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LA NEUROPLASTICITE
G. GANDOLFO
Laboratoire de neurobiologie et psychotraumatologie
Université de Nice-Sophia Antipolis
Introduction
Obsolescence de la controverse inné-acquis
La plasticité développementale
Notion de période critique : le chant des oiseaux
Influence du milieu extérieur : le développement du cortex visuel
Influence du milieu intérieur : la différenciation sexuelle chez le fœtus de mammifère
La plasticité comportementale adulte (ou postdéveloppementale)
La vicariance
La suppléance
L’adaptation motrice chez le spationaute en apesanteur
La malléabilité des perceptions affectives
La plasticité corticale
La neurogenèse secondaire
Les cartes corticales sensorielles et motrices
La plasticité synaptique
Notion d’assemblée cellulaire et de force (ou efficacité) synaptique
L’apprentissage par stabilisation sélective des synapses en voie de développement
Plasticité à court et à long terme
Notion de métaplasticité
La plasticité réparatrice
La capacité d’autoréparation du système nerveux :
La régénération dans le système nerveux périphérique
La régénération centrale : bourgeonnement, hypersensibilité de dénervation, synapses
silencieuses
La médecine régénérative : thérapies cellulaires, rééducation ciblée, stimulation intracérébrale
Conclusion
Les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur la neuroplasticité
Pour en savoir plus :
Gandolfo, G. et Grammont, F. Les divers aspects de la neuroplasticité. Biologie-Géologie,
2 : 291-312, 2005.
Gandolfo, G. et Miquel, P.A. La mémoire : une approche interdisciplinaire. BiologieGéologie, 2 : 97-130, 2008.
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Obsolescence de la controverse inné-acquis
Longtemps on a pensé que le SN était intangible, immuable : dès sa constitution, le
cerveau était une structure organique fixée une fois pour toutes et commençait à mourir dès
l’adolescence. Autrement dit, l’aspect inné était prépondérant.
Les progrès techniques réalisés en génétique ont permis de décrypter à tour de bras
surtout à partir des années 2000 les génomes de nombreux êtres vivants. On s’est rendu
compte qu’il n’y avait pas de grosses variations entre Caenorhabditis elegans, un vers
nématode, et le chimpanzé : de 20 à 35 000 gènes. Puis ce fut le tour du génome humain en
2009 : une petite trentaine de milliers de gènes seulement, un chiffre revu récemment à la
baisse d’ailleurs (22 à 25 000 selon les études), bref, comme la plupart des animaux. Il est loin
le temps où l’on s’était crédité d’au moins 100 000 gènes… avant toute technique de
décryptage ! Pire si l’on considère certains végétaux : la tomate a aussi 35 000 gènes et le
maïs en possède 54 600 soit plus du double que l’Homme! En dépit de la blessure infligée à
notre orgueil anthropocentriste, il a fallu convenir que ce nombre de gènes est largement
insuffisant pour expliquer l’immense variété des caractères humains, de nos conduites
comportementales, de nos façons de faire, d’agir, de savoir, car il y a autant de personnalités
que de personnes vivant et ayant vécu sur Terre. Impossible donc d’expliquer avec ce nombre
de gènes le fonctionnement du cerveau et du SN, un système aussi dynamique, aussi
redondant, qui est capable de s’adapter aux innombrables variations des milieux (extérieur et
intérieur) et d’être en fin de compte modulé par la propre activité qu’il génère.
Qu’est-ce qui fait alors la différence ? Alors que le nématode C. elegans possède 302
neurones et la mouche du vinaigre 200 000, on admet aujourd’hui que le cerveau humain est
constitué d’environ 100 milliards de neurones, chacun étant capable d’établir en moyenne un
millier de connexions synaptiques avec les autres (réseaux), ce qui représente quelques cent
mille milliards de synapses ! De quoi expliquer les très nombreuses aptitudes du cerveau et
surtout son extraordinaire faculté d’adaptation, qu’on appelle la plasticité. C’est donc bien les
incessantes réorganisations de ces réseaux de neurones, et non pas le nombre de gènes, qui
sont à l’origine de l’extrême variabilité des capacités humaines. Ex : qu’est-ce qui fait qu’un
pianiste est moyen, bon ou virtuose : ce ne sont pas ses gènes, mais le fonctionnement plus ou
moins coordonné de ses réseaux de neurones.
Certes, l’influence des gènes demeure : ils donnent un cadre dans la constitution du
SN mais aussi dans le changement de la connectivité neuronale, autrement dit ils rendent
possibles les modifications de certains comportements. Comme le prouvent les animaux ayant
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subi des mutations génétiques expérimentales : souris avec des troubles de la locomotion, de
la capacité d’apprentissage, de la prise alimentaire ou hydrique… (modèles animaux).
Mais si les gènes donnent un cadre à la construction et au fonctionnement du cerveau,
les réseaux de neurones aussi, qui sont constamment modifiés par les facteurs
environnementaux liés à l’expérience du sujet (apprentissage). Quel est alors leurs poids
respectif, entre déterminisme génétique et liberté personnelle ? Notre sentiment de liberté
dans nos prises de décisions morales (libre-arbitre) est-il réel ou illusoire ? D’autant qu’on vit
en société. Certes, certaines sociétés (insectes sociaux) sont organisées de façon entièrement
génétique avec une seule reine (et pas 2 !), des ouvrières, des soldats, chacun ayant une tâche
bien précise. Mais si, par ex, les butineuses chez les abeilles sont décimées, le programme
génétique fera alors en sorte que des ouvrières vont donner des butineuses.
Au cours de l’évolution des espèces, les gènes vont perdre progressivement le contrôle
final des comportements. Ex : chez la mouche du vinaigre, le programme génétique contrôle
encore entièrement le comportement sexuel. Mâles et femelles sont normalement
hétérosexuels à 100% et le mâle suit un protocole de séduction rigide : faire de la musique
avec ses ailes, toucher les pattes de la femelle qui a émis une phéromone… Si, par
manipulation génétique, on empêche la femelle de produire les phéromones, le mâle va alors
courtiser… d’autres mâles ! Mâle et femelle ont un gène commun « responsable » de ce
comportement mais qui est « travaillé » (épissé) de façon différente selon le sexe : si on
transfère ce gène d’un mâle chez une femelle, celle-ci va courtiser d’autres femelles, comme
l’aurait fait le mâle.
A ne pas extrapoler à l’Homme ! Notre constitution génétique est faite pour qu’on soit
libre : si les réseaux de neurones se construisent bien à partir du programme génétique
(« circuiterie » neuronale), les détails de la construction dépendent de l’environnement. Ex. du
morceau de musique : il y a la partition d’origine écrite par le compositeur et les variations
jouées par le pianiste qui vont changer la mélodie, chaque pianiste apportant sa « touche »
personnelle.
Ce qui change, c’est la force (efficacité) des connexions synaptiques : la plasticité tend
à nous rendre tous différents, même des jumeaux avec certains caractères communs mais qui
ont des personnalités différentes, une différence encore plus marquée s’ils ont été élevés dans
des milieux différents (adoption séparée après l’orphelinat). Les réseaux de neurones et les
connexions synaptiques qui composent le SN sont ainsi constamment modifiés par
l’apprentissage, même chez l’adulte. Ces modifications peuvent même être transmises de
génération en génération en dehors de la voie des gènes : on parle d’épigenèse et de
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mémétique. L’épigenèse (ou épigénétique) est l’ensemble des facteurs environnementaux
(nutritionnels, sensoriels, l’expérience sociale) et intrinsèques (interactions entre les cellules,
sécrétions de substances chimiques : neuromédiateurs, hormones…) qui sont à la base surtout
de la plasticité développementale. La mémétique est l’étude de la transmission dans le temps
et l’espace des activités culturelles au sein des communautés humaines : le « même » est un
terme forgé par Richard Dawkins (Le gène égoïste, 1976) et désigne un réplicateur
indépendant de l’ADN et permettant de transmettre, en dehors donc de la voie génétique, une
unité d’information culturelle (idée, mode de pensée, savoir-faire, technique, habitudes,
traditions, us et coutumes…) qui se copie d’un cerveau vers un autre selon des processus
évolutionnistes ; ce sont surtout des apprentissages par imitation dans lesquels interviennent
les neurones miroirs. On est ainsi arrivé à ce paradoxe : les progrès dans les techniques
génétiques, dont le décryptage génomique, a mis un terme à l’idéologie du « tout génétique »
qui réduisait tout comportement, toute pathologie à l’expression d’un ou plusieurs gènes.
La neuroplasticité souligne donc le caractère obsolète du débat séculaire entre l’inné et
l’acquis. Charles Darwin fut le premier à le remarquer quand il dit que la sélection naturelle
ne peut se faire sans des variations spontanées de l’instinct : il définit l’adaptation comme un
dispositif permettant à la fois de saisir les occasions génétiques et de diriger le hasard vers des
voies compatibles avec la vie dans un milieu donné. L’empreinte perceptive, popularisée par
Konrad Lorenz, entérine cette obsolescence : la possibilité d’empreinte à la naissance qui se
traduit par un attachement profond et durable est innée car toutes les espèces évoluées
(certains poissons, les oiseaux et les mammifères la possèdent), mais l’attachement est une
acquisition dans la mesure où Lorenz s’est substitué à la mère naturelle des oisons. François
Jacob (Le jeu des possibles) fera, lui, de l’adaptation le résultat d’un dialogue permanent entre
les gènes et le milieu environnant, entre les facteurs biologiques et culturels.
La plasticité du SN s’organise ainsi à plusieurs niveaux : au cours du développement
de l’individu lors des premiers âges de la vie, mais aussi chez l’adulte. Elle concerne, de la
manière la plus visible, les comportements et leur malléabilité, mais également le niveau
structural du cerveau, notamment le cortex cérébral, siège des fonctions cognitives, qui a
l’aptitude à se modifier en fonction des diverses expériences vécues, et enfin le niveau
cellulaire et synaptique. D’où le plan (doc.1) : plasticité développementale (avec la notion de
période critique) ; plasticité comportementale chez l’adulte ; plasticité corticale ; plasticité
synaptique ; enfin, l’aspect clinique avec la plasticité réparatrice, c’est-à-dire la capacité
d’autoréparation du SN après lésions et les pistes thérapeutiques qu’elle promet dans la
médecine régénérative.
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La plasticité développementale
1/ Notion de période critique (ou sensible) au cours de l’ontogenèse (doc.2)
Cas du chant des oiseaux dans diverses situations expérimentales montrant, selon les
espèces, des différences de plasticité de la structure cérébrale du chant.
2/ Influence du milieu extérieur : le développement du cortex visuel (doc.3 et 4)
Doc.3 : les expériences de Riesen chez le chaton reprises par Hubel et Wiesel (Prix
Nobel) montrent qu’une fonction donnée peut être abolie sans retour possible si elle n’est
jamais exercée durant la période critique : si on suture la paupière d’un œil (privation
monoculaire) avant l’âge de 2,5 mois après la naissance, le nombre de neurones dans le cortex
visuel primaire est drastiquement réduit et l’animal, devenu adulte et auquel on enlève la
suture, se comporte comme un animal borgne (il perd sa vision stéréoscopique). Ce n’est plus
le cas si la suture palpébrale est effectuée plus tard, même si le nombre de neurones reste
globalement diminué par rapport au témoin.
Doc.4 : même expérience faite sur le singe et montrant au moyen d’un traceur
radioactif l’altération de la mise en place des colonnes de dominance oculaire qui donnent son
aspect (et son nom) strié au cortex visuel.
3/ Influence du milieu intérieur : la différenciation sexuelle chez le fœtus de
mammifère ;
La période critique est, ici, intra-utérine. La différenciation sexuelle se fait en fonction
de la présence ou non de testostérone, l’hormone sexuelle mâle, le cerveau du fœtus prenant
alors les caractères sexuels correspondants. Tout se joue sur l’hypothalamus, une structure
cérébrale responsable des variations mensuelles de la sécrétion des hormones sexuelles. Si un
événement extérieur modifie l’ambiance hormonale lors de la période critique fœtale, on peut
modifier définitivement les caractères sexuels ultérieurs et provoquer certaines déviations.
Une étude sociologique a ainsi montré en Allemagne un fort accroissement du taux
d’homosexualité masculine chez les garçons nés vers la fin de la Seconde Guerre mondiale :
le stress maternel des femmes enceintes, en libérant massivement de l’ocytocine, a neutralisé
les effets de la testostérone.
En conclusion, l’environnement joue un rôle indispensable dans l’établissement d’une
aptitude, mais si les stimulus adéquats ne surviennent pas au cours d’une période critique (de
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durée variable selon les espèces et les aptitudes), l’aptitude en question ne se développe pas.
C’est le cas des enfants dits sauvages ou enfants-loups (qui ont inspiré un film à François
Truffaut) : un enfant abandonné à la naissance, livré à lui-même, non exposé à certains
stimulus (par exemple ceux du langage) aura, une fois la période critique dépassée, les pires
difficultés à apprendre à marcher, à parler, et une incapacité définitive à tout comportement
social.
La plasticité comportementale adulte ou post-développementale
1/ La vicariance
Dans les années 1970, on a nommé vicariance la possibilité de récupération d’une
fonction abolie chez l’adulte par une autre structure cérébrale que celle d’origine. Ex : chez le
singe, une ablation bilatérale et simultanée des deux hippocampes (structures cérébrales
impliquées dans la mémoire spatiale) empêche ce dernier de localiser des objets (une banane
sous une table). Par contre, cette faculté est conservée si on diffère les deux ablations
(hippocampe droit et gauche) de quinze jours. On a interprété ces résultats comme si une autre
structure cérébrale différente de l’hippocampe ipsilatéral avait « récupéré » la fonction de ce
dernier au cas où l’hippocampe controlatéral serait à son tour endommagé (une sorte de
« principe de précaution »), mais sans savoir au juste comment.
2/ La suppléance
Malgré l’asymétrie fonctionnelle des deux hémisphères cérébraux, il est possible que
l’un des hémisphères « supplée » l’autre en cas de défaillance. Cette suppléance est d’autant
plus nette qu’elle survient plus tôt lors de l’ontogenèse. Ex : un adulte ayant subi un « cerveau
dédoublé », auquel a été sectionné le corps calleux (callosotomie), principal faisceau de fibres
interhémisphériques, est ainsi incapable de nommer un objet présenté dans l’hémichamp
visuel gauche ou palpé par la main gauche les yeux fermés, de se conformer à des consignes
verbales devant être exécutées avec la main gauche. Car toutes ces activités concernent
l’hémisphère droit qui n’est plus relié au gauche (celui du langage) par le corps calleux. En
revanche, un enfant né sans ces fibres de liaison entre les deux hémisphères (agénésie
congénitale du corps calleux) ne présente aucun syndrome de déconnexion calleuse : il y a
donc eu une réorganisation cérébrale précoce qui a fait en sorte que l’hémisphère droit,
pourtant normalement non-verbal, soit en mesure d’effectuer à lui seul des tâches nécessitant
habituellement une collaboration interhémisphérique.
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On peut à un chat « cerveau dédoublé » expérimental faire apprendre deux tâches
opposées en masquant alternativement un œil puis l’autre, ce qui est évidemment impossible
chez un chat ayant conservé son corps calleux. Cela démontre que chez l’animal intact, il y a
normalement duplication des engrammes mnésiques dans chaque hémisphère cérébral, l’un
suppléant donc l’autre en cas de déficience. Chez l’Homme aussi, mais cela est « masqué »
par la spécialisation fonctionnelle des hémisphères cérébraux due à l’émergence du langage
articulé qui est surtout traité par le gauche. D’aucuns ont alors suggéré que les capacités du
cerveau humain ne sont pas exploitées à plein et qu’on stockerait beaucoup plus
d’informations si on faisait travailler indépendamment les deux hémisphères cérébraux !
3/ L’adaptation motrice chez le spationaute en apesanteur
L’adaptation motrice consiste en la modification du répertoire mémorisé de nos
comportements moteurs et se traduit par une réorganisation complète des circuits corticaux
moteurs en cas de séjour prolongé en apesanteur ou en microgravité (vol Neurolab en 1998).
Sur terre, la force de gravité sert de référence pour tout mouvement du corps : le cerveau
reçoit des informations vestibulaires, visuelles et proprioceptives à partir desquelles il planifie
et exécute les gestes. Dans l’espace, il n’y a plus d’informations vestibulaires en raison de
l’apesanteur et celles provenant des articulations et des muscles (proprioception) sont
perturbées, le poids des membres ayant disparu. Il ne reste donc plus que la vision pour
déterminer le « haut » et le « bas ». Pourtant, en quelques heures seulement, l’astronaute
s’accoutume à l’apesanteur, se déplace sans difficulté, présente de nouveaux gestes quotidiens
plus mesurés, mieux coordonnés à la vie dans la station spatiale. Bien sûr, il a dû s’entraîner
au préalable : au cours d’essais dans une « centrifugeuse », le sujet a une sensation de rotation
qui disparaît quand la vitesse angulaire devient constante (accélération nulle) ; sur terre, le
sujet a alors l’impression d’être incliné ; dans la navette spatiale, il a la sensation d’être
couché sur le côté (inclinaison à 90°). Pour le cerveau, la force centrifuge a été considérée
comme une gravité virtuelle et il l’a prise comme verticale. La période initiale d’adaptation
fonctionnelle a ainsi consisté en la recherche par le cerveau d’une nouvelle référence en
l’absence de gravité, car il a besoin d’une grandeur pertinente qu’il extrait du monde physique
pour simplifier le traitement neural des informations sensorielles et guider les mouvements.
Le retour sur terre après un séjour durable dans la navette spatiale nécessitera un
nouvel apprentissage moteur, beaucoup plus rapide néanmoins que celui dans l’espace, qui
sollicitera une fois de plus une adaptation cérébrale.
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4/ La malléabilité des perceptions affectives
Toute perception sensorielle par le cerveau revêt deux aspects : cognitif et émotionnel.
La composante cognitive, qui aboutit à la connaissance générale du monde, est à la base du
processus de mémorisation, dépend de l’activation de réseaux nerveux de perception situés
essentiellement dans le cortex cérébral, la composante émotionnelle (toute expérience vécue
se faisant dans un contexte affectif ou émotionnel) dépendant de l’activité du système
limbique du cerveau.
Les perceptions affectives (peur, plaisir, douleur, appétence…) sont dites primaires
quand elles sont importantes par nature (autrement dit innées) et secondaires quand elles
peuvent être conditionnées par l’expérience. Ces dernières sont ainsi facilement modifiables.
Un stimulus engendrant la peur peut ainsi devenir appétitif sans que la contrepartie cognitive
ne soit changée pour autant : ex. l’attrait éprouvé par certains spectateurs pour les films
d’épouvante dont le rôle originel est de faire peur (on éprouve alors du plaisir à avoir peur).
Même chose pour la douleur : c’est le sadomasochisme. Un apprentissage réalisé sous une
importante charge affective peut modifier des perceptions affectives primaires en jouant
directement sur le centre cérébral affectif ou indirectement par le biais des réseaux de
neurones de la cognition : c’est ainsi qu’on change ses préférences alimentaires ou addictives.
Le contact avec d’autres savoirs, avec de nouvelles idées, peut même modifier notre
personnalité, nos buts dans la vie, la façon de voir et de comprendre les choses : ex. la capture
de John Walker, un jeune américain qui avait rejoint les talibans pour combattre à leur côté en
Afghanistan, a soulevé un émoi considérable aux Etats-Unis devant l’incompréhension
suscitée par un tel choix après l’attentat de 2001 contre les Tours Jumelles de New York. On
joue ici sur la plasticité des sentiments sociaux (ou conscience sociale) : ce sont des
perceptions affectives de très haute catégorie (compassion, empathie, jugement social,
sentiment de conformité sociale, plaisir à aider son prochain, remord à ne pas l’avoir fait) et
qui, elles, dépendent des zones les plus intégratives du cortex cérébral, qu’on peut appeler le
cerveau culturel, car forgées surtout par l’éducation, la loi, les traditions, les religions.
La plasticité corticale
1/ La neurogenèse secondaire
Le SN se développe selon une succession d’événements codifiée et des règles
spatiotemporelles strictes car innées de constitution du cerveau : c’est un mécanisme a priori
prédéterminé. La formation et le développement des cellules nerveuses se fait lors des étapes
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précoces de l’embryogenèse (induction, prolifération et migration) : c’est la neurogenèse
primaire. Et longtemps on a cru que le cerveau adulte était stable et que plus une cellule est
différenciée et spécialisée (c’est le cas du neurone), moins elle est susceptible de se
multiplier : en clair, on nait avec notre quota de neurones et tant pis si on les perd
progressivement au cours de la vie ! Ce fut le credo persistant des biologistes jusqu’à ce que
des chercheurs démontrent l’existence d’une neurogenèse secondaire, c’est-à-dire chez
l’adulte : en 1984, c’est une repousse de neurones chez des canaris apprenant un nouveau
chant à chaque printemps ; en 1985, cette repousse est confirmée chez le pinson et elle est
sous dépendance hormonale. Puis on trouve des néoneurones chez le grillon dans les corps
pédonculés responsables de la stridulation ; et dans le tectum des poissons ; puis dans
l’hippocampe et le bulbe olfactif des mammifères… Une étude de 1998 estime ainsi à 80 000
le nombre de nouveaux neurones produits chaque jour dans le bulbe olfactif de l’Homme
adulte : cette structure deviendra un réservoir de cellules souches neuronales (voir thérapies
cellulaires plus loin).
2/ Les cartes corticales sensorielles et motrices
Le cerveau construit des représentations topographiques du corps physique sous forme
de cartes sensorielles ou motrices, en surface du cortex cérébral ou dans des structures plus
profondes. Ces cartes ont l’allure d’une caricature du corps car les parties les plus impliquées
soit dans une perception sensorielle soit dans l’exécution de tâches motrices sont en quelque
sorte « hypertrophiées ». Le Doc.5 montre ainsi la carte somatosensorielle (ou somesthésique)
du cortex cérébral chez un rat (prépondérance du museau et des vibrisses), un raton-laveur
(des pattes antérieures) et d’un singe atèle (de la queue). Chez l’Homme (doc. 6), cette
caricature, appelée homonculus (moteur ici), montre l’importance de représentation surtout
des muscles de la face, de la main et de la langue, car l’Homme est un être qui communique
par la mimique, le geste et la parole.
La plasticité corticale peut être illustrée par la malléabilité de ces cartes. Chez
l’animal, c’est par des microélectrodes qu’on a montré en 1984 que la représentation de la
main sur le cortex somesthésique d’un singe hibou a été modifiée quelques mois après
l’ablation chirurgicale de l’un des doigts : les neurones de la zone corticale du doigt amputé se
mirent alors à répondre à la stimulation des doigts adjacents restés intacts. Chez l’Homme, on
utilise les techniques d’imagerie cérébrale. L’IRMf, créée en 1977, permet de suivre la
répartition et l’utilisation d’une substance radioactive injectée dans l’organisme, donc
d’étudier son fonctionnement. C’est une variante de la RMN (résonance magnétique
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nucléaire) mise au point en 1945 et basée sur le principe que le noyau (d’où nucléaire) de
certains atomes, l’hydrogène principalement utilisé, possède des propriétés magnétiques (d’où
magnétique) qui lui font absorber sélectivement (d’où résonance) l’énergie délivrée par une
onde électromagnétique semblable à celle d’une onde radio (radiofréquence).
En 1993, un patient atteint de syndactylie congénitale (il avait les doigts du majeur à
l’auriculaire soudés entre eux de naissance) présente à l’IRMf un chevauchement des aires
somesthésiques correspondant aux doigts soudés (doc. 7) : six jours après l’intervention
chirurgicale permettant la séparation de l’auriculaire, l’aire corticale de ce dernier se
différencie de celles des deux autres doigts encore soudés.
En 2003, on a pu ainsi mettre en relation le développement de la matière grise des
aires corticales concernées par l’exécution d’un morceau de musique (aires auditives, visuospatiales et de commande motrice) chez des musiciens professionnels, des amateurs et des
non-initiés en fonction de leur niveau respectif de compétence musicale et de l’intensité de
leur pratique instrumentale : ex., chez les violonistes et les violoncellistes, la représentation
sensorimotrice sur l’hémisphère droit des deux derniers doigts de la main gauche (dont
l’habileté est nécessaire à la pratique des instruments à cordes) est nettement plus développée
que celle des autres doigts.
En 2003 encore, cette possibilité de plasticité a été utilisée dans une expérience de
substitution sensorielle à but thérapeutique : un patient aveugle muni de lunettes avec caméra
intégrée qui transmet les images à un dispositif placé sur la peau du ventre et formé de
dizaines de petites pointes émoussées appuyant plus ou moins sur la peau en fonction des
modifications des images, ce patient donc a pu se déplacer dans des environnements
complexes (le métro !) et reconnaître des objets et des visages : l’IRMf a montré un
accroissement d’activité dans les aires occipitales visuelles alors que le patient est aveugle et
que son cerveau ne reçoit que des informations tactiles. Il y a donc eu substitution de la
modalité visuelle défaillante par la modalité tactile.
En 2006, le Pr Dubernard a pratiqué la première greffe du visage chez une femme
mutilée par son chien : huit mois après, l’IRMf a montré que son cerveau avait « accepté » ce
nouveau visage par intégration corticale améliorant la mastication, la phonation et
l’expression faciale (mimique).
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La plasticité synaptique
C’est surtout l’approche cellulaire et moléculaire de l’apprentissage et de la mémoire
qui a le plus contribué à la connaissance de la plasticité synaptique : les mécanismes étant très
complexes (les documents aussi !), on se contentera de quelques notions relativement simples.
1/ Notion d’assemblée cellulaire et de force (ou efficacité) synaptique
Les neurones s’organisent en réseaux complexes qui s’entremêlent donnant des
possibilités de circuits nerveux variées. Une assemblée cellulaire ne désigne pas un ensemble
anatomique figé de neurones, mais une entité fonctionnelle de cellules activées simultanément
et transitoirement interagissant entre elles à un moment donné et peut être constituée par des
centaines et des milliers de neurones. Ces associations temporaires très rapides se
reproduisant avec la répétition des stimulations vont conférer au système une extraordinaire
dynamique sous-tendant sa capacité de changement incessant et donc son adaptabilité aux
variations des milieux externe et interne : c’est la définition même de la plasticité synaptique.
Le principe théorique de ces modifications est simple en soi : la connexion d’un
neurone A vers un neurone B augmente d’intensité (on parle de force ou d’efficacité) si leur
activité est synchronisée (c’est-à-dire s’ils déchargent simultanément ou en succession très
rapide). Dans le cas contraire, cette force décroît. Le doc. 8 illustre ce principe dans
l’hippocampe, une structure cérébrale impliquée dans la mémoire spatiale (Fig. A) : les
cellules principales peuvent être excitées par trois voies afférentes possibles, chacune se
connectant sur un même neurone de manière spécifique. Si l’une des voies est fortement
stimulée en même temps qu’une deuxième voie l’est faiblement, la connexion synaptique de
cette dernière sera alors renforcée « par association d’activité » (Fig. B). La spécificité et
l’associativité sont donc les deux caractéristiques fonctionnelles des assemblées cellulaires
rendant plus efficaces les connexions synaptiques entre les neurones qui les constituent.
2/ L’apprentissage par stabilisation sélective des synapses en voie de développement
La possibilité d’apprendre est liée à l’introduction d’un certain degré de variabilité
dans l’organisation synaptique des assemblées cellulaires due à la capacité des neurones à
établir un grand nombre de connexions transitoires et à choisir progressivement celles qui
resteront et celles qui seront éliminées. C’est l’utilisation fonctionnelle d’un circuit donné en
fonction des expériences vécues qui déterminera ce choix, en stabilisant les connexions où
l’influx nerveux circule le plus souvent et en supprimant les autres où il ne circule
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pratiquement jamais. Autrement dit, au cours de l’ontogenèse, il y a initialement une
surabondance de synapses mais qui nuit à l’efficacité du système et les synapses « inutiles »
devront être alors éliminées. On a ainsi montré que la densité de synapses dans le cerveau est
maximale chez l’enfant de 5 ans, mais qu’elle est réduite de moitié chez l’adulte ; elle reste à
un niveau à peu près constant chez le trisomique et l’autiste, ce qui signale leur déficience
intellectuelle ; par contre, cet élagage synaptique est plus précoce et plus marqué chez le
surdoué au fort quotient intellectuel. On arrive donc à ce paradoxe : l’acte d’apprendre se
traduit par une restriction des possibilités offertes par le programme génétique et, avec l’âge,
si on affermit nos capacités apprises dès notre plus jeune âge, en revanche on aura de plus en
plus de mal à acquérir de toutes nouvelles aptitudes (cas des enfants de cirque).
Un exemple concret : lors de la période de babillage chez le bébé de quelques mois, il
existe une surabondance de « sons sauvages » qui disparaîtront complètement dans le langage
définitif, lequel apparaît ainsi comme une perte d’un certain nombre de sons originellement
disponibles. On retrouve ce phénomène dit d’attrition syllabique dans la perception du
langage : la langue japonaise, essentiellement vocalique, ne contient pas les syllabes ra et la
que les adultes auront du mal à distinguer l’une de l’autre, ce qui n’est pas le cas par contre du
nouveau-né. Là aussi, entre la naissance et l’âge adulte, il y a eu réduction de certaines
capacités perceptives. C’est pourquoi l’apprentissage d’une langue étrangère est beaucoup
plus efficace qu’il commence plus tôt (cas des enfants bilingues).
3/ Plasticité à court et à long terme
On se doute bien qu’en raison du nombre de neurones qui composent un cerveau
humain, il n’est guère aisé de localiser des sites cérébraux de plasticité. On a donc eu recours
à des animaux moins « complexes » : ce fut le cas entre autres de l’aplysie, un mollusque
marin, dont le SN ganglionnaire ne comporte qu’une vingtaine de milliers de neurones
répartis dans 5 paires de ganglions majeurs ; un apprentissage donné peut ainsi se situer dans
une chaîne sensori-motrice simple qui contrôle le comportement étudié. Eric Kandel (Prix
Nobel) a alors étudié le réflexe de rétraction des branchies déclenché par le heurt du siphon ou
du manteau de ce mollusque. Le Doc. 9 illustre les mécanismes de cet apprentissage : tout
repose en fait sur l’activation ou l’inactivation des canaux ioniques de la membrane du
motoneurone responsable du retrait branchial. Si on répète les stimulations du siphon ou du
manteau, l’aplysie finit par ne plus rétracter ses branchies, les canaux calciques ayant été
inactivés (le calcium permettant la libération du neuromédiateur dans la fente synaptique par
exocytose) : c’est l’habituation. Si on associe l’attouchement du siphon avec un stimulus
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aversif au niveau de la queue, une stimulation tactile ultérieure même très légère déclenche un
réflexe rapide : c’est la sensibilisation, due à la fermeture des canaux potassiques qui, en
retardant la sortie des ions potassium, prolonge la durée d’action des potentiels d’action.
Habituation et sensibilisation sont ainsi deux manifestations (il en existe d’autres) de
la plasticité à court terme qui repose donc sur des modifications peu durables (de quelques
secondes à quelques minutes) de l’efficacité synaptique et concerne en général un changement
dans les concentrations du calcium intracellulaire.
Si la modification de la force des synapses persiste, on parle alors de plasticité à long
terme : le changement, beaucoup plus durable (tant que le système est viable et opérationnel),
est alors carrément anatomique et peut concerner la taille des connexions synaptiques, leur
nombre, celui des récepteurs, voire un changement de morphologie cellulaire. Une bonne
illustration consiste dans le phénomène de potentialisation à long terme (PLT ou LTP en
anglais). Le processus est complexe et comprend lui-même une phase précoce à court terme et
une phase tardive à long terme. Il est proposé ici (Doc 8 Fig C et Docs. 10 et 11) dans le cadre
du modèle hippocampique où le neuromédiateur concerné est le glutamate avec deux
récepteurs possibles : AMPA (ou non-NMDA dans le doc. 10) et NMDA. Ce qu’il faut retenir
pour simplifier, c’est que le médiateur (ou messager primaire), en se fixant d’abord sur le
premier type de récepteur (AMPA) déclenche la phase précoce de la PLT qui, par une action
rétrograde, augmente la libération de ce même médiateur dans la fente synaptique ainsi que la
sensibilité des récepteurs. Par l’intermédiaire de toute une cascade de réactions en chaîne
intracellulaire dans laquelle interviennent des messagers secondaires (ex : AMPc), la phase
tardive de la PLT aboutit à une action dans le noyau même du neurone ciblant des protéines
régulatrices et effectrices de la croissance neuronale, d’où des changements structuraux
possibles et durables, dont le développement de nouvelles connexions synaptiques.
Si, sous l’effet de la PLT, les synapses ne faisaient que se renforcer, elles atteindraient
rapidement un degré d’efficacité tel que le moindre stimulus, même très faible, provoquerait
un embrasement de la matière cérébrale, autrement dit une crise d’épilepsie ! Il existe donc un
mécanisme inverse et complémentaire de la PLT : c’est la dépression à long terme (DLT) qui
a pour but d’affaiblir sélectivement certaines synapses. Le doc. 12 compare la DLT avec la
PLT et la sensibilisation. Tout dépend en fait de l’homéostasie calcique intracellulaire : de
faibles augmentations du taux de calcium (par ex. avec des stimulations à basse fréquence et
de longue durée) engendrent une cascade de réactions désactivant les mêmes protéines cibles
qui sont par contre activées par la PLT (par ex. avec des stimulations à haute fréquence et de
courte durée qui augmentent fortement le taux de calcium). Le caractère très dynamique du
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système dépend donc de nombreux facteurs comme l’activité préalable du réseau de neurones
ou l’état hormonal du moment. Le doc. 13 en est une illustration : chez l’écureuil de Sibérie,
une espèce hibernante, certaines cellules de son hippocampe voient leur morphologie
modifiée selon que l’animal est actif ou en hibernation : au cours de cette dernière période
l’arborisation dendritique est réduite, ainsi que le nombre de branchements, la taille des corps
cellulaires, donc les zones de contact synaptique, en bref on a une diminution de la capacité
des neurones à recevoir des messages afférents, ce qui est préférable en état d’hibernation.
Toutes ces modifications morphologiques s’inversent en seulement quelques heures après le
réveil définitif, quand l’animal redevient actif.
4/ Notion de métaplasticité
Cette action de concert entre PLT et DLT qu’on vient de décrire et dépendant de l’état
interne de l’organisme (activité préalable, état hormonal) rend compte de la métaplasticité, qui
est en quelque sorte la plasticité de la plasticité. On la qualifie de positive si les modifications
du seuil de la plasticité synaptique vont dans le sens d’une augmentation de la fonction
cognitive, et de négative dans le cas contraire (ex : les altérations cognitives au cours du
vieillissement ou d’une réponse à un stress).
Ex : sous des conditions physiologiques normales, de faibles augmentations du taux
des hormones glucocorticoïdes (dont le cortisol) favorisent une métaplasticité positive en
prolongeant la PLT dans l’hippocampe, donc certaines aptitudes cognitives. Mais si se taux
s’élève trop, suite à un stress chronique, il provoque des déficits de performance en raison
d’une métaplasticité négative. Certains antidépresseurs (imipramine, tianeptine), en ciblant
l’hypothalamus, font chuter le taux des glucocorticoïdes et rétablissent une métaplasticité
positive dans l’hippocampe.
La plasticité réparatrice
1/ La capacité d’autoréparation du SN
Après une lésion traumatique ou une maladie, le SN est capable de se réparer luimême, mais dans certaines limites : cela fonctionne par ex. contre des microlésions mais pas
contre un processus dégénératif massif et invasif.
Les mécanismes de récupération fonctionnelle spontanée du SN sont de trois ordres,
mais diffèrent selon qu’il s’agit du SN périphérique ou du SN central.
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a/ La régénération
C’est un processus selon lequel les neurones endommagés vont tenter de rétablir des
connexions avec les régions intactes. Il y a aussi trois possibilités.
1. La régénérescence antérograde de l’axone, observée dans le SN périphérique : la
prolifération des cellules de Schwann aidée par des facteurs trophiques (le facteur de
croissance nerveuse ou NGF en anglais ; le facteur de croissance des fibroblastes ou FGF ; le
facteur de croissance de l’épiderme ou EGF car le SN a une origine ectoblastique) crée une
véritable voie de passage protégé à la fibre nerveuse détruite qui va se reconstituer et atteindre
à nouveau sa cible initiale.
Ex : les neurones sensoriels dont le corps cellulaire se trouve dans les ganglions
rachidiens peuvent régénérer la branche axonale qui va vers la périphérie, mais pas celle qui
entre dans la moelle épinière. De même, des neurones sensoriels en culture poussent dans un
fragment de nerf sciatique (SN périphérique) mais pas dans celui du nerf optique (SN central).
Cette différence entre SN périphérique et central est due à la présence exclusivement dans ce
dernier de facteurs inhibiteurs de la croissance axonale (ex : les protéines membranaires Nogo
dans les oligodendrocytes qui sont les cellules gliales assurant la myélinisation des fibres
centrales).
2. Le bourgeonnement collatéral des fibres restées intactes afin de venir occuper
l’espace laissé vacant par la lésion. Il peut être rapide (7 à 10 jours après la lésion) et a été
observé dans les systèmes à sérotonine et à catécholamines du cerveau.
3. Le bourgeonnement proximal : le neurone lésé développe des collatérales se
connectant à des neurones voisins intacts et ce sont ces derniers qui, par des prolongements,
vont occuper l’espace de la cible laissé vacant par la lésion.
b/ L’hypersensibilité de dénervation
Elle a été observée à la suite de lésions expérimentales chez l’animal ou lors de
certaines affections dégénératives comme la maladie de Parkinson : la destruction de
terminaisons neuronales à dopamine provoque une prolifération des récepteurs à ce
médiateur, d’où une réaction hypersensible à la L-DOPA, le précurseur de la dopamine, qu’on
administre à titre thérapeutique (d’où les effets secondaires de ce traitement).
c/ Les synapses silencieuses
Expérimentation : chez le rat, on pratique une section médullaire des fibres sensitives
destinées aux pattes postérieures et on n’enregistre plus de potentiels évoqués dans l’aire
corticale correspondante. Trois jours plus tard, on note une réaction mais dans l’aire corticale
correspondant aux pattes antérieures ! La raison est due à des synapses latentes (ou
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silencieuses), inhibées dans des conditions normales, et qui sont devenues actives, par levée
d’inhibition, à la suite de la section expérimentale.
La présence de telles synapses silencieuses pourrait aussi expliquer la récupération
d’une aphasie (perte du langage) après une lésion de l’hémisphère gauche : des neurones de
l’hémisphère droit possèderaient ainsi des synapses silencieuses à la terminaison des axones
du corps calleux les reliant à des zones intactes de l’hémisphère gauche dont la lésion a donc
levé l’inhibition.
En conclusion, le SN possède bien la faculté intrinsèque d’effectuer des
microréparations efficaces contre les tout petits accidents vasculaires probablement quotidiens
et qui passent en général inaperçus, mais ces capacités deviennent insuffisantes pour
compenser des lésions plus importantes ou des atteintes pathologiques majeures.
2/La médecine régénérative
Depuis quelques décennies, plusieurs pistes thérapeutiques ont été suivies pour réparer
les lésions ou tenter de soigner les pathologies importantes, en tenant compte des mécanismes
d’autoréparation possibles du SN. En premier lieu, il s’est agi de tout mettre en œuvre pour
les favoriser en cas de lésion par ex. de la moelle épinière. Le doc. 14 met en vis-à-vis les
étapes successives du processus d’extension d’une lésion traumatique médullaire (par ex.
suite à un accident de la route) et les pistes thérapeutiques correspondantes possibles : il en
ressort qu’il faut agir le plus rapidement possible après l’accident, mais que des espoirs
demeurent malgré tout (ce type d’expérimentation clinique se fait notamment à Montpellier).
Puis on a essayé d’autres techniques possibles :
a/ les thérapies cellulaires
On a greffé à la fin des années 1980 des neurones fœtaux pour remplacer ceux qui
avaient été détruits : des essais cliniques furent ainsi effectués chez les malades de Parkinson
ou ayant la chorée de Huntington, mais les résultats ne furent pas à la hauteur de l’espoir
suscité par le succès de l’expérimentation animale ; en effet, après une indéniable
amélioration initiale, des rechutes furent souvent observées au bout de quelques mois.
Depuis les années 2000, on s’est tourné vers la greffe de cellules souches
embryonnaires, qui sont totipotentes et ont donc la capacité de se différencier en l’un des 200
types cellulaires qui composent notre organisme (cellule nerveuse, hépatique, sanguine,
myocardique, etc.). Demeure la question qu’il s’agit d’une allogreffe, donc elle pose un
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problème éthique et de risque de rejet immunitaire ; de plus, il faut contrôler leur prolifération
à cause du risque de tumeurs.
L’autre possibilité consiste à greffer des cellules souches neuronales adultes (qu’on
peut récupérer par ex. dans le bulbe olfactif), mais elles sont en quantité infimes et leur
nombre semble décroître avec l’âge. En revanche, s’agissant d’une autogreffe, on évacue la
question éthique et le risque de rejet immunitaire. Elles ne se renouvellent que dans le tissu
nerveux, mais ont pu subir des mutations et des changements d’ADN.
b/ La rééducation ciblée
En tenant compte de la malléabilité des cartes corticales, toute une rééducation
fonctionnelle cherche à les mobiliser par des mouvements décomposés ou des perceptions
déformées.
Ex : des kinésithérapeutes spécialisés peuvent faire bouger de manière très ciblée les
membres paralysés d’un paraplégique ou d’un hémiplégique afin de stimuler d’autres zones
de la matière grise corticale en dehors de celles lésées pour qu’elles puissent assumer les
fonctions perdues. En 2005, à Zurich, cette tâche a même été confiée à un robot
ergothérapeute (baptisé Armin !) munis de capteurs mesurant la force musculaire que le
patient pouvait engager et l’aidant à recouvrer une partie de sa mobilité en lui faisant déplacer
un objet sur une table par sollicitation par ex. du bras et de la ceinture scapulaire.
Ex : certains AVC (accidents vasculaires cérébraux) de l’hémisphère droit provoquent
une héminégligence : le patient néglige une moitié de l’espace (il se rase la moitié du visage ;
il mange la moitié du contenu de son assiette). C’est un problème de la représentation
consciente du corps au niveau du cerveau, le malade souffrant d’une déviation spontanée de
son espace intérieur par ex. vers la droite, le côté gauche sera alors relégué loin de son centre
d’intérêt. En lui faisant porter des lunettes prismatiques déformantes qui dévient l’image
rétinienne vers la droite, on améliore alors l’héminégligence gauche : l’effet maximal survient
entre 2 et 24 heures après le retrait des lunettes et peut durer jusqu’à une semaine. Et après, on
recommence !
c/ La stimulation intracérébrale
Au CHU de Nice (service de neurochirurgie) entre autres est utilisée depuis quelques
temps une technique de stimulation cérébrale profonde qui améliore durablement les
tremblements et la rigidité caractéristiques de la maladie de Parkinson. Cette technique est
aussi utilisée contre les TOC (troubles obsessionnels compulsifs) ou pour réparer les zones
cérébrales rendues dysfonctionnelles après des crises répétées d’épilepsie.
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Dans une optique similaire, les progrès en neurorobotique ont permis l’implantation de
neuroprothèses (Doc. 15). Dès 1978, Dobelle et Kolff (Prix Nobel) ont mis au point un
implant de 68 électrodes dans le cortex visuel d’un aveugle chez lequel il a produit des
phosphènes (sensations lumineuses). Puis, il y a eu des implants rétiniens, des implants
cochléaires et des prothèses motrices : en 2006 à Boston, un tétraplégique, auquel une puce
électronique de 100 électrodes nommée Brain Gate a été implantée dans le cortex moteur, a
pu se servir de son ordinateur sans l’aide du clavier ou de la souris, mais par sa seule pensée,
les signaux cérébraux émis étant enregistrés directement par ce capteur qui les transmet à un
microprocesseur externe, lequel les convertit en instructions pour déplacer le curseur sur
l’écran de l’ordinateur. Ailleurs, c’est un bras robotisé ou une chaise roulante qui ont été
contrôlés par la pensée du patient.
D’autres techniques prometteuses sollicitant la neuroplasticité sont en train d’être
étudiées dans plusieurs laboratoires de recherche à travers le monde.
Les enjeux éthiques de la recherche biomédicale sur la neuroplasticité
Depuis 1994, la France s’est dotée de lois sur la bioéthique (en cours de révision
actuellement). Le clonage dit thérapeutique, qui aurait permis de fabriquer un embryon
humain pourvoyeur de cellules souches a été interdit par la loi du 6 août 2004, laquelle
autorisait cependant l’utilisation d’embryons congelés surnuméraires pendant 5 ans à titre
dérogatoire, mais le décret d’application n’a été publié que le 7 février 2006, soit 18 mois
après le vote de la loi ! Depuis 2006, l’Union Européenne est encore plus ambiguë sur ce
terrain : elle autorise le financement des recherches utilisant des cellules souches
embryonnaires mais pas leur production ! L’usage de la neuro-imagerie est également de plus
en plus encadré depuis les dérives américaines du « neurodroit » (recherche des mécanismes
cérébraux sous-tendant la responsabilité avec le risque de manipulations pharmacologiques
jouant sur la plasticité de cette dernière) : si la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 stipule que
« sans préjudice de leur utilisation dans le cadre d’expertises judiciaires, les techniques
d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche
scientifique », le rapport Claeys-Vialatte sur les nouvelles technologies d’exploration et de
thérapie du cerveau, déposé au Sénat le 13 avril 2012 demande l’interdiction à terme de toute
utilisation des neurosciences en justice. Tout cela est démonstratif de l’aspect très délicat des
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problèmes éthiques posés par la recherche biomédicale en général. S’il ne faut pas faire
n’importe quoi bien évidemment, il ne faudrait pas non plus que la législation devienne une
entrave au progrès scientifique et médical : c’est un équilibre à trouver.
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