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Mises: Lord Keynes and Laws Say http://www.institutcoppet.org/
Lord Keynes and the Laws Say
Ludwig Von Mises
The Freeman, 30 octobre 1950
- Traduit par François Guillaumat -
I
Comme lui-même le disait vers la fin de la Préface à sa « Théorie générale », la principale
contribution de Lord Keynes ne vient pas de ce quil aurait mis au point de nouvelles idées,
mais de ce qu’il se serait « dégagé des anciennes ». Les keynésiens nous font savoir que son
impérissable contribution consisterait dans la réfutation totale de ce quon appelle la loi des
marchés [aussi appelée loi des débouchés (NdT)] de Jean-Baptiste Say. La réfutation de cette
loi, affirment-ils, est le point essentiel de tous les enseignements de Keynes : toutes les
autres propositions de sa doctrine découlent avec une nécessité logique de cette idée
fondamentale, et devraient seffondrer si lon pouvait démontrer que son attaque contre Say
était erronée [1]. Il est important de savoir que ce quon appelle la « loi de Say » était en
premier lieu destiné à réfuter les doctrines populaires des périodes ayant précédé lémergence
de la théorie économique en tant que branche à part de la connaissance humaine. Elle ne
faisait pas partie intégrante de la nouvelle science de léconomie telle que lenseignaient les
économistes classiques. Elle était plutôt un préalable un exposé et une réfutation des idées
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fausses, indéfendables, qui obscurcissaient les esprits et constituaient un obstacle sérieux à
une analyse raisonnée des situations. À chaque fois que les affaires allaient mal, le
commerçant moyen avait sous la main deux explications : le mal était dû à une pénurie de
monnaie, ou à une surproduction générale. Adam Smith, dans un passage célèbre de « La
Richesse des nations » avait démoli le premier de ces mythes. Say sétait surtout consacré à
une réfutation du second. Tant quune chose est encore un bien économique et non un « bien
libre », son offre nest pas, bien entendu, abondante de façon absolue. Il reste par
définition des besoins non satisfaits quune quantité offerte plus importante puisse satisfaire.
Il reste encore des gens qui seraient bien contents davoir davantage de ce bien quils n’en ont
dans la réalité. Il ne peut jamais y avoir surproduction absolue en matière de biens
économiques (et léconomie ne traite que des biens économiques, pas des biens libres et
gratuits, comme lair, qui ne sont lobjet daucune action humaine délibérée, qui ne sont donc
pas produits et pour lesquels lemploi de termes comme surproduction ou sous-production na
tout simplement pas de sens). S’agissant de biens économiques, il ne saurait y avoir que
surproduction relative. Par exemple, alors que les consommateurs demandent des quantités
bien déterminées de chemises et de chaussures, lindustrie a produit trop de chemises et pas
assez de chaussures. Ce nest pas à une surproduction générale de tous les biens quon a
affaire : la surproduction de chaussures correspond à une sous-production de chemises. Le
résultat ne peut par conséquent pas être une dépression générale de toutes les branches de
l’industrie : ce qui se produit, cest un changement du rapport déchange entre les chaussures
et les chemises. Si, par exemple, une paire de chaussures avait permis dacheter quatre
chemises, maintenant elle nen vaut plus que trois. Si les affaires sont mauvaises pour les
fabricants de chaussures, pour les fabricants de chemises elles sont bonnes. Les tentatives
d’expliquer la dépression généralisée du commerce en faisant référence à une prétendue
surproduction générale sont donc dans lerreur. Ce n’est pas contre de la monnaie mais en fin
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de compte contre dautres biens que séchangent les biens, nous fait savoir Jean-Baptiste
Say : la monnaie nest que le moyen déchange communément utilisé, elle ne joue quun rôle
d’intermédiaire ; ce que le vendeur veut finalement obtenir en échange de biens vendus, ce
sont dautres biens ; tout bien produit est donc en lui-même un prix, pour ainsi dire, en terme
des autres biens produits. Cest pourquoi la situation du producteur dun bien quelconque se
trouve effectivement améliorée par tout accroissement de la production des autres biens. Ce
qui porte tort aux intérêts du producteur dun article déterminé, cest de ne pas avoir
correctement prévu la situation à venir du marché. Supposons quil ait surestimé la demande
du public pour sa marchandise et sous-estimé sa propre demande dautres biens : les
consommateurs ne se soucient pas dun entrepreneur aussi maladroit ; ses produits, ils ne les
achètent quà des prix qui lui font subir des pertes et ils le forcent, sil ne corrige pas ses
erreurs à temps, à se retirer des affaires. Pour leur part, les entrepreneurs qui ont mieux su
prévoir la demande font des profits et se retrouvent en position daccroître leurs activités
commerciales. Voilà, dit Say, la vérité qui se cache derrière les affirmations brouillonnes des
hommes daffaires selon lesquelles la principale difficulté ne serait pas de produire mais de
vendre. Il serait plus exact de dire que le premier et principal problème du monde des affaires,
c’est de produire de la meilleure façon et au meilleur prix les articles qui satisferont les
besoins les plus pressants non encore satisfaits du public. Cest ainsi quAdam Smith et Jean-
Baptiste Say ont démoli lexplication la plus ancienne et la plus naturelle des crises
économiques, quavaient inspirée les épanchements ordinaires dentrepreneurs incompétents.
Certes, leur contribution n’avait été que négative. Ils avaient démoli la croyance selon
laquelle les périodes récurrentes de mauvaises affaires étaient dues à une pénurie de monnaie
et à une surproduction générale, mais ils ne nous avaient pas donné de théorie élaborée de la
conjoncture. Ce phénomène, cest la Currency School britannique qui, bien plus tard,
commencera à l’expliquer. Les contributions dAdam Smith et de Jean-Baptiste Say, si
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importantes soient elles, n’étaient pas totalement nouvelles ni originales : l’histoire de la
pensée économique peut faire remonter certains points essentiels de leur raisonnement à des
auteurs plus anciens. Cela nenlève rien aux mérites de Smith et de Say. Ceux-ci avaient été
les premiers à traiter du problème dune façon systématique et à appliquer leurs conclusions à
la question des crises économiques. Ils furent donc aussi les premiers contre qui les partisans
de la fallacieuse doctrine populaire dirigèrent de violentes attaques. Cest Say que Sismondi et
Malthus avaient choisi comme cible de leurs attaques fanatiques quand ils tentèrent — en vain
de sauver des préjugés tenaces mais désormais réfutés.
II
Jean-Baptiste Say était sorti vainqueur de ses polémiques avec Malthus et Sismondi. Il avait
démontré sa thèse, alors que ses adversaires ne purent justifier les leurs. Dès lors, pendant
toute la suite du dix-neuvième siècle, reconnaître la vérité contenue dans la loi de Say devait
constituer la marque distinctive de léconomiste. Les auteurs et politiciens qui accusaient de
tous les maux la prétendue pénurie de monnaie et proposaient linflation comme panacée
n’étaient plus perçus comme des économistes mais comme des “dingues de la monnaie”. La
lutte entre les champions dune monnaie saine et les inflationnistes continua pendant de
nombreuses décennies, mais elle ne passait plus pour une controverse entre différentes écoles
d’économistes, mais comme un conflit entre les économistes et les non économistes, entre des
gens raisonnables et des incompétents fanatiques. Lorsque tous les pays civilisés eurent
adopté létalon-or ou létalon de change-or [le ver était déjà dans ce fruit-là], la cause de
l’inflation sembla perdue pour toujours. La théorie économique ne se contenta pas de ce que
Smith et Say avaient enseigné sur les problèmes associés : elle développa un système intégré
de théorèmes qui démontrait puissamment labsurdité des sophismes inflationnistes ; elle
décrivit en détail les conséquences inévitables dun accroissement de la quantité de monnaie
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en circulation et de lexpansion du crédit. Elle élabora la théorie monétaire de la conjoncture,
ou théorie du crédit de circulation, qui montrait clairement comment la récurrence des crises
économiques était causée par des tentatives répétées pour « stimuler » les affaires au moyen
d’une expansion du crédit. Elle démontra ainsi de manière convaincante que la crise, que les
inflationnistes attribuaient à une insuffisance de loffre de monnaie, était au contraire la
conséquence nécessaire de tentatives visant à éliminer cette prétendue pénurie de monnaie par
une expansion du crédit. Les économistes ne contestent pas que dans sa phase initiale, un
accroissement du crédit suscite un emballement économique. Mais ils soulignent comment
cette expansion forcée doit inévitablement seffondrer après un certain temps pour conduire à
une dépression généralisée. Cette démonstration-là pouvait intéresser les hommes dÉtat qui
cherchent à améliorer le bien-être durable de leur nation ; elle ne pouvait influencer les
démagogues qui ne se soucient que du succès de leur prochaine campagne électorale et ne se
soucient pas le moins du monde de ce qui pourrait arriver après-demain. Or cest précisément
ce genre dindividus qui occupe, à notre époque de guerres et de révolutions, le devant de la
scène politique. Au mépris de tous les enseignements des économistes, linflation et
l’accroissement de crédit ont été élevés au rang de principe de base de la politique
économique. Presque tous les gouvernements se sont désormais engagés dans une politique de
dépenses inconsidérées et financent leurs déficits par limpression de quantités
supplémentaires de papier-monnaie non remboursables et par une augmentation sans fin du
crédit.
Les grands économistes étaient les précurseurs didées nouvelles. La politique économique
qu’ils recommandaient allait à lencontre de celles pratiquées par les gouvernements et les
partis politiques de leur époque. En règle générale, cétaient plusieurs années, voire plusieurs
décennies, qui sécoulaient avant que lopinion publique naccepte les nouvelles idées
propagées par les économistes et avant que les changements de politique correspondants
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