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planète marketing
MADE IN RUSSIA
Martine Ghnassia et Isabelle Grange, Ifop
Directrices de la B.U. dédiée au management de l’innovation
Avec le concours de ses correspondants en Russie
La nostalgie fait vendre ! Plusieurs marques rappellent à elles
une époque révolue pour valoriser leurs produits dans
une Russie aujourd’hui décomplexée de son passé soviétique.
Exploiter
sa position
d’icône
La marque “L’Exact même thé
indien” a été une réelle icône
de la période soviétique. Bien
visible avec son packaging jaune
vif, elle était alors la seule
marque de thé distribuée dans
les magasins contrôlés par l’État.
Utilisant cette célébrité pour se
relancer sur le marché local,
la marque a repris à l’identique
son packaging originel pour
évoquer de manière subliminale
“la stabilité et la sécurité” de cette
wS’il est un moment surprenant, et passion-
nant, dans la vie des sociétés modernes,
c’est celui où elles se mettent à valoriser,
dans leur communication, un modèle qu’elles
avaient préalablement combattu. Ce basculement
témoigne souvent de la prise de recul d’une
collectivité qui ose s’amuser des affres du passé,
comme pour les exorciser, et qui jette un regard
bienveillant sur des temps anciens, porteurs de
valeurs appréciées aujourd’hui. Cette nostalgie, en
Russie, prend certainement racine dans un présent
difficile, tendu, comme en témoignent plusieurs
relevés d’opinion. L’émergence de classes sociales
fortunées déséquilibre une société qui reste, cela
dit, très fière de son identité nationale. Du coup,
les marques exploitent le marketing de la mémoire
et renvoient leurs consommateurs à leurs
souvenirs d’enfance et de jeunesse. Car rappelons
que les années soviétiques ne sont pas si lointaines
–l’URSS s’effondre en 1991– et qu’une grande
partie des consommateurs russes est née durant
cette période. Certaines marques russes font
remonter à la surface un passé synonyme, à tort
ou à raison, de qualité, d’authenticité et de fiabilité.
Elles créent ainsi un courant de sympathie pour
leurs produits. Mais elles doivent veiller à
maîtriser cette communication pour ne pas
s’aliéner ceux qui, à l’inverse, font tout
pour oublier un passé qu’ils ont vécu comme
particulièrement douloureux. r
de mélange du passé et du
présent, citons le restaurant
moscovite d’Arkady Novikov,
baptisé “Les pays qui n’existent
pas” : les menus s’inspirent
d’une cantine de l’époque
soviétique “fusionnée” avec des
plats d’inspiration asiatique.
Réconcilier
les époques
Google, en Russie, a très
habilement mis en avant
les limites du passé soviétique
pour valoriser le présent, tout
en restant dans le registre d’une
certaine nostalgie. La marque
diffuse un film publicitaire
qui montre les bienfaits des
nouvelles technologies, mais
sans pour autant rejeter
le monde passé : dédié aux
amoureux de la lecture, et
de la culture en général,
il juxtapose le parcours d’une
jeune fille d’aujourd’hui, qui lit
sur sa tablette, avec celui de
sa grand-mère, écrivain célèbre
dont le visage s’illumine
lorsqu’elle peut emprunter
un petit livre à la bibliothèque.
Dans tous les cas, la culture,
que diffuse Google, est source
debonheur… r IFOP
Quand tout
était plus
simple…
C’est sur le créneau du vintage
que la marque de vodka
Zelyonaya Marka, ou “Marque
verte”, a misé pour sa nouvelle
campagne de communication.
Elle repart sur les routes de
la Russie des années cinquante
et exploite les codes de l’amitié
facile, simple et franche entre
les hommes, telle qu’elle était à
l’époque. Ou en tout cas, telle
que la mémoire collective
souhaite la représenter !
Le marketing du
passé a de l’avenir
DR
recettes authentiques.
L’un des spots montre
un homme qui achète
la dernière saucisse
disponible en magasin.
Finalement, il la donne
à la femme enceinte
qui le suit dans la queue
et qui ne trouvait
plus rien à acheter.
Pour souligner encore
la pérennité de ses
recettes, le packaging
reprend à l’identique les codes
de celui de l’époque.
Valoriser
ses cultures
L’une des manières de valoriser
le passé est d’en souligner les
facettes les moins controversées.
C’est la démarche marketing
choisie par les autorités russes
lors des récents Jeux olympiques
de Sotchi : aches, médailles,
tenues des équipes nationales
et de nombreux objets souvenirs
s’ornaient d’un patchwork
coloré symbolisant la grande
diversité ethnique et culturelle
des 89régions qui composent
la Russie. Chaque élément du
patchwork reprenait l’artisanat
typique des provinces.
Les réseaux sociaux ont
largement relayé la démarche.
Le présent
s’enrichit
du passé
Le designer russe Denis
Simachev est connu pour son
métissage des objets contem-
porains avec les grandes
traditions artistiques du passé.
Il orne ainsi une coque
d’iPhone ou une moto Ducatti
de motifs inspirés des poupées
russes et des châles tradition-
nels. Dans la même démarche
DR
DR
FOTOLIA
Au sein de cette business unit,
nos deux expertes scrutent
les signaux faibles et conseillent
les entreprises en matière
d’innovation stratégique.
Commel’explique Stéphane Truchi,
président du directoire de l’Ifop,
« parallèlementaux réflexions
menées sur l’intégration
des données du big data, il nous
a paruessentield’étudier
sur le terrain, en France et sur
les marchés internationaux,
des initiativesmarketing
innovantes
pour analyser
et anticiper
les tendances
de demain ».
période. Son nom de marque
indique aussi que la modernité
n’a pas eu raison des produits
d’autrefois. Dans son film
publicitaire, la marque joue avec
d’autres icônes du passé, comme
Youri Gagarine ou la babouchka,
la grand-mère russe, person-
nage pilier du modèle familial.
Retrouver
les héros
du quotidien
Pour se positionner comme une
marque aux recettes authen-
tiques, Narkompisheprom,
fabricant russe de charcuterie,
replonge le spectateur dans la
Russie soviétique et utilise les
dicultés de la vie de l’époque
pour mettre en valeur des
héros du quotidien. Au moyen
d’unesaga publicitaire primée
en Russie, la marque crée
un parallèle entre valeurs et