1. Introduction - Cours en Ligne

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ESPACES VECTORIELS RÉELS
GABRIEL LANG
1.
Introduction
Un espace vectoriel réel est un ensemble dont les éléments vérient certaines
propriétés entre eux et vis à vis des nombres réels. Dans la majorité des cours,
ces propriétés sont énoncées dans une dénition formelle des espaces vectoriels et
illustrées par les exemples les plus courants d'espaces vectoriels (IRd en particulier).
L'impression retirée est que la dénition est redondante, inutilement précise, la plupart des propriétés énoncées étant parfaitement évidentes quand on les applique au
cas usuel IRd .
Dans cette section, nous allons introduire les propriétés par un exemple où les
éléments de l'espace sont décrits de façon non numérique, an que les propriétés
paraissent moins immédiates. Cet exemple repose sur les déplacements dans un
plan. Une fois la propriété énoncée, nous la reformulerons dans un langage mathématique abstrait qui permet une expression générale et non liée à l'exemple. Puis
nous montrerons que la propriété n'est pas vraie dans tous les cas par la description
d'un contre-exemple où elle est fausse.
La situation prise en exemple est la suivante : on suppose qu'une personne
se trouve dans une large plaine plate et on décrit ses déplacements successifs ;
les déplacements se font en ligne droite dans une direction repérée par rapport
aux étoiles. Un déplacement consiste à avancer d'une certaine distance dans une
certaine direction. Dans la formulation abstraite un déplacement sera noté x, y
ou z . L'ensemble des déplacements sera noté E . Nous allons introduire un certain
nombre de règles qui nous feront passer progressivement de la situation réelle à une
situation idéalisée de l'espace vectoriel. Pour chaque règle nous donnerons d'abord
une description en termes courants (règle), la propriété formelle mathématique
correspondant (propriété) et un exemple où la règle n'est pas respectée (contreexemple).
1.1. Composition des déplacements. On peut donner l'ordre à la personne
d'eectuer un premier déplacement dans une direction, puis un deuxième dans une
autre direction. On souhaite qu'il existe un déplacement en ligne droite qui soit
équivalent à la succession de ces deux déplacements.
Règle 1. La succession de deux déplacements est un déplacement possible.
Propriété 1. Pour x et y dans E, il existe
L'opération "puis" est une opération interne.
z
dans E tel que z =(x puis y).
On remarque que x, y et z dessinent un triangle.
Contre-exemple 1. S'il existe un cours d'eau, un bord de falaise, un obstacle
infranchissable dans la plaine, il peut être impossible de trouver un deplacement z
en ligne droite remplaçant deux déplacements successifs.
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1.2. Commutation des déplacements. On se demande si l'ordre des déplacements change quelque chose.
Règle 2. L'ordre dans lequel on eectue les déplacements n'a pas d'importance.
Propriété 2. Pour x et y dans E, (x puis y)=(y puis x). L'opération est commutative.
Pour cette raison, on remplacera la notation incommode "puis" par un signe +.
Les deux chemins parcourus dessinent un parallèlogramme.
Contre-exemple 2. Si la surface sur laquelle on se déplace n'est pas plate, cette
propriété est généralement fausse. Considérons la terre et deux points A et B
situés sur l'équateur distants d'un quart de circonférence terrestre. Supposons qu'il
existe un étoile β à la verticale du point B ; Soit x le déplacement d'un quart de
circonférence vers β et y le déplacement d'un quart de circonférence vers l'étoile
polaire. Partant de A, x puis y mène au pôle Nord, alors que y puis x mène au
point B .
1.3. Déplacement nul. On cherche un élément qui additionné à un déplacement
x ne change pas x.
Règle 3. Le déplacement particulier f qui consiste à ne pas bouger ne change rien
quand il est eectué dans une suite de déplacements.
Propriété 3. Il existe f appartenant à E tel que pour tout x de E, x+f = f +x = x.
f est appelé élément neutre. Il sera souvent noté 0 ou ~0 pour le distinguer du 0
numérique.
Si f existe, il est unique : s'il y avait deux éléments neutres f et f 0 , on aurait
f = f + f 0 = f 0.
Contre-exemple 3. On pourrait décider que f n'est pas un vrai déplacement,
puisqu'il ne possède pas de direction. Ou que la plaine est la mer et qu'il existe un
fort courant qui interdit de rester xe.
1.4. Déplacement opposé. On cherche un élément qui additionné à un déplacement x produit le déplacement nul f .
Règle 4. Si on eectue un déplacement x, puis on se retourne de façon à avoir
la direction de x dans le dos et qu'on avance de la même distance, on obtient un
déplacement nul.
Propriété 4. Pour tout x de E, il existe x0 appartenant à E tel que il existe
x + x0 = f .
x0 est appelé opposé de x. Il sera noté −x par analogie avec l'addition numérique.
Contre-exemple 4. Si une partie des directions sont interdites (fort vent de sable
en pleine gure, courant impossible à remonter), il n'y a pas toujours d'opposé.
1.5. Associativité de l'addition des déplacements. Lorsqu'on remplace deux
déplacements par le déplacement équivalent dans une suite de déplacements, et que
l'on continue jusqu'à n'avoir plus qu'un seul déplacement équivalent, l'ordre dans
lequel on a associé les déplacements deux à deux a-t-il une inuence sur le résultat
nal ?
Règle 5. L'ordre dans lequel on remplace deux déplacements par le déplacement
équivalent n'a pas d'inuence sur le déplacement total équivalent.
Propriété 5. Pour x, y et z dans E, (x + y) + z = x + (y + z). L'opération est
associative.
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Contre-exemple 5. Si la succession de déplacements est modiée en imposant de
prendre le deuxième déplacement en sens opposé alors l'opération résultante n'est
pas associative: (x puis y) puis z= (x − y) − z et x puis (y puis z)=x − (y − z) =
x − y + z.
En résumé,
Denition 1. Si l'ensemble E et l'opération + vérient ces cinq propriétés, (E, +)
est un groupe commutatif.
1.6. Multiplication par un réel. Il est simple de dénir la multiplication d'un
déplacement par un entier et même par un entier négatif : il sut d'opérer le même
déplacement plusieurs fois; il est plus dicile de multiplier un déplacement par un
nombre réel.
Règle 6. On peut multiplier un déplacement par un réel positif; il sut de multiplier
la distance du déplacement par le réel. Si le réel est négatif, on multiplie la distance
et on utilise la direction opposée.
Propriété 6. Pour λ réel et x de E , λx appartient à E .
La multiplication par un réel est une opération externe sur E . Externe signie
que l'un des deux opérandes, λ, n'appartient pas à E .
Contre-exemple 6. Si la surface sur laquelle on se déplace est une grille ou un
ensemble de cases, on ne peut pas multiplier les déplacements par n'importe quel
nombre réel. On ne peut pas non plus si la surface a un bord dans une direction,
car sinon on nit par sortir de la surface.
1.7. Distributivité sur l'addition des réels. Puisque la multiplication externe
agit sur les distances de déplacement, on a la propriété suivante :
Règle 7. Pour additionner deux déplacements obtenus par multiplication d'un
même déplacement, il sut de sommer les deux multiplicateurs puis de multiplier
le déplacement par cette somme.
Propriété 7. Pour λ et µ réels et x de E , λx + µx = (λ + µ)x. La multiplication
externe est distributive par rapport à l'addition des réels.
Contre-exemple 7. Si la multiplication externe consistait à multiplier la distance
par le carré de λ, cette propriété serait fausse.
1.8. Distributivité sur l'addition des déplacements. La multiplication externe par un même réel λ agit proportionellement sur les distances des déplacements.
Si trois déplacements forment un triangle, il en sera de même après multiplication
par un même réel.
Règle 8. La somme de deux déplacements multipliée par un réel est égale à la
somme des déplacements multipliés par ce meme réel.
Propriété 8. Pour λ réel et x et y de E , λx + λy = λ(x + y). La multiplication
externe est distributive par rapport à l'addition des déplacements.
Contre-exemple 8. Si la multiplication externe tenait compte d'une fatigue, en
multipliant par un facteur plus faible les grands déplacements, alors cette propriété
serait fausse.
1.9. Associativité. La multiplication externe par un réel λ agit sur les distances
des déplacements. En conséquence
Règle 9. Pour multiplier successivement un déplacement par deux réels, on peut
directement multiplier par le produit des deux réels.
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Propriété 9. Pour λ et µ réels et x de E , λ(µx) = (λµ)x. La multiplication
externe est associative.
Contre-exemple 9. Si on considère les déplacements sur un cercle, cette propriété
est fausse : soit x le déplacement d'un demi-tour, alors 2x = f , 0.5(2x) = f et (0.5∗
2)x = x. Toute tentative de construire un espace vectoriel avec des comportements
périodiques échouera de la même manière.
1.10. Elément neutre pour la multiplication externe. La multiplication externe par 1 laisse la distance des déplacements inchangée.
Règle 10. On ne change pas un déplacement en le multipliant par 1.
Propriété 10. Pour x de E , 1x = x. Le réel 1 est élément neutre pour la multiplication externe.
Contre-exemple 10. Si la multiplication externe par λ multipliait les distances
par 2λ, alors cette propriété serait fausse.
1.11. Espace vectoriel. Nous avons déni dix propriétés portant sur les éléments
d'un ensemble E :
(1) Pour x et y dans E, x + y ∈ E . (opérateur interne).
(2) Pour x et y dans E, x + y = y + x (commutativité).
(3) Il existe 0 ∈ E tel que pour tout x de E, x + 0 = 0 + x = x (élément neutre).
(4) Pour tout x de E, il existe x0 appartenant à E tel que il existe x + x0 = 0
(élément opposé).
(5) Pour x, y et z dans E, (x + y) + z = x + (y + z) (associativité).
(6) Pour λ réel et x de E , λx ∈ E (opérateur externe).
(7) Pour λ et µ réels et x de E , λx+µx = (λ+µ)x (distributivité sur l'addition
des réels).
(8) Pour λ réel et x et y de E , λx + λy = λ(x + y) (distributivité sur l'addition
des vecteurs).
(9) Pour λ et µ réels et x de E , λ(µx) = (λµ)x (associativité)
(10) Pour x de E , 1x = x. (élément neutre)
A partir des dix propriétés portant sur un ensemble et deux opérations, on obtient
la dénition d'un espace vectoriel.
Denition 2. Si l'ensemble E , l'opération + et la multiplication externe vérient
ces dix propriétés, E est un espace vectoriel. Les éléments x de E seront appelés
vecteurs.
Un ensemble n'est pas intrinsèquement un espace vectoriel, ce sont les deux
opérations choisies qui lui donnent ses propriétés. De même un élément n'est un
vecteur que par les propriétés qu'il vérie par rapport aux opérations avec les autres
éléments de l'ensemble.
1.12. Sous-espace vectoriel.
Denition 3. Un sous-ensemble F de E qui vérie les dix propriétés pour les
mêmes opérations que E est appelé sous-espace vectoriel de E .
En combinant les deux opérations de l'espace vectoriel E , on obtient la notion
de combinaison linéaire :
Denition 4. Soit λ1 , λ2 , ...λk , une suite de k réels et x1 , x2 ...,xk un nombre
correspondant de vecteur de E . On appelle combinaison linéaire de x1 , x2 ...,xk à
coecients λ1 , λ2 , ...λk le vecteur :
x = λ1 x1 + λ2 x2 + ... + λk xk
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Par les propriétés de l'espace vectoriel, x est bien un vecteur de E . Par ailleurs,
en utilisant les deux opérations, on ne construit que des éléments de cette forme.
Proposition 1. Un sous-ensemble F de E qui contient toutes les combinaisons
linéaires de ses éléments (on dit que F est stable par combinaison linéaire) est un
sous-espace vectoriel de E .
Les propriétés 1, 3, 4 et 6 sont assurées par la stabilité (en remarquant que
f = 0 x et −x = (−1) x sont des combinaisons particulières). Les propriétés 2, 5,
7, 8, 9 et 10 sont vraies pour tous les éléments de E donc pour ceux de F .
2.
Exercices
(1) On dénit IR2 comme l'ensemble des couples de deux réels. IR2 = {(a, b), a ∈
IR, b ∈ IR}. On dénit sur IR2 , l'addition comme étant l'addition terme à
terme : (a, b) + (c, d) = (a + c, b + d) et la multiplication externe comme
λ(a, b) = (λa, λb). Montrer que IR2 muni de ces opérations est un espace
vectoriel.
(2) On dénit sur IR2 l'addition comme étant (a, b) + (c, d) = (a + c, a + d, b +
c, b + d) et la multiplication externe comme λ(a, b) = (λa, λb). Montrer que
IR2 muni de ces opérations n'est plus un espace vectoriel. Quelles propriétés
ne sont pas respectées ?
(3) On dénit sur IR2 l'addition comme étant (a, b) + (c, d) = (a + d, b + c) et
la multiplication externe comme λ(a, b) = (λa, λb). Montrer que IR2 muni
de ces opérations n'est plus un espace vectoriel. Quelles propriétés ne sont
pas respectées ?
(4) On dénit sur IR2 l'addition comme l'addition terme à terme et la multiplication externe comme λ(a, b) = (λa, 0). Montrer que IR2 muni de ces
opérations n'est plus un espace vectoriel. Quelles propriétés ne sont pas
respectées ?
(5) On dénit sur IR2 l'addition comme l'addition terme à terme et la multiplication externe comme λ(x, y) = (λ2 x, λ2 y). Montrer que IR2 muni de ces
opérations n'est plus un espace vectoriel. Quelles propriétés ne sont pas
respectées ?
(6) On considère l'ensemble E des déplacements sur un cercle dont la circonférence est 1. Deux déplacements sont égaux quand ils parcourent le cercle
dans le même sens avec des distances qui dièrent d'un nombre entier.
L'addition consiste à eectuer deux déplacements l'un après l'autre. La
multiplication d'un déplacement par un réel positif à multiplier par le réel
la distance parcourue dans le déplacement. La multiplication par un réel
négatif consiste à multiplier la distance parcourue dans le déplacement par
la valeur absolue du réel et à se déplacer en sens inverse du déplacement
d'origine. Montrer que si la distance de déplacement est entière, le déplacement est nul. Montrer que E muni de ces opérations n'est pas un espace
vectoriel. Quelles propriétés ne sont pas respectées ?
(7) On dénit ZZ2 comme l'ensemble des couples de deux entiers relatifs. ZZ2 =
{(a, b), a ∈ ZZ, b ∈ ZZ}. On dénit sur ZZ2 , l'addition comme étant l'addition
terme à terme : (a, b) + (c, d) = (a + c, b + d) et la multiplication externe
comme λ(a, b) = (λa, λb). Montrer que ZZ2 n'est pas un espace vectoriel.
Quelles propriétés ne sont pas respectées ?
(8) On considère F comme l'ensemble des fonctions de la forme f (x) = a exp(x)+
b exp(−x) ou a et b sont deux réels. On dénit l'addition sur F par : f + g
est la fonction qui à x associe le nombre f (x) + g(x). La multiplication
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externe de f par λ est dénie par : λf est la fonction qui à x associe λf (x).
Montrer que F est un espace vectoriel.
(9) On dénit P2 comme l'ensemble des fonctions polynômes de degré au plus
2. On dénit l'addition et la multiplication externe comme sur F . Montrer
que P2 est un espace vectoriel.
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