le Courrier ACP-UE juillet-août 2002
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Depuis les années 80, de plus en plus de joueurs afri-
cains évoluent dans les championnats européens. Il suffit pour
s’en convaincre d’observer les compositions des équipes natio-
nales africaines présentes au Japon et en Corée du Sud : les
23 Camerounais sélectionnés jouent à l’étranger, de même que
22 Sénégalais, 21 Nigérians, 16 Sud-Africains et 9 Tunisiens.
L’Afrique ne retient donc pas plus ses sportifs que ses cerveaux.
D’aucuns attribueront cela à un syndrome post-colonialiste
dont seraient atteints les Européens. En fait, les dirigeants
sportifs du Nord profitent surtout du manque de moyens des
ligues nationales africaines, incapables de créer et d’entretenir
les infrastructures nécessaires à la pratique du football profes-
sionnel. Henri Depireux, ex-entraîneur de l’équipe nationale
du Cameroun raconte : « Quand je suis arrivé au Cameroun,
il n’y avait plus de fédération nationale de football. C’est le
même problème pour de nombreux pays africains : ils ont de
très bons joueurs mais pas d’équipe ». Et lorsqu’elles existent, les
ligues nationales n’ont pas les moyens d’offrir une formation
adéquate et encore moins de rémunérer ses professionnels.
Dans ces conditions, les jeunes footballeurs acceptent sans hési-
ter les alléchantes propositions des « découvreurs de talents ».
Mais dans le monde du foot, il y a beaucoup d’appelés pour très
peu d’élus, comme l’explique Henri Depireux : « Pour les
Africains, c’est le nirvana en Europe. On parle de Mboma ou
Okocha qui gagnent beaucoup d’argent mais derrière, ils sont
des milliers à ne pas pouvoir boucler les fins de mois ».
Football et développement
Bénéficiant de financements privés et publics restreints,
les pays d’Afrique n’ont donc pas de quoi retenir leurs
meilleurs joueurs. Pourtant, le football reste le sport roi en
Afrique et sa professionnalisation peut avoir des effets béné-
fiques, comme le relate Paul Darby, professeur à l’université
d’Ulster : « Le football peut avoir un impact bénéfique pour
l’économie et aboutir à de l’investissement. Le sport peut aussi
aider à dépasser les divisions ethniques et encourager un senti-
ment d’unité nationale. En l’absence de force économique ou
militaire, le football peut être un des moyens par lequel les
pays africains, en particulier en Afrique subsaharienne, peu-
vent s’exprimer et prendre part à la scène internationale. »
Cette opinion est partagée par Jean-Marc Guillou, entraîneur
d’un club belge de division 1 et fondateur d’un centre de for-
mation en Côte d’Ivoire : « Le football est évidemment un fac-
teur de développement pour des pays africains. Au même titre
que la musique ou l’art, c’est une activité susceptible de don-
ner confiance et valoriser les Africains », commente-t-il. Mais
pour qu’une équipe nationale de football puisse servir de vitri-
ne à son pays, des investissements colossaux s’avèrent néces-
saires. Dans un éditorial consacré à la Coupe du monde, Jean-
Baptiste Placca, directeur de la rédaction du bi-mensuel
L’autre Afrique dresse le constat que « même parmi ceux qui
prétendent aimer le football, peu de responsables politiques
africains comprennent que le sport, aussi, peut être un vecteur
L’Afrique
sur la touche du
football mondial
Sénégal - France : 1-0.
Inimaginable pour beaucoup, ce score
étonnant reflète pourtant le fabuleux
potentiel que représente le football
sénégalais et africain dans son
ensemble. Cette victoire des Lions de la
Teranga, c’est aussi celle du continent
africain tout entier, un continent laissé
sur la touche du football mondial.
A l’heure où l’Afrique alimente en
talents le football européen, elle ne
parvient pas à profiter du
développement économique et social
que la professionnalisation de ce sport
peut engendrer, reste sous-représentée
dans les comités décisionnels de la FIFA
et inexistante dans l’organisation d’une
phase finale de Coupe du monde.
Isabelle Saussez
© BELGA
Le 11 Juin 2002, le défenseur sénégalais Khalilou Fadiga (à droite) marque et laisse éclater sa
joie en compagnie d'Henri Camara (à gauche) et El Hadj Diouf (au milieu) lors du match
opposant le Sénégal à l'Uruguay. Mondial 2002. Suwon, Corée du Sud
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de développement dans lequel il suffirait de mettre les moyens
conséquents pour en apprécier les retombées économiques.
Hélas, pour les talents sportifs comme pour les matières pre-
mières, on préfère les céder à vil prix aux autres, qui les trans-
forment ensuite pour les mettre à prix d’or sur le marché ».
Ebauches de solutions
Pour tenter de résorber une partie du retard des ligues natio-
nales africaines et « alléger » les investissements publics indis-
pensables, la FIFA a initié, en 1999, le projet « Goal », un pro-
gramme destiné à développer la pratique du football dans des
pays en voie de développement. Le budget approuvé s’élève à
100 millions de francs suisses, un montant couvrant de 80 à
120 projets. La FIFA distribue les fonds selon les besoins des
ligues nationales : construction ou rénovation de terrains, créa-
tion de centres de formation, formation à la médecine sportive
et à l’arbitrage. L’initiative est louable de la part de la fédération
internationale mais la destination finale des fonds est parfois
obscure. Dans sa campagne pour l’élection à la présidence de la
FIFA, Issa Hayatou, le candidat camerounais opposé à Sepp
Blatter a maintes fois dénoncé l’opacité de ce projet.
En 2002, pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du
monde de football, c’est le continent asiatique qui a été choisi
pour accueillir la phase finale du tournoi. Depuis 1930,
l’Europe a accueilli l’épreuve 9 fois, l’Amérique du Sud, 4 fois et
l’Amérique du Nord, 3 fois. L’Afrique et l’Océanie sont donc les
parents pauvres de cet événement d’envergure planétaire.
Pourtant, l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde
de football au continent africain pourrait théoriquement créer
des retombées positives pour l’économie locale et pour le presti-
ge du football africain. Dans son programme, l’Afrique du Sud,
candidate malheureuse à l’organisation du tournoi de 2006
insistait sur les avantages économiques qu’elle pourrait en tirer.
Dans son livre « Africa, football and FIFA », Paul Darby reprend
ces arguments : « L’attribution de la Coupe du monde 2006 à
l’Afrique du Sud pourrait amener des avantages sociaux, écono-
miques et sportifs significatifs pour ce pays. Un Mondial y crée-
rait de nombreuses perspectives d’emploi, développerait les ins-
tallations sportives, aiderait la nation à
acquérir une aura internationale et génére-
rait du tourisme ». La justice, l’équité et le
bon sens auraient voulu que le continent
africain soit l’hôte du prochain Mondial et
la mise en valeur du caractère panafricain
de la candidature de la « nation arc-en-
ciel » n’a pas échappé aux observateurs.
Mainmise européenne
Mais, pour la dixième fois, l’Europe
aura cet honneur. Lors de son vote, le
Comité exécutif de la FIFA a en effet
confié à l’Allemagne l’organisation du
Mondial 2006. Acquis par 12 voix contre
11 pour l’Afrique du Sud, ce résultat a sus-
cité une grande indignation dans les rangs
des partisans de l’organisation d’une
Coupe du monde en Afrique. Résultat
d’autant plus contesté qu’il est causé par
l’abstention surprise du Néo-Zélandais
Charles Dempsey, pourtant mandaté par
sa fédération pour soutenir la candidature
sud-africaine. Des allégations de corrup-
tion à celles de menaces de mort, les raisons exactes de l’abs-
tention de Charles Dempsey ne seront sans doute jamais
connues. Paul Darby estime que « sans tenir compte du rôle de
Dempsey dans cette affaire, les Sud-Africains ont aussi ressenti
que la décision d’attribuer sa 10eCoupe du monde à l’Europe
était la preuve d’une sorte de parti pris eurocentriste, une carac-
téristique de la FIFA qui limite la capacité de l’Afrique à
construire et consolider sa place dans le monde du football ».
Pour qu’un tel événement soit effectivement un facteur de
développement, il est nécessaire que le pays organisateur ait lui-
même atteint un certain stade de développement économique,
social et politique. Ainsi, l’organisation de la 32eCoupe
d’Afrique des Nations (CAN) au Mali a suscité de nombreuses
critiques, jusque dans les rangs des organisations d’aide au
développement. Le Mali a officiellement injecté près de 90 mil-
lions d’euros pour accueillir les 16 équipes en compétition. Un
luxe considéré comme dispendieux pour ce pays qui est l’un des
dix plus pauvres au monde. D’autant que les retombées directes
ont été presque nulles puisque le pays a dû se contenter des
recettes de la billetterie.
Cependant, les situations économiques de l’Afrique du Sud
et du Mali ne sont pas comparables et la CAN ne draine pas le
même public que la Coupe du monde. L’Afrique du Sud dis-
pose d’infrastructures sportives, hôtelières, routières ou
aériennes développées et elle a déjà fait preuve de ses capacités
en accueillant la Coupe du monde de rugby en 1995.
Si le football peut être un facteur de développement local,
national et transnational, il nécessite des investissements consi-
dérables que tous les gouvernements ne peuvent raisonnable-
ment se permettre. Pour bon nombre de pays africains faisant
partie des PMA, la question des priorités se pose alors, comme
l’explique Paul Darby : « La question la plus cruciale est de
savoir si les gouvernements devraient investir les ressources
financières nécessaires dans le sport alors que leurs populations
vivent dans des conditions de pauvreté extrême ».
1. En cas d’égalité, comme cela aurait été le cas si Charles Dempsey ne s’était abs-
tenu, le vote du Président de la FIFA, Sepp Blatter, aurait été prépondérant. En
l’occurrence, celui-ci avait attribué sa voix à l’Afrique du Sud.
© BELGA
Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, célèbre la victoire de son équipe lors du match
opposant le Sénégal à la France. Mondial 2002, Séoul
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