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Place des formes orales du 5-Fluorouracile
dans la prise en charge du cancer colorectal
J. Desramé *, A. Carde **, D. Béchade *
A
Avec 36 000 nouveaux
cas par an et 16 000
décès annuels, le cancer
colo-rectal est un des cancers les
plus fréquents en France. Si la
chirurgie reste le traitement de
référence de ces tumeurs, la chimiothérapie a désormais une
place importante dans leur prise
en charge.
Elle a montré son intérêt en termes de
survie en situation adjuvante pour les
tumeurs de stade III de l’UICC et en
situation palliative. Le 5FU, antimétabolite de type antipyrimidique, modulé
par l’acide folinique, est aujourd’hui la
drogue pivot dans la prise en charge de
ce cancer (1). Cependant, la chimiothérapie s’accompagne d’une toxicité
notable. Par ailleurs, elle impose aux
patients des séjours répétés à l’hôpital
et, le plus souvent, la mise en place
d’une chambre de perfusion implantable qui expose à la survenue de complications. De plus, les schémas utilisant des perfusions longues de 5FU
nécessitent le port de dispositifs de perfusion continue pendant plusieurs jours
par mois (4 en moyenne). L’utilisation
de produits de chimiothérapie par voie
orale pourrait permettre de s’affranchir
de ces différents facteurs et ainsi
d’améliorer la qualité de vie des
patients.
* Clinique médicale, HIA du Val-de-Grâce,
Paris.
** Pharmacie hospitalière,
HIA Val-de-Grâce, Paris.
Une étude récente a montré que 89 %
des patients traités pour un cancer souhaitaient recevoir une chimiothérapie
par voie orale afin de pouvoir bénéficier d’un traitement à domicile et éviter les complications liées à l’abord veineux. Cependant, 70 % des patients
n’étaient pas prêts à accepter une
moindre efficacité du traitement (2).
Dans une autre étude, de préférence en
crossover, des patients traités pour un
cancer colique ont reçu à la fois un traitement oral et un traitement parentéral.
Quel que soit l’ordre de la séquence
thérapeutique (oral puis parentéral, ou
parentéral puis oral), 84 % des patients
ont préféré le schéma oral (3).
Le 5FU n’étant pas utilisable par voie
orale en raison de la grande variabilité
inter- et intra-individuelle de sa biodisponibilité, des formes orales de chimiothérapie dérivées des fluoropyrimidines
ont été développées pour tenter de
répondre à l’attente des patients : la
capécitabine (Xeloda®), l’association
tégafur/uracile (Uft®), l’association tégafur/CDHP/OXO (S-1), l’association
5FU. En France, seuls le Xeloda® et
l’Uft® sont disponibles (le S-1 a été
essentiellement utilisé au Japon et le
développement
de
l’association
5FU/eniluracile a été récemment interrompu au vu des résultats d’une étude
de phase III qui a montré une efficacité
inférieure de cette association comparée
à celle d’un schéma classique de 5FU
par voie IV). Après un bref rappel sur le
métabolisme du 5FU, nous rapporterons
les données de la littérature disponibles
sur ces deux produits et tenterons de
définir la place qu’ils peuvent avoir
dans la prise en charge du cancer colorectal en situation palliative, adjuvante
et en association avec la radiothérapie.
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 5, juin 2003
Métabolisme du 5FU
(schéma 1)
Le 5FU agit essentiellement par le biais
d’une inhibition de la synthèse de
l’ADN. Après pénétration dans la cellule, l’action cytotoxique du 5FU va
principalement s’exercer pendant la
phase S du cycle cellulaire, par inhibition compétitive de la thymidilatesynthétase (TS) qui participe à la synthèse de la thymidine triphosphate,
nucléotide constituant de l’ADN, par le
biais du 5-fluorodésoxyuridine monophosphate (5-FdUMP), principal métabolite actif du 5FU après dégradation
par la thymidine-phosphorylase (TP) et
la thymidine-kinase (TK). Le complexe
5-FdUMP-TS est stabilisé par le 5,10méthylène-tétrahydrofolate
(5,10MTHF) qui résulte du métabolisme de
l’acide folinique. Par ailleurs, la folyglutamate-synthétase augmente l’affinité du 5,10-MTHF pour la TS par
apport de glutamates. Les autres modes
d’action du 5FU sont médiés par des
métabolites (5-FdUTP, 5-FUTP) qui
peuvent s’incorporer à l’ARN ou à
l’ADN. Cependant, seule une faible
fraction du 5FU est engagée dans cette
voie anabolique, la majorité du 5FU
étant directement dégradée par la dihydropyrimidine-déshydrogénase (DPD)
en 5-fluorodihydrouracile (5-FUH2)
puis en fluoroalanine et en urée. La
DPD est présente dans de nombreux
organes, notamment dans le tube digestif et le foie ; le niveau de son activité
est très variable en fonction des individus et pour un individu donné, dans le
temps, ce qui explique la grande variabilité de la biodisponibilité per os du
5FU.
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Question d’actualité
Question d’actualité
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5-FdUTP
TP
PMK/PDK
TK
5FU
5-FUH2
5-FUdR
ADN
5-FdUMP
DPD
PRPP/MK/PDK
ADN
Dérivés
inactifs
toxiques
5-FUTP
ARN
d TTP
d UMP
Folates
CATABOLISME
d TMP
TS
5,10-MTHF
ANABOLISME
Schéma 1. Métabolisme du 5FU.
5FU : 5-fluorouracile
5-FUH2 : 5-fluorodihydrouracile
5-FudR : 5-fluorodésoxyuridine
5-FdUMP : 5-fluorodésoxyuridine
monophosphate
5-FdUTP : 5-fluorodésoxyuridine
diphosphonate
5-FUTP : 5-fluorodésoxyuridine
triphosphonate
DPD : dihydropyrimidine-deshydrogénase
TP : thymidine-phosphorylase
TK : thymidine-kinase
Les prodrogues du 5FU
Elles visent à reproduire avec une
drogue orale les effets d’une perfusion
continue de 5FU.
La capécitabine (Xeloda®)(schéma 2)
La capécitabine est un antimétabolite de
TS : thymidilate-synthétase
PMK : pyrimidine monophosphate-kinase
PDK : pyrimidine diphosphonate-kinase
PRPP : phosphoribosyl pyrophosphate
MK : monophosphate-kinase
ADN : acide désoxyribonucléique
ARN : acide ribonucléique
D UMP : désoxyuridine monophosphate
D TMP : désoxythymidine monophosphate
D TTP : désoxythymidine triphosphate
5,10-MTHF : 5,10-méthylène-tétrahydrofolate
type carbamate de fluoropyrimidine actif
par voie orale. Elle traverse la barrière
intestinale sans y subir de dégradation et
est métabolisée au niveau hépatique en
5’désoxy-5-fluorocytidine (5’-DFCR)
puis en 5’désoxy-5-fluorouridine (5’DFUR, doxifluridine) dans le foie et les
tissus tumoraux. L’étape finale, qui abou-
tit à la formation de 5FU, se fait préférentiellement au niveau tumoral, car elle
est médiée par la TP qui est surexprimée
dans les cellules tumorales. Une étude a
montré que, sur des pièces de colectomie
après traitement par capécitabine, la
concentration de 5FU était 3,2 fois plus
élevée dans les tissus tumoraux que dans
les tissus sains et 21,4 fois plus élevée que
dans le plasma. L’élimination est essentiellement rénale. Ce produit est commercialisé sous forme de comprimés
dosés à 500 et à 150 mg. Les études de
phases I et II ont abouti à la définition
d’un schéma d’administration qui recommande une dose de 2 500 mg/m2/jour
répartie en deux prises, matin et soir,
après un repas pendant 14 jours, suivie de
7 jours de repos. Le principal effet secondaire sévère (grade 3-4, NCI-CTC) est un
syndrome mains-pieds dans 15 à 20 %
des cas, réversible après diminution des
doses. Une posologie de 2000 mg/m2/jour
est recommandée en cas d’insuffisance
rénale modérée (30 ml/min <clearance
de la créatinine < 50 ml/min). L’insuffisance rénale sévère (clearance de la créatinine < 30 ml/min) et l’insuffisance
hépatique sévère sont des contre-indications. Une surveillance attentive de l’INR
chez les patients traités par antivitamines
K est recommandée. Un carnet de liaison
fourni par le laboratoire permet d’optimiser le suivi du traitement.
Deux études de phase III ont comparé
ce schéma thérapeutique au FUFOL
faible en première ligne dans le traitement du cancer colorectal métastatique
(4,5). Les résultats d’une analyse poolée de ces deux essais portant sur
1 207 patients sont donnés dans le
tableau I. Le taux de contrôle tumoral
Tableau I. Synthèse des essais randomisés : taux de réponse (TR), temps jusqu’à progression (TP) ou survie sans progression (SSP).
Essai
C vs FUFOL
UFT vs FUFOL
UFT vs FUFOL
LV5FU2 vs FUFOL
FOLFOX vs LV5FU2
5FU+CPT11 vs 5FU
* Médiane
Référence
6
14
15
22
23
24
S : signicatif p < 0,05
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 5, juin 2003
Effectif
603/604
409/407
190/190
217/216
122/127
198/187
TR
22,4/13,2 S
11,7/14,5 NS
10,5/9,0 NS
32,5/14,4 S
50,0/21,9 S
49/31 S
NS : non significatif
TP ou SSP (mois)*
TP : 4,6/4,7 NS
TP : 3,5/3,8 S
TP : 3,4/3,3 NS
SSP : 6,9/5,5 S
SSP : 9,0/6,2 S
TP : 6,7/4,4 S
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Question d’actualité
Question d’actualité
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Intestin
Foie
Capécitabine
Capécitabine
Tumeur
CE
5'-DFCR
5'-DFCR
CyD
CyD
5'-DFUR
5'-DFUR
Thymidinephosphorylase
5FU
Schéma 2. Capécitabine : mode d’action.
5FU : 5 fluorouracile
5’-DFCR : 5’désoxy-5-fluorocytidine
5’-DFUR (doxifluridine) : 5’désoxy5-fluorouridine
CE : carboxylestérase
CyD : cytidine-désaminase
(réponse complète + réponse partielle
+ stabilisation) était équivalent dans les
deux bras (6). En termes de tolérance,
la capécitabine provoquait significativement moins de diarrhée (48 % versus
58 %. Grade 3-4 : 12 à 13 % dans les
deux bras), de mucite (24 % versus
62 %), de nausées (38 % versus 47 %),
d’alopécie (6% versus 21 %), de neutropénie de grade 3-4 (2,2 % versus
21,1 %) et de neutropénie fébrile (0,2 %
versus 3,4 %). Le syndrome mainspieds, quant à lui, était significativement plus fréquent dans le bras capécitabine (53 % versus 6 %). Par ailleurs,
chez les patients traités par capécitabine, la survenue d’hyperbilirubinémie
isolée de grade 3-4 (> x 5N), dont le
mécanisme est encore mal compris,
était fréquente (27,3 %) (7). À partir de
ces données de toxicité, un schéma
d’adaptation de posologie est proposé
par le laboratoire.
En situation métastatique, l’association
avec l’oxaliplatine et l’irinotécan, qui
sont les deux molécules de référence
dans le traitement du cancer colorectal métastatique, n’a été évaluée que
dans des essais de phases I-II. Pour
l’oxaliplatine, un schéma associant
oxaliplatine 130 mg/m2 à J1 et de capécitabine 1 250 mg/m2 2 fois par jour
pendant 14 jours, avec reprise à J21, a
permis d’obtenir des taux de réponse
de 49 % en première ligne chez
43 patients et de 15 % en deuxième
ligne chez 26 patients. Le profil de toxicité était acceptable en première ligne
mais avec 35 % de diarrhée de grade
3-4 ; en deuxième ligne, une adaptation
de dose était nécessaire chez 45 % des
patients, ce qui a conduit les auteurs à
recommander une posologie de départ
de 1 000 mg/m2 2 fois par jour dans
cette situation (8). Pour l’irinotécan, il
n’existe pas encore de schéma d’administration bien défini, mais, dans une
étude portant sur 35 patients avec un
schéma sur trois semaines associant la
capécitabine à dose usuelle avec l’irinotécan à 300 mg/m2 à J1 ou à
150 mg/m2 à J1 et J8, un taux de réponse
de 71 % a été obtenu. Cependant,
compte tenu de la toxicité observée, les
doses recommandées par les auteurs
pour le développement ultérieur de
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 5, juin 2003
cette association sont de 1 000 mg/m2
2 fois par jour pour la capécitabine et
de 240 mg/m2 ou de 120 mg/m2 pour
l’irinotécan (9). Dans une autre étude
de phases I-II, les conclusions sont
similaires (10).
Une phase II randomisée devant
inclure 70 patients, comparant en première ligne les associations capécitabine/oxaliplatine et capécitabine/irinotécan, est en cours. Les résultats
préliminaires montrent des taux de
réponse objective de 41, 2% pour l’association capécitabine/oxaliplatine
(n = 17) et de 37,5 % pour l’association
capécitabine/irinotécan
(n = 16).
Cependant, le schéma utilisé semble
relativement
toxique
(capécitabine 1 000 mg/m2 2 fois par jour de J1
à J14, suivie de 7 jours de repos, associée, à 70 mg/m2 d’oxaliplatine à J1 et
J7 ou 100 mg/m2 d’irinotécan à J1 et
J7) avec environ 25 % de toxicité de
grade 3-4 dans chaque bras et deux
décès toxiques dans le bras capécitabine/irinotécan chez les 55 premiers
patients analysables de l’étude (11).
En situation adjuvante dans les cancers
de stade III, un essai portant sur
1700 patients est en cours (X-ACT trial,
Roche, États-Unis), mais on ne dispose
actuellement d’aucun élément dans
cette indication. Les premières données
concernant la toxicité devraient être
rapportées au cours de l’année 2003.
La capécitabine est également en cours
de développement en association avec
la radiothérapie dans le traitement du
cancer du rectum. Une étude de phase I
a montré que la capécitabine à la dose
de 1 650 mg/m2/j pouvait être associée
à une radiothérapie à dose standard
(50,4 Gy délivrés en 6 semaines par
fractions de 1,8 Gy) (12). En situation
néoadjuvante, dans une étude de
phase II ayant inclus 45 patients avec
des tumeurs du rectum T2N+(n = 1) ou
T3-T4 N0/N+(n = 44), la radiothérapie
avec un étalement classique associée à
deux cycles de capécitabine (825 mg/m2
2 fois par jour + acide folique 10 mg/m2
2 fois par jour, J1-J14, reprise J21,) a
permis d’obtenir des résultats promet-
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Question d’actualité
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teurs avec, pour les 38 patients ayant
bénéficié d’une chirurgie, un taux de
réponse complète de 31 % et un down
staging dans 62 % des cas (13). Ces
données préliminaires suggèrent que la
capécitabine pourrait se substituer aux
perfusions continues de 5FU maintenant couramment utilisées en association avec la radiothérapie. Des essais
associant radiothérapie, capécitabine et
oxaliplatine sont actuellement en cours.
L’association tégafur
+ uracile (UFT) (schéma 3)
C’est la seconde fluoropyrimidine par
voie orale disponible en France. Elle est
composée d’un précurseur du 5FU, le
tégafur, et d’un substrat naturel de la
DPD, l’uracile, enzyme intervenant dans
le catabolisme du 5FU, avec un ratio
molaire fixe de _ . L’absorption digestive du tégafur et de l’uracile est rapide
et complète. Le tégafur est ensuite rapidement métabolisé en 5FU au niveau
hépatique par un mécanisme qui fait
intervenir le cytochrome P 450 CYP2A6
(des interactions médicamenteuses peuvent donc survenir avec les substrats ou
inhibiteurs de cette enzyme) ; 20 % environ sont éliminés par voie rénale. L’uracile permet une inhibition compétitive
de la dégradation du 5FU par la DPD,
favorisant ainsi la voie anabolique du
5FU, ce qui augmente la quantité de 5FU
intracellulaire disponible. L’adjonction
d’acide folinique, qui potentialise l’inhibition compétitive de la TS, est recommandée. Une étude a montré que 370
mg/m2/j pendant 28 jours d’UFT permettent d’obtenir une exposition systémique au 5FU équivalente de celle obtenue avec une perfusion continue de 5FU
de 250 mg/m2/j 5 jours sur 7. Ce produit
est commercialisé sous forme de gélules
dosées à 100 mg de tégafur et 224 mg
d’uracile. Les études de phases I et II ont
abouti à la définition d’un schéma d’administration qui recommande une dose
de 300 mg/m2/j de tégafur répartie en
trois prises, de préférence toutes les
8 heures, une heure avant ou après un
repas, associée à chaque prise avec
30 mg d’acide folinique pendant
28 jours, suivis de 7 jours de repos. Le
Question d’actualité
Question d’actualité
5-FdUMP
AF
TS
ANABOLISME
Intestin
T
Téfagur
foie
5FU
Cyp 45
CATABOLISME
UFT
DPD
U
Uracile
5-FUH2
Schéma 3. UFT : mode d’action.
Cyp 450 : cytochrome P 450
5-FdUMP : 5-fluorodésoxyuridine monophosphate
5-FUH2 : 5-fluorodihydrouracile
DPD : dihydropyrimidine-deshydrogénase
principal effet secondaire sévère (grades
3-4, NCI-CTC) est une diarrhée chez
environ 20% des patients. L’insuffisance
hépatique sévère est une contre-indication. Une surveillance attentive de l’INR
chez les patients traités par anticoagulants coumariniques est recommandée.
Un carnet de liaison fourni par le laboratoire permet d’optimiser le suivi du
traitement.
Comme pour la capécitabine, deux
grands essais randomisés de phase III ont
comparé l’association tégafur + uracile
au FUFOL faible en première ligne dans
le traitement du cancer colorectal métastatique. Le premier essai a inclus
816patients (14). Les résultats sont rapportés dans le tableau I. En termes de
tolérance, l’association tégafur + uracile
provoquait significativement moins de
diarrhée (67% versus 76%. Grades 3-4 :
21% versus 16% : NS), de mucite (24%
versus 75 %), de nausées (67 % versus
75 %), de syndrome mains-pieds (2 %
versus 5%), de neutropénie de grade 3-4
(1 % versus 56 %) et de neutropénie
fébrile (0% versus 13%). En revanche,
comme chez les patients traités par capécitabine, la survenue d’hyperbilirubinémie isolée de grades 3-4 (> X 5N) était
significativement plus fréquente avec
l’association tégafur + uracile (15% ver-
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 5, juin 2003
sus 8 %). Les résultats du second essai
ayant inclus 380 patients sont rapportés
dans le tableau I (15). En termes de toxicité, le profil de tolérance était meilleur
avec le traitement par voie orale.
L’association de l’Uft® avec l’oxaliplatine et l’irinotécan est également en
cours de développement. Les toxicités
limitantes sont la diarrhée et la neutropénie fébrile. Pour l’oxaliplatine, une
étude de phase I a montré qu’un schéma
associant l’Uft® et l’acide folinique à
dose standard pendant 14 jours, suivis
de 7 jours d’arrêt avec de l’oxaliplatine
à J1 à la dose de 130 mg/m2, était correctement toléré (16). Pour le campto
(17), une étude de phase I a permis de
montrer la faisabilité d’un schéma sur
28 jours associant l’Uft® à la dose de
300 mg/m2 pendant 21 jours avec le
campto à la dose de 100 mg/m2 à J1, J8,
J15. En première ligne (18), ce protocole a permis d’obtenir chez 29 patients
un taux de réponse de 34,5 % avec un
temps médian jusqu’à progression de
6 mois et une survie médiane de 18
mois.
Le développement de l’Uft® en situation
adjuvante dans les cancers de stades II et
III a débuté dans les années 1990 au
Japon, en association avec de la mito-
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mycine C. Les résultats de ces essais sont
prometteurs mais, compte tenu de leur
méthodologie et des protocoles utilisés,
il faut attendre les résultats des essais randomisés en cours en Occident. Un essai
du NSABP (C-06), comparant les associations Uft/acide folinique et 5FU/acide
folinique en situation adjuvante a inclus
1 530 patients. Les premières données
concernant la toxicité pour 473 patients
montrent un profil de toxicité comparable dans les deux bras (19).
Comme pour la capécitabine, l’association Uft® + radiothérapie dans le traitement du cancer du rectum a montré
de bons résultats dans les études de
phases I-II, la toxicité limitante étant la
diarrhée. La dose d’Uft varie entre 300
et 400 mg/m2/j administrée en continue
5 jours sur 7 ou de façon séquentielle 2
semaines par mois pendant la durée de
l’irradiation, associée ou non à de
l’acide folinique. Dans les deux études
de phase II (20, 21), qui ont inclus 68
et 41 patients, les taux de réponse complète histologique sont de 8 et 15 % et
ceux de tumeurs en downstaging de 65
et 63 %.
Places des formes orales
du 5FU dans la prise
en charge du cancer
colorectal en 2003
Les formes orales du 5FU peuvent
constituer une alternative à la forme
injectable si elles présentent une efficacité et une tolérance au moins égales
à celles des protocoles de référence tout
en améliorant le confort de vie des
patients et en diminuant le coût des traitements.
Efficacité et tolérance : La capécitabine et l’Uft ont obtenu une autorisation
de mise sur le marché pour le traitement
du cancer colorectal métastatique en
première ligne après avoir montré une
efficacité et une tolérance au moins
égales à celles du protocole FUFOL (46, 14, 15). Cependant, ce protocole n’est
plus le protocole de référence en France,
un essai de phase III ayant montré que
le protocole LV5FU2 était plus efficace
et moins toxique que le protocole
FUFOL (tableau I) (22). Cela explique
que les conclusions des experts de la
réunion pour les recommandations pour
la pratique clinique pour la prise en
charge des métastases hépatiques des
cancers colorectaux (Paris, janvier
2003) ne recommandent pas l’utilisation de ces drogues en dehors de situations particulières où elles peuvent être
une alternative thérapeutique, par
exemple chez des patients pour lesquels
il n’existe pas ou plus d’espoir de traitement chirurgical et/ou refusant un traitement par voie veineuse, notamment
chez les patients âgés ou en mauvais état
général. Par ailleurs, en première ligne,
de plus en plus de patients sont traités
par une association de type
5FU/AF/oxaliplatine ou 5FU/AF/irinotécan qui ont une efficacité supérieure
à celle de l’association 5FU/AF
(tableau I) (23, 24). Or, les données
concernant les dérivés oraux du 5FU
avec l’oxaliplatine et l’irinotécan sont
encore trop parcellaires pour permettre
leur utilisation en dehors d’essais cliniques. De plus, ces protocoles, nécessitant un abord veineux, ne permettent
plus un traitement “tout oral” ambulatoire. Cependant, l’intérêt de ces chimiothérapies combinées agressives en
première ligne de traitement chez les
patients pour lesquels il n’existe pas
d’espoir de chirurgie curative reste
débattu, car des données rétrospectives
suggèrent que le nombre de lignes de
chimiothérapie reçues pourrait également influencer la survie des patients.
D’autres stratégies sont donc en cours
d’évaluation, avec notamment des
chimiothérapies qui préservent une première ligne par 5FU seul ou qui proposent une chimiothérapie d’entretien par
5FU seul après obtention d’une réponse
par une association. Dans l’avenir, les
traitements par voie orale trouveront
peut-être une place au sein de ces stratégies. En situation adjuvante ou en
association avec la radiothérapie, on ne
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), n° 5, juin 2003
peut pas encore recommander l’utilisation de ces drogues en dehors d’essais
cliniques, compte tenu des données
actuellement disponibles. En termes de
tolérance, il convient de signaler que,
pour la capécitabine, dans une population de patients sélectionnés, une adaptation de dose a dû être réalisée chez un
patient sur trois en raison d’effets secondaires (syndrome mains-pieds, diarrhée) (7), ce qui invite à une certaine
prudence dans la posologie de départ,
lorsque ce produit est prescrit chez des
patients âgés ou en mauvais état général, comme le suggère un éditorial
récent paru dans le Journal of Clinical
Oncology (25). Pour l’UFT, on dispose
de moins de données, mais dans les
deux essais publiés, une diarrhée sévère
(grades 3-4) est rapportée chez près de
20 % des patients (14, 15).
Confort de vie des patients : les médicaments commercialisés répondent
incontestablement au désir des patients
de pouvoir bénéficier de traitement
ambulatoire. Dans un essai, le nombre
moyen de visites par patient à l’hôpital
est de 7,1 dans le bras chimiothérapie
orale versus 25,5 dans le bras chimiothérapie IV (26). Cependant, dans les
deux essais qui comportent une évaluation de la qualité de vie des patients, il
n’y a pas de bénéfice en faveur du traitement par voie orale (14, 15). Néanmoins, les critères d’évaluation de la
qualité de vie dans ces études peuvent
être discutés. La contrainte thérapeutique d’une prise médicamenteuse quotidienne n’a jamais été évaluée de façon
comparative en termes d’observance,
d’efficacité, de tolérance et de qualité de
vie avec les chimiothérapies infusionnelles réalisées en hôpital de jour ou à
domicile avec des dispositifs de perfusion ambulatoire. Seules des études de
ce type pourraient permettre d’évaluer
précisément le bénéfice des traitements
oraux, y compris pour la qualité de vie,
de même que leur bénéfice éventuel en
termes de coût/efficacité. En effet, ces
drogues restent actuellement très coûteuses : ainsi, les prix d’une cure de
capécitabine et d’UFT sont respective-
122
Question d’actualité
Question d’actualité
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Page 123
ment de 386 et 1 274 euros, alors qu’ils
sont de 70 et 109 euros pour une cure de
FUFOL ou de LV5FU2 (27). Cependant,
ce surcoût est susceptible d’être compensé par l’économie réalisée sur les
coûts d’hospitalisation
En conclusion, l’émergence de dérivés
oraux du 5FU apparaît comme une
avancée thérapeutique prometteuse,
mais leur place dans la prise en charge
du cancer colorectal reste aujourd’hui
limitée. Actuellement, en situation palliative, ces drogues peuvent être proposées en monothérapie, en première
ligne, à des patients pour lesquels il
n’existe pas d’espoir de traitement chirurgical et/ou refusant un traitement par
voie veineuse, notamment chez les
patients âgés ou en mauvais état général, en procédant à des adaptations de
posologie chez ces derniers, compte
tenu de leur toxicité. Elles ont également possiblement une place en traitement d’entretien après une chimiothérapie par association dans une stratégie de traitement alterné ou en dernière ligne de traitement, chez des
patients en échappement thérapeutique,
pour réaliser l’équivalent d’un 5FU en
perfusion continue. En situation adjuvante et en association avec la radiothérapie dans le cancer du rectum, il
semble raisonnable d’attendre les résultats des essais en cours dont les premiers sont cependant prometteurs. Pour
l’avenir, les données préliminaires des
études sur les associations avec l’oxaliplatine ou l’irinotécan laissent espérer que ces nouvelles drogues offriront
une alternative thérapeutique satisfaisante dans les situations où ces protocoles seront indiqués, à la fois en situation palliative et adjuvante.
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