L’Ecume des jours – Boris Vian /Emmanuel Dekoninck
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Les descriptions visuelles serviront de livret pour la chorégraphe, le directeur musical, le
créateur lumière et le scénographe. Ces artefacts pourront s’imbriquer dans le scénario
ajoutant à la dimension narrative, une dimension plus complexe, rugueuse, poétique,
émotionnelle. Attention, il ne s’agit en aucun cas de partir en roue libre, mais bien d’être au
service de la parole. Le langage simplement diffère. Le théâtre n’est pas obligatoirement une
suite de mots.
Mon envie de faire une nouvelle adaptation est la conséquence directe de la nécessité de
rendre sur scène toute la dimension humaine et poétique de la parole de Vian aujourd’hui.
Les thèmes et la langue
Dans cette histoire où les protagonistes n’apprennent la vie qu’au contact de la souffrance, la
séparation et la renonciation, la solitude et la mort sont autant de thèmes tragiques. L’histoire
ne verse pas pour autant dans le pathos, Vian adopte d’autres registres qui orientent
l’ensemble vers une légèreté apparente. Un langage simple, “bas”, familier, direct, des
questions simples et naïves pour exprimer la révolte devant la mort et la solitude
humaine. L’émotion surgit de phrases brèves, d’exclamations, d’expressions populaires, de
tours enfantins, elle est en phase avec la langue parlée et l’expérience du spectateur.
L’humour noir camoufle des situations désespérées ou dénonce l’indifférence pour la vie
humaine. Le burlesque (Partre, Douglas), le comique de geste (Biglemoi), le comique de
mots dans la parodie du langage outré d’un milieu social, les tournures compassées, les
faux proverbes, le surenchérissement dans le vouvoiement, les jurons à la père Ubu, la
désarticulation de la syntaxe traditionnelle produisent avec brio un style singulier.
Vian par le biais de la bouffonnerie loufoque (hommes d’églises et fonctionnaires) dénonce
les institutions. Ces personnages deviennent des personnages-types de comédie dont les
comportements et les propos font ressortir les défauts.
En contrepoint à ces portraits grinçants, un autre plan nous fait découvrir un monde
féérique. Où les souris jouent avec le soleil, où les orchidées ont un parfum de femme, ou la
chambre gonfle sous l’effet de la musique, bref, où la métaphore nous raconte le réel
révélant son mystère et sa poésie.
Cette mosaïque de tons, loin de nuire au spectacle, permet à la fois de mettre l’accent sur le
scandale de la mort, toucher la sensibilité, mener au rire ou à la critique.