_point de mire Sénégal - France : 1-0. Inimaginable pour beaucoup, ce score étonnant reflète pourtant le fabuleux potentiel que représente le football sénégalais et africain dans son ensemble. Cette victoire des Lions de la Teranga, c’est aussi celle du continent africain tout entier, un continent laissé sur la touche du football mondial. A l’heure où l’Afrique alimente en talents le football européen, elle ne parvient pas à profiter du développement économique et social que la professionnalisation de ce sport peut engendrer, reste sous-représentée dans les comités décisionnels de la FIFA et inexistante dans l’organisation d’une phase finale de Coupe du monde. Isabelle Saussez © BELGA L’Afrique sur la touche du football mondial Le 11 Juin 2002, le défenseur sénégalais Khalilou Fadiga (à droite) marque et laisse éclater sa joie en compagnie d'Henri Camara (à gauche) et El Hadj Diouf (au milieu) lors du match opposant le Sénégal à l'Uruguay. Mondial 2002. Suwon, Corée du Sud Depuis les années 80, de plus en plus de joueurs africains évoluent dans les championnats européens. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les compositions des équipes nationales africaines présentes au Japon et en Corée du Sud : les 23 Camerounais sélectionnés jouent à l’étranger, de même que 22 Sénégalais, 21 Nigérians, 16 Sud-Africains et 9 Tunisiens. L’Afrique ne retient donc pas plus ses sportifs que ses cerveaux. D’aucuns attribueront cela à un syndrome post-colonialiste dont seraient atteints les Européens. En fait, les dirigeants sportifs du Nord profitent surtout du manque de moyens des ligues nationales africaines, incapables de créer et d’entretenir les infrastructures nécessaires à la pratique du football professionnel. Henri Depireux, ex-entraîneur de l’équipe nationale du Cameroun raconte : « Quand je suis arrivé au Cameroun, il n’y avait plus de fédération nationale de football. C’est le même problème pour de nombreux pays africains : ils ont de très bons joueurs mais pas d’équipe ». Et lorsqu’elles existent, les ligues nationales n’ont pas les moyens d’offrir une formation adéquate et encore moins de rémunérer ses professionnels. Dans ces conditions, les jeunes footballeurs acceptent sans hésiter les alléchantes propositions des « découvreurs de talents ». Mais dans le monde du foot, il y a beaucoup d’appelés pour très peu d’élus, comme l’explique Henri Depireux : « Pour les Africains, c’est le nirvana en Europe. On parle de Mboma ou Okocha qui gagnent beaucoup d’argent mais derrière, ils sont des milliers à ne pas pouvoir boucler les fins de mois ». 16 le Courrier ACP-UE juillet-août 2002 Football et développement Bénéficiant de financements privés et publics restreints, les pays d’Afrique n’ont donc pas de quoi retenir leurs meilleurs joueurs. Pourtant, le football reste le sport roi en Afrique et sa professionnalisation peut avoir des effets bénéfiques, comme le relate Paul Darby, professeur à l’université d’Ulster : « Le football peut avoir un impact bénéfique pour l’économie et aboutir à de l’investissement. Le sport peut aussi aider à dépasser les divisions ethniques et encourager un sentiment d’unité nationale. En l’absence de force économique ou militaire, le football peut être un des moyens par lequel les pays africains, en particulier en Afrique subsaharienne, peuvent s’exprimer et prendre part à la scène internationale. » Cette opinion est partagée par Jean-Marc Guillou, entraîneur d’un club belge de division 1 et fondateur d’un centre de formation en Côte d’Ivoire : « Le football est évidemment un facteur de développement pour des pays africains. Au même titre que la musique ou l’art, c’est une activité susceptible de donner confiance et valoriser les Africains », commente-t-il. Mais pour qu’une équipe nationale de football puisse servir de vitrine à son pays, des investissements colossaux s’avèrent nécessaires. Dans un éditorial consacré à la Coupe du monde, JeanBaptiste Placca, directeur de la rédaction du bi-mensuel L’autre Afrique dresse le constat que « même parmi ceux qui prétendent aimer le football, peu de responsables politiques africains comprennent que le sport, aussi, peut être un vecteur _point de mire de développement dans lequel il suffirait de mettre les moyens conséquents pour en apprécier les retombées économiques. Hélas, pour les talents sportifs comme pour les matières premières, on préfère les céder à vil prix aux autres, qui les transforment ensuite pour les mettre à prix d’or sur le marché ». Ebauches de solutions Pour tenter de résorber une partie du retard des ligues nationales africaines et « alléger » les investissements publics indispensables, la FIFA a initié, en 1999, le projet « Goal », un programme destiné à développer la pratique du football dans des pays en voie de développement. Le budget approuvé s’élève à 100 millions de francs suisses, un montant couvrant de 80 à 120 projets. La FIFA distribue les fonds selon les besoins des ligues nationales : construction ou rénovation de terrains, création de centres de formation, formation à la médecine sportive et à l’arbitrage. L’initiative est louable de la part de la fédération internationale mais la destination finale des fonds est parfois obscure. Dans sa campagne pour l’élection à la présidence de la FIFA, Issa Hayatou, le candidat camerounais opposé à Sepp Blatter a maintes fois dénoncé l’opacité de ce projet. En 2002, pour la première fois dans l’histoire de la Coupe du monde de football, c’est le continent asiatique qui a été choisi pour accueillir la phase finale du tournoi. Depuis 1930, l’Europe a accueilli l’épreuve 9 fois, l’Amérique du Sud, 4 fois et l’Amérique du Nord, 3 fois. L’Afrique et l’Océanie sont donc les parents pauvres de cet événement d’envergure planétaire. Pourtant, l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde de football au continent africain pourrait théoriquement créer des retombées positives pour l’économie locale et pour le prestige du football africain. Dans son programme, l’Afrique du Sud, candidate malheureuse à l’organisation du tournoi de 2006 insistait sur les avantages économiques qu’elle pourrait en tirer. Dans son livre « Africa, football and FIFA », Paul Darby reprend ces arguments : « L’attribution de la Coupe du monde 2006 à l’Afrique du Sud pourrait amener des avantages sociaux, économiques et sportifs significatifs pour ce pays. Un Mondial y créerait de nombreuses perspectives d’emploi, développerait les installations sportives, aiderait la nation à acquérir une aura internationale et générerait du tourisme ». La justice, l’équité et le bon sens auraient voulu que le continent africain soit l’hôte du prochain Mondial et la mise en valeur du caractère panafricain de la candidature de la « nation arc-enciel » n’a pas échappé aux observateurs. tion à celles de menaces de mort, les raisons exactes de l’abstention de Charles Dempsey ne seront sans doute jamais connues. Paul Darby estime que « sans tenir compte du rôle de Dempsey dans cette affaire, les Sud-Africains ont aussi ressenti que la décision d’attribuer sa 10e Coupe du monde à l’Europe était la preuve d’une sorte de parti pris eurocentriste, une caractéristique de la FIFA qui limite la capacité de l’Afrique à construire et consolider sa place dans le monde du football ». Pour qu’un tel événement soit effectivement un facteur de développement, il est nécessaire que le pays organisateur ait luimême atteint un certain stade de développement économique, social et politique. Ainsi, l’organisation de la 32e Coupe d’Afrique des Nations (CAN) au Mali a suscité de nombreuses critiques, jusque dans les rangs des organisations d’aide au développement. Le Mali a officiellement injecté près de 90 millions d’euros pour accueillir les 16 équipes en compétition. Un luxe considéré comme dispendieux pour ce pays qui est l’un des dix plus pauvres au monde. D’autant que les retombées directes ont été presque nulles puisque le pays a dû se contenter des recettes de la billetterie. Cependant, les situations économiques de l’Afrique du Sud et du Mali ne sont pas comparables et la CAN ne draine pas le même public que la Coupe du monde. L’Afrique du Sud dispose d’infrastructures sportives, hôtelières, routières ou aériennes développées et elle a déjà fait preuve de ses capacités en accueillant la Coupe du monde de rugby en 1995. Si le football peut être un facteur de développement local, national et transnational, il nécessite des investissements considérables que tous les gouvernements ne peuvent raisonnablement se permettre. Pour bon nombre de pays africains faisant partie des PMA, la question des priorités se pose alors, comme l’explique Paul Darby : « La question la plus cruciale est de savoir si les gouvernements devraient investir les ressources financières nécessaires dans le sport alors que leurs populations vivent dans des conditions de pauvreté extrême ». ■ 1. En cas d’égalité, comme cela aurait été le cas si Charles Dempsey ne s’était abstenu, le vote du Président de la FIFA, Sepp Blatter, aurait été prépondérant. En l’occurrence, celui-ci avait attribué sa voix à l’Afrique du Sud. Mais, pour la dixième fois, l’Europe aura cet honneur. Lors de son vote, le Comité exécutif de la FIFA a en effet confié à l’Allemagne l’organisation du Mondial 2006. Acquis par 12 voix contre 11 pour l’Afrique du Sud, ce résultat a suscité une grande indignation dans les rangs des partisans de l’organisation d’une Coupe du monde en Afrique. Résultat d’autant plus contesté qu’il est causé par l’abstention surprise du Néo-Zélandais Charles Dempsey, pourtant mandaté par sa fédération pour soutenir la candidature sud-africaine. Des allégations de corrup- © BELGA Mainmise européenne Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, célèbre la victoire de son équipe lors du match opposant le Sénégal à la France. Mondial 2002, Séoul juillet-août 2002 le Courrier ACP-UE 17