La difficulté scolaire De profusion d’annonces en réformes express, les élèves en difficulté sont sous le feu des projecteurs. Sur ce sujet, enseignants et parents se sentent concernés, et à juste titre. En réponse à la désinformation ministérielle, le SE-UNSA met les points sur les I et les barres sur les T dans ce dossier. 2 Entretien avec Serge Boimare 7 Les Rased menacés 10 Lutter contre l’illettrisme enseignant supplément dossiers n°122 • janvier 2009 • l’ L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Interview C’est sur le temps scolaire qu’il faut agir. La difficulté scolaire, «fausses» solutions, mais vrai problème 2 Près de 15% des jeunes sont en situation d’échec scolaire. C’est un fait incontestable ! Comme solution, le ministre de l’Éducation nationale brandit le «soutien scolaire», se targuant même d’en offrir gratuitement à tous les élèves en dehors du temps scolaire et même pendant les vacances ! Bonne réponse à la difficulté scolaire ? Serge Boimare nous apporte des correctifs et ouvre de nouvelles pistes... L’Enseignant : À entendre le ministre, tous les efforts sont faits pour aider les élèves en difficulté. Partagez-vous cette appréciation ? Comment définiriez-vous la «difficulté scolaire» ? Serge Boimare : Le regard que nous allons porter sur l’utilité ou non du soutien scolaire dépend étroitement de l’explication que nous donnons à la difficulté d’apprentissage. Si nous nous contentons de l’expliquer par la théorie du manque, c’est-à-dire par une insuffisance des bases et des compétences, ce qui est très à la mode en ce moment, nous allons fonder beaucoup d’espoir sur le rattrapage en petits groupes et l’entraînement supplémentaire. Par contre, si nous pensons, comme c’est mon cas, que ces lacunes sont Syndicat des enseignants - UNSA d’abord la conséquence d’un fonctionnement intellectuel singulier, aménagé sur l’évitement de la frustration et de l’inquiétude que provoquent les contraintes de la situation d’apprentissage, nous allons trouver ces propositions dérisoires. Elles ne seront d’aucun profit pour ceux qui en ont le plus besoin. L’échec scolaire est d’abord dû à des stratégies de contournement et d’évitement du temps de la réflexion, il ne se combattra jamais en modélisant le cours particulier. Seule une utilisation intensive de la culture et du langage, de la maternelle au collège, peut permettre à ces enfants de construire cette capacité réflexive qui leur fait défaut pour apprendre. Ce travail se fait dans la classe, avec tout le groupe des élèves. Si nous ne voulons plus avoir 15% «d’irréductibles» dans notre École, il est grand temps, pour expliquer l’échec scolaire, de passer de la théorie du manque à la théorie de l’empêchement de penser. Cela veut-il dire que les enseignants n’auront plus besoin d’aide extérieure et des réseaux d’aide pour combattre la difficulté, voire l’échec, scolaires ? S. B. : Ne soyons pas simplistes. Quand un enfant n’a pas un comportement adapté aux exigences de l’apprentissage et à la vie en groupe, il est indispensable qu’il trouve, dans l’École, des personnes spécialisées pour l’aider à accéder à une posture d’élève : c’est le rôle des réseaux d’aide. L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Interview Xxxxxx L’essentiel Soutien scolaire, aide individualisée, aide personnalisée, aide spécialisée, accompagnement, projet de réussite éducative... Au ministère, on n’hésite pas à utiliser ces termes, les uns pour les autres, afin de créer délibérément la confusion auprès du grand public, avec un seul objectif : réduire la variété des dispositifs de prise en charge de la difficulté scolaire pour imposer un modèle unique, celui du cours de soutien privé payant. Peu importe qu’il ne soit pas adapté à la très grande difficulté. L’important, c’est de gagner la bataille de la communication et de faire croire qu’on offre un nouveau service aux familles au moment où, pour des raisons d’économies budgétaires, on réduit le temps scolaire pour tous. Démarche contreproductive qui réduit les moyens pour mobiliser tous les élèves sur les apprentissages en recentrant sur «les fondamentaux». Des enfants «empêchés de penser», dont nous parle Serge Boimare, aux enseignants spécialisés des Rased menacés dans leur identité professionnelle, en passant par les enseignants de Segpa et les acteurs de la lutte contre l’illettrisme, le SE-UNSA vous propose un dossier sur la difficulté scolaire et sa prise en charge, aux antipodes du discours simpliste et racoleur du ministre. Serge Boimare est psychopédagogue et psychologue-clinicien. Dans la classe, comment vaincre ces résistances à l’apprentis sage ? Comment entraîner ces jeunes dans l’action d’apprendre quand ils font tout pour s’y soustraire ? S. B. : Quand on rencontre des jeunes qui font tout pour se soustraire à l’apprentissage, comme vous le dites, le changement n’adviendra que si nous les aidons à construire ces points d’appuis intérieurs qui leur font défaut dès qu’ils doivent faire un retour à eux-mêmes pour réfléchir. Contrairement à ce que disent les partisans de l’immobilisme, il ne s’agit pas ici de socialisation ou de psychanalyse ; ce travail se mène avec les deux outils privilégiés de la pédagogie : la culture et le langage. Il n’y aura pas de réduction de l’échec scolaire sans une présentation des savoirs qui trouve ses racines dans un nourrissage culturel intensif et dans l’entraînement à débattre qui le prolonge. N’hésitons pas à nous servir des L En tant que directeur de centre médico-psychopédagogique (CMPP), je vois mal comment nous pourrions nous passer de ces partenaires naturels. Qui fera ce travail de soutien, de liaison, de dépistage, de prévention, si important pour ces enfants et leurs familles ? Dans notre CMPP où nous recevons beaucoup d’adolescents, nous mesurons à quel point ces équipes manquent au collège. enseignant supplément dossiers n°122 • janvier 2009 • l’ 3 L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Interview L contes et des mythologies, des fables et des romans initiatiques que nous allons nous-mêmes lire à haute voix et faire discuter pour enrichir le support de nos leçons d’écriture ou de lecture. N’ayons pas peur de faire le programme de mathématiques ou de physique en sortant une question ou une expérimentation du «Voyage au centre de la terre» ou de «La guerre du feu». C’est en donnant une culture partagée par tous, et non des cours supplémentaires aux moins bons, que nous allons pouvoir trouver cette dimension «groupale» indispensable à la pédagogie dans une classe hétérogène. Seul ce fond commun permet de répondre à la fois à la demande de ceux qui doivent structurer leur pensée pour apprendre et de ceux qui doivent seulement être stimulés pour en arriver à l’excellence. Il est là le défi de la pédagogie du XXIe siècle. 4 Quelles sont les conséquences pratiques pour la formation des enseignants et pour l’organisation des enseignements à l’École ? S. B. : Resituer les grandes lignes du programme, à partir d’une médiation culturelle qui va permettre de faire de l’interaction entre les disciplines comme je le propose, n’est pas si compliqué. Je prétends même que c’est à la portée d’un enseignant débutant. À une condition toutefois : qu’il soit soutenu par un véritable travail en équipe. Aucune formation initiale, aussi brillante soit-elle, ne remplacera les bienfaits d’une coréflexion entre professeurs pour soutenir un débutant. Pour améliorer l’efficacité de toutes les actions pédagogiques, on ne fera jamais mieux que d’analyser à plu sieurs des exemples concrets venant de la pratique et pouvant donner lieu à expérimentation. Aucune école, aucun collège, aucun lieu de formation ne devraient fonctionner sans organiser une réflexion hebdomadaire entre professeurs sur les pratiques pédagogiques. Mon expérience d’ani mateur de ces groupes de réflexion me montre que c’est bien ici que se trouve la plus grande marge de progression pour notre École. Syndicat des enseignants - UNSA La culture et le langage sont des outils essentiels pour vaincre l’échec scolaire. Pourquoi le travail en équipe des professeurs n’est-il pas généralisé ? S. B. : La raison en est simple. Derrière les problèmes d’organisation et d’emploi du temps toujours mis en avant pour expliquer que ces réunions ne peuvent avoir lieu, il existe chez les enseignants une véritable crainte de se montrer dans la difficulté. La réponse, que chacun va trouver pour traiter avec les élèves difficiles, nécessite des choix et une implication personnelle qu’il est parfois délicat de mettre en avant et d’analyser dans une réunion avec des collègues de son école ou de son collège. C’est sans doute pour cette raison que ces réunions ont tant de mal à se généraliser. Pour dépasser l’écueil, ces séances de travail collectives doivent donc être comprises dans l’emploi du temps des professeurs, devenir obligatoires et être payées. C’est comme cela qu’un jour, elles contribueront très certainement à la mise en place d’un véritable travail en équipe dans chaque école et dans chaque collège. Entretien réalisé par Thierry Foulkes Retrouvez la vidéo de cet interview sur le site www.se-unsa.org rubrique «Métier», sous-rubrique «Actu». Serge Boimare Serge Boimare est directeur pédagogique du CMPP Claude Bernard de Paris qui accueille des enfants en grande difficulté. Depuis plus de quarante ans, il travaille avec des enfants et des adolescents en échec scolaire comme instituteur et psycho-pédagogue. Par ailleurs, il anime des groupes de réflexion avec des professeurs sur leurs pratiques pédagogiques. Il est l’auteur de «L’enfant et la peur d’apprendre» (déjà vendu en France à 35 000 exemplaires), dans lequel il expose son expérience. Il met en pratique, depuis plus de trente ans, une démarche psychopédagogique auprès d’enfants qui ont pour point commun de refuser avec force les apprentissages scolaires. Il vient de publier «Ces enfants empêchés de penser» aux éditions Dunod. DES ACTIONS CULTURELLES SUR MESURE ! Moret-sur-Loing - Tél. : 01 60 70 14 03 2008 2009 Enseignants, formateurs, R E N S E I G N E Z - V O U S organisez vos sorties scolaires avec Tick’Art 01 41 850 900 www.tickart.iledefrance.fr L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Premier degré Les impératifs de la réussite > Piqué au vif par les résultats prétendument calamiteux des élèves français aux évaluations internationales, X. Darcos décide en 2007 de prendre le problème à bras le corps pour «diviser par trois en cinq ans» le nombre d’élèves en échec scolaire. Comment ? • Tout d’abord en imposant, seul contre tous, de nouveaux programmes alourdis et basés sur une conception mécaniste des apprentissages. • Ensuite, en réduisant de deux heures l’horaire hebdomadaire des écoliers (sur ordre de Nicolas Sarkozy). • Enfin, en dégainant l’arme absolue : l’aide personnalisée, les stages de remise à niveau et l’accompagnement éducatif. Le tout pour offrir à ceux qui n’en ont pas les moyens ce que proposent les officines de cours privés aux plus aisés. Une analyse plus poussée eut permis au ministre, chantre de la justice sociale et de la démocrati- sation scolaire, de comprendre que ces officines en question ne proposent pas du soutien solaire mais plutôt un soutien à l’excellence ! Mais qu’importe, fier de son dispositif qui renvoie le traitement de la difficulté scolaire hors de l’École, le ministre en profite pour supprimer des postes d’enseignants, pour bouter les élèves de deux ans hors de la maternelle et pour engager la «sédentarisation des Rased». L’objectif ambitieux de la loi d’Orientation de 2005 qui prévoit la maîtrise par tous d’un socle commun de connaissances et de compétences semble enterré, tout comme sa mesure phare, les PPRE(1). Ils ont d’ailleurs pour l’heure davantage fait la preuve de leur lourdeur que de leur efficacité. C’est du moins ce qui ressortait du bilan établi par le ministère. Faut-il s’en étonner puisque la mise en place de ce dispositif chronophage se fait par «optimisation» des moyens, c’est-à-dire en s’appuyant sur la bonne volonté et sur l’imagination des enseignants ! Quant au livret personnel de compétences de l’élève, expérimenté l’an passé à vitesse grand V, sa version définitive vient de paraître au BO, sans concertation préalable avec les syndicats, ni consultation du CSE(2). 6 Le traitement de la difficulté scolaire, pour le SE-UNSA, devrait pouvoir se faire dans le cadre du temps scolaire, en jouant sur les curseurs suivants : • plus de maîtres que de classes pour la prise en charge de petits groupes de besoin ; • une formation initiale et continue des enseignants plus pointue sur la gestion de la difficulté scolaire ; • une présence accrue des Rased. À des années-lumière des mesures darcosiennes ! Pascaline Perrot (1) Programme personnalisé de réussite éducative. (2) Conseil supérieur de l’Éducation. Syndicat des enseignants - UNSA L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Premier degré Les Rased décriés par X. Darcos, mais soutenus par la profession... 7 > Le ministre veut la mort des Rased. Fort curieusement, le «bon élève du gouvernement» n’arrive pas à comprendre ce qu’est la difficulté scolaire ! En effet, la politique actuelle du ministère propose comme réponse à toute difficulté scolaire du soutien, envisagé comme du renforcement scolaire. Ainsi suffiraitil de faire refaire à l’élève en difficulté ce qu’il n’a pas compris en individuel ou en groupe restreint pour qu’il apprenne... La question de la modalité de l’aide ne se pose pas dans cette approche. Les aides spécialisées se réalisent actuellement, à l’école, sur le temps scolaire, auprès d’enfants dont les difficultés s’expliquent : • par des situations psychologiques complexes ; • des rapports sociaux particuliers avec le monde scolaire ; • un rapport au savoir problématique ; • des stratégies d’apprentissage non pertinentes… Le dispositif Rased permet aux élèves rencontrant des difficultés qui n’ont pu être résolues en classe, de bénéficier d’aides adaptées et différenciées, dispensées par des enseignants spécialisés, certifiés et formés à la prévention de la difficulté dans le champ de l’adaptation scolaire. Supprimer les Rased conduirait donc à se priver de compétences particulières de personnels pouvant apporter des réponses adap tées à des situations qui dépassent la simple différenciation pédagogique. Aussi, le SE-UNSA s’est-il engagé pour la défense d’une véritable politique d’aides aux élèves en difficulté. Ainsi que le prévoyaient les textes de 1990 à 2005, celle-ci nécessite une diversité d’aides, et leur coordination, pour remettre en marche les rouages et les apprentissages de la pensée de ces élèves en difficulté. Le SE-UNSA demande le retrait immédiat de la mesure annoncée par Xavier Darcos concernant le transfert de trois mille postes de Rased sur des classes ordinaires. Cette mesure correspond à un renoncement officiel à l’obli gation de l’État d’assurer avec souplesse, sur tout le territoire, une remédiation pédagogique ou rééducative pour tous les élèves en grande difficulté dans leur parcours scolaire. Elle déstabilisera aussi les équipes des Rased qui n’auront plus cette approche plurielle et complémentaire. Nelly Paulet 214 786 signataires au 9 décembre sur la pétition qui demande l’annulation de la suppression de 3000 postes de Rased. Continuons à signer sur www.sauvonslesrased.org enseignant supplément dossiers n°122 • janvier 2009 • l’ L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Second degré Il était une fois l’échec scolaire > Vous pensez peut-être que l’échec scolaire n’a pas d’âge ? Qu’il est aussi ancien que 8 l’École elle-même ? Et pourtant ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, la difficulté scolaire est une notion historiquement récente. Ainsi, dans les années trente, l’«École de Jules Ferry» ne conduisait-elle que 50% d’une classe d’âge au certificat d’études et pour autant, l’idée d’échec scolaire lui était totalement étrangère ! Il n’apparaissait alors nullement choquant que la moitié des élèves entrât dans le monde du travail sans être titulaire du moindre diplôme. On considérait tout simplement que tous les élèves n’étaient pas capables d’atteindre un certain niveau de connaissances. Par un étrange paradoxe, la notion d’échec est étroitement liée à la démocratisation que notre système éducatif a connu en lien avec la dynamique des Trente Glorieuses. Avec la massification induite par les réformes Berthouin, Fouché et Haby, le pourcentage des adolescents accédant au premier cycle de l’enseignement secondaire est passé de 26% en 1950 à la quasi-totalité d’une classe d’âge à la fin des années soixante dix. S’opère alors un changement de regard sur l’échec scolaire. Sur fond de mutations et de demande de l’appareil économique, l’Institution commence à s’en préoccuper et l’intègre dans ses objectifs de pilotage. L’École est, par définition, le lieu où se révèle l’échec scolaire. Générant sa propre norme, l’Institution scolaire «déclare» les élèves en échec comme les élèves en réussite. Dans cette perspective, l’échec scolaire est en partie un produit de l’évaluation à la française. Chiffrées, essentiellement sommatives, nos modalités d’évaluation induisent par elles-mêmes des classements et des hiérarchisations. Ce qui explique que l’on trouve aussi des «mauvais» élèves dans ces Syndicat des enseignants - UNSA La difficulté scolaire, une notion historiquement récente. temples de l’élitisme républicain que sont les lycées Henri IV et Louis le Grand ! Ailleurs, sous d’autres cieux plus favorables à l’épanouissement de l’enfant (Royaume-Uni, Danemark, Irlande), on va définir la «nonréussite» de l’enfant de manière bien différente : par le manque d’épanouissement personnel ou par l’arrêt dans les progrès individuels. Quelle que soit sa responsabilité dans la «fabrique de l’échec scolaire», l’École ne s’est cependant jamais résignée. Et depuis trente ans, ministres et responsables de l’Éducation nationale ont affiné les diagnostics et multiplié les dispositifs, particulièrement pour le collège perçu comme le maillon faible du système. Dans le cadre de ce collège dit «unique», traditionnellement, des réponses sont apportées aux difficultés des élèves en termes de structures et de dispositifs spécifiques (soutien, remise à niveau, consolidation, alternance, découverte professionnelle six heures, apprentissage Junior, etc.). Par là-même est affirmée la nécessité de prendre en compte la «diversité des publics» de collège. Cette reconnaissance de la diversité est paradoxale et ambivalente. Elle résulte en effet pour partie de la rigidité et de l’uniformité des référentiels de l’École, exclusivement centrés sur les savoirs académiques. Ainsi, les efforts (budgétaires) de la Nation et le dévouement de ses enseignants sont-ils utilisés pour essayer d’amener la totalité d’une classe d’âge à la maîtrise d’une norme qui est celle du lycée général, napoléonien et élitiste. L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E Second degré Pour en finir avec l’échec scolaire… Depuis quarante ans, Valoriser les savoirs par une évaluation positive. on a réussi la démocratisation de l’accès à l’École. Pour ce qui est de la réussite à l’École, le mouvement de démocratisation est loin d’être achevé. Il semble même, à bien des égards, bloqué. Les constats sont désormais largement connus et partagés : les références culturelles et les façons d’instruire, conçus pour la formation et la sélection d’une élite, n’ont pas été modifiés, et ce malgré la massification. Pour Antoine Prost, «le collège a répondu par un enseignement uniforme et de type secondaire à une demande qui était du type primaire supérieur»(*). Cette discordance est évidemment génératrice de difficultés qui se révèlent insurmontables pour une fraction importante du public scolaire. Dans cette configuration, l’École «fabrique» de l’échec, un échec d’autant plus douloureux que le concept d’égalité des chances lui donne de surcroît les apparences de la légitimité. Un échec d’autant plus intolérable que l’élévation des compétences professionnelles requises sur le marché du travail fait rimer échec scolaire avec exclusion sociale, dans une sorte de logique de la double peine. C’est pour ces raisons que le SE-UNSA milite pour un profond renouvellement des approches pédagogiques et des pratiques d’évaluation. Au collège, il est absolument nécessaire de concentrer tous les efforts sur l’acquisition effective des savoirs et savoir-faire par tous les élèves. Une évaluation positive qui sanctionne les progrès des élèves et non pas ce qui les sépare d’un référentiel aussi élitiste qu’implicite et qui se situe en-dehors de la scolarité obligatoire. Julien Maraval (*) «Éducation, société et politique», éditions Seuil, 254 p.- 21,65€. Et aujourd’hui ? Sans réviser le «logiciel», Xavier Darcos le revisite en déplaçant légèrement la problématique : à l’en croire, le salut des naufragés de l’École se trouve... en-dehors de l’École ! C’est par le recours à des dispositifs périphériques que le ministre du «hors temps scolaire» prétend donner à tous les chances de participer avec succès à la compétition scolaire : • soutien scolaire pour les «orphelins de 16 heures» en collège ; • stages de renforcement linguistique et stages de remise à niveau au lycée ; •«suppression» de la carte scolaire pour que chacun ait le droit d’aller dans les «meilleurs établissements»… Bien sûr, les dés sont pipés : les règles et les pièges de cette «compétition» demeurent fondés sur la sélection des meilleurs, dans des conditions matérielles et pédagogiques rendues intolérables par les dizaines de milliers de postes supprimés par notre ministre. Dans le même temps, c’est silence radio sur la mise en œuvre du socle commun dont l’objectif affiché dans la loi s’inscrit pourtant dans une véritable logique de démocratisation de la scolarité obligatoire. En savoir > Les élèves de Segpa sont des élèves comme les autres. En accord avec les normes de l’OMS(1), les élèves de Segpa sont reconnus comme relevant de la grande difficulté scolaire. Au sein du collège, la Segpa apporte une réponse «structurelle» par : • son organisation en cycles ; • la mise en œuvre, par des enseignants spécialisés, des professeurs de collège et de lycée professionnel, d’une pédagogie professionnelle adaptée ; • des activités d’apprentissages mises en commun avec les autres élèves. Cependant, ces pratiques sont déclinées de manière inégales et contrastées sur le territoire. Inscrite dans une démarche de projet, la pédagogie dispensée dans les Segpa permet d’adapter les activités au fonctionnement intellectuel de leurs élèves et contribue au développement systématique d’un potentiel d’apprentissages. Elle prend en compte leurs intérêts, leurs acquis et leurs aspirations, ne se fixant pas exclusivement sur leurs retards et leurs lacunes. Une telle approche éducative et pédagogique serait aussi nécessaire pour aider les élèves en difficulté du collège, en particulier les 5% qui présentent des difficultés analogues à ceux de Segpa. L’orientation massive d’élèves de Segpa en lycée professionnel et en CFA(2) doit s’accompagner d’un programme de formation des professeurs et d’un suivi par l’équipe de Segpa afin d’éviter les ruptures de formation et leur permettre de finaliser leur parcours. Si les enseignements adaptés connaissent actuellement une évolution radicale dont tous les effets ne sont pas maîtrisés, le SE-UNSA reconnaît le rôle primordial de la Segpa pour les élèves qu’elle scolarise et se mobilise activement pour la défendre. (1) Organisation mondiale de la santé. (2) Centre de formation pour apprentis. enseignant supplément dossiers n°122 • janvier 2009 • l’ 9 L A D I F F I C U LT É S C O L A I R E En direct Contre l’illettrisme, des clés pour oser réapprendre > Longtemps tabou, le fléau de l’illettrisme est désormais reconnu, et même quanti- 10 fié dans des statistiques. Les chiffres sont éloquents. Plus de trois millions de personnes ayant été scolarisées en France sont en situation d’illettrisme. C’est avec la mise en place de la JAPD(1), et en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, que nous disposons de mesures sur les jeunes en difficultés de lecture. • Ainsi, près de 5% des jeunes issus de la scolarité obligatoire ne savent ni lire, ni écrire. • Près de 10% de la classe d’âge (17 à 19 ans) éprouvent de graves difficultés et, pour 72% d’entre eux, sont scolarisés dans les lycées professionnels. • Près de 40% des élèves de troisième n’ont pas le niveau en français. Ils peinent à lire et à écrire correctement. Certes, ces difficultés ne relèvent pas toutes de l’illettrisme au sens strict du terme ; la difficulté de lecture atteint des degrés divers. À qui la faute? Aux inégalités sociales ? À la société de l’écran et de l’image ? Aux méthodes pédagogiques ? Un peu de chaque sans doute. Et si l’École ne saurait être tenue pour seule responsable, il est utile cependant de réfléchir et de faire connaître quelques remèdes qu’elle peut et doit mettre en œuvre dans son secteur. Depuis les années 90, la lutte contre ce fléau a été affichée par une succession de lois, mais aussi par une recommandation, adoptée en 2006, par le Parlement européen et le Conseil de l’Europe. Combattre l’illettrisme exige des moyens p Voici comment les objectifs de l’ANLCI(2), par exemple, sont définis : «Agir contre l’illettrisme, c’est permettre à chacun d’acquérir à tous les âges de la vie, au plus près des personnes et des territoires et de manière coordonnée et pérenne, le socle commun de compétences fonctionnel pour être autonomes dans des situa- En savoir Pour mieux connaître ceux qui sont concernés par l’illettrisme, consultez cette enquête IVQ(*), conduite par l’Insee en 2004-2005, que vous trouverez dans «Espace Forum permanent des pratiques» sur www.anlci.gouv.fr (*) Information et vie quotidienne. Des actualités, des interviews, des échanges, des outils, des ateliers... tout est sur www.bienlire.education.fr Dans la rubrique «Médiathèque», en cliquant sur «Pratiques pédagogiques», lire «Les paradoxes de l’individualisation». Dans ce document, à partir des difficultés des élèves et de celles des enseignants, plusieurs praticiens et chercheurs, avec entre autres les contributions de Françoise Clerc et Richard Étienne, interrogent cette notion d’individualisation, ses définitions comme les actions éducatives auxquelles elles renvoient. Il propose aussi une présentation de pratiques pédagogiques qui participent à l’amélioration des compétences, que ce soit dans le temps scolaire, auprès des familles et dans le temps des loisirs éducatifs. Syndicat des enseignants - UNSA Dans le cadre de la Meippe(*) de l’académie de Poitiers, des exemples d’activités sont proposés avec les «langagiciels», ces dispositifs informatisés conçus au service de l’appropriation du «lire-écrire». À voir sur : http://ww2ac-poitiers.fr/meip (*) Mission à l’évaluation, à l’innovation pédagogique et au projet d’établissement. «Dyslexie ou difficultés scolaires au collège. Quelles pédagogies, quelles remédiations ?»(*) émane d’un partenariat entre enseignants et orthophonistes, mis en place pour mieux adapter l’accueil de l’élève dyslexique ou en difficulté scolaire au collège. Illustré de présentations d’expériences et de propositions pratiques, il ouvre des pistes pour mieux repérer les origines des difficultés de certains élèves et leur apporter, en classe, une pédagogie de contournement facilitant leurs apprentissages et éventuellement des aides remédiatrices. (*) De Crunelle Dominique, au CRDP du Nord-Pas-de-Calais, 25€. Elle en dit > Claire Krepper, secrétaire nationale. pour vaincre les multiples résistances : personnelles, psychologiques… tions citoyennes». Vaste programme qui pose la question des moyens. • Dans son projet «Horizon 2010», l’académie de Versailles fait de la lutte contre les difficultés langagières une priorité. Depuis trois ans, un groupe de travail et d’impulsion (GTI) intercatégoriel mène une réflexion sur la grande difficulté. À partir des enquêtes conduites lors des JAPD et des résultats au brevet des collèges, il est aisé d’évaluer le nombre exact de jeunes concernés. Le GTI s’est attaché à recenser les ressources documentaires autour de l’illettrisme, afin de mieux diagnostiquer les difficultés et construire une progression dans les apprentissages. Partant du constat que l’élève de lycée professionnel était confronté à plusieurs types de langages selon la matière enseignée, des stratégies de remédiation ont été élaborées. Elles mettent l’accent sur la verbalisation comme préalable au travail à produire. L’intérêt de ce dispositif, tant pour les élèves que pour les enseignants, est qu’il pose la nécessité d’un travail croisé entre les enseignants des disciplines de matières générales et ceux des disciplines de matières professionnelles. L’amélioration des compé- tences langagières peut s’exercer aussi bien dans la classe de français que dans l’atelier de formation professionnelle. • Les ateliers Asale(3) du lycée Doriole de La Rochelle participent aussi à la prévention de lutte contre l’illettrisme, grâce à un partenariat avec une association locale. Les séances sont animées principalement par deux de ces formateurs. La rencontre avec des intervenants extérieurs permet aux élèves de travailler dans un contexte nouveau. De plus, les formateurs ont une approche des adolescents et une démarche pédagogique différentes. L’individualisation est au cœur de la démarche. Celle-ci contribue à une implication accrue, à un entrain au travail, mais surtout à une meilleure confiance en eux et en leurs capacités. Selon les enseignants, des améliorations notables ont été réalisées, pour 62,5%, tant dans le comportement en classe que dans la concentration et les relations avec les professeurs. Christine Savantré (1) Journée d’appel de préparation à la défense, instituée en 1998 à la place du Service national alors suspendu par Jacques Chirac. Il s’agit de la dernière étape du parcours de citoyenneté. (2) Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. (3) Ateliers d’aide et de soutien en lecture-écriture. Vous l’avez compris en lisant ce dossier : «la difficulté scolaire» n’a pas une origine unique, qui serait un «manque» à combler par des heures supplémentaires de soutien ou d’accompagnement. Il existe des difficultés d’apprentissage qui nécessitent des prises en charge adaptées. Elles doivent, pour le SE-UNSA, s’inscrire dans le temps scolaire et, dans la mesure du possible, dans la classe. Dans cette optique, une formation pédagogique initiale et continue de grande qualité est essentielle. C’est sans doute pour cela que le gouvernement s’apprête à réduire la part du «pédagogique» dans les nouvelles modalités de formation des maîtres ! Quant à la formation continue, elle continue à souffrir d’une insuffisance chronique de financement. L’enseignant ne doit pas être seul face aux problèmes posés par les difficultés d’apprentissage : c’est l’équipe pédagogique dans son ensemble qui doit être mobilisée. La diversification des approches pédagogiques (regroupements différents, prise en charge individualisée) est facilitée par la présence d’un maître supplémentaire dans l’école ou d’enseignants supplémentaires dans les établissements, et par la mise en œuvre de temps de concertation inclus dans le service de tous les enseignants. La présence de réseaux d’aide complets, en nombre suffisant pour intervenir dans tous les cycles de l’école primaire, est une exigence portée par le SE-UNSA. Au collège, la réponse aux difficultés scolaires ne peut résider dans des dispositifs comme le Dima(*) qui écartent les élèves en échec de la scolarité commune. Le SE-UNSA a porté la revendication d’un socle commun des compétences indispensables et l’obligation, pour l’État, d’assurer les moyens nécessaires à son acquisition par tous. Face à des moyens encore en baisse, ce combat est plus que jamais d’actualité ! (*) Dispositif d’initiation aux métiers en alternance. enseignant supplément dossiers n°122 • janvier 2009 • l’ 11