L’ALLERGIE AUX ANTIBIOTIQUES
Paul-Michel Mertes (1), Jean-Louis Guéant (2), Pascal Demoly (3)
(1) Service d’Anesthésie Réanimation Chirurgicale, Hôpital Central, CHU
de Nancy, INSERM U-684, pm.mertes@chu-nancy.fr
(2) Inserm U-724, Laboratoire de Pathologie Cellulaire et Moléculaire
en Nutrition, Hôpital de Brabois, CHU de Nancy
(3) Explorations des Allergies Maladies Respiratoires - INSERM U454-
IFR3, Hôpital Arnaud de Villeneuve, CHU de Montpellier
INTRODUCTION
Les allergies médicamenteuses peuvent être définies comme des réactions
pathologiques liées à un mécanisme immunologique, induites par une prise
médicamenteuse [1]. Cette définition est importante à rappeler, car nombre de
réactions qui ressemblent cliniquement à de l’allergie (nommées maintenant
hypersensibilités médicamenteuses) se traduisent par des symptômes identiques
à ceux liés à une authentique action allergique, mais ne résultent pas d’un méca-
nisme immunologique [1, 2]. Enfin, il existe de nombreux diagnostics différentiels
aux éruptions ou gonflements cutanés associés à la prise de médicaments, et
particulièrement au décours des traitements par antibiotiques.
Les allergies médicamenteuses représentent une part non négligeable de la
pathologie iatrogène médicamenteuse pouvant atteindre plus de 10 % des sujets
hospitalisés [2] et 7 % de la population rale [3]. Elles sont responsables d’une
mortalité, d’une morbidité et de surcoûts encore très mal évalués. La notion de
sous-déclaration des effets secondaires dûs aux médicaments est constamment
évoquée dans toutes les études. Si une sous-estimation de ces réactions peut
être due à l’absence fréquente de leur déclaration, ces chiffres peuvent également
souffrir d’une surestimation quant à leur origine allergique. En effet, pour bon
nombre d’entre elles, l’origine allergique est alléguée par le médecin déclarant,
mais la preuve diagnostique allergologique n’est pas apportée.
Un diagnostic de certitude, basé sur une enquête allergologique effectuée
dans un centre spécialisé, est important, car, si une allergie vraie est démontrée,
une nouvelle administration du médicament suspect, ainsi que des substances
de structure proche, expose à un risque de récidive grave.
Les allergies aux antibiotiques constituent une part importante de la iatro-
génie médicamenteuse. Tous les antibiotiques peuvent être en cause.
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Leurs manifestations sont multiples, allant d’une simple urticaire au grand
choc anaphylactique ou au décollement cutané, parfois mortels. Il existe en outre
des réactions revêtant les symptômes d’une allergie mais sans mécanisme
allergique, véritables diagnostics différentiels qu’il faut savoir évoquer.
Les mécanismes des réactions allergiques sont variés et loin d’être parfai-
tement élucidés [4-6]. Lorsqu’elles sont authentiquement liées à une réaction
d’hypersensibilité, les réactions de chronologie immédiate ou très accélérée,
de type urticaire/angiœdème par exemple, sont le plus souvent dépendantes
des immunoglobulines (Ig) E ; quant aux réactions non immédiates, comme, par
exemple, les exanthèmes maculo-papuleux, elles impliquent une activation de
lymphocytes T spécifiques.
L’hétérogénéité clinique des réactions d’hypersensibilité médicamenteuse
reflète la pluralité des mécanismes immuno-pathogéniques impliqués, et explique
en grande partie la faiblesse actuelle des outils biologiques de diagnostic des
allergies médicamenteuses. Or, seul un diagnostic formel d’allergie médica-
menteuse permet de mettre en place les mesures adaptées de prévention et
de traitement.
1. FRÉQUENCE ET FACTEURS DE RISQUE
Certains dicaments, dont les pénicillines exposent davantage que d’autres
aux réactions d’hypersensibilité médicamenteuse. La prévalence des réactions
allergiques aux antibiotiques est largement sous-estimée, comme toujours en
allergies médicamenteuses, puisque leur déclaration n’est pas systématique.
Près de 0,7 à 10 % des traitements par pénicillines s’accompagnent de réac-
tions allergiques immédiates [7], dont 1 sur 5 000 anaphylaxies graves, parfois
fatales [8].
La grande majorité des décès est liée aux chocs anaphylactiques, dont la
mortalité est de l’ordre de 2,5 % [9]. Ainsi, aux Etats-Unis, le nombre de décès par
chocs anaphylactiques aux pénicillines serait proche de 500 par an [10]. Les autres
causes de décès, plus rares, sont représentées par des atteintes particulières de
la peau, avec décollement cutané (syndrome de Lyell notamment), ou atteinte
extensive associée des muqueuses (syndrome de Stevens-Johnson) ou multi-
organes (DRESS ou Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms).
Le surcoût de telles réactions n’a jamais été évalué précisément.
Les facteurs favorisant les réactions allergiques aux médicaments sont
diversement appréciés. Les enfants seraient moins souvent touchés que les
adultes, mais l’influence de l’âge n’est pas clairement déterminée. Toutefois,
chez l’enfant, seul le quart des réactions attribuées à des antibiotiques résulte
d’une authentique réaction d’hypersensibilité médicamenteuse [2] . La majorité
des études épidémiologiques montrent que les femmes sont 2 fois plus attein-
tes que les hommes [2]. L’atopie, qui prédispose les individus à produire des
quantités excessives d’IgE contre les allergènes de l’environnement (pollens,
moisissures, acariens…) ne paraît pas être un facteur de risque significatif pour
la majorité des allergies médicamenteuses [2, 11] [12]. Il est hautement probable
qu’interviennent d’autres prédispositions génétiques, notamment pharmacogé-
nétiques, qui commencent seulement à être abordées par la recherche [2, 13].
Des haplotypes HLA particuliers semblent impliqués dans les réactions retardées
aux amino-pénicillines (HLA A2 et DR W52), à l’abacavir (B57, DR7 DQ3) [2, 14].
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Certaines maladies prédisposent au développement de actions qui ressemblent
cliniquement à de l’allergie. Il s’agit de maladies caractérisées par des anomalies
de l’immuno-régulation, telles que le SIDA, au cours duquel la fréquence des
réactions cutanées aux médicaments, et notamment aux sulfamides anti-
bactériens, est particulièrement élevée [10]. Tel est également le cas du lupus.
La fréquence des éruptions cutanées de chronologie retardée (survenant au
8e-10e jour d’un traitement par pénicillines) est également élevée chez les
patients atteints de mononucléose infectieuse (infection par le virus d’Epstein
Barr, généralement bénigne) [2]. La réintroduction ultérieure du médicament
dans des conditions strictes de surveillance est en général possible dans ce
dernier cas. Ces observations suggèrent donc le rôle de co-facteurs infectieux
dans les allergies médicamenteuses vraies aux antibiotiques sans que ce rôle
ait été clairement démontré [6].
Un syndrome d’allergies médicamenteuses multiples (et dépendantes d’im-
munoglobulines (Ig) E pour les sujets allergiques aux pénicillines) a été décrit [7] et
décrié [15]. Il correspond cependant à la réalité clinique de ces patients allergiques
à de nombreux antibiotiques de structure totalement différente. Il pourrait faire
intervenir des contrôles génétiques mais il ne doit pas être confondu avec les
réactions à divers médicaments de structure identique par réactivité croisée
(entre quinoléïnes ou sulfamides par exemple).
2. MÉCANISMES IMMUNOLOGIQUES
L’allergie médicamenteuse est toujours associée à un mécanisme immuno-
logique peuvent être mis en évidence des anticorps et/ou des lymphocytes T
activés spécifiquement dirigés contre les médicaments [1]. Ceux-ci sont capables
de provoquer tous les types de réactions immunologiques de la classification
de Gell et Coombs (Tableau I). Les réactions d’hypersensibilité non allergiques
(également appelées réactions « pseudo-allergiques ») sont très nombreuses
et d’étiologies polymorphes. Les principaux mécanismes susceptibles d’être
en cause sont une histamino-libération non spécifique (opiacés, produits iodés
de contraste, et vancomycine par exemple), une accumulation de bradykinines
(inhibiteurs de l’enzyme conversion), ou encore une activation de la synthèse
des leucotriènes (aspirine et anti-inflammatoires non stéroïdiens).
Si le rôle des lymphocytes T dans la physiopathologie des allergies médica-
menteuses est par définition certain, il n’est cependant pas encore totalement
élucidé [4-6]. Ainsi, il a été clairement démontré qu’il était possible d’identifier,
d’isoler et de cloner à partir du sang périphérique de sujets allergiques (aux péni-
cillines, au sulfaméthoxazole, à la lidocaïne, à la mépivacaïne, à la carbamazépine,
à la phénytoïne, au célécoxib), des lymphocytes T spécifiques du médicament.
Ceux-ci ont également été isolés à partir de la peau lésée. Leur caractérisation ex
vivo après stimulation avec l’allergène médicamenteux a permis de démontrer
qu’ils étaient en général CD4 positifs, restreints à certains allèles HLA (mais
pas toujours, car 5-10 % des clones reconnaissent le médicament associé à
d’autres variants du même HLA), que la très grande majorité (> 99%) étaient à
récepteur T (TCR)αβ, que pour un même allergène médicamenteux la réponse
était hétérogène chez un même patient et d’un patient à l’autre selon le type de
réactions (avec des clones à TCRαβ différents, parfois de faible affinité et faible
pouvoir de synthèse de cytokines et de présentation antigénique, parfois de
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forte affinité et produisant de grande quantité d’IL5, d’éotaxine et d’IL4 dans les
formes cliniques avec hyperéosinophilie, d’IFNγ dans les érythèmes pigmentés
fixes et d’IL8 dans les pustuloses érythèmatiques aiguës généralisées ; et enfin,
que quelques clones T CD4 et les rares clones CD8 étaient clairement de type
Th1 (sécrétant de l’IFNγ et peu ou pas d’IL4 et d’IL5) dans les formes cliniques
avec éruption bulleuse (syndromes de Lyell/Stevens-Johnson) et les érythèmes
pigmentés fixes [4-6].
Pour être immunogène, une substance de faible poids moléculaire
(< 1000 daltons), ce qui est le cas des antibiotiques, doit se comporter comme
un haptène et se lier avec une protéine porteuse endogène. Cette fixation
se fait par liaison covalente ou par liaison électrostatique, en général après
une première étape de biotransformation assurée par les cytochromes P450
(oxydation). Ces métabolites peuvent être soit inactifs, soit directement
cytotoxiques ou immunogènes. Ils peuvent être éliminés directement ou subir
d’autres transformations par le biais de systèmes enzymatiques (détoxification
par les gluthation S-transférases, hydrolyse, glycuroconjugaison, méthylation,
acétylation…). Il est facile de comprendre que le moindre dysfonctionnement
intervenant dans cet ensemble de réactions enzymatiques (déficit ou diminution
d’activité enzymatique, phénotype acétyleur lent…) peut aboutir à l’accumulation
de métabolites toxiques ou favoriser l’induction d’une sensibilisation. Cependant,
la plupart des médicaments ne sont pas chimiquement réactifs, c’est-à-dire
capables de se fixer directement sur des protéines et de devenir immunogè-
nes (haptènes). C’est parfois au cours de leur métabolisme que les produits
générés peuvent devenir réactifs et immunogènes. Mais cet autre concept,
dit des pro-haptènes, n’explique pas la totalité des observations de laboratoire.
En effet, les sulfamethoxazole, lidocaïne, mépivacaïne, célécoxib, lamotrigine,
carbamazépine et la paraphenylendiamine, par exemple, peuvent directement
activer les lymphocytes T, sans apprêtement ni métabolisme, en se fixant de
façon non covalente sur les récepteurs immunologiques (molécules HLA de
classe II des cellules présentatrices de l’antigène, récepteurs T principalement),
comme le ferait n’importe quel médicament sur son récepteur (concept dit
pharmaco-immunologique) [5, 6].
2.1. ALLERGIES AUX ß-LACTAMINES
Les pénicillines appartiennent à la famille des ß-lactamines, au même titre
que les céphalosporines, les monobactames, les carbapénèmes, les oxacéphè-
mes et les clavames.
Du fait de leurs poids moléculaires (< 500 daltons), les ß-lactamines agissent
comme des haptènes [16] et induisent une réponse immunologique hétérogène,
à la fois humorale et cellulaire. Le groupement pénicilloyl est le produit méta-
bolique majeur (95 %) mais 5% des pénicillines sont métabolisés par d’autres
voies en de nombreux déterminants antigéniques mineurs (classiquement
responsables du plus grand nombre de chocs anaphylactiques) [16]. Les ß-lac-
tamines sont capables d’induire tous les types de réactions immunologiques
de Gell et Coombs (Tableau I). L’allergie réaginique médiée par les IgE est la
forme la plus commune (l’allergie au noyau béta-lactame représentant 40 %
de ces cas, celle aux chaînes latérales 35 %), viennent ensuite les réactions
d’hypersensibilité retardée.
Pathologies infectieuses 539
Classification de
Gell et Coombs
étendue
Type de réponse
immunitaire Caractéristiques
physiopathologiques Signes cliniques
Délai habituel d’appa-
rition des symptômes
(après le début du
traitement)1
Type I IgE Activation des mastocytes et
des basophiles
• Choc anaphylactique
• Œdème de Quincke
• Urticaire
• Bronchospasme
De quelques minutes à 1 heure
après la dernière prise médica-
menteuse
Type II IgG et FcR2Cytotoxicité dépendant du
FcR2
• Cytopénie 5 à 15 jours
Type III IgG ou IgM et Com-
plément ou FcR2
Dépôts d’immuns complexes • Maladie sérique
• Urticaires
Vascularites
• Lupus induit
7-8 jours pour la maladie
sérique
7-21 jours pour les vascularites
Type IVa Th1 (IFNγ) Activation des monocytes • Eczémas 5-21 jours
Type IVb Th2 (IL-4 et IL-5) Inflammation éosinophilique • Exanthèmes maculo-
papuleux et bulleux
2-6 semaines pour le syndrome
d’hypersensibilité médicamen-
teuse (DRESS)3
Type IVc Lymphocyte T cyto-
toxique (perforine,
granzyme B, FasL)
Lyse des kératinocytes médiée
par les lymphocytes T CD4-
ou CD8-
• Exanthèmes maculo-
papuleux, bulleux et
pustuleux
Moins de 2 jours pour
l’érythème pigmenté fixe
7-21 jours pour les syndromes
de Stevens-Johnson et de Lyell
Type IVd Lymphocyte T
(IL-8/CXCL8)
Recrutement et activation
des neutrophiles
• Pustulose exanthémati-
que aiguë généralisée
Moins de 2 jours
Tableau I
Classification des réactions immunologiques provoquées
par les médicaments.
1-Sauf pour les réactions de type I.
2-FcR : récepteur membranaire cellulaire pour les immunoglobulines.
3-DRESS : Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms.
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