur grâce à un reportage graphique de George
Hoyningen-Huene pour le numéro de septembre de la revue Harpers Bazaar, dans lequel il fit poser des
mannequins portant des costumes dAlix, Schiaparelli et Mainbocher devant les uvres dart de la galerie.
Ces images, prises comme dans un rêve, contribuèrent à renforcer la relation entre la mode et le
Surréalisme. La photographie dun mannequin en robe de soirée à rayures de Mainbocher, posant alanguie
devant lAnge du Foyer de Ernst suggère tout à la fois lironie et la facilité dune relation si symbolique.
Lexposition de la Galerie Drouin, qui ne tarderait pas à se voir éclipsée par la guerre, marqua le zénith
de la relation entre mode et Surréalisme(14).
La propre scène sociale parisienne favorisa la diffusion rapide des idées et des esthétiques. Le
mécénat de certaines personnalités, comme les Noailles, Carlos de Beistegui et Étienne de Beaumont,
facilita léclosion des activités davant-garde et marqua de surcroît leur assimilation dans le courant principal
de la culture. Les bals dissolus, les fêtes et les événements sociaux qui furent célébrés avec des costumes
surréalistes ou suivant une thématique surréaliste abondèrent en ce sens, tandis que les réseaux de
connexions, damitiés et de relations personnelles qui sentrecroisaient dans Paris amalgamèrent encore
plus intimement les mondes de lart et de la mode. Parmi les collaborateurs dElsa Schiaparelli qui créèrent
pour sa maison de mode, on peut citer Salvador Dalí, Louis Aragon, Elsa Triolet, Meret Oppenheim,
Leonor Fini et Alberto Giacometti. Létroite relation de Jean-Michel Frank avec René Crevel contribua
à un contact direct avec le cercle surréaliste. Frank, lun des créateurs de design dintérieur les plus célèbres
de lépoque, eut recours à des artistes étroitement rattachés au mouvement, comme Salvador Dalí et
Alberto Giacometti, et à des amis situés à la périphérie du groupe, parmi lesquels on peut citer Christian
Bérard et Emilio Terry. Les mondes de lart, de la mode et du design étaient habituellement unis par des
liens de profonde amitié, des relations sexuelles et des sympathies personnelles.
(10) Marcel Zahar, Galerie Drouin, The Studio, vol. 118 (octobre 1939), pages 17980.
(11) Salvador Dalí, 1940, dans Jaap Guldemond (éd.), Its all Dalí: Film, Fashion, Photography, Design, Advertising, Painting (Rotterdam, 2005), page
27.
(12) Zahar (1939), pages 17980.
(13) Le miroir a disparu de la circulation.
(14) Castelli se souvient de linauguration de la galerie: notre première exposition eut lieu en mai 1939, elle eut un grand succès; en juillet, nous
fermâmes pour les vacances dété et en septembre, la guerre éclata. Ann Hindry (éd.), Claude Berri Meets Leo Castelli (Paris, 1990), page 78.