Licence 2 de Psychologie PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PROJECTIVE1 ANNEXES 1. Généalogie de la méthode clinique en psychologie (tableau) 2. La méthode clinique dans l’œuvre de Jean Piaget (document) 3. La notion de situation clinique (document) 4. Instruments nomothétiques et idiographiques (document) 5. Classification des méthodes projectives (schéma) 6. La référence à la psychanalyse chez les psychologues cliniciens - L2 Psychologie : enseignement de Claude Bouchard, maître de conférences en psychologie clinique, Université Rennes 2 – mars 2016. 1 Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard 1 Annexe 1 – partie 1 GÉNÉALOGIE DE LA MÉTHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE (1) DES CONDUITES HUMAINES APPORTS À UNE DÉMARCHE D’ÉTUDE SINGULARISANTE SOURCES D’INFLUENCE L’Héritage médical La Psychologie des tests Médecine biologique (ou bio-médecine) Psychométrie Psychotechnique Recherche expérimentale 1. Importance de l’EXAMEN du corps du malade et de l’OBSERVATION dans la recherche de signes pathognomoniques Auscultation 1. Alfred Binet : a) Rôle de la suggestibilité de l’individu testé et de la SUGGESTION possible induite par le psychologue. b) Souci de fonder une pratique différentielle de la psychométrie : PSYCHOLOGIE INDIVIDUELLE. 2. Prise en compte du déroulement, de l’histoire de la maladie, et donc de l’histoire du malade : ANAMNÈSE. 3. Diagnostic différentiel AU CAS PAR CAS. 4. Notion de DIAGNOSTIC. 2. Jean Piaget : Mise au point d’une « méthode clinique » visant une exploration psychologique par progression ajustée de problèmes soumis à l’individu, au fur et à mesure et en fonction des réactions de celui-ci : MÉTHODE CLINIQUE ( Testing aux limites). 3. André Rey, René Zazzo, Daniel Lagache : Notion d’un examen psychologique complexe, non standardisé, progressivement adapté à la démarche diagnostique, hypothéticodéductive du psychologue : DIAGNOSTIC PROGRESSIF. Le Paradigme psychanalytique Psychothérapies psychodynamiques 1. Importance du CADRE (ou dispositif) comme conditions de production et référentiel interprétatif des phénomènes psychologiques étudiés. 2. Rôle déterminant de la RELATION MÉDECINMALADE dans l’observation et l’action psychologiques rôle du TRANSFERT dans cette interaction, à prendre en compte dans la relation thérapeutique et à interpréter. 3. Position obligée (technique) du psychothérapeute selon la double règle : - d’un auto-interdit du toucher (médical) ou règle d’abstinence ; - d’une attitude de non-jugement (médical et/ou moral) dite de NEUTRALITÉ BIENVEILLANTE. CLINIQUE Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard La Phénoménologie et la Psychologie existentielle Analyse ontologique ««L’existence l’essence»» L’existence précède précède l’essence 1. Mise en valeur des notions de SUJET, de SITUATION (« sujet-en-situation ») et de VÉCU du sujet. 2. Intérêt porté aux catégories existentielles propres au sujet selon les vecteurs de la spatialité, de la temporalité et de la corporéité ; et à ses axiomes de vie (valeurs, croyances, présupposés). 3. Méthode de RÉDUCTION (épochè) visant à dégager les essentiels du vécu du sujet et de son monde. Le Modèle projectif Tests de personnalité aperceptifs, interprétatifs ou d’expression 1. Déplacement d’un intérêt pour des fonctions ou des performances (imagination, perception, adaptation) sur les PROCESSUS IMPLICITES organisateurs de ces manifestations et leurs MODES DE STRUCTURATION typiques (ex : mode ou type d’appréhension au Rorschach, thème au TAT). 2. Usage d’un cadre d’examen psychologique, basé sur une consigne globale de « libre réponse » (= réponse librement interprétative) en fonction d’un stimulus de départ, standardisé, mais AMBIGU et / ou POLYSÉMIQUE. PSYCHOLOGIQUE 2 Annexe 1 – partie 2 GÉNÉALOGIE DE LA MÉTHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE (2) CLINIQUE D’UNE MÉTHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE AUX DIFFÉRENTES VOIES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES OU SPÉCIFIQUES 1. Notion de CAS : situation singulière d’un individu ou d’un groupe, considérée et construite comme objet unique, spécifique, de connaissance ou d’intervention psychologique. 2. Notion de DIAGNOSTIC PSYCHOLOGIQUE incluant un ENQUÊTE ANAMNESTIQUE. 3. En médecine psychiatrique, référence à des critères PSYCHOLOGIQUES d’interprétation diagnostique. 1. Notion d’USAGE CLINIQUE DES TESTS (Lagache) et de DIAGNOSTIC PROGRESSIF. 2. ANALYSE CLINIQUE (voire PSYCHOPATHOLOGIQUE) des épreuves psychométriques ou des échelles et inventaires de personnalité. 3. Pratique de COMPTE-RENDU QUALITATIF de l’examen psychologique et DÉONTOLOGIE de restitution de ce bilan. 4. SPÉCIALISATION d’une « psychologie clinique et pathologique » centrée sur l’homme malade (somato- et/ou psycho-pathologique). PSYCHOLOGIQUE 1. Prise en compte des EFFETS DE CADRE dans la relation psychologue / sujet : transfert, contre-observation, position impliquée du psychologue (= observation impliquée). 2. En conséquence, VIGILANCE IMPLICATIVE du psychologue (ou implication « bien tempérée ») 3. Attention portée à la DEMANDE de l’usager, c'est-à-dire, à son adhésion et à son engagement dans l’acte proposé, malgré des « résistances » inévitables et plus ou moins entravantes. (N.B. : Demande ≠ plainte ou sollicitation verbale d’une aide). 4. Stratégies d’exploration clinique alternant DIRECTIVITÉ et NON-DIRECTIVITÉ de la part du psychologue. 5. Prise en compte, dans l’acte psychologique, des phénomènes NON-CONSCIENTS, non maîtrisés (non-dits, lapsus, actes manqués, double sens, contradictions…), et autant du côté du sujet que du côté du psychologue. CLINIQUE Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard 1. Définition (et désignation) de l’usager comme SUJET. 2. Attention portée au contexte de l’intervention, compris pas seulement comme dispositif, mais aussi et surtout comme SITUATION VÉCUE par le sujet, selon ses modalités propres d’existence. 3. Centration de l’analyse psychologique sur les références existentielles et implicites du sujet (valeurs, croyances, représentations, principes de conduite), dans l’ICI-ETMAINTENANT de la rencontre (≠ recherche d’une causalité historique ou sociologique du « problème » à comprendre), afin d’en repérer la STRUCTURATION AXIOLOGIQUE propre au sujet ou Axiomatique (≠ structure de la personnalité au sens structuraliste psychanalytique du terme, selon les critères : topique, dynamique, économique et génétique – ou : relation d’objet, type d’angoisse, mécanismes de défense). 1. USAGE DIFFÉRENCIÉ des diverses méthodes dites projectives, selon les principes d’un diagnostic progressif, du « testing aux limites », et de la double référence Énigme / Intrigue. 2. Analyse interprétative basée non sur le « Quoi » ou le « Pourquoi » des réponses du sujet mais principalement sur le « COMMENT » (dynamique d’élaboration, processus), sur leurs constantes formelles (structuration des réponses), et sur leurs possibilités de modification (changements dans la durée, variété et modalités de changement) de ce « Comment » ( ANALYSE SÉQUENTIELLE ou sérielle). PSYCHOTHÉRAPEUTIQUE 3 Annexe 1 – partie 3 GÉNÉALOGIE DE LA MÉTHODE CLINIQUE EN PSYCHOLOGIE (3 DÉVELOPPEMENTS THÉRAPEUTIQUES CLINIQUE 1. Psychanalyse (au sens thérapeutique) selon la technique de la « cure type » : convocation, analyse et interprétation de productions dites inconscientes (règle de libres associations, analyse du récit des rêves du patient [≠ interprétation des rêves], développement et analyse d’une névrose de transfert.) 2. Méthodes d’aide psychologique ou de psychothérapie (individuelles, de groupe ou en groupe) se référant à la métapsychologie et / ou s’inspirant de la méthode psychanalytique et de ses techniques thérapeutiques : psychothérapies psychanalytiques, thérapies brèves psychanalytiques, coaching psychanalytique, etc. PSYCHOTHÉRAPEUTIQUE Méthodes d’aide psychologique et / ou de psychothérapie (parfois dites « humanistes ») selon les principes : de centration sur la personne, son actualité critique, et ses capacités d’auto-compréhension, d’auto-évaluation, d’autonomie, etc. d’interventions peu directives (non-directives ou semidirectives) : reformulation, ventilation des émotions, clarification critique (ou de crise), soutien, etc. 1. Psychothérapies utilisant les méthodes projectives comme outils de « médiation thérapeutique », sur le modèle des psychothérapies avec / par le jeu, le dessin, le jeu dramatique, le conte, etc. 2. Aide psychologique ou psychothérapie selon le principe du testing aux limites (Shneidman, Klopfer), dans une pratique itérative d’une méthode projective donnée : GUIDANCE PROJECTIVE (Villerbu & Pignol) – ex. : Village Imaginaire Itératif (Y. Denis). IMPORTANT : Du point de vue méthodologique, toute psychothérapie rigoureuse est clinique dès lors qu’elle adapte et module sa méthode au cas particulier de chaque « patient » auquel elle s’applique. Les différentes méthodes de psychothérapie se distinguent plus fondamentalement : a) par leur conception étiologico-thérapeutique de référence (conception psychologique de la « maladie » et de la « guérison ») ; b) par le choix et l’utilisation des techniques qu’elles vont privilégier pour mettre en œuvre cette conception dans le sens d’un « mieux-être » pour le patient ; c) et par l’explicitation de la congruence entre cette référence psychologique (herméneutique) et cette pratique (technique, déontologie), c’est-à-dire leur méthodologie (théorie de la cure). Autrement dit, les psychothérapies se différencient, moins par leur souci clinique (en principe inhérent à toute psychothérapie rigoureuse et authentique), que par ces trois critères qui en constituent le cadre (ou dispositif) spécifique pour chacune d’elles, avec une grande diversité de possibles à ce niveau. Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard 4 Annexe 2 LA MÉTHODE CLINIQUE dans l’œuvre de Jean Piaget2 Nous savons que les préoccupations de Piaget ont été tôt définies et que l’on peut les ramener à quelques grandes interrogations du type : quelle est la genèse des structures logiques de la pensée de l’enfant ; comment fonctionnent-elles ; partant, quels sont les procédés de la connaissance que l’enfant met en œuvre, ce qui pose le problème de l’épistémologie génétique dans le cadre de l’épistémologie générale. L’idée qu’il y a une genèse des formes logiques de la pensée conduit à se demander quelles sont les étapes de sa constitution et quel en est le fonctionnement. Or, pour aborder ce problème des structures logiques, quelles étaient, au moment où Piaget commençait ses travaux, les méthodes dont il pouvait disposer en psychologie ? La première était la méthode des tests. Or, en quoi consiste-t-elle ? « À soumettre – dit Piaget – l’enfant à des épreuves organisées de manière à satisfaire aux deux conditions suivantes d’une part, la question reste identique pour tous les sujets, et se pose toujours dans les mêmes conditions ; d’autre part, les réponses données par les sujets sont rapportées à un barème ou à une échelle permettant de les comparer qualitativement ou quantitativement. » - (La Représentation du monde chez l’enfant, 1926, p. 6.) En ce qui concerne le diagnostic individuel, cette méthode présente de gros avantages ; mais s’il s’agit de découvrir quels sont les mécanismes de la pensée, elle offre de gros inconvénients. D’abord les tests ne permettent pas une analyse suffisante des résultats, du moins pour la perspective où se place Piaget, ensuite ils risquent de fausser l’orientation d’esprit des enfants qu’on veut interroger, notamment parce qu’on leur suggère certains types de réponses. Par exemple, si l’on demande: « Qu’est-ce qui fait avancer le soleil ? », on suggère l’idée d’une œuvre extérieure et on provoque le mythe. « En demandant “comment avance le soleil ?” on suggère peut-être au contraire un souci du “comment” qui n’existait pas non plus et on provoque d’autres mythes. » (Id., p. 7). C’est pourquoi « le seul moyen d’éviter ces difficultés est de faire varier les questions, de faire des contre-suggestions, en bref, de renoncer à tout questionnaire fixe » (Id., p. 7). Piaget fait observer que l’on rencontre la même situation en pathologie mentale. « Un dément précoce peut avoir une lueur ou une réminiscence suffisante pour dire qui est son père, bien qu’il se croie habituellement issu d’une souche plus illustre. Mais le vrai problème est de savoir comment la question se posait dans son esprit et si elle se posait. L’art du clinicien consiste, non à faire répondre, mais à faire parler librement et à découvrir les tendances spontanées au lieu de les canaliser et de 1es endiguer. Il consiste à situer tout symptôme dans un contexte mental, au lieu de faire abstraction du contexte. » (Id., p. 7.) Le test, en revanche, risque « de passer à côté des questions essentielles, des intérêts spontanés et des démarches primitives » (Id., p. 8). Son utilité est ailleurs ; ici, il risque de fausser l’orientation d’esprit de l’enfant. Nous savons déjà qu’en faisant passer les tests de raisonnement de Burt aux petits Parisiens, Piaget se demandait pourquoi ils répondaient juste et pourquoi faux. Cette attitude clinique permet de dépasser le pur et simple constat pour entrer dans le fonctionnement même de la pensée. 2 - Dolle J.M. (1997) Pour comprendre Jean Piaget, 3ème éd. entièrement revue et augmentée, Paris, Dunod, p. 14-20. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 1 La seconde méthode était celle de l’observation pure. Certes, c’est de l’observation qu’il faut partir, à elle qu’il faut revenir, car si l’on veut savoir quels sont les intérêts spontanés des enfants, c’est bien à l’examen détaillé du contenu et de la forme de leurs questions qu’il faut se livrer. Le contenu des questions révèle les intérêts aux différents âges ; leur forme indique les solutions implicites que les enfants se donnent « car toute question contient sa solution par la manière dont elle est posée » (Id., p. 8). Partant, pour revenir à l’observation, c’est à partir de ces questions spontanées posées dans leur forme même à des enfants de même âge, ou plus jeunes, qu’il faut diriger la recherche. De là, on peut tirer quelques contre-épreuves. «On se rend compte alors si les représentations que l’on prête aux enfants correspondent ou non à des questions qu’ils posent et à la manière même dont ils posent ces questions. » (Id., p. 8.) Cependant, certains obstacles limitent l’usage de cette méthode. D’une part, elle est laborieuse et la qualité des résultats est au détriment de leur quantité car il est impossible d’observer un grand nombre d’enfants dans les mêmes conditions. D’autre part, elle présente deux inconvénients majeurs. Le premier tient à la structure de la pensée de l’enfant, pensée non socialisée, c’est-à-dire non fondée sur l’échange, sur la réciprocité des points de vue, et qui de ce fait contient, en tant qu’elle est implicite, des attitudes d’esprit, des schémas syncrétiques, qu’ils soient visuels ou moteurs, des préliaisons logiques, etc. Le second tient à la difficulté qu’il y a de distinguer chez l’enfant, à cause du symbolisme de sa pensée, le jeu de la croyance. Piaget voulait donc éviter et les inconvénients du test et ceux de la méthode de pure observation, mais en conservant les avantages de l’un et de l’autre. « Dépasser la méthode de pure observation, et, sans retomber dans les inconvénients du test, [...] atteindre les principaux avantages de l’expérimentation. » (Id., p. 10.) C’est pourquoi il emploie une méthode nouvelle déjà entrevue : la méthode clinique, inspirée de la méthode pratiquée par les psychiatres comme moyen de diagnostic et d’investigation. Ceux-ci, en effet, peuvent converser avec le malade, le suivre dans ses réponses mêmes « de manière à ne rien perdre de ce qui pourrait surgir en fait d’idées délirantes », mais aussi « le conduire doucement vers les zones critiques (sa naissance, sa race, sa fortune, ses titres militaires, politiques, ses talents, sa vie mystique, etc.) sans savoir naturellement où l’idée délirante affleurera mais en maintenant constamment la conversation sur un terrain fécond » (Id., p. 10). L’examen clinique tient à la fois de l’expérience, pour autant que l’interrogateur fait des hypothèses, fait varier les conditions en jeu, contrôle par les faits chaque hypothèse, etc., et de l’observation directe dans la mesure où « le bon clinicien se laisse diriger tout en dirigeant ». Si cette méthode est féconde pour les psychiatres, pourquoi ne pas l’employer en psychologie de l’enfant ? Si elle rend d’aussi grands services ailleurs, pourquoi s’en priver ? La méthode clinique de Piaget est donc une méthode de conversation libre avec l’enfant sur un thème dirigé par l’interrogateur qui suit les réponses de l’enfant, qui lui demande de justifier ce qu’il dit, d’expliquer, de dire pourquoi, qui lui fait des contre-suggestions, etc. « En suivant l’enfant dans chacune de ses réponses, puis, toujours guidé par lui, en le faisant parler de plus en plus librement, on finit par obtenir, dans chacun des domaines de l’intelligence (logique, explications causales, fonction du réel, etc.), un procédé clinique d’examen analogue à celui que les psychiatres ont adopté comme moyen de diagnostic. » (La pensée symbolique et la pensée de l’enfant, p. 276.) Cette méthode n’est pas sans inconvénients. Elle est d’abord difficile à pratiquer. Pour bien la maîtriser, il faut plusieurs années d’exercices quotidiens. « Il est si difficile de ne pas parler lorsqu’on questionne un enfant, surtout si l’on est pédagogue ! Il est si difficile de ne pas suggestionner ! Il est si difficile, surtout, d’éviter à la fois la systématisation due aux idées préconçues et l’incohérence due à l’absence de toute hypothèse directrice ! » Le bon expérimentateur doit, en effet, réunir deux qualités souvent incompatibles : savoir observer, c’est-àdire laisser parler l’enfant, ne rien tarir, ne rien dévier, et, en même temps, savoir chercher quelque chose de précis, avoir à chaque instant quelque hypothèse de travail, quelque théorie, juste ou fausse, à contrôler. Il faut avoir enseigner la méthode clinique pour en comprendre la Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 2 vraie difficulté. Ou bien les élèves qui débutent suggèrent à l’enfant tout ce qu’ils désirent trouver, ou bien ils ne suggèrent rien, mais c’est parce qu’ils ne cherchent rien, et alors ils ne trouvent rien non plus. « Bref, les choses ne sont pas simples, et il convient de soumettre à une critique serrée les matériaux ainsi recueillis. Aux incertitudes de la méthode d’interrogation, le psychologue doit, en effet, suppléer en aiguisant sa finesse d’interprétation. Or, ici de nouveau, deux dangers contraires menacent le débutant c’est d’attribuer à tout ce qu’a dit l’enfant, soit la valeur maximale, soit la valeur minimale. Les grands ennemis de la méthode clinique sont ceux qui prennent pour bon argent tout ce que répondent les enfants, et ceux qui refusent créance à n’importe quel résultat provenant d’un interrogatoire. Ce sont naturellement les premiers qui sont les plus dangereux, mais tous deux procèdent de la même erreur : c’est croire que ce que dit un enfant, pendant le quart d’heure, la demi-heure ou les trois quarts d’heure durant lesquels on converse avec lui, est à situer sur un même plan de conscience : le plan de la croyance réfléchie, ou le plan de la fabulation, etc. L’essence de la méthode clinique est au contraire de discerner le bon grain de l’ivraie et de situer chaque réponse dans son contexte mental. Or, il y a des contextes de réflexion, de croyance immédiate, de jeu ou de psittacisme, des contextes d’effort et d’intérêt ou de fatigue et surtout il y a des sujets examinés qui inspirent d’emblée confiance, qu’on voit réfléchir et chercher, et des individus dont on sent qu’ils se moquent de vous ou qu’ils ne vous écoutent pas. » (La Représentation du monde chez l’enfant, 1926, p. 12.) Il faut donc savoir tenir compte des réactions de l’enfant. Celui-ci peut répondre n’importe quoi parce que la question l’ennuie ou ne provoque aucun travail d’adaptation; il peut également inventer une histoire, fabuler, sans réfléchir. Mais aussi la question peut être suggestive et déclencher une croyance suggérée. L’interrogation peut également déclencher une croyance qu’il invente pour les besoins de la cause mais qu’il tire de son propre fonds. Enfin, la question n’est pas nouvelle pour l’enfant et la croyance spontanée s’exprime en vertu d’une réflexion antérieure originale. Quelles que soient les règles que Piaget se donne pour l’interprétation des réponses, celles-ci ne présentent qu’un intérêt historique lié à l’intelligence exprimée dans et par le langage et dont Piaget a abandonné l’étude par la suite, c’est pourquoi nous les laisserons de côté. Retenons donc que la méthode clinique consiste à converser librement avec l’enfant sur un thème dirigé, à suivre par conséquent les détours empruntés par sa pensée pour la ramener au thème pour en obtenir des justifications et en éprouver la constance, et à faire des contresuggestions. Opposée aux questions standardisées, elle préfère, à partir d’idées directrices préalables, adapter et les expressions et le vocabulaire et les situations elles-mêmes aux réponses, aux attitudes et au vocabulaire du sujet lui-même. La méthode clinique telle qu’elle vient d’être décrite ne s’est pas élaborée d’un seul coup mais en plusieurs étapes. On remarque en effet que, pour ses deux premiers ouvrages : Le Langage et la pensée chez l’enfant (1923) et Le Jugement et le raisonnement chez l’enfant (1924), groupés sous le thème Etudes de la logique de l’enfant, Piaget ne l’utilise pas encore totalement. Il recourt plutôt à l’observation pure. « On note, un mois durant, les propos spontanés de deux enfants de six ans au cours des classes du matin de la Maison des Petits, et sur ces 2900 observations on met à part les réponses fournies à des questions posées par la maîtresse ou par les camarades, pour calculer un coefficient d’égocentrisme et ses fluctuations. » (Le Langage et la pensée, chap. I). « On relève et on classe de même toutes les manifestations verbales d’une vingtaine d’enfants de quatre à sept ans quand ils se trouvent dans une salle d’école où ils ont toujours libre accès. » (Ibid., chap. III, 2ème éd., 1930)... Il en va de même pour l’étude portant sur les 1125 questions spontanées posées par le jeune Del, entre six et sept ans, à une observatrice, au cours d’entretiens journaliers de deux heures. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 3 « Pour l’étude du jugement et du raisonnement, le “matériel” est surtout constitué par des épreuves verbales, empruntées aux tests de Burt, Binet-Simon, Claparède, ou construites de même façon : test des frères, de gauche et de droite, définitions, critique de “phrases absurdes”, situations verbales, inclusions ou multiplications logiques (épreuves de Burt Édith, Lili et Suzanne ; tous et quelques ; âne, cheval et mulet, etc.). À l’occasion de ces épreuves toutefois s’instaurent déjà ces dialogues à la fois libres et plus fouillés, qui sont le propre de la méthode clinique. » (Psychologie et épistémologie génétique, thèmes piagétiens, p. 69-70.) Si les dénombrements, les calculs statistiques, les corrélations sont présents, ils vont disparaître au profit d’une analyse plus qualitative. On « écoutera parler », selon le mot de Claparède, par fidélité à la clinique, mais en abordant la conversation avec une idée préconçue, une hypothèse directrice. La Représentation du monde chez l’enfant (1926) et La Causalité physique chez l’enfant (1927) sont marquées davantage au sceau de la méthode clinique qualitative. Pour savoir par exemple quelles sont les représentations des enfants relatives au rêve, Piaget mène son interrogation selon quatre points : l’origine du rêve, le lieu du rêve, l’organe du rêve, le pourquoi des rêves. Engl. (8 1/2) : « D’où ça vient les rêves? – J’sais pas. – Dis ce que tu crois. – Du ciel. – Comment ça ? – ... – Où ils arrivent ? – Dans la maison. – Pendant qu’on rêve où est le rêve ? – A côté de nous. – Tu as les yeux fermés quand tu rêves ? – Oui. – Où est le rêve ? – Au-dessus. – On peut le toucher ? – Non. – Le voir ? – Non. – Quelqu’un à côté de toi pourrait le voir ? – Non. – Avec quoi on rêve ? – Avec les yeux. » (La Représentation du monde chez l’enfant, p. 83.) Cependant, c’est dans La Causalité physique chez l’enfant que l’on voit s’amorcer une modification, un infléchissement, de la pratique de la méthode clinique, pourtant inchangée pour l’essentiel, en ce sens que l’on passe d’une « méthode toute verbale » à une « méthode mi verbale, mi concrète ». « On énumère à l’enfant un certain nombre de mouvements (celui des nuages, des ruisseaux, des pièces d’une machine, etc.) et l’on demande le pourquoi et le comment de ces mouvements. On obtient ainsi une vue plus directe sur la dynamique de l’enfant, mais cette vue est encore entachée de verbalisme, faute de manipulations possibles. » (La Causalité physique chez l’enfant, p. 3-4.) Pour finir, on voit apparaître une troisième méthode, appelée « méthode directe », procédant toujours de la méthode clinique mais s’appliquant à un matériel concret, et non plus verbal cette fois, et telle qu’on « institue devant l’enfant quelques petites expériences de physique et l’on demande le pourquoi de chaque événement. On obtient ainsi des renseignements de première main sur l’orientation d’esprit des enfants. » (Ibid., p. 3-4.) La méthode clinique demeure bien une méthode de libre conversation dirigée sur un thème, mais elle passe d’un « matériel » purement verbal à un « matériel » constitué par des expériences placer les enfants devant un verre d’eau, leur donner des cailloux, des morceaux de bois, de liège, de cire, etc., et leur demander ce qui se passera si on les met dans l’eau, d’expliquer ce qui se passe en fait quand un gros morceau de liège flotte alors qu’un caillou plus petit et moins lourd va au fond, pourquoi le caillou ne flotte pas alors que le bois flotte, etc., ou encore d’expliquer le mécanisme de la bicyclette par un dessin. On conserve encore le langage, mais celui-ci ne constitue plus le seul support de l’expérience ; il commence à n’intervenir que pour justifier des actions concrètes réellement effectuées. Il y a donc, au cours de cette période, d’abord une prise de conscience de l’inadéquation de la méthode des tests à l’objet d’étude que se propose Piaget. A partir de là il conçoit peu à peu une méthode appropriée qu’il met en œuvre et rectifie par approximations successives et au fur et à mesure qu’il cerne davantage son champ expérimental. Dans Le Langage et la pensée chez l’enfant (1923) et dans Le Jugement et le raisonnement chez l’enfant (1924) on voit ce glissement insensible s’opérer pour parvenir, avec La Représentation du monde chez l’enfant Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 4 (1926) à une explicitation nette. Puis, avec La Causalité physique chez l’enfant (1927), les choses changent et l’on assiste à un infléchissement dans le sens de la manipulation comme base et support de tout entretien. Ainsi se traduit le changement de perspective où Piaget va se situer progressivement, c’est-à-dire le passage d’une appréhension de la logique enfantine dans le langage à une appréhension de la logique enfantine dans l’action, sans que le langage soit exclu (mais il n’interviendra plus au même titre) et sans que l’essentiel de la méthode clinique soit modifié. -o- Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 5 Annexe 3 LA NOTION DE SITUATION CLINIQUE3 Deux modèles se situent aux extrêmes de la psychologie clinique. Le premier, celui de la psychologie expérimentale a des résonances liées à l’objectivité et à la rigueur ; le deuxième, celui de la psychothérapie, renvoie aux changements et à l’aide. Ils constituent à la fois un appui et un risque, et, comme toujours, une tentation. Entre « science » et « soin », la méthode clinique cherche, néanmoins, à dessiner une voie propre et à établir les conditions de la rencontre avec le sujet. C’est effectivement d’une rencontre entre le sujet et le psychologue clinicien qu’il s’agit. Rencontre marquée par une définition – parfois implicite, le plus souvent explicitée – en tant que moment d’évaluation. La rencontre n’est ni gratuite ni immotivée, elle répond à une demande, et se doit de répondre à un questionnement. En effet, la rencontre clinique a une cause en amont (demande, questionnement) et donc a des conséquences en aval (un diagnostic, une orientation, un conseil, etc.). Et, entre deux, dans la rencontre meme sont aussi présents des déterminants psychiques et sociaux : les implications et les origines de la demande, mais aussi les représentations sociales que sujet et clinicien se font de la situation. Ce sont souvent des déterminants implicites dans une rencontre qui est, de surcroît, asymétrique. L’espace de la rencontre clinique est donc, pour commencer, un espace de négociation implicite des attentes mutuelles. Grossen (1988)4 fait remarquer que « le contexte social de présentation d’une tâche ne peut donc se décrire en termes de caractéristiques objectives (c’est-à-dire externes). Il s’agit plutôt d’examiner comment le sujet interprète cette situation, autrement dit quelles sont les significations qu’il attribue à la situation et à la tâche. Ces significations jouent le rôle de médiateurs entre le sujet et la tâche : c’est par elles que le sujet appréhende la tâche et actualise sa réponse. » Il ne faut pas se cacher cet aspect : le clinicien va se donner les moyens de caractériser un fonctionnement du sujet, c’est-à-dire, de faire des jugements, même si ceux-ci ne sont pas d’ordre moral. Le sujet aussi bien que le clinicien arrivent à cette situation de rencontre avec leurs histoires psychiques, leurs attentes respectives (réelles ou supposées), leurs craintes, leurs défenses, et leurs instruments relationnels. C’est un espace très chargé. Cela va constituer un champ virtuel (la situation clinique). Un présupposé de base valide cette situation : ce qui s’actualisera dans ce champ virtuel aura une valeur informative du fonctionnement global du sujet investigué. Il s’agit donc d’une démarche créative, ou analytico-synthétique, par laquelle le clinicien effectue un travail de pensée consistant à créer une représentation du fonctionnement mental de son sujet, en tenant compte aussi bien des éléments individuels que des éléments d’encadrement que peuvent lui offrir les modèles théoriques de fonctionnement, les modèles structuraux, les modèles de développement, etc. On pourrait dire qu’il s’agit de l’étude d’une totalité singulière active dans le cadre d’une situation relationnelle. -o- 3 - Sanzána A. (1997). Méthodes et techniques, in : Perron R. et coll., La pratique de la psychologie clinique, Paris, Dunod, p. 119-154. 4 - Grossen M. (1988). L’intersubjectivité en situation de test, Fribourg (Suisse), éd. Delval. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 6 Annexe 4 INSTRUMENTS NOMOTHÉTIQUES ET IDIOGRAPHIQUES5 Dans la création et le développement d’outils psychométriques, de questionnaires ou de tests de personnalité, deux grandes approches se distinguent. D’une part, il existe l’approche nomothétique6 qui vise à la découverte et à l’analyse des lois générales et communes de la personnalité pour un groupe ou un sous-groupe d’individus, un inspiration psychométrique d’inspiration nomothétique permet, par exemple, au clinicien de dire si un individu en particulier présente les caractéristiques habituelles des gens souffrant d’une psychopathologie particulière, en comparant un individu à un groupe clinique souffrant de dépression, par exemple, ou encore en comparant certaines caractéristiques de personnalité ou des comportements d’un individu à la moyenne de la population. Ce genre d’instrument nomothétique est en général conçu de façon empirique, trouvant sa force dans des bases de données importantes basées sur la comparaison entre diverses populations cliniques obtenue grâce à des calculs statistiques sophistiqués. Ces instruments s’intègrent particulièrement bien à des diagnostics basés sur la description de syndromes ou de comportements tels les diagnostics du DSM-IV par exemple. Une telle méthodologie oblige toutefois l’expert à considérer les résultats d’un test dans ce qu’ils peuvent signifier pour un plus grand nombre de gens, sur le modèle de la courbe normale de la population, au détriment de la compréhension de ce qui peut être spécifique à un individu. Dans ce sens, les limites principales de ce type d’instrument se situent au niveau de l’absence de renseignement concernant la spécificité de l’individu, l’absence d’explication liée au sens d’un état psychologique donné, ainsi que dans la faiblesse à décrire et expliquer une personnalité normale. L’approche idiographique7 du diagnostic, quant à elle, s’intéresse plutôt à découvrir et à faire ressortir ce qui est unique chez un individu, ce qui le différencie des autres, ce qui constitue sa singularité. En général, en général les cliniciens utilisant pour leurs diagnostiques des théories psychodynamiques, ainsi que les psychologues dont la pratique psychothérapique est d’inspiration psychanalytique, privilégieront des méthodes diagnostiques idiographiques. La richesse clinique qui découle d’une telle méthodologie s’obtient cependant parfois au détriment d’une classification nosographique. Toutefois, cette approche doit se fonder sur une connaissance approfondie d’une théorie de la personnalité. Puisqu’elle vise à expliquer le sens de la psychopathologie et la vision du monde d’un individu, à décrire son monde subjectif conscient et inconscient, cette méthode trouve ses limites dans la difficulté de comparer 5 - Brunet L. (2005). « Les instruments projectifs en expertise psycholégale », in : Brunet L. (Ed.). L’expertise psycholégale. Bases méthodologiques et déontologiques, Sainte-Foy (Québec, Canada), Presses de l’Université du Québec, p. 329-351. 6 - Du grec ancien nomos, qui renvoie à l’idée de « loi », d’abord au sens juridique, puis au sens scientifique. En science, une approche nomothétique vise à tirer des lois générales à partir de faits constatés. (Note C.B.) 7 - Du grec ancien idios (ἴδιος) : « propre, particulier », comme dans le mot français idiome, qui désigne une langue particulière, propre à une région par exemple. Autres exemples en français : idiot, idiotisme, idiopathie, idiosyncrasie, idoine. (Note C.B.) Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 1 des individus entre eux, ou de situer un individu par rapport à une norme statistique. C’est cependant une approche qui permet de décrire tant la personnalité normale que pathologique dans leur complexité et leur singularité. Plusieurs instruments projectifs, et particulièrement le Rorschach, ont vu se développer des méthodes de cotation et d’analyse s’inspirant de la philosophie nomothétique (comme le SAT-9 et l’AT-9, voir Brunet, 1997), alors que d’autres instruments, comme le T.A.T., tout en proposant des méthodes d’analyse qualitative fort bien balisées et systématisées (Morval, 1978) demeurent nettement de conception idiographique. Le Rorschach est dans une position unique dans le monde des instruments projectifs. Il est sûrement l’instrument projectif le plus largement utilisé mais, de plus, il a donné lieu à de nombreuses méthodes de cotation et d’analyse, allant d’approches résolument nomothétiques, statistiques et normatives jusqu’à des modèles d’analyse de contenu ou d’analyse qualitative sans cotation préalable. Par exemple, les méthodes d’analyse quantitatives, comme celle d’Exner (1898, 1991) ou de Klopfer (1942), reposent généralement sur une philosophie nomothétique du diagnostic. Par un travail de codification des réponses qui se veut de plus en plus sophistiqué, une comptabilisation des cotes obtenues permet de comparer l’individu à son groupe d’appartenance et d’en tirer des conclusions diagnostiques. Obligatoirement, une telle méthode oblige à analyser les protocoles d’un test projectif dans ce qu’ils peuvent signifier pour un plus grand nombre de gens, sur le modèle de la courbe normale de la population. Par contre, une analyse qualitative de contenu au Rorschach se situe nettement dans le courant idiographique qui recherche ce qui est unique à l’individu, ce qui le distingue de l’ensemble. Ainsi, divers modèles d’analyse qualitative, la plupart du temps inspirés des théories psychanalytiques, ont la faveur des psychologues européens. Ces méthodes sont quelquefois critiquées pur leur absence de systématisation ou parce qu’elles demandent aux psychologues un important bagage théorique au plan psychanalytique (Granger, 1996). Il existe cependant des travaux balisant et guidant des modèles d’analyse qualitative des instruments projectifs, comme ceux de Morval (1977) et de Shentoub (1990) pour le T.A.T. et de Brunet (1998) pour un modèle d’administration associative du Rorschach. En plus de ces deux grandes visions psychométriques (nomothétique et idiographique), il existe une controverse sur la nature même de la tâche psychique qu’implique un test projectif. S’agit-il de l’organisation d’une perception ou d’une projection ? Ainsi, une partie des auteurs et théoriciens du Rorschach voient dans la réponse au Rorschach une tâche de perception et d’organisation de celle-ci effectuée par le sujet.8 Exner (1989), par exemple, va même jusqu’à dire que c’est une erreur malencontreuse que d’avoir désigné (mislabeled) le Rorschach comme un instrument projectif. Par contre, d’autres auteurs voient plutôt dans la réponse au Rorschach le résultat d’un processus de projection. C’est-à-dire que la carte [planche] constitue un stimulus invariable, bien que non neutre, sur lequel l’individu projette quelque chose de son monde intérieur, de son organisation psychique, de ses fantasmes et de ses désirs singuliers. La différence entre ces deux conceptions du travail psychique exigé par le 8 - C’est la position originelle de Hermann Rorschach lui-même lorsqu’il invente et théorise son test. (Note C.B.) Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 2 Rorschach est non seulement importante, mais elle donne lieu implicitement à des systèmes de cotation, d’administration et d’analyse distincts. Les implications des deux conceptions de la tâche imposée au sujet par l’instrument projectif font que certains modèles, comme celui d’Exner, feront porter leur analyse sur la façon dont un individu organise sa perception, en cherchant à retrouver des tendances communes à certaines populations, de façon empirique souvent, ce qui permet d’identifier ainsi des groupes psychopathologiques. Par contre, concevoir la tâche à partir de l’idée de projection implique implicitement qu’une grande importance est accordée au contenu verbal, au choix des mots utilisés, aux thématiques et à la séquence des réponses en tant qu’ils sont indicateurs d’un fonctionnement inconscient, d’une dynamique psychique dans laquelle des conflits et fantasmes se manifesteraient après avoir fait l’objet d’une certaine censure et d’une déformation. Le concept psychométrique est évidemment inspiré en droite ligne du concept psychanalytique de projection, mais il ne le recouvre cependant pas. Plus précisément, le concept psychométrique de projection se rapproche des théories de la perception, de la mémoire et de la cognition en ce qu’il suppose que l’individu pallie le flou d’un stimulus en y ajoutant quelque chose qui lui est propre. A partir de ce « quelque chose », les psychologues tentent d’en inférer les désirs, traits de personnalité et états affectifs du sujet. Le concept psychanalytique de projection est quant à lui plus restrictif puisqu’il postule que la projection du sujet est davantage liée à une tentative inconsciente de l’individu de l’individu d’attribuer à l’autre ce contre quoi il doit se défendre à l’intérieur de lui-même, ce qu’il refuse de reconnaitre comme lui appartenant (pulsion qui le déborde, angoisse…). Ce qui est « projeté » dans un test projectif serait donc une véritable « formation de compromis » entre, d’une part, ce qui peut être projeté au sens dynamique psychanalytique du terme et, d’autre part, ce qui peut être conçu comme une tentative du Moi de lier cette projection au processus cognitif, organisateur d’une perception déficiente. L’art de l’analyse qualitative d’un test projectif consiste à départager ce qui appartient à chacun de ces deux niveaux ; c’est-à-dire ce qui appartient au processus d’organisation perceptuelle de ce qui appartient au processus projectif à proprement parler. Toutefois, les deux niveaux sont intimement intriqués. Bien que des auteurs comme Chabert (1983) et Schafer (1954) aient tenté d’allier le meilleur de ces deux mondes, les deux grands modèles psychométriques coexistent toujours dans l’utilisation des techniques projectives : le modèle nomothétique/perception et le modèle idiographique/projection. Chacun présente des avantages et des limitations, et chacun permet de fournir une approche très riche à un [examen psychologique]. » Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 3 Annexe 5 ÉNIGME prototype : Rorschach test de Rorschach test de frustration de Rosenzweig Compréhension Arrangement d’images test du Village test du Monde test du gribouillis, "squiggle" D 10 figure complexe de Rey (FCR) Assemblage d’objets Complètement d’objets VERBAL NON-VERBAL TAT CAT, Patte Noire Symonds, DPI fables de Düss test des contes MAPS Scéno-test dessin d’un personnage dessin de famille marionnettes INTRIGUE prototype : TAT Classification des méthodes projectives selon le double critère Énigme / Intrigue + Verbal / Non-verbal N.B. : Les noms d’épreuves écrits en italiques sont ceux de subtests des échelles d’intelligence de Wechsler (WAIS et WISC) lorsqu’on les étudie dans une perspective clinique et du point de vue psychopathologique. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 1 Annexe 6 La référence à la psychanalyse chez les psychologues cliniciens L’une des particularités des psychologues cliniciens en France (au point que l’on parle parfois de « cas français » à ce propos) est leur référence fréquente et parfois exclusive à la psychanalyse dans leur discours théorique comme dans leur pratique. Comme nous aurons l’occasion de le constater à plusieurs reprises par la suite, clarifions dès à présent ce point. On peut rendre compte de ce phénomène par deux raisons principales. La première est liée aux options humanistes de l’inventeur du psychologue clinicien, c’est-à-dire Lagache lui-même. Bien qu’il ait d’emblée conçu la formation du psy1 chologue comme pluridisciplinaire , sa conception générale de la psychologie clinique (au sens de « pratique psychologique ») et du psychologue est manifestement déterminée par des choix précis. On y reconnaît surtout l’influence : - de la médecine : notions de clinique, de cas, de diagnostic, de pronostic, importance accordée à l’histoire de la maladie (anamnèse), conception du pathologique comme un degré qualitatif du normal, notion médico-sociale d’inadaptation ; - de la philosophie existentialiste et phénoménologique : notions de personne-en-situation, de signification (« il n’y a pas de situation qui ne soit situation-pour-un-organisme »), de valeur (orientation de la conduite) ; - de la psychanalyse : notions de conduite (plus globale que celle de « comportement » et qui inclut les phénomènes 2 psychiques internes, y compris inconscients) , de conflit psychique, de transfert (la psychologie clinique travaille « avec » le transfert et non « sur » le transfert) ; 1 - Dès la période où il enseignait la psychologie à la Faculté des Lettres de Strasbourg (en philosophie), Lagache avait créé des certificats de psychopathologie et de psychologie sociale. La licence créée à la Sorbonne en 1947 était une licence de « Psychologie générale » et comportait quatre certificats : Psychologie de l’enfant et de la pédagogie Psychologie de la vie sociale – Psychopathologie – Psychophysiologie. Dans les années 1950, Lagache a favorisé, à l’Institut de Psychologie de Paris, la fondation du premier laboratoire de Psychologie sociale en France, puis la création d’un laboratoire de Psychologie expérimentale. Le premier laboratoire universitaire de Psychologie clinique ne sera créé qu’en 1965, au Centre Censier (Paris), par Juliette Favez-Boutonier, successeur de Lagache à la chaire de Psychologie de la Sorbonne à partir de 1959. 2 - On peut aussi reconnaître ici l’influence de Janet : « Le fait psychologique n’est ni spirituel, ni corporel ; il se passe dans l’homme tout entier, puisqu’il n’est que la conduite de cet homme prise dans son ensemble. Un sentiment n’est pas plus dans l’âme qu’il n’est dans le ventre, il est une modification de l’ensemble de la conduite. » (La psychologie de la conduite, 1936) - « La psychologie de la conduite est, d’une manière générale, l’étude de l’homme dans ses rapports avec les autres hommes. » (De l’angoisse à l’extase, 1926, II, p. 36). - de la psychologie sociale : notions de situation sociale d’examen ; théorie de la personnalité intégrant la notion de relations interpersonnelles et de socialisation. Parmi ces diverses influences (et d’autres encore), celle de la psychanalyse est assez forte, et apparaît notamment 3 dans l’ambiguïté avec laquelle Lagache aborde la question de l’usage des tests dans le diagnostic psychologique, ainsi que dans la façon dont il positionne la notion de conduite en psychologie (Gori, Miollan, 1983). Concernant le diagnostic psychologique, Lagache privilégie nettement l’anamnèse et l’observation clinique, et tend à considérer l’emploi des tests comme secondaire, utile surtout lorsque l’investigation ne peut s’en passer. « Certaines techniques seront fondamentales, et peuvent à la rigueur se passer des autres, alors que la réciproque n’est pas vraie. À nos yeux, sont fondamentales les techniques historiques et l’observation clinique. » (Lagache, 1949, rééd., p. 173) « Les tests, surtout les tests dits “de performance” présentent un énorme avantage, celui d’introduire un “matériel” entre le clinicien et le consultant, avantage perceptible nettement lorsque l’entretien devient laborieux et stérile. » - (ibid., p. 168-169) Il est clair, d’autre part, que Lagache conçoit l’investigation clinique en fonction des deux références historiques de la médecine et de la psychanalyse, posées comme exemples d’une clinique « pure ». La psychanalyse notamment est présentée comme « une sorte “d’ultra-clinique” » dans la mesure où « elle porte les caractéristiques méthodologiques essentielles [de la psychologie clinique] à une puissance plus élevée » (ibid., p. 170). L’autre raison permettant de comprendre l’affinité des psychologues cliniciens pour la psychanalyse en France est politique. Jusque dans les années 1960-70 les psychologues étaient généralement affectés à des tâches d’évaluation et de conseil. L’essor de leurs pratiques les a progressivement conduits à investir d’autres types de tâches, notamment de diagnostic, de psychothérapie, et d’interventions sur des dispositifs institutionnels. La référence à la psychanalyse a été un puissant moyen pour se différencier et s’imposer sur un terrain jusque là dévolu aux médecins. Cet essor s’est fait à l’occasion d’une période de sensibilité critique à l’égard des appareils institutionnels hérités du XIXe siècle (la psychiatrie asilaire, les pratiques disciplinaires d’enfermement, l’assistanat social, la normalisation scolaire). L’appui sur la psychanalyse a permis aux psychologues de se situer dans ce débat sociopolitique et d’en dégager un positionnement nouveau dans tous les champs institutionnels où ils s’inscrivaient déjà (santé, éducation, justice, 3 - Gori et Miollan vont jusqu’à parler de « duplicité stratégique et épistémologique » à propos de la façon dont Lagache articule le rapport psychologie clinique / psychanalyse (Gori, Miollan, 1983). Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 1 travail social), souvent en se faisant les promoteurs ou l’écho de cet esprit critique et de ses conséquences dans les pratiques. Le transfert en psychologie et en psychanalyse « La notion de transfert est centrale dans le déroulement de la cure analytique. Grâce au cadre qui lui est fourni par l’analyse et l’analyste, cadre précis, fiable, suffisamment neutre, le patient va pouvoir projeter sur l’ensemble “cadreanalyste” ses relations avec les figures fondamentales de son enfance, ses modes d’être et de fonctionner. L’analyse du transfert est donc fondamentale puisqu’elle va permettre à l’analyste de se représenter comment et avec qui chaque patient a construit sa personnalité, son imaginaire, ses fantasmes, ses défenses. Mais l’élaboration du transfert dans la cure ne constitue pas seulement une répétition ; elle consiste également en une “re-création” d’un mode d’être et de penser différent, elle est l’œuvre conjointe du patient et de l’analyste. « Ce n’est pas le phénomène de transfert lui-même qui est spécifique de la cure : un patron, un enseignant, un ami ou un amant peuvent également faire l’objet d’un transfert. Il ne leur est pas demandé, pour autant, ni d’en tenir compte, ni, a fortiori, de l’analyser. Ce qui est spécifique de la cure, c’est précisément l’analyse du transfert et la place, tout à fait particulière, qu’y tient l’analyste, personnage dont le rôle et la manière de répondre (l’interprétation) sont tout à fait différents des modes habituels de relation. « Les psychologues font, eux aussi, l’objet d’un transfert et ceci avant même le début de toute prise en charge. Ils suscitent des représentations diverses : ils peuvent même susciter peur, envie, jalousie, etc. Bref, ils n’existent pas en tant qu’eux-mêmes mais pour ce qu’ils représentent dans les fantasmes des patients, voire même d’autres professionnels de la santé ou de tout autre secteur d’activité professionnelle. Par ailleurs, en tant que membre d’une institution, quelle qu’elle soit, le psychologue suscite également des représentations liées à tel ou tel aspect de sa mission, du rôle qu’il occupe dans cette institution, ou de tel ou tel caractère de cette institution. Tout soignant représente peu ou prou une figure parentale à laquelle on vient demander aide ou secours, le psychologue lui aussi. « Occulter cette dimension du transfert, ignorer ce qui se répète, ici et maintenant, d’un ailleurs et autrefois, avec un autre, rend tout travail psychique vide de sens. Mésestimer la présence, la force et les effets du transfert, voire même de son absence, revient à dévitaliser toute relation psychologue-sujet. » - (Fua, 1997, p. 24-25) Par-delà ces raisons historiques, il convient toutefois de ne pas confondre psychologie clinique et psychanalyse. Rappelons d’abord que, selon Freud lui-même, la psychanalyse est : - « une méthode d’investigation consistant essentiellement dans la mise en évidence de la signification inconsciente des paroles, des actions, des productions imaginaires (rêves, fantasmes, délires) d’un sujet. » (Laplanche, Pontalis, 1976, p. 351). Cette méthode peut s’effectuer au moyen des libres associations du sujet, mais elle peut aussi s’en passer lorsqu’elle s’étend à d’autres productions humaines (sociales ou artistiques, par exemple). - « une méthode psychothérapique fondée sur cette investigation et spécifiée par l’interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir. » (ibid.). C’est ce qu’on appelle parfois la cure psychanalytique. - « un ensemble de théories psychologiques et psychopathologiques où sont systématisées les données apportées par la méthode psychanalytique d’investigation et de traitement » (ibid.). Ceci étant rappelé, quels sont les emprunts des psychologues cliniciens à la psychanalyse, et à quel titre ? a) Sur le plan théorique, le modèle du psychisme et de la personnalité que propose la pensée psychanalytique est l’un de ceux qui répondent le mieux à la volonté de la psychologie clinique de s’intéresser à la personne globale, de penser la conduite comme un ensemble dynamique impliquant des interactions intra- et inter-individuelles, et de concevoir les difficultés ou les troubles étudiés comme n’étant pas de nature différente de ce qui détermine la conduite dite « normale ». Cependant, d’autres approches théoriques comme d’autres champs de la psychologie peuvent aussi répondre à cette option globaliste et psychodynamique. Ainsi, à la différence du psychanalyste, qui se réfère uniquement à la pensée psychanalytique, le psychologue clinicien lui peut s’autoriser à puiser à des sources théoriques ou disciplinaires multiples et variées, pourvu qu’elles correspondent à son objectif général d’étudier une conduite singulière en situation. Les différentes influences repérables dans la démarche de Lagache (voir plus haut) témoignent de la pluralité théorique possible en ce sens. b) Sur le plan technique, la notion de conduite telle que la propose Lagache implique de prendre en compte des aspects non directement observables du « cas » étudié. Autrement dit, ce qu’observe le psychologue et ce sur quoi il travaille, n’est pas totalement accessible immédiatement et doit être inféré à partir du comportement apparent. D’autre part, la même notion de conduite amène à considérer que l’observation ou l’intervention menée par le psychologue participe de la situation dans laquelle se trouve actuellement le sujet observé. Ce qui signifie que le psychologue doit prendre en compte, dans son observation ou dans son action, la relation qu’il entretient avec le sujet et utiliser les effets de cette relation comme source d’informations compréhensives. La technique psychanalytique a particulièrement bien intégré et développé cette double exigence d’observation par inférence (ou interprétative) et d’observation participative (ou « sous transfert »). D’où l’intérêt référentiel que peuvent y trouver les psychologues cliniciens. Mais là encore, ceux-ci peuvent s’appuyer, dans le même esprit, sur d’autres concepts techniques ou d’autres stratégies techniques que ceux de la psychanalyse. L’implicite non immédiatement observable de la conduite peut être renvoyé par exemple aux notions de schème existentiel, de système d’appartenance, de norme d’internalité, de structure cognitive... Quant à la prise en compte compréhensive de la relation psychologue-sujet, elle peut être théorisée par exemple en termes de processus d’attribution, d’interactions d’attitudes et contre-attitudes, d’influences, ou de communication circulaire. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 2 Traditionnellement, on dit que le psychologue clinicien travaille « avec » le transfert et non « sur » le transfert. On veut dire par là qu’il prend en compte les effets psychiques de la relation psychologue-sujet (il les accepte comme inévitables et inhérents à son observation, et les intègre dans son travail compréhensif), mais qu’il n’en fait pas le ressort principal de son action, à la différence du psychanalyste qui s’en saisit comme l’un des lieux de manifestation de l’inconscient (cf. notion d’analyse du transfert). c) Du point de vue de l’exercice, enfin, les fonctions du psychanalyste sont généralement d’être psychothérapeute (la psychanalyse est une forme de psychothérapie), ou d’intervenir dans des pratiques de formation qui vont consister à optimiser l’usage de la relation professionnelusager dans les pratiques de soin, d’éducation, de travail social, sur le modèle de l’analyse compréhensive du transfert (c’est ce qu’on appelle la « supervision » analytique). Le psychologue clinicien, quant à lui, peut exercer des fonctions plus diversifiées, et dans des secteurs plus variés que le psychanalyste. Références bibliographiques Fua D. (dir.) (1997). Le métier de psychologue clinicien, Paris, Nathan. Gori R., Miollan C. (1983). Psychologie clinique et psychanalyse : d’une inquiétante familiarité, Connexions, 40, 7-29. Lagache D. (1949). Psychologie clinique et méthode clinique, in : Le psychologue et le criminel. Œuvres II, Paris, P.U.F., 1979, p. 159-178. Laplanche J., Pontalis J.B. (1976). Vocabulaire de la ème psychanalyse, 5 éd., Paris, P.U.F. Psychologie clinique et projective L2 : cours C. Bouchard – Annexes 3 Licence 2 : Psychologie clinique et projective – cours C. Bouchard 1