Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes
Annexe 2
LA MÉTHODE CLINIQUE
dans l’œuvre de Jean Piaget
Nous savons que les préoccupations de Piaget ont été tôt définies et que l’on peut les
ramener à quelques grandes interrogations du type : quelle est la genèse des structures logiques
de la pensée de l’enfant ; comment fonctionnent-elles ; partant, quels sont les procédés de la
connaissance que l’enfant met en œuvre, ce qui pose le problème de l’épistémologie génétique
dans le cadre de l’épistémologie générale.
L’idée qu’il y a une genèse des formes logiques de la pensée conduit à se demander
quelles sont les étapes de sa constitution et quel en est le fonctionnement. Or, pour aborder ce
problème des structures logiques, quelles étaient, au moment où Piaget commençait ses travaux,
les méthodes dont il pouvait disposer en psychologie ? La première était la méthode des tests.
Or, en quoi consiste-t-elle ?
« À soumettre – dit Piaget – l’enfant à des épreuves organisées de manière à satisfaire
aux deux conditions suivantes d’une part, la question reste identique pour tous les
sujets, et se pose toujours dans les mêmes conditions ; d’autre part, les réponses
données par les sujets sont rapportées à un barème ou à une échelle permettant de les
comparer qualitativement ou quantitativement. » - (La Représentation du monde chez
l’enfant, 1926, p. 6.)
En ce qui concerne le diagnostic individuel, cette méthode présente de gros avantages ;
mais s’il s’agit de découvrir quels sont les mécanismes de la pensée, elle offre de gros
inconvénients. D’abord les tests ne permettent pas une analyse suffisante des résultats, du moins
pour la perspective où se place Piaget, ensuite ils risquent de fausser l’orientation d’esprit des
enfants qu’on veut interroger, notamment parce qu’on leur suggère certains types de réponses.
Par exemple, si l’on demande: « Qu’est-ce qui fait avancer le soleil ? », on suggère l’idée d’une
œuvre extérieure et on provoque le mythe. « En demandant “comment avance le soleil ?” on
suggère peut-être au contraire un souci du “comment” qui n’existait pas non plus et on
provoque d’autres mythes. » (Id., p. 7). C’est pourquoi « le seul moyen d’éviter ces difficultés
est de faire varier les questions, de faire des contre-suggestions, en bref, de renoncer à tout
questionnaire fixe » (Id., p. 7).
Piaget fait observer que l’on rencontre la même situation en pathologie mentale. « Un
dément précoce peut avoir une lueur ou une réminiscence suffisante pour dire qui est son père,
bien qu’il se croie habituellement issu d’une souche plus illustre. Mais le vrai problème est de
savoir comment la question se posait dans son esprit et si elle se posait. L’art du clinicien
consiste, non à faire répondre, mais à faire parler librement et à découvrir les tendances
spontanées au lieu de les canaliser et de 1es endiguer. Il consiste à situer tout symptôme dans
un contexte mental, au lieu de faire abstraction du contexte. » (Id., p. 7.) Le test, en revanche,
risque « de passer à côté des questions essentielles, des intérêts spontanés et des démarches
primitives » (Id., p. 8). Son utilité est ailleurs ; ici, il risque de fausser l’orientation d’esprit de
l’enfant.
Nous savons déjà qu’en faisant passer les tests de raisonnement de Burt aux petits
Parisiens, Piaget se demandait pourquoi ils répondaient juste et pourquoi faux. Cette attitude
clinique permet de dépasser le pur et simple constat pour entrer dans le fonctionnement même
de la pensée.
- Dolle J.M. (1997) Pour comprendre Jean Piaget, 3ème éd. entièrement revue et augmentée, Paris,
Dunod, p. 14-20.