Flux n° 52/53 Avril - Septembre 2003
36 Dossier
pas facile de comparer, sauf à disposer d’un nombre impor-
tant de points de comparaison, pour trouver des situations
semblables. Si l’adaptabilité institutionnelle représente
objectivement un facteur de succès du « modèle » sur le
long terme, elle ne facilite pas le travail statistique ; on tra-
vaille rarement à périmètre constant (encadré 1).
Deuxièmement, la décentralisation institutionnelle a pour
corollaire l’absence d’un lieu central en mesure de produi-
re une vision d’ensemble, légitime (3). De ce fait, puisque
personne n’est légitime tout le monde peut l’être. Les
enquêtes se multiplient : ministères et agences publiques
(INSEE, DGCCRF, IFEN, Agences de l’Eau), universitaires
commandités par les pouvoirs publics ou les agences de
l’eau, travaux de thèse et publications d’organisations
diverses (Que Choisir, NUS, SPDE, Centre d’Information sur
l’Eau). Mais dans chaque cas, les critères retenus, les péri-
mètres observés, les questions posées diffèrent, et d’autant
plus que des intérêts se trouvent en compétition.
- La compétition entre public et privé, et plus fondamenta-
lement entre les logiques qu’ils sont censés incarner, est jus-
tement la troisième difficulté de la production de connais-
sances dans ce secteur. L’inscription des travaux statistiques
dans un tel contexte, avec le risque d’oppositions parti-
sanes, fait de la production de toute donnée un exercice dif-
ficile. Les informations se trouvent dans chaque exploita-
tion, au niveau des collectivités locales. Or les élus locaux
se sont rarement mobilisés sur ces questions, tandis que les
opérateurs ont eu une stratégie très prudente car ils savent
que l’information peut être une arme susceptible de se
retourner contre eux.
De ce fait, aujourd’hui, les travaux des uns et des autres ne
sont pas agglomérables ; parfois même ils se neutralisent. On se
trouve dans la situation paradoxale d’une énergie collective
non négligeable consacrée à mener des enquêtes, sans parvenir
à des résultats pleinement robustes, acceptables par tous.
Certaines questions se répètent invariablement à vingt-cinq ans
d’intervalle.
Sur tous ces points, on peut mesurer l’écart entre notre sys-
tème et celui de nos voisins anglais et allemands. Dans ces
deux cas, leur système est politiquement stabilisé et donc il leur
est normal d’en avoir une représentation quantifiée, que ce soit
par l’Ofwat (régulateur économique du secteur privatisé de
l’eau) ou l’association des Stadtwerke (VKU). Le parcours fran-
çais est différent. Le système de la gestion déléguée est le pro-
duit d’un pragmatisme coutumier, d’une avancée patiente des
firmes. À cela vient s’ajouter une certaine culture du secret qui
habite une partie de l’action publique tout comme les sujets
financiers. Ce fut pendant longtemps un ensemble en mouve-
ment, produit de la compétition ; il n’était pas possible alors
d’en figer les catégories. Peut-être ce temps est-il maintenant
arrivé.
Pour toutes ces raisons, puisqu’il n’était pas possible de faire
un grand bilan, nous avons opté pour une note de recherche,
qui s’appuie sur quelques textes majeurs publiés au cours des
vingt-cinq dernières années. À défaut de disposer d’un bilan
d’ensemble, il est tout de même possible d’identifier :
- les critiques,
- les accords,
- les questions qui restent en suspens,
- le bilan partiel sur la mise en œuvre de la loi Sapin.
PRÉCAUTIONS
Mais avant de rentrer dans ce corpus, une autre précaution
s’impose. Il faut garder raison et conserver en mémoire certains
ordres de grandeur. Si l’on considère que la dépense moyenne
des ménages est de l’ordre de 311 Euros par an (2 040 F/an) il
faut rappeler que ce budget est loin d’être le plus important
comparé à d’autres services : l’énergie, le téléphone, les dépla-
cements (encadré 2). Et l’écart est encore bien plus grand si on
le compare aux autres consommations. Il y a 23 ans, Jacques
Attali proposait la typologie suivante (4) : « parmi les biens de
consommation dont les taux de croissance deviennent les plus
rapides et où les taux de profits sont les plus élevés, on trouve
de plus en plus souvent (…), les objets que j’appellerais objets
puérils (…), disques, électrophones, jouets et jeux, matériel sco-
laire et vêtements sportifs, produits diététiques et sanitaires, res-
tauration rapide, motocyclettes et appareils photos ; tout se
passe comme si ces objets puérils venaient s’ajouter, puis suc-
céder aux objets virils (l’automobile) et aux objets féminins
(machines à laver et équipements ménagers) ». Nous ajouterons
qu’au bas de cet édifice se trouvent les objets essentiels, dont
fait partie le secteur de l’eau. Quel est leur poids dans les
dépenses des ménages ? Quelle est la vitesse de croissance des
firmes qui les gèrent et leurs profits ? L’énergie collective qui
doit être consacrée, par les élus et les institutions publiques, à
optimiser ce secteur doit rester à la hauteur de ces ordres de
grandeur là, même si, comme on le verra plus loin, les réactions
les plus fortes se justifient souvent par les écarts extrêmes par