Merleau-Ponty Circle 2014 – abstracts
La guerre a lieu. Adversité, création et la diplomatie tranquille de Merleau-Ponty
Elodie BOUBLIL (McGill University, Montreal)
Souvent accusé d’ « attentisme », décrit comme le moins « engagé » des existentialistes, Merleau-Ponty
n’a pourtant cessé d’analyser les évènements historiques majeurs qui lui étaient contemporains. Trop
longtemps négligés, ses écrits politiques constituent pourtant la chair de sa réflexion sur l’historicité et la
contingence et illustrent le souci d’une phénoménologie qui ne se désolidarise pas de son expérience du
monde. Dès 1945, dans un essai intitulé « la guerre a eu lieu », Merleau-Ponty se démarquait et dénonçait
la bonne conscience et les illusions heureuses d’une pensée métaphysique qui avait encore foi en son
libre-arbitre. Ce qu’on pourrait prendre pour un déni de responsabilité était en fait son affirmation la plus
tragique : L’homme n’est en réalité pas une « conscience nue en face du monde », il est à l’intérieur de
celui-ci, pris dans son mouvement et absorbé par son opacité. Que peut dès lors la philosophie si l’idée
même d’engagement perd tout son sens dès lors que le monde, en son histoire, toujours déjà me précède?
La philosophie n’est pas destinée à consoler la « conscience malheureuse », elle n’est pas une
Weltanschauung même si elle a, à maints égards, des visées transformatrices. La phénoménologie de
Merleau-Ponty dévoile et décrit les formes de notre coexistence fondamentale avec d’autres, et les
structures de notre coappartenance aux mondes naturel et historique. Mais à l’heure où de multiples
guerres ont lieu à travers le monde, voire au cœur même de l’Europe, quel enseignement peut-elle nous
apporter ? Elle semble doublement nous mettre en garde. Elle nous met en garde d’une part contre un
certain hédonisme, qui voit dans la consommation et la course à l’innovation, les gages d’un avenir
meilleur. Elle nous met aussi en garde contre une certaine morale de l’action, pleine de « moraline », pour
emprunter le terme de Nietzsche, qui condamne avant d’avoir éprouvé et qui défigure le sens de toute
expression en annihilant d’emblée sa contingence. Coexister et non pas exploiter ou utiliser l’autre.
Coexister et non pas juger ou enfermer l’autre dans des catégories : telle est la tâche à la fois essentielle et
si difficile qui nous incombe.
Cette présentation vise ainsi à retracer la manière dont Merleau-Ponty envisage la relation de la
philosophie à l’action politique. Il l’annonce lui-même : ni politique d’entendement, ni politique de
raison, « la politique est une action qui s’invente. » (AD, préface). Et nous pourrions ajouter, une action
qui s’invente au cœur même de l’adversité, sans jamais pouvoir en rendre raison. La philosophie politique
merleau-pontienne, s’il en est, n’est pas dialectique, mais hyper-dialectique. Elle n’est pas dogmatique
mais interrogative et enrichie par les écarts et les paradoxes qui hantent le réel. Notre exposé vise à
montrer que les écrits politiques de Merleau-Ponty des années 1950 permettent d’envisager une
corrélation entre l’élaboration progressive d’une ontologie indirecte et les réflexions du philosophe sur la
contingence et l’adversité historiques. La conception merleau-pontienne de l’action politique repense tout