la presse - Maison des arts Desjardins Drummondville

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LA PRESSE
Publié le 19 septembre 2014 à 08h48 | Mis à jour le 19 septembre 2014 à 08h48
Luc Boulanger
Le prince des jouisseurs: du rire aux larmes
La comédie, c'est un désespoir qui n'a pas les moyens. Et Georges Feydeau, célèbre auteur de vaudeville et épicurien
devant l'Éternel, en est l'illustration. Ce prince des Boulevards a fait rire son époque et sa société (la bourgeoise
parisienne) avec des comédies à succès; certaines tenaient l'affiche pour plus de 1000 représentations. Mais il est
mort de la syphilis à 58 ans, délirant dans une maison de fous.
Le prince des jouisseurs de Gabriel Sabourin raconte un épisode des dernières années de Feydeau, juste avant son
internement à Rueil-Malmaison. Créée mercredi dernier au Rideau Vert, dans une mise en scène un peu paresseuse
de Normand Chouinard (qui abuse des noirs et brise le rythme), la pièce utilise les mécaniques du vaudeville pour
mieux exposer un Feydeau tragicomique. Un personnage drôle, excessif, lubrique et frivole, mais aussi malade,
vulnérable, dupe. Et profondément seul.
L'action se déroule à Paris en 1919. Feydeau vit seul dans une chambre d'hôtel, près de la gare du Nord. Il se lève au
milieu de l'après-midi avec la gueule de bois. Il sort tous les soirs pour aller dans les cafés voir son ami Guitry et
épier la faune des Grands Boulevards. L'écriture lui est de plus en plus difficile même s'il a pourtant 47 pièces au
compteur. Séparé de sa femme (Geneviève Rioux), l'auteur célèbre n'a plus le goût (ni l'énergie) pour les conquêtes.
De plus, son fils (Jonathan Michaud), banquier constipé et hypocondriaque, lui fait honte.
Est-ce ainsi que les princes vivent?
Du grand Zouvi!
Dans la peau de Feydeau, Alain Zouvi livre l'une des meilleures performances de sa carrière! L'acteur puise à la fois
dans le drame et le vaudeville pour créer un parfait Feydeau! Zouvi s'affiche sans gêne dans des tenues légères qui
ne l'avantagent pas. Il défie la loi de la gravité et monte sur les meubles puis saute dans le lit, comme un enfant qui
joue dans son parc.
Malgré l'alcool et les nuits folles, Feydeau persistait à croire que la jeunesse et l'art gagnent toujours. Il frappera bien
sûr un mur. Plus la représentation avance, plus on sent Zouvi soulever son masque comique pour nous montrer la
vulnérabilité, la faille de Feydeau.
Dans le rôle du fils, Jonathan Michaud est hilarant! Son jeu, très physique et rythmé, est au diapason des grands
numéros de vaudeville. Il est secondé par un suave Gabriel Sabourin qui incarne un auteur de tragédie sans argent
qui accepte d'être le secrétaire de Feydeau. Hélène Mercier, Fréderic Desager et Marie-Pier Labrecque complètent
cette merveilleuse distribution.
On nous dit qu'Alain Zouvi joue son dernier rôle au théâtre! L'acteur veut se concentrer sur le doublage et la mise en
scène. Dommage. Si tel est le cas, le comédien peut se dire que quelque part au paradis, ses parents (Jacques Zouvi
et Amulette Garneau, qui ont aussi fait ce métier) regardent fièrement leur fils se démener avec génie sur la scène du
Rideau Vert.
LE JOURNAL DE MONTRÉAL
Le prince des jouisseurs, une réussite sur toute la ligne
Louise Bourbonnais
Publié le: dimanche 21 septembre 2014, 21H44 | Mise à jour: dimanche 21 septembre 2014, 21H48
Le Théâtre du Rideau Vert a lancé sa saison, jeudi soir dernier, de façon grandiose avec une pièce tout
aussi surprenante que sublime. Présentée en grande première, la création de Gabriel Sabourin, Le prince
des jouisseurs est un véritable vent de fraîcheur et une comédie jouissive pour le spectateur où la dernière
tranche de vie de Georges Feydeau nous est racontée au rythme d’une comédie de boulevard. Le travail
des comédiens et du metteur en scène est une véritable réussite, où décors et costumes ajoutent à
l’éblouissement.
Le prince des jouisseurs, c’est Georges Feydeau, ce maître du vaudeville, un homme qui a vécu sa vie de façon
jouissive en profitant de chaque instant qui passait comme si c’était le dernier. Même accablé par la maladie,
il ne laissera rien paraître voulant encore et toujours profiter à fond de train de ce que la vie pouvait lui offrir.
Les femmes, les maîtresses, l’alcool et le bon cigare faisaient partie de ces habitudes quotidiennes. Cette
maladie, dont Feydeau était affligé, c’est la syphilis, qui, peu à peu faisait divaguer le grand dramaturge au
point d’en perdre le contact avec la réalité confondant sa vie et celle de son entourage avec les personnages
qu’il a créés dans ses pièces au cours de sa vie. Malgré la confusion qui régnait dans son esprit, Feydeau tenait
à respecter son mandat envers son directeur de théâtre pour lui livrer une dernière pièce.
Si Alain Zouvi a dépassé les attentes en nous offrant une performance exemplaire en incarnant Feydeau, on
pourrait très certainement en dire autant de chaque comédien qui se trouvait sur scène. L’élégante Marie-Anne,
l’ex-femme de Feydeau (Geneviève Rioux), joue de façon exquise alors que Marguerite (Hélène Mercier) la
femme de chambre de l’hôtel où loge en permanence Feydeau, nous a révélé un jeu hors du commun.
Néanmoins, le talent de la séduisante Marie-Pier Labrecque, qui incarne une infirmière rêvant de devenir
comédienne, mérite d’être souligné.
Rythme effréné
Si on s’attendait à ce que Gabriel Sabourin nous livre un texte digne de ceux de Feydeau, on pouvait d’emblée
présumer que le metteur en scène, Normand Chouinard, nous présenterait une pièce au rythme de la comédie
de boulevard, unique à celle de Feydeau, puisqu’il en a monté plusieurs par le passé. Dans les deux cas, c’est
réussi. Surtout, ils n’ont déçu personne. Même Feydeau, s’il pouvait revenir ici-bas pour voir ce spectacle
pourrait très certainement s’y méprendre. Sabourin nous a offert du Feydeau et le metteur en scène a rendu le
tout réaliste.
Le prince des jouisseurs: À l’affiche jusqu’au 11 octobre au Théâtre du Rideau Vert
MON THÉÂTRE
SARA THIBAULT
19 septembre 2014
Le prince des jouisseurs
Texte de Gabriel Sabourin
Mise en scène Normand Chouinard
Avec Alain Zouvi, Frédéric Desager, Marie-Pier Labrecque, Hélène Mercier, Jonathan Michaud,
Geneviève Rioux, Gabriel Sabourin
Georges Feydeau, maître incontesté du vaudeville, aurait bien besoin de rire en ce moment : sa mémoire
flanche, son ex-femme débarque sans prévenir, son fils banquier est perturbé et sa femme de chambre
ne répond pas à ses avances! Prisonnier de la page blanche, il fait appel au copiste Sicard afin de l’aider
à terminer sa dernière œuvre, déjà promise au directeur du théâtre. Mais comment écrire lorsqu’il est
constamment pris dans le tourbillon et les péripéties des personnages qui peuplent ses journées? Son
esprit, déjà hanté par la maladie, entremêle sa vie et son œuvre et l’on ne distingue plus la réalité de la
fiction. Qu’importe! Noctambule invétéré, Feydeau est d’abord et avant tout un grand jouisseur insolent
et sympathique, qui nous invite à le rejoindre dans le spectacle de sa vie avant que le rideau ne tombe
définitivement.
Georges Feydeau fut un brillant auteur de vaudevilles, ces comédies de chassés-croisés entre maris,
femmes et amants. Il est ironique de constater que son inspiration provenait souvent de sa propre vie!
Ainsi, avec Le Prince des jouisseurs, Gabriel Sabourin signe une pétillante comédie biographique où se
côtoient le tragique et le ridicule. Cet hommage hilarant est dirigé par Normand Chouinard qui est un
habitué de l’univers de Feydeau avec les mises en scène de nombreuses pièces dont Le Dindon, Un fil à
la patte et La puce à l’oreille. Alain Zouvi incarne le dramaturge dont il connaît à fond le répertoire pour
en avoir souvent côtoyé les personnages, notamment dans L’Hôtel du libre échange. Il est entouré d’une
talentueuse distribution pour qui l’univers de Feydeau n’a pas de secrets.
Assistance à la mise en scène Geneviève Lagacé
Scénographie Jean Bard
Costumes Suzanne Harel
Éclairages Claude Accolas
Musique Yves Morin
Accessoires Normand Blais
Perruques et coiffures Rachel Tremblay
Maquillages Jacques-Lee Pelletier
Photo de l’affiche : Jean-François Bérubé
Mardis et mercredis 19h30, jeudis et vendredis 20h, samedi 16h et 20h30, dimanche 28 septembre 15h
Rencontre avec les artistes et artisans après la représentation du
25 septembre 2014
Production Théâtre du Rideau Vert
MON THÉÂTRE (suite)
CRITIQUE par Sara Thibault
Jouir malgré la déchéance
Après que le Théâtre Denise-Pelletier ait présenté la pièce Commedia sur le dramaturge italien Carlo
Goldoni au printemps dernier, voilà que Gabriel Sabourin s’amuse à imaginer les dernières années plutôt
erratiques de la vie de l’auteur Georges Feydeau. À l’âge de 58 ans, l’écrivain meurt des conséquences
de la syphilis dans l’hôpital psychiatrique de Rueil-Malmaison, après plusieurs années d’inactivité
littéraire.
Le spectacle débute quelques jours avant que Feydeau soit interné, alors que l’auteur français se remet
de sa soirée de la veille au restaurant Maxim’s, haut lieu de rencontre des artistes et des intellectuels
parisiens. Dans sa chambre de l’hôtel Terminus où il a élu domicile, entre un verre d’alcool de poire, un
cigare et les deux cuillérées de sirop que la femme de chambre l’oblige à prendre chaque matin, l’écrivain
cherche l’inspiration de sa prochaine pièce.
La réussite du spectacle réside certainement en la capacité de Gabriel Sabourin à raconter la vie de
Feydeau en adoptant le style et les codes théâtraux du vaudeville. Alors que le dramaturge français
vampirisait la vie des gens de son entourage pour créer les personnages de ses pièces, Gabriel Sabourin
se sert du même procédé pour colorer son Georges Feydeau. Il faut dire que d’entrée de jeu, plusieurs
des détails biographiques de la vie de l’écrivain français participent déjà à faire de lui un personnage de
théâtre, que ce soit les rumeurs selon lesquelles il serait le fils illégitime de Napoléon III ou encore sa
qualité de collectionneur compulsif de tableaux expressionnistes d’artistes méconnus.
Pour recréer l’ambiance de la comédie de boulevard, la scénographie ingénieuse de Jean Bard est
parfaitement adaptée. Alors que deux portes et une fenêtre permettent une multiplicité de rencontres
cocasses, le lit placé au centre de la scène offre à plusieurs personnages le loisir de se cacher dessous.
Les éclairages de Claude Accolas découpent la pièce en tableaux grâce à des moments de noirceur totale
qui profitent aux nombreuses entrées et sorties des acteurs. Ainsi, les quiproquos, les déboires conjugaux,
les maîtresses cachées sous le lit et les portes qui claquent se multiplient tout au long du spectacle.
Comment passer sous silence la magnifique interprétation d’Alain Zouvi dans le rôle de Georges
Feydeau? Ayant lui-même joué à de nombreuses reprises dans des pièces de l’auteur français, dont trois
fois au Rideau Vert (Le Ruban (1986), Tailleur pour dame (1992), Le dindon (1994)), il était le comédien
tout désigné pour incarner le « prince des jouisseurs ». Pour sa part, le metteur en scène Normand
Chouinard, qui excelle par ailleurs dans ce type de répertoire, brille par la précision et la rigueur de sa
direction d’acteurs. Mentionnons toutefois que, malgré les magnifiques costumes de Suzanne Harel, les
actrices étaient nettement moins charismatiques que les acteurs. La scène finale durant laquelle les trois
personnages féminins entrent et sortent de scène à tour de rôle constitue d’ailleurs un des moments les
plus faibles du spectacle.
À l’issue de la pièce, force est de constater qu’à défaut d’avoir été un fils illégitime, un père absent, un
mari cocu et un peintre raté, Georges Feydeau aura quand même réussi à acquérir la réputation de
« prince des boulevards », à qui le duo Sabourin-Chouinard rend un brillant hommage.
JEU – Revue de Théâtre
Le Prince des jouisseurs : Soigner sa sortie
Christian Saint-Pierre / 19 septembre 2014
Rendre hommage à Georges Feydeau en employant les ressorts de son propre théâtre, voilà l’idée toute
simple – et en même temps brillante – que le comédien Gabriel Sabourin, ici auteur, a décidé de mettre à
exécution.
Dans Le Prince des jouisseurs, présenté au Rideau Vert dans une mise en scène de Normand Chouinard, on
sent bien entendu de l’admiration envers le maître du vaudeville, mais aussi, et peut-être même surtout, une
véritable compréhension des rouages du genre, une mécanique délicate, bien plus complexe qu’il n’y paraît.
L’action se déroule en 1919. Dans la chambre de son hôtel, le bien nommé Terminus, Feydeau n’est plus
que l’ombre de lui-même. Gagné par la syphilis, en proie aux hallucinations, incapable d’écrire, il reçoit
des visiteurs qui pourraient tout aussi bien être des personnages de son œuvre.
Situations rocambolesques, drôles de revirements, souples culbutes et quiproquos délectables... Tous les
ingrédients sont au rendez-vous, mais la recette est pour ainsi dire épicée d’étrangeté. On ne vous en révèlera
pas davantage : le plaisir de l’aventure tient en bonne partie au maintien du mystère. Disons simplement
que le Prince des boulevards devra, qu’il le veuille ou non, « soigner sa sortie ».
Dans les habits du maître en déclin, Alain Zouvi brûle les planches. Le comédien a le souffle, la diction, la
vivacité et la truculence, mais surtout la précision inouïe qu’exige le genre. Dans le rôle du directeur de
théâtre, aveuglé par le désir, Frédéric Desager n’est pas moins captivant à observer. C’est bien simple, ces
deux-là sont comme des poissons dans l’eau.
Dans le rôle de Jacques Feydeau, le fils, banquier constipé à la sexualité ambigüe, Jonathan Michaud est
désopilant. Marie-Pier Labrecque, Hélène Mercier, Geneviève Rioux et Gabriel Sabourin lui-même
complètent une impeccable distribution.
Vous aurez compris que l’aventure, si elle ne brille pas par son originalité, demeure des plus plaisantes. Le
territoire a beau être connu, et même archi connu – les amateurs de formes nouvelles et de critique sociale
resteront, cela va sans dire, sur leur faim –, il faut reconnaître qu’il est foulé avec une conviction qui force
l’admiration.
Quoique par moments sexistes et homophobes – comme on dit : autres temps, autres mœurs –, les tirades
et les traits d’esprit, livrés avec panache, font invariablement mouche. Difficile en somme d’adresser de
véritables reproches à ce spectacle sans ralentissements, où rien ne dépasse. Une soirée pour rire de bon
cœur, comme un relent d’été en plein automne.
Texte de Gabriel Sabourin. Mise en scène de Normand Chouinard. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 11
octobre 2014.
BIBLE URBAINE
18 septembre 2014
Charlotte Mercille
«Le prince des jouisseurs» de Gabriel Sabourin au Théâtre du
Rideau Vert
Hommage brillant au maître du vaudeville
En grande ouverture de la saison 2014-2015, la comédie Le prince des jouisseurs de Gabriel Sabourin a
épaté la galerie hier soir au Théâtre du Rideau Vert. Mise en scène par Normand Chouinard, la pièce plonge
le spectateur dans l'univers éclaté de Georges Feydeau, célèbre et prolifique écrivain de vaudevilles de la
Belle Époque. Dans un jeu époustouflant des comédiens, les éclats de rire ponctuent inévitablement le
dernier acte du théâtre décadent que fut la vie du dramaturge.
Grand noctambule des boulevards parisiens, les matins de Georges Feydeau débutent toujours en fin
d’après-midi. S’étant longtemps nourri de ses escapades pour concevoir ses populaires chassés-croisés entre
mari, femme et amant, l’écrivain finit par se heurter au syndrome de la page blanche. Ce fléau de tous les
artistes deviendra bien vite le moindre de ses soucis alors qu’il se voit embobiné dans une spirale de
mésaventures avec son vieux directeur de théâtre éperdu d’amour, son ex-femme folle de jalousie, une
admiratrice particulièrement insistante, puis son fils banquier angoissé chronique. Grâce au tragédien
Sicard, il finira par réussir à terminer son dernier vaudeville… au prix de sa paix d’esprit.
La force principale de la mise en scène de la pièce Le prince des jouisseurs, c’est qu’elle ne passe pas par
quatre chemins pour afficher ses couleurs. Pour Feydeau, il n’y aurait en effet pas meilleure façon d’expirer
son dernier souffle qu’«entre les cuisses d’une femme». À partir de là, tout déboule à un rythme haletant
qui laisse à peine au spectateur le temps de souffler (ou de s’ennuyer).
Les répliques fusent de partout dans une cascade de quiproquos rivalisant d’humour. Alain Zouvi campe
admirablement le rôle musclé de Feydeau et vole la vedette avec Jonathan Michaud, tout simplement tordant
dans son rôle du fils banquier d’un «désespoir amusant». Jouant dans sa propre comédie, Gabriel Sabourin
livre également une performance toute en finesse du copiste Sicard.
Au-delà des duels aux bouteilles de vins et des prises de tête les pantalons baissés, la comédie demeure
empreinte de symboliques cachées. Du coup, les archétypes vaudevillesques de Feydeau et de son entourage
réel se confondent et se perdent au fur et à mesure que l’intrigue se révèle. Leurs passions éclipsent celles
du protagoniste, qui laisse son imaginaire le submerger. La ligne entre la réalité d’une tristesse étonnante
de Feydeau et le théâtre qu’il chérissait tant se brouille dans la maladie de l’écrivain.
Somme toute, Le prince des jouisseurs dépasse ingénieusement la simple biographie, dans le sens où elle
démontre à quel point la vie de tous les jours a pu inspirer les plus grands classiques de Feydeau, et le genre
comique en général. Gabriel Sabourin signe ici en première mondiale une pièce d’une subtilité savoureuse
comme on en voit de plus en plus rarement dans le genre comique théâtral. Elle mérite d’être savourée
autant par les initiés que par ceux qui connaissent moins le vaudeville de Feydeau.
«Le prince des jouisseurs» est présentée du 16 septembre au 11 octobre au Théâtre du Rideau Vert.
REVUE SÉQUENCES
Le Prince des jouisseurs
19 septembre 2014
SI FEYDEAU M’ÉTAIT CONTÉ
Élie Castiel
La saison 2014-2015 débute au Théâtre du Rideau Vert avec un hommage au roi du vaudeville, offrande idéale
pour un établissement qui a souvent privilégié, et de façon admirable, le genre. Choisir Feydeau pour inaugurer
une année qui s’avère, par ailleurs, fort prometteuse est un pari risqué que Gabriel Sabourin se plaît
courageusement à confronter.
Il le fait surtout avec l’étrange et séducteur pouvoir des mots, leurs multiples significations, leurs divers
rythmes, leurs parcours amoureux, leurs voies à double sens. Mais surtout par la création d’un récit inventé à
partir d’une recherche approfondie et une connaissance véritable du dramaturge français. Jamais création ne
fut aussi proche de son sujet. On se croirait dans une pièce de Feydaux tant les similarités dans le phrasé sont
si rapprochées.
Comme point de départ, une chambre d’hôtel où Georges Feydeau réside, sans être au courant qu’il est atteint
de la syphilis. Il rencontre diverses personnes de son entourage et donne naissance à des situations aussi drôles
que dramatiques.
Cet unique lieu sert de décor à des scènes inoubliables où rire, émotion et étude humaine sont au service des
comédiens (et des spectateurs). Alain Zouvi en tête dans le rôle-titre, homme à femmes, jouisseur invétéré,
résilient devant la finitude de l’homme, épicurien, hédoniste, viveur devant l’éternel, amant de plusieurs bienaimées. Zouvi n’a jamais été aussi versatile, gratifiant et généreux dans son jeu.
Autour de lui, Gabriel Sabourin étonne toujours. Son personnage d’homosexuel transis d’amour et imaginé
pour les besoins de la pièce est délectable de prouesse et de sincérité. Si franc que quelques spectateurs ont eu
le rire nerveux lorsqu’il affiche sa passion pour Feydeau-fils. Sur ce point, il faut ouvrir une parenthèse : ce
genre de situation provoque presque toujours le même malaise chez la plupart, que l’on soit au théâtre ou au
cinéma. Chose surprenante lorsqu’on sait que le Québec est un pays très tolérant en matière d’orientation
sexuelle. Ou l’est-il vraiment ?
Pour revenir au sujet, la mise en scène de Normand Chouinard déploie une approche cinématographique. Le
fondu au noir entre chaque scène est intéressant au début, mais à force de répétition, finit par lasser. Mais
avouons tout de même que chaque moment qu’il brode délicatement est une pur joyau de mise en situation et
qu’il sait diriger les comédiens de main de maître, et qu’en fin, tous finissent par être convaincants, nourris
d’un enthousiasme contagieux.
Ludique, enjoué, spirituel, sans répit pour les spectateurs qui ne s’ennuient pas un seul instant, Le Prince des
jouisseurs est une émouvante et sincère marque de respect, non seulement envers un auteur incontournable du
théâtre mondial, mais aussi envers la langue française qui, ici, prouve une fois de plus que c’est l’une des plus
belles et des plus futées du monde.
Le Huffington Post
17 septembre 2014
Marie-Claire Girard
Le prince des boulevards
Gabriel Sabourin a réussi un tour de force: écrire comme Feydeau, sur Feydeau. Le Prince
des jouisseurs est un merveilleux moment de théâtre qui recrée la Belle époque avec grâce
et pertinence tout en ajoutant une résonnance contemporaine et universelle au destin d'un
homme hors du commun. Beau coup d'éclat pour le Rideau Vert.
Tout le monde, ou à peu près, a vu du Feydeau un jour ou l'autre. Avec Sacha Guitry et
Willy (le premier mari de Colette), ils sont au début du 20e siècle ce que dans une certaine
mesure nos humoristes peuvent représenter maintenant : des commentateurs et
observateurs de la société bourgeoise de l'époque, possédant tous les trois un esprit de
répartie fort amusant, osant des blagues sur la sexualité qui en faisaient rougir plus d'un et
se plaisant également à dénoncer une certaine hypocrisie caractéristique de cette nouvelle
classe sociale qui s'était vite enrichie et qui ne possédait pas le raffinement et la
sophistication de l'ancienne aristocratie. Mais voilà, seul Feydeau est toujours joué au
théâtre, les autres ayant été peu à peu oubliés (mais pas par moi) et Un fil à la patte ou Le
dindon (monté au TNM en 2012) remplissent toujours les salles.
L'idée ici avec Le prince des jouisseurs est d'avoir créé une pièce qui fonctionne avec la
même mécanique éprouvée que Feydeau lui-même utilisait: des situations cocasses qui
n'ont aucun sens, des déboires conjugaux d'où d'ailleurs les femmes sortent la plupart du
temps triomphantes, des portes qui claquent, des personnages qui ne devraient pas se
trouver là cachés derrière le rideau ou sous le lit, l'incident inattendu et la réplique
assassine. La différence c'est que Gabriel Sabourin a ajouté à son texte une dimension de
profondeur et de réflexion sur la vie de ce jouisseur impénitent et un revirement à la fin qui
se révèle véritablement touchant. Bref, du Feydeau amélioré.
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