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Editorial
La disparition du Professeur Gilbert Durand, le 7 décembre 2012, a laissé un grand vide
intellectuel pour tous ceux qui, se réclamant de sa pensée, avaient entrepris dans son
sillage de mettre au jour des significations culturelles et sociétales bien souvent
enfouies au coeur du construit social. Elle nous incite à revisiter une œuvre que nous
considérons comme fondamentale pour l’époque que nous vivons.
Son apport essentiel (au sens étymologique) aux sciences se préoccupant de
littérature, de sociologie, d’anthropologie et de philosophie, provient du fait qu’il
n’érigeait pas en domaines séparés ces diverses disciplines. Sa préoccupation était, de
fait, celle d’une anthropologie fondamentale revisitant tous les aspects de la
connaissance de l’homme en société. Il nous a ainsi légué une véritable mise sur la
voie, une méthode – la « mythodologie » (mythocritique et mythanalyse) – dont
nombre de travaux universitaires continuent à s’inspirer. Elle n’a jamais sans doute été
aussi actuelle en ces temps qui constatent la défaite des pensées construites, quand
une civilisation de l’image omniprésente tend à tuer la pensée symbolique, consacrant
le triomphe d’un mythe du progrès mu par ce qu’il nommait les schèmes « héroïco
ascensionnels » de l’imaginaire.
De fait, le mythe, « objet irréel pourtant constitutif d'un désir fait de deux mystères »
(Cassirer), relève du pensé et du vécu. Mieux, il interroge profondément les catégories
de la Modernité.
Ainsi, le fait d’y recourir comme catégorie princeps conduit à en proposer une critique
radicale. Antinomique du réel dans le langage courant, il se donne à voir comme réel.
On peut cependant se demander si sa réalité ne s'impose pas à la recherche. Ainsi a-t-
on pu soutenir le paradoxe établissant le fait que toute pensée scientifique est d'abord
une pensée mythique. Ceci interroge nos certitudes les mieux établies, entre l'ordre du
sensible et celui de l'intelligible, quand, par exemple, la science s'applique à réintégrer
le domaine du sensible en retrouvant l'origine des croyances et rites populaires.
Loin d'un rationalisme nous imposant le morcellement des phénomènes sociaux et
culturels alors que tous les domaines qui les concernent sont liés, chaque expérience
de la vie collective peut, dès lors, être lue comme ce que Mauss appelait « un fait
social total ».
C'est justement l'atout majeur de la pensée symbolique-mythique que de pouvoir, dans
l'ordre du spéculatif, combiner les éléments qu'elle accumule en leur donnant une suite
significative.
« Croire aux Images est le secret du dynamisme psychologique » écrivait Gaston
Bachelard. En effet, comme ce qui importe dans le mythe c'est la forme et non le
contenu, sa capacité de s'appliquer à n'importe quel objet, il apparaît bien comme un
fait transversal en nous parlant simultanément à plusieurs niveaux :
• il est quête de l'immortalité, nous enseigne l'origine des choses,
• il est vécu dans un calendrier précis, profondément inscrit dans une temporalité
matérialisée par la fête,
• il est éminemment social, instituant l'individu comme membre du groupe et le
groupe dans les traditions qui sont communes à ses membres,
• il s'oppose en cela à l'individualisme, il réincarne l'Âme au centre d'un Monde où il
se reconnaît alors que l'épistémé moderne est régie par la séparation du sujet et de
l'objet, l'homme n'y étant plus qu'un point quelconque de l'univers.