Lutter contre
l’illettrisme
Les Rased
menacés
De profusion d’annonces en réformes express,
les élèves en difficulté sont sous le feu des projecteurs.
Sur ce sujet, enseignants et parents se sentent
concernés, et à juste titre. En réponse
à la désinformation ministérielle, le SE-UNSA met les
points sur les I et les barres sur les T dans ce dossier.
Entretien avec
Serge Boimare
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supplément dossiers n°122 janvier 2009 l’enseignant
La difficulté
scolaire
C’est sur le temps
scolaire qu’il faut agir.
Près de 15% des jeunes sont en situation d’échec
scolaire. C’est un fait incontestable ! Comme solution,
le ministre de l’Éducation nationale brandit le «soutien
scolaire», se targuant même d’en offrir gratuitement
à tous les élèves en dehors du temps scolaire et même
pendant les vacances ! Bonne réponse à la difficulté
scolaire ? Serge Boimare nous apporte des correctifs
et ouvre de nouvelles pistes...
d’abord la conséquence d’un fonction-
nement intellectuel singulier, aménagé
sur l’évitement de la frustration et de
l’inquiétude que provoquent les
contraintes de la situation d’appren-
tissage, nous allons trouver ces
propositions dérisoires. Elles ne seront
d’aucun profit pour ceux qui en ont
le plus besoin.
L’échec scolaire est d’abord dû à des
stratégies de contournement et
d’évitement du temps de la réflexion,
il ne se combattra jamais en modé-
lisant le cours particulier.
Seule une utilisation intensive de la
culture et du langage, de la maternelle
au collège, peut permettre à ces
enfants de construire cette capacité
réflexive qui leur fait défaut pour
apprendre. Ce travail se fait dans la
classe, avec tout le groupe des élèves.
Si nous ne voulons plus avoir 15%
«d’irréductibles» dans notre École, il
est grand temps, pour expliquer
l’échec scolaire, de passer de la théorie
du manque à la théorie de l’empê-
chement de penser.
Cela veut-il dire que les ensei-
gnants n’auront plus besoin d’aide
extérieure et des réseaux d’aide pour
combattre la difficulté, voire l’échec,
scolaires ?
S. B. : Ne soyons pas simplistes.
Quand un enfant n’a pas un compor-
tement adapté aux exigences de
l’apprentissage et à la vie en groupe,
il est indispensable qu’il trouve, dans
l’École, des personnes spécialisées
pour l’aider à accéder à une posture
d’élève : c’est le rôle des réseaux
d’aide.
L’Enseignant : À entendre le mi-
nistre, tous les efforts sont faits
pour aider les élèves en difficulté.
Partagez-vous cette appréciation ?
Comment définiriez-vous la «difficulté
scolaire» ?
Serge Boimare : Le regard que nous
allons porter sur l’utilité ou non du
soutien scolaire dépend étroitement
de l’explication que nous donnons à
la difficulté d’apprentissage.
Si nous nous contentons de l’expliquer
par la théorie du manque, c’est-à-dire
par une insuffisance des bases et des
compétences, ce qui est très à la mode
en ce moment, nous allons fonder
beaucoup d’espoir sur le rattrapage
en petits groupes et l’entraînement
supplémentaire.
Par contre, si nous pensons, comme
c’est mon cas, que ces lacunes sont
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Syndicat des enseignants - UNSA
La difficulté scolaire,
«fausses» solutions,
mais vrai problème
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Interview
En tant que directeur de centre
médico-psychopédagogique (CMPP),
je vois mal comment nous pourrions
nous passer de ces partenaires
naturels.
Qui fera ce travail de soutien, de
liaison, de dépistage, de prévention,
si important pour ces enfants et leurs
familles ?
Dans notre CMPP où nous recevons
beaucoup d’adolescents, nous
mesurons à quel point ces équipes
manquent au collège.
Dans la classe, comment vain cre
ces résistances à l’appren tis -
sage ? Comment entraîner ces jeunes
dans l’action d’apprendre quand ils font
tout pour s’y soustraire ?
S. B. : Quand on rencontre des jeunes
qui font tout pour se soustraire à
l’apprentissage, comme vous le dites,
le changement n’adviendra que si
nous les aidons à construire ces points
d’appuis intérieurs qui leur font défaut
dès qu’ils doivent faire un retour à
eux-mêmes pour réfléchir.
Contrairement à ce que disent les
partisans de l’immobilisme, il ne s’agit
pas ici de socialisation ou de psycha-
nalyse ; ce travail se mène avec les
deux outils privilégiés de la péda -
gogie : la culture et le langage.
Il n’y aura pas de réduction de l’échec
scolaire sans une présentation des
savoirs qui trouve ses racines dans un
nourrissage culturel intensif et dans
l’entraînement à débattre qui le
prolonge.
N’hésitons pas à nous servir des
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supplément dossiers n°122 janvier 2009 • l’enseignant
Serge Boimare est
psychopédagogue et
psychologue-clinicien.
Soutien scolaire, aide individualisée,
aide personnalisée, aide spécialisée,
accompagnement, projet de réussite
éducative... Au ministère, on n’hésite
pas à utiliser ces termes, les uns
pour les autres, afin de créer
délibérément la confusion auprès
du grand public, avec un seul
objectif : réduire la variété
des dispositifs de prise en charge
de la difficulté scolaire pour imposer
un modèle unique, celui du cours
de soutien privé payant.
Peu importe qu’il ne soit pas adapté
à la très grande difficulté.
L’important, c’est de gagner
la bataille de la communication et de
faire croire qu’on offre un nouveau
service aux familles au moment où,
pour des raisons d’économies
budgétaires, on réduit le temps
scolaire pour tous. Démarche contre-
productive qui réduit les moyens
pour mobiliser tous les élèves
sur les apprentissages en recentrant
sur «les fondamentaux».
Des enfants «empêchés de penser»,
dont nous parle Serge Boimare,
aux enseignants spécialisés
des Rased menacés dans leur identité
professionnelle, en passant par
les enseignants de Segpa et les acteurs
de la lutte contre l’illettrisme,
le SE-UNSA vous propose un dossier
sur la difficulté scolaire et sa prise
en charge, aux antipodes du discours
simpliste et racoleur du ministre.
L’essentiel
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Interview
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contes et des mythologies, des
fables et des romans initiatiques
que nous allons nous-mêmes lire à
haute voix et faire discuter pour
enrichir le support de nos leçons
d’écriture ou de lecture. N’ayons pas
peur de faire le programme de mathé-
matiques ou de physique en sortant
une question ou une expérimentation
du «Voyage au centre de la terre» ou
de «La guerre du feu».
C’est en donnant une culture partagée
par tous, et non des cours supplé-
mentaires aux moins bons, que nous
allons pouvoir trouver cette dimension
«groupale» indispensable à la pédago -
gie dans une classe hétérogène. Seul
ce fond commun permet de répondre
à la fois à la demande de ceux qui
doivent structurer leur pensée pour
apprendre et de ceux qui doivent
seulement être stimulés pour en arriver
à l’excellence. Il est là le défi de la
pédagogie du XXIe siècle.
Quelles sont les conséquences
pratiques pour la formation des
enseignants et pour l’organisation des
enseignements à l’École ?
S. B. : Resituer les grandes lignes du
programme, à partir d’une médiation
culturelle qui va permettre de faire de
l’interaction entre les disciplines
comme je le propose, n’est pas si com -
pliqué. Je prétends même que c’est à
la portée d’un enseignant débutant.
À une condition toutefois : qu’il soit
soutenu par un véritable travail en
équipe.
Aucune formation initiale, aussi
brillante soit-elle, ne remplacera les
bienfaits d’une coréflexion entre
professeurs pour soutenir un débutant.
Pour améliorer l’efficacité de toutes
les actions pédagogiques, on ne fera
jamais mieux que d’analyser à plu -
sieurs des exemples concrets venant
de la pratique et pouvant donner lieu
à expérimentation. Aucune école,
aucun collège, aucun lieu de formation
ne devraient fonctionner sans
organiser une réflexion hebdomadaire
entre professeurs sur les pratiques
pédagogiques. Mon expérience d’ani -
mateur de ces groupes de réflexion
me montre que c’est bien ici que se
trouve la plus grande marge de
progression pour notre École.
Pourquoi le travail en équipe
des professeurs n’est-il pas géné-
ralisé ?
S. B. : La raison en est simple. Derrière
les problèmes d’organisation et
d’emploi du temps toujours mis en
avant pour expliquer que ces réunions
ne peuvent avoir lieu, il existe chez les
enseignants une véritable crainte de
se montrer dans la difficulté.
La réponse, que chacun va trouver
pour traiter avec les élèves difficiles,
nécessite des choix et une implication
personnelle qu’il est parfois délicat de
mettre en avant et d’analyser dans une
réunion avec des collègues de son
école ou de son collège.
C’est sans doute pour cette raison que
ces réunions ont tant de mal à se
généraliser. Pour dépasser l’écueil, ces
séances de travail collectives doivent
donc être comprises dans l’emploi du
temps des professeurs, devenir obliga-
toires et être payées. C’est comme cela
qu’un jour, elles contribueront très
certainement à la mise en place d’un
véritable travail en équipe dans chaque
école et dans chaque collège.
Entretien réalisé
par Thierry Foulkes
Retrouvez la vidéo de cet interview
sur le site www.se-unsa.org
rubrique «Métier», sous-rubrique «Actu».
Syndicat des enseignants - UNSA
Serge Boimare est directeur
pédagogique du CMPP Claude
Bernard de Paris qui accueille
des enfants en grande difficulté.
Depuis plus de quarante ans,
il travaille avec des enfants
et des adolescents en échec
scolaire comme instituteur
et psycho-pédagogue.
Par ailleurs, il anime des groupes
de réflexion avec des professeurs
sur leurs pratiques pédagogiques.
Il est l’auteur de «L’enfant et la peur
d’apprendre» (déjà vendu en France
à 35 000 exemplaires), dans lequel
il expose son expérience.
Il met en pratique, depuis plus
de trente ans, une démarche
psychopédagogique auprès d’enfants
qui ont pour point commun de
refuser avec force les apprentissages
scolaires. Il vient de publier
«Ces enfants empêchés de penser»
aux éditions Dunod.
Serge Boimare
La culture et le langage sont des outils essentiels pour vaincre l’échec scolaire.
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Interview
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