La Revue du Barreau / Tome 59 - printemps 1999

publicité
Revue du Barreau
Édition courante
Archives
Revue du Barreau du Québec
Revue du Barreau: volume 59 numéro 1
Recent Developments in Secured Financing by Way of Instalment Sale,
Leasing and Lease
Sterling H. Dietze
Les sources juridiques des immunités civiles et de la responsabilité
extracontractuelle du procureur général à raison d'accusations pénales
erronées: le mixte et le mêlé (Québec c. Proulx)
Jean-Denis Archambault
Considérations sur l'appel, à la Cour du Québec, des décisions des
tribunaux administratifs
Suzanne Comtois
La migration des contaminants et la responsabilité de droit pénal ou
administratif
Robert Daigneault
Chroniques
Droit commercial. Stipulations de restriction d'usage, clauses de nonconcurrence, d'exclusivité et de "rayon"
Joy Goodman
156K
Droit disciplinaire. Droit disciplinaire: l'enquête du syndic
147K
Marie Paré
Droit de la faillite. La compensation dans un contexte de proposition et
165K
de faillite
Marc Lemieux
Droit du logement. L'équité contractuelle en droit du logement depuis
1994 et l'interdiction conventionnelle relative aux animaux favoris
207K
Pierre Gagnon
Droit pénal. L'exclusion de preuve en appel
Jean-C. Hébert
141K
Publication du Barreau du Québec sous la direction du Comité de la Revue du
Barreau
●
●
●
●
●
Me
Me
Me
Me
Me
Claude Champagne, président
Jean-Denis Archambault
Michel Deschamps
Pierre Giroux
Jean-Claude Hébert
●
●
●
●
●
●
Me
Me
Me
Me
Me
Me
Françoise Mercure
Gilles Pépin
Micheline Plante
Louise Poudrier-Lebel
William A. Schabas
Suzanne Vadboncoeur, secrétaire
Dans les études ou articles, l'exactitude des citations, des lois, des codes et de
toute autre note ou référence relève de la seule responsabilité de l'auteur.
Opinions émises doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
Plan du site |
Liens utiles |
Bottin |
Contactez-nous
Mise à jour : NaN undefined NaN
Recent Developments in Secured
Financing by Way of Instalment
Sale, Leasing and Lease
Sterling H. DIETZE
Abstract
Instalment sales contracts, leasing (crédit-bail) and leases
are frequently used in secured financings in the Province of Quebec. Until recently, rights of vendors and lessors did not need to be
registered in order to be enforceable as against third parties.
Recent legislative changes to the Civil Code of Quebec require registration of rights of secured creditors relating to leasing contracts
and certain instalment sales contracts and long term leases. This
article briefly reviews the regime prior to such legislative changes. The specific provisions of such modifications concerning
instalment sales contracts, leasing and leases, as well as assignment, are then analysed. Finally, the transitional rules are examined. If the regime applicable to a movable hypothec without
delivery is taken as a benchmark, certain important issues in the
area of secured financing by way of instalment sales contracts,
leasing and leases are not addressed by the modifications to the
Civil Code of Quebec. The reform has also introduced a number of
uncertainties.
Résumé
Les contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail sont
fréquemment utilisés au Québec en matière de financement.
Jusqu’à récemment, les droits des vendeurs, crédit-bailleurs et
locateurs n’avaient pas à être inscrits afin d’être opposables aux
tiers. Suite aux récents amendements apportés au Code civil du
Québec, certains des droits de ces créanciers relativement aux
contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail à long terme
doivent être inscrits. Cet article passe en revue brièvement le
régime en vigueur avant que les amendements au Code civil du
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
1
Québec n’entrent en vigueur. Les amendements ayant trait aux
contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail, ainsi qu’à
leur cession, sont ensuite analysés. Enfin, les règles transitoires
sont également analysées. En adoptant le régime applicable à
l’hypothèque mobilière sans dépossession comme point de comparaison, il appert que plusieurs questions importantes relatives
à l’utilisation à titre de sûreté des contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail sont laissées sans réponse par les
récents amendements au Code civil du Québec. La réforme a aussi
introduit un certain nombre d’incertitudes.
2
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Recent Developments in Secured
Financing by Way of Instalment
Sale, Leasing and Lease
Sterling H. DIETZE1
1- Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2- Pre-bill 181 regime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
a)
Definition; Constitution . . . . . . . . . . . . . . . . 6
b)
Accession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
c)
Proceeds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
d)
Registration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
e)
Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
f)
Assignments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
3- Why a reform?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
4- Instalment sales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
a)
Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
b)
Proceeds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
c)
Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 21
i)
Subject Property . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
ii) Opposability . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
iii) Diminishing of Ownership Rights . . . . . . . . 25
1. Member of the Barreau du Québec and The Law Society of Upper Canada. This
article is a revised version of a paper presented April 26, 1999 in Montreal at The
Canadian Institute conference entitled Les derniers développements en matière
de financement et de sûretés. The comments of other colleagues including members of the Finance Practice Group at Stikeman, Elliott, as well as the research
assistance of Kathleen Wong, Adina Schwartz and Jason Streicher, are gratefully
acknowledged. Any remaining errors are those of the author.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
3
iv) Single Registration . . . . . . . . . . . . . . . . 26
v) PMSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
d)
Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
5- Leasing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
a)
Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
b)
Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 34
c)
Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
6- Leases . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
a)
Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
b)
Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 39
c)
Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
7- Assignments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
a)
Universalities . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
b)
Additional Registrations . . . . . . . . . . . . . . . 46
8- Transitional rules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
9- Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
4
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
1- INTRODUCTION
Title manipulation is widely used in the Province of Quebec
as a method for providing creditors with security. Retaining title
to the subject property is generally regarded as a security par
excellence. Recognizing this practice, the Office de révision du
Code civil had recommended that certain types of consensual title
manipulation arrangements come within the scope of the general
provisions on hypothecs by introducing the notion of a presumption of hypothec. The legislator did not accept this suggestion in
adopting the Civil Code of Québec (the “Civil Code” or “CCQ”").
The Minister of Justice, in his commentary to the Civil Code,2
stated the following:
Ainsi, le code n’a pas retenu la présomption d’hypothèque dont
l’effet aurait été d’assimiler à une hypothèque toute convention qui
procurait au créancier un avantage dans la réalisation de sa
créance.
L’introduction d’une telle présomption risquait d’aller à l’encontre
de la conception civiliste du droit des obligations et des sûretés. Elle
aurait entraîné également une incertitude juridique considérable
en raison des litiges que ne manquerait pas de soulever la difficulté
de qualifier certaines conventions...
La solution retenue a consisté plutôt à apporter, dans d’autres dispositions du code, un tempérament aux difficultés dénoncées relativement aux conventions qui procurent au créancier un avantage
sur les autres créanciers.
The provisions concerning instalment sales in Article 1745 et seq.
of the Civil Code and leasing (crédit-bail) in Article 1842 et seq. of
the Civil Code were adopted in light of the legislator’s decision to
reject the presumption of hypothec.
An important element of the reform concerning movable
security in the Civil Code was the introduction of a requirement
for registration of the rights of creditors under certain consensual
security devices, including title manipulation, in order for such
rights to be opposable to third parties. Various provisions of An
Act respecting the implementation of the reform of the Civil Code,
S.Q. 1992, c. 57 (the “Implementation Act”) appeared to suspend
2. Commentaires du ministre de la Justice (Quebec: Ministère de la Justice, Les
Publications du Québec, 1993) (the “Minister’s Commentary”) at 1654.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
5
the requirement for registration of certain instalment sales, sales
with a right of redemption and leasing contracts until official
notice that the Register of personal and movable real rights (the
“Register”) was fully operational.3
An Act to amend the Civil Code and other legislative provisions as regards the publication of personal and movable real
rights and the constitution of movable hypothecs without delivery,
S.Q. 1998, c. 5 (“Bill 181”) was introduced in the National Assembly on November 28, 1997 and received assent on April 16, 1998.
Although certain provisions came into force on July 1, 1998, the
sections concerning instalment sales, leasing and leases came into
force September 17, 1999. Bill 181 represents the legislator’s initiative to conform secured financing by way of instalment sales,
leasing and leases with the principles which motivated the initial
reform on adoption of the Civil Code.
The purpose of this article is to set out briefly certain elements of the regime prior to September 17, 1999 for secured
financing by way of instalment sales, leasing and leases. Particularly, issues concerning the rules of accession, the right of the vendor or lessor to proceeds, the requirement of registration,
realization and assignment will be canvassed. The specific provisions of Bill 181 concerning these security devices and assignments will then be analyzed using the themes previously
considered. Finally, the transitional rules of Bill 181 are examined.
2- PRE-BILL 181 REGIME
a)
Definition; Constitution
Instalment sale, leasing and lease are respectively defined as
follows:
ARTICLE 1745 CCQ
An instalment sale is a term
sale by which the seller
reserves ownership of the
property until full payment of
the sale price.
La vente à tempérament
est une vente à terme par
laquelle le vendeur se
réserve la propriété du bien
jusqu’au paiement total du
prix de vente.
3. See, for example, Implementation Act, Articles 98, 107 and 162 prior to September 17, 1999. See also the discussion, infra at 14 et seq.
6
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
ARTICLE 1842 CCQ
Leasing is a contract by
which a person, the lessor,
puts movable property at
the disposal of another person, the lessee, for a fixed
term and in return for payment.
Le crédit-bail est le contrat
par lequel une personne, le
crédit-bailleur, met un
meuble à la disposition
d’une autre personne, le
crédit-preneur, pendant
une période de temps déterminée et moyennant une
contrepartie.
The lessor acquires the
property that is the subject
of the leasing from a third
person, at the demand and
in accordance with the
instructions of the lessee.
Le bien qui fait l’objet du
crédit-bail est acquis d’un
tiers par le crédit-bailleur,
à la demande du crédit-preneur et conformément aux
instructions de ce dernier.
Leasing may be entered
into for business purposes
only.
Le crédit-bail ne peut être
c o n s e n t i qu ’ à d e s fi n s
d’entreprise.
ARTICLE 1851 CCQ
Lease is a contract by which
a person, the lessor, undertakes to provide another
person, the lessee, in return
for a rent, with the enjoym e nt o f a m o vabl e o r
immovable property for a
certain time.
Le louage, aussi appelé
bail, est le contrat par
lequel une personne, le
locateur, s’engage envers
une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance
d ’ u n bi e n , m e u bl e o u
immeuble, pendant un certain temps.
The term of a lease is fixed
or indeterminate.
Le bail est à durée fixe ou
indéterminée.
It should be noted that only movable property may be subject
to a leasing contract. Although instalment sales and leases may
relate to movable or immovable property, this article will only
treat these contracts as they relate to movable property. Further,
this article deals mainly with instalment sales, leasing and leases
in a commercial context and does not specifically treat the proviRevue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
7
sions of the Consumer Protection Act, R.S.Q., c. P-40.1 (the “Consumer Protection Act”) that deal with instalment sales and long
term leases, except as the Consumer Protection Act provisions are
useful in understanding instalment sales and leases in a commercial context.4
Instalment sales, leasing and leases have long been used as
methods of providing creditors with security.5 Recent cases demonstrate that Quebec courts are also conscious of the fact that
instalment sales and leasing are frequently used in secured
financing.6
The characterization by Mr. Justice Lachapelle in Destefano
of a leasing contract as a loan does not always correspond to the
way in which other judges will view secured financing techniques.
The Court of Appeal, in Banque nationale du Canada v. Sousministre du revenu du Québec (1997), REJB 98-2365 (C.A.), in
determining if instalment sales could be considered to be loans
and advances for purposes of Section 1138 (1) of the Taxation Act,
R.S.Q., c. I-3, stated:
Les sommes dues sont donc un solde de prix de vente. Or, un solde
de prix de vente doit se distinguer d’un prêt ou d’une avance, où la
4. Leasing may only be entered into for “business” purposes, in accordance with the
third paragraph of Article 1842 of the Civil Code. The French version of this text
speaks of enterprise. For a definition of enterprise, see the third paragraph of
Article 1525 of the Civil Code.
5. For a general discussion of the pre-Bill 181 regime, see: A. Grenon, “Le crédit-bail
et la vente à tempérament dans le Code civil du Québec” (1994) 25 R.G.D. 217;
P.-G. Jobin & J. Deslauriers, “La vente dans le Code civil et la Loi sur la protection du consommateur” in Obligations et Contrats, vol. 5, (Montreal: Barreau du
Québec, 1998) at 149; K. Smyth, “Equipment Financing” in Financing Business:
A hands-on seminar (Conference McGill University Faculty of Law, Montreal,
May 5 and 6, 1995) and R.P. Godin, “Le crédit-bail” in La Réforme du Code Civil,
vol. 2 (Quebec: Presses de l’Université Laval, 1993) 679. For a discussion in respect of leasing under the pre-1994 law, see R. Demers, Le financement de
l’entreprise aspects juridiques (Sherbrooke: Éditions Revue de droit Université
de Sherbrooke, 1985) at 287. In light of the importance of title manipulation as a
means of providing security to a creditor, Quebec doctrine sometimes characterizes these as quasi-sûretés or sûretés-propriétés, see, for example, J. Auger, “Problèmes actuels de sûretés réelles” (1997) 31 R.J.T. 619. For a discussion of the
application of the private international law rules to quasi-sûretés on movable
property, see J.A. Talpis & C. Troulis, “Conflict of Laws Rules under the Civil
Code of Quebec Relating to Security”, in Développements récents sur l’hypothèque
(1997) (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1997) 187 at 196 et seq.
6. See, for example, Société générale Beaver Inc. v. Destefano (1996), J.E. 96-1193
(C.Q.) [hereinafter Destefano]; Location Tiffany Leasing Inc. v. 3088-6022 Québec
Inc. (1998), J.E. 98-1485 (C.Q.) and Banque nationale du Canada v. Nadeau
(1998), J.E. 98-994 (C.Q.) (on appeal C.A.Q. 200-09-002005-988).
8
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
relation juridique entre les parties en est une de prêteur-emprunteur. De plus, les sommes en jeu ne peuvent constituer un prêt, la
condition essentielle de la tradition d’une somme entre le prêteur et
l’emprunteur étant absente en l’espèce. Le premier juge a donc qualifié avec exactitude les contrats intervenus comme des contrats de
vente à tempérament comportant un solde de prix de vente.
J’estime qu’on ne peut dénaturer la forme de la relation contractuelle existante afin d’ajuster après coup ces prétentions aux contraintes fiscales.7
Even though some courts have adopted what appears to be a
functional approach to the interpretation of particular debtorcreditor relationships, it is important to emphasize that the Civil
Code establishes separate regimes applicable to instalment sales,
leasing, leases and hypothecs. Quebec civil law allows creditors
the latitude to exploit other title manipulation devices in order to
obtain security, such as trusts, consignments, sales with a right of
redemption, loans for use and others. Although these particular
mechanisms may be attractive in certain circumstances, they will
not be treated in this article.8
It is particularly important to note that reservation of title in
sales as a security mechanism has not necessarily been fully covered by Article 1745 of the Civil Code. The definition of an instalment sale in such article requires that the seller reserve
ownership of the property until full payment of the sale price. This
definition should be compared to the definition of an instalment
sale appearing in the Consumer Protection Act s. 132, as modified
by Bill 181, where an instalment sale is defined as a contract
involving credit whereby a merchant selling goods to a consumer
reserves ownership of the goods until the consumer’s performance
of all or part of his obligations. An instalment sale where the seller
reserves ownership of the property until payment of less than the
7. This decision may be contrasted to the earlier decision of the Quebec Court of
Appeal in General Motors Acceptance Corporation of Canada Ltd v. Sousministre du revenu du Québec (1994), [1994] R.D.F.Q. 7 (C.A.), where, for purposes of determining whether GMAC was a “corporation de prêts”, the Court of
Appeal adopted a functional approach and stated that the use of instalment sales
was simply a technique to obtain security for purposes of recovering funds advanced. Hence, for the Court of Appeal, GMAC was in fact a “corporation de prêts” as
such term was used under the applicable provisions of the provincial taxation
statute. See also Gagné v. Tremblay (1999), J.E. 99-418 (C.A.).
8. For a discussion of some of these devices, see J.B. Claxton, Security on Property
and the Rights of Secured Creditors under the Civil Code of Quebec (Cowansville:
Éditions Yvon Blais, 1994) and L. Payette, Les sûretés dans le Code civil du Québec (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1994) at 37 et seq.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
9
full sale price would therefore not technically be an instalment
sale under Article 1745 of the Civil Code but could be an instalment sale under the Consumer Protection Act. Additionally, a sale
where the seller reserves ownership of the property until a condition, other than full payment of the sale price of the sold property,
occurs would not be an instalment sale under Article 1745 of the
Civil Code. Hence, a vendor would be able to reserve ownership of
the property until the purchaser satisfies some non-monetary
obligation or pays less than, but not all of, the purchase price. It is
therefore possible to structure an arrangement using sale and reservation of ownership of the property such that it will not constitute an instalment sale as defined in Article 1745 of the Civil Code
thus avoiding any need to register for opposability and the need to
follow the realization regime applicable to hypothecary creditors.
b)
Accession
Even if a creditor employs an instalment sale contract, leasing or lease in order to continue to have ownership of the subject
property, it is possible that such property may undergo modifications or may be used in conjunction with an immovable.
For movable hypothecs, various articles of the Civil Code provide protection to the hypothecary creditor in the event of modifications to the charged property. Article 2671 of the Civil Code
states that a hypothec extends to everything united to the property by accession. Articles 2673 and 2953 of the Civil Code permit
a hypothec to subsist on a new movable resulting from the transformation of charged property and resulting from the mixture or
combination of several movables. The person acquiring ownership
of such new property, for instance by application of the rules of
movable accession, is also bound by such hypothec. Registrations
may be required at the Register.
No particular provision in respect of instalment sales, leasing or leases deals with the applicability of movable accession. The
general provisions outlined in Articles 971 et seq. of the Civil Code
will therefore apply. A recent interesting example of movable
accession arose in Location Fortier Inc. v. Pacheco (1997), J.E.
98-197 (C.S.) (Motion to appeal dismissed C.A.M. 500-09005961-974) [hereinafter Pacheco]. In this case, a leased truck
was modified, without the consent of the lessor, by the installation
by the lessee of towing equipment which was under loan from a
third party. In accordance with the evidence before the court, it
10
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
was not possible to separate, without deterioration or excessive
labour and cost, the truck and the towing equipment. The Court
applied the principles in Article 971 of the Civil Code so that the
lessor became the owner of the truck and the towing equipment.
The Court also required the lessor to pay the sum of $6,000 to the
owner of the towing equipment.
The application of the principles of movable accession will
give comfort to certain vendors and lessors who, in their underlying contract, state that their rights of ownership will extend to
other property that may be incorporated into the subject property.
This protects the owner where the value of the original subject
property exceeds the value of the added property or the value of
the work involved in such addition. For example, if large equipment is subject to an instalment sale, a leasing or a lease, the principles of movable accession will operate such that most
replacement parts become the property of the vendor or lessor, as
the case may be.
Movable accession may be more problematic if title manipulation is used in inventory financing. For example, if a vendor
under an instalment sales contract sells raw materials to a purchaser and such purchaser uses such materials by transforming,
mixing or combining them with other property to form a new movable and such raw materials do not contribute the most to such
new movable, the vendor will lose its real rights in the resulting
property. Such vendor would be unable to preserve a real right in
such property, unlike the position of a hypothecary creditor under
Articles 2673 and 2953 of the Civil Code, and may only have a
claim for reimbursement or damages against the owner of the
resulting property.
Conversely, assume that the property subject to the instalment sales contract contributes most to the value of the resulting
movable and hence, the vendor acquires, by movable accession,
ownership in the resulting movable. If the original raw materials
are combined with movables owned by third parties, the vendor
may have an obligation to reimburse such third parties.9 Additionally, if such other movable property is subject to a hypothec
granted by the purchaser, the vendor, even though acquiring own9. See Articles 973 and 975 of the Civil Code and Pacheco. Note that under Article
973 of the Civil Code undivided co-ownership may result if it is impossible to
determine who contributed most to the new movable.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
11
ership to the new movable, will be bound by the hypothec granted
by the purchaser.10
Insofar as attachment to an immovable is concerned, the
principles in Article 1843 of the Civil Code and Article 48 of the
Implementation Act are useful. For a leasing contract, Article 1843 of the Civil Code specifically states that property which is
the subject of a leasing, even if attached or joined to an immovable,
retains its movable nature for as long as the contract lasts, provided it does not lose its individuality. Furthermore, the principles in Article 48 of the Implementation Act are applicable to
instalment sales, leasing and leases so that movables subject to
such contracts which are in an immovable and are used for the
operation of an enterprise or the pursuit of activities will remain
movable. Article 571 of the Code of Civil Procedure also provides a
mechanism for the vendor or lessor to be able to realize on its property. If the property has become immovable by operation of Article 903 of the Civil Code, such property may be seized separately
from the immovable since it does not belong to the owner of the
immovable. This is similar to the rule for a movable hypothec
without delivery, since movables charged with a hypothec which
are permanently physically attached or joined to an immovable
without losing their individuality and without being incorporated
with the immovable are deemed, for enforcement purposes, to
retain their movable character as long as the hypothec subsists.11
If, however, the movable property subject to the instalment
sale, the leasing or the lease, is incorporated into an immovable
and loses its individuality, it becomes immovable property.12 The
vendor or lessor will lose any real right to such movable property
and may only have a personal claim for reimbursement or damages. This should be contrasted with the rights of a hypothecary
creditor under a movable hypothec who may, by registration at
the applicable land register, have the movable hypothec subsist as
an immovable hypothec.13
10. See Article 2673 in fine of the Civil Code.
11. See Article 2672 of the Civil Code. Article 48 of the Implementation Act is also
useful in this context, since only movables which insure the utility of the
immovable are to be considered as immovable property if they meet the other
conditions in Article 903 of the Civil Code. Furthermore, under such provision
of the Implementation Act, any movables which, in the immovable, are used for
the operation of an enterprise or the pursuit of activities, remain movable.
12. See Articles 901 and 954 et seq. of the Civil Code.
13. See Articles 2796 and 2951 of the Civil Code.
12
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
c)
Proceeds
Of importance in inventory financing is the ability of the
secured creditor to have its security extend not only to the subject
property but also to all proceeds, whether such be corporeal or
incorporeal property. The Supreme Court of Canada in Grondin v.
Lefaivre (1931), [1931] S.C.R. 102 stated that, in accordance with
the general principles applicable in the Province of Quebec, there
is no real right or right to follow property (droit de suite) extending
to money or proceeds of sold property. The court cited Articles 1994 and 2005a of the Civil Code of Lower Canada as exceptions. In spite of this decision, various cases under the pre-1994
regime held that the rights of ownership of a vendor under an
instalment sales contract extended to tangible trade-ins, the
claims resulting from a sale of such property and other proceeds,
even if there was no specific mandate granted by the vendor to the
purchaser under the relevant contract.14
The specific text upon which the Supreme Court of Canada
relied to find a real right in proceeds has not been reproduced in
the Civil Code.
For hypothecary creditors, Article 2674 of the Civil Code provides for real subrogation. A hypothec on a universality of property may subsist and extend to property of the same nature which
replaces property alienated in the ordinary course of business of
an enterprise. A hypothec on specific property will need to be registered in order to subsist on replacement property. If there is no
replacement property, the hypothec subsists and extends to the
proceeds of alienation provided these may be identified. No similar text is applicable to instalment sales, leasing or leases. Nevertheless, it is possible that a court will be sympathetic to the
position of a vendor under an instalment sale in light of the cases
interpreting the pre-1994 regime and the treatment in common
law jurisdictions.15 It is difficult to see, however, what specific text
may be invoked by the vendor or the lessor in order to justify a
14. See Banque Royale du Canada v. Borg-Warner Acceptance Canada Ltée (1987),
[1987] R.J.Q. 2148 (C.S.) (settlement out of court 1991-11-12 C.A.Q. 200-09000511-870); Banque Toronto-Dominion v. General Motors Acceptance Corporation du Canada Ltée (1987), [1987] R.L. 393 (C.A.); In re Morin G.M.C. Ltée
(1985), J.E. 85-448 (C.A.); Crédit Chrysler Canada Ltée v. Caisse populaire
Laurier (1994), J.E. 94-1326 (C.S.) and the discussion in Payette, supra, note 8
at 133 et seq.
15. See for example Personal Property Security Act, R.S.O., c. P-10, s. 25 [hereinafter PPSA].
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
13
finding that such vendor or lessor has a right in the trade-ins, the
claims or other proceeds even if identifiable.16
Assuming that the previous jurisprudence is followed by the
courts in their interpretation of the rights of ownership under the
Civil Code, if such rights of ownership are on individual property
that is subject to an instalment sale, leasing or lease and such
property is sold in the ordinary course of an enterprise, no registration would be necessary in respect of replacement property in
order for the rights of ownership of the applicable vendor or lessor
to extend thereto. This should be contrasted to the requirement
for registration, on replacement property, of a hypothec which
charges individual property under the second paragraph of Article 2674 of the Civil Code in similar circumstances.17
d)
Registration
The second paragraph of Article 1745 of the Civil Code
stated, prior to September 17, 1999, that the reservation of ownership of property acquired for the service or carrying on of an enterprise may not be set up against third persons unless it is
published. Similarly, Article 1847 of the Civil Code stated that the
rights of ownership of the lessor may be set up against third persons only if they have been published. Article 1852 of the Civil
Code permitted rights resulting from a lease to be published, but
did not require them to be published in order to be set up against
third persons.
Since the coming into force of the Civil Code, there has been
some confusion as to the requirement for registration, as set out in
the pre-Bill 181 Articles 1745 and 1847 of the Civil Code, of the relevant reservation of ownership under instalment sales and rights
of ownership under leasing contracts in order to render such
rights opposable to third parties. Two decisions seemed to confirm
the necessity of registration for opposability.18 These two decisions did not, however, analyze the application of the Implementa16. Payette, supra, note 8 at 135 suggests that mandate may be used as a mechanism in order to preserve a real right in proceeds that are identifiable. See also
Yachting & Sports Pigeon Inc. (1995), 2 C.B.R. (4th) 236 (Que. S.C.).
17. See infra, note 65, for the discussion of the current controversy in respect of the
applicability of Article 2674 of the Civil Code to sales in the ordinary course of
business of inventory versus equipment.
18. See Fibro Design (1994) Ltée (1997), B.E. 97BE-581 (C.S.) and Banque Canadienne Impériale de Commerce v. Harris (1998), J.E. 98-2116 (C.Q.)
(Désistement de jugement du 15 septembre 1998 (C.Q.M. 500-22-021950-988)
et désistement d’appel, 1998-11-20 (C.A.M. 500-09007155-989)).
14
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tion Act and specifically Articles 98, 107 and 162, as such articles
applied at that time. These provisions addressed the opposability
of the reservation of ownership of a vendor under instalment sales
and rights of ownership of a lessor under leasing contracts. Unfortunately, in accordance with a certain interpretation, the text of
these provisions, only covered those instalment sales and leasing
contracts entered into prior to 1994 and which continued in
force.19 It should be noted that the administrative interpretation
of these particular provisions, which appeared in the Manuel de
l’inscription et de la consultation des droits personnels et réels
mobiliers20 at p. 16, prior to the May 19, 1998 revision, and
appeared on all certified statements issued after registration of a
right at the Register until recently, is that the reservation of ownership under instalment sales and the rights of ownership of the
lessor under leasing contracts entered into since January 1, 1994
and prior to September 17, 1999 did not need to be registered in
order to be opposable to third parties. Hence, even if a form was
tendered for registration at the Register in order to attempt to
render these rights opposable to third parties, a vendor or a lessor
was unable to have their specific rights accepted for registration.
Recent cases have confirmed that registration was not necessary
in order to render the applicable rights opposable to third parties.21 The explanatory notes to Bill 181 also serve to confirm the
intention of the legislator that reservations of ownership under
certain instalment sales and rights of ownership under leasing
contracts, even for contracts entered into since January 1, 1994,
did not need to be registered, prior to September 17, 1999, in order
to be opposable to third parties. This has now changed since the
relevant provisions of Bill 181 are now in force.
19. See for example R. Godin, “Baux commerciaux et crédit-bail” in Développements
récents en droit commercial (1996) (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1996) 103
at 114, where the author suggests that there is a serious doubt as to the
opposability of the rights of ownership of a lessor arising under contracts of
leasing entered into since January 1, 1994.
20. (Quebec: Les Publications du Québec, 1994) (the “User’s Guide”).
21. See Poliquin v. Fiducie Desjardins Inc. (1997), J.E. 1997-1512 (C.S.); Talbot
Équipement Ltée v. 2866-8192 Québec Inc. (1998), J.E. 98-2221 (C.S.); Wegoma
Machinery & Fabrication Systems Inc. v. 9022-9394 Québec Inc. (1998), J.E.
98-2222 (C.S.) and Pétrolière Impériale v. Poirier (1998), REJB 98-8618 (C.Q.).
In fact, the Minister’s Commentary concerning Article 162 of the Implementation Act seems to be clearer than was the text of such article: [c]et article
suspend provisoirement l’application de la loi nouvelle, lorsque celle-ci,
contrairement à l’ancienne, soumet certaines conventions à la publicité comme
c’est le cas en matière de vente avec réserve de propriété ou faculté de rachat, de
crédit bail... Minister’s Commentary, supra, note 2, Tome III at 136.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
15
It is common practice to have some form of a master agreement whereby a vendor and a purchaser agree that certain
movable property will be sold from time to time subject to a reservation of ownership. Cases prior to 1994 seemed to validate a reservation of ownership in a universality of property that could be
sold from time to time.22 Professor Grenon has suggested that it
would be possible to exploit Article 2987 of the Civil Code in order
to provide for a single registration in respect of instalment sales
that occur from time to time between the same vendor and purchaser pursuant to a master agreement.23 Unfortunately, the article on which Professor Grenon bases this argument deals with
registration by way of presentation of a summary. The second
paragraph of Article 2982 of the Civil Code allows applications for
registration in land registers by way of summary of a document,
whereas Article 2983 of the Civil Code, in respect of registration at
the Register, speaks of a notice unless otherwise provided by law
or regulations. Therefore, there would seem to have existed some
doubt as to the possibility of one single registration for various
instalment sales of movable property between the same vendor
and purchaser by way of a summary at the Register.24
e)
Realization
In respect of leasing and leases, no article restricts the rights
of the lessor to use specific remedies in the case of realization. The
full contractual and legal remedies not contrary to public order
are therefore available.25
In respect of instalment sales, Article 1748 of the Civil Code
stated that if the purchaser fails to pay the purchase price in
accordance with the specific contract, the seller may require
immediate payment of the instalments due or take back the sold
property. If the contract contains an acceleration clause, the seller
may instead require payment of the remaining purchase price.
Claxton characterized these remedies for instalment sales as pro22. See Payette, supra, note 8 at 222 and In re Distribution Omnibus Inc. (1986),
[1986] R.J.Q. 2286 (C.A.).
23. See Grenon, supra, note 5 at 223-224.
24. Payette, supra, note 8 at 222 appears to be of the opinion that, under the
pre-Bill 181 regime, no single registration was possible. Since the cases
resolved the confusion as to the requirement of registration and the relevant
provisions of Bill 181 are now in force, the possibility of a single registration
under the pre-Bill 181 regime is a moot point.
25. See Claxton, supra, note 8 at 201 and 204.
16
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
viding for the right of either seizing or suing.26 Article 1749 of the
Civil Code required, if the reservation of ownership was published, that a seller who elects to take back the sold property make
a demand on the buyer and any subsequent acquirer, if any, and
follow the provisions applicable to the hypothecary recourse of
taking in payment.
In the absence of the possibility to register reservations of
ownership under an instalment sale, there was some doubt as to
the applicability of Article 1749 of the Civil Code. Recent cases
hold that the formalities set out or referred to in Article 1749 of the
Civil Code were not applicable.27
A vendor under an instalment sales contract may be able to
use other rights available generally to sellers under the Civil
Code. The right to stoppage in transitu set out in the second paragraph of Article 1740 of the Civil Code is available to the vendor.28
This right may be particularly useful if it appears that the purchaser is experiencing financial difficulties and will be unable to
perform a substantial portion of its obligations. Note that the
right under the first paragraph of Article 1740 of the Civil Code is
probably not applicable since payment of the purchase price under
an instalment sales contract is, by the very terms of such contract,
at a date later than delivery of the subject property.
The right of resolution under Article 1741 of the Civil Code is
also not available to a vendor under an instalment sale. One of the
conditions for applicability of this right of resolution is that the
sale is not with a term.29
26. Claxton, supra, note 8 at 189 where he states that this rule appears to be of public order. The case of Crédit Ford du Canada Ltée v. Placements C.F.G.L.M. Provost Inc. (1996), [1996] R.J.Q. 3111 (C.Q.) seems to confirm this.
27. See the cases cited, supra, note 21, Ordinateurs Hypocrat Inc. v. Marché
L.I.T.G. Express Distribution Inc. (1994), J.E. 94-1196 (C.S.) and Ateliers
d’usinage Malcor Inc. v. Soniplastics Inc. (1996), B.E. 97BE-357 (C.S.) (on
appeal C.A.M. 500-09-00344-965; incidental appeal discontinued).
28. See also Article 1721 of the Civil Code.
29. A sale “net thirty days” has been held to be with a term, see Les Alcools de commerce Inc. v. La Corporation de produits chimiques de Valleyfield Ltée (1985),
[1985] C.A. 686; Fiducie du Québec v. Fabrication Précision Inc. (1978), [1978]
C.A. 255 and Landry v. Gauthier (1996), J.E. 96-429 (C.Q.). Courts have held
that, if the conditions for Article 1741 of the Civil Code are not fulfilled, the general right of resolution is applicable, see 166606 Canada Inc. v. Bashtanik
(1996), J.E. 96-1556 (C.S.) and Major et Cie v. Papadopoulos (1997), B.E.
97BE-402 (C.Q.). The issue as to whether the general right of resolution is available for instalment sales is beyond the scope of this article.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
17
Vendors may also invoke rights under the Bankruptcy and
Insolvency Act, R.S.C. 1985, c. B-3 (the “Bankruptcy and Insolvency Act”). In particular, Section 81.1 of this act provides vendors
with a right to repossess the goods sold and recently delivered to
the purchaser.30
f)
Assignments
It is common place that the rights of a vendor under instalment sales are assigned absolutely to a third party.31 In certain
industries, the vendor will sell to a related financing company all
of the vendor’s interest in such instalment sales. In fact, certain
standard form documents provide for such an assignment in the
actual instalment sales contract. These assignments are intended
to be absolute assignments and not as collateral.32
Since certain of the rights arising under instalment sales
contracts, leasing and leases constitute claims or other rights of
actions, their assignment would be governed by Article 1637 et
seq. of the Civil Code. In particular, in order for the assignment to
be opposable to third parties, the formalities set out in the Civil
Code must be fulfilled. Article 1642 of the Civil Code is applicable
to an assignment of a universality of claims, present or future.
Opposability to the vast majority of third parties, including a
trustee in bankruptcy, would result from registration of an
assignment of a universality of claims at the Register.
A number of difficulties arise in respect of assignments. In
the first instance, note that there must be one registration per
assignment of a universality of claims. Hence, it is not possible to
have a single registration in respect of a master agreement which
30. For a discussion of this particular remedy, see L.W. Houlden & G.B. Morawetz,
Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, 3rd ed. (Toronto: Carswell, 1998) at
3-192.16 et seq. Note that Section 81.1(1)(a) requires a notice to be sent within
thirty days after delivery of the goods to the purchaser. Recent case law has
allowed, in certain circumstances, the notice to be sent outside of this delay, see,
In re Rizzo Shoes (1989) Ltd (1994), 29 C.B.R. (3rd) 270 (Ont. Gen. Div. (Bankruptcy)) and In re Gestion J.F. Sports Inc. (20 November 1995), Montreal
500-11-001599-956 (Sup. Ct). Vendors and lessors would also be able to invoke
their rights under Section 81 of the Bankruptcy and Insolvency Act.
31. See, for example, the structure set out in some of the cases, supra, note 14 and
Compagnie Trust Royal v. Crédit Ford du Canada (1989), [1989] R.J.Q. 856
(C.A.).
32. For a discussion on the distinction between an absolute and a collateral assignment, see S.H. Dietze, “Some Applications of the Implementation Act to Movable Security” (1997) 57 R. du B. 1 at 10 et seq.
18
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
provides for various assignments from time to time between the
same assignor and assignee. Additionally, determining what is a
universality is a difficult task.33
It should be noted that, in respect of registered hypothecs,
Article 3003 of the Civil Code provides that an assignment which
is not registered at the applicable register and notified to the
account debtor, is not opposable to a subsequent assignee that
conforms with the relevant formalities. No equivalent provision
applied prior to September 17, 1999 to the assignment of the reservation of ownership under instalment sales, the rights of ownership under leasing or rights resulting from leases.34
3- WHY A REFORM?
As previously outlined, when the Civil Code was adopted, the
legislator envisaged that the Register would serve for registration
of certain rights that were commonly employed in secured financing in order that such rights be opposable to third parties. The
Implementation Act suspended this application until the Register
became fully operational. The adoption of Bill 181 clearly signaled
that the legislator intended to render the Register fully operational within a short period of time.
Over the course of the last few years, various sectors of the
economy have expressed the desire that certain rights associated
with instalment sales and leases be required to be registered even
if not arising in a commercial context. This is particularly true in
respect of vehicle financing.35 In addition, the purpose of the
reform is to lift the suspension of the requirement for publication
in respect of the reservation of ownership under certain instalment sales and the rights of ownership under leasing contracts
and to require registration of rights resulting from certain long
term leases. It was also felt that the recourses of a vendor under a
commercial instalment sales contract should be the same as those
33. See the controversial decision addressing the notion of “universality” in Automobile Maillot Inc. (1996), J.E. 96-1843 (C.S.) where it was held that where
95 % of the claims of an assignor were from one account debtor, the assignment
of all such claims was not an assignment of a universality. For a further discussion, see Dietze, id at 13.
34. Smyth, supra, note 5 at 6 suggests that Article 2939 of the Civil Code would
require such registration.
35. See the remarks of Serge Ménard, the then Minister of Justice, in his presentation of Bill 181 to the National Assembly at Quebec, National Assembly,
Debates of the National Assembly (10 December 1997) and available at www.
si2.rdprm.gouv.qc.ca.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
19
available to hypothecary creditors. Another important measure is
to permit physical persons not carrying on an enterprise to grant
movable hypothecs without delivery. The following discussion
focuses on the provisions of Bill 181 as they relate to instalment
sales, leasing and leases.36
4- INSTALMENT SALES
a)
Definition
Bill 181 modifies the second paragraph of Article 1745 of the
Civil Code in respect of the requirement for registration of reservations of ownership. It is important to note that there is no modification to the definition of an instalment sale. Therefore, the
reservations of ownership that require registration are those arising under instalment sales contracts as defined in the first paragraph of Article 1745 of the Civil Code and not all reservations of
ownership. Hence, as was the case under the pre-Bill 181 regime,
it will be possible to structure a sale where the vendor retains title
to the purchased property in such a fashion that it will not constitute an instalment sale for purposes of Article 1745 of the Civil
Code and therefore will not require registration in order to be
opposable to third parties.
b)
Proceeds
By enacting Bill 181, the legislator has not modified any of
the provisions applicable to instalment sales such that there
would be a right in or to the proceeds of the sale of the subject property. Doubt remains therefore as to the right of the vendor to proceeds in the absence of a specific mandate entitling the purchaser
to sell the subject property and requiring it to render account of
the proceeds.37
In light of this uncertainty, vendors may wish to require purchasers to grant a movable hypothec without delivery over the
proceeds arising from the subject property. If the hypothec is set
out in the deed of acquisition, the vendor may benefit from the provisions of Article 2954 of the Civil Code and obtain priority over a
36. Bill 181 also requires registration of rights of redemption under certain sales
with a right of redemption but does not deal at all with consignment. This seems
to be a curious choice by the legislator since, in the author’s experience, consignment is much more frequently used than sale with right of redemption as a security mechanism. For a discussion of Bill 181 and sales with a right of
redemption, see F. Duquette & L. Payette, “Influence de la loi 181 dans la pratique des juristes” (Conférence Regiscom, Montreal, May 27, 1998) [hereinafter
Duquette & Payette] at 13 et seq.
37. See supra, note 16.
20
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
general hypothec, provided that the vendor’s rights are registered
within 15 days of the sale. The vendor’s hypothec would also benefit from the real subrogation set out in Article 2674 of the Civil
Code. Presumably, the super priority would extend to proceeds of
alienation provided such proceeds are identifiable.38
In certain circumstances, the vendor may decide that an
attempt to protect rights in the proceeds is a theoretical rather
than a practical concern. For equipment financing, for example, it
is possible that the secured creditor views the tangible equipment
as the only security rather than the equipment and the proceeds.
For inventory financing, the practical difficulty may be identifying the specific proceeds since, in many circumstances, these will
be mingled with the funds of the purchaser in any event.39
c)
Registration and Priority
i)
Subject Property
The reservation of ownership under instalment sales of the
following property now need to be registered in order to be opposable to third parties: (a) road vehicle determined by regulation,
(b) other movable property determined by regulation, and (c) any
movable property acquired for the service or operation of an enterprise. Any road vehicle or other movable property as determined
by regulation40, whether acquired for the service or operation of an
enterprise or not, if subject to a reservation of ownership under an
instalment sale, as defined in Article 1745 of the Civil Code, will
need to be registered in order to be opposable to third parties.
The specific road vehicles set out in the regulation are some
of those for which a descriptive file may be opened at the Register
pursuant to the Regulation s. 15.41 The specific road vehicles are a
38. See infra, at 27 et seq. for discussion of the use of a vendor’s hypothec in the
event of multiple sales between the same vendor and purchaser.
39. See Payette, supra, note 8 at 139.
40. The regulation is in the form of an amendment to the Regulation respecting the
register of personal and movable real rights G.O.Q. 1993.II.8058 (as previously
amended, the “Regulation”). The regulation was published in the Gazette
officielle du Québec, Part 2 on August 18, 1999 at 2719 (the “Amendment”).
41. These are a passenger vehicle, motorcycle, taxi, emergency vehicle, bus, minibus and commercial vehicle, as defined in section 4 of the Highway Safety Code,
R.S.Q., c. C-24.2, a trailer or semi-trailer whose net weight exceeds 900 kg,
motor home and snowmobile of a model year more recent than 1988, as defined
in section 2 of the Regulation respecting road vehicle registration, G.O.Q.
1991.II.5881 and a motorized all terrain vehicle equipped with handlebars and
at least two wheels, that is designed to be straddled and whose net weight dows
not exceed 600 kg.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
21
passenger vehicle, a motorcycle, a motor home, a snowmobile of a
model year more recent than 1988 and a motorized all-terrain
vehicle equipped with handlebars and at least two wheels, that is
designed to be straddled and whose net weight does not exceed
600 kg. The other movable property consists of a caravan or a fifthwheel, a mobile home, a boat, a personal watercraft and an aircraft.42
The advantage of being able to register against vehicles at
the Register is that a descriptive file under the specific vehicle
identification number will be established upon an initial registration.43 Hence, registrations and searches may be undertaken
against the vehicle identification number, as well as against the
particular grantor. This will permit an increased level of protection for those creditors who make specific registrations against
such vehicles by vehicle identification number.
The third category of property requiring registration is movable property acquired for the service or operation of an enterprise. Given the expansive definition of enterprise in the Civil
Code, and the uncertainty as to whether the movable property is
acquired for the service or operation of an enterprise, it will be
prudent to register in circumstances where any doubt arises.
Assume for a moment that a practitioner is unsure if the
property subject to the instalment sale falls into one of the three
above-mentioned categories. As a precaution, the practitioner
registers the vendor’s reservation of ownership at the Register.
Would such a registration preclude the practitioner from subsequently taking the position that the reservation of ownership
under such instalment sale is not required to be registered?
Under the PPSA ss. 46(5)(b), a registration pursuant to such
legislation does not in and of itself create a presumption that the
PPSA applies to the underlying transaction. No similar provision
exists in the Civil Code in respect of instalment sales. Instead,
Articles 2943 and 2944 of the Civil Code establish that registration of a right in the Register carries certain simple presumptions.
42. Amendment, supra, note 40 adding a new section 15.01 to the Regulation.
43. The Amendment requires a 17 character vehicle identification number that
must be verified by a control algorithm prior to establishing a descriptive file for
certain of the road vehicles. See amendment, supra, note 40, amending section
20 of the Regulation.
22
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
These simple presumptions may be rebutted, however, by evidence to the contrary.44 It would seem, therefore, that the registration of such rights would not preclude a finding that such
reservation of ownership does not require registration in order to
be enforceable as against third parties.45
An additional difficulty will arise in interpreting “acquired”.
Is this a subjective or an objective test? Is it one of intention on the
part of the purchaser at the moment of acquisition? If the property
is initially acquired for purposes other than for the service or operation of an enterprise, can its change of use have an effect upon the
requirement for registration? These questions will need to be
addressed by the courts; however, until such time, the prudent
approach is to register in all circumstances.
ii)
Opposability
If the reservation of ownership under the applicable instalment sales contract is published within 15 days of the date of the
sale, these rights will be opposable to third parties from such earlier date. This delay is similar to the delay applicable to the vendor’s hypothec of Article 2954 of the Civil Code. Note however,
that for a vendor’s hypothec, such hypothec must be in a written
act of acquisition.46 An instalment sale need not be in writing in
order to have effect between the parties.47
If the reservation of ownership under the applicable instalment sales contract is not registered within 15 days of the date of
the sale, Article 1749 of the Civil Code, as modified by Bill 181,
sets out a method to determine the priority of such rights vis-à-vis
the rights of third parties. Hence, if the reservation of ownership
was not registered as required, the seller may take back the property only if it is in the hands of the original purchaser and subject
to rights and charges which such purchaser may have granted on
such property. If the reservation of ownership was published after
44. See Article 2847 of the Civil Code.
45. This reasoning may also apply to reservations of ownership that arise out of a
sale contract that does not fall within the definition of an instalment sale set out
in Article 1745 of the Civil Code. A practitioner may wish to register pursuant to
Article 1745 of the Civil Code but later argue that the realization regime is inapplicable since the particular reservation of ownership did not require registration in the first instance in order to be opposable to third parties.
46. See Article 2696 of the Civil Code.
47. See Article 1385 of the Civil Code, Fiducie du Québec v. Équipement de bureau
J.R.D Inc. (1985), J.E. 85-306 (C.A.) and Duquette & Payette, supra, note 36 at 6.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
23
15 days from the date of the sale, again the seller may only take
the property back if it is in the hands of the original purchaser
unless such reservation of ownership was registered before the
sale of the property by the original purchaser in which event the
original reservation of ownership is opposable to the subsequent
acquirer. In these cases, the seller may take the property back
subject only to such rights and charges which the original purchaser may have granted and which were duly published prior to
the registration of the reservation of ownership.
An example of this rule may be useful. Assume that a particular potential purchaser has previously granted to a financial
institution a movable hypothec without delivery on all present
and future movable property and that this hypothec was granted
and registered prior to entering into an instalment sale. Assume
further that the reservation of ownership of the vendor under the
instalment sale was registered more than 15 days after the date of
sale. As between the financial institution and the vendor, the
rights of the financial institution will have priority. This would
also apply if the reservation of ownership of such vendor were not
registered at all.
In circumstances where the rights of a hypothecary creditor
would rank prior to those of a vendor under an instalment sale,
how could such vendor reacquire a first ranking position? If the
vendor benefited from a vendor’s hypothec which had been registered after 15 days from the sale, the vendor could attempt to
obtain and, relying upon Article 2956 of the Civil Code, register a
cession of rank. The text of Article 2956 of the Civil Code does not
contemplate (nor does Bill 181 modify it to provide) the ability of a
vendor under an instalment sale to register a cession of rank in
order to re-obtain a first rank on the sold property vis-à-vis the
hypothecary creditor. It would appear that a cession of rank
between the vendor and the hypothecary creditor may not be registered. The vendor may therefore have to be satisfied with the
undertaking of the financial institution to subordinate its security
to the vendor’s security.48 It is possible that this agreement may
not be opposable to the trustee in bankruptcy of the purchaser. In
48. See D. Desjardins, “Les conventions de priorité et de subordination ou au-delà
de la simple cession de rang” in Finance Commerciale et Crédits Syndiqués
(Montreal: McGill University Faculty of Law, October 31 and November 1,
1997) in respect of subordination and priority agreements.
24
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
practice, this may not be a concern if the financial institution is
solvent.
iii) Diminishing of Ownership Rights
If the reservation of ownership of a vendor under an instalment sale is not registered or is registered outside of the 15 day
period, such vendor runs the risk of losing or having its rights
diminished vis-à-vis third parties. This result seems to run contrary to the traditional civil law respect for title and ownership.
Certain commentators have in fact stated that the registration
requirement diminishes ownership rights since the purchaser
seems to be able to give greater rights to third parties than such
purchaser may have.49 In the author’s opinion, this assertion does
not take into account important considerations.
In adopting the Civil Code, the legislator modified the provisions concerning sale of the property of another. The circumstances when the sale of the property of another remains valid are
more restricted than they were in the former legislation.50 Therefore, under Quebec civil law, it has always been possible for a vendor to give greater rights than it has in property pursuant to the
provisions applicable to the sale of the property of another.
For those secured creditors carrying on business in common
law jurisdictions in Canada which have a regime similar to the
PPSA, it will come as no surprise that a secured party or a trustee
in bankruptcy may have greater rights than those the debtor has
in the subject property. In the recent Supreme Court of Canada
decision Re Giffen (1998), [1998] 1 S.C.R. 91 [hereinafter Giffen],
it was held that, since the lease had not been properly perfected by
registration or possession under the applicable provisions of the
British Columbia legislation, a trustee in bankruptcy could end
up with full rights in a leased car even if the bankrupt only had a
right of use and possession.
Under current Quebec civil law, there is a possibility that
non-consensual security, which prior to 1994 was a landlord’s
privilege and is now a legal hypothec, charge the property of third
parties on the premises. Hence, by operation of law, a landlord
49. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 7 et seq.
50. See Article 1713 et seq. of the Civil Code and Article 1487 et seq. of the Civil
Code of Lower Canada.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
25
benefiting from a legal hypothec would be able to have greater
rights than those of the tenant since the landlord’s legal hypothec
would extend to property subject to an instalment sale, leasing,
lease or other title manipulation device.51
For those practitioners familiar with secured transactions
under the pre-1994 regime, it will be remembered that a consensual security by way of commercial pledge on property subject to
an instalment sales contract was held to give to the secured party
greater rights than the grantor.52 The Court of Appeal relied upon
the provisions in the Civil Code of Lower Canada concerning the
pledge of property of another in order to validate the commercial
pledge. In light of the foregoing, it should not come as a surprise
that by application of certain provisions of Bill 181 a grantor may
give greater rights to a secured creditor or subsequent purchaser
than such grantor has in the subject property.
iv) Single Registration
One of the most useful reforms introduced by Bill 181 is the
notion of a single registration for reservations of ownership under
certain instalment sales, rights of ownership under leasing contracts and rights under certain leases in respect of a universality
of movable property of the same kind that is involved in such
sales, leasing or leases in the ordinary course of business between
persons operating enterprises.53 This reform will definitely facilitate financing arrangements in the commercial context between
two parties that may enter into master agreements and subsequent instalment sales, leasing or leases on a regular basis. If
such rights are registered pursuant to Article 2961.1 of the Civil
51. See for example Azzaria v. 2875781 Canada Inc. (1995), J.E. 95-863 (C.S.).
52. See M. Goulet, Le nantissement commercial (Montreal: Wilson & Lafleur, 1990)
at 21 et seq.; Bo-Less Inc. v. Boily (27 December 1979), Quebec 200-09000192-770 (C.A.) (reproduced at Annexe 1 of Goulet) and Y. Goldstein, “A
Bird’s Eye View of Conflicting Claims” in New Developments in Commercial
Lending Meredith Memorial Lectures 1981 (Montreal: Richard De Boo, 1982) 88
at 101 et seq.
53. Article 2961.1 of the Civil Code speaks about reservation of ownership. Since
the only reservations of ownership that require registration in order to be
opposable to third parties are those under instalment sales, as defined in Article 1745 of the Civil Code, presumably Article 2961.1 of the Civil Code only
applies to these reservations of ownership. The expression “of the same kind” or
de même nature as used in Article 2961.1 of the Civil Code may be held to be
equivalent to “of the same nature” or de même nature in Article 2674 of the Civil
Code. Practitioners will need to determine what constitutes a universality of
movable property of the same kind.
26
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Code, they will not, however, be opposable to a third party who
acquires the subject property in the ordinary course of business of
the seller to such third party.54 The reform does not apply to the
vendor’s hypothec which will not benefit from a single registration
under Article 2961.1 of the Civil Code. Hence, it will be necessary,
if the vendor’s hypothec is used as security, to continue to register
such a hypothec after each act of acquisition and within 15 days of
the sale in order to benefit from the super-priority.55
There are definite advantages to choosing instalment sales
as a mechanism for secured financing over a hypothec, including a
vendor’s hypothec.56 No written contract is necessary in order for
the instalment sale to be enforceable57 whereas for a conventional
movable hypothec without delivery the absence of a written contract is cause for absolute nullity.58 Furthermore, the deed of
hypothec must contain a sufficient description of the hypothecated property or an indication of the nature of the universality of
the charged property.59 There is no requirement that the registration of reservations of ownership indicate a specific sum up to
which the vendor will have rights in the subject property. This
result should be compared to Article 2689 of the Civil Code where
an act constituting a hypothec must indicate the specific sum for
which it is granted. The Minister’s Commentary in respect of this
article would seem to indicate that this provision is an important
mechanism in order to inform third parties of the extent of the
security of a hypothecary creditor.60 It is more properly the registration of the rights of the hypothecary creditor in the Register
and the indication thereat of the specific sum which informs third
parties of the amount of the charge and not the amount in the deed
itself. Such policy choice seems to be key to the provisions concern54. Note the discrepancy in the English and French versions of the first paragraph
of Article 2961.1 where “son vendeur” has been translated as the seller’s.
55. See Payette, supra, note 8 at 199.
56. Table A appearing at the end of this article summarizes some of the advantages
and disadvantages of employing movable hypothec without delivery, instalment sale, leasing and lease for inventory financing (Part I) and equipment
financing (Part II).
57. See, supra, note 47.
58. See Article 2696 of the Civil Code.
59. See Article 2697 of the Civil Code. This may not represent a substantial difference, since, under the general rules applicable to obligations, the sold property
must at least be determinate as to kind and determinable as to quantity. See
Article 1374 of the Civil Code.
60. Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1684 where he states: “La seule exigence de l’article est d’indiquer la somme pour laquelle l’hypothèque est consentie, de manière à informer les tiers de l’étendue de la garantie.”
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
27
ing security by way of hypothec. It is therefore curious that such
policy choice was not reflected in any of the modifications set out
in Bill 181. Creditors consulting the Register will be unable to
know the extent of the security of certain vendors and lessors
unlike the charge of a hypothecary creditor.61
For reservations of ownership under instalment sales registered pursuant to Article 1745 of the Civil Code but not registered
pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code, no further registration is required in order for such rights to be opposable to third
parties in the event of a sale of such property in the ordinary
course of business.62
As is the case for a movable hypothec without delivery, a single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code must
be renewed prior to the expiration of a 10-year period in order to
preserve opposability.63
An obvious advantage for instalment sales contracts over
movable hypothecs without delivery is that, if the reservation of
ownership is appropriately registered, the vendor will not be outranked by a creditor benefiting from a prior claim, including a
prior claim of the State for amounts due under fiscal laws.64 Registration of the reservation of ownership preserves the effect of such
right and consequently the subject property never enters into the
patrimony of the purchaser and creditors benefiting from prior
61. The administrative practice prior to September 17, 1999, in respect of rights
resulting from a lease was to permit, but not require, an indication of the periodic rent payable. See User’s Guide, supra, note 20 at the previous 199. Note
that Section 18 of the PPSA provides certain creditors with a right to receive
information from a secured party. The Civil Code does not contain such a right
nor does Bill 181 introduce such a right to compensate for the lack of an indication of a charging amount in registrations pursuant to Article 2961.1 of the
Civil Code.
62. See Payette, supra, note 8 at 218 and Article 1714 of the Civil Code.
63. See Article 2798 of the Civil Code. Registrations of reservations of ownership
under instalment sales and rights of ownership under leasing contracts, other
than under Article 2961.1 of the Civil Code, will need to indicate the date after
which the registration ceases to be effective. See Article 2983 of the Civil Code.
Unlike a registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code or in respect of
movable hypothecs without delivery, this may be for a period of time exceeding
10 years. See the User’s Guide, ibid at 74.3. No specific text in Bill 181 would
permit renewal beyond the initially indicated date for those instalment sales,
leasing and leases not registered pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code.
This is possible, however, under the general provisions of Articles 2937 and
2942 of the Civil Code.
64. See Article 2651 of the Civil Code.
28
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
claims would not be able to validly institute proceedings to cause
such property to be seized and sold.
The final sentence of the first paragraph of Article 2961.1 of
the Civil Code states that the reservation of ownership will not follow property sold in the ordinary course of business. There is a
current debate as to whether property sold in the ordinary course
covers not only inventory but also equipment.65 Since instalment
sales may be used for both inventory and equipment financing
this debate also applies to the interpretation of Article 2961.1 of
the Civil Code.
Financing by way of instalment sale has some disadvantages
compared to secured financing by way of hypothec. We have
already canvassed the uncertainty as to whether an instalment
sale will extend to proceeds. In addition, the difficulties with movable and immovable accession remain for instalment sales and
have not been dealt with by Bill 181.
There is no provision in Bill 181 or in the Civil Code analogous to Article 2700 or 2701 of the Civil Code for instalment sales.
If movable property subject to an instalment sale requiring registration is sold out of the ordinary course of business, no additional
registration is required in order for such instalment sale to continue to be opposable to third parties even if the vendor-owner has
been informed or consented to such sale. Presumably purchasers
in such circumstances will require that the purchaser-debtor
under the particular instalment sale obtain a reduction of the vendor-owner’s rights on such particular property.66
If the particular purchaser from the debtor under the instalment sale is assuming the instalment sale, how does one deal with
this assumption? It would seem that registration thereof should
be required if the Register is to reflect accurately security charging particular assets. Neither Bill 181 nor the Civil Code specifically requires a subsequent registration in order to inform third
parties of the charge on such assets now being held by the pur65. See D. Pratte, “Le droit de suite et l’hypothèque mobilière” (1997) 57 R. du B.
413, the doctrine and cases cited in such article and Legault & Frères v.
2751-5717 Québec Inc. (1997), [1997] R.J.Q. 2336 (C.Q.).
66. Although this may appear to be an advantage to financing by way of instalment
sale, vendor’s may want to have a mechanism to inform other parties of their
continuing security as is the case for hypothecary creditors under Article 2700
of the Civil Code. If the hypothec or the instalment sale is registered against the
vehicle identification number, no further registration is necessary.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
29
chaser. The third paragraph of Article 2938 of the Civil Code
states that the modification of a published right must also be published. Is this provision applicable to the sale out of the ordinary
course of business of property subject to reservations of ownership? Would this also apply to the assumption of the obligation of
the debtor under the instalment sale by the purchaser? If the purchaser is assuming obligations under a master agreement, a new
registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code will render opposable subsequent reservations of ownership under instalment sales but it is unclear how this protects the vendor’s priority
for prior assumed instalment sales.67
v)
PMSI
The advent of the single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code has prompted some commentators to
see a resemblance between this mechanism and the purchase
money security interest («PMSI») under the PPSA.68 Although it
is tempting to see a parallel between these two mechanisms, there
are still significant differences.
A PMSI is defined under the PPSA as (a) a security interest
taken or reserved in collateral to secure payment of all or part of
its price, or (b) a security interest taken by a person who gives
value for the purpose of enabling the debtor to acquire rights in or
to collateral to the extent that the value is applied to acquire the
rights. The PPSA excludes from its scope a transaction of sale by
and lease-back to the seller. A security interest is broadly defined
under the PPSA and would include the security known under
Quebec law as a movable hypothec, an instalment sale, a pledge,
lease or consignment, that secures payment or performance of an
obligation. In light of this extended list and the definition of a
PMSI, more creditors may benefit directly from this security than
vendors under instalment sales registering pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. In particular, a lender who finances
the purchase of property may benefit from a PMSI; however,
unless a mechanism such as assignment or subrogation is used,
67. See the discussion infra at 49 et seq. in respect of the possible scope of application of a registration pursuant to Article 2961.6 of the Civil Code as it relates to
subsisting contracts.
68. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 23 and F. Duquette, “Bill 181 and its
Impact on Banking and Commercial Practices”, Desjardins Ducharme Stein
Monast, October 1998 at www.ddsm.ca.
30
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
such lender would be unable to benefit from a registration under
Article 2961.1 of the Civil Code.69
Section 33 of the PPSA establishes a super-priority for a
PMSI over any other security interest in the same collateral given
by the same debtor. The purpose of Article 2961.1 of the Civil Code
is to facilitate a single registration for various instalment sales,
leasing and leases entered into between two parties. This registration gives a super-priority to those creditors but only because of
the combined effect of Article 2961.1 of the Civil Code and registration under, for example, Article 1745 of the Civil Code. Hence,
the effect of Article 2961.1 of the Civil Code is much more analogous to the PPSA, s. 45(4) which permits a single registration to
perfect various security interests subsequently granted by the
debtor to the secured party.70
The PPSA distinguishes between a PMSI in inventory and
its proceeds and a PMSI in other types of personal property. In
contrast, no distinction is made under Article 2961.1 of the Civil
Code. In order for a PMSI in inventory and proceeds to have priority over any other security interest, (i) the PMSI must be perfected
at the time the debtor obtained possession of the inventory or a
third party at the request of the debtor obtained or held possession
of the inventory, whichever is earlier, (ii) before the debtor
receives possession of the inventory, the secured party gives
notice in writing to every other secured party who has registered a
financing statement in which the collateral is classified as inventory before the date of registration by such secured party, and
(iii) such notice states that the person giving it has or expects to
acquire a PMSI in inventory and describes such inventory by item
or type. There is no requirement in Bill 181 or the Civil Code for
notice to other registered creditors in order for a registration
under Article 2961.1 of the Civil Code to have the effect of giving it
a super-priority. Furthermore, the registration under Article 2961.1 of the Civil Code is not at all linked to the debtor receiv69. See A. Grenon, “Major Differences between PPSA Legislation and Security over
Movables in Quebec under the new Civil Code” (1995) 26 C.B.L.J. 391 at 400 et
seq. Note, however, that lessors may benefit from a registration pursuant to
Article 2961.1 of the Civil Code.
70. Pursuant to the PPSA, s. 45(4) not only subsequent PMSIs may benefit from an
initial registration but most other security interests as well. Article 2961.1 of
the Civil Code seems to correspond to the restricted and controversial interpretation of the PPSA, s. 45(4) set out in Adelaide Capital v. Integrated Transportation Finance Incorporated (1994), 6 P.P.S.A.C. (2nd) 267 (Ont. Ct (Gen. Div.)).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
31
ing possession of the inventory in order to have the effect of giving
a super-priority but rather it is linked, by application of the rule in
Article 1745 of the Civil Code, to the date of the sale.
In respect of collateral, other than inventory and its proceeds, a PMSI has priority over any other security interest in the
same collateral given by the same debtor if, other than in the case
of intangibles, such PMSI was perfected before or within ten
(10) days after the debtor, obtained possession of the collateral, as
a debtor, or a third party, at the request of the debtor, obtained or
held possession of the collateral, whichever is earlier. In the case
of intangibles, other than inventory or its proceeds, the PMSI
must be perfected before or within ten (10) days after the attachment of the PMSI in the intangible. The provisions concerning
instalment sales under Article 1745 of the Civil Code and priority
are not linked at all to obtaining possession of the collateral but
rather to the date of the sale. The delays also differ. As a final note,
it is clear that a properly perfected PMSI will give a super-priority
in proceeds to the extent they are traceable or identifiable. The
current doubt in respect of the extension of an instalment sale to
proceeds has been canvassed previously.71
d)
Realization
One of the avowed goals of the reform under Bill 181 is to provide instalment sales, other than in the case of consumer contracts, with the fully panoply of hypothecary recourses. 72
Duquette & Payette argue that, since Article 1748 of the Civil
Code has not been modified, the current rights of the vendor to
either require immediate payment of the instalments or to take
back the property remain, and in taking back such property it is
the provisions concerning the taking of possession applicable to
hypothecs that will apply.73 The issue may center on the interpretation of the phrase «take back the sold property» in Articles 1748
and 1749 of the Civil Code.
In accordance with an alternative interpretation of the legislative changes to Article 1749 of the Civil Code, the taking back of
the sold property under Article 1748 of the Civil Code would simply be analogous to obtaining possession of the hypothecated prop71. See supra at 13 et seq.
72. See Explanatory Notes to Bill 181.
73. Duquette & Payette, supra, note 36 at 11-12.
32
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
erty or surrender as a preliminary measure prior to exercise of any
specific hypothecary recourse. Hence, Article 1749 of the Civil
Code, as modified by Bill 181, is more than just a procedural mechanism. It sets out the substantive remedies available to a vendor
under an instalment sale, other than in the case of a consumer
contract, once the vendor has elected to take back the sold property as a preliminary step in realization.74 Thus, when the Civil
Code speaks of taking back the sold property in Article 1748, one
must ask the further question as to what the specific rights of the
vendor are upon taking back such property. These rights are governed by the realization regime set out or referred to in Article 1749 of the Civil Code.
Bill 181 introduces the rule that, if the instalment sale is a
consumer contract, the Consumer Protection Act rules applicable
to the exercise by the seller of the right of repossession govern.
Other than in respect of instalment sales falling into the first two
categories of subject property discussed above, one may be tempted to conclude that instalment sales that constitute consumer
contracts need not be registered in order to be opposable to third
parties. It should be noted, however, that there is an overlap in the
notions of “consumer”, for purposes of the Consumer Protection
Act, and “enterprise” under the Civil Code. Certain case law has
held that professionals, skilled trades persons and farmers may
be considered to be consumers for purposes of the Consumer Protection Act, although, their activities may also fall within the
extended definition of an enterprise.75 Hence, a vendor contemplating the use of instalment sales as a secured financing device
may need to consider the application of the Consumer Protection
Act in the event of realization and as to form and content of the
contract. Notwithstanding that a particular instalment sale may
constitute a consumer contract subject to the Consumer Protection
Act, it may also require registration at the Register in order to be
opposable to third parties if the movable property is acquired for
the service or operation of an enterprise by a person considered to
be a consumer for purposes of the Consumer Protection Act.
74. I am indebted to Mtre Catherine Jenner of Stikeman, Elliott for this argument.
75. See, for example, Bérubé v. Tracto Inc. (1997), [1998] R.J.Q. 93 (C.A.) and
Équipement Robert Charest v. Cadieux (1998), B.E. 98BE-1258 (C.Q.) (Motion
for permission to appeal refused 1998-08-26 (C.A.Q. 200-09-002119-987)). A
prior draft of the Implementation Act had proposed amendments to the Consumer Protection Act such that the notion of merchant would correspond to
enterprise in Article 1525 of the Civil Code. This version was not adopted.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
33
5- LEASING
a)
Definition
Bill 181 does not modify the definition of a leasing contract or
the rules concerning movable or immovable accession nor does it
address the uncertainty as to proceeds.
b)
Registration and Priority
As is the case with reservation of ownership under instalment sales, the rights of ownership of the lessor under a leasing
contract will be opposable to third parties if registered at the Register within 15 days of the leasing contract. Bill 181 has not modified Article 1847 of the Civil Code in a manner analogous to
Article 1749 of the Civil Code in order to indicate what will occur if
the rights of ownership are not registered or are registered after
the 15-day period. This has led Duquette & Payette to suggest
that the rights of ownership of a lessor will not be opposable to
third parties in such circumstances.76
The general principles of the effect of publication are set out
in Article 2941 et seq. of the Civil Code. Publication of rights
allows them to be set up against third persons, establishes their
rank and, where the law so provides, gives them effect. Furthermore, unless otherwise provided by law, rights rank according to
the date, hour and minute entered on the memorial of presentation, provided that the entries have been made in the proper registers.77 In the absence of the last portion of the first paragraph of
Article 1847 of the Civil Code, these general principles would
mean that the rights of ownership of the lessor would only be
opposable to third parties from the date, hour and minute of registration at the Register. When Bill 181 states that the effect
against third persons operates from the date of the leasing contract provided the rights are published within 15 days, this is an
exception to the rule set out in Article 2945 of the Civil Code.
Therefore, if the rights of ownership of the lessor are registered
within 15 days of the date of the leasing contract, rank will be
established from the date of such leasing contract, otherwise, the
rule in Article 2945 of the Civil Code applies and the rights of ownership will only rank from the date, hour and minute of registration.78 This interpretation is more consistent with the overall
76. Duquette & Payette, supra, note 36 at 17.
77. Article 2945 of the Civil Code.
78. This position seems to be accepted by others, see Bill 181 – Developments in the
Law of Security in Quebec, Ogilvy Renault, November 1998 at www.
ogilvyrenault.com.
34
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
economy of the Civil Code and would permit a lessor under a leasing contract to register after the 15-day period in order to render
the rights of ownership opposable to third parties from the date of
registration. This would also be consistent with the interpretation
of the rule applicable to the vendor’s hypothec in Article 2954 of
the Civil Code.
The difficulty with this interpretation is that the legislator
specifically provides for the consequences of lack of registration or
registration after the 15-day period for the reservation of ownership under instalment sales in the second and third paragraphs of
Article 1749 of the Civil Code introduced in Bill 181. Does this
demonstrate the intention of the legislator in the case of leasing
contracts to require registration within the 15-day period following the leasing contract in order to render the rights opposable to
third parties? Presumably, the general provisions concerning the
effects of publication as outlined above would still be applicable
since those particular rules have not been rendered inoperative by
specific provisions in Bill 18179.
Article 1847 of the Civil Code states that it is the rights of
ownership of the lessor that must be registered in order to be
opposable to third parties. The traditional view in the civil law is
that the rights of ownership are usus (droit d’user), fructus (droit
aux fruits et revenus) and abusus (droit de disposer).80 The nature
of the leasing contract is that the lessee has the usus. Fructus
would include the payments that the lessee makes to the lessor in
return for the use of the particular property. Does the expression
«the rights of ownership» extend to all of the rights generally associated with ownership? If so, in order for the lessor to be able to
have its right to the payments under the leasing contract opposable to third parties, the rights of ownership thereunder must be
registered in the Register. This should be contrasted with Article 1745 of the Civil Code where it is only the reservation of ownership in respect of the property under the relevant instalment sales
79. If the rights of ownership of a lessor are opposable from the date of registration
when registration occurs outside of the 15 day period, it does not necessarily follow that the application of the general principles concerning publication and
opposability will render the same results for a leasing contract as for those
established by the second and third paragraphs of Article 1749 of the Civil
Code. For example, the lessor may argue that its rights are opposable to a prior
registered hypothecary creditor provided that the lessor’s rights of ownership
are registered prior to realization by such hypothecary creditor.
80. Article 947 of the Civil Code and D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3rd ed.
(Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1998) at 55.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
35
that must be registered in order to be opposable to third parties.
On one possible interpretation, this reservation of ownership only
includes the real right in the movable property subject to the
instalment sale and does not extend to the income or payments
generated under the instalment sales contract. Alternatively, one
might argue that the reservation of ownership of the subject property reserves to the vendor all of the rights of ownership set out in
Article 947 of the Civil Code, except those that are given to a third
party by the owner, e.g. usus to the purchaser. This issue is of
importance when considering the effect of Bill 181 on assignments.
A single registration at the Register will now be possible for a
master agreement and various leasing contracts subsequently
entered into pursuant thereto in order for the rights of ownership
under all such leasing contracts to be opposable to third parties.
This registration will be valid for a maximum of 10 years with a
possibility of renewal.81
Practitioners are now faced with the task of determining
whether a particular contract is a lease or a leasing. This characterization is important since the rights under a lease with a term
of more than one year will not always require registration
whereas the rights of ownership of a lessor under a leasing contract must always be registered in order to be opposable to third
parties. If the rights resulting from a leasing contract are registered as a lease, arguably the rights of ownership of the lessor
have not been appropriately registered and will not be opposable
to third parties.82
A contract that is not a leasing contract is not necessarily a
lease. The current accepted position is that, since the adoption of
the Civil Code, a leasing contract may no longer be characterized
81. Grenon, supra, note 5 at 227 suggests that leasing contracts between the same
parties occur on an irregular basis. It is possible, however, to conceive of a
financing structure whereby a lessee might finance its fleet of vehicles by way of
various leasing contracts under a master agreement with a particular lessor.
For a general discussion of other principles applicable to instalment sales contracts that apply also to leasing contracts, see the discussion, supra, under the
headings of “opposability”, “diminishing ownership rights”, “single registration” and “realization”.
82. The registration form annexed to the Amendment, Form RD, distinguishes
between rights under a lease and rights of ownership of a lessor under a leasing
contract. The Civil Code introduced the important reform in 1994 whereby the
registration regime for personal and real movable rights was based on registration of rights. Characterization of rights in order to determine proper registration is therefore of extreme importance.
36
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
as a lease.83 Furthermore, certain commentators have suggested
that if a particular contract does not conform with the definition of
a leasing contract, it will not be characterized as a lease but will be
an innominate contract.84
Assume for a moment that a contract is designated by the
parties as a leasing contract however, the only element necessary
for a leasing contract that is absent is that the lessor does not
acquire the property from a third person at the demand and in
accordance with the instructions of the lessee. Since the relationship between the parties corresponds to the remaining conditions
in Article 1842 of the Civil Code, it is very possible that such contract could also conform to the definition of a lease in Article 1851
of the Civil Code. The practitioner would therefore have to determine if the rights resulting from such contract will need to be registered under Article 1852 of the Civil Code. If, however, the
contract is not a lease, no registration will be necessary in order to
render the rights of ownership of the lessor enforceable against
third parties. Practitioners may wish to adopt a prudent
approach. If it is not obvious that a contract purporting to be a
leasing contract conforms to the particular definition of leasing
then the rights of ownership of the lessor thereunder may need to
be registered as rights resulting from a lease as well as rights of
ownership of the lessor under the leasing contract. This may lead
to a multiplicity of registrations at the Register under Articles 1847, 1852 and 2961.1 of the Civil Code.
c)
Realization
Bill 181 introduces no change to the current regime for realization for a leasing contract.
6- LEASES
a)
Definition
Bill 181 has not modified the rules concerning movable or
immovable accession. There is also no modification to address the
uncertainty as to proceeds.
83. See Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1156 et seq. and Godin, supra,
note 5 at 688.
84. See Godin, Ibid and P.-G. Jobin, Traité de droit civil: Le louage de choses,
2nd ed. (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1996) at 56. See also Xerox Canada
Ltée v. Pathfinder Marine Inc. (1999), J.E. 99-580 (C.S.), a case under the Civil
Code of Lower Canada, where the court held that a contract that did not fulfill
all of the requirements for a leasing was in fact an innominate contract even
though the contract had a great similitude to a lease.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
37
Although Bill 181 has not modified the definition of lease in
Article 1851 of the Civil Code, an important preliminary consideration is whether or not the particular contract constitutes a lease.
We have previously examined the possibility of considering a contract that does not conform with all of the requirements of a leasing contract as a lease.85
The case of I.G.U. (Ingraph) Inc. v. L.B.G.P. Consultants Inc.
(1990), J.E. 90-1224 (C.S.) [hereinafter Ingraph] provides an
interesting fact situation which, if to be decided now, would give
rise to a number of issues. In this particular case, the parties had
entered into a license agreement. L.B.G.P. Consultants Inc. was
seeking to quash a seizure before judgment. Mr. Justice Trudel
had to determine the nature of the license agreement. The plaintiff argued that the license constituted a real right of usufruct. The
Court indicated that this particular legal institution licence coming from the common law was not part of Quebec civil law. After
consideration of various authors, particularly French doctrine,
Mr. Justice Trudel states that “...le tribunal juge que la license
d’exploitation dont I.G.U. est titulaire s’assimile à un contrat de
louage et non à un usufruit.” Some commentators, based upon the
Ingraph decision, advance the argument that a license, whether it
be exclusive or non exclusive, constitutes under civil law an
innominate contract in the nature of a contract of lease.86
For purposes of registration under Article 1852 of the Civil
Code, it is not sufficient that the contract under consideration be
“in the nature of”, “analogous to” or “like” a lease. The contract
must be a lease. The third paragraph of Article 2938 of the Civil
Code states that personal rights and movable real rights require
publication only to the extent prescribed or expressly authorized
by law. The Minister’s Commentary to Articles 1852 and 2938 of
the Civil Code confirms that the law must expressly authorize or
require publication of personal and movable real rights.87 Accordingly, one should adopt a restrictive interpretation to provisions
requiring publication of personal and movable real rights in order
for such rights to be opposable to third parties. Hence, even if a
license agreement is analogous to a contract of lease, unless such
85. See the discussion, supra, at 36 et seq.
86. See L. Payette and S. Picard “Les prises de garantie en matière de transferts de
technologie” Presentation to the Canadian Bar Association and Licensing Executives Society (U.S.A. and Canada), Inc., December 2, 1998 at 26.
87. See, supra, note 2 at 1163 and 1846.
38
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
license agreement is specifically held to be a lease, rights resulting
from the license will not be required to be registered in order to be
opposable to third parties.
b)
Registration and Priority
Article 1852 of the Civil Code, as amended by Bill 181, provides that the rights under a lease with a term of more than one year
of the following property will need to be registered in order to be
opposable to third parties: (a) road vehicle determined by regulation, (b) other movable property determined by regulation, and
(c) any movable property required for the service or operation of
an enterprise, subject to exclusions to be set out in a regulation.88
Bill 181 provides that the term of one year or less is deemed to be a
term of more than one year if, by operation of a renewal clause or
another covenant to the same effect, the term of the lease may be
extended to more than one year. As is the case with a leasing contract, opposability is from the date of the lease provided that the
rights under the lease are published within 15 days thereof.
The third category of movable property in respect of which
registration will be required is that “required for the service or
operation of an enterprise”. This should be contrasted with the
applicable test for instalment sales of movable property “acquired
for the service or operation of an enterprise”. Does the use of the
word “required” render this test more objective than the test
under Article 1745 of the Civil Code?89
The obvious issue that must now be faced is to determine
what is meant by “rights under a lease”. Duquette & Payette state
that this does not include the rights of ownership of the lessor.90
They maintain that the rights under a lease are, for the lessor, the
right to receive the rent and, for the lessee, the right to enjoyment
of the property. In accordance with their position, lack of registration of the rights under a lease would not prevent a lessor from
claiming the leased property in the hands of a third party.
88. See the comments, supra, at 21 et seq. concerning the scope of road vehicles and
other movable property. The Amendment does not set out any exclusions.
89. See supra, under the headings of “opposability”, “diminishing ownership
rights”, “single registration” and “realization” for other issues that arise for
instalment sales that may also be relevant to leases.
90. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 18.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
39
The Minister’s Commentary in respect of Article 1852 of the
Civil Code specifically states that the rights under a lease are personal rights and therefore their registration must be specifically
provided for by law. As an additional argument in favor of the
position of Duquette & Payette, no one seriously advances the
argument that registration of a lease of an immovable property is
required in order to render the lessor’s rights of ownership in the
immovable opposable to third parties.
Duquette & Payette argue that registration is required in
order that the receipt of rent by the lessor from the lessee be opposable to third parties. Since, as indicated above, fructus is a right
that arises out of ownership, one might argue that the right to the
rent does not arise out of the lease but is a corollary to the right of
ownership which does not need to be registered on Duquette &
Payette’s argument. Note however, that the better view is that the
right to rents from this specific lessee arises from the specific lease
and hence the payment and terms and conditions in respect thereof are indeed rights resulting from the lease.
Arguably, the lessor may have other rights resulting from
the lease. It is the essence of a lease that the lessee have the usus
of the leased property. As a corollary, one of the rights of the lessor
is its ability to take back possession of such leased property at the
end of the term, in the event of default or upon other terms and
conditions provided for specifically under the lease. Even if one of
the rights of ownership of the lessor is to be able to take back the
property, the specific terms and conditions under which the lessor
may take back the property from this specific lessee are rights of
the lessor specifically outlined under the lease. If this interpretation is accepted, one of the important rights resulting from the
lease is the right of the lessor to require the lessee to give back the
leased property upon the terms and conditions set out in the lease.
Hence, if a lessor wants these rights to be opposable to third parties and protect its ability to realize on the specific leased property
it is important that the lessor register these rights under the
lease.91
91. As a further technical argument, Section II of Chapter IV of Title Two of Book
Five of the Civil Code is entitled Rights and Obligations Resulting from Lease.
Article 1863 of the Civil Code, as part of that Section, permits a party to require,
where applicable, specific performance in the event of non-performance of an
obligation and to resiliate the lease if non-performance causes serious injury. If
the lessor resiliates, the lessee must surrender the leased property. The legis-
40
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
In many of the common law jurisdictions in Canada, it is a
requirement that the rights of ownership of a lessor to leased property subject to a long term lease be perfected through registration in order to be enforceable against third parties.92 It would
appear that an important consideration of the legislator in adopting Bill 181 was to conform Quebec civil law to the applicable
regime in other jurisdictions in Canada. In fact, Serge Ménard,
the then Minister of Justice, in presenting Bill 181, stated:
Le projet de loi propose également de soumettre à la même exigence
tous les baux de plus d’un an, qu’ils concernent des particuliers ou
des entreprises, dès lors que ces baux porteront eux aussi sur des
véhicules routiers ou d’autres biens meubles de valeur.
On connaît bien l’importance qu’ont, de nos jours, la vente à tempérament ou avec faculté de rachat et la location à long terme comme
modes de financement utilisés pour l’obtention de biens mobiliers
et en particulier de véhicules automobiles, mais, lorsqu’on sait que
les droits ou charges qui découlent de ces contrats demeurent présentement occultes et bien souvent ignorés des acquéreurs potentiels des mêmes biens, voire des créanciers de ceux qui détiennent
ces biens, on comprend aisément la nécessité des deux nouvelles
mesures que propose ici le projet de loi no. 181. On comprend
d’autant plus, d’ailleurs, leur nécessité lorsqu’on sait aussi que des
mesures similaires existent depuis déjà un certain temps dans les
autres provinces canadiennes et que plusieurs groupes déplorent
actuellement le fait qu’on ne dispose pas, au Québec, d’un système
comparable à celui qui prévaut dans ces provinces permettant de
vérifier l’existence de droits ou de charges grevant des véhicules
routiers. ... [L]es citoyens et les entreprises du Québec sont en droit
de bénéficier, au même titre que leurs voisins, d’un système de
publicité des droits mobiliers, qu’il soit complet, fiable et qu’il permette d’assurer efficacement la protection de leurs droits en tant
qu’acquéreurs ou créanciers.93
It is very possible therefore that, in the mind of the drafter of
Bill 181, it is in fact the rights of ownership of the lessor in leased
movable property that must be registered in order to be opposable
to third parties. As Duquette & Payette have pointed out, upon a
strict technical reading of Bill 181, this is not clearly reflected. In
light of our discussion above concerning the lessor’s right to the
lator therefore characterizes the lessor’s right to require specific performance
and to resiliate as rights resulting from the lease.
92. See, for example, the discussion of the Supreme Court of Canada in Giffen,
supra.
93. Supra, note 35.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
41
rent as well as the right to take possession, the prudent approach,
in order to protect the rights of a lessor, will be to register such
rights.
Bill 181 does not distinguish between the rights of the lessor
and the rights of the lessee resulting from the lease. The lessee has
rights under the lease such as the right to the usus of the leased
property in accordance with the terms of the lease. The question
will arise as to the scope of the lessee’s rights under the lease that
are intended to be caught by Article 1852 of the Civil Code. Will
such include, for example, the option to purchase the leased property? In the recent decision of 9046-7309 Québec Inc. (1998), J.E.
98-2374 (C.S.), Mr. Justice Tremblay had to determine whether,
for the purposes of the definition of rent in the security of Compagnie Trust Royal, such would include the claim of the lessor to a
balance of purchase price of the equipment sold by the lessor to the
lessee pursuant to an option to purchase set out in the lease. The
Superior Court came to the conclusion that:
L’option d’achat d’équipement contenue au bail ne constitue pas
une réclamation découlant du bail, c’est plutôt une obligation du
propriétaire de vendre au locataire si jamais celui-ci exerce son
option.
Even if the claim resulting from the sale following the exercise of
the option to purchase in the lease was not a claim resulting from
the lease, the Court states that the option to purchase was an obligation of the owner to sell to the lessee. Such obligation on the
owner is also a right of the lessee.94 Thus, the rights of a lessee
under an option to purchase in a lease may not be opposable to
third parties, including a trustee in bankruptcy of the owner or a
subsequent acquirer of the owner’s right, unless such rights are
registered.
If a license agreement is held to be a lease,95 one of the important rights resulting from the license may be exclusivity. A licensee wanting to render such exclusivity opposable to third parties
may wish to have its rights registered. The licensor, given the possible sensitive nature of the rights subject to the license, may, on
94. Article 1850 of the Civil Code, in the context of a leasing contract, contemplates
that an option to acquire the subject property may be given to the lessee by the
contract.
95. For a discussion on this point, see supra, at 38 et seq.
42
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
the contrary, prefer that such rights not be divulged or available
to the public.96 Article 2936 of the Civil Code states that any
renunciation or restriction of the right to publish a right which
shall or may be published, as well as any penal cause relating
thereto, is without effect. Licensors and licensees will need to give
careful consideration to the necessity to publish rights resulting
from the license and the way in which certain sensitive information should be protected so as not to be divulged or available to the
public.
As is the case with the reservation of ownership under certain instalment sales and the rights of ownership under leasing
contracts, rights resulting from the applicable leases may be the
subject of a single registration for various leases arising under a
master agreement.97
Duquette & Payette argue that if the rights under the lease
are not registered within 15 days of the lease, such rights will
never be opposable to third parties.98 As argued above in respect
of the rights of ownership of the lessor under leasing contracts,
rights resulting from leases should rank from the date of registration if registered outside the 15 day period.
c)
Realization
Bill 181 introduces no change to the regime for realization.
7- ASSIGNMENTS
a)
Universalities
Although the Barreau du Québec had suggested that Article 1642 of the Civil Code be modified in order to address the difficulties of rendering certain assignments of claims opposable to
third parties,99 the legislator did not take this suggestion into
account in Bill 181. Practitioners will continue to be faced with difficult issues respecting assignments of claims and universalities.
96. Article 2981 of the Civil Code requires that the applications for registration at
the Register identify the property concerned.
97. See the discussion supra concerning other issues applicable to a single registration.
98. Duquette & Payette, supra, note 36 at 19.
99. See Mémoire concernant la publicité des droits personnels et réels mobiliers et la
constitution d’hypothèque mobilière sans dépossession (P.L. 181) (Montreal:
Barreau du Québec, February 1998) at 4.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
43
Bill 181 requires that assignments of reservations of ownership under certain instalment sales and rights of ownership under
a leasing contract be registered in order to be opposable to third
parties.100 This should be compared to the current requirement for
hypothecs under Article 3003 of the Civil Code where the formalities of registration and notification to the hypothecary debtor are
only necessary in order to render the assignment of the hypothec
opposable to a subsequent assignee that conforms to such formalities. Article 3003 of the Civil Code is analogous to Article 2127 of
the Civil Code of Lower Canada. Under the prior legislation, the
Quebec Court of Appeal interpreted the term “subsequent transferee” to exclude a trustee in bankruptcy.101 In light of these cases
and the text of Article 3003 of the Civil Code, if the assignments
contemplated under Article 1745 and 1847 of the Civil Code are
not registered they will not be opposable to a trustee in bankruptcy.
In the modifications to Article 1852 of the Civil Code, Bill 181
omits to state, in contrast to Articles 1745 and 1847 of the Civil
Code, the consequences of not registering an assignment. Application of the general principle in Article 2941 of the Civil Code will
require assignments of rights resulting from a lease requiring
registration to be registered in order to be opposable to third parties.
It would seem clear that the rights resulting from a lease
include the rights of the lessor to the rent. Therefore any assignment by a lessor of receivables generated from leases will be subject to registration under Article 1852 of the Civil Code. Insofar as
leasing contracts are concerned, if the rights of ownership, as such
expression is used in Article 1847 of the Civil Code, include the
fructus or payments, then assignment by a lessor of receivables
arising from leasing contracts will also need to be registered in
order to be opposable to third parties. These registrations would
be in addition to any registration undertaken pursuant to
Article 1642 of the Civil Code.
100.
101.
44
See Articles 1745 and 1847 of the Civil Code, as modified by Bill 181. There is no
requirement, contrary to Article 3003 of the Civil Code in respect of hypothecs,
that a subrogation in such rights be registered in order to be opposable to certain
third parties.
Banque de Nouvelle-Écosse v. Perras, Fafard, Gagnon Inc. (1984), [1985] C.A.
21; In Re Royal Limoge Inc.; Huot v. Quintex (1994), 62 Q.A.C. 231 (C.A.) and
Provi-Grain (1986) Inc. (1994), [1994] R.J.Q. 1804 (C.A.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
In previous discussions in this article,102 it was argued that
there was a distinction to be made between assignments of receivables arising out of instalment sales contracts and assignments
of the reservation of ownership. If the reservation of ownership in
respect of the movable property outlined in Article 1745 of the
Civil Code only includes the rights of ownership in such movable
property and not any receivables generated under the applicable
instalment sales contract, an assignment of such reservation of
ownership would not include an assignment of the receivables. If
receivables are included, registration is necessary in order for the
assignment to be opposable to third parties.
The issue concerning reservation of ownership may, alternatively, be stated as to whether it is possible to assign separately
the receivables generated under an instalment sales contract and
the reservation of ownership in respect of the sold movable property. As an analogy, it would seem possible to assign the rents
produced by an immovable without a transfer of the rights of
ownership in the immovable.103 Part of the difficulty may arise
from interpreting Articles 1442 and 1638 of the Civil Code. When
a claim, being a receivable under the instalment sales contract, is
assigned will the reservation of ownership follow as an accessory
or since it is directly related to such receivable? The distinction
between fructus, usus and abusus may be useful. The usus is not in
the hands of the owner since it is given to the purchaser under the
instalment sale. Arguably therefore, the usus could be in the
hands of the purchaser, part of the fructus in the hands of an
assignee of the receivables under the instalment sales contract
while the abusus remains in the vendor.
This result also follows from the nature of an instalment sale
as contrasted to a hypothec. The hypothec is by its nature an
accessory right,104 hence if the obligation secured by hypothec is
assigned by the hypothecary creditor, the hypothec will follow,
subject to fulfilling any other formalities of registration or notification set out in the Civil Code. This may not necessarily be the
result for the reservation of ownership of movable property under
an instalment sale, since different rights in respect of the subject
102.
103.
104.
See, supra, at 35 et seq.
Under the pre-1994 regime, it was common to have an assignment of rentals.
See Article 2661 of the Civil Code.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
45
property may be in the hands of different persons. This distinction
is important. For an assignment of a universality of claims arising
from instalment sales, whose reservation of ownership is required
to be registered under Article 1745 of the Civil Code, the assignee
would be able to benefit from the receivable vis-à-vis third parties
if it had complied with Article 1642 of the Civil Code. The assignee
would not, however, be able to benefit from the reservation of
ownership if it had failed to comply with the registration requirement for the assignment of such reservation of ownership.105
b)
Additional Registrations
With the introduction of Article 2961.1 of the Civil Code, it
will be possible to make a single registration for various reservations of ownership under instalment sales, rights of ownership
under leasing contracts and rights under certain leases. Practitioners may wish to have a master agreement in respect of assignments of such rights benefit from a single registration. This would
be extremely useful for receivables financing structures including
factoring and securitization where the receivables in such programs are generated under instalment sales, leasing contracts
and leases.
As an example, a car manufacturer enters into various
instalment sale contracts with its dealers from time to time. Registration in respect of these instalments sales between the particular manufacturer and the particular dealer may be made by a
single registration. Over the course of a period of time, the manufacturer will also enter into new arrangements with new dealers.
The manufacturer may then enter into a master agreement with a
financial institution to assign from time to time certain of the
receivables generated from present and future instalment sales
contracts with present and future dealers. Article 2961.1 of the
Civil Code appears to permit a single registration for the various
assignments that may occur between the manufacturer and the
financial institution. This registration would be in addition to any
registration required under Article 1642 of the Civil Code. Note
that a registration under Article 2961.1 of the Civil Code could be
105.
46
Because of the interpretation given in this article to the rights of ownership in
Article 1847 of the Civil Code and the rights resulting from a lease in Article 1852 of the Civil Code, this argument is not available in respect of leasing
contracts and leases. From a practical perspective, this argument may be academic since the assignee will want to be able to collect the claims and benefit from
the reservation of ownership.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
valid not only for a single assignment but for various subsequent
assignments that could arise from time to time pursuant to the
master agreement106.
Practitioners will also need to be aware that registrations
will be necessary in connection with a sale of an enterprise if the
rights being acquired are those of a secured creditor under applicable instalment sales, leasing contracts and leases. Furthermore, if the vendor of the enterprise is a lessee under leases which
are required to be registered, an assignment of the leases in connection with a sale of an enterprise will also need to be registered
in order for the acquirer to benefit from the rights of the original
lessee.107
Article 2712 of the Civil Code is not modified by Bill 181.
Therefore, if claims subject to a movable hypothec result from
instalment sales, leasing contracts and leases that need to be registered, there is no requirement that the hypothec on such receivables be registered against such particular registered rights or
that the purchaser or lessee be notified. There is a current administrative practice at the Register such that if radiations or reductions for hypothecs are tendered where the hypothecary creditor
has itself granted a hypothec on receivables to another hypothecary creditor, the registrar will not permit such radiation or
reduction unless it is clear that the first hypothecary creditor may
do so without the consent of such second hypothecary creditor or if
the consent of the second hypothecary creditor is obtained. It is
possible that this administrative practice will continue and be
extended to instalment sales, leasing contracts and leases even if
no particular provision requires that a hypothec on claims arising
under such contracts be registered against them.108
106.
107.
108.
Although the text of Article 2961.1 of the Civil Code appears to permit a single
registration for assignments, the User’s Guide, supra, note 20 does not appear to
provide for a mechanism for registration of multiple assignments where various
third-party purchasers or lessees are involved. A Form RD may be used for multiple assignments between the same assignor and assignee where only one purchaser or lessee is involved, see for example, the User’s Guide, supra, note 20 at
74.19 et seq.
A prudent approach is warranted even if the purchaser is acquiring by assignment of lease. There may be other considerations associated with the sale of an
enterprise where the purchaser would be assuming certain rights of the purchaser or lessee under existing instalment sales, leasing contracts and certain leases. See supra at 29 et seq.
Perhaps the current practice arises from the interpretation of Article 2743 of the
Civil Code which gives the creditor and not the grantor of the hypothec the right
to grant acquittances. In accordance with Article 3065 of the Civil Code, radiations and reductions are associated with acquittances.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
47
The current administrative practice for assignments of a universality of claims where some of such claims benefit from a registered hypothec is that the registration number of the hypothec
may be included in the Form RG used for registration.109 It is
anticipated that a similar practice will be followed for assignment
of registered reservations of ownership under instalment sales,
rights of ownership under leasing contracts and rights resulting
from leases that have a registration number at the time of assignment.110 A technical difficulty arises where a single registration
pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code is undertaken for
present and future assignments. At the moment of registration
pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code there will be no registration number for certain future rights since the applicable vendor or lessor has not as yet entered into instalment sales, leasing
contracts or leases with purchasers or lessees. Will the assignee
need to add these registration numbers in the future? Unfortunately, the Amendment does not clarify this, but it is hoped that
subsequent registrations will not be required or that an administrative practice will develop in order to address this particular
issue in a practical way.
8- TRANSITIONAL RULES
Section 19 of Bill 181 repeals Articles 98, 107, 137 and 162 of
the Implementation Act. The provisions of Bill 181 apply in
respect of registration of rights under certain instalment sales
contracts, leasing contracts and leases subsisting on September 17, 1999. The transitional period for registration of subsisting
rights is one year from the date of coming into force of section 19 of
the Bill 181. Such rights must be registered in order to remain
opposable to third parties.111 If the rights resulting from a lease
have already been published pursuant to the former permissive
rule under Article 1852 of the Civil Code, no transitional registration in respect of such rights is required.
It should also be noted that assignments of the relevant reservations of ownership under instalment sales contracts, rights of
109.
110.
111.
48
See User’s Guide, supra, note 20 at 152.
The Form RD will permit registration of certain rights and their assignment
using the same form.
Compare this to Article 157 of the Implementation Act and the current controversy in the cases in respect of this provision. Emballages PlastiDesign Inc.
(1996), [1996] R.J.Q. 1613 (C.S.) (reversed on appeal (1999), [1999] R.J.Q. 1361
(C.A.)); 2748-6588 Québec Inc. (1996), [1996] R.J.Q. 1707 (C.S.) (appeal dismissed C.A.M. 500-09-002714-962) and Re 157637 Canada Inc. (1996), 43 C.B.R.
(3rd) 146 (Que. C.S.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
ownership under leasing contracts and rights under the relevant
leases must also be registered within such 12 month period in
order for such assignments to remain opposable to third parties.
This registration of assignments will be necessary even if all previous formalities to render an assignment opposable to third parties have been completed.112 This will entail a large amount of due
diligence not only concerning assignments but also in respect of
the underlying instalment sales, leasing and leases since many of
such underlying rights will need to be registered first before the
assignments may be registered.
Section 25 of Bill 181 prohibits realization proceedings for
certain instalment sales if there has been no transitional registration of such instalment sales. This may be compared to Article 158
of the Implementation Act which had the same effect in respect of
certain pre-1994 securities that became, by operation of law,
hypothecs on January 1, 1994.
An issue will arise as to whether it is possible to undertake a
single registration for various subsisting instalment sales, leasing
contracts and leases arising in the ordinary course of business
between persons operating enterprises. No specific transitional
rule applies Article 2961.1 of the Civil Code to transitional registrations of subsisting instalment sales, leasing contracts and
leases. The Amendment, in the second paragraph of a new Article
52.2 to the Regulation, requires that a Form RD be used for transitional registrations where “...registration of the right is required
under article 2961.1 of the Civil Code”. In order for Article 2961.1
of the Civil Code to be used, the phrase “preserves all the rights ...
in that property” must be interpreted as preserving the rights of
the applicable vendor and lessor in the property subject to all subsisting contracts. This interpretation does not seem to concur with
the intention that Article 2961.1 of the Civil Code be used to preserve rights in property subject to one specific contract and similar property subject to subsequent contracts. Article 3024 of the
Civil Code empowers the government, by regulation, to take all
necessary steps for the implementation of the provisions of the
Civil Code dealing with publication. The Minister’s Commentary
in respect of this provision are instructive in determining its
scope:
En prévoyant que le gouvernement peut, par règlement, prendre
toute mesure nécessaire à la mise en application du Livre neu112.
See Article 94 of the Implementation Act and the discussion in Dietze, supra,
note 32 at 11 et seq.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
49
vième, l’article vise à octroyer au gouvernement la possibilité de
réglementer tout ce qui n’est pas une règle de base de la publicité.
L’article devrait ainsi faciliter la mise à jour des règles de fonctionnement des registres.113
In light of this interpretation of the government’s ability by
regulation to modify the regime for publication, it would have
been preferable that Bill 181 specifically address the possibility of
a single registration during the transitional period in order to preserve rights relating to subsisting contracts. Hopefully, a court
will uphold the rights of the vendor or lessor in the subsisting
contract if registration is undertaken in accordance with the
administrative practice adopted pursuant to Article 52.2 of the
Regulation.
When Bill 181 was initially adopted in 1998, there was some
thought that it would come into force by the end of that year. There
was then some suggestion that this would be on July 1, 1999.114
The government was apparently working towards having the
Register functionally able to receive electronically transmitted
registrations before proclaiming the remaining provisions of
Bill 181 in force.
As an interesting aside, the federal government introduced
on June 12, 1998 Bill C-50 as a first act to harmonize federal law
with the civil law of the Province of Quebec. This will be known as
the Federal Law – Civil Law Harmonization Act, No. 1. If this Bill
is adopted in its current form, it will modify the Bankruptcy and
Insolvency Act such that a vendor of any property sold to a debtor
under a conditional or instalment sale, if the exercise of such vendor’s right is subject to the provisions of the Civil Code concerning
hypothecs, will be considered to be a secured creditor for purposes
of the Bankruptcy and Insolvency Act. This would be a major
departure from the current treatment of such vendors. By introducing this provision, the federal government would be treating
certain instalment sales vendors as equivalent to hypothecary
creditors. This almost seems to be the adoption of a presumption
of hypothec for these vendors. Since the Quebec legislator has
expressly rejected the presumption of hypothec, Bill C-50 does not
seem to harmonize the federal law with the underlying principles
of Quebec civil law.
113.
114.
50
Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1908.
See M.-J. Longtin, “Les incidences de la réforme du Code civil sur la législation”
in La réforme du Code civil, cinq ans plus tard (Montreal: Éditions Yvon Blais,
1998) 1 at 30.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
9- CONCLUSION
Bill 181 represents the most important reform undertaken
by the Quebec legislator in the area of secured transactions since
the coming into force of the Civil Code and the Implementation Act
in 1994. Instead of simply publishing a notice indicating that the
Register is fully operational, as provided previously in Article 162
of the Implementation Act, the legislator determined that certain
modifications to the Civil Code were necessary in order to render
the regime applicable to instalment sales, leasing and leases more
responsive to the types of secured financings undertaken in the
Province of Quebec.
By introducing the provisions of Bill 181, the legislator
sought, particularly for instalment sales contracts, leasing and
leases, to expand the requirement for registration of certain rights
under these contracts in order that they be opposable to third parties. The intent is also to expand the recourses available to a vendor under certain instalment sales contracts in a commercial
context. In order to facilitate certain transactions, Bill 181 introduces a single registration for various instalment sales contracts,
leasing and leases among the same parties concerning a universality of movable property of the same kind where such parties are
involved in an enterprise.
If the regime applicable to a movable hypothec without delivery is taken as a benchmark, certain important issues in the area
of secured transactions by way of instalment sales contracts, leasing and leases are not addressed in Bill 181. The reform has also
introduced a number of uncertainties.
The issues not squarely addressed by Bill 181 include the following:
1. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is transformed or modified, the
rules of movable accession may operate such that the
owner loses its real right in such property. Conversely, in
certain cases, the owner may own such resulting property but subject to a movable hypothec. This differs from
the result for a movable hypothec without delivery since
a hypothecary creditor may preserve, through appropriate registration where applicable, its real rights in the
property and hypothecary creditors rank pari passu
amongst themselves in proportion to the value of their
respective pre-transformation charged property.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
51
2. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is incorporated into an immovable
losing its individuality, the owner will most likely lose its
real right to such movable property. A hypothecary creditor may, by appropriate registration, have its movable
hypothec subsist as an immovable hypothec.
3. In the absence of any specific text analogous to Article 2674 of the Civil Code applicable to instalment sales
contracts, leasing contracts and leases, will the courts
follow the case law interpreting the pre-1994 legislation
and extend the rights of the owner to proceeds?
4. Even though a cession of rank between two hypothecary
creditors may be registered, Bill 181 does not establish a
rule permitting registration of a cession of rank between,
for example, a vendor under an instalment sales contract
registered outside of the 15 day period and a prior ranking hypothecary creditor.
5. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is sold out of the ordinary course of
an enterprise, Bill 181 does not require registration in
order for the owner’s rights to continue to be opposable to
third parties contrary to the requirement under Article 2700 of the Civil Code for certain movable hypothecs.
6. There is no ability to register an assumption of the debtor’s rights under an instalment sales contract, leasing or
lease analogous to Article 2701 of the Civil Code for
movable hypothecs.
7. A secured creditor obtaining, by way of subrogation, the
rights of the owner under an instalment sales contract,
leasing or lease will not need to register such subrogation
in order to render it opposable to a subsequent assignee
contrary to the rule under Article 3003 of the Civil Code
for hypothecs.
8. The Consumer Protection Act has not been modified in
order to conform the notion of merchant thereunder to
that of an enterprise under the Civil Code. Consequently,
certain contracts may be considered to be consumer contracts and hence, need to comply with the applicable provisions of the Consumer Protection Act, even if these contracts are with individuals carrying on an enterprise.
Some of the uncertainties that will arise in interpreting and
applying the provisions of Bill 181 are as follows:
52
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
1. Article 1847 of the Civil Code will require the rights of
ownership of the lessor under a leasing contract to be
registered in order to be enforceable as against third parties. Do these rights include not only the real right in the
particular movable property subject to the leasing contract but also the right of the lessor to payments under
such contract?
2. Rights under certain leases with a term exceeding one
year will be required to be registered in order to be opposable to third parties. Unfortunately, there is uncertainty as to which rights will require registration in order
to be opposable to third parties. Particularly, there is a
debate as to whether it is necessary to register the rights
of a lessor under a lease in order for such lessor to be able
to repossess the leased property in the hands of a third
party.
3. If the rights of ownership of the lessor under a leasing
contract or the rights of the lessor resulting from a lease
are registered outside of the 15 day period, may such
rights be registered in any event and will they rank from
the date of such registration? Bill 181 specifically addresses this issue for instalment sales contracts but does not
address this issue for leasing and leases. The general
principles applicable to publication would appear to support the argument that such rights may be registered
outside of the 15 day period; however, not all commentators support this view.
4. Although the currently accepted view is that a contract
that does not conform with all of the requirements for a
leasing is not a lease, practitioners may wish to take a
prudent approach and, when in doubt, register rights of a
lessor both as rights resulting from a lease and rights of
ownership under a leasing contract.
5. Is a license agreement a lease such that rights resulting
therefrom will need to be registered in order to be opposable to third parties if the other criteria of Article 1852 of
the Civil Code are met?
6. The vendor’s hypothec will not benefit from a single
registration under Article 2961.1 of the Civil Code. It is
very possible that this security mechanism will be used
in very limited circumstances, particularly for inventory
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
53
financing, since it may not benefit from one single registration for various acts of acquisition.
7. The owner of movable property will not have a right to
follow such property sold in the ordinary course if a registration is made pursuant to Article 2961.1 of the Civil
Code. However, if movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is sold in the ordinary course and a registration of the appropriate rights
of the owner was undertaken under the applicable provision but not undertaken under Article 2961.1 of the Civil
Code, there is an apparent right to follow such property
sold in the ordinary course.
8. Article 2961.1 of the Civil Code introduces a welcome
mechanism for registration of rights arising under
various instalment sales contracts, leasing and leases
between two parties. The text of such article also contemplates assignments although it is not clear how this will
be applied by the administration to permit a single registration for various assignments involved in receivable
financing structures such as securitizations and factoring.
9. One of the avowed goals of the reform in Bill 181 is to
extend the full panoply of hypothecary recourses to vendors under certain instalment sales contracts. Unfortunately, the text is not clear and there are doubts as to
whether this has been accomplished.
10. During the 12 month transitional period, it is unclear
whether a single registration pursuant to Article 2961.1
of the Civil Code may be used for all subsisting contracts.
The then Minister of Justice, Serge Ménard, intimated, during the detailed study of Bill 181 by the Commission des institutions of the National Assembly, that there would be a global
review of the law concerning movable securities.115 Hopefully, the
unresolved issues and uncertainties summarized above will be
addressed in this review process. Until such time, practitioners
and courts will continue to grapple with the issues and uncertainties arising from the application of Bill 181 to secured transactions.
115.
54
See, supra, note 35 (19 March 1998).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
TABLE A (PART I)
INVENTORY FINANCING
NATURE OF
RIGHT
Movable hypothec
without delivery
Art. 2684, al. 2 CCQ
CONSTITUTION
PUBLICATION
RIGHT TO
FOLLOW
(DROIT DE SUITE)
RECOURSES
movable accession and
transformation
Arts 2671, 2673, 2953
CCQ
hypothecary
recourses
Arts 2748 et seq. CCQ
all creditors
always registered
written contract
Art. 2696 C.C.Q.
rank from registration
for 10 years,
renewable
Arts 2798, 2945 CCQ
specific sum
Art. 2689 CCQ
vendor’s hypothec: superior rank if published
within 15 days of sale
Art. 2954 CCQ
real subrogation, proceeds if identifiable
Art. 2674 CCQ
one registration per
deed
registration necessary
if sold out of normal
course
Art. 2700 CCQ
cession of rank
Art. 2956 CCQ
assumption
Art. 2701 CCQ
vendor’s hypothec: in
deed of acquisition
Arts 2696, 2954 CCQ
55
56
TABLE A (PART I - cont.)
INVENTORY FINANCING
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
NATURE OF
RIGHT
CONSTITUTION
PUBLICATION
RIGHT TO
FOLLOW
(DROIT DE SUITE)
RECOURSES
Instalment sale
Arts 1745 et seq. CCQ
vendor reserves ownership until payment in
full of purchase price
Art. 1745 CCQ; Art.
132 CPA
registered if vehicle,
“other” movable or
movable acquired for
service or exploitation
of enterprise
movable accession and
transformation?
Art. 971 et seq. CCQ
hypothecary recourses
apply, for consumer
contract CPA applies
Art. 1749 CCQ
superior rank if published within 15 days of
sale
Arts 1745, 1749 CCQ
sold in or out of the
normal course?
Arts 1714, 2961.1 CCQ
written contract not
necessary
Art. 1385 CCQ
no specific sum
master agreement possible
proceeds?
assumption?
one registration possible for 10 years,
renewable
Art. 2961.1 CCQ
cession of rank?
other recourses available
Arts 1721, 1740 CCQ
Bankruptcy and
Insolvency Act
ss. 81 and 81.1
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
TABLE A (PART II) EQUIPMENT FINANCING
NATURE OF
RIGHT
CONSTITUTION
Movable hypothec
without delivery and
instalment sale
(See Table A (Part I)
concerning inventory
financing.)
Leasing Contract
(Crédit-bail)
Arts 1842 et seq. CCQ
PUBLICATION
RIGHT TO
FOLLOW
(DROIT DE SUITE)
57
instalment sale: registration may be for more
than 10 years, renewable
Arts 1745, 2937, 2942,
2983 CCQ
hypothec: immovable
accession
Arts 903, 2672, 2796,
2951 CCQ; Art. 571
CCP; Art. 48 Implementation Act
rights of ownership?
Art. 1847 CCQ
always registered
Art. 1847 CCQ
no specific sum
superior rank if published within 15 days of
contract?
Arts 1847, 2941, 2945
CCQ
immovable accession
Arts 903, 1843 CCQ;
Art. 571 CCP; Art. 48
Implementation Act
master agreement
possible
Lease if not a
crédit-bail?
registration may be for
more than 10 years,
Arts 1842, 2937, 2942,
2983 CCQ
proceeds?
one registration possible for 10 years, renewable
Art. 2961.1 CCQ
assumption?
Sold in or out of ordinary course?
RECOURSES
hypothecary recourses
inapplicable
58
TABLE A (PART II - cont.) EQUIPMENT FINANCING
NATURE OF
RIGHT
Lease
Arts 1851 et seq. CCQ
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
CONSTITUTION
PUBLICATION
rights resulting from
lease of more than one
year?
Art. 1852 CCQ
registered if vehicle,
“other” movable or certain movable required
for service or exploitation of enterprise
immovable accession
no specific sum
superior rank if published within 15 days of
lease?
Arts 1852, 2941, 2945
CCQ
proceeds?
Master agreement
possible
registration may be for
more than 10 years,
Arts 1851, 1880, 2937,
2942, 2983 CCQ
one registration possible for 10 years, renewable
Art. 2961.1 CCQ
RIGHT TO
FOLLOW
(DROIT DE SUITE)
Art 903 CCQ; Art. 571
CCP;
Art. 48 Implementation
Act
Sold in or out of the ordinary course?
assumption?
RECOURSES
hypothecary recourses
inapplicable
Les sources juridiques des
immunités civiles et de la
responsabilité
extracontractuelle du procureur
général à raison d’accusations
pénales erronées: le mixte et le
mêlé (Québec c. Proulx)
Jean-Denis ARCHAMBAULT
Résumé
L’identification des sources juridiques des règles normatives
particulières qui présideront à la solution d’un litige assujetti au
droit du Québec, pourra, vu la provenance historique, politique et
constitutionnelle de ces sources, s’avérer déterminante. Selon
leur appartenance au droit public, d’origine anglaise, statutaire
ou de common law, ou, plutôt, au droit privé, d’origine française et
codifié, les règles choisies véhiculeront en effet un contenu substantiellement différent, menant à une conclusion judiciaire propre et distincte.
Tant notre jurisprudence que notre doctrine continuent
d’éprouver de sérieuses difficultés conceptuelles et fonctionnelles
à repérer puis départager les autorités respectives de l’une et de
l’autre, common law publique et droit civil privé, surtout lorsque
survient une mixité des sources.
Ainsi de la délimitation de l’étendue précise, effective, de la
responsabilité civile extracontractuelle du procureur général du
Québec et de ses substituts, pour les dommages subis par les
victimes d’accusations pénales erronées, abusives ou malicieuses.
Ici, la common law publique octroie à ces défendeurs, en raison de
la nature quasi judiciaire de l’acte reproché, une immunité relative qui alourdit le fardeau de preuve des demanderesses pour-
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
59
suivantes. Là, le Code civil du Québec, tout comme, avant lui, le
Code civil du Bas-Canada, circonscrit par ailleurs le droit commun privé, jus commune, de la responsabilité extracontractuelle
pertinente. La question se pose donc de définir l’autorité et le
contenu de l’immunité de la common law publique, prépondérante, et de la responsabilité extracontractuelle du droit civil
approprié, subsidiaire, simultanément.
Une récente décision de la Cour d’appel du Québec, relative à
l’immunité susmentionnée, illustre les malentendus et chassés-croisés auxquels peut donner lieu la recherche trop peu assurée des sources de notre droit. En l’occurrence, les deux membres de la majorité
du tribunal, qui accorde le pourvoi et déboute la poursuite, signent
chacun des opinions individuelles fondées sur des sources et motifs
difficilement conciliables. En outre l’un des juges majoritaires, l’autre ayant, à raison nous semble-t-il, frugalement préféré l’orthodoxie
et l’autosuffisance de la common law publique sur ce sujet, se dit en
accord avec l’abondant exposé normatif élaboré par leur collègue, au
demeurant dissident, qui lui fait large part au droit civil privé. La
Cour suprême du Canada a déjà consenti à se saisir prochainement
du dossier et, présumera-t-on, y jeter quelque lumière sur le débat
des sources. À suivre par les intéressés.
60
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Les sources juridiques des
immunités civiles et de la
responsabilité
extracontractuelle du procureur
général à raison d’accusations
pénales erronées: le mixte et le
mêlé (Québec c. Proulx)*
Jean-Denis ARCHAMBAULT**
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
II- L’affaire criminelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
II- La réclamation civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
III- La dissidence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
A-
Le rôle du substitut dans le cadre du droit
pénal canadien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
B-
Le régime de responsabilité du substitut du
procureur général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
1-
L’affirmation du droit public . . . . . . . . . . 75
2-
Acte politique ou opérationnel? . . . . . . . . 82
*
Version remaniée d’une conférence prononcée au Congrès du Barreau du Québec,
le 4 juin 1999
** Avocat et professeur de droit à l’Université d’Ottawa
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
61
C-
3-
L’étendue de l’autorité éventuelle
de Nelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
4-
La «traduction» de l’immunité relative en
droit québécois . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
La mise en œuvre de ce régime en l’espèce . . . . . 111
IV- Les opinions majoritaires . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
62
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
INTRODUCTION
1. Quand, avant son accession à la Cour suprême du
Canada, il retraçait les sources juridiques du droit québécois,
L.-P. Pigeon faisait remarquer qu’«[o]n est porté à ne pas prêter
suffisamment attention au fait que la province de Québec n’est
pas une province de droit civil purement et simplement; elle est un
pays de droit civil en droit privé mais pas en droit public»1. Le
futur juge recommandait aussitôt de suivre l’exemple d’«une
décision très importante de notre Cour d’appel [où] on a statué que
les privilèges [ou immunités] découlant du droit public sont du
droit public et que le privilège du témoin [à l’égard d’une poursuite
civile en diffamation] est régi par la Common Law»2. Tout récemment notre Cour d’appel prononçait une autre «décision très
importante», cette fois sur la question des sources juridiques de la
nature et de l’étendue de l’immunité, relative, du procureur général du Québec et de ses substituts à l’égard des poursuites pénales
erronées, abusives ou malicieuses entamées par eux, immunité
invoquée à l’encontre des réclamations en dommages-intérêts
consécutivement entreprises par les justiciables victimes de telles
poursuites.
2. L’arrêt du 11 février 1999, Québec (Procureur général) c. Proulx3, ni unanime ni limpide sur l’objet des divisions du
banc, perpétue l’inconfort séculaire de notre droit québécois à
vivre sous une double allégeance, une dualité des origines juridiques, particulièrement lorsqu’est mis en cause le droit privé de
la responsabilité extracontractuelle du Code civil, immédiatement perçu comme menacé dans son intégrité par la common
law, fût-elle de droit public pourtant. L’arrêt Proulx est d’autant
plus symptomatique de ce malaise qu’il prend appui, comme il se
doit du reste, sur le déjà classique Nelles c. Ontario, de la Cour
suprême du Canada, lui-même cependant lesté d’obiter dicta4
hésitants sur les sources et le contenu de l’immunité, débattue
1. L.-P. PIGEON, Rédaction et interprétation des lois, Collection Études juridiques,
Éditeur officiel, Québec, 1978, 50.
2. Ibid. Il s’agissait de la décision Langelier c. Giroux, (1932) 52 B.R. 113.
3. [1999] R.J.Q. 399, ci-après «Proulx [1999]».
4. Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, ci-après Nelles. Le juge Lamer y tient, aux
p. 181, 191 et 197, des propos singuliers sur les origines du régime de responsabilité extracontractuelle de l’État au Québec, propos que le juge LeBel s’efforce
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
63
devant notre Cour d’appel, du procureur général du Québec et de
ses substituts. L’analyse critique de Proulx suivra la chronologie
du dossier, depuis sa phase criminelle initiale jusqu’à son ultime
étape civile, relatant chaque fois les instances premières et d’appel, étant entendu que la perspective, de droit civil par opposition
à droit pénal, demeure principalement la mixité des sources
juridiques pertinentes et, accessoirement, le contenu normatif en
résultant.
I- L’AFFAIRE CRIMINELLE
3. Le 25 octobre 1982, environ trois semaines après
que M. Benoît Proulx, subséquemment demandeur intimé dans
Proulx [1999], eut mis fin à ses fréquentations avec elle, Mlle
France Alain décédait, atteinte par le tir d’une arme à feu. La
police municipale de Sainte-Foy ouvrit une enquête sur ce présumé meurtre. En mai 1983, les enquêteurs chargés du dossier,
dont le policier John Tardif, convainquaient M. Fernand Alain,
père de la défunte, de collaborer à l’enquête et d’organiser une
rencontre privée, à sa résidence, avec M. Benoît Proulx, rencontre
durant laquelle serait enregistrée, à l’insu de ce dernier, la conversation entre les deux hommes. Au cours de cette conversation du
31 mai 1983, effectivement interceptée sans le consentement de
M. Proulx et qui s’étendra sur plus de trois heures, celui-ci fit
remarquer qu’il travaillait avec les policiers afin de vérifier
certaines hypothèses et ouvrir une piste. Il qualifia d’acte barbare
et inhumain le meurtre en question, puis dit croire qu’il s’agissait
d’un crime prémédité commis par un désaxé. Empruntant la
troisième personne du singulier pour désigner l’assassin, M.
Proulx affirma qu’«il» avait de gros problèmes, qu’«il» voulait
forcer la victime à faire certaines choses, qu’«il» avait décidé
qu’elle n’appartiendrait à personne d’autre, qu’«il» a agi impulsivement, qu’«il» a cru à un accident, de façon à se sécuriser et se
disculper intérieurement. M. Proulx ajouta que l’assassin se
déplaçait à pied, qu’«il» demeurait à proximité du lieu du crime et
qu’«il» lui avait fallu cacher l’arme du crime dans un sac à poubelle
pour éviter d’être vu. En novembre 1985, M. Proulx consentit à se
soumettre à un interrogatoire de la part des policiers qui, en dépit
de tous leurs efforts, ne réussirent pas à obtenir les aveux qu’ils
courtoisement de légitimer: id., 420. Sur les interrogations soulevées par les
affirmations du juge Lamer, voir J.-D. ARCHAMBAULT, «Les sources juridiques
de la responsabilité extra-contractuelle de la Couronne du Québec: variations de
droit public», (1992) 52 R. du B. 515, 553-555.
64
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
semblaient espérer. Malgré le refus de M. Proulx et sans qu’il ne le
sache, les policiers enregistrèrent cet interrogatoire.
4. En février et mars 1986, on procéda à une enquête
du coroner sur les circonstances du décès de Mlle France Alain,
dans le but, entre autres, de constituer des éléments de preuve
contre M. Proulx. Déjà le substitut chargé de cette affaire fut celui
qui, plus tard, autorisera l’accusation de meurtre contre M. Proulx
et conduira son procès. Au cours de l’enquête du coroner, le
substitut mena un interrogatoire vigoureux, agressif même, au
dire de la Cour d’appel5, de M. Proulx. À l’issue de plusieurs
semaines de travaux, l’enquête ne donna absolument rien, ni au
coroner, incapable de conclure à la tenue d’une rencontre entre M.
Proulx et Mlle Alain le soir du 25 octobre 1982, ni au substitut,
tout aussi impuissant à réunir les éléments de preuve essentiels
au dépôt d’accusations contre M. Proulx, conformément aux règles
du droit criminel.
5. Entre-temps inactif, le dossier se ranima soudainement au début de 1991, à la faveur d’une nouvelle couverture
médiatique d’un événement accessoire à ce meurtre, soit la poursuite en responsabilité civile consécutive à diffamation, entamée
par M. Proulx contre un journaliste radiophonique et le policier
John Tardif, alors à la retraite. Le demandeur Proulx y reprochait
aux deux défendeurs de colporter publiquement qu’il était le
responsable du meurtre de Mlle Alain. La diffusion dans un journal local, en février 1991, de la photographie de M. Proulx, jointe
au compte rendu de la poursuite civile susmentionnée, sembla
raviver la mémoire de M. Paul-Henri Paquet, témoin présumé de
faits concomitants au crime, et jusque-là involontairement
demeuré dans l’ombre.
6.
Préférant ne pas communiquer immédiatement
avec les autorités policières, M. Paquet entra en contact avec une
station radiophonique puis, de là, avec M. John Tardif à qui il
expliqua avoir été frappé par les yeux de M. Proulx sur la photo
parue dans le journal local. M. Paquet croyait y reconnaître les
yeux d’un barbu qu’il avait rencontré, au hasard d’une promenade, sur la rue et près des lieux du crime. Selon M. Paquet, ce
barbu portait un sac à dos d’où sortait un objet ressemblant à une
tige de métal ou un manche d’une raquette de tennis. De sa propre
5. Proulx [1999] 403.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
65
initiative, M. John Tardif, policier à la retraite initialement saisi
de l’enquête en 1982 et codéfendeur dans la poursuite civile logée
par M. Proulx au début de 1991, rencontra M. Paquet à plusieurs
reprises, lui fit visiter la scène du crime et organisa une séance
d’identification. Au cours de celle-ci, devant l’incapacité de M.
Paquet à identifier «son barbu» sur une photo pourtant bien de M.
Benoît Proulx, M. Tardif manifesta sa déception en répétant que
M. Proulx était l’homme apparaissant sur ladite photo.
7. Quoi qu’il en fut, M. John Tardif informa enfin la
police de Sainte-Foy de ses contacts avec M. Paquet. Celle-ci
procéda elle-même à quelques vérifications relatives au présumé
témoin comme à son entourage, et mit au courant de ce récent
développement le substitut qui avait participé à l’enquête du coroner menée durant l’hiver de 1986. Ainsi les autorités policières et
la Couronne rouvrirent-elles le dossier de Mlle France Alain. La
police de Sainte-Foy confia l’affaire à un enquêteur, M. Matte.
Cependant et pour le moins curieusement, M. John Tardif, alors
codéfendeur, répétons-le, dans la poursuite civile en diffamation
engagée par M. Proulx, continua à travailler au dossier du meurtre, d’abord bénévolement, puis, par la suite, en vertu d’un contrat
à temps partiel et honoraires conclu avec la ville de Sainte-Foy,
pour assister le substitut. Le 11 mars 1991, MM. Paquet, témoin
présumé, Tardif, enquêteur contractuel, et Matte, policier, ainsi
que le substitut, se rencontrèrent au bureau de ce dernier où eut
lieu une autre séance d’identification. Au cours de cette séance, on
présenta à M. Paquet huit photos de M. Benoît Proulx prises à
l’occasion d’une manifestation syndicale, le 18 mai 1983. Le
témoin Paquet identifia une photo, en affirmant y reconnaître
«son barbu», alors qu’apparemment on n’y voit pas les yeux de M.
Proulx. Peu après la séance d’identification, le substitut fit accomplir certaines vérifications additionnelles relatives au témoin et à
ses déclarations des jours ayant suivi le meurtre, puis réexamina
l’ensemble de la preuve disponible et, notamment, les transcriptions des interrogatoires de police et de l’enquête du coroner.
Enfin, au sortir d’une dernière conférence avec des collègues de
son bureau et les enquêteurs, le substitut autorisa le dépôt d’une
accusation de meurtre, le 20 mars 1991.
8. M. Proulx nia sa culpabilité, enquête préliminaire
eut lieu, et il fut cité à procès, tenu à l’automne de 1991, devant un
jury d’assises. Lors des plaidoiries de ce procès, le substitut
conseilla aux jurés de lire la conversation du 31 mai 1983 entre M.
Fernand Alain et M. Benoît Proulx, interceptée à l’insu de ce der66
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
nier, puis de substituer dans les affirmations de l’accusé Proulx, la
première personne du singulier «je», aux «il» référant à l’assassin,
de telle sorte que les propos de l’accusé Proulx deviennent de
véritables confessions. La défense s’objecta à quelque usage, par le
substitut, de cette conversation au motif qu’elle fut obtenue en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés6,
tel qu’expliqué par la décision R. c. Duarte7, de la Cour suprême du
Canada. Le juge des assises estima plutôt que la bonne foi des
policiers le 31 mai 1983, date de l’interception de la conversation
litigieuse, rachetait cette irrégularité, et conclut à son admission.
9. En outre, afin d’étayer la preuve dite d’identification, qui ne compte qu’un seul témoin, M. Paquet, le substitut a
affirmé au jury que l’accusé Proulx a effectivement été identifié
par ce témoin. Le substitut ira jusqu’à lui-même témoigner que
lors de «la séance d’identification à nos bureaux [...] je voulais
m’assurer que le témoin Paquet fasse une identification positive et
je l’ai eue cette identification, je l’ai eue et vous l’avez eue aussi,
vous en avez été témoin»8. En dépit des demandes répétées de la
part des procureurs de l’accusé, le juge a refusé d’inclure dans son
exposé au jury les mises en garde relatives à ce genre d’identification, trop ténue, affaiblie par des procédures policières irrégulières et insuffisantes. Le juge choisira au contraire d’instruire le
jury de ce que «légalement, le témoin Paquet a identifié l’accusé
Benoît Proulx. Il y a plusieurs façons d’identifier un accusé. Il
n’est pas nécessaire que le témoin sorte de la boîte pour aller le
regarder dans les yeux, loin de là [...] On peut très bien faire identifier des témoins par des photographies comme ça été le cas dans
la présente»9.
10. Le 10 novembre 1991, le jury reconnut M. Benoît
Proulx coupable du meurtre au premier degré de Mlle France
Alain, et le juge le condamna à la prison à perpétuité. M. Proulx
interjeta appel de cette décision à la Cour d’appel du Québec, qui,
le 20 août 1992, cassa ce verdict de culpabilité et conclut à l’acquittement de l’accusé. La Cour unanime se pencha sur plusieurs
moyens d’appel dont deux, relatifs aux éléments probatoires sus6. Dans Loi de 1982 sur le Canada, L.R.C. (1985), app. II, no 44, annexe B, partie I:
«Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies
abusives».
7. [1990] 1 R.C.S. 30.
8. Proulx c. R., [1992] R.J.Q. 2047, 2064 (C.A.).
9. Id., 2068.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
67
mentionnés – la conversation du 31 mai 1983 et la séance d’identification du 11 mars 1991 – pouvaient être attribués directement
à la conduite du substitut. D’une part, de trancher la Cour d’appel,
les conversations enregistrées constituaient une preuve qui entachait l’équité du procès, car même s’ils étaient de bonne foi, les
policiers n’avaient pas de motifs raisonnables et probables de
croire que M. Proulx était relié au crime10. Or, «le préjudice qui
découle de la recevabilité de cette preuve dépend avant tout de
l’utilisation qu’en a faite [le substitut] au cours du procès»11.
D’autre part, la Cour d’appel qualifia de «faiblesses évidentes»12
les lacunes de la preuve d’identification alimentée tant par le
témoignage de M. Paquet et sa présentation par le substitut, que
par l’exposé des directives du juge au jury13.
II- LA RÉCLAMATION CIVILE
11. Le 3 mars 1993, M. Benoît Proulx déposa une
action en dommages-intérêts contre le procureur général du Québec, reprochant à ce dernier d’avoir entamé, sur décision du
substitut, une poursuite abusive, contraire aux règles du droit
pénal, et sans cause raisonnable ni probable. Le procureur général rétorqua en défense qu’existaient des motifs raisonnables et
probables pour porter l’accusation criminelle. Il soutint également, entre autres, que les décisions et conduite du substitut
étaient protégées par des immunités de droit public.
12. Peut-être doit-on attribuer aux «troubles cardiaques sévères»14 dont il fut fâcheusement atteint, que le juge Rioux
n’ait pas étoffé son court jugement du 7 août 1997, de quelque
référence à la jurisprudence ou à la doctrine utile. Il y relate
essentiellement et fidèlement certains extraits de l’arrêt de la
Cour d’appel du 20 août 1992, acquittant le poursuivant Proulx,
extraits qui identifient les illégalités ou manquements commis au
procès criminel par le substitut: utilisation incorrecte d’une conversation au demeurant interceptée illégalement, puis d’une iden10. Id., 2056: «de tout temps, l’«expédition de pêche» n’a jamais été tolérée par les
tribunaux.».
11. Id., 2057.
12. Ibid.
13. Id., 2068.
14. Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2509, 2515 (C.S.); le juge
Rioux ne statua que sur la responsabilité uniquement, laissant à son collègue,
le juge Letarte, de déterminer, le 18 août 1997, les dommages-intérêts auxquels
avait droit le demandeur Proulx: Proulx c. Québec (Procureur général), [1997]
R.J.Q. 2516 (C.S.).
68
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tification irrégulière ou irrecevable de l’accusé Proulx. Sans qu’il
nous soit donné de comprendre s’il se soucie du droit public, d’une
immunité relative en faveur des actes du substitut, ou de toute
autre norme particulière, le tribunal de première instance «après
avoir entendu la preuve civile, en vient aux mêmes conclusions
que la Cour d’appel [en matière pénale] et décide que la Couronne
a porté contre le demandeur Proulx une accusation basée sur des
soupçons, des hypothèses et des conjonctures, et qu’elle l’a fait
après s’être fondée sur des interrogatoires illégaux qui cachaient
de véritables pièges. Le procureur général doit donc être tenu
responsable des actes de ses préposés, qui ont endossé et accepté
l’enquête policière qui a été menée dans ce dossier, qui y ont même
participé et qui ont décidé d’aller de l’avant malgré la fragilité des
éléments de preuve qu’ils avaient devant eux»15.
13. Le procureur général se pourvut en appel des décisions susmentionnées, des 7 et 18 août 1997. Le 11 février 1999, la
Cour d’appel du Québec cassait le jugement entrepris, sur dissidence du juge LeBel, les juges Beauregard et Brossard formant la
majorité. Parce que plus détaillée, complète et encline à approfondir certains des principaux aspects des questions de droit en
cause, l’opinion dissidente du juge LeBel retient d’abord l’attention. En outre, les juges majoritaires s’y réfèrent fréquemment, ici
pour s’y appuyer, là pour s’en distancer.
14. Après avoir minutieusement relaté les faits à l’origine de l’affaire, les décisions des instances pénales puis les
jugements de la Cour supérieure ayant acquiescé à la réclamation
en dommages-intérêts de M. Proulx contre le procureur général
du Québec, le juge LeBel énumère les arguments juridiques
respectifs des protagonistes du litige. L’appelant procureur général soutient en substance que le régime de responsabilité extracontractuelle de l’État, applicable également au procureur
général et à ses substituts dans les circonstances de l’espèce, est
de droit public, de common law publique. Défini par la Cour
suprême du Canada dans Nelles16, ce régime prévoit une immunité relative en faveur du procureur général et de ses substituts,
contre les réclamations civiles consécutives à des poursuites
pénales abusives. Résultant de la nature quasi judiciaire des
vastes pouvoirs discrétionnaires conférés au procureur général et
15. Id., 2514-2515.
16. Précité, note 4.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
69
à ses substituts en matière d’accusation pénale, cette immunité
relative met à charge du réclamant d’établir que «le procureur
général ou son substitut n’avait aucun motif raisonnable et probable de porter des accusations et que sa décision était animée d’une
intention malveillante (mauvaise foi) ou correspondait à un
objectif principal autre que celui de l’application de la loi
(improper purpose)» 17 . L’appelant souligne encore que les
décisions du procureur général et de ses substituts d’entamer des
poursuites criminelles impliquent des considérations politiques et
d’intérêt général, considérations qui qualifient de politiques les
fonctions de puissance publique ainsi exercées par ceux-ci.
Conséquemment le demandeur-intimé devait démontrer la
mauvaise foi du substitut pour engager la responsabilité du
procureur général.
15. S’il reconnaît un certain cadre de droit public au
régime de responsabilité civile pertinent, le demandeur-intimé
voudrait en revanche y incorporer largement les principes du
droit privé, ainsi que les formulait une jurisprudence québécoise
antérieure à Nelles. En effet le régime de responsabilité civile
applicable à l’État en semblable litige, d’arguer le demandeurintimé, a été défini par notre Cour d’appel dans Arcand c. Procureur général du Québec18, et a intégralement survécu à Nelles. De
telle sorte que le réclamant «doit établir qu’il a été acquitté et
qu’une accusation avait été portée par malice ou à la suite d’une
erreur grossière, ou en l’absence de motifs raisonnables et probables»19. Subsidiairement, si le contenu normatif de l’immunité
relative énoncée dans Nelles devait faire autorité en droit québécois, l’appelant-intimé plaide que la mauvaise foi alors requise
pourrait «s’inférer de la démonstration d’une négligence véritablement grossière, suivant l’arrêt Ampleman c. Paradis20»21.
III- LA DISSIDENCE
16. Le juge LeBel choisit d’approcher le débat en trois
volets successifs, savoir, d’abord (A.) le rôle du substitut dans la
justice pénale canadienne, secondement (B.) le régime de responsabilité civile extracontractuelle du substitut du procureur général au Québec, finalement suivi, dans un dernier temps, de (C.) la
17.
18.
19.
20.
21.
70
Proulx [1999] 410.
[1989] R.R.A. 481 (C.A.).
Proulx [1999] 410; nos italiques.
(1933) 56 B.R. 358.
Proulx [1999] 411.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
mise en œuvre dudit régime en l’espèce. Son analyse, brève et
surtout factuelle, du lien de causalité et du calcul des dommages
reste marginale au présent exposé.
A-
Le rôle du substitut dans le cadre du droit
pénal canadien
17. Muni des meilleures sources législatives 22, jurisprudentielles23 et doctrinales24, le juge LeBel en déduit qu’il
«appartient au substitut de scruter les plaintes et d’autoriser
celles-ci, lorsqu’il existe des motifs raisonnables et probables
qu’une infraction a été commise»25, puis qu’à sa «fonction plus
large que celle du procureur privé»26, et à son «rôle [qui] ne se
22. Aux termes de la Loi sur les substituts du procureur général, L.R.Q., c. S-35,
ceux-ci représentent le procureur général devant les tribunaux en matière
pénale (art. 3) et, plus spécifiquement selon l’art. 4, remplissent les devoirs et
fonctions suivants: le substitut «examine les procédures et documents se
rapportant aux infractions commises à l’encontre du Code criminel [...] et, s’il y
a lieu, autorise les poursuites contre les contrevenants [...] fait compléter les
preuves soumises, voit à l’assignation des témoins et à la production des documents pertinents». En outre, comme l’explique le juge LeBel, la loi ajoute à ces
fonctions, «celles de plaider devant les tribunaux de première instance et
d’appel, de surveiller les plaintes privées et d’en assurer la conduite, le cas
échéant. Enfin, les substituts conseillent les agents de la paix et toute personne
chargée de l’application de la loi sur toutes questions relatives à l’application du
Code criminel [L.R.C. (1985), c. C-46] et des dispositions pénales des lois et
règlements du Québec» (ibid.).
23. Notamment Procureur général du Québec c. Dorion, [1993] R.D.J. 88 (C.A).,
relative au caractère confidentiel d’opinions juridiques rendues par des
substituts du procureur général, et au pouvoir discrétionnaire d’une cour de
justice d’ordonner la divulgation d’une preuve faisant l’objet du privilège de la
Couronne; R.c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, 603, où la Cour suprême du Canada
enseigne que «ni en droit ni en principe, une cour d’appel n’est investie du
pouvoir d’intervenir dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite» pénale.
Dans Leon v. United States of America, (1996) 134 D.L.R. (4th) 17, 19, le juge
Cory, per curiam, rappelle que «in R. v. Power [ibid.], it was held that an appellate court is empowered to inquire into the exercise of prosecutional [sic] discretion only in the clearest cases of abuse of the court’s process». Voir, au même
effet, Kostuch c. Alberta (A.G.), (1995) 174 A.R. 109; 102 W.A.C. (109) (Alta.
C.A.); R. c. Daigle, (1997) 162 N.S.R. (2d) 81, 485 A.P.R. 81 (N.-S.S.C.); R. c.
Laws, (1998) 41 O.R. 499 (Ontario C.A.); et R. c. Cain,(1998) 170 N.S.R. (2d)
393; 515 A.R. 393 (N.-S.C.A.). Le juge LeBel renvoie également aux décisions
québécoises suivantes: Procureur général du Québec c. Chartrand, [1987]
R.J.Q. 1732 (C.A.), et Bérubé c. Procureur général du Québec, [1997] R.J.Q. 86
(C.S.), qui illustrent la retenue judiciaire à l’égard du système accusatoire.
24. D. BUTT, «Case Comment. Malicious Prosecution; Nelles v. Ontario; RejoinderJohn Sopinka – (1994) 74 Can. Bar Rev. 366», (1996) 75 R. du B. can. 335; COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA, Poursuites pénales: les
pouvoirs du procureur général et des procureurs de la Couronne, 1990, Ottawa,
Document de travail 62.
25. Proulx [1999] 412.
26. Id., 414.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
71
limite pas à celui du plaideur privé, chargé d’un dossier particulier», s’attache «la reconnaissance d’un large pouvoir discrétionnaire lorsque [le substitut conduit] des poursuites criminelles
au nom de la Couronne»27. En somme, malgré qu’elles «se prêtent
mal à une qualification globale et définitive», les tâches «multiples
et complexes des substituts qui examinent, autorisent, conduisent
ou, le cas échéant, mettent fin aux plaintes», ont généralement été
qualifiées par la jurisprudence de fonctions judiciaires ou quasi
judiciaires28.
18. Sur ce, le juge LeBel aborde l’étude détaillée de
l’un des gestes plus singulièrement reproché au substitut en
l’occurrence. Le magistrat dissident donne alors ce qui lui paraît
être la juste mesure de l’exercice régulier, par le substitut, de la
fonction, quasi judiciaire, d’autoriser une dénonciation:
Au départ, à cette étape du processus pénal qui est l’autorisation de
la dénonciation, l’objectivité et l’appréciation froide et mesurée de
l’existence des causes raisonnables et probables sont indispensables
au bon exercice des fonctions du substitut. La décision de celui-ci ne
peut reposer sur l’intime conviction d’une culpabilité. Il faut que le
substitut conserve un certain détachement à l’égard de l’affaire
pour évaluer l’ensemble des éléments de preuve disponibles,
comme l’impact des règles jurisprudentielles et législatives relatives à leur admissibilité au procès, afin de déterminer s’il est objectivement raisonnable et conforme au droit d’engager une poursuite.
Il n’a pas à se substituer au juge et à faire mentalement le procès.
Cependant la décision d’autoriser l’accusation doit reposer sur des
facteurs objectivement vérifiables et sur l’état probable du droit.
L’objectif ne doit pas être d’obtenir une condamnation à tout prix.
Lorsque l’obtention d’une condamnation paraîtrait au mieux aléatoire, après une analyse du dossier menée avec le détachement professionnel indispensable, le déclenchement d’une procédure pénale
violerait certains des objectifs et des principes fondamentaux du
système de justice pénale. Celui-ci ne permet de mettre en péril la
sécurité juridique et la réputation d’un citoyen, protégé par la présomption d’innocence, que lorsque existent des motifs suffisants,
qualifiés de raisonnables et probables tant par la pratique judiciaire que par les directives gouvernant la conduite des procureurs
de la Couronne.29
27. Id., 412.
28. Ibid.
29. Id., 415; nos italiques. Le juge LeBel réfère aux rapports d’enquête suivants: R.
BROSSARD, Rapport de la commission d’enquête Brossard sur l’affaire Coffin,
Québec: Office d’information et de publicité, novembre 1964; et F. KAUFMAN,
The Commission on Proceedings Involving Guy-Paul Morin, Toronto: Queen’s
Printer for Ontario, 1998.
72
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Ces énoncés proviennent du droit public relatif à l’administration de la justice pénale ainsi qu’au contrôle judiciaire de la
légalité des actes et gestes posés par le procureur général et ses
substituts. Ils recueillent à ce point l’unanimité en droit canadien
que la Cour suprême du Canada n’a pas jugé utile, dans Nelles, d’y
consacrer plus d’un rappel succinct30. On peut s’interroger sur les
considérations rationnelles qui ont motivé le juge LeBel à accorder autant d’attention31 au rôle du substitut dans le cadre du droit
pénal canadien. Certes, vu le sérieux et la gravité tant des dommages subis par le demandeur intimé, que des manquements
attribuables à la fois à notre système judiciaire pénal et au
substitut du procureur général, dans cette affaire, il n’était peutêtre pas superflu de procéder ainsi à un rafraîchissement des
connaissances.
19. Ce long virage en droit public du contrôle judiciaire
de la légalité des gestes de l’Administration semble toutefois
poursuivre également l’objectif, chez le juge dissident, de modifier
la perception de l’immunité et de la responsabilité extracontractuelle subsidiaire, du substitut. Plus loin dans son opinion, le
juge LeBel n’hésite d’ailleurs pas à entremêler l’une et l’autre,
retenue judiciaire à l’égard de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires, et immunités fonctionnelles nécessaires au bon déroulement du processus judiciaire. Ainsi enchevêtre-t-il les deux
notions et leurs fondements, pourtant distincts:
[...] l’existence d’une immunité est justifiée par une tradition de
retenue judiciaire à l’égard de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires et par la nécessité d’éviter d’entraver indûment le déclenchement ou l’arrêt du processus accusatoires. À ce propos, on se
rappellera que la révision judiciaire des décisions des substituts en
cette matière est assujettie à une norme sévère, celle du carrément
déraisonnable, découlant, encore une fois, de la common law.
D’ailleurs, d’autres immunités existent déjà en faveur de participants au processus judiciaire, comme les parties, les témoins ou les
avocats, ou encore les juges de paix et les juges. Cette même tradition de retenue judiciaire s’applique corrélativement au contrôle a
posteriori de l’action des substituts, qu’implique le recours en responsabilité civile.32
Bien que les deux notions, retenue judiciaire et immunité, poursuivent en dernier ressort un même but fondamental, soit la jus30. Précité, note 4, aux pages 191 et 192 de l’opinion du juge Lamer, sous le titre Le
rôle du procureur général et du procureur de la Couronne.
31. Proulx [1999] 411-416.
32. Id., 420-421.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
73
tice, la primauté du droit ou rule of law, elles naissent de
considérations différentes. La retenue judiciaire traduit le respect
des cours de justice à l’égard du principe constitutionnel de la
séparation des pouvoirs et de l’autonomie relative du pouvoir politique, ou exécutif, qui en résulte. Les juges ne peuvent intervenir
sans réserve dans les affaires de l’État. D’où les limites au contrôle
judiciaire de l’Administration, patiemment établies par les cours
supérieures elles-mêmes, en vertu de leurs pouvoirs inhérents de
common law publique, implicites en droit constitutionnel anglais
non écrit33. Les immunités, au contraire, facilitent le fonctionnement du processus judiciaire, la mise en œuvre d’une instance
judiciaire ou, encore, quasi judiciaire par ses intervenants: juges,
commissaires, procureurs, témoins, parties et plaideurs. Les
immunités ne se soucient guère de l’étanchéité ou des prérogatives des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elles recherchent
essentiellement l’efficacité de la justice judiciaire, notamment la
quête, respectueuse d’un minimum de garanties et protections
contre les abus, de la vérité factuelle, puis la découverte, consécutive à un débat franc et vigoureux, de la règle de droit. Lorsqu’il
tentera par la suite de redessiner les contours de l’immunité relative du substitut du procureur général, le juge LeBel ne reviendra
pas explicitement à cet inquiétant parallèle entre la retenue judiciaire en matière de contrôle de la légalité des actes de
l’Administration, d’un côté, et, de l’autre, les immunités civiles
offertes aux acteurs d’une instance judiciaire ou quasi judiciaire.
Mais, outre qu’il a ainsi semé l’équivoque dans l’esprit du lecteur,
le juge LeBel a pu laisser croire qu’il conçoit les immunités en
matières quasi délictuelles, comme une dilution, une version
moins stricte, de la retenue judiciaire en matière de contrôle de
légalité. Pareille conception serait regrettable car fondée sur une
méprise des raisons d’être et des effets de deux phénomènes juridiques voisins, si l’on veut, mais dissemblables.
B-
Le régime de responsabilité du substitut du
procureur général
20. Le libellé du titre qui coiffe cette seconde partie de
l’importante dissidence du juge LeBel peut immédiatement
susciter deux interrogations. Premièrement, ne convenait-il pas
33. Voir, notamment, Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., [1997] 1
R.C.S. 748; Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982; et la toute
récente Baker c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, C.s.C., no
25823, du 9 juillet 1999.
74
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
d’aborder prioritairement, à l’instar de la Cour suprême du
Canada dans Nelles34, l’immunité même conférée à certains actes,
plutôt que le régime de responsabilité, du procureur général et de
ses substituts. Car l’immunité et la responsabilité, évidemment
reliées, demeurent deux phénomènes juridiques distincts35, surtout que la première, par définition et vu son appartenance au
droit public, détermine l’étendue de la seconde, résiduaire et de
droit privé. En outre on pourrait se demander s’il n’aurait été plus
significatif, instructif, de compléter ce titre par l’addition des mots
«en droit québécois», tout comme, du reste, le titre de la première
et précédente partie de la dissidence précisait pertinemment «en
droit pénal canadien». C’est bien, en effet, de ce droit québécois
que voudra nous entretenir le magistrat dissident, désireux d’y
aménager un régime de «responsabilité», ou serait-ce plutôt d’«immunité», propre. Quoi qu’il en soit du titre affiché, ce régime nous
sera dévoilé en quatre temps: 1) l’affirmation du droit public;
2) acte politique ou opérationnel? 3) l’étendue de l’autorité éventuelle de Nelles; et 4) la «traduction» de l’immunité relative en
droit québécois.
1-
L’affirmation du droit public
21. Le juge LeBel marque d’entrée de jeu un net progrès sur la jurisprudence québécoise qui a trop longtemps prévalu
34. À la p. 178, au Titre I. Les différentes positions relatives à l’immunité, et à la p.
191, II. La position canadienne, étant entendu évidemment que cette dernière
est tout aussi «relative à l’immunité».
35. Comme l’explique M.K. WOODALL, «Private Law Liability of Public Authorities for Negligent Inspection and Regulation», (1992) 37 R.D. McGill 83, 95,
««Immunity» suggests a special rule that protects one from liability that would
have been incurred but for the rule». C’est pourquoi P.-A. CÔTÉ, «La détermination du domaine du droit civil en matière de responsabilité civile de l’Administration québécoise – Commentaire de l’arrêt Laurentide Motels», (1994) 28
Thémis 414, 425, écrit: «Techniquement, la distinction politique/gestion ne
fonde pas, en common law, une immunité de responsabilité, car la question de la
responsabilité ne se soulève même pas lorsqu’il n’y a pas de duty of care». M.K.
Woodall affirmait donc logiquement que «a government rendering a policy decision is not «immune» from private suit; rather, private law is simply irrelevant»
(ibid.). Par contre, P. GIROUX et S. ROCHETTE, «La mauvaise foi et la
responsabilité de l’État», dans Développements récents en droit administratif et
constitutionnel, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, vol.
119, Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1999, 117, 122-123, ne font pas cas
de cette précaution: «En vertu de la common law [...] l’autorité publique qui
prend une décision qui entre dans la sphère politique n’est pas susceptible
d’engager sa responsabilité extracontractuelle si elle agit de bonne foi et d’une
manière responsable, ce qui équivaut à une immunité relative [...] Si l’immunité relative peut être écartée, il faut appliquer le droit privé [...] L’immunité
relative liée à la sphère politique est reconnue au Québec depuis l’arrêt
Laurentide Motels c. Ville de Beauport [ci-après, note 51]».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
75
et qui s’efforçait tant bien que mal de juger de l’amplitude de la
responsabilité civile du procureur général et de ses substituts à la
lumière du seul droit privé de notre Code civil, ou en lui donnant
priorité écrasante sur le droit public, la common law publique.
Sauf omission, c’est la première fois depuis des décennies que
notre Cour d’appel nous donne à lire clairement que «[u]n recours
fondé principalement sur l’exercice de la fonction d’autorisation
des poursuites criminelles, en raison du caractère politique, discrétionnaire et quasi judiciaire de ce rôle, relève d’abord du droit
public.» Du même souffle, le juge LeBel écrit que «[l]’on ne se
trouve pas ici devant un simple problème de responsabilité professionnelle d’avocat, réglé par le droit de la responsabilité civile
contractuelle ou extracontractuelle»36. Ces heureuses affirmations contrastent singulièrement avec la doctrine et la jurisprudence qui ont répété jusqu’à récente date que l’État ou Sa Majesté,
était, en matière de responsabilité civile, assimilé à un particulier
et, comme celui-ci, entièrement régi par le droit civil privé.
22. Mieux encore, lorsqu’il se penche sur les sources
juridiques de la responsabilité civile de l’État au Québec, le juge
LeBel procède à leur décapage et rappelle que «l’immunité absolue
traditionnellement accordée au souverain a été abolie au Québec
dès la fin du XIXe siècle, comme le notait la Cour suprême du
Canada dans l’affaire R. c. Cliche[37]»38. Il explique ensuite, avec,
apparemment, une quelconque ambivalence à leur égard, que
«[b]ien que traitant de la procédure civile, l’article 94 C.P. a été
considéré par plusieurs auteurs comme le fondement d’une reconnaissance d’un régime de responsabilité civile de l’État québécois»39. Malheureusement pour les milieux juridiques intéressés à
connaître «l’effet de l’entrée en vigueur du code civil [contem36.
37.
38.
39.
Proulx [1999] 416.
[1935] S.C.R. 561.
Proulx [1999] 416.
Ibid.; nous ne reprendrons pas ici l’argumentaire historique, statutaire et
jurisprudentiel que nous avons commis dans J.-D. ARCHAMBAULT, précité,
note 4, argumentaire qui débouchait sur le peu ou l’absence totale d’autorité de
l’art. 94 C.p.c. sur la détermination des sources de la responsabilité en question.
Nous poussions même la hardiesse jusqu’à y mettre en déférent doute certaines
assertions, au demeurant glissées en obiter dictum, du juge Lamer dans Nelles,
précité, note 4, et relatives aux sources juridiques et à la substance du régime de
responsabilité quasi délictuelle de l’État québécois (id., 554-555). À la page 420
de sa dissidence, le juge LeBel aborde certains «commentaires accessoires du
juge Lamer», sans les décortiquer ni en tirer de véritables points d’appui. Chose
certaine, la traditionnelle conviction doctrinale à l’effet que l’art. 94 C.p.c.
recèle un régime de responsabilité civile de l’État, a la vie dure; P. GIROUX et S.
ROCHETTE, précité, note 35, 117-118, écrivent: «en ce qui a trait à sa respon-
76
Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999
porain], de son préambule, comme de ses dispositions traitant de
l’application du livre des obligations à l’État et aux personnes
morales»40, la Cour d’appel souligne, avec raison vu les dates de
survenance du litige, «que le régime juridique de cette poursuite
est entièrement fixé par le droit qui existait avant l’entrée en
vigueur du Code civil du Québec[41], le 1er janvier 1994»42. En
attendant un prononcé déterminant de la part des hautes instances judiciaires canadiennes sur le sujet, la doctrine cherche
une voie43, qui pourrait finalement, si l’on accorde foi aux Commentaires du ministre de la Justice44, s’avérer par trop identique à
l’antérieure, au statu quo ante. Or, et cela explique en partie
l’attrait de l’arrêt de la Cour d’appel du 11 février 1999, les sources
juridiques des immunités civiles et de la responsabilité extracontractuelle de la Couronne du Québec demeurent une terra
incognita où rôdent concurremment droit public – législation et
common law publique – puis droit privé, presque entièrement
codifié. C’est donc via une question ciblée sur l’affaire pendante
que le juge LeBel tente d’apprivoiser l’une et l’autre sources, droit
public et droit privé: «[s]i aucun texte législatif ne leur accorde en
40.
41.
42.
43.
44.
sabilité pour un préjudice causé à autrui, et sous réserve du droit public, le
«gouvernement» québécois est assimilé par l’article 94 du Code de procédure
civile à une «personne majeure et capable»». Plus explicite et, par le fait même,
paradoxale, l’affirmation de J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1998, 72-73, à
l’effet que «c’est seulement après 1965, que le Code de procédure civile québécois mit fin à la procédure de la pétition de droit, procédure à suivre lors des
recours contre la Couronne provinciale, et prit ainsi en considération l’arrêt
Cliche de 1935. Ainsi, de 1965 jusqu’au 31 décembre 1993 [veille de l’entrée en
vigueur du Code civil du Québec] le fondement de la responsabilité civile
extracontractuelle de la Couronne provinciale résidait dans l’article 94 du Code
de procédure civile qui assimilait la Couronne à une personne majeure et capable pour tout recours dirigé contre elle [...] Par comparaison, la Couronne
provinciale est donc soumise directement et généralement au droit commun de la
responsabilité civile et non supplétivement comme pour la Couronne fédérale»;
nos italiques.
Id., 418; sont visés les art. 300, 1376 et 1464 C.c.Q.
L.Q. 1991, c. 64.
Proulx [1999] 409.
Voir les références énumérées à la note 12 de J.-D. ARCHAMBAULT, La
responsabilité extracontractuelle de l’État: le politique et l’opérationnel, Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1996, 3.
MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, t. 1, Québec, Les publications du
Québec, 1993, art. 1376, 833: «[c]et article [1376 C.c.Q.] ne fait que codifier le
droit actuel». Ledit article est libellé comme suit: «Les règles du [Livre des obligations] s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre
personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur
sont applicables».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
77
termes exprès d’immunité absolue[45] contre les recours pour
poursuites criminelles abusives, cela signifie-t-il pour autant que
le procureur général et les substituts n’en bénéficient pas?» D’enchaîner illico le distingué magistrat, «[u]ne réponse affirmative
risquerait d’assimiler totalement le régime de responsabilité pour
les actes de puissance publique au régime général de responsabilité civile. Plus prudent, le droit public québécois paraît
toujours retenir l’existence d’un certain nombre d’immunités provenant de la common law. Celles-ci ne sont exclues que lorsque le
législateur en manifeste clairement l’intention»46. Puisqu’il ne lui
suffit guère, malgré tout l’ascendant de la Cour d’appel, d’affirmer
des immunités de common law publique en faveur du défendeur
appelant, le juge LeBel cherche à tâtons leur provenance sous
trois angles.
23. Il franchit un premier pas en direction du droit
législatif applicable à la Couronne47, laquelle ne fait toutefois pas
l’objet direct de la poursuite pendante, le procureur général ni le
substitut n’étant ses préposés ou mandataires48. La législature
ontarienne49 et, subséquemment, la Cour suprême du Canada
dans Nelles, reconnaissent la distinction fondamentale, de droit
public, entre le régime de responsabilité extracontractuelle de la
Couronne elle-même, et celui des personnes investies de pouvoirs
publics. La première jouissait de prérogatives, les secondes, nullement. Du reste il aurait été risqué de marier le droit des prérogatives, par définition réservées à la Couronne depuis sa genèse,
et celui des immunités, élaborées par les Cours de justice et le
45. Nos italiques. À première vue, rien ne permet de comprendre le pourquoi de la
présence de l’épithète absolue. Fallait-il qualifier l’immunité? L’affirmation
serait-elle différente à l’endroit d’une immunité relative?
46. Proulx [1999] 416.
47. Art. 9 du C.c.B.-C.: «Nul acte de la législature n’affecte les droits ou prérogatives de la Couronne, à moins qu’ils y soient compris par une disposition
expresse. [...]»; et art. 42 de la Loi d’interprétation, L.R.Q., c. I-16: «Nulle loi n’a
d’effet sur les droits de la Couronne, à moins qu’ils n’y soient expressément
compris.»
48. G. PÉPIN et Y. OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd.,
Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1982, 483; R. DUSSAULT et L. BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e éd., tome III, Les Presses de l’Université
Laval, 1989, 904-905.
49. Loi sur les instances introduites contre la Couronne, L.R.O. 1980, c. 393, qui au
par. 5(6) met la Couronne à l’abri des procédures pour l’action ou l’omission
d’une personne qui s’acquitte ou prétend s’acquitter d’une charge de nature
judiciaire ou responsabilités relatives à l’exécution d’actes de procédure judiciaire. Cette disposition n’a évidemment pas empêché la Cour suprême du
Canada, dans Nelles, précité, note 4, de diminuer l’étendue de l’immunité de
common law du procureur général et de ses substituts.
78
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
législateur en faveur de certains actes ou gestes posés par la
Couronne ou par ses sujets. À titre d’illustration, c’est bien la
prérogative The King can do no wrong qui avait donné naissance à
l’irresponsabilité extracontractuelle absolue de la Couronne. Puis
le juge LeBel emprunte une seconde avenue limitrophe, celle
tracée à l’égard des municipalités et autres corporations publiques, jusqu’à récemment régies par l’article 356 C.c.B.-C.50. Il
puise généreusement aux magistraux enseignements du juge
Beetz dans Laurentide Motels Ltd c. Ville de Beauport51, qui
rappelait l’autorité de la common law publique sur le droit québécois de la responsabilité extracontractuelle des corporations
publiques, et y accueillait la distinction de droit public, politiqueopérationnel, créée dans le cadre du tort de negligence52. Le juge
LeBel sait évidemment que le droit des corporations, ou personnes
morales en vertu de la nouvelle et plus juste appellation, de droit
public, ne règle pas, à l’instar du droit de la Couronne et de ses
prérogatives, le sort du procureur général et du substitut, en
l’espèce. Ces derniers ne constituent ni la Couronne ou ses préposés ou mandataires, ni une corporation ou personne morale de
droit public.
24. Alors seulement, le juge dissident s’avance-t-il précautionneusement sur la troisième et unique voie appropriée:
«[p]ortant sur l’exercice de pouvoirs publics fondamentaux dans
l’administration de la justice criminelle, les problèmes de responsabilité de l’État pour les substituts du procureur général ne
peuvent ainsi s’analyser sans prendre en compte les règles de
droit public»53. Au soutien de cette dernière conclusion, le magistrat invoque trois arguments plus ou moins reliés. Primo, «[s]i le
droit public doit guider les tribunaux dans la détermination du
contenu du régime de responsabilité civile des municipalités et
corps publics, a fortiori, il en va de même pour la responsabilité de
50. «Les [corporations] politiques sont régies par le droit public, et ne tombent sous
le contrôle du droit civil que dans leurs rapports, à certains égards, avec les
autres membres de la société individuellement». L’art. 300 C.c.Q. dispose plutôt
que les «personnes morales de droit public sont d’abord régies par les lois
particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables» (nous
avons ajouté les italiques). En dépit du libellé de l’art. 300 C.c.Q. et de ce que l’on
pourrait croire que le droit public, au Québec comme dans d’autres juridictions
de droit codifié ou de common law, prévaut sur le droit privé, J.-L. BAUDOUIN
et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 74, écrivent: «Il y a donc assujettissement de principe au droit civil et, par exception, au droit public, même pour
l’État provincial.»
51. [1989] 1 R.C.S. 705, 724-725.
52. J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 26-31.
53. Proulx [1999] 417; nos italiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
79
l’État, du procureur général et de ses substituts, représentants de
la Couronne dans l’administration de la justice criminelle»54.
Tributaire d’une certaine logique, cette dialectique omet d’indiquer par quel cheminement juridique, texte de loi ou précédent
judiciaire, la dimension publique des personnes morales de droit
public se projette, se répercute – a fortiori – sur les auteurs de
décisions quasi judiciaires, tels les substituts du procureur général ou ce dernier. Faute de solidité à toute épreuve, ce premier
argument doit aussitôt être étayé par le suivant. Secundo, «de
toute façon», comme s’il voyait là un incontournable à sa démonstration, le juge LeBel affirme que «ce principe fixé dans Laurentide Motels Ltd. a été établi en vertu du Code civil du BasCanada, qui est également applicable au dossier sous examen»55.
On nous permettra trois remarques relatives à ce second argument. En premier lieu, le Code civil du Bas-Canada a permis de
faciliter l’importation de la common law publique dans le dictum de
Laurentide Motels Ltd56, grâce au libellé spécifique de l’article 356
C.c.B.-C., de droit public, qui s’adresse directement aux corporations politiques, ou publiques. En second lieu, aucune disposition
du Code civil du Bas-Canada n’instaurait ni ne codifiait, à notre
connaissance, quelque règle de droit public destinée aux auteurs de
décisions judiciaires ou quasi judiciaires. En dernier lieu, il est
d’une logique pour le moins étonnante de tenter de répondre à la
question relative à la détermination des sources du droit, public et
privé, applicables au dossier, en invoquant comme argument que
l’une des composantes intrinsèques de la question, c’est-à-dire la
source Code civil, «est également applicable au dossier».
25. Le troisième et ultime raisonnement élaboré par le
juge LeBel nous semble en revanche combien plus rigoureux,
conforme à notre droit public dans sa plus large acception, et
étroitement taillé sur les contours du problème que la Cour
d’appel est invitée à solutionner. «De toute façon», de réitérer
l’honorable magistrat qui, ostensiblement, cherche une prémisse
fondamentale à son raisonnement, et, estimons-nous, y parvient
enfin, «le caractère public du débat ressort, comme on l’a vu, de la
nature même du statut et de la mission du procureur général et de
ses substituts et de leur pouvoir discrétionnaire. La mission du
procureur général et de ses substituts ne saurait être assimilée à
54. Ibid.
55. Ibid.; nos italiques.
56. Voir particulièrement les notes du juge L’Heureux-Dubé, précité, note 51,
772 et s.
80
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
celle d’un plaideur particulier[57], parce qu’elle exige la prise en
compte de questions d’intérêt public rattachées au rôle de l’État
dans l’organisation et le fonctionnement du processus pénal et
criminel»58. Voilà donc pour la dimension fonctionnelle du substitut, individu objet de la réclamation en dommages-intérêts.
Maintenant et aussitôt, pour sa dimension organique ou, mieux
peut-être, organisationnelle, le juge LeBel enchaîne:
Certes, la propriété et les droits civils, ainsi que l’administration de
la justice, relèvent de la compétence de chaque province en vertu
des paragraphes 12, 13 et 14 de l’article 92 de la Constitution[59].
Cependant, la gestion de la justice criminelle s’effectue dans un
cadre législatif défini par le Parlement fédéral, en vertu duquel les
substituts jouent un rôle substantiellement identique à travers le
Canada, sous réserve de certaines variantes régionales. Le droit
criminel, par lui-même, constitue une partie fondamentale du droit
public. La common law «publique» ne saurait alors être écartée
pour définir le cadre juridique de cette affaire.60
Ce troisième argument possède le mérite non négligeable
d’invoquer des considérations propres à l’exercice d’une tâche, à
l’acquittement d’un devoir manifestement public plutôt qu’au statut ou rang de la personne qui les accomplit. Au risque d’une
redite, rappelons que, même s’il fut autrefois connu sous l’appellation «procureur de la Couronne», le substitut, pas plus que le
procureur général du reste, n’est un préposé de la Couronne, ni,
encore moins, une personne morale de droit public. Tout comme le
juge61 jouit d’une immunité absolue en raison non pas de son statut, ni de sa personne, mais bien des devoirs judiciaires qu’il remplit et des actes de même nature qu’il pose, le substitut se voit
conférer une immunité relative fonctionnelle à l’égard de ses décisions et gestes quasi judiciaires. Autrement dit, l’immunité en
question n’émane ni de la qualité de fonctionnaire de l’État, ni de
l’appartenance au Barreau du Québec, ni de toute autre caractéristique personnelle du substitut, mais plutôt de son rôle, sa mis57. Nous soulignons que si, effectivement, la mission du substitut ne saurait être
assimilée à celle d’un plaideur particulier, cela ne signifie pas cependant que ce
dernier ne bénéficie pas d’une immunité relative à l’égard de ses actes et
procédures judiciaires ou quasi judiciaires. Le juge LeBel prendra soin de noter
que «[d]’ailleurs, d’autres immunités existent déjà en faveur de participants au
processus judiciaire, comme les parties, les témoins ou les avocats, ou encore les
juges de paix et les juges» (Proulx [1999] 420-421; nos italiques).
58. Id., 418.
59. Loi constitutionnelle de 1867, (L.R.C. (1985), app. II, no 5).
60. Proulx [1999] 418.
61. Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
81
sion ou participation, dans les rouages de l’administration de la
justice pénale canadienne, constitutionnellement organisée.
26. Parvenu à la «reconnaissance de la légitimité de
l’application du droit public et du régime des immunités de la common law»62, le juge LeBel voudra maintenant explorer ce droit et
ce régime, pour en identifier le contenu normatif applicable au
litige. Il formulera alors trois questions sur lesquelles se concentreront nos trois prochaines sections, questions dont transpirent, à notre avis, certains quiproquos relatifs à la common law
publique canadienne et québécoise.
2-
Acte politique ou opérationnel?
27. «La première [question] est: la qualification des
fonctions du procureur général et de ses substituts, plus précisément de la décision même de porter des accusations contre une
personne, seront-elles qualifiées d’actes de gestion ou d’actes de
puissance publique?» 63 Avant même d’y esquisser quelque
réponse, l’on peut avec déférence douter de la pertinence de cette
question dans la présente instance. En effet la common law
publique, bien qu’elle ait indubitablement importé en droit canadien64 et québécois65 la distinction politique-opérationnel et ses
conséquences sur le régime de responsabilité extracontractuelle
d’une autorité publique, ne fait pas de cette distinction un usage
universel. La dichotomie politique-opérationnel a été conçue par
la common law publique et ne s’y applique que dans le cadre du
tort de negligence, où la distinction a facilité l’imposition, à l’Administration, d’une obligation de diligence (duty to care)66. Peutêtre faut-il rappeler que les torts de la common law privée ne
reposent pas, contrairement à la responsabilité extracontractuelle de notre droit civil québécois, sur un axiome aussi vaste et
souple que celui de la faute génératrice de dommages67. Outre la
negligence, les torts connaissent notamment la nuisance (trouble
62.
63.
64.
65.
Proulx [1999] 418.
Ibid.
J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 63-96.
Laurentide Motels c. Beauport, précité, note 51; Maska Auto Springs c. SteRosalie (Corp. municipale du village de), [1991] 2 R.C.S. 3; Québec (P.G.) c.
Deniso Lebel Inc., [1996] R.J.Q. 1821 (C.A.); Guimond c. Québec, [1996] 3 R.C.S.
347.
66. J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 1-2 et 26-31.
67. R. DAVID, dans Les grands systèmes de droit contemporains, 8e éd., Paris,
Dalloz, 1982, 367, écrivait: «[...] on ne songera pas en Angleterre à poser des
principes généraux tels que l’on trouve dans les codes du continent européen et
82
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de voisinage), la misfeasance in a public office (exercice illicite
d’une charge publique68), l’assault (menace à l’intégrité physique),
le false imprisonment (détention illégale), pour ne pas les énumérer tous. Or, le tort de malicious prosecution, poursuite abusive ou
malicieuse, diffère, comme chacun d’entre eux, des précédents
torts, y compris de la negligence.
28. En aucun moment la Cour suprême du Canada ne
s’est-elle intéressée à la question de savoir de quel côté de la
clôture politique-opérationnel les actes reprochés par Mme Nelles
au procureur général de l’Ontario et à son substitut devaient
tomber. Pourtant, quand elle prononce la décision Nelles, le 14
août 1989, la plus haute cour du pays connaît parfaitement, il va
de soi, autant sa décision première Kamloops c. Nielson69, que son
arrêt tout récent, du 20 avril 1989, Laurentide Motels70. Suivront,
du reste, avant la fin de 1989, les sentences Just c. ColombieBritannique et Rothfield c. Manolakos71, toutes deux consacrées à
préciser les tenants et aboutissants de la désormais cardinale distinction en matière de negligence. Or, Nelles ignore totalement la
scission politique-opérationnel, car le litige résultait d’une malicious prosecution, tout comme, presque simultanément, Tock c.
St-John’s Metropolitan Area Bd.72 n’en dit mot, puisque la Cour
suprême du Canada y résolvait un cas de nuisance. Le professeur
P-A. Côté entrevoyait avec perspicacité le défi que notre Cour
d’appel est conviée à relever:
Si l’on doit, en matière de responsabilité extracontractuelle des
municipalités québécoises, examiner la common law pour en dégager des règles de droit public applicables au Québec, ne faudrait-il
pas, au préalable, se demander, compte tenu des faits, quel tort,
quel délit civil un justiciable d’un pays de common law aurait pu
invoquer avec succès dans les circonstances? Cette opération hautement spéculative peut sembler nécessaire, car, en principe, il faudrait a priori éviter que les règles de droit public, dégagées de la
68.
69.
70.
71.
72.
spécialement dans le Code civil français. Les différents types de faute et de
préjudice, les circonstances variées dans lesquelles un dommage a pu être subi
appellent des règles propres. Ignorant la notion abstraite de faute, les juristes
anglais ne connaîtront que différentes espèces de comportements illicites, une
variété de torts, et dans le cas du tort de «negligence» ils se demanderont s’il
existait ou non dans les circonstances une obligation de vigilance (duty of care) à
la charge du défendeur.»
Roncarelli c. Duplessis, [1959] S.C.R. 121.
[1984] 2 R.C.S. 2.
Précité, note 51.
[1989] 2 R.C.S. 1228 et 1259.
[1989] 2 R.C.S. 1181.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
83
jurisprudence de common law aient, au Québec, une portée qui ne
correspond pas à leur portée en common law.
Or, cette portée dépend notamment du tort invoqué. Par exemple,
la défense fondée sur la nature politique de l’action ou de l’inaction
qui cause un préjudice présente le caractère d’une règle de droit
public, mais qui peut être invoquée seulement dans le cadre du tort
de negligence. Transposée au Québec, devrait-on l’appliquer dans
les litiges qui, en common law, relèveraient, par exemple, du droit
de la nuisance?
On voit combien sera délicate l’opération de transposition des
règles de la common law publique en droit civil, dans la mesure,
notamment, où elle exigera du juriste québécois une grande familiarité avec la common law des torts et un processus de détermination de la portée des règles de common law qui risque de tenir
parfois de la divination.73
La dissidence inscrite dans Proulx a tout de même, sans que la raison ne nous en soit livrée, utilisé l’outil politique-opérationnel,
pour conclure que les actes attaqués relevaient «du régime juridique applicable aux actes de puissance publique»74, c’est-à-dire
aux actes politiques. Ce recours à la distinction politique-opérationnel comporte un triple écueil. Un, il laisse croire qu’elle constitue un passage obligé dans toute poursuite en responsabilité
extracontractuelle entamée contre quelque autorité publique.
Deux, il affirme qu’elle dresse un étalon de mesure adéquat d’un
acte qualifié de quasi judiciaire75, notamment «la décision même
73. P.-A. CÔTÉ, précité, note 35, 425.
74. Proulx [1999] 419.
75. À la note 412 de notre ouvrage précité, note 43, 122, à laquelle réfère expressément le juge LeBel (id., 418), nous affirmions que Nelles avait tranché «une
poursuite civile entamée contre l’État à raison de sa mise en œuvre opérationnelle d’une loi, en l’espèce le Code criminel». Bien que la Cour d’appel du
Québec estime au contraire qu’il s’agit-là d’un acte politique (et elle a peut-être
raison à l’égard de certains actes du procureur général, mais peut-être tort à
l’égard de certains actes de ses substituts: COMMISSION DE RÉFORME DU
DROIT DU CANADA, précité, note 24, 27-28 et 79-82), le débat demeure, à
notre avis, stérile, vu son impertinence au tort de malicious prosecution, en
l’espèce. Notre note 412, illustratrice d’un courant jurisprudentiel canadien,
accompagnait le corps de texte suivant, que nous prenons la liberté de réitérer:
«les tribunaux rencontrent parfois l’application non seulement invalide mais
abusive, harcelante, excessive ou arrogante d’un règlement, par les préposés
publics [policiers, fonctionnaires, inspecteurs, etc.]. La common law abandonne
alors le terrain de la negligence pour se porter vers les torts d’abus d’autorité
publique (abuse of process, abuse of public authority) et d’exercice illégal d’un
pouvoir public (misfeasance in a public office). Nous n’étudierons pas ici le droit
substantif, du reste hésitant, de ces deux derniers torts, si ce n’est dans la
mesure où leur persistance en common law, à l’écart de la distinction politique-
84
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de porter des accusations contre une personne». Enfin, il entre en
conflit apparent avec les propres affirmations du juge LeBel, en
réponse à sa seconde question au paragraphe suivant, et prolongera la confusion des sources du droit ainsi que des normes, «motif
raisonnable et probable» et «malice ou mauvaise foi», jusqu’à sa
troisième question exposée au titre 4 La «traduction» de
l’immunité relative en droit québécois.
3-
L’étendue de l’autorité éventuelle de Nelles
29. Originaire de l’Ontario, Nelles s’applique-t-il, et
dans quelle mesure, au Québec? En cours de réponse, le juge
LeBel surprend le lecteur en martelant, après avoir néanmoins
utilisé la distinction politique-opérationnel, que le «raisonnement
du juge Lamer [dans Nelles] reposait sur l’analyse du contenu du
Tort of malicious prosecution et des considérations d’intérêt public, qui commandaient de protéger le procureur général et ses
substituts contre une avalanche de poursuites, en respectant
toutefois le droit des citoyens d’être indemnisés par des abus
procéduraux»76. S’il avait véritablement perçu le sens entier de sa
référence au tort particulier de malicious prosecution, le juge
Lebel n’aurait peut-être pas voulu fouler, comme il l’a fait à la
question précédente, les sentiers du tort de negligence, pour
déboucher sur la distinction politique-opérationnel.
30. En outre, bien qu’il ait précieusement contribué à
l’ordonnancement des sources du droit québécois pertinent en y
rappelant l’autorité prépondérante de la common law publique
puis de Nelles, le juge LeBel trace une ligne indéfinie entre le droit
opérationnel, rappelle deux phénomènes. D’abord, les tribunaux n’abordent
pas toutes les poursuites en responsabilité civile de l’État et consécutives à la
mise en œuvre, opérationnelle, d’une norme légale ou réglementaire, en étalonnant les faits à l’aide de la common law privée qui régit normalement les
actes opérationnels. En second lieu, même quand elles y ont identifié une
invalidité opérationnelle, les cours exigent en outre la preuve d’une intention
malveillante, d’une mauvaise foi ou d’un comportement équivalent, chez le
préposé de l’État.»
76. Proulx [1999] 419; pareillement: «Le juge Lamer a utilisé l’occasion de l’examen
du recours civil prévu en Ontario, c’est-à-dire le Tort of malicious prosecution,
pour énoncer un principe de droit fondamental et pour discuter du lien entre le
régime d’immunité et le droit privé en vigueur dans une action en responsabilité extracontractuelle», puis «[i]l est vrai que l’arrêt Nelles c. Ontario a été
jugé sur la base du Tort of malicious prosecution, une action de common law
privée, étrangère au droit québécois de la responsabilité civile» (id., 420). Nous
reviendrons sur cette dernière assertion relative au droit québécois, au titre 4
La «traduction» de l’immunité relative en droit québécois.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
85
public et le droit privé, présumés contenus dans cette décision
angulaire, ligne incidemment extrapolée en droit québécois. Ainsi
le raisonnement suivant, par sa vive alternance, n’emporte pas
d’emblée adhésion:
les considérations de politique administrative et judiciaire examinées dans Nelles c. Ontario relèvent du droit public. Portant sur la
mise en œuvre du droit national applicable partout au Canada,
elles intéressent le droit privé ontarien mais doivent être prises en
compte pour déterminer la nature des règles de droit public encadrant l’action en responsabilité pour poursuites abusives entamées
par le procureur général et ses substituts au Québec»77.
Ce va-et-vient entre droit public et droit privé est d’autant plus
désorientant qu’il suit immédiatement une autre phrase connexe
qui, à première vue, semble polariser, d’un côté, le régime
d’immunité, et, de l’autre, le droit privé: «[l]e juge Lamer a utilisé
[Nelles] pour discuter du lien entre le régime d’immunité et le droit
privé en vigueur dans une action en responsabilité extracontractuelle»78. Quelques lignes plus loin, le justiciable lira cependant
que «[l]’objet central du débat [dans Nelles] reste non pas le droit
privé ontarien, mais la question de l’immunité du procureur général et de ses substituts». Jusque-là, il nous est difficile de savoir
exactement «dans quelle mesure l’arrêt Nelles [...] trouve application au Québec». Certes si, à n’en pas douter, premièrement, le
régime d’immunité est une question de droit public, et, deuxièmement, Nelles traite de ce régime d’immunité, alors, troisièmement, les règles de Nelles relatives au régime d’immunité font
autorité au Québec. Bien. Ce n’est toutefois qu’à la discussion
générée par la troisième et dernière interrogation soulevée dans
la dissidence de Proulx, que l’on pourra finalement savoir ce que
notre Cour d’appel entend par «régime d’immunité». À ce point
seulement nous sera-t-il loisible de donner à cette expression un
contenu, déterminé, de droit public ou de droit privé, afin de mesurer l’ascendant concret, palpable, de Nelles et de la common law
publique sur le droit québécois de la responsabilité extracontractuelle du procureur général et de ses substituts au Québec, ascendant définitivement au cœur du litige Proulx. En d’autres termes,
le «régime d’immunité» hérité de Nelles est-il une creuse coquille
de droit public qui doit être remplie de droit privé, ou, à l’inverse,
77. Id. 420; nos italiques.
78. Ibid.; nos italiques.
86
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
fournit-il à la fois l’enveloppe et son contenu – les quatre critères
énoncés par le juge Lamer – tous deux de droit public? Bref, en
présupposant qu’il «devra examiner comment l’immunité relative
reconnue au procureur général et à ses substituts se traduit en
droit québécois», ultime volet de son raisonnement, le juge LeBel a
déjà préalablement arrêté que la common law publique du
«régime d’immunité» en litige n’a aucun ou peu de contenu autre
que de droit privé. Pas plus que nous n’avons été instruit des
raisons pour lesquelles le tort de malicious prosecution devait
préalablement franchir le test politique-opérationnel, nous ne
connaîtrons les considérations en vertu desquelles une immunité
de common law publique doit faire l’objet d’une «traduction» en
droit privé québécois79. Affirmer utilement, comme le fait le juge
LeBel, que «l’arrêt Nelles c. Ontario a été jugé sur la base du Tort
79. Le professeur P.-A. CÔTÉ, précité, note 35, 428, ailleurs mentionné sur d’autres points par le juge LeBel, id., 428, aurait peut-être influencé ce dernier. Le
professeur Côté avait en effet écrit: «le fait que, pour un cas donné, les
tribunaux, en contexte de common law, aient décidé de ne pas assujettir
l’Administration à un régime exorbitant de responsabilité n’autorise pas à
conclure que, dans un cas semblable, l’Administration québécoise devrait être
soumise intégralement au droit civil. L’arrêt récent Nelles c. Ontario permet
d’illustrer cette proposition. La Cour suprême y a décidé que, dans le cas d’une
action pour poursuites abusives intentée notamment contre le procureur général de l’Ontario, l’intérêt public ne justifiait pas que soit reconnue une immunité de responsabilité: les règles de droit commun de torts en la matière ont été
jugées suffisamment exigeantes envers le demandeur [...] Pour bien saisir la
portée de cet arrêt au Québec, il faut souligner que, selon la common law des
torts, le demandeur qui invoque le délit civil de poursuites abusives (malicious
prosecution) doit établir que le poursuivant a agi en l’absence de cause raisonnable et probable et qu’il avait une intention malveillante ou visait un
objectif principal autre que celui de l’application de la loi [...] Étudiant la question dans une véritable perspective de responsabilité publique, [la Cour
suprême du Canada] a jugé que la règle de common law privée [nous ajoutons les
italiques] établissait un juste équilibre entre les droits de la victime et les droits
de l’Administration». Dans les deux dernières phrases de son argumentation, le
professeur Côté assume tout naturellement que la règle – en réalité une
immunité relative en faveur des particuliers – de common law qui impose de
prouver les deux éléments cumulatifs, constitue une règle de droit privé. Or,
comme nous le verrons subséquemment à la partie 4 La «traduction» de
l’immunité relative en droit québécois, rien n’est moins sûr que le caractère
privé des immunités octroyées par la common law aux acteurs et intervenants
du processus judiciaire ou de l’administration de la justice pénale ou civile,
qu’ils soient de simples particuliers, citoyens, policiers, agents de la paix ou
juges de paix, etc. La common law, issue d’une pensée juridique unitaire, ne se
soucie guère, contrairement à la tradition continentale, de distinguer ni d’étiqueter les règles, selon qu’elles appartiendront au droit public ou au droit privé.
Il reste toutefois que les immunités, absolues ou relatives, conférées à des
personnes physiques, des particuliers, constituent indubitablement des immunités de common law publique, telle l’immunité relative tributaire des poursuites malicieuses ou abusives (malicious prosecution). Sauf égards dus à la
plus respectée doctrine, qu’il nous soit permis en conséquence de douter de la
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
87
of malicious prosecution, une action de common law privée, étrangère au droit québécois de la responsabilité civile»80, ne règle pas
la question, décisive en l’occurrence, d’identifier la source, la
nature et le contenu normatif de l’immunité qui, dans Nelles, vient
contrer ce tort, limiter l’étendue, l’empire de la responsabilité
civile, de common law privée tout comme du Code civil.
4-
La «traduction» de l’immunité relative en droit
Québécois
31. «Comment l’immunité relative reconnue au procureur général et à ses substituts se traduit[-elle] en droit québécois?» Directement, le juge LeBel s’empresse de dicter que
l’«existence d’une immunité, même relative et partielle, impose la
preuve d’une faute qualifiée»81. Pourtant, et la précision est plus
que théorique ou sémantique, le droit positif veut plutôt que
l’existence d’une immunité impose au poursuivant la preuve de
quatre éléments dont certains n’ont rien à voir avec la faute «qualifiée», ni le droit privé, de common law ou codifié. Le juge dissident ne tarde d’ailleurs pas à reproduire le cadre exact élaboré par
le juge Lamer, qui requiert les quatre éléments probatoires suivants:
a) les procédures ont été engagées par le défendeur;
b) le tribunal a rendu une décision favorable au demandeur;
c) l’absence de motif raisonnable et probable;
d) l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui
de l’application de la loi».82
En dépit de ce que le juge Lamer affirme que, en l’affaire pendante, les «deux premiers éléments sont clairs et, d’une manière
générale, se passent d’explication»83, l’étude sommaire de leurs
origine et contenu nous permettra d’en cerner la qualité, publique
ou privée, en common law puis en droit québécois.
80.
81.
82.
83.
justesse de son affirmation à l’effet que «l’arrêt Nelles ne pose pas une règle
transposable au Québec puisque la Cour a appliqué à la responsabilité de
l’Administration ontarienne la même règle de common law privée» (ibid.). C’est
ce dernier mot, qui soutient tout l’édifice de l’argumentation, que nous jugeons
incorrect. En effet pourquoi faudrait-il que toute relation entre particuliers, y
compris dans le cadre de recours judiciaires ou de l’exercice de pouvoirs publics,
l’accomplissement de devoirs civiques, soit régie par le droit ou la common law
privée?
Proulx [1999] 420.
Ibid; nos italiques.
Nelles, précité, note 4, 192.
Ibid.
88
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
32. Exiger, en première condition, que les procédures
pénales, incidemment dans l’affaire Proulx, aient été engagées
par le substitut, défendeur, constitue pratiquement une évidence,
une lapalissade. À tel point qu’on pourrait s’interroger sur les
motifs de l’insistance de la common law à en faire mention84. Ici
convient-il de relever que Nelles a aboli l’immunité absolue dont
bénéficiaient le procureur général et ses substituts à raison de
poursuites erronées ou prétendues abusives engagées par eux,
pour y substituer une immunité relative dont jouissait tout particulier en semblable circonstance. Or, le rôle, l’initiative et l’encadrement juridiques des particuliers qui engagent des
poursuites pénales contre un individu, sont, dans les juridictions
qui les autorisent, beaucoup moins clairement définis, restreints
ou limités que ceux réservés, parfois exclusivement, au procureur
général et à ses substituts, comme c’est chez nous le cas. Il suffit de
jeter un coup d’œil le moindrement attentif sur la doctrine85 de
common law pour se rendre compte que cette première condition,
également souvent applicable aux simples citoyens, n’est pas si
évidente, d’une part, et que, d’autre part, elle soulève des difficultés qui logent à des lieues, voire en un univers autre que celui du
droit privé de la faute, fût-elle «qualifiée». Cette première condition, quelles qu’en soient la complexité ou l’évidence à l’égard des
gestes quasi judiciaires du substitut, appartient à la common law
«publique». Elle porte essentiellement sur l’utilisation que fait un
particulier, agent de la paix ou policier, en sa qualité de sujet de Sa
Majesté, des pouvoirs publics accordés, confiés à tous pour assurer
la paix et l’ordre public dans le Royaume. Celui qui porte une
plainte ou dénonciation pénale ou une accusation de cette nature,
même s’il agit de sa propre et personnelle initiative, ne pose pas un
geste privé: il utilise les pouvoirs publics que le Souverain, l’État
84. Voir G.H.L. FRIDMAN, Torts, Waterlow Publishers, 1990, 580 et s., qui ne fait
aucune mention de cette première condition.
85. La doctrine démêle en effet, sur la foi d’une jurisprudence pluraliste, les conditions normatives et factuelles dans lesquelles un individu, un agent de la paix,
un policier ou toute autre personne qui participe au processus parfois complexe
de la dénonciation, de la plainte, de la mise en accusation et de la conduite du
procès, «engage» les procédures pénales subséquemment taxées de poursuites
malicieuses: CLERK et LINDSELL, On Torts, 16e éd., London, Sweet &
Maxwell, 1980, 1042 et s.; J.G. FLEMING, The Law of Torts, 9e éd., LBC Information Services, 1998, 674 et s.; B.S. MARKESINIS et S.F. DEAKIN, Tort Law,
3e éd., Oxford, Clarendon Press, 1994, 369 et s.; S.M.D. TODD, The Law of Torts
in New Zealand, The Law Book Co. Ltd., 1991, 770 et s.; WINDFIELD AND
JOLOWICZ, On Tort, 14e éd., London, Sweet & Maxwell, 1994, 574 et s.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
89
ou la puissance publique confie à tous86. Quand le législateur
réserve à l’Exécutif le monopole des poursuites ou accusations
pénales dans une juridiction, il n’enlève pas au simple citoyen,
agent de la paix ou policier, un droit privé, mais un droit public.
Cette dimension fondamentalement publique du recours, par un
justiciable, à la justice pénale, ou civile du reste, notre droit québécois l’a perdue de vue, confondant ici la personne elle-même,
privée, de l’individu, et là sa qualité, sa fonction, publique. Car un
particulier qui entame des procédures, même civiles, contre un
autre particulier, fait usage de la puissance publique, de la force
contraignante d’assignation, de comparution, d’exécution ou, en
cas extrême, d’outrage aux institutions, que le Souverain accepte
de mettre à sa disposition. Bref, avant d’arriver à l’étude des critères de l’immunité relatifs à la démarche cérébrale, rationnelle
(«motif raisonnable et probable») et à l’objectif ou au but personnel
(«l’intention malveillante») qui animaient le poursuivant défendeur, la common law a voulu déterminer si le rôle «technique» joué
par ce défendeur, et non son identité physique personnelle, dans le
processus de l’administration de la justice pénale à l’intérieur du
Royaume, permettait réellement que la cour lui impose de venir
répondre devant elle de ses gestes. Cette première étape est strictement de droit public, d’analyse des méandres de l’administration de la Justice, totalement étrangère à faute ou au droit
privé. Enfin, le fait que cette condition soit devenue, lorsque
appliquée au procureur général ou à son substitut, simplissime,
superfétatoire si l’on veut, ne l’a point transportée vers la common
law privée, pas plus que vers le Code civil.
33. En deuxième condition, d’insister le juge Lamer,
«le tribunal [pénal] a rendu une décision favorable au demandeur», ce qu’il ne faut évidemment pas limiter à acquittement.
Derechef, cette prémisse ne poserait apparemment pas de difficultés majeures, encore que notre jurisprudence québécoise, si
poussiéreuse qu’elle s’est enfoncée dans l’oubli collectif, a, jusqu’à
un passé trop peu lointain, occasionnellement fait fi de la seconde
exigence87. Qu’importe, de toute façon, sa facilité ou sa complexité
86. Voir les définitions et restrictions prévues aux art. 2, 504, 574(3) et 785 du Code
criminel, précité, note 22.
87. Voir, pour une application orthodoxe de ce second critère, Huard c. Dunn,
(1871) 3 R.L. 28; Filiatrault c. McManus, (1895) 8 S.C. 163; Montreal c. Lacroix,
(1909) 19 B.R. 385, 411; Mignault c. The Grand Trunk Ry Co., (1911) 40 C.S.
475. Par contre, dans Richard c. Goulet, (1914) 45 C.S. 374, 384, et Stacey c.
Demers, (1940) 78 C.S. 320, 326, la Cour supérieure exige plus qu’une décision
simplement favorable à l’accusé demandeur, dont la plainte ou l’acte d’accu-
90
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de mise en œuvre, ce second critère relève essentiellement du
droit pénal, criminel88, donc du droit public. Sauf erreur, il nous
est impossible de concevoir comment le droit privé peut jeter
quelque éclairage sur la question de savoir si un tribunal pénal a
sation a été renvoyé pour défaut de forme: elle ne recevra la poursuite civile que
si l’accusé demandeur a été véritablement acquitté au terme de son procès. Pire,
dans D. c. Montréal, (1947) R.L. 257 (C.S.), le tribunal accueillera une poursuite
consécutive à arrestation abusive, fondé sur absence de «cause raisonnable et
probable» en dépit de la condamnation pénale de l’accusé demandeur qui s’en
était suivie. De même en sera-t-il de Atlas Industries Ltd c. Campagnat, [1949]
C.S. 489, 491, qui affirme que «dans une action en dommages-intérêts pour
arrestation illégale [sans cause probable] l’acquittement par un tribunal de
droit criminel est étranger au litige [civil]». Dans Chevalier c. Montréal, [1951]
C.S. 356, 358, on lit: «Que le recorder ait acquitté le demandeur lors du procès,
ce qui est admis, n’a rien à faire avec la présente cause [civile] et ne peut
constituer chose jugée». Encore dans Dufour c. Tremblay, [1954] C.S. 343, 348,
la cour exhumait les propos du juge Lafontaine, du début du siècle, dans
Montréal c. Lacroix, (1910) 19 B.R. 385, 393, à l’effet que «si, au lieu d’alléguer
simplement un ensemble de circonstances permettant de croire à la culpabilité
de l’accusé, le dénonciateur [défendeur au civil] a entre les mains la preuve
certaine de la culpabilité de cet accusé [demandeur], preuve certaine qu’il
n’avait pas au moment où le procès a eu lieu, je ne vois pas comment on pourrait
interdire à cette personne de pouvoir invoquer le fait de la culpabilité réelle de
la personne qui a été accusée en réponse à une demande de dommages-intérêts,
alors même que la dénonciation se serait terminée par l’acquittement de
l’accusé.» Tout récemment, en 1995, la Cour du Québec a accepté d’investir
temps et énergie dans «une audition longue et pénible d’une semaine» (à la p.
1271) consécutive à la poursuite en dommages-intérêts entamée contre un
substitut du procureur général du Québec, par un demandeur auparavant bel
et bien condamné pour voies de fait contre sa concubine, et débouté de son appel
de cette condamnation. Et la cour, avant le rejet de l’action, de conjecturer:
«L’argumentation [...] nouvelle et extrêmement bien étayée [...] du procureur du
défendeur relativement à l’immunité «relative» des procureurs de la Couronne
soulève un vieux débat qui a fait l’objet d’une jurisprudence non concordante
des tribunaux tant américains que canadiens.[...] Même si ce genre de procédure en dommages-intérêts contre les substituts du procureur général peuvent être pénibles et éprouvantes [sic] pour ces derniers, ceux-ci, exerçant une
fonction publique, ne peuvent éviter que les justiciables, à tort ou à raison, ne se
prévalent honnêtement des recours en justice prévus par le droit civil lorsqu’ils
croient avoir été victimes d’un acte volontairement malicieux ou empreint de
négligence grossière, acte qui leur aurait causé des dommages»: Falardeau c.
Bordeleau, [1995] R.J.Q. 1267 (C.Q.). De l’exigence de démontrer une «décision
[pénale] favorable au demandeur», point de mention. Heureusement, le juge
Letarte écrivait en 1997 que «le plaidoyer de culpabilité, même s’il faut en
reconnaître les restrictions, est un élément difficilement compatible avec un
recours en dommages-intérêts pour ... abus de procédures criminelles»: Van
Rassel c. R., [1997] R.R.A. 333, 339 (C.S.). Dans ce dernier cas, le demandeur
soutenait qu’il avait dû plaider coupable à certaines accusations criminelles,
parce qu’il n’avait plus les moyens financiers d’assurer sa défense. Le tribunal
écarte à raison la réclamation, sans toutefois invoquer quelque jurisprudence
ou doctrine.
88. Voir les ouvrages de doctrine mentionnés à la note 85, précitée, qui procèdent
tous, dans le même ordre, à l’analyse du second critère «Favorable termination
of the proceedings».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
91
rendu une décision favorable ou non à l’égard de celui qui, présentement engagé dans une instance civile en responsabilité
extracontractuelle, allègue avoir été malicieusement accusé ou
poursuivi par le procureur général ou son substitut, défendeur. En
d’autres termes, la question de savoir si la décision de nature
pénale rendue par la Cour d’appel du Québec dans Proulx c. R.89 le
20 août 1992 fut «une décision favorable» à l’accusé, par la suite
devenu demandeur intimé, était, le 11 février 1999, dans la cause
civile Québec c. Proulx, une question de droit, de common law,
public. Même si le demandeur intimé Proulx poursuivait le procureur général et son substitut en matière civile, l’immunité relative invoquée par ceux-ci exigeait que la Cour d’appel, le 11 février
1999, examine sa propre décision pénale du 20 août 1992 afin de
voir si, uniquement à la lumière du droit pénal et de la common
law de la res judicata, cette décision pénale fut «favorable» à
Proulx. Comme la réponse était, en l’occurrence, évidente, les trois
juges de la Cour d’appel de 1999 n’ont pas approfondi ce critère, ni
ses origine et nature de droit public et pénal.
34. En somme il fallait, depuis Québec, lire avec la
plus grande vigilance l’affirmation du juge Lamer, au demeurant
irréprochable eu égard aux circonstances de l’affaire Nelles et
dans un contexte de droit ontarien fondé sur une common law qui
n’a pas à se soucier de la division publique/privée, affirmation à
l’effet que «[l]es deux premiers éléments sont clairs et, d’une
manière générale, se passent d’explication. Les deux derniers en
revanche exigent une analyse détaillée»90. Notre Cour d’appel a
donc pris au pied de la lettre, hors contexte, ces deux phrases du
juge Lamer, pour sauter immédiatement à la «traduction» en droit
québécois des troisième et quatrième éléments probatoires, présumant que le contenu de l’immunité relative appartenait au droit
privé. Or, vu l’intérêt particulier que revêt au Québec l’identification précise des sources du droit, l’étude par notre Cour
d’appel des deux premiers éléments aurait pu démontrer, comme
nous le soumettons, que ceux-ci participent carrément de la common law publique, applicable telle quelle au Québec. Cette étude
et éventuellement la conclusion à laquelle elle nous a mené,
auraient en outre forcé le débat sur la question subsidiaire suivante: si les deux premiers éléments de l’immunité relative,
effectivement clairs en l’espèce, appartiennent à la common law
89. Précité, note 8.
90. Nelles, précité, note 4, 192.
92
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
publique, pour quelles raisons les deux derniers éléments, bien
que requérant une analyse détaillée, relèveraient-ils de la common law privée ou du droit privé? Toute réponse aurait eu l’avantage de mieux amarrer les énoncés des sources du droit québécois
et de donner de meilleures assises à l’analyse des deux derniers
éléments de l’immunité relative en litige.
35. Quand il a complété une brève description des
deux derniers éléments, «l’absence de motif raisonnable et probable»91 et «l’intention malveillante ou un objectif principal autre
que celui de l’application de la loi»92, le juge Lamer insiste sur le
lien cumulatif, et non alternatif, qui unit ces troisième et quatrième conditions requises:
Pour avoir gain de cause dans une action pour poursuites abusives
intentée contre le procureur général ou un procureur de la Couronne, le demandeur doit prouver à la fois l’absence de motif raisonnable et probable pour engager les poursuites et la malveillance
prenant la forme d’un exercice délibéré et illégitime des pouvoirs de
procureur général ou de procureur de la Couronne, et donc incompatible avec sa qualité de «représentant de la justice».93
Le juge LeBel a fidèlement transcrit et la précédente insistance du
juge Lamer sur le caractère cumulatif des deux derniers éléments
de l’immunité, et leur description par le même haut magistrat. Le
juge LeBel met aussitôt le cap sur ce qu’il estime être le droit québécois, droit vers lequel il veut traduire ces troisième et quatrième
éléments.
91. «Un motif raisonnable et probable a été décrit comme [...] la croyance de bonne
foi [»an honest belief»] en la culpabilité de l’accusé, basée sur la certitude,
elle-même fondée sur des motifs raisonnables, de l’existence d’un état de faits
qui, en supposant qu’ils soient exacts, porterait raisonnablement tout homme
normalement avisé et prudent, à la place de l’accusateur, à croire que la
personne inculpée était probablement coupable du crime en question [...] Ce
critère comporte à la fois un élément subjectif et un élément objectif. Il doit y
avoir une croyance réelle de la part du poursuivant et cette croyance doit être
raisonnable dans les circonstances. La question de l’existence d’un motif
raisonnable et probable est à décider par le juge et non par le jury»: id.,193.
92. «L’élément obligatoire de malveillance équivaut en réalité à un «but illégitime»
[...] la malveillance [...] veut dire davantage que la rancune, le mauvais vouloir
ou un esprit de vengeance, et comprend tout autre but illégitime, par exemple,
celui de se ménager accessoirement un avantage personnel»: ibid.; nos italiques.
93. Ibid.; les soulignés proviennent de l’opinion répertoriée du juge Lamer; fait
anodin, ils ont été transformés en des italiques, à peine perceptibles, par les
arrêtistes de la Société québécoise d’information juridique, dans Proulx [1999]
421.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
93
36. «Au Québec», débute le juge LeBel, «le principal
arrêt sur la question demeure celui rendu dans Arcand c. Procureur général du Québec94»95. Le juge Bernier, à l’opinion duquel
souscrit le banc, y déboute sans quelque référence jurisprudentielle ou doctrinale, ni interrogation ou allusion relative aux sources juridiques utiles, une réclamation civile en dommagesintérêts consécutive à poursuite abusive. Il s’en remet, à cet égard,
à la ratio decidendi du juge Boisvert, de première instance, que
reprend d’ailleurs le juge LeBel:
La jurisprudence est constante au Québec, pour pouvoir réussir
dans une poursuite en dommages suite au dépôt d’une dénonciation, il faut d’abord que le demandeur ait été acquitté de l’accusation portée[96] et ensuite qu’il fasse la preuve que la dénonciation
a été faite par malice de la part du plaignant ou par suite d’une
erreur grossière ou d’un geste téméraire ou encore en l’absence de
cause raisonnable et probable.97
Quelques observations préliminaires s’imposent. Primo, Arcand,
certes non négligeable et relativement récent, du 26 avril 1989,
outre son silence sur les sources juridiques, ne traite pas expressément d’une quelconque immunité, ni évidemment, de l’effet de
Nelles, du 14 août 1989. Secundo, le juge Bernier y endosse le diagnostic du juge Boisvert à l’effet que la «jurisprudence au Québec
est constante», notamment en ce que, contrairement aux deux
derniers éléments cumulatifs de Nelles, on y retrouve des éléments alternatifs. Tertio, il y eut, après Arcand, soit le 22 avril
1996, un autre prononcé de la Cour d’appel du Québec, du reste
noté par le juge LeBel98, apparemment tout aussi «principal»
qu’Arcand, à l’égard de la responsabilité extracontractuelle consécutive à des accusations injustifiées: Levy c. Lechter99. Or, cette
dernière décision unanime met en parallèle et à la suite l’un de
l’autre, deux énoncés de base, sensiblement différents, du droit
pertinent. En effet, juste avant de reproduire l’exposé des critères
alternatifs formulé par le juge Bernier dans Arcand, la Cour
d’appel prend le soin, dans Levy, d’affirmer paradoxalement:
94. [1989] R.R.A. 481 (C.A.), ci-après, Arcand.
95. Proulx [1999] 421.
96. Nelles, précité, note 4, 192, requiert plutôt «une décision favorable au demandeur», notion plus vaste que l’acquittement.
97. Arcand, précité, note 94, 483; nos italiques.
98. Proulx [1999] 422, à la note 68.
99. [1996] R.R.A. 346 (C.A.), ci-après, Levy.
94
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Les principes de droit applicables en l’espèce ont été posés de la
façon suivante, par le juge Tyndale, dans l’arrêt Bertrand c. Racicot[100]:
The main question raised [...] is as to the liability of a person
who instigates criminal proceedings against another. The general rule is that every citizen has the right, and sometimes
the duty, to do so if he has reasonable and probable grounds
for believing that a crime has been committed (Cr. Cd. 455
[aujourd’hui 504]) and it is important in the administration of
justice that he be free to do so without fear of any consequences: he only incurs liability if the prosecution fails and if he
acts without reasonable and probable grounds or from improper motives. A great issue was made [...] of the presence or absence of malice on the part of the [Defendant], and before I go
further I wish to tackle that issue. In this province the sole basis for an action for damages due to what is variously called
«false arrest», «malicious prosecution» or «abus de procédures» is article 1053 C.C. [...] It is based on the notion of fault, as
judged by the conduct of a reasonable man, «un bon père de famille», and that is the sole test.101
La Cour d’appel de 1996, dans Levy, interrompt à ce point précis
son emprunt au juge Tyndale, frustrant malheureusement le lecteur de la véritable pensée et des authentiques explications endossées unanimement par le banc d’appel de 1985. Le juge Tyndale y
continuait:
I get the impression that under the common law it is, like defamation and others, a separate and distinct tort, to which are applied
special and particular rules that have evolved only from and for
cases dealing with that tort. How often has it not been laid down by
the highest authorities that we in Quebec have neither the need nor
the right in the interpretation and application of our civil law to
import foreign rules [...] It is therefore my opinion that it was unnecessary for the [plaintiff] either to allege or to prove malice (as we
generally understand the word) on the part of the [Defendant] in
order to succeed. It is sufficient to allege and prove fault, or conduct
amounting to fault.102
37. Au sortir de cette trilogie judiciaire, de 1985 à
1996, il n’est pas aisé de déceler avec précision autant les sources
juridiques que le contenu normatif du régime d’immunité et de
responsabilité extracontractuelle du procureur général et de ses
substituts, établi en Cour d’appel du Québec, avant ni même après
100.
101.
102.
[1985] R.D.J. 418, 419 (C.A.).
Levy, précité, note 99, 348-349.
Bertrand c. Racicot, précité, note 100, 419-420.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
95
Nelles. D’autant plus que, curieusement et symptomatiquement,
hormis les trois récentes décisions précitées, toute la jurisprudence pertinente de notre Cour d’appel répertoriée au cours des
cinquante dernières années ne le fut, sauf omission, qu’à l’état de
résumé103. Ce déplorable phénomène a contribué à obscurcir les
origines et la substance de notre droit en la matière. À défaut
d’avoir loisir, dans le cadre restreint de cette analyse jurisprudentielle, de dépouiller exhaustivement une jurisprudence touffue en
provenance de la Cour d’appel antérieure à 1949104 et des cours de
rang inférieur105, nous limiterons notre étude critique à quelques
matériaux essentiels immédiats.
38. Il ressort d’abord des décisions Arcand, Bertrand
et Levy, les deux dernières relatives à des accusations dites malicieuses entamées par des particuliers, plutôt que le procureur
général, que nos tribunaux ne situent pas expressément la moindre partie du débat juridique en terrain de droit ou common law
public, ni d’immunité absolue ou relative. La meilleure illustration de cette négation du droit public réside dans le refus explicite
du juge Tyndale, écrit en 1985 et repris en 1996, de tenir compte
des règles spéciales que la common law publique a développées en
réponse à certains effets indésirables des torts de common law
privée. Le juge Tyndale donne l’exemple particulièrement éloquent du tort de diffamation, limité en common law par des immunités, absolues ou relatives, de droit public et appuyées sur le droit
fondamental à la liberté d’expression de tout citoyen, ou sur le bon
fonctionnement des institutions démocratiques. Notre jurisprudence et notre doctrine québécoises sont demeurées majoritairement insensibles à ce droit public et persistent toujours à
103.
104.
105.
96
Voir Wittenberg c. Plouffe, [1949] B.R. 237; Bélanger c. Paquet, [1949] B.R. 388;
Foisy c. Lord, [1949] B.R. 563; Desrochers c. Côté, [1950] B.R. 158; Thow c. Price,
[1953] B.R. 590; Gagnon c. Hotte, [1960] B.R. 975; Labrecque c. Millette, [1962]
B.R. 670; Ringuette c. Langlois, [1964] B.R. 315; Provencher c. Cloutier, [1964]
B.R. 733; Lafond c. Dodier, [1967] B.R. 970; Laval c. Taylor, [1970] C.A. 453;
P.G. du Québec c. Létourneau, [1977] C.A. 223.
Deux seules décisions de la Cour suprême du Canada furent répertoriées, à
notre connaissance, sur un tel litige issu du Québec: Poitras c. Lebeau, (1888) 14
S.C.R. 742 (résumé), et Hétu c. Dixville Butler and Cheese Ass’n, (1908) 40 S.C.R.
128, 133, brève et peu éclairante décision de quatre pages où le juge en chef Fitzpatrick estime non nécessaire, en l’espèce, de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur doit alléguer et prouver que «the prosecution was started
maliciously to injure him and without reasonable and probable cause.»
Le juge LeBel ne peut d’ailleurs que constater les variations de la jurisprudence
québécoise de la dernière décennie: Proulx [1999] 422 et les notes 67 et 68.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
assujettir la liberté d’expression au droit privé, allant même jusqu’à juger fautive l’expression d’une vérité factuelle106.
39. En confondant ainsi les torts de common law privée et les immunités de common law publique, pour écarter
simultanément et erronément les uns et les autres, on investit
notre droit privé québécois de facultés qu’il n’a pas, pour lesquelles il n’est guère conçu. Cela donne des incertitudes, des
incohérences, où l’on veut réunir, fondre, sans trop l’admettre, des
considérations de common law à des énoncés prétendument de
droit privé: «Au Québec, le «tort» de poursuites abusives trouve
son équivalent sous l’article 1457 du Code civil du Québec sous
réserve que le fardeau de preuve est le même [que celui du tort]: la
faute simple ne suffit pas»107. S’il est vrai que les torts sont
étrangers au droit privé du Code civil, en retour les immunités et
fardeaux de preuve particuliers que la common law publique
élabore à l’égard de torts spécifiques, modifient, circonscrivent le
droit privé québécois. Prétendre que ces immunités ont leur
«équivalent» en droit privé québécois, chercher en droit civil des
équivalences à des éléments de droit public, a mené nos tribunaux
à des divergences et à affirmer la quadrature du cercle suivante: le
seul test de la responsabilité civile est la faute mais il faudra ici au
demandeur prouver en outre mauvaise foi – peut-être – ou, à
moins que ce ne soit et, «absence de motif raisonnable et probable»,
expression résolument tirée de la common law mais dont on doit
106.
107.
J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 302: «Il y a, à notre
avis, responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts, mais que la publication
n’a pour but que de nuire à la victime. Le droit à la libre expression ne peut être
utilisé dans le seul but de porter préjudice à autrui»; nos italiques. Cette conception, répandue en jurisprudence, reflète une étonnante perception du débat public, de la recherche démocratique de la vérité, et des droits fondamentaux à la
libre expression et à l’information. De renchérir récemment la Cour supérieure,
dans Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204, 211: «il ne suffit pas qu’une
chose soit vraie pour que quiconque puisse la dire à n’importe qui. Toute vérité
n’est pas bonne à dire. Il faut qu’il y ait intérêt public à dire cette vérité et que
celle-ci ne soit pas communiquée dans le seul but de nuire [...] la vérité ne fait
pas foi de tout». Outre qu’il laisse transpirer une curieuse hiérarchie des valeurs, individuelles et collectives, ce droit de la diffamation doit son état inquiétant à son ignorance du droit public, notamment des immunités de common law
publique, qui tempère les effets, autrement excessifs, du tort de defamation.
Voir, d’un côté, R. PÉPIN, «La vérité et la liberté d’expression», (1987) 18 R.G.D.
869, 877, sous l’éloquent titre III – Les limites apportées par le droit civil, et, de
l’autre, R.E. BROWN, The Law of Defamation in Canada, vol. 1, Carswell, Toronto, 1987, 361-726.
P. GARANT, Droit administratif, 4e éd., Volume 2, Cowansville, Éditions Yvon
Blais Inc., 1996, 565, dont le juge LeBel cite de longs extraits (Proulx [1999]
422).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
97
s’accommoder par convenance, ou par une contrainte tacite, voire
inavouable.
40. D’aucuns voudront rétorquer que l’immunité de la
Couronne ou de l’État et de ses auxiliaires, au Québec, a été abolie il
y a longtemps, et qu’elle fut remplacée par le régime de responsabilité des particuliers, ou «assimilable» à celui-ci, qui ne laisse
aucun espace à la common law publique. Le premier argument ne
fait point doute depuis la décision R. c. Cliche108 . Le second est un
peu court109. Malgré un discutable obiter dictum du juge Lamer,
relatif aux sens et portée de l’amendement de 1966 du Code de
procédure civile110, amendement qui mettait fin à la vétuste procédure de la pétition de droit, le juge LeBel maintient avec raison,
comme le juge Lamer d’ailleurs, que «la question de fond de
l’immunité des procureurs de la Couronne n’a pas été tranchée», et
que sa réponse participe également du droit public. On peut en
conséquence mettre en doute l’opportunité de recourir encore,
comme le fait le juge LeBel, à la jurisprudence de la Cour d’appel du
Québec des dernières années, qui «n’a pas tranché la question» et,
de façon plus gênante, a délibérément refusé de réfléchir dans le
cadre de la common law publique, pour nous livrer «des divergences
dans les méthodes d’analyse»111. N’aurait-il pas mieux valu, à
l’instar de certains arrêts québécois postérieurs à Nelles112, faire
table rase et reconnaître, au moins tacitement, par un silence de
circonstance, que notre jurisprudence antérieure à Nelles était, au
mieux, incertaine, voire incohérente, sur les sources du droit puis
les immunités et la responsabilité civile qui en découle.
41. Cela dit et avant d’aborder l’étude de l’usage qu’en
tire le juge LeBel, approchons le troisième élément de l’immunité
relative consacrée par Nelles, «l’absence de motif raisonnable et
probable». Dans Bertrand, on l’a vu113, le juge Tyndale consentait
à fouiller le Code criminel pour en extraire, ici et là114, l’expression
108.
109.
110.
111.
112.
113.
114.
98
[1935] S.C.R. 561.
Voir J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 4.
L.R.Q., chap. C-25; le juge Lamer attribuerait à l’art. 94 C.p.c. «la situation tout
à fait différente» du Québec: Nelles, précité, note 4, 181.
Proulx [1999] 422.
Notamment Forget c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1993]
R.J.Q. 2145 (C.S.).
Précité, note 100.
Par exemple, le par. (2) de l’art. 31 du Code criminel, précité, note 22: «Tout
agent de la paix est fondé à recevoir en sa garde un individu qui lui est livré
comme ayant pris part à une violation de la paix par quelqu’un qui en a été témoin ou que l’agent croit, pour des motifs raisonnables, avoir été témoin de cette
violation»; nos italiques. Voir aussi l’art. 25.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
«motif raisonnable et probable», qu’il insérait ensuite au fardeau
de preuve du réclamant en matière civile. Le distingué magistrat
croyait ainsi conserver sa pureté au droit civil, y introduisant une
common law «décaféinée», neutralisée. Pourtant, en droit pénal
tout au moins, le concept «motif raisonnable et probable» n’est-il
pas de droit public, de common law publique. Récemment, dans
Leroux c. Montréal (Communauté urbaine de), le demandeur
poursuivait l’autorité publique en dommages-intérêts consécutifs
à une arrestation injustifiée. La Cour supérieure dirigea son
attention vers l’«article 450(1) du Code criminel [qui, semblablement] stipule que la police doit avoir des motifs raisonnables et
probables de croire que [le demandeur] a commis une infraction
pour pouvoir l’arrêter [sans mandat]»115. Puis elle s’en remit aux
propos du juge Cory, de la Cour suprême du Canada, qui, dans
l’affaire R. c. Storey116, empruntait à la Cour d’appel anglaise le
passage suivant:
Le pouvoir qu’ont les agents de police d’arrêter une personne sans
mandat, que ce soit en common law [...] ou en vertu d’une loi, pourvu
toujours que leurs soupçons reposent sur des motifs raisonnables,
constitue une protection précieuse pour la collectivité [...] Le public
est protégé par la condition préalable, existant en common law et,
pour autant que je sache, dans toutes les lois, selon laquelle, avant
de procéder à l’arrestation, l’agent de police doit être convaincu de
l’existence réelle de motifs raisonnables de soupçonner la culpabilité.117
La Common law dont traite la Cour d’appel anglaise est évidemment la common law «publique», qui régit le droit pénal. Lorsqu’elle est transposée dans un cas de «false arrest», tort spécifique,
et qu’elle devient l’une des conditions de l’immunité relative
conférée à un policier, agent de la paix ou tout autre individu, non
pas en cette qualité, mais à raison d’un acte public déterminé, soit
une arrestation, la norme des «motifs raisonnables» ne cesse
guère d’être de common law «publique». Il s’agit d’une norme de
common law publique qui, jointe à un tort de common law privée,
contribue à la détermination du régime, de l’étendue, de la responsabilité civile – par opposition à pénale – de l’auteur d’une arrestation sans mandat, ou «false arrest». Et si, comme elle l’a conclu
dans Leroux c. Montréal (Communauté urbaine de)118, la Cour
constate «absence de motifs raisonnables» selon les canons du
115.
116.
117.
118.
[1997] R.J.Q. 1970, 1996.
[1990] 1 R.C.S. 241, 249-251.
Dumbell v. Roberts, [1944] 1 All E.R. 326, 329 (C.A.); nos italiques.
Précité, note 115, 1997.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
99
droit public, elle peut alors écarter l’immunité relative de droit
public et cheminer vers la responsabilité et la faute de droit privé.
Soulignons au passage que l’arrestation sans «motifs raisonnables» est une chose, tandis que l’arrestation violente119, brutale,
accompagnée de voies de fait120, entachée d’erreur sur la personne, accomplie de manière grossière ou exagérée, bref contraire
aux règles professionnelles d’exécution d’un tel acte, en est une
autre. Dans ce dernier cas, aucune immunité relative, de common
law publique, ne protège l’auteur de l’arrestation litigieuse, assujetti au seul droit civil privé. Quant à l’immunité relative déclarée
par Nelles, elle ne constitue pas une protection pénale mais civile,
et porte sur les accusations criminelles menées par le procureur
général et ses substituts. De common law publique, cette troisième condition, l’absence de motif raisonnable et probable, ne
peut être modifiée, altérée, par le droit privé. Si «absence de motif
raisonnable et probable» devait prendre une couleur distincte en
droit québécois, ce serait en droit public, en common law publique,
québécois.
42. La norme de l’«absence de motif raisonnable et probable» peut également être traitée avec profit dans un autre
registre, celui des anciennes procédures civiles québécoises
menant à incarcération d’un débiteur, pour jeter un éclairage utile
sur sa nature publique, de common law anglaise. Notre procédure
civile, notamment certaines mesures provisionnelles et les
recours extraordinaires, possède de profondes racines anglaises121. La Conquête avait introduit chez nous, entre autre, le
capias ad respondendum122, procédure de contrainte par corps
avant jugement qui permettait à un créancier d’obtenir, sur
requête accompagnée d’affidavit, l’emprisonnement d’un débiteur
qui, selon ce créancier, menaçait de quitter définitivement la
province sans avoir dûment acquitté sa dette. Très tôt il arriva que
ce débiteur, judiciairement relâché à la suite d’une incarcération
119.
122.
Là encore, notons que le paragraphe (4) de l’art. 25 du Code criminel, précité,
note 22, prévoit qu’un agent de la paix qui procède légalement à l’arrestation,
avec ou sans mandat, d’une personne pour une infraction au sujet de laquelle
cette personne peut être appréhendée sans mandat, ainsi que toute personne aidant légalement l’agent de la paix, est justifiable, si la personne qui doit être appréhendée s’enfuit afin d’éviter l’arrestation, d’employer la force nécessaire
pour empêcher cette fuite, à moins que l’évasion puisse être empêchée par des
moyens raisonnables d’une façon moins violente.
Chartier c. Québec (P.G.), [1979] 2 R.C.S. 474.
J.-M. BRISSON, La formation d’un droit mixte: l’évolution de la procédure civile
de 1774 à 1867, Les Éditions Thémis, Montréal, 1986, 99 et s.
Id., 90 et s.
100
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
120.
121.
consécutive à une requête en capias hâtive ou mal fondée en fait
ou en droit, entama en revanche une réclamation en dommagesintérêts contre son créancier auteur du capias injustifié. Dès
1857, notre Cour du banc de la Reine assujettit le débiteur
demandeur au fardeau de prouver que le créancier défendeur
avait agi «without any reasonable and probable cause, or right or
colour of right whatever»123. Lors de l’adoption du Code de procédure civile, en 1867, soit au lendemain de celle du Code civil du
Bas-Canada, de 1866, les codificateurs, sûrement au fait de l’art.
1053 C.c.B.-C., insérèrent au Code de procédure civile une Disposition générale, introductive des mesures provisionnelles, dont le
capias, et libellée sous l’art. 796 comme suit:
Un demandeur peut obtenir, en certains cas, simultanément avec
l’ajournement, ou pendant l’instance et avant jugement, que la personne du débiteur, ou ses biens, ou la chose en litige soient mis sous
la main de la justice, ainsi qu’expliqué dans les chapitres qui suivent, sauf au défendeur son recours en dommages en prouvant
absence de cause probable dans la poursuite de ces voies extraordinaires. (nos italiques)
Invité à assurer l’harmonie des deux normes, 796 C.p.c. et 1053
C.c.B.-C., le juge en chef de la Cour du banc du Roi enseigne, en
1892, que les «règles de droit [exigeant preuve de malice et
absence de cause raisonnable] ne sont pas une violation de l’art.
1053 (C.C.), qui veut que chacun soit responsable de sa faute, car
un plaideur qui réclame devant un tribunal est dans l’exercice
d’un droit; or, il est de principe que celui qui cause du dommage
quand il exerce son droit, n’est pas responsable, vu qu’il n’est pas
en faute. Cependant, dans l’exercice de ce droit particulier, la loi,
pour des motifs d’équité, a assujetti le plaideur malheureux au
paiement des frais du procès. Mais là s’arrête sa responsabilité.
[Ces règles] s’appliquent à la défense comme à la demande, et elles
reçoivent leur application, que le plaideur soit heureux ou malheureux, pourvu qu’il soit dans les conditions exigées par la loi,
c’est-à-dire qu’il y ait absence de malice et cause probable»124. Les
juristes de l’époque savaient donc que notre procédure civile – par
opposition à pénale – véhiculait des institutions de droit public
anglais relatives à l’organisation des tribunaux, l’administration
123.
124.
David c. Thomas, (1857) 11 L.C.J. 69, 78-79. Au même effet, Laidlaw c. Burns,
(1866) L.C.R. 318, 321 (C.B.R.); dans ce dernier cas, le banc n’arrive pas à afficher une position commune sur la nécessité d’établir, explicitement et en sus de
l’«absence de cause raisonnable et probable», la malice ou la mauvaise foi de
l’initiateur de la procédure d’emprisonnement (id., 322-323).
Scott c. McCaffrey, (1892) 1 K.B. 123, 125-126.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
101
des instances judiciaires et certaines mesures provisionnelles ou
extraordinaires, notamment, dans ce dernier cas, les mesures provisionnelles et brefs de prérogative. Bien que ce soit dans le but de
faire respecter ou consacrer un droit privé, tel une obligation contractuelle ou extracontractuelle, la mise en marche, par un justiciable, d’un mécanisme judiciaire fourni par la puissance
étatique, constitue un geste public, d’abord assujetti au droit
public. Le droit de la procédure civile ne violait pas le Code civil ni
son article 1053, mais imposait, au réclamant, avant qu’il s’y
rende, des conditions normatives et constitutives d’une immunité
relative en faveur du défendeur auteur de la procédure reprochée.
43. Malgré l’incompréhension et les critiques de la doctrine125 d’alors, le législateur québécois profitera d’une substantielle révision du Code de procédure civile, en 1897, pour
modifier l’article 796, désormais numéroté 893, de façon à le compléter et y substituer à l’expression «cause probable» la formule
«cause raisonnable et probable». Il mettra ainsi en œuvre la
recommandation des commissaires qui voulaient «préciser le sens
d’une règle importante, et [...] incorporer dans le texte les termes
mêmes dans lesquels elle est généralement exprimée en jurisprudence [anglaise] (Abrath & North Eastern Ry. Co., (1886) L.R. 11
App. Cas. [247])»126. Or, cette dernière décision de la Chambre des
lords, qui tranchait une réclamation en dommages-intérêts consécutive à accusation et poursuite pénales dites malicieuses,
réaffirmait «the two ingredients [...] which are necessary for the
maintenance of such an action, that is to say, malice and the
absence of reasonable and probable cause»127. En somme, notre
125.
126.
127.
102
C.E. DORION, «De la jurisprudence dans les actions en recouvrement de dommages résultant de poursuites malicieuses», (1895) 11 R.L.n.s. 53, 53-55, voit
dans les critères «malice et cause probable», «[a]utant d’expressions inconnues
dans le droit français [tandis qu’il] est indiscutable que cette matière des actions
en dommages résultant de poursuites vexatoires forme partie du droit civil, non
seulement par sa nature, mais d’après le texte même de notre [art. 1053
C.c.-B.-C.]». Ignorant autant l’origine législative des mesures provisionnelles
que le libellé explicite de l’art. 796 C.p.c., le chroniqueur affirme que l’«on chercherait en vain ailleurs que dans l’art. 1053 du C.c. [qui] offre au moins
l’avantage d’être plus clair et d’une application plus facile [...] le principe des actions en dommages, même pour ceux qui résultent de procédures vexatoires»
(id., 57).
Voir P.G. MARTINEAU et R. DELFAUSSE, Code de procédure civile de la Province de Québec, C. Théorêt, 1899, Montréal, 572.
À la p. 251. Notre Cour supérieure utilisait déjà ce double critère depuis un certain temps à l’égard des réclamations civiles tributaires d’accusations pénales
vexatoires: Lefuntun c. Bolduc, (1878) 1 L.N. 266: «The only points now before
me are the malicious and want of probable cause [...] They are both essentials of
the plaintiff’s action».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
droit voulait que l’exercice de toute procédure, pénale ou civile,
soit accompagné d’une immunité relative, issue de la common law
publique qui régit la constitution et l’administration des institutions judiciaires, en faveur de tout justiciable. Du reste, dans
l’intervalle, la Cour du banc de la Reine avait invoqué, eu égard à
une injonction prétendue vexatoire, que «le principe qui a de tout
temps été appliqué sur actions en dommages pour poursuites
malicieuses [est à l’effet] que le demandeur doit alléguer et prouver malice et absence de cause probable, et ce principe doit
s’appliquer à un bref d’injonction comme à toute procédure
civile»128.
44. Il faut toutefois reconnaître que la présence aussi
déterminante de normes de common law publique anglaise, codifiées par surcroît, et intimement voisines du sacro-saint Code
civil, de son crucial article 1053, fut perçue comme une menace
intolérable à la pensée privatiste. L’un des plus fervents adeptes
de la tradition civiliste française, le juge Rivard, de la Cour du
banc de la Reine, invoque l’intégrité et l’autorité exclusive de
l’article 1053 C.c.-B.-C., qui débouchent immanquablement sur la
soumission de l’initiateur d’une procédure avérée illégale, à l’obligation préexistante d’avoir «pris toutes les précautions d’un bon
père de famille»129. Pour arriver à ses fins, le juge Rivard recourt
alors à un processus d’assimilation ou d’«équivalence»130 ,
processus identique à celui que l’on retrouve aujourd’hui en jurisprudence et en doctrine québécoises. Il écrit, en fusionnant
indistinctement tous les concepts et critères:
Pour qu’il y ait responsabilité en dommages de la part de celui qui
institue des procédures judiciaires, il faut que cet acte puisse lui
être reproché à titre de faute, c’est-à-dire qu’il l’ait posé sans motif
raisonnable, dans un dessein malicieux; autrement, il n’encourt
que la responsabilité du plaideur téméraire: il paye les frais. Parce
que l’acte reproché constitue l’exercice d’un droit reconnu par le
législateur, il n’y a véritablement faute productrice de responsabi128.
129.
130.
Montreal Street Ry. Co. c. Ritchie, (1887) 5 M.L.R. 77, 86-87, confirmant (1887) 3
M.L.R. 232; nos italiques. La Cour suprême du Canada confirma expressément
la double exigence probatoire: Montreal Street Ry. Co. c. Ritchie, [1889] S.C.R.
622, 630, 633-634.
Canadian Last Block Co. Ltd. c. Lord, (1923) 34 B.R. 130, 131; au même effet,
Layton c. Cité de Montréal, (1916) 23 R.L.n.s. 132, 136 (C.B.R.).
En analysant la jurisprudence pertinente du XIXe s., J.-M. BRISSON, précité,
note 121, 109, conclut: «Par désir de convaincre, par prudence ou peut-être
même par désarroi, il est devenu d’usage pour les juges comme pour les avocats
de signaler que, sur une question donnée, le droit anglais et le droit français
concordent et n’offrent pas de solutions divergentes».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
103
lité que si le plaideur, abusant des moyens mis à sa disposition,
poursuit avec une légèreté coupable et sans cause plausible. Qu’on
lui reproche de la légèreté, de l’imprudence, de la négligence, ou
qu’on invoque contre lui «l’absence de cause raisonnable et probable» suivant les termes de l’article 893 C.P., c’est toujours l’infraction à la règle formulée dans l’article 1053 C.C. qui est la source
de sa responsabilité. [...] Le système du droit anglais est, du reste,
concordant. [...] Ajoutons seulement que l’existence d’un motif
autre que celui de faire valoir un recours légitime, l’intention
d’abuser de l’exercice du droit, ou, si l’on veut, l’absence de cause raisonnable et probable étant l’un des éléments essentiels de la faute, il
incombe à celui qui se plaint de l’établir; il doit démontrer par là que
la procédure n’était pas le résultat d’une juste erreur.131
Certains auteurs de l’époque se montreront plutôt intransigeants
sur la matière. H.C. Goldenberg, qui inclut sous «False Arrest» les
poursuites pénales vexatoires, écrit que «[t]he responsibility for
false arrest is not governed by the principles of English Common
Law, but by the principle enunciated in article 1053 of the Civil
Code». Il est en retour plus mesuré à l’égard des poursuites civiles,
notamment les capias et saisies avant-jugement, chez lesquelles il
reconnaît l’autorité de l’article 893 C.p.c.: «it is essential to show
that they were instituted maliciously and without probable cause
Malice is frequently implied from the absence of such probable
cause»132. Radical, son collègue G.V.V. Nicholls veut écarter tout
droit, immunité et vocabulaire anglais. Envisageant les poursuites autant civiles que pénales, il écrit que «[t]he responsibility
resulting from malicious prosecution, or, as it has been more accurately though less frequently called, abuse of process, and from
131.
132.
104
Cie. P-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 189; nos italiques. Il faut dire, à la
décharge du juge Rivard, que la Cour suprême du Canada viendra plus tard
mixer les mêmes ingrédients: doctrine française, art. 1053 C.c.-B.-C., malice ou
mauvaise foi, art. 893 C.p.c., et «absence de cause raisonnable et probable». Le
juge Fauteux y déclarera:
«Agir en justice, que ce soit en demande ou en défense, ne constitue pas une
faute. C’est un droit [...] Ce principe comporte des exceptions en cas d’abus de ce
droit légal reconnu à tout justiciable. C’est ainsi que l’exercice de ce droit peut
dégénérer en faute susceptible d’entraîner une condamnation en dommages-intérêts s’il constitue un acte de malice, de mauvaise foi ou s’il est tout au moins le
résultat d’une erreur grossière équipollente à dol. [...] Cette théorie de l’abus de
droit ne déroge pas mais est conforme à l’économie de la loi sous l’article 1053
C.C. Suivant la doctrine classique, le fait invoqué au soutien de l’action en dommages sous cet article doit, outre être dommageable au demandeur et imputable
au défendeur, être en soi un fait illicite. Les dispositions [le juge Fauteux réfère
expressément à l’«absence de cause raisonnable et probable»] de l’art. 893 C.p.c.
offrent un exemple de l’application de ces principes»: Ville Saint-Laurent c. Marien, [1962] S.C.R. 580, 586-587; nos italiques.
H.C. GOLDENBERG, The Law of Delicts Under the Civil Code of Quebec, Wilson & Lafleur Ltd, Montréal, 1935, 51-53; nos italiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
defamation, is more difficult to summarize because of foreign elements that have crept into Quebec law. Until recent years common-law authority was as frequently quoted in cases arising on
these subjects as was civil-law authority. It was even said on occasion that the English common law alone should govern in defamation because it concerns public policy and public law, and in the
abuse of criminal process because the Canadian criminal law is
based on the English common law. The fallaciousness of these statements needs no comment [...] The traditional precedent to responsibility for the abuse of process, and the phraseology is a
common-law one, is malice and lack of reasonable and probable
cause. [...] Cases upon the abuse of process should be decided
under articles 1053 and following of the Quebec Code, and malice
is not a requirement of the responsibility contemplated by those
articles [...] Once malice is admitted to be unnecessary for responsibility, it is not difficult to reconcile the jurisprudence with the
phraseology of article 1053. The courts have consistently defined
«reasonable and probable cause» as one that would be sufficient to
create a reasonable suspicion in the mind of a reasonable man.
Lack of reasonable and probable cause, then, is nothing but the
fault of article 1053 in a new guise»133.
45. Et voilà, si on nous pardonne la familiarité, que le
tour est joué. Dès que son gommées la common law publique
anglaise ou ses empreintes dans le Code de procédure civile ou le
Code criminel, ainsi que la jurisprudence ouverte à l’une ou aux
autres, reste intact le droit privé de l’article 1053 C.c.B.-C. Alors,
effectivement et logiquement, doit s’estomper toute exigence de
malice ou mauvaise foi. Car toujours, comme l’explique la doctrine
contemporaine, «le seul critère de l’intention de nuire ne permet
pas de séparer la conduite fautive de celle qui ne l’est pas. Même si
l’acte intentionnel paraît moralement et socialement plus sérieux
ou plus grave, la base de la responsabilité civile reste la même
dans les deux cas. Elle ne s’établit donc pas en fonction de ce
critère»134. En d’autres termes, si, d’une part, la faute du droit
privé inclut, outre tout manquement à quelque obligation légale,
l’acte illégal intentionnellement dommageable, néanmoins, d’au133.
134.
G.V.V. NICHOLLS, The responsibility for Offences and Quasi-Offences under
the Law of Quebec, Carswell Co., Toronto, 1938, 31-34; nos italiques.
J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 107-108; nos italiques.
Ces auteurs expliquent également, aux p. 5 et 6, l’intérêt de la distinction relative à l’acte volontaire ou intentionnel, eu égard à la faute, intérêt qui se résume
à des «conséquences pratiques» étrangères aux poursuites abusives ou malicieuses.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
105
tre part, cette faute n’exige pas, d’elle-même, un élément intentionnel. Malgré cela, notre plus réputée doctrine enseigne,
paradoxalement, le droit suivant. D’abord, nous affirme-t-on,
«[u]ne certaine partie de la jurisprudence québécoise, maintenant
dépassée, avait fait appel en la matière, à la doctrine anglaise, en
introduisant les notions de malice, want of reasonable and probable cause, malicious prosecution. [...] il faut tenir aujourd’hui ces
décisions pour périmées, le concept de faute en droit québécois
constituant un outil aussi exact et aussi valable». Puis, on nous
invite à retenir comme «fondement» de la responsabilité extracontractuelle consécutive à l’«exercice des recours judiciaires et
abus de procédures», la dialectique qui suit:
La première hypothèse est celle où l’agent, de mauvaise foi, et conscient du fait qu’il n’a aucun droit à faire valoir, se sert de la justice
comme s’il possédait véritablement un tel droit. Il n’agit pas alors
dans le cadre de l’exercice ou de la défense de son droit, mais totalement en dehors de celui-ci. Une faute peut également être reprochée à l’agent qui, dans l’exercice d’un droit apparent, utilise les
mécanismes judiciaires ou procéduraux sans cause raisonnable ou
probable, sans motif valable, même de bonne foi. [...] La mauvaise
foi (c’est-à-dire l’intention de nuire) ou la témérité (c’est-à-dire
l’absence de cause raisonnable et probable) restent donc les bases de
l’abus de droit dans ce domaine [...] Il ne saurait, en effet, y avoir
abus lorsque, de bonne foi, et en ayant cause raisonnable et probable, un individu cause préjudice à autrui en recourant à la justice
pour faire valoir ses droits.135
Le lecteur aura sûrement noté la ressemblance frappante entre la
terminologie de common law anglaise, proscrite, et la nomenclature française dite civiliste, prescrite. Il aura également pu
s’étonner de l’exigence, en cette matière prétendue de droit privé,
d’une faute intentionnelle ou qualifiée à l’aide d’un vocabulaire
étranger à notre droit privé, et s’interroger sur le pourquoi de cette
dérogation aux principes généraux de la faute simple, fondement
de la responsabilité civile extracontractuelle. Il aura peut-être
éprouvé, finalement, une certaine difficulté à s’expliquer les raisons pour lesquelles deux notions à première vue différentes, la
mauvaise foi ou l’intention de nuire, d’une part, et, d’autre part,
l’absence de cause raisonnable et probable, notions que le juge
Lamer a maintenues distinctes, seraient spontanément devenues
des normes alternatives, interchangeables ou équivalentes.
135.
106
Id., 136-137; nos italiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
46. La Cour d’appel du Québec n’avait donc pas la partie facile, dans Proulx, de trouver parmi notre doctrine locale et
notre jurisprudence québécoise, des éléments fiables et cohérents
sur l’immunité relative débattue devant elle, immunité relative
de common law publique que Nelles avait pourtant affirmée et
découpée on ne peut plus clairement. Plutôt que de se consacrer à
décortiquer la ratio decidendi et le contenu normatif de Nelles, la
Cour d’appel a préféré se réfugier en terrain familier, et miné de
ses insuffisances inhérentes, de droit privé. Après avoir, en un
premier temps, utilisé l’arrêt Arcand136 pour métamorphoser en
alternatifs deux critères que le juge Lamer voulait cumulatifs, le
juge LeBel fait de cet arrêt un second usage douteux. «En dépit
[des] divergences dans les méthodes d’analyses», écrit-il, «un premier constat s’impose. Le critère alternatif dégagé de l’arrêt
Arcand, de l’absence de motif raisonnable ou probable, équivaut, à
tout le moins, à l’exigence d’une faute qualifiée. Au départ, la
décision d’un substitut de porter des accusations en l’absence de
motifs raisonnables et probables, analysée suivant tous les éléments objectifs et subjectifs pertinents dans le contexte pénal,
constitue une faute lourde. Elle dénote, en effet, une incompréhension et une insouciance graves à l’égard des conséquences
du dépôt d’une accusation criminelle sans fondement»137. Cet
énoncé lourdement chargé comporte plusieurs propositions en
cascade qui, chacune, crée une équivalence, trouve une exigence,
qualifie une faute, déborde le contexte pénal et, en bout de course,
glisse de l’accusation «sans motif raisonnable et probable» à
l’accusation «sans fondement». Autant d’affirmations qu’on ne
peut obtenir, estimons-nous avec égards, qu’en distordant le droit
civil privé, ou en le truffant subrepticement de common law,
publique ou privée. Quelques lignes plus loin, la dissidence voudra
encore préciser les «équivalents» civils auxquels il faudrait, semble-t-il, avoir recours. Le régime de responsabilité – ou d’immunité, et le choix des termes aurait pourtant grande importance –
en litige, d’arguer le juge LeBel, «se distingue de celui des actions
en responsabilité contre des poursuivants privés ou des policiers.
Dans le cas de ceux-ci, une plainte, une arrestation ou une saisie
sans motif raisonnable et probable équivalent à une faute civile,
qui engage éventuellement la responsabilité en vertu des articles
1053 C.C. ou 1457 C.C.Q. Dans le cas de substituts, on se trouve
devant un régime distinct de faute qualifiée. Dans le contexte de la
136.
137.
Précité, note 94.
Proulx [1999] 422; nos italiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
107
fonction du substitut, on ne saurait retenir un régime unifié de
responsabilité pour la procédure abusive»138. Bien qu’accessoire à
l’élaboration du raisonnement, cette distinction illustre certaines
assertions fort discutables et sous-jacentes à la dissidence.
47. D’abord Nelles, souvenons-nous, substitue à une
immunité absolue, de droit public, une immunité relative, de droit
public également, jusque-là accordée à tout particulier en pareilles circonstances. Ainsi que l’explique le juge Lamer lorsqu’il
endosse les enseignements suivants du professeur Fleming:
La désapprobation que le droit a traditionnellement manifestée à
l’égard de l’action pour poursuites abusives ressort le plus nettement des restrictions qui lui ont été apportées afin de faire obstacle
à ce type d’actions et de protéger les particuliers qui s’acquittent de
leur devoir public de poursuivre les personnes raisonnablement
soupçonnées d’avoir commis des crimes.139
Bref, la poursuite criminelle engagée par un particulier, du temps
où il lui était permis de le faire au Québec, constituait un geste
public, dans l’accomplissement d’un devoir public, et s’agrémentait d’une immunité relative de common law publique, en restriction au tort de malicious prosecution ou de poursuites
abusives. Le sort des particuliers ou des policiers n’est donc pas, à
cet égard, différent de celui réservé par Nelles au procureur général et à ses substituts. En second lieu, affirmer que «une plainte,
une arrestation ou une saisie sans motif raisonnable et probable»
«équivaut» à faute civile pose encore problème. En effet la présence même du fameux critère «sans motif raisonnable et probable» ne donne-t-elle pas lieu de penser qu’il s’agit d’une norme
de droit pénal public, tout simplement codifiée au Code criminel,
norme qui n’a pas d’équivalent en droit privé civil et n’a pas à en
avoir. Également, en s’appuyant sur la décision Chartier c. P.G.
du Québec140, fondée sur une arrestation dont l’exécution,
entachée de violence, de grossièreté, d’exagération, de manquement à la discipline ou à la déontologie professionnelle policière,
constituait (et non équivalait à) faute civile, la Cour d’appel use de
l’une et de l’autre, ici «absence de motif raisonnable et probable»
de droit public et, là, faute professionnelle de droit privé dans
l’exécution matérielle démesurée d’un devoir public pénal.
L’agent de la paix qui, «avec motifs raisonnables et probables»,
138.
139.
140.
108
Id., 423; nos italiques.
Nelles, précité, note 4, 193; nos italiques.
Précité, note 120.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
procède à une arrestation, par ailleurs respectueuse des règles de
l’art et standards professionnels, qui s’avère par la suite non
fondée, la victime de cette arrestation étant éventuellement relâchée ou acquittée, jouit d’une immunité relative de droit public, du
fait qu’il accomplissait un devoir public, et l’invoquera à l’encontre
d’une réclamation en dommages-intérêts entamée contre lui par
l’infortunée victime de l’arrestation litigieuse. En contrepartie, si
cette arrestation «avec motifs raisonnables et probables», y compris du véritable coupable, est exécutée par l’agent de la paix en
violation des règles normatives de sa profession, de son corps de
métier, alors cette victime, même coupable du crime à l’origine de
son arrestation, pourra invoquer la faute de droit civil privé commise par l’agent de la paix. Ainsi en est-il de l’arrestation brutale
et démesurée141, pourtant exacte ou justifiée par des motifs raisonnables et probables, d’un criminel confirmé. Pareillement,
l’agent de la paix qui a des «motifs probables et raisonnables» de
croire qu’une personne a commis ou est sur le point de commettre
un crime, ne pourrait invoquer cette immunité de droit public,
devenue impertinente, si l’arrestation s’avérait illégale en raison
d’une erreur professionnelle, technique, inexcusable sur l’identité
propre de la personne arrêtée142, erreur non pas équivalente à,
mais constitutive d’une faute de droit privé. Ni notre jurisprudence, notamment Ampleman c. Paradis143, invoquée autant par
le demandeur intimé Proulx144 que par le juge LeBel145, ni notre
doctrine, ne se sont ouvertement intéressées à cette distinction,
doublée de complémentarité, entre immunité relative de droit
public et responsabilité civile de droit privé, distinction inoffensive dans l’issue de certains cas, déterminante dans d’autres, telle
l’affaire Proulx.
48. Investi de la mission judiciaire de préciser le droit
québécois utile, le juge LeBel voudra au surplus créer de toute
pièce une présomption, qu’il élabore comme suit:
141.
142.
143.
144.
145.
Croteau c. Lapolice, [1989] R.R.A. 314 (C.A.); Leroux c. Montréal (Communauté
urbaine de), précité, note 108, 1997; Dubé c. P.G. Québec, [1997] R.R.A. 555
(C.S.); Ouellet c. Société des alcools du Québec, [1997] R.R.A. 417 (C.S.); voir également la jurisprudence touffue énumérée dans J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 33, 287, à la note 617.
Langlois c. R., [1960] C.S. 644; Bisaillon c. Ste-Marie, (1923) 29 R.L.n.s. 499
(C.S.); Bigras c. Cité de Montréal, (1892) 16 L.N. 125 (C.S.).
(1934) 56 B.R. 358.
Proulx [1999] 411.
Id., 423.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
109
Le fardeau de preuve [pénale] du ministère public lui impose une
obligation corrélative de vérification des possibilités de succès
avant l’ouverture d’une procédure criminelle. Déclencher une procédure pénale sans motif raisonnable et probable comporte prima
facie soit un abus des pouvoirs discrétionnaires accordés au procureur de la Couronne, soit une erreur inexplicable parce que, en principe, celui-ci ne doit porter des accusations qu’en présence de tels
motifs, après s’être assuré qu’il existe une infraction en droit et qu’il
peut raisonnablement escompter en faire la preuve. Une poursuite
engagée en violation de ces principes équivaut à une erreur grossière et téméraire.146
Cette dernière phrase, qui clôt un exercice juridique à notre
connaissance inédit, ajoute une de ces nouvelles équations ou
équivalences dont est parsemée l’opinion dissidente. «Absence de
cause raisonnable et probable» égale «erreur grossière». Cette
parité dépasse Nelles. Certains arrêts québécois avaient reconnu
que l’absence de cause raisonnable et probable peut, selon les circonstances de l’espèce, équivaloir à malice ou mauvaise foi147.
Mais il ne s’est agi ni d’une présomption, ni d’une équation machinale, encore moins de l’assimilation ou de la fusion de deux normes parfaitement distinctes, comme le veut Nelles. À tout
événement, cette méthode analogique conduit derechef au droit
privé. «[I]l faut alors examiner», renchérit le juge LeBel, «si ses
concepts de faute lourde et de faute intentionnelle correspondent
aux types de faute qui, suivant la Cour suprême dans l’arrêt Nelles, permettent d’écarter l’immunité du procureur général et de
ses substituts. Cette analyse doit s’effectuer en retenant les caractères propres de la responsabilité civile en common law privée»148. Et
le magistrat traitera subséquemment de «la gross negligence, qui
est peut-être la notion la plus proche de la faute lourde»149, pour,
semble-t-il, éclairer notre compréhension de cette dernière. Il
intègre aussi à sa démonstration que «les définitions généralement données aux termes malice, bad faith et gross negligence
s’avèrent sensiblement semblables à celles que l’on utilise en droit
civil». D’où sa conclusion ponctuelle:
Un point commun paraît se dégager. Au Québec, comme dans les
provinces de common law, s’est confirmée une distinction entre la
146.
147.
148.
149.
Id., 422.
Larocque c. Willet, (1874) 23 L.C.J. 184, 189 (C.B.R.); Lefuntun c. Bolduc, (1878)
1 L.N. 266, 267 (C.S.); Lake of Woods Milling Co. c. Ralston, (1911) 20 B.R. 536,
541; Waller c. C.P.R., (1912) 1 D.L.R. 47, 55 (C.S.).
Proulx [1999] 424; nos italiques.
Id., 425.
110
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
conduite téméraire et insouciante associée à une faute qualifiée
(gross negligence), et la conduite malicieuse ou malveillante ou
dans laquelle se révèle un état d’esprit répréhensible.150
Soit dit avec la plus profonde considération, outre qu’elle flirte
avec le tort de negligence, distinct de celui de malicious prosecution, cette conclusion ponctuelle ne pourrait découler de la faute
de droit civil, qui n’exige nullement l’élément intentionnel, bien
qu’on ait maintes fois voulu l’y inclure sous le poids inavoué de la
common law publique.
C-
La mise en œuvre de ce régime en l’espèce
49. Avant d’entrer, même sommairement car là n’est
pas l’objectif de cette chronique axée sur les sources juridiques du
droit normatif, avant d’entrer, donc, dans l’examen de la mise en
œuvre factuelle du régime de responsabilité dressé par le juge
LeBel, qu’il nous soit permis d’avouer notre incapacité à comprendre les raisons du demi tour apparemment négocié en ce
tardif point précis. En effet la dissidence oblique abruptement,
pour «déterminer [si le substitut] agissait dans cette instance
judiciaire avec un objectif illégitime, au sens de l’arrêt Nelles»151.
Elle va même jusqu’à s’en remettre à la vénérable décision
anglaise Hicks c. Faulkner152, pour utiliser le cadre analytique
suivant, de common law et de contenu calqué sur Nelles153:
On doit d’abord examiner s’il existait des motifs raisonnables et
probables de croyance en la culpabilité de M. Proulx. La décision [de
déposer l’accusation de meurtre] doit reposer sur une croyance de
bonne foi en la culpabilité. Cette croyance se fondera sur des motifs
raisonnables en l’existence d’un état de fait qui, en supposant qu’ils
soient exacts, porterait un homme normalement avisé et prudent à
la place de l’accusateur à conclure que l’inculpé était probablement
coupable du crime.154
Or, si ce postulat fait ici autorité, c’est qu’il est de common law
publique. Autrement, comment pourrait-il émerger d’une common law privée ontarienne que le juge LeBel a pris grand soin et
labeur d’éloigner de notre droit privé québécois, au motif que ce
dernier, de un, faisait autorité en matière d’immunité généralement, de deux, disposait des outils adéquats pour garnir ou meu150.
151.
152.
153.
154.
Ibid.
Proulx [1999] 426; nos italiques.
(1881-82) 8 Q.B.D. 167, 171, mentionné à la note 95, id., 427.
Nelles, précité, note 4, 193.
Proulx [1999] 427.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
111
bler cette coquille supposée creuse, de common law publique,
l’immunité relative du procureur général et de ses substituts?
50. Quoi qu’il en soit, forte de théories métissées et
fabriquées en réponse à un questionnement qu’elle a orienté
spontanément, à ses premières réflexions, la dissidence passe à
l’appréciation factuelle du litige. Cette dernière pivote
principalement sur deux griefs reprochés au substitut, défendeur
appelant. Dans les deux cas, tandis qu’il les examine à la lumière
du critère de l’«absence de cause raisonnable et probable», le juge
LeBel exige du substitut des connaissances et une rigueur
juridiques supérieures à celles-là même qu’a manifestées le juge
des assises, en novembre 1991 à la Cour supérieure. En premier
lieu, «au moment de porter des accusations [en mars 1991], le
substitut savait que cette preuve tirée des enregistrements [de
1983] avait été obtenue en violation de [l’]arrêt R. c. Duarte [de
1990155], qui avait déclaré la surveillance participative de communications privées contraire à l’article 8 de la charte [et qui] était
déjà connu et appliqué par les tribunaux du Québec. En mars
1991, le substitut [...] aurait dû savoir que la mise en preuve de la
conversation [...] serait refusée, selon une interprétation correcte,
ou qu’à tout le moins on lui nierait toute valeur probante. Il devait
également prévoir que l’enregistrement de l’interrogatoire [...]
subirait le même sort s’il essayait de l’employer»156. En second
lieu, en «déclenchant la procédure criminelle contre Proulx, le
substitut sort alors délibérément du cadre du droit pénal canadien. Il engage le processus pénal, alors que, s’il procède à une
analyse objective des éléments de preuve et des règles de droit qui
entourent l’appréciation de leur pertinence et de leur recevabilité,
il doit savoir qu’il ne peut conduire le procès à son terme et obtenir
légalement une condamnation»157. Ces deux blâmes font bien peu
de cas de ce que le dossier pénal possédait pourtant suffisamment
de teneur juridique pour franchir et l’enquête préliminaire et la
première instance judiciaire, étant entendu que son redressement
et l’acquittement du demandeur intimé ne surviendront que grâce
au recul de la jurisprudence subséquente et de la Cour d’appel du
Québec, en matière criminelle, le 20 août 1992.
51. Les véritables considérations normatives qui gouvernent la dissidence du juge LeBel reviennent sous une forme
155.
156.
157.
112
Précité, note 7.
Proulx [1999] 429; nos italiques.
Id., 430; nos italiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
condensée et explicite dans sa conclusion – au demeurant appendiculaire, car il l’a rédigée après avoir pris connaissance des
opinions de ses deux collègues majoritaires. Il y note avec raison
que malgré que ceux-ci se déclarent en accord avec certains
principes de responsabilité énoncés par lui, «en réalité [...] le
désaccord porte plutôt sur la nature et la portée des principes en
cause»158. Le juge LeBel n’a effectivement pas tort de constater
qu’«alors qu’elles reconnaissent que des fautes sérieuses ou graves
ont été commises, leurs opinions [majoritaires] excluent la
responsabilité du procureur général»159. Il ne semble cependant
pas mettre en doute sa compréhension de Nelles, ni l’usage,
différent de celui de ses deux collègues, qu’il fait de la faute. Il
estime même, dans sa persuasion, que la «conclusion de [ses
collègues majoritaires] met effectivement de côté la position de la
Cour suprême dans l’arrêt Nelles»160. Il nous appert plutôt que ce
soit la dissidence qui s’écarte substantiellement de Nelles. À la
toute fin de sa conclusion qui tient du post-scriptum, le magistrat
dissident reprend ce langage et ces règles normatives hélas trop
courants en jurisprudence et doctrine québécoises, toutes deux
fondées sur une séculaire équivoque à l’égard des sources de notre
droit, de notre common law publique. Le juge LeBel boucle en effet
sa dissidence en livrant un appel au droit de la faute, comme si le
droit civil et privé de la responsabilité extracontractuelle devait
présider à l’issue du débat: «[d]es fautes ont été commises par le
substitut. En raison de leur nature, ces fautes ne lui permettent
pas, non plus qu’au procureur général du Québec, d’invoquer
l’immunité relative que reconnaît la common law» 161 . La
judicieuse mise en garde du juge Lamer dans Nelles se serait-elle
si tôt perdue, lui qui, à sa conclusion également, insistait:
Il importe de souligner qu’il s’agit ici d’une immunité contre des
actions pour poursuites abusives; il n’est question ni d’erreurs de
jugement, ni d’erreurs dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire,
ni même de négligence professionnelle.162
IV- LES OPINIONS MAJORITAIRES
52. Concise, et elle n’avait peut-être pas à se qualifier
autrement, l’opinion du juge Beauregard partage avec celle du
158.
159.
160.
161.
162.
Id., 432.
Id., 433; nos italiques.
Ibid.
Id., 433.
Nelles, précité, note 4, 199; la version anglaise originale dit «professional negligence», que l’on aurait très bien pu traduire par «faute professionnelle», si le litige était venu du Québec.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
113
juge LeBel, que «la doctrine de l’arrêt Nelles c. Ontario trouve
application au Québec»163. Toutefois, malgré cette apparente concordance avec son collègue, le juge Beauregard colle à l’orthodoxie
du double critère cumulatif: «pour qu’une action en dommages par
suite d’un acquittement[164] puisse réussir, le demandeur doit
prouver non seulement qu’il a été poursuivi en l’absence de motifs
raisonnables et probables, mais qu’en autorisant la dénonciation
le substitut a fait montre de malveillance»165. D’autre part, même
cumulatifs, les deux critères peuvent, selon les circonstances d’un
litige, se fondre: «j’accepte», de préciser le juge Beauregard qui
n’insinue ni présomption ni équation prima facie, «qu’une absence
manifeste de motifs raisonnables et probables de culpabilité de
l’accusé peut équivaloir à de la malveillance»166. Les fondements
normatifs de l’opinion du juge Beauregard ne coïncident nullement avec ceux de la dissidence. L’écart qui les sépare devient
plus apparent encore en cours d’appréciation des faits par le juge
Beauregard qui repousse expressément et correctement le critère
de la faute. Deux fois plutôt qu’une, le juge Beauregard affirme
que, en l’espèce, «le substitut n’a pas fait montre de malveillance
au sens de l’arrêt Nelles»167, ce qui lui donne l’occasion de prendre,
par la personne interposée du juge Rioux, ses distances à l’égard
de la grille analytique engendrée par le juge LeBel. Le juge
Beauregard attribue sa volonté d’accueillir le pourvoi à la démarche rationnelle suivante:
Si j’arrive à une autre conclusion que celle du juge de première instance, ce n’est pas que j’aie une appréciation des faits qui est différente de la sienne. En réalité, pour les fins de juger de la conduite du
substitut, les faits ne sont pas contestés. Mon intervention résulte
du fait que, avec égards pour le premier juge, je suis d’avis que
celui-ci n’a pas fait une application correcte de Nelles et qu’il ne s’est
pas posé la question de savoir si le substitut avait fait montre de
malveillance au sens de l’arrêt Nelles [...] l’erreur de droit du substitut n’a pas constitué de la malveillance. Même lorsqu’elle constitue
une faute professionnelle, l’erreur de droit n’est pas de la malveillance [...] je crois faire simplement une application de l’arrêt Nelles.168
Ces critiques à l’endroit du juge de première instance, le juge
Beauregard aurait pu tout aussi bien les diriger vers la dissidence,
163.
164.
165.
166.
167.
168.
Proulx [1999] 434.
Rappelons que la Cour suprême du Canada, dans Nelles, précité, note 4, 193,
utilise le critère plus englobant de «décision favorable au demandeur».
Proulx [1999] 434.
Ibid.
Ibid.
Id., 434-435; nos italiques.
114
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
assise sur le critère de faute. Dans son épilogue, le juge LeBel,
rangé du côté du juge de première instance, reproche à ses deux
collègues majoritaires d’avoir outrepassé leur pouvoir de remettre
en cause des appréciations factuelles du jugement a quo. Ce faisant, le juge dissident revient irrésistiblement au critère de la
faute lorsqu’il présume que «le juge Rioux avait conclu à l’existence de l’intention requise pour engager la responsabilité civile
de l’appelant. Cette constatation de fait quant à l’existence de
l’intention constituait le fondement de l’opinion du premier juge
aussi quant à la qualification du comportement du substitut et à
l’identification d’une faute susceptible d’engager la responsabilité
de l’État»169.
53. Un brin plus répandu que le juge Beauregard en
matières factuelles, beaucoup moins abondant que la dissidence
sur l’élaboration du cadre normatif, le juge Brossard livre une
opinion déroutante. D’entrée de jeu il se dit «d’accord avec
l’analyse juridique exhaustive [du juge LeBel] concernant les
critères et exigences requis pour que la faute d’un substitut du
procureur général puisse être qualifiée de suffisamment grave,
grossière et malveillante ou malicieuse pour lever l’immunité
relative de celui-ci [mais] pas d’accord avec [le juge LeBel] quant à
l’application des principes juridiques qu’il dégage aux faits de
l’espèce»170. Or, quand il eut pris connaissance des opinions majoritaires, le juge LeBel ajouta en postface à sa dissidence que «le
désaccord porte plutôt sur la nature et la portée des principes en
cause»171. D’où la précarité du jugement Proulx, qui voit le juge
Brossard s’afficher en accord avec les principes juridiques énoncés
par le juge LeBel, qui, lui, après lecture de l’opinion du juge
Brossard, conclut au contraire que ce dernier s’appuie sur des
principes juridiques «de nature et portée» différentes de celles
formulées dans sa dissidence. Visiblement, les deux magistrats,
conscients de leur désaccord sur l’appréciation des faits de l’espèce, ne s’entendent guère par ailleurs sur la question de savoir
s’ils sont en accord ou non sur le droit normatif. Bref, l’un, le juge
LeBel, est en désaccord avec ce que l’autre, le juge Brossard, croit
être un accord, ce qui, on en conviendra, risque de s’avérer peu
instructif pour le justiciable.
54. Qui plus est, sauf respect, la démarche théorique
du juge Brossard ne semble pas parfaitement cristalline. On sait
169.
170.
171.
Id., 432.
Id., 435; nos italiques.
Id., 432.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
115
du distingué magistrat «que le régime de responsabilité applicable au substitut du procureur général et à ce dernier exclut que
celle-ci puisse se fonder seulement sur le simple fait de l’existence
ou de la preuve d’une faute professionnelle [et que] le fardeau
repose sur [le demandeur] d’établir par preuve prépondérante une
ou des fautes du substitut susceptibles d’être qualifiées de grossières et malveillantes, ou d’être le résultat d’un comportement
téméraire («reckless»)»172. Outre qu’il traite de responsabilité,
plutôt que d’immunité, et analyse le dossier dans cette perspective, le juge Brossard prend appui sur une faute augmentée
d’ajouts alternatifs. «En d’autres mots», précise-t-il, «l’intimé
devait établir soit une intention malveillante de la part du substitut, soit un comportement faisant délibérément fi des conséquences éventuelles d’une accusation qu’il savait ou devait savoir
ne pas pouvoir résister à l’analyse objective de la preuve»173. Mais,
à moins qu’elle ne découle entièrement du contenu normatif de la
dissidence, cette nouvelle mouture des critères de Nelles, pourtant
cumulatifs en Cour suprême du Canada, n’est accompagnée d’aucune explication relative à ses sources, ni à son caractère alternatif.
55. De toute façon, le juge Brossard a choisi comme
point de départ de la réclamation en dommages-intérêts consécutive à poursuite abusive, la faute174: «le substitut a été fautif [...]
et négligent dans l’exécution de son mandat professionnel [...] il a
incontestablement commis une faute en ne réalisant pas que, en
toute probabilité, la preuve de la conversation enregistrée serait
ou devait être jugée inadmissible [...] Il s’agit là d’une faute certes
sérieuse mais, à mon avis, de caractère strictement professionnel
[...] Le substitut a incontestablement été fautif [...] Il s’agit là
d’une faute d’omission»175. Il nous paraît souhaitable que ces affirmations soient éventuellement identifiées par nos tribunaux
comme de simples obiter dicta. D’abord, Nelles et l’immunité relative énoncent quatre critères clairs et précis dont aucun ne réfère
ni à la faute ni à la negligence. Notre Cour d’appel ne semble pas
172.
173.
175.
Id., 436.
Ibid. Le juge Brossard écrira aussi que «le fardeau repose sur [le demandeur]
d’établir l’intention malveillante du substitut ou que son comportement avait
été téméraire et grossièrement négligent» (ibid.).
Bien qu’il choisira, en une occasion, de traiter des «erreurs professionnelles» du
substitut: id., 442. En une autre occasion, il écrira que le substitut «peut se tromper. Sa conviction peut être erronée. Ce n’est que si cette erreur résulte de ou est
grossière au point d’équivaloir à un comportement téméraire, malveillant ou
malicieux, qu’elle engage sa responsabilité»: id., 443.
Ibid.; nos italiques.
116
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
174.
saisir que le but de l’immunité relative consiste non seulement à
éviter, dans les circonstances déterminées, la condamnation du
procureur général et de ses substituts à verser des dommagesintérêts, mais aussi à empêcher que des erreurs, le cas échéant, ne
fassent l’objet d’allégations et de tentatives de démonstration
judiciaire de comportements fautifs ou de negligence chez ceux-ci.
Il ne s’agit guère de créer une classe de professionnels privilégiés,
intouchables, mais de maintenir franche et libre l’exécution,
l’acquittement d’un devoir public de nature quasi judiciaire. Pas
plus qu’on ne recherche les fautes des instances judiciaires, dotées
d’une immunité absolue il est vrai, ou des instances quasi judiciaires, pareillement protégées176, ne doit-on rechercher, en vertu
des immunités relatives, les fautes des auteurs de décisions,
gestes ou actes quasi judiciaires qui, erronés, ont causé dommages. En second lieu et surtout, comme le note pourtant le juge
Brossard lui-même, qui y applique toutefois le critère du malveillant ou malicieux, «il n’en demeure pas moins que aussi
improbable ou déraisonnable qu’ait pu être le verdict final, l’intimé avait néanmoins été cité à procès à la suite de son enquête
préliminaire, c’est-à-dire que la preuve avait paru suffisante à un
juge pour être soumise à l’appréciation d’un jury [...] il peut être
difficile, sinon même délicat, de qualifier de malveillante ou
malicieuse ou de téméraire («reckless») la démarche du substitut
alors qu’elle est, à première vue, sanctionnée de façon préliminaire par des décisions du tribunal»177. Comment alors les
mêmes erreurs, reproches ou lacunes imputés au substitut, par
ailleurs entièrement connus, soupesés et bénis par ce juge d’une
cour supérieure pénale, peuvent-ils être taxés de fautifs? En
d’autres termes, les erreurs de droit, irrégularités juridiques ou
illégalités ouvertement commises de bonne foi (le juge Brossard a
écarté la malveillance et la témérité des défendeurs appelants)
par un procureur, en poursuite ou en défense, devant un juge
d’une cour supérieure, et non décelées par ce dernier, seraientelles des fautes chez ce procureur mais de simples erreurs chez ce
juge qui, en vertu de ses connaissances professionnelles présumées adéquates, approuvait les gestes du procureur en dépit, de
surcroît, des objections expresses des avocats de l’accusé?
56. En somme, l’opinion du juge Brossard ne serait
peut-être pas du plus grand secours pour déterminer l’état exact
du droit sur la question en litige. L’incertitude ne résulterait pas
176.
177.
Morier c. Rivard, précité, note 61.
Id., 439-440.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
117
uniquement d’une appréciation discutable de certains faits de
l’espèce jugés fautifs, appréciation au demeurant périphérique à
la ratio decidendi, mais, plus fondamentalement, du cadre juridique de l’analyse menée par le magistrat. Ce dernier se situe
prioritairement en terrain de responsabilité civile et de faute de
droit privé, plutôt qu’en matière d’immunité relative et des quatre
conditions de common law publique. À cela, il enchevêtre, par simple référence, les explications normatives du juge LeBel, dissident
et qui proteste vigoureusement contre cette accolade du juge
Brossard. D’où notre réticence à considérer comme définitionnelle
du droit de l’immunité relative du procureur général et de ses
substituts à raison d’accusations abusives, l’affirmation suivante
du juge Brossard:
L’intimé n’a pas établi, en l’espèce, que la négligence ou que les fautes reprochées au substitut répondaient au test établi par la Cour
suprême du Canada dans l’arrêt Nelles, et si bien explicité par mon
collègue le juge LeBel, pour permettre de lever l’immunité relative
dont bénéficie l’intimé en l’instance et son substitut.178
CONCLUSION
57. La décision Proulx du 11 février 1999 aura des
retombées jurisprudentielles que seul un prophète pourrait anticiper et mesurer exactement. Le bilan que l’on dressera de cette
décision sera donc partiel et provisoire. Dans la colonne des
éléments positifs, on peut d’abord féliciter la Cour d’appel du Québec d’avoir unanimement reconnu à la common law publique et à
l’arrêt Nelles une autorité certaine sur la solution d’un litige
impliquant la responsabilité extracontractuelle du procureur
général du Québec et de ses substituts à raison d’accusations ou
poursuites pénales erronées ou malicieuses. C’est un important
pas franchi dans la bonne direction par une Cour d’appel qui, en
1996 encore, dans Levy179, répétait la thèse de l’exclusivité, du
monopole, du droit civil privé sur la question. En second lieu, bien
qu’elle y parvienne par des voies obliques dont l’une, tracée par le
juge Brossard, n’est peut-être pas de la plus rigoureuse cartographie juridique, la majorité de la Cour se saisit heureusement
de l’esprit et, dans le cas du juge Beauregard, de la lettre même de
l’immunité relative établie par la common law publique dans
Nelles. Inopportun d’un point de vue strictement juridique, le
phénomène contraire aurait en outre produit sur le procureur
général et ses substituts cet «effet paralysant» que voulait éviter
178.
179.
118
Id., 442.
Précité, note 99.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
le juge Lamer180 et auquel pourrait conduire le régime normatif,
inhibiteur, promu par le juge LeBel.
58. L’arrêt Proulx, à son débit, n’offre pas toutes les
garanties que l’on pourrait normalement attendre d’une sentence
de la Cour d’appel. Primo, l’exposé normatif, de substance juridique, le plus étendu et fouillé, demeure la dissidence. À moins
qu’il ne soit éventuellement endossé par la Cour suprême du
Canada, un jour ou l’autre181, un énoncé juridique issu d’une dissidence, quels qu’en soient la rigueur et le bien-fondé, peut
difficilement faire jurisprudence et servir de guide aux instances
inférieures ou de même rang. Secundo, ainsi que l’objecte le juge
LeBel lui-même, il serait inexact de prétendre que son énoncé
normatif recueille, malgré son caractère dissident, l’assentiment
de ses deux collègues majoritaires. Tout ce sur quoi le juge
Beauregard affirme expressément partager l’avis du juge dissident, c’est sur le point que «la doctrine de l’arrêt Nelles c. Ontario
trouve application au Québec»182. La suite du raisonnement du
juge Beauregard démontre éloquemment que celui-ci fréquente
d’autres avenues, d’ailleurs plus fidèles à Nelles, que celles
défrichées et foulées par le juge LeBel. Quant à l’endossement, par
le juge Brossard, des explications de fond du juge LeBel, la fin de
non-recevoir que ce dernier lui sert le rend à toute fin utile caduc.
Tertio, car une opinion minoritaire ne perd pas, de cette seule
qualité, toute valeur juridique, la dissidence ouvragée du juge
LeBel doit quand même être traitée avec grande circonspection.
D’abord, elle fait un détour superflu, qui pourrait s’avérer risqué
en d’autres conditions ou litiges engageant la puissance publique,
dans la distinction politique-opérationnel, distinction impertinente et justement ignorée par Nelles. En deuxième lieu, elle
traite l’immunité relative déterminée par la common law publique de Nelles, comme une notion gigogne qui recèlerait des instruments de droit civil privé de responsabilité extracontractuelle,
notamment une faute professionnelle de type spécial. Or, estimons-nous comme le juge Beauregard, il n’y a pas lieu de «traduire» l’arrêt Nelles en droit québécois, mais d’en «faire
simplement une application»183. Conséquemment et en troisième
lieu, parmi les quatre critères énoncés par Nelles, les deux
derniers, «l’absence de motif raisonnable et probable» et
180.
181.
182.
183.
Nelles, précité, note 4, 196-197.
Autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été accordée le 14 octobre 1999.
Proulx [1999] 434.
Id., 435.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
119
«l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui
de l’application de la loi», sont bel et bien cumulatifs, et non
alternatifs comme persiste à l’affirmer le juge LeBel, sur la foi
d’une jurisprudence de notre tribunal d’appel que l’on
souhaiterait définitivement archivée depuis Nelles. Quatrièmement, que «l’absence de cause raisonnable et probable» puisse, en
circonstances idoines, équivaloir à «malice ou mauvaise foi», certes, ainsi que l’accepte le juge Beauregard lorsque cette absence
est manifeste184. Mais telle équivalence circonstancielle n’a pas la
teneur d’une présomption à laquelle consent malheureusement la
dissidence.
59. La Cour d’appel du Québec n’a pas su tirer profit,
ni faire profiter les milieux juridiques québécois, de l’occasion que
lui tendait le litige Proulx, par ailleurs immensément déplorable,
pour dissiper, nettoyer les malentendus et contradictions patentes dont sont farcies notre jurisprudence et notre doctrine en
matière d’immunités, d’une part, et de responsabilité civile extracontractuelle, de l’autre, incidemment à l’égard de la puissance
publique. Les premières sont de common law publique, ou de droit
statutaire évidemment, et protègent autant particuliers
qu’agents ou officiers publics, à raison non pas de leur qualité ou
statut personnel, mais plutôt d’actes, de fonctions publics qu’ils
accomplissent dans l’intérêt collectif. Ce n’est qu’après avoir
transpercé cette armure de droit public que s’applique la seconde,
de droit privé, soit la responsabilité civile extracontractuelle. Ici,
prioritairement, l’immunité tient à quatre conditions de common
law publique. Là, subsidiairement, la responsabilité résulte de la
faute, du lien de causalité, puis de la nature et de l’étendue des
dommages, tous éléments propres au droit privé québécois. Que
l’on veuille considérer le bris ou la violation d’une immunité de
droit public comme, en outre, au niveau de la responsabilité
extracontractuelle, une faute de droit privé, soit. Qu’une faute de
droit privé, même choquante ou «qualifiée», constitue à elle seule
le bris ou la violation d’une immunité de droit public, nenni. À
moins, bien sûr, que le droit public y ait consenti, ce que Nelles n’a
pas voulu. Tout compte fait, des trois opinions livrées dans Proulx,
celle du juge Beauregard, sobre à l’excès, nous paraît préférable
car loyale à Nelles, et devrait faire jurisprudence, encore qu’elle
nous prive regrettablement d’un si précieux non-dit.
184.
120
Id., 434.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Considérations sur l’appel, à la
Cour du Québec, des décisions
des tribunaux administratifs
Suzanne COMTOIS
Résumé
Ce texte – sur les particularités de l’appel, à une cour générale de justice, de décisions prises par des tribunaux administratifs – s’insère dans le questionnement sur les rôles respectifs des
tribunaux administratifs et des cours de justice dans
l’interprétation et l’application des lois à caractère spécialisé. Il a
pour objet de mesurer l’impact des contraintes d’origine jurisprudentielle qui restreignent les pouvoirs d’intervention des juridictions d’appel, plus particulièrement ceux de la Cour du Québec, et
partant d’aider à évaluer ce que le justiciable peut attendre de ce
recours.
À cette fin, la première section traite de l’attitude de réserve
traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de faits
du décideur initial. La seconde section traite de l’émergence d’un
devoir de retenue plus vaste, susceptible de s’appliquer aussi à des
questions de droit ou mixtes de fait et de droit. Enfin, la troisième
section évalue l’impact de cette évolution jurisprudentielle sur la
compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec, à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs.
Sans nier que l’approche restrictive adoptée par la Cour
suprême puisse être adaptée et légitime, dans des cas du type de
ceux visés dans les arrêts Pezim et Southam, l’auteure déplore la
confusion qu’elle génère et critique l’application trop large qu’en a
fait la jurisprudence étudiée.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
121
Considérations sur l’appel, à la
Cour du Québec, des décisions
des tribunaux administratifs
Suzanne COMTOIS*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
Section 1:
L’attitude de retenue traditionnellement
manifestée par les juridictions d’appel à l’égard
des conclusions de fait du décideur de première
instance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
1.1 Principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
1.2 Justifications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
Section 2:
L’émergence, au sein des juridictions d’appel, d’un
devoir de retenue plus vaste découlant du principe
de la spécialisation des tâches . . . . . . . . . . 131
2.1 Fondement et domaine d’application initial du principe
de spécialisation des tâches: la révision judiciaire . 131
2.2 Extension de ce principe à une cour exerçant une fonction d’appel: les arrêts Pezim et Southam. . . . . . 133
2.3 La norme de retenue applicable à une cour siégeant en
appel: la décision déraisonnable simpliciter ou simplement déraisonnable . . . . . . . . . . . . . . . . . 134
2.4 Quelques précisions sur les contextes dans lesquels la
Cour suprême a jugé cette 3e norme applicable. . . 135
*
Avocate et professeure Faculté de droit Université de Sherbrooke. L’auteure
tient à remercier M. Frédérick Breton, étudiant de 2e année pour son assistance
dans le repérage de sources.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
123
Section 3:
Impact de cette évolution jurisprudentielle sur la
compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec à
l’égard de décisions rendues par des organismes ou
tribunaux administratifs . . . . . . . . . . . . 139
3.1 Appels en matière de déontologie policière . . . . . 141
3.2 Appels en matière de déontologie professionnelle . 142
3.3 Appels en matière d’évaluation foncière . . . . . . 143
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
124
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
INTRODUCTION
L’appel étant un recours statutaire, il n’existe que s’il est
prévu expressément dans une loi1. Au Québec, de nombreuses lois
reconnaissent au justiciable un droit d’appel, à la Cour du Québec,
de décisions prises par des tribunaux ou organismes administratifs. C’est le cas notamment de décisions prises dans des domaines
tels l’accès à l’information2, la déontologie policière3; la protection
du territoire agricole4, l’évaluation foncière5, le contrôle des logements locatifs6, les valeurs mobilières7, la déontologie profession-
1. Sur l’appel voir notamment: Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Précis de Contentieux administratif, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1982, p. 449 s.; René
DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition, t. 111,
Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 522; Patrice GARANT, Droit administratif, 4e édition, t. 2, Les Éditions Yvon Blais, 1996, p. 521 s.; David J. MULLAN,
Administrative Law, 3e édition, Carswell, 1996, paragraphes 812 s.; P. GIROUX
et S. ROCHETTE dans Droit Public et Administratif, vol. 7, Collection de droit
1998-1999, p. 133 s. et Y. OUELLETTE, Les Tribunaux administratifs au
Canada, Les Éditions Thémis Inc., 1997.
2. Appel des décisions de la Commission d’accès à l’information prévu dans la Loi
sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., c. A-2.1, art. 147, décision sans appel, art. 154; Loi
sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c.
P-39.1, art. 61, décision sans appel, art. 69.
3. Appel des décisions du Comité de déontologie policière prévu dans la Loi sur
l’organisation policière, L.R.Q., c. O-8.1, art. 133, 136, décision finale et sans
appel, art. 147.
4. Appel des décisions du T.A.Q. prévu à l’art. 159 Loi sur la justice administrative
(1996, chapitre 4) et Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles,
L.R.Q., c. P-41.1, art. 21.1. La décision de la Cour du Québec est sans appel,
article 164 de la Loi sur la justice administrative. Le T.A.Q. a remplacé le Tribunal d’appel en matière de protection du territoire agricole, art. 852 de la Loi sur
l’application de la Loi sur la justice administrative, (1997, chapitre 43).
5. Appel des décisions du Tribunal administratif du Québec prévu à l’article 159 de
la Loi sur la justice administrative. La décision de la Cour du Québec est sans
appel, article 164 de la Loi sur la justice administrative. Le TAQ a remplacé le
Bureau de révision de l’évaluation foncière du Québec, art. 138.5 de la Loi sur la
fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1 et art. 852 de la Loi sur l’application de la Loi
sur la justice administrative, (1997, chapitre 43). On notera en outre qu’en cette
matière le législateur a supprimé le second palier d’appel antérieurement exercé
par la Cour d’appel du Québec.
6. Appel des décisions de la Régie du logement prévu dans la Loi sur la Régie du
logement, L.R.Q., c. R-8.1, art. 91, décision sans appel, art. 102.
7. Appel des décisions de la Commission des valeurs mobilières du Québec prévu
dans la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1, art. 324 (3 juges), décision
appelable à la Cour d’appel, art. 330.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
125
nelle,8 etc.9. Selon le libellé de la disposition habilitante, le droit
d’appel ainsi conféré peut être de plein droit ou sur permission,
porter sur toute question de fait et de droit ou avoir un objet plus
limité.
Aux plans curatif et préventif, l’appel comporte d’importants
avantages que les auteurs Pépin et Ouellette ont résumé de la
façon suivante: «possibilité de remédier aux erreurs et aux insuffisances du premier juge; harmonisation des multiples jugements
rendus par les nombreux juges de première instance; effet préventif salutaire sur le premier juge de la seule possibilité que son jugement puisse être révisé par d’autres, etc.»10. Cependant, l’appel, à
une cour ordinaire de justice, d’une décision d’un tribunal administratif soulève des difficultés particulières puisqu’il risque de
contrecarrer l’intention première qu’avait le législateur en confiant la solution de ces litiges à des organismes spécialisés. Appelées à donner effet à ces volontés potentiellement contradictoires
du législateur, les cours, sous l’autorité de la Cour suprême du
Canada, ont adopté une approche qui privilégie l’expertise particulière de l’interprète et limite de plus en plus l’étendue du
contrôle exercé en appel sur les décisions des tribunaux administratifs.
Le présent texte s’intègre dans ce questionnement sur les
rôles respectifs des tribunaux administratifs et des juridictions
d’appel dans l’interprétation et l’application des lois spécialisées.
Il a pour objet de cerner les contraintes d’origine jurisprudentielle
qui limitent les pouvoirs d’intervention des juridictions d’appel,
plus particulièrement ceux de la Cour du Québec, et partant,
d’aider à évaluer ce que le justiciable peut attendre de ce recours.
Après quelques remarques sur la portée, de principe, de l’appel, il
conviendra de traiter successivement de l’attitude de réserve traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de fait du
8.
Appel des décisions du Comité de discipline des Ordres professionnels prévu
dans le Code des professions, L.R.Q., c. C-26, art. 164.
9. Pour une liste plus complète des organismes dont les décisions sont susceptibles d’appel à la Cour du Québec, voir Rapport du Groupe de travail sur
certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative, Une justice administrative pour le citoyen, Québec, 1994, 158 pages, p. 78 à 80 (Rapport
Garant). En raison des contraintes de temps et des particularités dans le
traitement jurisprudentiel de ce domaine, la présente étude ne fera pas état des
appels logés dans le domaine du droit du travail, plus particulièrement des
décisions du Commissaire du travail appelables au Tribunal du travail en vertu
du Code du travail, L.R.Q., c. C-27, art. 118.
10. Précis de Contentieux administratif, supra note 1, p. 449.
126
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
décideur initial (1), puis, à la lumière des arrêts Pezim11 et Southam12, de l’émergence d’un devoir de retenue plus vaste, découlant du principe de la spécialisation des tâches (2) et enfin
d’examiner l’impact de cette évolution jurisprudentielle sur la
compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec, à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs (3).
Remarques préliminaires sur la portée de l’appel:
En raison de son origine législative, la portée de l’appel peut
varier d’un texte à l’autre, de sorte que pour chaque cas, il faut s’en
remettre au texte précis de l’habilitation13. Cependant, en dépit de
cette diversité, il semble possible d’identifier deux catégories principales d’appel: l’appel non défini ou général qui porte sur toute
question de fait ou de droit14, et l’appel limité aux questions de
droit et de compétence ou aux seules questions de droit. Relativement à cette dernière catégorie, on notera que l’appel limité aux
questions de droit inclut la possibilité de réviser les erreurs de
compétence, puisque ces dernières sont simplement une sorte
d’erreur de droit.
Il est généralement admis qu’à moins de disposition contraire, l’exercice d’une fonction d’appel autorise le juge non seulement à confirmer ou infirmer la décision soumise mais aussi à la
modifier et, le cas échéant, substituer sa propre opinion à celle du
décideur initial. En effet, comme le rappelait la haute juridiction
dans les arrêts Bell Canada c. CRTC15 et Pezim16:
(E)n principe, le tribunal saisi d’un appel a le droit d’exprimer son
désaccord avec le raisonnement du tribunal d’instance inférieure...
sur des questions qui relèvent du pouvoir d’appel prévu par la loi.17
11. Pezim c. Colombie-Britannique, [1994] 2 R.C.S. 557.
12. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S.
748.
13. René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition,
t. 111, Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 526.
14. Selon la jurisprudence et la doctrine, à moins qu’il ne soit limité expressément
aux seules questions de droit et/ou de compétence, l’appel permet en principe à
la cour de réviser les questions de fait. À ce propos, voir notamment René
DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition, t.
111, Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 527 s. et jurisprudence citée.
Voir aussi P. GIROUX. et S. ROCHETTE, dans Droit Public et Administratif,
vol. 7 collection de droit 1998-1999, p. 133 s.
15. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) c.
Bell Canada, [1989] R.C.S. 1722, 1746.
16. Supra note 11.
17. Id., p. 591.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
127
Les pouvoirs du juge d’appel sont donc, en principe, beaucoup
plus étendus que ceux du juge de surveillance dont le rôle se limite
essentiellement à contrôler la légalité considérée au sens strict,
c’est-à-dire au sens de défaut ou d’excès de juridiction. Cependant,
en pratique, même lorsque l’appel est général, les cours d’appel
ont tendance à s’imposer une certaine retenue. Pour bien saisir la
mesure de cette contrainte d’origine jurisprudentielle, nous traiterons, en premier lieu, de la retenue traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de fait et, en second lieu, du devoir
de retenue plus large, découlant du principe de la spécialisation
des tâches. Autrement dit, il sera question de la retenue judiciaire
avant et après les arrêts Pezim et Southam.
SECTION 1: L’ATTITUDE DE RETENUE
TRADITIONNELLEMENT MANIFESTÉE
PAR LES JURIDICTIONS D’APPEL À
L’ÉGARD DES CONCLUSIONS DE FAIT
DU DÉCIDEUR DE PREMIÈRE INSTANCE
1.1 Principes
Même avant l’émergence du principe de la spécialisation des
tâches, les cours d’appel avaient l’habitude de faire preuve de
réserve à l’égard des conclusions de fait des juges de première instance. Dans l’arrêt Stein c. «Kathy K.» (Le navire)18, la Cour
suprême, sous la plume du juge Ritchie, décrivait la norme d’intervention applicable dans les termes suivants:
[...] il est généralement admis qu’une cour d’appel doit se prononcer
sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si
elles sont manifestement erronées et non si elles s’accordent avec
l’opinion de la Cour d’appel sur la prépondérance des probabilités.19
Une cour d’appel pourrait ainsi réviser les conclusions de fait
si elle était d’avis qu’elles ne sont aucunement étayées par la
preuve et elle a, à cet égard, «l’obligation de réexaminer la preuve
afin de s’assurer qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise»20.
Toutefois, en l’absence d’une erreur manifeste, il ne lui appartient
pas de substituer son appréciation quant au poids de la preuve à
18. [1976] 2 R.C.S. 802.
19. Id., p. 806. Voir aussi les arrêts Schwartz c. R., [1996] 1 R.C.S. 254, 279 s.;
Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, 9 et Hodgkinson c. Simms,
[1994] 3 R.C.S. 377, p. 426.
20. Stein c. «Kathy K.» (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808.
128
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
celle du décideur de première instance, particulièrement s’il s’agit
d’apprécier la crédibilité d’un témoin21.
Récemment réaffirmé dans l’arrêt Southam22, ce principe de
non-intervention vise les conclusions de fait d’un juge de première
instance. Mais les cours, notamment la Cour du Québec, en ont
étendu l’application à l’appel d’une décision d’un tribunal administratif23. Ainsi, dans les multiples domaines relevant de sa compétence d’appel, qu’il s’agisse de déontologie policière24, de
discipline professionnelle25, d’accès à l’information26 ou d’évaluation municipale27, il est généralement admis que pour intervenir
dans les conclusions de fait du décideur initial, la Cour du Québec
exige la démonstration d’une erreur manifeste et déterminante.
1.2 Justifications
La principale raison invoquée pour justifier la retenue à
l’égard des conclusions de fait – laquelle vaut d’ailleurs tout
21. Voir notamment Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 426 et BeaudoinDaigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, p. 8-9; Boulis c. Ministre de la
main-d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875. Sur cette question voir
aussi J.C. HÉBERT, «L’appel d’une décision déraisonnable», (1997) 57:1 R. du
B. 145 p. 147 et s. et Y. OUELLETTE, Les Tribunaux administratifs au Canada,
Les Éditions Thémis Inc., 1997, p. 373 s.
22. Supra note 12, au paragr. 59 du jugement.
23. La Cour du Québec fonde ce devoir de réserve quant aux questions de fait sur les
grands arrêts de la Cour suprême cités plus haut. Les jugements cités dans les
notes qui suivent en sont des exemples. Pour ce qui est des autres juridictions
d’appel, voir notamment Heincke c. Brownwell, (1992) 4 Admin.L.R. (2d) 213
(Ont. Div.Ct).
24. Voir notamment Cyr c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] J.Q. 1231
(C.Q.); Coallier c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] A.Q. 187 (C.Q.);
Benoît c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] A.Q. 37 (C.Q.); Comité
de déontologie policière c. Chenel, [1997] A.Q. 345 (C.Q.); et Plante c. Comité de
déontologie policière du Québec, [1996] A.Q. 2415 (C.Q.).
25. St-Laurent c. Ordre professionnel des médecins du Québec, [1997] A.Q. 3914
(C.Q.); Gesse c. Tannerbaum, [1998] A.Q. 1696 (C.Q.); et Desrosiers c. Barreau
du Québec, [1998] A.Q. 1696 (C.Q.).
26. Voir notamment, École Secondaire Notre-Dame de Lourdes c. Fédération Nationale des Enseignants du Québec et Commission d’accès à l’information [1992]
R.J.Q. 2933 (C.A.). Il s’agissait, dans cette affaire, d’une demande de communication des états financiers d’une école privée. L’école avait refusé en s’appuyant
sur les art. 21 et 22 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et
sur la protection des renseignements personnels, supra note 2. La Commission a
estimé que les documents n’étaient pas visés par ces dispositions et qu’ils
devaient être divulgués au motif qu’ils ne contenaient ni projet futur, ni budget
pour l’année. La Cour du Québec a renversé la décision de la Commission au
motif qu’ils s’agissait de documents visés par l’article 22 et que rien dans la
preuve n’étayait la conclusion contraire.
27. Voir notamment Montréal (Communauté urbaine) c. Anstalt, [1997] A.Q. 2638
(C.Q.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
129
autant que l’appel vise la décision d’un juge ou d’un tribunal administratif – est la position privilégiée dans laquelle se trouve le
décideur de première instance, pour apprécier les questions de
fait, puisqu’il a vu et entendu les témoins alors que le tribunal
d’appel procède habituellement sur dossier28. Autrement dit, on
estime que si le juge d’appel (qui n’a pu profiter des avantages de
l’audition) ne peut se convaincre que le décideur initial (qui lui a
eu ce bénéfice) a commis une erreur manifeste, il est alors de son
devoir de déférer à son jugement29.
En contexte quasi judiciaire, les juges insistent en outre sur
l’expertise de l’organisme et parfois, sur la discrétion qui lui est
conférée, pour expliquer leur pouvoir limité d’intervention à
l’égard de leurs décisions. À titre d’exemple, dans Place St-Eustache c. Ville de St- Eustache30, la Cour d’appel motive ainsi le devoir
de réserve judiciaire en ce qui a trait au choix de la méthode
d’évaluation et son application dans le cadre de l’évaluation foncière: ni la Cour provinciale (maintenant la Cour du Québec), ni la
Cour d’appel qui exerce le second palier d’appel en la matière ne
doivent
[...] se substituer au Bureau pour décider autrement que lui les
questions dont le règlement requiert l’exercice d’une discrétion, ni
intervenir si l’évaluation faite par le Bureau n’est pas manifestement erronée ni basée sur des principes de droit mal fondés, s’il n’a
pas omis des éléments de preuve importants ni si la méthode suivie
pour déterminer la valeur réelle n’a pas pour effet de créer une
injustice certaine. L’importance attachée à la décision du Bureau
de révision, sous son aspect compétence spécialisée, démontre qu’il
est avec les estimateurs à la base du processus d’évaluation et que
c’est à lui que revient primordialement l’enquête de première instance au cours de séances tenues conformément à la loi, en respectant le principe audi alteram partem.31
Comme on le verra plus en détail dans la section 3 du texte, la
jurisprudence récente est au même effet. Pour les raisons données
28. Selon la jurisprudence, à moins que la loi n’indique clairement le contraire,
l’appel, à une cour de justice des décisions d’un tribunal administratif, n’est pas
un appel de novo. Il s’agit plutôt d’un appel sur dossier. Sur cette question voir
doctrine citée note 1 et la jurisprudence qui y est rapportée.
29. Voir notamment, Stein [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808 et Dorval c. Bouvier, [1968]
R.C.S. 268, p. 293. A contrario, il a été jugé que lorsque l’appel procède de novo
ou qu’une nouvelle preuve est introduite devant la juridiction d’appel, cette
dernière devait laisser tomber la retenue et procéder de novo à l’appréciation de
la preuve. Voir notamment: Petit c. Guimont, [1998] R.J.Q. 887 (C.S.) et Ville
d’Amos c. Centre chrétien d’Amos inc, J.E. 98-2010 (C.A.), particulièrement les
notes du juge Dussault.
30. [1975] C.A. 131.
31. Id., p. 133.
130
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
plus haut, les juridictions d’appel refusent systématiquement
d’intervenir dans le choix de la méthode d’évaluation et de son
application, à moins d’erreur manifeste32.
On retrouve également une autre illustration de ces justifications dans Blais c. Colas33 où la Cour d’appel du Québec qualifie la
retenue pratiquée par le Tribunal des professions dans l’appréciation des faits de «règle de prudence institutionnelle» au motif
qu’il ne jouit pas de la position privilégiée du Comité de discipline
– une instance spécialisée – qui a eu le bénéfice de recevoir la
preuve fournie par les témoins34.
On notera enfin que selon la jurisprudence traditionnelle, la
cour siégeant en appel n’avait pas, en principe, de devoir de déférence à l’égard des conclusions de droit dégagées en première instance35. Cependant, la Cour suprême a développé un principe de
spécialisation des tâches qui vient aussi restreindre le contrôle
judiciaire des questions de droit ou mixtes de fait et de droit de
l’organisme et qui, depuis les arrêts Pezim et Southam, peut
s’appliquer à une cour siègeant en appel. Dans la prochaine section, il conviendra d’abord, de rappeler très brièvement les assises
de cette politique de retenue judiciaire pour ensuite analyser le
contexte et les modalités de son extension à une cour siégeant en
appel.
SECTION 2: L’ÉMERGENCE, AU SEIN DES
JURIDICTIONS D’APPEL, D’UN DEVOIR
DE RETENUE PLUS VASTE DÉCOULANT
DU PRINCIPE DE LA SPÉCIALISATION
DES TÂCHES
2.1 Fondement et domaine d’application initial du
principe de spécialisation des tâches: la révision
judiciaire
Rappelons d’abord que le principe de spécialisation des
tâches dont découle la politique de retenue judiciaire à l’égard des
décisions des tribunaux spécialisés a été développé dans le contexte de recours en révision judiciaire, et non de recours en appel.
Le point de départ de cette politique remonte à 1978 avec l’affaire
Syndicat canadien de la fonction publique c. Société des alcools du
32.
33.
34.
35.
Voir section 3 du présent texte, notes 86 à 89.
[1997] R.J.Q. 1275.
Id., p. 1279.
Sur ce point voir doctrine citée note1 et la jurisprudence qui y est rapportée.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
131
Nouveau-Brunswick36. Dans l’abondante jurisprudence qui a
suivi37, la Cour suprême a, de façon constante, réaffirmé sa
volonté de faire preuve de retenue non seulement à l’égard des
questions de fait constatées par le tribunal mais aussi des questions de droit ou mixtes de fait et de droit relevant de sa compétence et de son expertise. La norme de contrôle jugée applicable
étant alors l’erreur manifestement déraisonnable38.
Pourquoi restreindre le contrôle judiciaire? Dans les explications, parfois assez longues, qu’elle a données pour justifier le
devoir de retenue du juge de révision, la Cour invoque principalement le souci de respecter le choix du législateur de confier la solution de tels litiges à des organismes spécialisés plutôt qu’aux cours
de justice. À cette raison formelle s’ajoute une autre considération, plus pragmatique, qui amène la cour à rechercher qui, de la
cour ou du tribunal, est le plus compétent pour interpréter le statut et trancher la question en litige. Et, comme souvent, les tribunaux sont jugés mieux placés que les cours pour apprécier
l’ensemble des circonstances et assurer la réalisation des objectifs
de la loi, la cour considère être de son devoir de protéger l’autonomie décisionnelle de ces dernières39. La déférence à l’égard des
interprétations que font les organismes des lois qu’ils ont à appliquer dénote en outre une certaine conception de l’interprétation
juridique qui postule, comme l’indiquait le juge Dickson dans Syndicat canadien de la fonction publique, que dans l’interprétation
de textes ambigus touchant des domaines spécialisés, «(i)Il n’y a
pas une interprétation unique dont on puisse dire qu’elle soit la
36. [1979] 2 R.C.S. 227.
37. C’est-à-dire plus d’une quarantaine de jugements, pour la plupart d’une longueur fort appréciable, dont la liste est fournie en annexe.
38. Pour une synthèse des principes dégagés dans cette abondante jurisprudence
voir notamment les arrêts Pezim c. Colombie-Britannique, [1994] 2 R.C.S. 557
et Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982. Il existe aussi sur
cette question une abondante doctrine, voir notamment: Wade MCLACHLAN,
«Reconciling Curial Deference with a Functional Approach in Substantive and
Procedural Judicial Review», (1993) 7 C.J.A.L.P. 1. et S. COMTOIS, Les
méandres de la politique de retenue judiciaire à l’égard des décisions des
tribunaux administratifs, dans Développements récents en droit administratif
(1995) Les Éditions Yvon Blais. p. 187.
39. Sur les justifications de la politique de retenue judiciaire voir notamment
National Corn Growers Canada c. T.C.I., [1990] 2 R.C.S. 1324; Canada c. Alliance de la fonction publique, [1991] 1 R.C.S. 614; Lapointe c. Domtar, [1993] 2
R.C.S. 756 et Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982. Pour une
critique de cette doctrine judiciaire voir Luc TREMBLAY, «La norme de retenue
judiciaire et les «erreurs de droit» en droit administratif: une erreur de droit?
Au-delà du fondationalisme et du scepticisme», (1996) 56 R. du B. 141.
132
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
«bonne»». Dans ce contexte, la cour estime qu’il est préférable de
laisser prévaloir l’interprétation de l’expert, à moins que cette
interprétation ne soit déraisonnable au point de ne pouvoir
s’appuyer rationnellement sur le texte législatif pertinent40.
2.2 Extension du devoir de retenue à une cour siégeant
en appel: les arrêts Pezim et Southam
Selon les principes qui se dégagent des arrêts Pezim et Southam, le devoir de retenue imposé à une cour siégeant en appel se
fonde aussi, principalement, sur l’expertise de l’organisme administratif. Dans Southam, le juge Iacobucci, au nom de la Cour,
affirme à ce propos:
L’expertise, qui en l’espèce se confond avec l’objet de la loi appliquée
par le tribunal, est le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable.41
Puis, il ajoute plus loin:
[...] l’appel d’une décision d’un tribunal administratif spécialisé
n’est pas exactement comme un appel formé contre une décision
d’une cour de première instance. Si le Parlement confie l’examen de
certaines questions à un tribunal administratif plutôt qu’aux tribunaux ordinaires (du moins en première instance), il est permis de
présumer que c’est parce que le tribunal administratif apporte un
certain avantage que les juges ne sont pas en mesure d’offrir. Pour
cette seule raison, le contrôle des décisions d’un tribunal administratif doit souvent se faire non pas en regard de la norme de la décision correcte, mais en fonction d’une norme exigeant de faire
montre de retenue.42
Toutefois, lorsqu’il vise une cour exerçant une fonction d’appel, le devoir de retenue est modulé à la baisse, puisque le juge
d’appel, à la différence du juge de surveillance, n’a pas à exiger,
pour intervenir, la démonstration d’un excès de juridiction. C’est
pourquoi, la Cour suprême a dû introduire une 3e norme de contrôle judiciaire, moins sévère que la norme de l’erreur manifestement déraisonnable: la norme de l’erreur déraisonnable
simpliciter.
40. Il est possible que d’autres types de considérations soient prises en compte, par
exemple un souci d’efficacité qui amènerait les cours à limiter le contrôle
judiciaire pour économiser les ressources judiciaires ou pour assurer que
certains types de litiges soient traités promptement mais si, dans les faits, la
cour en tient compte, elle n’en parle pas. Ce type de considérations est généralement absent du discours.
41. Supra note 12, paragraphes 50 et 54 du jugement.
42. Id., paragraphe 55 du jugement.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
133
Après avoir tenté de situer cette nouvelle norme de contrôle
par rapport aux normes déjà existantes, il conviendra d’apporter
quelques précisions sur les contextes dans lesquels la Cour
suprême l’a jugée applicable. C’est en tenant compte de cette analyse que l’on pourra ensuite tenter d’évaluer l’impact de ces jugements sur la compétence d’appel de la Cour du Québec.
2.3 La norme de retenue applicable à une cour siégeant
en appel: la décision déraisonnable simpliciter ou
simplement déraisonnable
Cette nouvelle norme est une norme intermédiaire qui se
situe entre la norme de la décision correcte et celle de l’erreur
manifestement déraisonnable43. À la différence de la norme de la
décision correcte qui renvoie à une solution unique, «les notions de
raisonnable et de déraisonnable restent liées au concept d’une
marge d’appréciation admissible»44, c’est-à-dire à une conception
de l’interprétation qui postule que des concepts juridiques flous
appellent souvent une pluralité de solutions, mais fixent le seuil
d’intervention du juge à un degré moindre que la norme de l’erreur
manifestement déraisonnable. Partant, la différence entre ce qui
est déraisonnable et ce qui l’est manifestement se résume essentiellement à une question de degré que le juge Iacobucci explique
dans les termes suivants:
Est qualifiée de «déraisonnable la décision qui dans l’ensemble,
n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez
poussé. [...] La différence entre ce qui est «déraisonnable» et ce qui
est «manifestement déraisonnable» réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des
motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement
déraisonnable. Cependant, s’il faut procéder à un examen ou à une
analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors
déraisonnable, mais non manifestement déraisonnable.45
43. Id., paragraphe 54 du jugement, cette norme «exige une retenue plus grande
que la norme de la décision correcte, mais moins élevée que celle de la décision
non manifestement déraisonnable».
44. Syndicat des travailleuses et travailleurs d’épiciers unis Métro-Richelieu c.
Lefebvre [1996] R.J.Q. 1509, 1530 ( juge LeBel).
45. Southam, supra note 12, aux paragraphes 56 et 57 du jugement, les italiques
sont de nous. Cette ligne de démarcation apparaît toutefois plus facile à tracer
en théorie qu’en pratique. Sur le sens des mots «manifestement» et «déraisonnable», voir aussi P.G. du Canada c. Alliance de la Fonction publique, [1993]
1 R.C.S. 941, p. 963-964, (juge Cory) et Syndicat des travailleuses et travailleurs
d’épiciers unis Métro-Richelieu c. Lefebvre, [1996] R.J.Q. 1509, 1528 s. (C.A.
juge LeBel).
134
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Cette 3e norme, observe le juge Iacobucci, se rapproche en
outre du critère de la décision manifestement erronée46 (vu plus
haut) qui a été déclaré applicable au contrôle des conclusions de
fait des juges de première instance47 et, parce qu’il «est bien connu
des juges au Canada, il peut leur servir de guide dans l’application
de la norme de la décision raisonnable simpliciter». Selon ce critère, on s’en rappellera, il ne suffit pas que les conclusions de fait
soient erronées aux yeux de la cour; pour pouvoir intervenir, cette
cour doit les juger irrationnelles, sans fondement48.
En définitive, résume la Cour, «la norme de la décision raisonnable ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les
décisions des tribunaux administratifs d’accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à
l’égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise. Même
si le respect d’une politique de retenue en faveur de l’expertise
peut se traduire par une norme de contrôle particulière, au fond,
la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux
opinions des experts»49.
2.4 Quelques précisions sur les contextes dans lesquels
la Cour suprême a jugé cette 3e norme applicable
Il importe, à ce stade-ci, d’identifier les critères sur lesquels
s’est appuyée la Cour suprême pour imposer un devoir de retenue
aux cours exerçant une fonction d’appel, de façon à être en mesure
d’identifier, par analogie, d’autres situations où un organisme est
susceptible de bénéficier de cette déférence.
46. Ou «erreur manifeste et déterminante».
47. Supra note 12, aux paragraphes 59 et 60 du jugement.
48. Id., paragraphe 60 du jugement, le juge explique ainsi le lien entre ces deux
critères: «Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère
de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable
simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour
autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot
«erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot
«déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère
exigeant l’application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement
déraisonnable. Car s’il existe bien des choses qui sont erronées sans être
déraisonnables, il y a également bien des choses qui sont manifestement
erronées sans pour autant être manifestement déraisonnables. Il s’ensuit donc
que le critère de la décision manifestement erronée, tout comme la norme de la
décision raisonnable simpliciter, s’inscrit sur le continuum, entre la norme de la
décision correcte et celle du caractère manifestement déraisonnable.»
49. Id., paragraphe 62 du jugement.
135
Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999
Tel qu’indiqué plus haut, l’application de cette nouvelle
norme à une cour saisie en appel d’une décision d’un tribunal
administratif se fonde essentiellement sur l’expertise supérieure
du tribunal administratif relativement à la question soulevée. Le
degré relatif d’expertise du tribunal et de la cour étant déterminé
par cette dernière, en tenant compte de multiples facteurs, dont le
libellé de la loi constitutive, l’objet de la loi, la nature du problème
dont est saisi le tribunal, sa composition, les connaissances spécialisées de ses membres, son domaine d’intervention, sa procédure particulière etc.50. À titre d’exemple, dans Southam, la Cour
suprême a conclu à l’expertise supérieure du Tribunal de la
concurrence et non de la Cour fédérale d’appel, en s’appuyant sur
les considérations suivantes:
– «les objectifs visés par la Loi fédérale sur la concurrence
qui est appliquée par le Tribunal de la concurrence sont
davantage économiques que strictement juridiques»51.
– l’expertise du Tribunal de la concurrence porte sur des
questions économiques et commerciales ce «qui en l’espèce
se confond avec l’objet de la loi appliquée par le tribunal»52.
– la composition du tribunal reflète ces préoccupations,
puisque seulement 4 des 12 membres sont juges, les autres
sont plutôt versés dans les affaires économiques et commerciales53 et
– la nature du litige qui, en l’espèce, soulevait deux questions mixtes de fait et de droit54 jugées relever nettement
de l’expertise du Tribunal en matière économique et commerciale,(à savoir «la définition du marché pertinent pour
ce qui est d’un produit» et l’appréciation de la preuve indirecte sur l’interchangeabilité fonctionnelle des quotidiens
de Southam et des journaux communautaires)55.
Puis, appliquant la 3e norme, la Cour a jugé que la Cour fédérale avait erré en intervenant puisque le tribunal n’avait pas agi
50. Ces critères ont été récemment repris par le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982.
51. Supra note 12, au paragraphe 48.
52. Id., paragraphes 50-51.
53. Id., paragraphes 51, paragr. 12-13.
54. Sur la qualification de la nature de la question voir paragraphes 40-44. On
notera que s’il s’était agi d’une question pure de droit, la norme aurait pu être
différente car en vertu de la loi, ces dernières sont tranchées uniquement par
les juges du tribunal (paragraphe 53).
55. Id., paragraphe 69 s.
136
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
déraisonnablement56. Le juge admet, par ailleurs, que certaines
conclusions du Tribunal sont difficiles à accepter, mais étant le
fruit d’une analyse fouillée et n’étant pas sans fondement, elles ne
sont pas déraisonnables, donc, pas révisables57. Les cours d’appel,
observe le juge Iacobucci, doivent résister à la tentation
d’intervenir lors d’un simple désaccord; «(La) retenue judiciaire
s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire
cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.»58.
De même, dans Pezim, une affaire analogue et antérieure à
Southam, il a été décidé que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique saisie, aux termes du Securities Act, d’un appel d’une
décision d’une Commission des valeurs mobilières, avait un devoir
de retenue sur une question de droit59 tranchée par cette dernière.
Le litige portait, en l’occurrence, sur l’interprétation donnée par la
Commission des valeurs mobilières à certaines dispositions de sa
loi constitutive, plus particulièrement à la notion de «changement
important» lequel, aux termes du Securities Act, devait être divulgué «dès que possible». Après avoir examiné les dispositions législatives et pris en compte les facteurs pertinents (notamment: la
56. Id., paragraphe 68.
57. Voir à ce propos les paragraphes 76-79 où le juge observe que la conclusion du
Tribunal à l’effet que les journaux n’étaient pas fonctionnellement interchangeables a été prise après une étude en profondeur de la question et sa conclusion est motivée. Le Tribunal n’a pas «fait abstraction» de la preuve
concernant la concurrence interindustrielle générale. Il a simplement estimé
que cette preuve n’était pas décisive, sa conclusion n’est pas déraisonnable.
58. Id., paragraphes 79, 80.
59. Selon les explications fournies plus tard par le juge Iacobucci, dans l’arrêt
Southam au paragraphe 36, la question soulevée dans Pezim, concernant «le
type de renseignements qui, au sens de la loi, étaient un «changement important» dans les affaires d’une société – a été qualifiée de question de droit «en
partie parce que les mots en cause se trouvaient dans une disposition législative
et que les questions d’interprétation des lois sont généralement des questions
de droit, mais aussi parce que le point litigieux était susceptible de se présenter
à nouveau dans bon nombre de cas dans le futur: le débat concernait les types de
renseignements et non simplement les renseignements particuliers visés par
l’instance. La règle sur laquelle la British Columbia Securities Commission
semblait s’être appuyée – le fait que de nouveaux renseignements sur la valeur
d’éléments d’actif peuvent constituer un changement important – était une
question de droit, parce qu’elle était susceptible de s’appliquer à un grand
nombre de cas». Comme le laisse voir le jugement, cette référence à la généralité
de la question visait essentiellement à fournir un éclairage sur la difficile distinction entre question de fait et de droit. Ce n’avait pas empêché le juge
d’imposer à la Cour d’appel un devoir de retenue sur une question de droit. Dans
Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragr. 43, le juge
Bastarache reprend à son compte cette idée de généralité (au sens défini plus
haut), qu’il interprète comme étant un facteur devant inciter une cour d’appel à
moins de retenue. Nous reviendrons sur ce point.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
137
nature de l’industrie des valeurs mobilières, le caractère spécialisé des fonctions de la commission, son rôle en matière d’établissement de politiques et la nature du litige), la Cour retient qu’«il y
a lieu de faire preuve en l’espèce d’une grande retenue malgré le
droit d’appel prévu par la loi et l’absence d’une clause privative»60.
Par contre, dans Dell Holdings Ltd c. Régie des transports en
commun de Toronto61, la Cour suprême, par une majorité de 6/1, a
décidé que la Cour d’appel n’avait à faire preuve d’aucune retenue
particulière puisque la décision dont est appel ne mettait en jeu
aucune expertise particulière de l’organisme en cause, la Commission des affaires municipales de l’Ontario. Cependant, comme la
majorité était d’avis, qu’en l’espèce, la décision de la Commission
était correcte, elle n’a pas jugé nécessaire d’analyser pourquoi elle
lui niait le statut d’expert62.
L’insistance de la haute juridiction sur l’expertise particulière du Tribunal, par rapport à la question soulevée, confirme
qu’il s’agit-là du facteur le plus important pour déterminer la
norme applicable et, peut-être même, d’un prérequis, pour que la
cour, exerçant une fonction d’appel, soit tenue à un devoir de déférence à l’égard des conclusions juridiques ou mixtes de fait et de
droit de l’organisme. Cette impression est confirmée par le juge
Iacobucci lorsqu’il souligne, dans Southam, qu’«au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions
des experts»63. Il s’ensuit que si la décision dont est appel se situe
en dehors du domaine d’expertise de l’organisme, il n’y a pas lieu
de faire preuve de retenue particulière. La norme applicable au
60. Id., p. 599. Dans Southam l’on apprenait que la norme de contrôle correspondant à cette obligation de grande retenue de la part d’une cour exerçant une
fonction d’appel est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Au paragr.
58 du jugement, le juge Iacobucci précise: «La norme de la décision raisonnable
simpliciter est celle-là même qui a été appliquée dans Pezim, et à juste titre: les
parallèles entre cet arrêt et le présent pourvoi sont évidents.»
61. [1997] 1 R.C.S. 32, paragraphes 47, 48. Le litige portait en l’occurrence sur
l’interprétation de la notion «troubles de jouissance» qui, aux termes de la Loi
sur l’expropriation, étaient susceptibles de donner lieu à une indemnité. Plus
précisément, il s’agissait de déterminer si les dommages subis par Dell, par
suite du retard mis par l’intimée à acquérir l’emplacement, étaient indemnisables en vertu de cette loi.
62. La lecture du jugement suggère qu’en matière d’expropriation, la Cour estime
qu’il relève ultimement de l’expertise supérieure des cours de justice (et non de
la Commission) d’interpréter, à la lumière de principes de common law, des dispositions ambigües concernant le droit à l’indemnisation. On notera que la dissidence du juge Iacobucci dans cette affaire ne porte pas sur la norme de
contrôle applicable. Cette question n’est nullement abordée dans son opinion.
63. Supra note 12, paragraphe 62.
138
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
contrôle des questions de droit et mixtes de fait et de droit tranchées par l’organisme est alors celle de la décision correcte. On
notera en outre que les organismes à l’égard desquels la Cour
suprême a imposé, aux cours d’appel, un devoir de retenue,
avaient pour mandat de résoudre les conflits résultant de l’application de régimes réglementaires complexes, à vocation davantage économique que strictement juridique et ce faisant, étaient
appelés à jouer un rôle actif dans l’élaboration de politiques.
SECTION 3: IMPACT DE CETTE ÉVOLUTION
JURISPRUDENTIELLE SUR LA
COMPÉTENCE D’APPEL QU’EXERCE LA
COUR DU QUÉBEC À L’ÉGARD DE
DÉCISIONS RENDUES PAR DES
ORGANISMES OU TRIBUNAUX
ADMINISTRATIFS
Comme on l’a vu plus tôt, même avant l’émergence du principe de la spécialisation des tâches, les juridictions d’appel, dont la
Cour du Québec, étaient hésitantes à intervenir dans les conclusions de fait et dans les questions relevant directement de l’expertise ou de la discrétion d’un organisme spécialisé64.
Le principe de spécialisation des tâches développé par la
Cour suprême retient les motifs antérieurs de retenue mais
comme une composante d’une théorie plus globale sur les rôles
respectifs des cours de justice et des tribunaux administratifs,
dans l’interprétation et l’application des lois «dites» spécialisées.
Cette approche intégrée permet de protéger l’autonomie décisionnelle des tribunaux spécialisés à la fois – sur les questions de fait,
les questions de droit ou mixtes de fait et de droit – qui relèvent de
leur expertise. Son extension subséquente à une cour siégeant en
appel est mue par une volonté d’avoir un système cohérent de contrôle judiciaire. Un système qui, comme le suggèrent les jugements étudiés, respecte le principe de la spécialisation des tâches,
quel que soit le recours, et dont la justification repose sur une
conviction profonde que plusieurs questions soumises aux tribunaux administratifs le sont en raison de leur expertise particulière dans des domaines où les cours, voire les juristes, sont moins
aptes qu’eux à donner effet à la loi.
64. Supra section 1, texte et notes 18 à 34.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
139
Dans quelle mesure ces orientations s’appliquent-elles à la
compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs?
Autrement dit, quels sont (ou quels devraient être) les rôles respectifs de la Cour du Québec et de ces organismes dans l’interprétation et l’application des lois qui leurs sont confiées? La Cour
du Québec a-t-elle un devoir de retenue à l’égard des conclusions
juridiques ou mixtes de fait et de droit de la Commission d’accès à
l’information, du Comité de déontologie policière, de la section des
affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (qui a
remplacé le Bref), des Comités de discipline des Ordres professionnels, de la section du territoire et de l’environnement du TAQ,
de la Régie du logement, etc.?
En principe, comme on l’a vu, l’approche conduisant au choix
de la norme applicable dans le cadre d’un appel statutaire d’une
décision d’un tribunal est très souple et se fait cas par cas, en
tenant compte d’une pluralité de facteurs, notamment la nature
du problème , les dispositions législatives applicables, l’objet de la
loi qui crée le tribunal, le rôle et la fonction du tribunal et, principalement, de l’expertise du tribunal par rapport au problème soulevé. Lorsqu’on en étudie les applications pratiques on constate,
par ailleurs, que la Cour du Québec applique largement la norme
de l’arrêt Southam. En effet, en dépit du fait que plusieurs des
organismes assujettis à sa compétence d’appel œuvrent dans des
domaines bien connus des juristes (notamment, la déontologie
policière, la déontologie professionnelle et l’accès à l’information),
la tendance qui se dégage de la jurisprudence est de les considérer
comme des spécialistes dans l’application des lois qu’ils ont à
appliquer et, sous réserve de rares cas, d’exiger, pour intervenir,
la démonstration d’une erreur déraisonnable. Cette approche est
parfois confirmée, parfois même imposée par les tribunaux supérieurs65. Pour illustrer cette tendance, nous évoquerons quelques
jugements rendus en matière de déontologie policière et de déontologie professionnelle, puis, nous nous attarderons au domaine
de l’évaluation foncière où règne une controverse quant à la norme
de contrôle applicable à un certain type de questions.
65. Le choix de cette norme de retenue ou la nature de la question à laquelle elle est
jugée applicable (i.e. question de droit ou mixte) ne sont cependant pas toujours
très motivés, les cours se contentant souvent de référer à l’arrêt Southam et
d’indiquer qu’il s’agit de la norme de contrôle que doivent dorénavant appliquer
les cours lorsqu’elles siègent en appel des décisions rendues par des organismes
administratifs.
140
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
3.1 Appels en matière de déontologie policière
Dans Chamard c. Racicot66, la Cour du Québec a jugé qu’elle
devait appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter
aux décisions du Comité de déontologie policière – composé d’un
avocat, d’un policier et d’un membre du public – et chargé, aux termes de la la Loi sur l’organisation policière67, de connaître et de
disposer de toute citation en matière de déontologie policière.
S’appuyant sur l’arrêt Southam, la Cour fonde l’obligation de
réserve qui lui incombe sur le caractère spécialisé du domaine de
la déontologie policière. Cette approche a été confirmée par la
Cour supérieure dans Foisy et Rouillard c. Côté et Cour du Québec
où la juge Julie Dutil affirme:
La Cour du Québec siégeant en appel de décisions rendues par un
tribunal spécialisé, le Comité de déontologie policière, doit appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter et non celle de
la décision correcte.68
De même, dans Toussaint, Cloutier c. Côté69, après avoir
passé en revue les dispositions pertinentes, le juge Sheehan écrit
ce qui suit sur la norme applicable:
En résumé, les mécanismes prévus à la loi démontrent l’objectif du
législateur de consacrer le caractère spécialisé des institutions
déontologiques policières et le vaste pouvoir discrétionnaire du
Comité sur la détermination de ce qui constitue un acte dérogatoire
au Code de déontologie et le cas échéant, l’imposition d’une sanction
appropriée.
[...]
Saisi d’une question de droit ou de droit et de fait, le tribunal judiciaire appelé à instruire un appel prévu par un texte de loi doit
prendre en considération plusieurs facteurs pour déterminer les
limites à observer dans l’exercice de sa juridiction d’appel. Parce
que les tribunaux administratifs possèdent généralement une cer-
66. C.Q. Québec, no 200-02-012040-962, 1997-12-09. Il s’agissait, en l’occurrence,
d’un policier cité en discipline pour recours à la force injustifiée envers un
citoyen.
67. L.R.Q. c. O-8.1, art. 89.
68. Foisy et Rouillard c. Côté, C.S. Québec, no 200-05-007829-976, 1997-11-03 p. 16
du jugement. Voir aussi Lavoie c. Commissaire à la déontologie policière, C.S.
(Québec), 20 mars 1997.
69. C.Q., no 200-02-002489-955, le 23 octobre 1997.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
141
taine expertise et sont saisis de problèmes difficiles et complexes, il
est nécessaire d’appliquer à leurs décisions une norme appelant à
plus de retenue que la décision correcte sans aller jusqu’à la décision manifestement déraisonnable. La norme applicable ici est la
décision raisonnable.70
La perception exprimée dans cette citation, selon laquelle les
tribunaux administratifs possèdent généralement une certaine
expertise et sont saisis de problèmes difficiles et complexes qui
commandent la retenue traduit bien la tendance de la Cour du
Québec, lorsqu’elle exerce sa compétence d’appel sur les décisions
du comité et des autres organismes administratifs71.
Outre l’expertise, certains jugements étudiés72 insistent
aussi, pour justifier l’application d’une norme de retenue, sur
l’importance de respecter le choix du législateur de faire décider
ces affaires majoritairement par des non juristes. On notera que
cette considération ne tient toutefois plus car depuis les amendements apportés à la Loi sur l’organisation policière, en 1997, le
comité est dorénavant composé exclusivement de juristes qui siègent seuls73.
3.2 Appels en matière de déontologie professionnelle
Au même effet, il a été jugé que l’erreur déraisonnable était
la norme que devait appliquer le Tribunal des professions lorsqu’il
est saisi d’un appel portant sur la déclaration de culpabilité d’un
professionnel. Dans l’arrêt Péloquin c. Trifiro74, le Tribunal souligne à ce propos:
Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Southam, la règle d’intervention des tribunaux d’appel est quelque peu
modifiée. Aussi, le Tribunal a-t-il adopté depuis d’autres règles
d’intervention lorsqu’il est saisi d’appel de décisions de comités de
discipline concernant la culpabilité d’un professionnel.75
70. Id., p. 15 du jugement.
71. En ce sens voir aussi les affaires Isabelle c. Commissaire à la déontologie
policière, [1998] A.Q. 3134 (C.Q.) paragraphe 6 s. et Ferland c. Commissaire à la
déontologie policière, C.Q. [1999] J.Q. no 390 paragraphes 12, 13.
72. Notamment les arrêts Chamard c Racicot et Lavoie c. Commissaire à la
déontologie policière, C.S. (Québec), supra.
73. Art. 94 et 107.1 Loi sur l’organisation policière, supra.
74. [1999] J.Q., no 1130, JEL/1999-0505, no 500-07-000208-987.
75. Id., paragraphe 7.
142
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Ces nouvelles règles sont essentiellement que le tribunal
d’appel doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions des tribunaux spécialisés portant sur des questions de droit et de fait et
que la norme alors applicable est celle de la décision déraisonnable76. Cette position a été suivie dans plusieurs autres causes,
notamment les affaires Farhat c. Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec77 Ordre professionnel des comptables en management accrédités du Québec c. Roger78; Richer c. Claveau79;
Latulippe c. Richer80; Forté c. Notaires81; Laporte c. Médecins
(Ordre professionnel des)82; Gesse c. Posman83 et Mandron c. Barreau du Québec84. Et, bien que les raisons n’en soient pas fréquemment expliquées, le devoir de retenue semble ici aussi reposer sur
une volonté de respecter le choix du législateur de confier à un
comité majoritairement composé de pairs, donc des gens qui ont
une connaissance particulière du milieu, le pouvoir de juger la
conduite d’un professionnel85.
3.3 Appels en matière d’évaluation foncière
En ce qui concerne la norme de contrôle applicable en
matière d’évaluation foncière, il faut cependant, semble-t-il, distinguer deux types de cas:
1. les cas où l’appel porte sur l’évaluation proprement dite
des immeubles, i.e. sur les méthodes de calcul et méthodes d’évaluation, permettant de fixer la valeur qui doit
être portée au rôle d’évaluation foncière;
et
76. Ibid.
77. [1999] J.Q., no 505 JEL/1999-0306, no 500-07-000195-986. Sur cette question
voir aussi J.C. HÉBERT, «L’appel d’une décision déraisonnable», (1997) 57:1 R.
du B. 145.
78. [1999] J.Q., no 1128 JEL/1999-0512, no 500-07-000227-987. (Le litige portait
notamment sur l’interprétation d’une norme déontologique, plus particulièrement, le sens à donner à l’expression «exercer en pratique privée» au sens de
l’art. 37 du Code des professions).
79. T.P. (Chicoutimi), no 150-07-000002-962, 19 août 1997.
80. T.P. (Trois-Rivières), no 400-07-000003-969, 22 janvier 1999.
81. T.P. (Montréal), no 500-07-000213-987, 15 février 1999, paragraphe 8.
82. [1997] D.D.O.P. 271.
83. [1999] J.Q. no 235 JEL/1999-0247 no 500-07-000207-989, Tribunal des professions du Québec.
84. [1998] A.Q. 346.
85. Supra, Farhat note 77, au paragraphe 16 du jugement.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
143
2. les cas où l’appel porte sur la question de savoir si un
immeuble doit ou non être porté au rôle en fonction de son
utilisation ou, encore, s’il bénéficie d’une exemption.
Dans le premier type de cas, la jurisprudence – antérieure et
postérieure à l’arrêt Southam – est claire. Le choix de la méthode
d’évaluation et son application sont des questions techniques qui
relèvent directement ou parfaitement du champ d’expertise de
l’organisme. Par conséquent, même s’il s’agit de questions mixtes
de fait et de droit, la Cour du Québec ou la Cour d’appel (qui exerce
le second pallier d’appel en la matière) ne doivent intervenir que si
la décision est déraisonnable. Dans Vigi Santé ltée c. Montréal
(Ville)86 la Cour d’appel, sous la plume du juge Robert, affirmait à
ce propos:
[...] la spécialisation du BREF porte sur l’évaluation proprement
dite des immeubles i.e. les méthodes de calcul et méthodes d’évaluation, permettant de fixer la valeur qui doit être portée au rôle
d’évaluation foncière.
Lorsque l’appel porte sur l’une de ces questions, il touche alors à
une matière qui relève directement ou parfaitement du champ
d’expertise du BREF, pour paraphraser la Cour suprême dans les
arrêts Bell, Pezim, et B.C. Téléphone, précités. Dans ces cas, il y a
lieu de faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard de la
décision du BREF, même s’il s’agit de questions mixtes de faits et de
droit, et la Cour du Québec ou la Cour d’appel ne doivent intervenir
que si la décision est déraisonnable. Lorsque transposée dans le
contexte de l’évaluation foncière, cette norme n’est pas différente de
celle, bien connue et depuis longtemps appliquée en cette matière,
qu’avait à l’origine énoncée notre collègue le juge LeBel dans l’arrêt
célèbre Steinberg’s Properties c. Ville de Montréal et C.U.M.87
La jurisprudence de toutes les instances, incluant la Cour
suprême, est constante et abondante sur ce point: les juridictions
d’appel ont, à l’égard des questions d’évaluation proprement dites,
86. J.E. 99-476.
87. Ibid. Dans l’arrêt Steinberg, [1987] R.J.Q. 1975, 1981 (C.A.), le juge Lebel
affirmait: «La Cour provinciale (maintenant la Cour du Québec) assume son
rôle propre qui ne lui permet pas de se substituer au Bureau de révision de
l’évaluation foncière et de reprendre à la base dans le détail le calcul des
évaluations. Il lui appartient plutôt de contrôler les erreurs graves de faits et les
mauvaises applications des principes légaux qui auraient pu dénaturer la
procédure d’évaluation et les règles la gouvernant, notamment celle de l’évaluation à la valeur réelle qui constitue la règle d’or du régime d’évaluation
immobilière.»
144
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
un devoir de retenue88. Dans Anstalt c. Communauté Urbaine de
Montréal89, un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec, on
apprenait d’ailleurs que ce devoir pourrait même aller jusqu’à restreindre les possibilités du juge d’appel d’intervenir pour harmoniser les décisions rendues par les différents bancs de l’organisme.
Dans le second type de cas, – i.e. lorsque le différend porte sur
la qualification aux fins de savoir si un immeuble doit ou non être
porté au rôle en fonction de son utilisation ou, encore, s’il bénéficie
d’une exemption – la détermination de la norme de contrôle applicable est plus controversée et la jurisprudence récente de la Cour
d’appel du Québec est partagée sur la question.
Dans l’arrêt Charny (Municipalité de la Ville de) c. Alex Couture Inc.90, il a été jugé qu’il fallait appliquer la norme de la décision correcte. Selon le juge Brossard, qui rédige pour la Cour
d’appel, la question de savoir si un immeuble doit ou non être porté
au rôle en fonction de son utilisation ne relève pas strictement du
domaine de spécialisation du BREF «mais bien d’une appréciation
juridique d’une question mixte de fait et de droit» que les tribunaux judiciaires appelés à se prononcer en appel peuvent tout
88. Voir notamment Montréal (Communauté Urbaine) c. Société immobilière du
Québec, [1999] JQ 1030 (C.A.); Charny (Municipalité de la Ville de) c. Alex Couture Inc., C.A.Québec 20-09-000772-969, le 27 mars 1998; Montréal (Communauté Urbaine de) c. Hydro Québec, [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe).
Atlantic Construction Inc. c. Montréal (Communauté Urbaine), [1998] A.Q.
2917 (C.A.); Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Adélaïde Capital, [1998]
J.Q. 3951 (QL); Hilton Place Québec Ltée c. Québec (Communauté Urbaine),
[1998] A.Q. 2482 (CQ). Voir au même effet, C.U.Q. c. Atlific Inc., [1994] R.D.J. 1
(C.A.). Ville de St-laurent c. Canadair, [1978] 2 R.C.S. 79; Eskay Investments
inc. c. Ville de Montréal, C.A.M., no 500-09-000870-741; Bronfman c. City de
Westmount, [1980] C.A. 421; Communauté Urbaine de Québec c. Quality inns
Canada Ltd., [1982] C.A. 107; Guy Towers inc. c. Cité de Montréal, [1968] B.R.
277. John Hancock Mutual Life Insurance Co. c. C.U.M., C.A.Montréal, no
500-09-000355-917, le 22 août 1997 (J.E. 97-1712); C.U.Q. c. Hudson’s Bay
Company, C.A.Québec, no 200-09-000403-946, le 26 janvier 1996, perm. d’appel
à C.S.C. refusée le 10 octobre 1996 no 25232; Dominion Textile Inc. c. Ville de
Montréal-Est et C.U.M., C.A.Montréal, no 500-09-001159-920, le 2 novembre
1995 (J.E. 95-2131); Hippodrome Blue Bonnets Inc. et Campeau Corporation c.
Ville de Montréal et C.U.M., J.E. 93-577 (C.A.); C.U.Q. c. Développement Pasteur Inc., C.A.Québec, no 200-09-000557-873, le 23 mai 1991; Les Pipelines
Montréal c. Ste-Julie, [1988] R.L. 342 (C.A.); Place St-Eustache c. St-Eustache,
[1975] C.A. 131.
89. Anstalt c. Communauté Urbaine de Montréal (C.A. Montréal no 500-09-000230953), 26 avril 1999.
90. C.A.Québec, no 20-09-000772-969, le 27 mars 1998 (jj. Brossard, Forget et
Zerbisias). Permission d’appeler à la Cour suprême refusée le 21 janvier 1999,
[1998] C.S.C.R. no 259 dans la base de données CSCR (QL).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
145
aussi bien faire91. Dans ce contexte, conclut-il, la cour n’a à faire
preuve d’aucune retenue particulière; «(L)a question en litige, qui
en est une de droit ou tout au moins mixte de fait et de droit, commande un redressement s’il s’avère qu’il y a erreur, que celle-ci
soit ou non manifeste»92. Cette position est reprise par la Cour
d’appel dans Ministère des Affaires Municipales c. Communauté
urbaine de Québec93 et par la Cour du Québec dans Montréal
(Communauté urbaine de) c. Hydro Québec94.
Par contre, dans Vigi Santé ltée c. Montréal (Ville)95, un autre
banc de la Cour d’appel a décidé que la norme applicable aux questions d’exemption était celle du caractère déraisonnable. Tout en
se disant d’accord avec les propos du juge Brossard (à l’effet que la
question à savoir si un immeuble doit ou non bénéficier d’une
exemption n’était pas au cœur de la compétence spécialisée du
BREF), la Cour, sous la plume du juge Robert, estime tout de
même qu’il y a lieu, en l’espèce, de faire preuve d’une certaine
retenue. Et ce, en raison principalement de la nature de la question – une question mixte de fait et de droit 96- et, du fait que les
dispositions à interpréter se retrouvent dans la loi que le BREF
est chargé d’administrer. Ce qui, selon l’arrêt Pezim, rappelle le
91. Id., paragraphe 66 s.
92. Id., paragraphe 69.
93. No 200-09-001338-976 (C.A.) 26 mai 1999. En l’espèce, le litige reposait essentiellement «sur le sens à donner au mot «immeuble» de l’article 1 de la Loi, et
surtout sur celui de l’expression de «objet mobilier attaché à perpétuelle
demeure» (p. 10). Estimant qu’il s’agissait, en l’occurence, d’interpréter des
notions de droit civil ne tombant pas dans le champ particulier d’expertise du
BREF, la Cour d’appel confirme que le juge de la Cour du Québec était
parfaitement justifié d’intervenir pour corriger les erreurs du BREF et qu’il
n’avait, à cet égard, aucun devoir de retenue. Voir p. 8-9 et 16 du jugement.
94. [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe) jugement porté en appel à la C.A. du Québec (C.A.M., no 500-09-007332-984).
95. J.E. 99-476 (jj. Deschamps, Robert et Biron (ad hoc).
96. S’appuyant en cela sur un passage du juge Bastarache, dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.) [1998] 1 R.C.S. 982, p. 1003 et s., le juge Robert
affirme à ce propos: «Une pure question de droit de portée générale commandera généralement un degré moindre de retenue judiciaire alors qu’une pure
question de fait ou une question mixte de droit et de fait fera davantage appel à
la spécialisation de l’instance administrative.» (paragraphe 36 du jugement).
Et, en l’espèce, il conclut que la question en litige – à savoir si l’activité
pratiquée dans les «centres hospitaliers de soins de longue durée» (CHSLD)
consiste à «fournir à autrui un immeuble résidentiel» ou «un service connexe»
aux personnes qui y résident – constitue une question mixte de fait et de droit
que le BREF était appelé à trancher et à l’égard de laquelle la Cour du Québec
ou la Cour d’appel ne doivent intervenir que si l’erreur est déraisonnable.
(paragraphe 37 du jugement).
146
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
juge, milite en faveur d’une certaine retenue judiciaire97. Au
même effet, dans Aluminerie Alouette inc. c. Sept-Iles (Ville)98, la
Cour réserve l’application de la norme de la décision correcte aux
questions de droit pures99, alors que la qualification, à savoir si les
faits satisfont au critère juridique, est plutôt considérée une question mixte de fait et de droit, révisable par la Cour du Québec seulement en cas d’ erreur déraisonnable100.
Enfin, dans Amos c. Centre chrétien d’Amos inc.101, un autre
banc a conclu cette fois, à la majorité, que la question – à savoir si,
selon la preuve, l’unité d’évaluation était utilisée à des fins religieuses aux fins d’exemption de taxe- devait être examinée selon
la norme de l’erreur manifeste et déterminante. Exceptionnellement, cette norme a ici été appliquée à la décision de la Cour du
Québec. Le juge Dussault, qui souscrit à l’opinion du juge Letarte,
motive brièvement le choix de cette norme par le fait que la preuve
avait été apportée par procès de novo (conformément à l’art. 167
de la Loi sur la fiscalité municipale)102. Ce qui suggère qu’il qualifie la question en litige comme en étant essentiellement une de
fait. Le juge Gendreau, dissident, estimant pour sa part que la
preuve soumise devant la Cour du Québec était essentiellement la
même que celle qui avait été présentée devant le BREF, conclut
que la norme applicable à la décision du BREF, en l’espèce, est
celle de l’erreur déraisonnable. Ce dernier, soutient-il, est un tri-
97.
98.
99.
100.
101.
102.
Supra note 96, paragraphe 34.
J.E. 99-475 (jj. Proulx et Robert et Philippon (ad hoc).
C’est-à-dire des questions d’interprétation des critères juridiques applicables,
comme par exemple, l’interprétation à donner à l’expression «matériel roulant»
de l’article 65(2) LFM ou aux mots «utilisés principalement à des fins de production industrielle» contenus à l’article 65(1) LFM).
Il s’agissait, en l’occurence, de savoir si les éléments d’actifs désignés étaient, au
sens de la loi, «utilisés principalement à des fins de production industrielle».
J.E. 98-2010 (jj. Gendreau, Dussault et Letarte (ad hoc).
Id., au paragraphe 30 de l’opinion. À cette considération, le juge Letarte en
ajoute une deuxième, selon laquelle cette norme serait applicable au jugement
final de la Cour du Québec faisant l’objet du présent pourvoi parce que cette dernière n’est pas un tribunal spécialisé. À ce propos, le juge Letarte s’exprime ainsi
aux paragraphes 47 et 48: «Or, c’est précisément ce jugement final de la Cour du
Québec qui, en vertu de l’article 170 de la même loi fait l’objet du présent pourvoi. Comme il ne s’agit pas là d’un tribunal spécialisé, je suis d’avis que le critère
applicable à la décision de la Cour du Québec dans le cas sous espèce doit être
jugé en fonction du critère de l’erreur manifeste et déterminante et non de
l’erreur déraisonnable simpliciter.» Cette insistance sur la distinction entre les
deux normes étonne étant donné le fort rapprochement que le juge Iacobucci
fait, justement, entre les deux dans l’arrêt Southam. Elle n’est certes pas de nature à simplifier la compréhension du rôle du juge d’appel.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
147
bunal spécialisé103 qui, comme le Tribunal de la concurrence, «se
confond avec l’objet de la loi»104.
Au-delà des différences dues aux particularités des dossiers,
la jurisprudence relative à la norme applicable lorsque le différend porte sur l’inscription au rôle ou le droit à une exemption de
taxe demeure irréconciliable. Il importe aussi de réaliser que si le
problème sous-jacent à cette controverse s’est surtout posé dans
un contexte d’évaluation foncière, il n’est sans doute pas exclusif à
ce domaine. Faut-il, comme le suggère l’arrêt Southam, limiter
l’application du devoir de retenue aux questions qui relèvent
directement de l’expertise de l’organisme (i.e. l’évaluation proprement dite), ou faut-il aussi, comme le soutient le juge Robert dans
l’arrêt Vigi Santé, en permettre l’application à certaines questions
périphériques à la spécialité de l’organisme, notamment des questions de qualification (mixtes de fait et de droit) que celui-ci est
appelé à trancher dans l’exercice de sa compétence? Il y a des arguments à faire valoir en faveur de chacune de ces positions et il n’est
pas étonnant que la question soit controversée. Il reste à voir dans
quel sens les principes dégagés dans Southam évolueront. Comme
on le sait, les décisions de la Cour du Québec, en cette matière,
sont dorénavant finales et sans appel105. Mais la suppression du
droit d’appel à la Cour d’appel n’aura sans doute que peu ou pas
d’incidence sur l’issue de la controverse, puisqu’une erreur dans la
détermination de la norme de contrôle applicable donne, de toute
façon, ouverture au pouvoir de surveillance et de contrôle des tri103.
105.
Id., paragraphe 9 du jugement: «En même temps, la loi a créé un tribunal spécial
chargé de son administration en disposant de l’ensemble des plaintes formulées
à l’occasion des décisions administratives. C’est le Bureau de révision de
l’évaluation foncière (BREF). Il est partie intégrante de ce système général de
fiscalité municipale et son expertise, à mon avis, comme celui du Tribunal de la
concurrence «se confond avec l’objet de la loi» qu’il applique pour paraphraser le
juge Iacobucci. En somme, il doit définir les immeubles qui doivent être inclus
au rôle d’évaluation, leur valeur, leur exemption du paiement de la taxe et toutes autres questions de cette nature. Les décisions du BREF si elles doivent porter sur des questions de droit sont rendues par un avocat. Enfin, la Cour du
Québec a compétence générale pour entendre des appels des ordonnances du
Bureau qui n’est protégé par aucune clause privative. Le droit d’appel est général et inconditionnel comme celui conféré à la Cour d’appel fédérale vis-à-vis le
Tribunal de la concurrence. En somme, le Bureau de révision de l’évaluation
foncière est un tribunal administratif spécialisé comme notre Cour l’a déjà décidé. À mon avis, il est, à sa manière, comparable au Tribunal de la concurrence.»
Puis, après avoir révisé le dossier, il statue qu’en l’espèce, il n’y avait pas lieu
d’intervenir, jugeant la décision du BREF non seulement raisonnable, mais correcte.
Art. 164 Loi sur la justice administrative, supra note 5.
148
Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999
104.
bunaux suprérieurs106. De sorte que, même en l’absence d’un droit
d’appel statuaire, il reviendra ultimement à la Cour d’appel,
peut-être même à la Cour suprême, de trancher cette délicate
question.
Outre la controverse évoquée plus haut et l’incertitude
qu’elle génère quant à la portée du devoir de retenue, la jurisprudence étudiée illustre bien la complexité de l’approche, les difficultés d’application qu’elle présente et, bien sûr, les graves
conséquences d’une erreur dans le choix de la norme de contrôle
appliquée lors de l’appel. Car, faut-il le rappeler, le fait pour la
Cour siégeant en appel de ne pas appliquer la norme de contrôle
appropriée (tant aux conclusions de fait qu’aux conclusions de
droit) est considéré être un excès de juridiction107. En effet, «même
si on a pu soutenir qu’«au fond, la question qui se pose est celle du
poids qui doit être accordé aux opinions des experts»108, concrètement, le respect de la politique de retenue en faveur de l’expertise
s’est traduit par une norme de contrôle particulière et un devoir de
la respecter. Mais peut-être en a-t-on étendu indûment la portée...
CONCLUSION
En reconnaissant un droit d’appel de décisions prises par un
tribunal administratif à une cour de justice composée de juges non
spécialisés, le législateur poursuit des logiques qui ne sont pas
toujours facilement réconciliables.
Devant ce louvoiement, on peut certes comprendre que la
haute juridiction ait présumé, dans les arrêts Pezim et Southam,
106.
107.
108.
De plus, notons qu’il reste à tout le moins une cause pendante, l’affaire C.U.M. c.
Hydro Québec [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe) C.A.M. ,no 500-09-007332984., dans laquelle la Cour d’appel, aura prochainement l’occasion de se prononcer sur la question.
Par exemple dans les arrêts Pezim et Southam la Cour suprême a renversé les
décisions des cours d’appel au motif qu’elles avaient manqué à leur devoir de retenue. Au même effet, dans Bau-Val inc. c. La Cour du Québec, [1996] R.J.Q.
1109 (C.S.), la Cour Supérieure estime que la Cour du Québec a excédé sa compétence en n’appliquant pas le principe de retenue développé dans Pezim. Voir
aussi Côté c. Rouleau, J.E. 96-839, où la Cour supérieure a conclu que la Cour du
Québec avait commis une erreur en intervenant dans les conclusions de fait du
Comité alors qu’il n’y avait pas erreur manifeste et déterminante. Également,
dans Petit c. Guimont supra note 29, la Cour supérieure a jugé que le fait pour le
tribunal des professions d’appliquer une norme incorrecte dans l’évaluation de
faits nouveaux constituait une erreur manifestement déraisonnable, révisable
judiciairement.
Southam, supra note 12 au paragraphe 62.
Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999
149
qu’il était de l’intention du législateur de laisser au Tribunal de la
concurrence de même qu’à la Commission des valeurs mobilières,
la responsabilité de donner un sens à des textes législatifs techniques, (souvent susceptibles de plus d’une interprétation), pourvu,
bien sûr, que l’interprétation donnée soit raisonnable. En effet,
ces deux cas soulevaient des questions techniques, reliées à
l’application de régimes réglementaires complexes par des organismes spécialisés, composés de membres ayant une formation
particulière dans ces questions plus économiques que strictement
juridiques. Cependant, il ne s’ensuit pas que cette déférence s’impose à l’ensemble, ni même à la plupart, des tribunaux administratifs qui exercent, en première instance, des fonctions
d’adjudication. L’exercice, par un tribunal administratif, d’une
compétence limitée, ne confère pas, en soi, une expertise qui commande la retenue. Il faut faire des distinctions. Ce n’est décidément pas la même chose de décider si un policier a, par son
comportement, commis un acte dérogatoire au Code de déontologie, que de décider de questions touchant l’interchangeabilité
fonctionnelle de quotidiens et de journaux communautaires. Il y a
expert et expert... Les arrêts Pezim et Southam, semble-t-il, ne les
visent pas tous et leur portée ne devrait pas être étendue indûment.
À la lumière de la jurisprudence étudiée, nous estimons qu’il
y a lieu de remettre en question la facilité avec laquelle les juges
ont parfois tendance à conclure à l’expertise supérieure du tribunal. La reconnaissance du statut d’expert – et conséquemment,
l’imposition d’un devoir de retenue judiciaire – sur la base d’un critère essentiellement organique est incohérente à la fois avec
l’attribution d’un droit d’appel et avec les principes dégagés dans
Pezim, Southam et Dell Holding. Comme le suggèrent ces derniers, la détermination de la norme de contrôle applicable par une
cour exerçant une fonction d’appel ne peut se faire que sur une
base de cas par cas et en tenant compte d’une pluralité de facteurs,
dont la nature des fonctions exercées par le tribunal administratif, le caractère spécialisé des questions en litige et l’expertise particulière des membres du tribunal sur ces questions. Et, comme le
révèle l’application qu’en a faite la Haute cour: en dehors des cas
où la complexité des questions soulevées et la nature du régime
législatif mettent en jeu l’expertise technique du tribunal, la Cour
exerçant une fonction d’appel n’a à faire preuve d’aucune retenue
particulière, sauf à l’égard des conclusions de fait.
150
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Si, au cours des années 1970, la jurisprudence a pu être justifiée d’imposer un devoir de retenue pour éviter que les juges ne
transforment leur pouvoir de surveillance en un appel déguisé,
nous croyons qu’il importe maintenant de corriger les excès et
d’éviter de rendre l’appel assimilable au pouvoir de surveillance.
À moins d’en restreindre la portée, l’imposition d’un devoir de
retenue à une cour siégeant en appel, sur des questions
d’interprétation statutaire, complique exagérément l’exercice de
la fonction d’appel et remet en cause l’utilité même de ce recours.
À quoi sert-il de multiplier les recours visant, en principe, à protéger les droits des justiciables, s’ils ont, à toutes fins utiles, la même
vocation109? La marge d’intervention entre ce qui est déraisonnable et ce qui l’est manifestement justifie-t-elle l’octroi d’un
recours additionnel ?
109.
Sur ce point voir aussi doctrine citée, supra note 38 ainsi que les commentaires
très éclairants du Professeur Yves Ouellette dans son remarquable ouvrage
«Les Tribunaux administratifs canadiens», supra note 1, p. 375-377.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
151
ANNEXE
Liste des arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur le
contrôle judiciaire de l’interprétation que font les tribunaux administratifs des lois qu’ils ont à appliquer: Par ordre chronologique
Syndicat canadien de la fonction publique c. Société des alcools du
Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227;
Yellow Cab Ltée c. Board of Industrial Relations, [1980] 2 R.C.S. 761;
Syndicat des employés de production du Québec c. Conseil canadien
des relations de travail, [1984] 2 R.C.S. 412;
Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 471;
Syndicat des professeurs c. CEGEP Lévis-Lauzon, [1985] 1 R.C.S.
596;
Union des employés de service, local 298, c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S.
1088;
Bell Canada c. Canada (C.R.T.C.), [1989] 1 R.C.S. 1722;
CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd, [1989] 2 R.C.S. 983;
Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S.
1330;
National Corn Growers assn. c. Canada (Tribunal des importations),
[1990] 2 R.C.S. 1324;
Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et
apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie section local
740, [1990] 3 R.C.S. 644;
Canada (P.G.) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1991] 1
R.C.S. 614;
Alberta Union of Provincial Employees c. University Hospital Board,
[1991] 2 R.C.S. 201;
Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321;
Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992]
2 R.C.S. 394;
Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103;
152
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S.
471;
Canada (P.G.) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554;
Canada (P.G.) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1
R.C.S. 941;
Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230;
Fraternité Unie des Charpentiers et Menuisiers d’Amérique, section
locale 579 c. Bradco Construction Ltd, [1993] 2 R.C.S. 316;
Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353;
Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689;
Domtar inc. c. Québec (C.A.L.P.), [1993] 2 R.C.S. 756;
Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Association canadienne
des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724;
Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2
R.C.S. 525;
Pezim c. C.B. (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557;
Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des Relations du Travail),
[1995] 1 R.C.S. 157;
British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.,
[1995] 2 R.C.S. 739;
Royal Oaks Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail),
[1996] 1 R.C.S. 369;
Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571;
Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick,
[1996] 1 R.C.S. 825;
Newfoundland Association of Public employees c. Terre-Neuve (Green
Bay Health Care Center), [1996] 2 R.C.S. 3;
Centre communautaire juridique de l’Estrie c. Sherbrooke (Ville),
[1996] 3 R.C.S. 84;
Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3
R.C.S. 855;
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
153
Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S.
1015;
Conseil de l’éducation de la Cité de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O. district 15, [1997] 1 R.C.S. 487;
Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997]
1 R.C.S. 748;
Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793;
Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker’s Compensation Board), [1997]
2 R.C.S. 890;
J.M. Asbestos inc. c. Québec (CALP), [1998] 1 R.C.S. 315;
Canada Safeway Ltd c. Syndicat des détaillantsgrossistes et magasins à rayons, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079;
Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982;
Battleford and District Co-operative Limited c. Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 544, [1998] 1
R.C.S. 1118.
154
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
La migration des contaminants
et la responsabilité de droit
pénal ou administratif
Robert DAIGNEAULT
Résumé
Le ministère de l’Environnement du Québec, dans ses interventions auprès de propriétaires de terrains contaminés, tend de
plus en plus à assimiler la migration de contaminants dans le sol à
une infraction de pollution et à voir le sol en cause comme une
«source de contamination» au sens de la Loi sur la qualité de
l’environnement (L.R.Q., c. Q-2, «la L.Q.E.» ). Cette position aurait
l’avantage, pour l’Administration, d’engager la responsabilité du
simple propriétaire, sans qu’il soit nécessaire de s’en prendre au
pollueur du site. Après avoir décrit le phénomène de migration des
contaminants et ce qui le distingue de la véritable pollution,
l’auteur s’interroge sur l’opportunité et la justesse d’une telle
interprétation des dispositions de la Loirelatives à la pollution et
aux sources de contamination. Devant l’absence de décision judiciaire au Québec ayant abordé spécialement cette question et
devant la convergence évidente des législations environnementales dans les pays industrialisés, une incursion dans diverses juridictions (principalement l’Ontario et la Colombie-Britannique au
Canada, de même que les États-Unis, la France et l’Allemagne)
permet de voir comment le problème s’est posé ailleurs et comment les tribunaux et les législatures ont tenté de le résoudre. Des
enseignements peuvent en être tirés, en tenant compte des fins
recherchées par le législateur pour prévenir ou stopper les atteintes à l’environnement. Sur cette base, l’auteur revoit toutes les
dispositions utiles de la L.Q.E. et conclut que l’infraction de pollution ne peut aller aussi loin que de mettre en cause celui qui est en
fait la victime d’une pollution accomplie. Pour mettre en cause le
propriétaire, le législateur doit le dire clairement.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
155
La migration des contaminants
et la responsabilité de droit
pénal ou administratif
Robert DAIGNEAULT*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
1. LE PHÉNOMÈNE DE LA MIGRATION . . . . . . . . . 166
1.1 Mouvement dans l’environnement . . . . . . . . . 168
1.2 Les facteurs extrinsèques et leurs incidences. . . . 173
2. PROBLÈME JURIDIQUE POSÉ . . . . . . . . . . . . . 176
2.1 Infraction de pollution ou non? . . . . . . . . . . . 177
2.2 Moment de commission . . . . . . . . . . . . . . . 178
2.2.1
Le dépôt dans un contenant contre
l’introduction dans l’environnement . . . . 180
2.2.2
Le rejet indirect dans l’environnement . . . 181
2.3 Responsabilité continue ou ponctuelle? . . . . . . . 183
2.4 Quelle est la «source de contamination»? . . . . . . 185
2.4.1
*
La propriété source de contamination . . . 187
Avocat, administrateur agréé, biologiste. L’auteur remercie les personnes suivantes. Pour leurs travaux de recherche: M. Christopher Hamacher, juriste,
diplômé de l’Université de Montréal (1995) et Me Lorraine Chardigny, membre
du Barreau de Paris, diplômée de l’Institut de droit public des affaires de l’École
du Barreau de Paris (1998); pour la traduction: outre M. Hamacher, Mme Heidi
Gschwendtner; pour le travail de saisie et de correction: Mmes Paulette MénardFavreau et Ghislaine Chavarie; pour son soutien financier à la recherche: la Fondation du Barreau du Québec.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
157
2.4.2
La zone contaminée en tant que source . . . 188
2.4.3
Le sol sous-jacent au point d’entrée des
contaminants . . . . . . . . . . . . . . . . . 189
2.5 Migration contre simple présence . . . . . . . . . . 190
3. L’INFRACTION DE POLLUTION . . . . . . . . . . . . 192
3.1 Pénétration contre propagation . . . . . . . . . . . 193
3.2 N’est-ce pas le propre d’un contaminant de se
propager? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
3.3 Le problème des condamnations multiples . . . . . 199
3.4 La culpabilisation de la victime . . . . . . . . . . . 201
3.5 L’imprescriptibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
3.6 Une lecture indûment complexifiée . . . . . . . . . 209
3.7 La gravité objective . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
4. LA RECHERCHE DE L’ACTE RÉPRÉHENSIBLE . . . 211
4.1 L’existence d’un acte positif . . . . . . . . . . . . . 213
4.1.1
L’activation de la migration . . . . . . . . . 213
4.1.2
La migration subséquente à l’introduction
des contaminants dans l’environnement . . 217
4.2 L’absence d’acte positif. . . . . . . . . . . . . . . . 219
4.2.1
Le propriétaire du sol . . . . . . . . . . . . 219
4.2.2
La garde et le contrôle . . . . . . . . . . . . 223
5. COMMENT DIVERSES JURIDICTIONS ABORDENT
LE PROBLÈME LÉGISLATIF ET JUDICIAIRE . . . . 225
5.1 États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
158
5.1.1
Les grands concepts . . . . . . . . . . . . . 228
5.1.2
Commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
5.2 Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
5.2.1
Ontario . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
5.2.2
Colombie-Britannique . . . . . . . . . . . . 244
5.2.3
Autres juridictions provinciales . . . . . . . 246
5.3
France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247
5.4
Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
6. APPLICATIONS EN DROIT QUÉBÉCOIS . . . . . . . 253
6.1 Législatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
6.1.1
Les dispositions associées à la libération de
contaminants . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
6.1.2
Les dispositions associées au statut juridique
de la personne en cause . . . . . . . . . . . 268
6.2 Judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
6.2.1
L’affaire Tricots Canada U.S. . . . . . . . . 274
6.2.2
Le jugement Laidlaw . . . . . . . . . . . . 274
6.2.3
L’affaire Levy . . . . . . . . . . . . . . . . . 275
6.2.4
L’arrêt Thibault Démolition . . . . . . . . . 276
6.2.5
L’affaire Granicor . . . . . . . . . . . . . . 276
6.2.6
Les affaires Pelchat et Eldorado . . . . . . 277
6.3 Commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278
6.3.1
La source dite «secondaire» . . . . . . . . . 280
6.3.2
L’émission du contaminant . . . . . . . . . 282
7. CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283
7.1 Ne pas pousser trop loin le sens des mots. . . . . . 284
7.2 Respecter les choix du législateur . . . . . . . . . . 286
7.3 Rechercher l’«avertissement raisonnable» . . . . . 287
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
159
INTRODUCTION
En 1998, le ministre de l’Environnement et de la Faune
lançait la nouvelle politique de son ministère sur les sols contaminés1. Elle témoigne de la préoccupation actuelle de notre
société quant au problème environnemental que posent les terrains contaminés. Associés à la révolution industrielle et à un
développement économique qui ne tenait pas compte des conséquences de l’activité humaine sur l’environnement, ces terrains
sont aujourd’hui perçus à la fois comme un inconvénient et comme
une menace. Voici comment l’exprime la nouvelle politique du
Québec:
Contaminer un sol, c’est lui faire perdre, à un degré plus ou moins
prononcé, une ou plusieurs de ses fonctions. La contamination de
cette ressource constitue un handicap social et environnemental de
même qu’un frein économique certain. Les impacts sur la santé
humaine, la dégradation de l’environnement, la perte d’usage de
terrains et de nappes d’eaux souterraines de même que l’incertitude des investisseurs sont autant de conséquences directes de la
présence de contamination dans les sols.2
Il n’y a guère que quelques solutions: le traitement ou le confinement des sols sur place, ou encore leur excavation et leur
transport hors du site. Chacune a ses désavantages. Le traitement est généralement le plus coûteux et pose souvent des difficultés techniques considérables. Le confinement maintient les
sols en place et peut soustraire le site à des usages futurs.
L’excavation suppose la disponibilité de sols de remplacement et
entraîne le report du problème, les sols excavés devant être
ultimement soit traités, soit confinés, ailleurs.
La réhabilitation requiert des investissements3. Devant l’insolvabilité ou la disparition du véritable pollueur, les États con1. Ministère de l’Environnement et de la Faune, «Politique de protection des sols et
de réhabilitation des terrains contaminés», dans Politiques et directives de l’environnement au Québec, Farnham, Publications CCH, 1995 (éd. rév.), ¶¶ 2 505 et s.
(ci-après la «Politique de protection et de réhabilitation»).
2. Politique de protection et de réhabilitation, art. 3, supra, note 1, ¶ 2 515.
3. C’est ainsi qu’on parle des «coûts généralement faramineux auxquels s’élève le
moindre scénario de décontamination»: Martin PAQUET, «Les prohibitions de
l’article 20», dans Robert DAIGNEAULT et Martin PAQUET, L’environnement
au Québec, Farnham, CCH, 1994 (éd. rév.), ¶ 10 100; des cas précis font état de
coûts de restauration de 3 millions et même de 17 millions de dollars: Robert L.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
161
frontés au problème recherchent un autre responsable4 et le
propriétaire du terrain se retrouve dans la mire de l’Administration. Mais de mettre en cause le propriétaire, de par son seul
statut de propriétaire, est plus facile à dire qu’à faire. En effet, les
coûts élevés de la décontamination font en sorte que peu d’entre
eux en ont les moyens. Même l’Administration publique, ellemême propriétaire de nombreux sites contaminés (mines désaffectées, propriétés saisies, immeubles sans maître etc.) s’est
montrée hésitante à y investir. Par ailleurs, les propriétaires qui
n’ont rien à voir avec la cause de la contamination ne voient pas
pourquoi il leur incomberait d’en assumer les frais. Leur mise en
cause se bute aussi au principe du pollueur-payeur, qui se fonde
lui-même sur un autre principe, l’équité. «Le principe d’équité
sous-tend [sic] que la réhabilitation d’un terrain contaminé doit
être assurée en premier lieu par ceux qui profitent ou ont profité
de sa non-protection»5. Le simple propriétaire ne serait-il pas
plutôt une victime qu’un pollueur? Sa seule erreur, s’il en est, ne
serait-elle pas d’avoir acquis un terrain sans se soucier de son
état? Pourtant, ce n’est que récemment en Amérique du Nord que
l’évaluation environnementale de site6 est devenue pratique courante avant l’acquisition d’un terrain7. Faut-il s’en prendre à
l’ignorance de ces propriétaires? Si leur faute est d’avoir négligé
de vérifier l’état du site, est-ce une faute suffisamment condamnable pour justifier d’être responsable de la décontamination? Et
que dire de l’État qui s’évite lui-même ce genre d’exigences, en
qualifiant de sites orphelins les sites abandonnés devant lui
revenir selon le droit commun8.
4.
5.
6.
7.
8.
RIVEST et Marie-Andrée THOMAS, «Le recours en injonction en vertu de la
L.Q.E.», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements
récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 25-62,
p. 26; ou encore 66 millions $: Donald McCARTY, «La responsabilité environnementale des prêteurs, quels sont les risques réels?» dans Formation permanente
du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement
(1997), Cowansville, Yvon Blais, 1997, 299-342, p. 320.
RIVEST et THOMAS, supra, note 3, écrivent: «De fait, la notion de «pollueur-payeur» largement véhiculée lors de certains amendements législatifs
semble constituer un bien mince moyen «de facto» de récupérer quelque somme
d’argent auprès des personnes responsables lorsque ces dernières ont cessé leurs
activités».
Politique de protection et de réhabilitation, art. 3, supra, note 1, ¶ 2 515.
Telle que définie dans: Association canadienne de normalisation, Évaluation
environnementale de site, phase I, norme CAN/CSA Z768-94, Rexdale, Acnor,
1994.
G. MATTNEY COLE, Assessment and Remediation of Petroleum Contaminated
Sites, Boca Raton (Florida), Lewis Publishers, 1994, p. 105.
Art. 936 du Code civil du Québec (ci-après: «C.c.Q.»): «Les immeubles sans maître
appartiennent à l’État. [...]»; toutefois, l’art. 126 L.Q.E. soustrait l’État à certai-
162
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Quoi qu’il en soit, le propriétaire demeure une cible de choix.
D’abord, il est le plus souvent retraçable. Ensuite, il a un lien de
droit avec le terrain en cause. Enfin, dans la mesure où le terrain a
un usage ou que sa décontamination reste moins coûteuse que sa
valeur nette, son propriétaire possède un actif, et donc une capacité financière théorique d’intervenir. Certains ont ajouté que
c’est le propriétaire qui profitera économiquement de la remise en
état du terrain et qu’en conséquence, c’est lui qui devrait injecter
les fonds nécessaires. Il y a un hic. Il ne suffit pas de décider
administrativement de le mettre en cause. Pour le contraindre à
agir, encore faut-il de véritables pouvoirs. Il faut trouver dans la
législation des ancrages auxquels accrocher une telle responsabilité. Aux États-Unis, dès 1980, le législateur affirmait explicitement son intention de viser les propriétaires9. Au Québec, peu
de dispositions visent expressément le simple propriétaire, mais à
l’aube des années quatre-vingt-dix, on a vu apparaître au Canada
quelques lois en ce sens10. Déjà cependant, depuis 1986, la loi
américaine pourtant réputée pour sa sévérité ménageait une
porte de sortie au propriétaire innocent11.
On a vu se dessiner au Québec une position voulant qu’un
terrain contaminé soit lui-même juridiquement considéré comme
une source de pollution12. En effet, si le terrain est réputé tel, il
nes dispositions, les articles 31.46 à 31.51 (non en vigueur cependant), concernant la responsabilité du propriétaire d’un sol contaminé.
9. Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act, 42
U.S.C. §§ 9601 et s., ci-après «CERCLA», désigné souvent sous le nom de
Superfund.
10. Il y a eu notamment, en 1990, le Spills Bill en Ontario et la Loi du pollueurpayeur au Québec, de même qu’en 1993, le Contaminated Sites Legislation en
Colombie-Britannique (pour plus de détails sur ces lois, voir les chapitres 5 et
6).
11. Robert L. BRONSTON, «The Case Against Intermediate Owner Liability
Under CERCLA for Passive Migration of Hazardous Waste», (1994) 93 Michigan L. R. 609, p. 627: «This “innocent landowner exemption”, which appears in a
modification to the definitional section of CERCLA, provides that purchasers
are liable for the land they acquire unless they can show, inter alia, that “the
real property on which the facility concerned is located was acquired by the
defendant after the disposal or placement of the hazardous substance on, in, or
at the facility.”»; les rédacteurs de la norme CSA/Z968-94 sur l’évaluation
environnementale de site («EES», supra, note 6), elle-même fondée en grande
partie sur la norme américaine ASTM E 1527, nous rappellent «qu’aux ÉtatsUnis, le processus d’établissement de la norme sur l’EES avait pour but de
permettre à l’utilisateur de remplir les conditions requises de la «Défense du
propriétaire innocent» en vertu de la Comprehensive, Environmental Response,
Compensation and Liability Act (CERCLA)».
12. Même si la L.Q.E. contient une définition de pollution qui la distingue d’une
simple contamination, nous assimilons les deux termes, dans ce texte, pour les
fins de notre analyse.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
163
devient facile de considérer son propriétaire comme responsable
de cette pollution. On a aussi avancé que ce propriétaire du terrain
était par le fait même le propriétaire des contaminants du sol, ou
en avait tout au moins la garde ou le contrôle. Du coup, voilà
aplanis les obstacles dont celui, de taille, que pose le principe du
pollueur-payeur. Le propriétaire victime de la pollution devient
ipso facto pollueur. On peut désormais le pointer du doigt sans que
cela ne suscite de problèmes d’ordre éthique13. Cette orientation
vient modifier considérablement la lecture qui se faisait traditionnellement du droit au Québec. Elle semble vouloir se maintenir, à
en juger par le texte de la nouvelle politique du ministère de
l’Environnement et de la Faune. Malgré qu’on y reconnaisse le
principe du pollueur-payeur, il reste qu’on vise systématiquement
les propriétaires14. Cette politique n’a pas force de loi15, mais elle
est conçue de manière à faire jouer les lois du marché16. Les enjeux
financiers sont considérables. Les enjeux juridiques également.
L’implication du propriétaire en tant que pollueur repose sur
un phénomène en apparence propre aux terrains contaminés, la
migration des contaminants. Bien souvent, les contaminants du
sol sont portés à se déplacer, se diffuser, se propager. Cette contamination migrante a pour effet de transférer les contaminants
d’un site à un autre, d’un médium à l’autre (c’est-à-dire du sol à
l’eau ou à l’air, par exemple). Ce transfert est perçu comme un
phénomène de pollution. Cette orientation résiste cependant mal
à l’analyse. En effet, au même titre que le propriétaire est, dans les
faits, une victime et non un pollueur, le sol contaminé est une
conséquence, non une cause de la pollution. Ou alors, il faut
considérer une pollution de second niveau, une pollution «secon13. Observation de Me Michèle-Laure RASSAT sur l’arrêt Ferrier, en France (P.G.
Besançon c. Ferrier (28 avril 1977), Recueil Dalloz Sirey, Jurisprudence, 1978,
p. 149.), p. 151: «On ne peut plus guère la soutenir aujourd’hui [l’absence de
blâme social] alors que des campagnes de toute nature, qui n’ont en commun
que leur manque de mesure, ont tellement ébranlé l’opinion publique que la pollution est aujourd’hui rendue responsable de tous les maux de l’humanité et les
pollueurs considérés comme les agents humains de l’apocalypse».
14. Voir notre commentaire dans Robert DAIGNEAULT, «Nouvel encadrement des
interventions sur les sols contaminés», (1998) 17-18 L’environnement au Québec 6-8, p. 8.
15. Par analogie, sur la politique de 1988: Denys-Claude LAMONTAGNE, «Les
droits du propriétaire dans le sol et le sous-sol», (1989) 3 C.P. du N. 141, p. 184;
Odette NADON et Paul GRANDA, «Qui doit assumer la responsabilité des sols
contaminés?», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1997), Cowansville, Yvon Blais,
1997, 183-238, p. 186.
16. C’est ce qu’indique le ministère de l’Environnement et de la Faune, dans le texte
même de la politique, art. 4, supra, note 1, ¶ 2 520.
164
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
daire»17. Le débat est récent au Québec. Il n’y a pas, à notre
connaissance, de jugement qui se soit penché sur cette question
particulière. La célèbre décision Laidlaw18, rendue par la Cour
d’appel du Québec, a suscité des commentaires intéressants, mais
elle n’a pas véritablement abordé ce problème. Quelques années
plus tôt, cependant, la Cour d’appel de l’Ontario rendait un
jugement19 qui semble avoir exclu la contamination migrante de
la notion de pollution, telle qu’elle pourrait être sanctionnée en
vertu de la Loi sur la protection de l’environnement de l’Ontario20.
Cette décision s’inscrit à l’encontre d’une série de décisions des
tribunaux ontariens qui, au contraire, ont semblé mettre sur le
même pied la migration de contaminants dans l’environnement et
leur introduction première dans ce milieu21.
La question se pose sous deux rapports: la sanction pénale et
la sanction administrative. Si ces sanctions procèdent de régimes
distincts, leurs effets se rejoignent. Dès le moment où nos tribunaux ont distingué l’infraction criminelle de l’infraction réglementaire, ils ont fait se rapprocher la sanction de cette dernière de
la sanction administrative. Leurs conséquences à toutes deux sont
avant tout financières et aucune ne porte le stigmate de la
criminalité. Enfin, les infractions prévoyant l’emprisonnement
sont rares22. Il serait donc périlleux, à notre avis, de s’autoriser
17. NADON et GRANDA, supra, note 15, p. 220: «Il n’est donc pas suffisant pour ce
faire de tarir la première source de contamination, soit un réservoir qui coule,
un sol imbibé de contaminants ou une nappe liquide flottante d’hydrocarbures,
par exemple. Il faudra tarir toutes les sources secondaires de contamination,
c’est-à-dire non seulement briser la chaîne de transport des contaminants, mais
détruire également les maillons de la chaîne.»
18. P.G. du Québec c. Services environnementaux Laidlaw (Mercier) Ltée, [1995]
R.J.Q. 377 (C.A.) (ci-après «Laidlaw»); au moment d’écrire ces lignes, la décision Compagnie pétrolière Impériale n’était pas encore rendue (Compagnie
pétrolière Impériale Ltée c. Ministre de l’Environnement et de la Faune (2 juin
1999), T.A.Q.., no STE-Q-47000-9804).
19. Canadian National Railway Co. v. Ontario (Director appointed under the Environmental Protection Act) (1992), 8 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.A. Ont.).
20. L.R.O. 1990, c. E.19, ci-après la «L.P.E.O.».
21. Dianne SAXE, Environmental Protection Act, annotated, Aurora, Canada Law
Book, 1990 (éd. rév.), p. II-35 et II-36: «These cases [...] are also very difficult to
reconcile with the decision of the Ontario Court of Appeal in R. v. Canadian
National and Northern Wood Preservers [...], where the court took considerable
pains to emphasize that a “discharge” occurs only the first time that a contaminant is released into the natural environment, and that there is no “discharge”
when contaminants subsequently move from one part of the environment to
another. To date, none of the cases has successfully reconciled these divergent
lines of argument.»
22. Dans la L.Q.E., par exemple, seuls la contravention à l’article 20 et le refus ou
l’omission d’obtempérer à une ordonnance ou de s’acquitter de certaines obliga-
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
165
d’un pouvoir administratif pour donner aux lois de nature réglementaire une portée plus grande que ce qu’autorise le droit pénal.
S’il n’y a que peu de sources juridiques utiles en droit québécois,
les sources étrangères abondent où les pouvoirs législatifs et
judiciaires ont tenté d’apporter des solutions, chacun avec son
originalité propre. Des enseignements utiles peuvent en être
tirés. Il y a une intéressante convergence dans la façon dont ces
questions ont été abordées. Leur traitement est fortement marqué
par les particularités de la migration des contaminants et la
difficulté d’apporter des solutions juridiques simples à un problème qui n’a manifestement pas été prévu à l’origine par les
diverses législatures lorsque furent sanctionnées les premières
lois environnementales. Nous nous inspirerons de cette réflexion
étrangère pour proposer une solution dans notre droit.
1. LE PHÉNOMÈNE DE LA MIGRATION
Le droit de l’environnement jongle avec des concepts nouveaux23. On a défini les notions d’environnement, de contaminant,
de pollution, de source de contamination. Des infractions ont été
créées, rendant passibles de sanctions pénales des gestes qui
auparavant n’étaient tout au plus que des fautes civiles. Ce flottement autour de la notion de pollution n’est donc pas étonnant. La
migration de contaminant n’est pas en soi une constatation
récente. Il est de l’essence même du contaminant de se propager.
C’est de là d’ailleurs que découlent ses principaux effets. Il se propage dans les eaux de surface ou dans les eaux souterraines, il
voyage dans l’air, il entre à l’intérieur des organismes vivants et
remonte progressivement la chaîne alimentaire24. Si, en matière
de sols contaminés, on attache une importance particulière à cette
migration et que l’on en cherche le responsable éventuel, c’est que
le sol, au contraire de l’eau et de l’air, est vu traditionnellement
comme quelque chose d’immuable. Il constitue d’ailleurs, en droit
tions précises rendent passible d’emprisonnement; dans le cas d’une personne
morale, la question ne se pose pas.
23. Yvon DUPLESSIS, Jean HÉTU et Jean PIETTE, La protection juridique de
l’environnement au Québec, Montréal, Thémis, 1982, p. 49: «L’une des innovations les plus intéressantes contenues dans la Loi [sur la qualité de l’environnement] est sans doute d’avoir considéré l’environnement comme objet de
législation en tant que tel [...]» (repris dans Texaco Canada Inc. c. C.U.M. (22
juillet 1994), Montréal 500-02-023766-913, M. le juge J. Barbe, J.E. 94-1242, p.
47).
24. NADON et GRANDA écrivent, supra, note 15, p. 214: «[U]ne contamination est
presque toujours susceptible de migrer, la captivité étant la très rare exception».
166
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
des biens, le contraire même de l’eau et de l’air, qui sont eux intrinsèquement res communes25. Le sol étant fixe et les contaminants
mobiles, il est facile de le visualiser comme «émettant» ou «dégageant» des contaminants et, partant, de le considérer comme une
source de contamination. Cette prétendue source a le plus souvent
un propriétaire ou un occupant, ou encore un gardien et, de là, on
en vient à leur attribuer la responsabilité de la migration. Bien
entendu, cette conception suppose un clivage artificiel de ce qui
constitue l’environnement. Le sol est alors vu comme une cause de
contamination... du sol, ou encore de l’eau ou de l’air, qui pourtant
sont intimement mêlés à celui-ci au point d’en faire partie (eau et
air interstitiels, par exemple). Il est révélateur que, dans la Loi
sur la qualité de l’environnement du Québec26, il n’y ait eu à
l’origine aucune disposition concernant spécialement la contamination des sols, alors que des sections entières de la loi portaient
sur l’eau et l’air. La protection des sols se trouvait dissimulée derrière les dispositions concernant la gestion des déchets, hormis un
article isolé, l’article 2327.
La migration des contaminants dans le sol est un phénomène
complexe, qui varie en fonction de plusieurs facteurs qui peuvent
influencer sa sanction juridique éventuelle: mouvements spontanés de contaminants déjà introduits dans l’environnement, produit qui se répand dans le milieu ambiant depuis une structure
qui fuit, écoulement constant (phénomène de la pollution continue). Autant de déplacements qui se distinguent par le lieu et la
manière. Ce sont des nuances capitales dont il résulte une applica25. Art. 913 C.c.Q.; Anne-Marie SHEEHAN, «Le nouveau Code civil du Québec et
l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1994), Cowansville, Yvon Blais,
1994, 1-28, p. 12; Charlotte LEMIEUX, «La protection de l’eau en vertu de
l’article 982 C.c.Q.: problèmes d’interprétation», (1992) 23 R.D.U.S. 192, p.
196-198; voir cependant: Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 2e
éd., Cowansville, Yvon Blais, 1995, ¶ 257.
26. L.R.Q., c. Q-2 (ci-après: «L.Q.E.»).
27. Art. 23 L.Q.E.: «Dans le cas d’une demande d’autorisation relative à certaines
catégories de projets, activités ou industries susceptibles de porter atteinte ou
de détruire la surface du sol et déterminées par règlement du gouvernement, le
requérant doit soumettre un plan de réaménagement du terrain de même que
toute garantie exigible, le tout conformément aux normes et modalités prévues
par règlement du gouvernement»; les seuls cas prévus par règlement sont ceux
des carrières et sablières (Règlement sur les carrières et sablières, R.R.Q. 1981,
c. Q-2, r. 2, art. 3k)), et les mines à ciel ouvert (Règlement relatif à l’application
de la Loi sur la qualité de l’environnement, [Q-2, r. 1.001], art. 7(9)d)); cela
démontre que les atteintes au sol, pour le législateur, se bornaient à des
atteintes physiques et non chimiques.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
167
tion pour le moins inusitée de règles qui, au départ, n’apparaissent pas avoir été conçues pour en tenir compte, vraisemblablement parce qu’elles n’ont pas été écrites pour couvrir la
migration des contaminants28.
1.1 Mouvement dans l’environnement
Lorsque la source de la contamination est tarie mais que
l’environnement demeure contaminé, on a une situation de migration pure, c’est-à-dire d’un mouvement autonome de contaminants à l’intérieur même de l’environnement. Deux effets peuvent
alors se produire: la concentration des contaminants peut aller en
diminuant, par un effet de dégradation29, de dilution ou de dispersion; sans ces facteurs, elle restera constante. Si l’on exclut
l’action humaine, les vecteurs de déplacement sont essentiellement, d’une part, la dissolution dans l’eau et le mouvement
subséquent du contaminant avec cette eau et, d’autre part, la
vaporisation du contaminant dans l’air et son mouvement dans ce
médium à l’état de vapeur. S’y ajoute le phénomène d’écoulement
ou d’épanchement, lorsque le contaminant est lui-même mobile,
généralement un liquide ou un gaz. La propension intrinsèque du
contaminant à se déplacer dépend de ses propriétés physiques et
chimiques, et de la nature de l’environnement où il se trouve.
Henning30 donne l’exemple d’un contaminant dense qui aura
tendance à traverser les couches d’eau souterraine pour s’enfouir
profondément dans le sol, par rapport au contaminant plus léger,
qui restera au-dessus de la nappe phréatique. Il donne aussi
l’exemple d’un produit très volatil qui s’évaporera facilement dans
l’atmosphère. Quant aux caractéristiques du milieu influençant
la mobilité des contaminants, il pourra s’agir du type de sol, du
climat, de la localisation du sol, de la présence ou non d’eau
souterraine, de l’activité humaine environnante. Cole31 rappelle
pour sa part que la viscosité d’un produit pétrolier et la porosité du
28. Les observations et descriptions qui suivent s’inspirent principalement de
l’ouvrage de Boulding (infra, note 32), mais aussi de l’expérience de l’auteur
(qui possède aussi une formation scientifique) dans de nombreux dossiers
mettant en cause des terrains contaminés.
29. C’est ce qui est relaté entre autres dans l’affaire Birch Foundation v. Nevada
Investment Holdings, Inc., U.S. App. LEXIS 14923 (9th Cir. 1998); voir aussi P.
G. du Québec c. Ultramar Canada Inc. (26 janvier 1998), Roberval 155-61000859-979 (C.Q.), M. le juge J.-Y. Tremblay, p. 18 «la nature pouvait corriger la
situation à la longue».
30. Dr. Frank HENNING, «Sources of contamination», in Toxic Real Estate, Vancouver, Continuing Legal Education, 1990, p. 4.1.03 et 4.1.04.
31. Supra, note 7, p. 84.
168
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
sol influencent la vitesse de migration de ce produit. De façon
générale, un très grand nombre de facteurs jouent sur la mobilité
et la toxicité des contaminants dans le sol32.
Vaporisation et dissolution signifient que le contaminant
passe de la phase solide du sol à un médium gazeux ou liquide, à
savoir les eaux ou l’air interstitiels du sol, pour éventuellement ne
plus être dans le sol lui-même, du moins mélangé ou adhérant à sa
phase ou à ses constituants solides, mais dans une nappe d’eau
souterraine, dans une eau de surface ou dans l’atmosphère. Le
phénomène peut être intermittent. La dissolution peut se produire lors d’une remontée ou d’une infiltration des eaux33. Elle
s’interrompt en période de sécheresse ou de gel. Dès l’entrée des
contaminants dans le sol, les conditions naturelles commencent à
agir et, dès ce moment, le phénomène peut se produire. Il s’atténue souvent progressivement, avec la raréfaction consécutive des
contaminants au point d’entrée34. Déjà, ce processus soulève des
questions juridiques. Ce changement de médium constitue-t-il un
32. J. RUSSELL BOULDING, Practical Handbook of Soil, Vadose Zone, and
Ground-Water Contamination: Assessment, Prevention, and Remediation, Boca
Raton (Florida), Lewis Publishers, 1995, p. 146: «The mobility and toxicity of
contaminants in the subsurface may be affected by a number of important
chemical properties and characteristics of humic substances:
• High sorption capacity for metals and organic pollutants
• Ability to readily form complexes with heavy metals
• Ability to incorporate organic pollutants with similar structures to the building blocks of humus (such as chlorinated phenols, naphtholic compounds and
halogenated anilines) when humus forms
• Ability to solubilize organic compounds that are otherwise water insoluble
• Ability to increase hydrolysis reactions as a catalyst or, conversely, to slow the
rate of hydrolysis reactions by sorption
• Ability to affect the rate and pathways of oxidation-reduction reactions».
33. Id., p. 179: «Infiltration is probably the most common ground-water contamination mechanism. A portion of the water that falls to the earth as precipitation
slowly infiltrates the soil through the pore spaces in the soil matrix. As the
water moves downward under the influence of gravity, it dissolves materials
with which it comes into contact. Water percolating downward through a contaminated zone can dissolve contaminants, forming leachate that may contain
inorganic and organic constituents. The leachate will continue to migrate
downward under the influence of gravity until it reaches the saturated zone. In
the saturated zone, contaminants in the leachate will spread horizontally in the
direction of ground-water flow, and vertically due to gravity. [...] this process
can occur beneath any surface or near-surface contaminant source exposed to
the weather and the effects of infiltrating water.»
34. COLE, supra, note 7, p. 80: «Typically at the highest level of saturation, the
water table is not a static boundary, but fluctuates in cyclical manner as the
water table rises and falls. In the vapor phase hydrocarbon vapor exists in the
vadose zone in interstitial spaces that are not already occupied by water or bulk
liquid hydrocarbons.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
169
nouvel événement? un phénomène nouveau de pollution?
Donne-t-il ouverture à une sanction? Le changement de médium
amène la question de la divisibilité de l’environnement. Cet actus
novus interveniens pourrait peut-être constituer un événement en
soi, la pénétration d’un contaminant non pas d’une manière
générale dans l’environnement, mais dans l’une de ses composantes, eau, air ou sol. De là à soutenir que cet actus, combiné avec
le laisser-faire, équivaudrait à l’actus reus nécessaire, toute la
question est là. Dans plusieurs décisions, les faits impliquent un
changement de médium35.
Tant dans l’application de sanctions administratives (ordonnances) ou de sanctions pénales, la propriété a été au cœur de
plusieurs litiges, sous diverses juridictions36. Le changement de
propriété sous-entend aussi un passage. Le contaminant franchit
les limites d’un terrain. Il peut franchir plus d’une ligne de lot. Il
peut aussi être introduit sur la propriété publique (sédiments
contaminés des cours d’eau navigables, tréfonds d’anciens sites
miniers). Cet état de chose a été facilement sanctionné par le droit
commun des nuisances. C’est ainsi qu’une municipalité peut
invoquer avec succès la L.Q.E. contre le propriétaire d’un immeuble envahi par des émanations provenant du terrain sous-jacent
contaminé37, même si la cause de la contamination peut se situer
35. En Ontario: Canadian National Railway Co. v. Ontario (Director appointed
under the environmental protection Act) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 211 (Ont. Div.
Ct.), 223., conf. supra, note 19; R. v. Bata Industries Ltd. (1992), 7 C.E.L.R.
(N.S.) 245, 256; R. v. Power Tank Lines Ltd. (1975) 23 C.C.C. (2d) 464;
Aux États-Unis: Emhart Industries Inc. v. Duracell International Inc., 665
F.Sup. 549 (M.D. Tenn. 1987); The Fertilizer Institute v. U.S.E.P.A., 935 F. 2d
1303 (D.C. Cir. 1991); Joslyn Manufacturing Co. v. T.L. James & Co., Lexis
12343 (W.D. La. 1993), Reichhold Chemicals Inc. v. Textron Inc., 888 F.Sup.
1116 (N.D. Fla. 1995); U.S. v. Shell Oil Co., 841 F.Sup. 962 (C.D. Cal. 1993);
En France: Ferrier, supra, note 13 (Rev. jur. env. 1982, p. 156, obs. M.-J.
Littmann-Martin); voir aussi: Cas. crim., 25 oct. 1995; Dr. pénal 1996, comm.
66.
36. En Ontario: Rockcliffe Park Realty Ltd. v. Ontario (Director, Ministry of the
Environment (1975), 10 O.R. (2d) 1 (C.A.); Canadian National Railway, supra,
note 35;
En Colombie-Britannique: R. v. Rivtow Straits Ltd. (1992), 8 C.E.L.R. (N.S.)
16 (C.S. C.-B.), conf. (1993), 12 C.E.L.R. (N.S.) 153 (Loi sur les pêches fédérale);
Aux États-Unis: Lincoln Properties Ltd. v. Higgins, 823 F.Sup. 1528 (E.D. Cal.
1992); Reichhold Chemicals, supra, note 35; Westfarm Associates Limited Partnership v. Washington Suburban Sanitary Commission, 66 F.3d 669 (4th Cir.
1995); Hill v. Whitemarsh Township Authority, 199 B.R. 298; 1996 Bankr.
LEXIS 848 (E.D. Pa. 1996).
En Grande-Bretagne: Price v. Cromack, [1975] 2 All ER 113.
37. Art. 80 à 82 L.Q.E.: Ville de Sept-Îles c. 2736-4140 Québec Inc. (30 mai 1997),
Mingan 650-05-000156-977 (C.S.), M. le juge A. Carrier.
170
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
ailleurs que dans ce terrain38. Il faut cependant distinguer ce
contexte civil particulier de l’infraction de pollution. Nous y
reviendrons.
Le mouvement de contaminants dans l’environnement peut
se faire d’un bloc ou par l’expansion progressive. Dans le premier
cas, une seule masse de contaminants se déplace et l’ensemble
s’éloigne progressivement du point d’origine. Dans le second, c’est
la zone contaminée qui s’agrandit sans qu’il y ait coupure depuis le
point d’origine. Dans l’un, l’endroit où était initialement le contaminant en est pratiquement débarrassé; l’impact apparaît
maintenant ailleurs. On peut imaginer une nappe de brut poussée
par les courants sur un plan d’eau, ou encore un nuage toxique
poussé par les vents dans l’atmosphère. De la même manière, les
contaminants du sol sont peu à peu remplacés par de l’eau ou de
l’air interstitiels non contaminés. Par contre, dans l’autre cas, le
point de départ de la migration reste souillé. La zone s’amplifie en
étendue, mais la contamination diminue inévitablement en intensité39. S’il y a déplacement en bloc, à supposer que le terrain d’où
provenaient les contaminants pouvait être vu comme leur source,
alors, cette source est désormais tarie. Elle n’«émet» plus. Les contaminants n’y sont plus. La question est alors de savoir si chacun
des autres lieux où se sont répandus les contaminants, en aval,
devient provisoirement la source d’où émanera une nouvelle contamination. Autre particularité, à moins d’une dilution ou d’une
dispersion progressive des contaminants, ceux-ci conserveront en
théorie la même concentration qu’au départ. S’il y a plutôt épanchement, la situation est différente. On a d’un côté un milieu de
départ qui demeure contaminé, puisque c’est la zone qui s’agrandit, mais la concentration en contaminants y diminue progressivement. De l’autre, on a un milieu aval où il y a augmentation de
la présence de contaminants là où la zone progresse. Par ailleurs,
plus l’intensité de la zone de départ s’atténue, plus la propagation
ralentit, les contaminants les plus labiles se déplaçant en premier.
Peut-on considérer qu’il y a pollution lors d’un tel épanchement,
ou n’est-ce pas là plutôt sa conséquence? Quoi qu’il en soit, l’effet
des contaminants, contrairement au premier cas, ira constamment en s’atténuant.
38. Ville de Mont-Laurier c. Paquette (19 mai 1978), Labelle 560-05-000119-78
(C.S.), M. le juge C. B. Major (reproduit dans Duplessis, Hétu et Piette, supra,
note 23, p. 441).
39. «[Chemicals’] levels diminish as they extend»: Bata Industries, supra, note 35,
p. 296; voir aussi, supra, note 29.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
171
La migration peut se faire par volatilisation dans l’atmosphère. Un réservoir à ciel ouvert d’un produit qui s’évapore
entraîne son dégagement dans l’environnement. Tant et aussi
longtemps qu’il demeure dans le réservoir, même s’il est déjà à
l’air libre, on serait fondé de considérer que le produit ne s’est pas
encore répandu, comme une fosse à purin qui dégage des odeurs
nauséabondes. La fosse étant conçue pour recevoir le produit, son
contenu ne serait pas encore un dépôt dans l’environnement40. Ce
sont les émanations qui constitueraient le dégagement. Qu’en
est-il d’une nappe de contaminants qui, plutôt que d’être ainsi
retenue, est déjà dans l’environnement? Le déversement initial
est clairement une infraction de pollution, sous réserve des défenses possibles. Mais si le produit répandu s’évapore ensuite, s’agitil d’une nouvelle infraction? Le problème est ici comparable au
changement de médium, mais à la différence que c’est la forme du
contaminant qui est modifiée, non le médium.
Une eau peut se détériorer en traversant une zone où elle
lessivera d’autres substances, comme les eaux de lixiviation d’un
lieu d’enfouissement sanitaire (sans compter l’eau contenue dans
les déchets eux-mêmes et qui se mélange à l’eau de pluie)41. Dans
un tel cas, la cause de la pollution se situerait dans l’environnement. Du moins à première vue42. Dans les faits cependant,
les cellules du lieu d’enfouissement ne constituent pas physiquement l’environnement naturel, mais un espace extérieur à
celui-ci, un volume isolé et identifiable distinct du sol environnant. Soit, les déchets peuvent être plus ou moins bien isolés des
agents extérieurs. La réglementation actuelle prend même pour
acquis que les eaux contaminées se propagent43. Il n’en demeure
40. Par analogie, voir R. v. Enso Forest Products Ltd. (1993) 12 C.E.L.R. (N.S.) 221
(B.C. C.A.): un ouvrage conçu pour recevoir un déversement, à savoir un simple
fossé, n’a pas été considéré comme l’environnement; voir aussi l’arrêt Piette c.
Texaco Canada ltée (30 août 1982), Montréal 500-27-012042-802 (C.S.), M. le
juge J. Ducros, et comparer avec P. G. du Québec c. Société d’électrolyse et de
chimie Alcan ltée (Sécal) (26 septembre 1997), Chicoutimi 150-61-002111-958
(C.Q.), Mme la juge M. Paradis, p. 17-18, qui applique les principes de l’arrêt
Enso.
41. P.G. du Québec c. Duchesne [1973] C.S. 942: «La décomposition des déchets
produit un jus appelé «leachate»».
42. «À partir du moment où l’on considère que les déchets sont absorbés par la terre,
ils ne sauraient évidemment être considérés comme des «res derelictae» puisque
la terre est nécessairement appropriée.»: Pascale STEICHEN, Les sites contaminés et le droit, Paris, L.G.D.J., 1996, p. 38.
43. «L’enfouissement sanitaire des déchets solides doit s’effectuer sur un terrain où
les conditions hydrogéologiques sont telles que les eaux de lixiviation s’infiltrent dans le sol et que le temps de migration des eaux est supérieur à 5 ans
172
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
pas moins que les eaux pénètrent dans la masse des déchets et en
extraient des substances44, comme dans l’affaire Laidlaw45.
Entraînés ainsi par l’eau les contaminants sont rejetés dans
l’environnement. A-t-on un phénomène analogue, cependant, si
les eaux entraînent des substances naturelles? Prenons le cas des
précipitations acides. En abaissant le pH du sol, elles mettent en
solution des métaux lourds qui peuvent pourtant être naturels46.
La personne qui ne protège pas son sol des eaux de précipitations
acides (en le recouvrant, par exemple) commet-elle une infraction
par omission? Son sol n’est-il pas, selon certaine thèse, une source
de contamination? Le phénomène est pourtant très semblable
chimiquement au lessivage des déchets. Que dire enfin des cas de
gaz radon, un gaz radioactif présent naturellement dans certains
sols et qui envahit les sous-sols47? Le terrain est-il une source de
contamination? Peut-on même considérer contaminé un environnement qui se manifeste dans ses caractéristiques éminemment
naturelles?
1.2 Les facteurs extrinsèques et leurs incidences
Au-delà du simple mouvement autonome des contaminants
dans l’environnement, il existe des facteurs extérieurs qui pourraient avoir une incidence sur la qualification juridique éventuelle de ce phénomène autonome. Il s’agit en fait de situations où
l’action humaine joue un rôle contributif. Lorsque les contaminants sont déjà dans le sol, leurs divers modes de propagation
autonome ont été décrits plus haut, mais une fois le contaminant
introduit, si une personne intervient pour en causer la propagation, peut-on sanctionner ce geste? En vertu du CERCLA, la dispersion engendrée par une personne a été traitée différemment de
celle qui se produit de façon naturelle. Ainsi, l’entrepreneur qui a
éparpillé la contamination en faisant des travaux d’excavation et
de nivellement dans des sols contaminés a été vu comme ayant
déposé des substances dangereuses sur un site et a été jugé res-
44.
45.
46.
47.
avant de parcourir 300 mètres [...]»: Règlement sur les déchets solides, [Q-2,
r. 3.2], art. 29, al. 1.
Voir la définition d’«eau de lixiviation» dans le Règlement sur les déchets solides,
[Q-2, r. 3.2], art. 1g).
Supra, note 18.
LAMONTAGNE, «Les droits du propriétaire dans le sol et le sous-sol», supra,
note 15, p. 165 (à la note 32).
Michel BÉLANGER, La responsabilité de l’État et de ses sociétés en environnement, Cowansville, Yvon Blais, 1994, p. 82 (à la note 241).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
173
ponsible party48. Cette conclusion s’est fondée sur la définition de
«disposal» dans la loi américaine49. La plupart du temps toutefois,
l’action humaine ne fait qu’accélérer ou accentuer un processus
qui, de toute manière, se produira. L’excavation de sols contaminés avec des produits volatils peut laisser ces produits se propager
dans l’atmosphère50. Or, ces produits se propageront de toute
façon puisque le sol contient des vides interstitiels. L’eau souterraine, par ses fluctuations verticales, refoule cet air vers l’atmosphère lorsqu’elle s’élève. Accélérer la décharge de contaminants
lorsqu’elle se produit de toute façon, mais sans aucun ajout de
contaminants, peut-il être le même genre d’infraction que leur
libération pure et simple dans l’environnement? Qu’en est-il si la
migration est provoquée non pas par un éparpillement des contaminants dû à une personne en amont, mais à un appel d’eau causé
en aval51? Y a-t-il transfert de responsabilité vers l’agent en aval?
Dans le cas de structures enfouies ou à même le sol, l’action
des agents naturels s’observe avant tout au niveau de la structure
elle-même. Il s’agit en quelque sorte d’un phénomène qui précède
la libération des contaminants. Une fois le contenant percé, son
contenu s’écoule la plupart du temps de lui-même. Il s’agit alors
d’une fuite52. Dans le cas de lagunes ou de cellules d’enfouis48. Ganton Technologies, Inc. v. Quadion Corp., 834, F.Sup. 1018 (N.D. Ill. 1993);
Kaiser Aluminum & Chemical Corp. v. Catellus Development Corp., 976 F.2d
1338 (9th Cir. 1992); voir cependant HRW Systems, Inc. v. Washington Gas
Light Co., 823 F.Sup. 318 (D. Md. 1993), où l’ignorance de l’état des lieux a
permis au promoteur de se prévaloir de la défense d’innocent owner, laissant
par là entendre que le déplacement de la substance serait davantage un
«release» qu’un «disposal» (pour la définition de «disposal», v. infra, note 49;
pour la définition de «release», v. infra, note 89).
49. Il s’agit en fait de la définition apparaissant dans le Resource Conservation and
Recovery Act («RCRA»), 42 U.S.C. §§ 6901-6987. La définition se retrouve à 42
U.S.C. § 6903: «The term “disposal” means the discharge, deposit, injection,
dumping, spilling, leaking, or placing of any solid waste or hazardous waste
into or on any land or water so that such solid waste or hazardous waste or any
constituent thereof may enter the environment or be emitted into the air or discharged into any waters, including ground waters».
50. Voir notamment: ministère de l’Environnement et de la Faune, Lignes directrices d’intervention pour l’enlèvement de réservoirs souterrains ayant contenu
des produits pétroliers, Québec, Gouvernement du Québec, 1994, p. 72.
51. À Mercier, il a fallu restreindre l’utilisation de puits pour éviter la propagation
d’une nappe contaminée: Règlement relatif à la protection des eaux souterraines
dans la région de ville de Mercier, [Q-2, r. 18.1]; les personnes qui, par le
pompage, provoquent la migration sont-elles responsables de ce qu’elles causent?
52. Causes impliquant des contenants enfouis: Laidlaw, supra, note 18, R. v. Blackbird Holdings Ltd. (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 119 (Ont. Prov. Off. Ct.); Emhart
Industries, supra, note 35.
174
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
sement, il s’agit ordinairement d’une véritable percolation53. Une
migration de contaminants vers l’environnement peut se produire
dans des conditions très similaires à une migration dans l’environnement, dans le cas de la percolation. Le cas le plus patent
est celui des fameuses lagunes de Mercier, à l’origine d’un des plus
sérieux cas de contamination souterraine qu’ait connu le Québec.
Il existe toutefois d’importantes différences. Ainsi, lors d’une
fuite, le phénomène, plutôt que d’aller en s’atténuant, peut souvent prendre de l’ampleur. Plus la structure sera détériorée par
les agents naturels, plus celle-ci laissera échapper son contenu,
jusqu’à ce qu’elle se vide. Par ailleurs, il s’agit davantage d’une
introduction de contaminants dans l’environnement que de leur
seule migration. C’est ce phénomène que nous décrit la Cour
d’appel dans l’affaire Laidlaw54.
Un produit peut s’écouler sans arrêt d’un récipient. Cet écoulement se prolonge et se continue le plus souvent sur une certaine
distance vers l’aval. Il peut se continuer sous terre, puis apparaître en aval sur les berges et à la surface d’un plan d’eau. Si
l’écoulement hors du réservoir représente un rejet dans l’environnement, peut-on y assimiler la propagation du même produit,
doublement continu, c’est-à-dire créé par l’apport constant de produit en quelque point que l’on soit sur son trajet, de même que par
sa progression constante vers l’aval? Si la progression qui se
continue au-delà de la source elle-même est tout autant un phénomène de pollution (contrairement à ce que la Cour supérieure a
laissé entendre dans l’affaire Tricots Canada U.S.55), le responsable n’aurait rien réglé en stoppant l’écoulement du réservoir, s’il
ne stoppait également la progression du produit échappé56. En
53. Causes impliquant des lagunes ou cellules d’enfouissement: Duchesne, supra,
note 41; R. v. Amoco Fabrics and Fibers Ltd. (1992) 9 O.R. (3d) 306; Shell Oil,
supra, note 35.
54. Supra, note 18, p. 379: «Lorsqu’ils furent enfouis, les contenants étaient plus ou
moins étanches et, par l’effet de la corrosion, ils allaient le devenir de moins en
moins. En conséquence, ils allaient laisser écouler leurs contaminants. On peut
donc dire que les contenants enfouis constituaient autant de sources éventuelles
de pollution et que l’émission des contaminants allait être continue durant
plusieurs décennies.» (italiques ajoutés)
55. Tricots Canada U.S. Inc. c. La Prudentielle Compagnie d’assurance Ltée, [1990]
R.J.Q. 1412 (C.S.), désistement en appel.
56. Id., p. 1416: la Cour a estimé que les seules obligations du demandeur, lorsque
la fuite est apparue, «étaient d’avertir le ministre sans délai (art. 21) et de
colmater la fuite (art. 20)».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
175
Ontario, les opinions sont partagées à ce sujet57, surtout que les
tribunaux semblent l’être tout autant.
Dans certains cas, les contaminants proviennent directement de l’environnement. Parfois, c’est une composante de l’environnement lui-même qui devient un contaminant, comme les
sédiments soulevés du fond d’un plan d’eau58, de la poussière
emportée de la surface d’un sol dégarni de sa végétation59, de la
terre ou même du sable déposé dans l’eau60. Dans ces cas, l’environnement n’est pas une source. La matière n’est pas au départ un
contaminant lorsqu’elle est dans l’environnement, elle en est une
caractéristique. Elle n’en altère pas la qualité, elle est une composante même de cette qualité. Elle peut être mue par divers agents,
dont les forces de la nature. Par l’action humaine, de la machinerie
manipulée dans le lit d’un cours d’eau pourra aussi remettre en
suspension les sédiments. De la même manière, le va-et-vient de
véhicules sur la terre battue soulèvera de la poussière qui se
répandra. Par rapport aux phénomènes naturels, la différence est
la cause du mouvement. Dans un cas, elle est la manifestation des
forces naturelles. Dans l’autre, le phénomène ne se serait pas
produit sans l’intervention humaine. En quelque sorte, l’activité
humaine a transformé ce qui au départ faisait d’une chose une
partie de l’environnement pour la particulariser et la rendre
étrangère à ce même environnement. Cela n’est pas sans rappeler
la migration de contaminants activée par une intervention
humaine. La question est alors de déterminer si cette dernière
s’assimile ou non au déplacement de substances naturellement
présentes dans l’environnement.
2. PROBLÈME JURIDIQUE POSÉ
La responsabilité attachée à la migration de contaminants
peut être d’ordre civil, pénal ou administratif: au plan civil, il
57. Voir Stanley DAVID BERGER, The Prosecution and Defence of Environmental
Offences, Toronto, Emond Montgomery Publications, 1997, ¶ 2.270; voir cependant Rick F. COBURN, «The Due Diligence Defence and Continuing Discharges:
R. v. Amoco Fabrics & Fibers Ltd. – Case Comment», (1992) 3 J.E.L.P. 121.
58. P. G. du Québec c. New Brunswick International Paper Co. (4 juillet 1980),
Bonaventure 105-27-000670-76 (C.S.P.), M. le juge S. Cloutier.
59. R. v. Glen Leven Properties Ltd. (1997), 34 C.C.C. (2d) 349 (H.C.J. Ont.).
60. P.G. du Québec c. Tanguay-Moreau (26 septembre 1983), Beauce 350-05000389-815 (C.S.), M. le juge V. Masson, J.E. 83-955, conf. (14 septembre 1984),
Québec 200-09-000869-831 (C.A.); dans R. c. Lippé (1er septembre 1983), Québec 200-27-002762-838 (C.S.P.), J.E. 83-871, le juge M.-A. Drouin s’était refusé
à voir dans le sable naturel un contaminant, considérant que «le dérangement
humain doit avoir un certain poids» (p. 5).
176
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
s’agit de la responsabilité face aux tiers touchés par la migration;
au plan pénal, il s’agit de la sanction de ce qui est perçu comme un
comportement répréhensible relié à la migration; au plan administratif, il s’agit de l’application des larges pouvoirs d’intervention de l’Administration. Les aspects de droit pénal se
rapprochent beaucoup de ceux de droit administratif, notamment
parce qu’en matière de sols contaminés, on a assisté à l’émergence
de puissants recours administratifs principalement fondés sur le
principe du pollueur-payeur, au Québec du moins61. Examinons,
dans un premier temps, l’acte qui intervient lorsque se produit
une migration de contaminants afin de dégager ce qui serait
l’actus reus de l’infraction alléguée ou la cause de l’intervention
gouvernementale. Gardant à l’esprit les nombreuses formes du
phénomène et les circonstances très variées où il se manifeste, il
est nécessaire de le décomposer afin d’y reconnaître les éléments
potentiellement générateurs d’infraction ou de responsabilité
administrative du prétendu pollueur.
2.1 Infraction de pollution ou non?
La première question concerne les conséquences de l’acte. Si
une chose est passible de sanction, c’est que ses conséquences sont
jugées inacceptables. L’aspect incontournable est celui de la pollution. Dans presque tous les cas de migration, il n’y a pas de contribution humaine. S’agit-il alors de pollution par négligence ou de la
conséquence de la pollution? Le mot pollution, que Le Robert
assimile à dégradation, qui renvoie lui-même à détérioration, peut
servir autant à désigner l’action que son résultat. Il y a le fait de
polluer, il y a le fait d’être pollué. Dans la recherche de l’acte susceptible de responsabilité, c’est sur la forme active de l’expression
qu’il faut se rabattre. Il y a une nette différence entre la contamination d’un sol en train de se produire, et l’état accompli de sa contamination. Nous en avons déjà fait état62. Un sol contaminé (acte
accompli) pose un problème parce que les contaminants qui s’y
trouvent sont appelés à se propager (conséquence appréhendée de
l’acte).
61. La L.Q.E., à l’article 106.1, sanctionne aussi sévèrement le non-respect d’une
ordonnance administrative que l’acte de pollution lui-même, c’est-à-dire par les
amendes les plus fortes que contienne la Loi et même par l’emprisonnement.
62. Robert DAIGNEAULT, «Les sols contaminés», dans La législation environnementale au Québec, Actes de conférence, Toronto, Institut canadien, 1995,
section VIII, p. 8: «Il y a donc une distinction à faire entre la contamination en
tant qu’action et la contamination en tant que résultat de cette action. En
matière de sols contaminés, on se situe davantage au niveau du résultat».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
177
Quoi qu’il en soit, si la migration équivaut à pollution (au
sens de l’acte plutôt que de son résultat), alors cette pollution
prendrait deux aspects très différents. Le premier est celui de la
migration vue comme immédiatement consécutive à l’entrée d’un
contaminant dans l’environnement. Dans ce cas, il est clair que la
migration peut être reliée aux agissements concrets d’une personne. Quelqu’un a activement libéré le contaminant ou permis
qu’il le soit activement, ou quelqu’un a créé une situation de fait
telle que, par son omission de prévenir une libération éventuelle
du contaminant, celui-ci aura finalement été introduit dans l’environnement. Sous le deuxième aspect, aucun cas n’est fait de
l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement, ni
du responsable de cette introduction. On ne considère pas alors
d’actus reus proprement dit63, il est intentionnellement ignoré,
écarté. Il ne s’agit pas, comme dans l’affaire Laidlaw, d’avoir posé
le geste d’enfouir des barils puis d’avoir ensuite omis de prendre
des mesures pour éviter qu’ils ne fuient. Le comportement en
cause en est strictement un d’omission de la part de la personne
aux prises avec le terrain contaminé, sans aucun acte contributif
quelconque de cette personne. Se pose alors inévitablement la
question de savoir à quel moment la responsabilité pourrait
entrer en jeu64.
2.2 Moment de commission
En suivant le raisonnement de la Cour d’appel dans Laidlaw,
la transaction d’émettre un contaminant dans l’environnement
commence dès le moment où des gestes sont posés qui aboutiront
invariablement à sa libération et se prolonge jusqu’à ce que la
libération ait lieu65. Si la fuite est continue, alors la pollution est
continue. Si la migration ultérieure du contaminant était assimilée à la pollution au même titre que la fuite initiale, alors, en
suivant un raisonnement identique, c’est la même transaction qui
se prolongerait66. Dans un tel cas, le comportement du contami63. «[L]’ actus reus d’une infraction réside dans le comportement extériorisé de ses
mouvements physiques et dont le comportement est prévu et sanctionné par la
loi pénale»: Gisèle CÔTÉ-HARPER, Antoine D. MANGANAS et Jean TURGEON, Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998, p.
268.
64. Étant entendu qu’une concentration donnée de contaminants dans le sol ne
signifie pas que c’est cette quantité qui, au jour de l’infraction, a effectivement
migré.
65. C’est ce qui ressort du passage cité à la note 54, supra.
66. Par analogie, «l’action des barils qui se vident dans le sol peut être imputée
directement à l’auteur de l’enfouissement comme constituant le prolongement
178
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
nant dans le sol complique quelque peu la détermination du
moment de la commission de l’éventuelle infraction. Si le simple
mouvement du contaminant dans le sol est une infraction,
serait-ce le cas chaque fois que le contaminant se déplace, même
s’il ne fait qu’osciller entre les mêmes deux points dans l’espace,
par les fluctuations du niveau d’eau? Et si le contaminant se
déplace de façon unidirectionnelle plutôt qu’alternative, à quel
moment l’infraction de pollution surviendrait-elle? Dès les premiers mouvements du contaminant? dès que celui-ci aura franchi
une distance considérée plus que négligeable67? au moment où il
aura franchi la limite de propriété? au moment de changer de
médium? Serait-ce plutôt une question de vitesse de propagation?
Du moment que la migration constituerait un phénomène de pollution, toutes ces hypothèses seraient valables.
On a parfois laissé entendre que le moment de l’infraction se
situerait après l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement68. Ce fut la thèse, semble-t-il de la Cour de l’Ontario,
Division provinciale, dans Bata69, une affaire pénale. Cette décision précède cependant de deux semaines celle de la Cour d’appel
de l’Ontario, en matière d’ordonnance, dans l’affaire communément appelée Northern Wood Preservers ou NWP70, qui citait
avec approbation le juge de première instance:
It would be an undue and improper strain upon the interpretation
of the definition of a natural environment in s. 1(1)(k) to read it as
being disjunctive, and to cover natural movements of contaminant
from one part of the natural environment to another.71
En droit américain, les tribunaux ont été plutôt divisés sur
cette question72, bien que plusieurs décisions récentes se refusent
à voir dans la migration de contaminants un phénomène pouvant
être sanctionné par le Superfund ou CERCLA73.
67.
68.
69.
70.
71.
72.
73.
de son acte personnel d’émettre.»: Paule HALLEY, «L’infraction de pollution
continue: L’entreposage et l’enfouissement de contaminants à la lumière de
l’affaire Laidlaw – Case Comment», (1994) 5 J.E.L.P. 77, p. 84.
C’est la Cour suprême qui a avancé ce critère du «plus que négligeable», Ontario
c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, p. 1081, repris dans P.G. du
Québec c. Ultramar, supra, note 29.
Rick F. COBURN, supra, note 57, p. 125.
Bata Industries, supra, note 35, p. 256: «The material continues to discharge, if
not from the drums, from the soil to the groundwater. It continues to discharge
as it moves with the groundwater. It discharges into the natural environment,
i.e., the air by foaming and releasing odour.» (italiques ajoutés)
Sub nomine Canadian National Railway, supra, note 19.
Canadian National Railway, supra, note 35, p. 223.
Bronston, supra, note 11, p. 610.
V. infra, section 5.1.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
179
If a person merely controlled a site on which hazardous chemicals
have spread without that person’s fault, that person is not a polluter
and is not one upon whom CERCLA aims to impose liability.74
(italiques ajoutés)
Cette loi sera examinée plus en détail. Il y a en effet un
parallèle manifeste entre ses dispositions et certaines sanctions
administratives de la L.Q.E.75.
2.2.1
Le dépôt dans un contenant contre l’introduction
dans l’environnement
Dans l’affaire Laidlaw, c’est le passage des contaminants de
l’intérieur des barils vers l’environnement qui constituait la pollution76. La Cour a considéré comme une seule et même transaction
le fait qu’on ait initialement enfoui les barils sans précautions,
qu’on les ait laissé se détériorer et qu’enfin, leur contenu se soit
échappé. Le moment véritable de l’accomplissement de l’infraction restait celui où les substances s’échappaient des barils
enfouis. Le retour au dépôt initial des barils dans le sol n’a en fait
servi qu’à mettre en cause l’inculpée, en établissant un lien de
causalité avec elle (ou son prédécesseur). C’était en fait le début de
l’acte d’introduction des contaminants dans l’environnement, acte
qui n’a été complété qu’au moment de la fuite. En Ontario, la Provincial Offence Court en était arrivée à une conclusion tout à fait
comparable, quelques années plus tôt77, distinguant, quant au
moment de l’infraction, des barils enfouis et en train de se vider et
74. ABB Industrial Systems v. Prime Technology Inc., 120 F. 3d 351 (2nd Cir. 1997).
75. Nous avons fait ce parallèle dans Robert DAIGNEAULT, «La portée de la nouvelle loi dite «du pollueur-payeur»», (1991) 36 R.D. McGill 1027, p. 1035-1041.
76. Laidlaw, supra, note 18, p. 378: «Il ne peut être raisonnablement contesté que,
le ou vers le 10 mai 1991, le sous-sol où ces contenants avaient été enfouis était
imbibé d’une partie des contaminants provenant de certains de ces contenants
que certains de ceux-ci fuyaient et que la pollution de l’environnement par les
contaminants qui s’échappaient des contenants continuait.».
77. Blackbird Holdings, supra, note 52, p. 133: «This case is quite different from the
cases cited by the defence counsel. These drums were carrying industrial waste
when they were buried, and the court really doesn’t need expert testimony to
satisfy it that drums left in the ground as long as these were will certainly have
deteriorated, and the video confirmed this. [...] I am satisfied that having seen
the video and the liquid spewing from the bottom of the drums that had not been
damaged by the retrieval procedures, that on that day alone there was a discharge into the natural environment, and it was obvious the water table was
affected because it was visibly present when the discharge took place. As well, I
am prepared to conclude that there was a discharge continuously from June the
28th, 1988 until the drums were all finally taken from the soil.» (italiques
ajoutés).
180
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
des contaminants déversés soudainement pour ensuite se propager, en s’inspirant d’une certaine affaire R. v. Texaco78.
Le droit pénal français, de son côté, s’intéresse à l’effet nocif
d’une substance dans le milieu réglementé. Ce peut être lorsque,
par exemple, du mazout atteint une rivière après avoir migré dans
le sol depuis une canalisation, ou lors d’infiltrations de produits
nocifs par perméabilité des contenants79. Une cour a même considéré que la contamination de l’eau douce, puis de l’eau salée, lors
d’un même incident, pouvait constituer deux infractions. Ces
milieux étaient réglementés par deux textes distincts, à savoir
l’article L. 232-2 du Code rural (pour l’eau douce) et l’article 6-13o
du décret-loi du 9 janvier 1852 (pour l’eau salée)80.
2.2.2
Le rejet indirect dans l’environnement
L’enfouissement de barils, le passage à travers des canalisations souterraines et autres rejets indirects à travers une
structure intermédiaire ont toujours posé le problème du moment
de l’infraction. L’affaire Power Tank Lines, remontant à la première décennie d’application de la L.P.E.O., envisageait deux
infractions, soient le déversement et la migration subséquente du
contaminant81. Par contre, dans l’affaire Enso, en Colombie-Britannique82, on a fait une distinction très nette entre le déversement
78. «In the one Texaco case cited by the defence the inadvertence of an employee let
a contaminant flow into the environment for quite some time before it was discovered, and the company was charged on the 14th and 15th of the month. The
Court found that the actual discharge took place on the 14th and dismissed any
wrongdoing on the 15th even though the contaminant was still present in the
stream that it had created;» (italiques ajoutés); il s’agit de l’affaire R. v. Texaco
Canada Inc. (1986), 1 C.E.L.R. (N.S.) 100 (Ont. Dist. Ct.).
79. Marie-José LITTMANN-MARTIN, «Répression de la pollution des eaux», Fasc.
626, Juris-Classeur, 1996, ¶ 13.
80. Cas. crim., 25 octobre 1995; Dr pénal 1996, comm. 66; LITTMANN-MARTIN,
supra, note 79.
81. Supra, note 35, respectivement aux p. 467 et 471: «The accused company took
no action to inhibit the passage of the oil either from the tanker to the sewer,
from the sewer to the creek, or ultimately, from the creek to the lake. (italiques
ajoutés) [...]
«In the instant case the company was responsible for the oil in passage and also
it did not take the appropriate steps to clean up the spill and there will be a conviction on both counts one [article 14(1)(a) de la L.P.E.O. de 1971 – d’avoir, le 14
janvier 1974, rejeté ou permis le rejet d’un contaminant dans l’environnement
naturel] and three [article 32(1) de l’Ontario Water Resources Commission Act,
1970 – d’avoir, entre le 14 janvier 1971 (sic) et le 1er février 1974, rejeté ou
permis le rejet de matière dans l’eau].»
82. Supra, note 40; cependant, dans une autre affaire, la Cour d’appel de la
Colombie-Britannique s’est écartée de l’arrêt Enso, insistant sur une analyse
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
181
en un lieu qui, bien qu’à l’extérieur d’une structure, était destiné à
recevoir des contaminants et à les contenir, et un déversement
directement dans l’environnement. Un fossé destiné à recevoir
des eaux de drainage pour les diriger vers le système de traitement d’un lieu d’enfouissement n’a pas été considéré comme
l’environnement, au sens du Waste Management Act83. Au Québec, un rejet de BPC dans une rivière a entraîné une condamnation malgré qu’ils aient été déversés d’abord dans un caniveau84.
En droit anglais, l’exploitant d’un réseau d’égout a été responsable
des substances qu’il recueillait dans son réseau et qu’il n’était pas
en mesure de traiter, lorsqu’elles causaient ensuite de la pollution85. En droit français, au sujet de l’article L. 232-2 du Code
rural, on a conclu qu’«il n’importe donc que les substances aient
été déversées, non dans la rivière elle-même, mais dans un chenal
ou une rigole communiquant avec celle-ci»86.
Le dépôt de contaminants dans des lagunes semble, pour sa
part, avoir soulevé quelques questions d’interprétation, vu qu’une
lagune n’est guère plus qu’une excavation dans le sol. Dans ce cas,
il semble qu’on ait été tenté, en Ontario du moins, de considérer le
dépôt initial comme un rejet dans l’environnement, quitte à voir
l’infiltration subséquente comme un second rejet. «[I]t would
appear that a continuing discharge contains two pollution “events”
which may give rise to penal liability»87. Dans l’affaire Amoco, le
tribunal a cependant considéré que l’acte pollueur n’était pas le
dépôt initial dans des lagunes, mais l’infiltration subséquente
dans l’environnement. D’une manière analogue, une décision de
la Chambre des Lords, au Royaume-Uni a fait une nette distinc-
83.
84.
85.
86.
87.
182
qui tienne compte du but recherché par le législateur: British Columbia (Minister of Environment, Lands & Parks) v. Alpha Manufacturing Inc. (1997), 150
D.L.R. (4th) 193 (B.C. C.A.), p. 203.
Aujourd’hui, R.S.B.C. 1996, c. 482; malgré son nom, il s’agit du texte législatif
principal en matière de protection de l’environnement, en Colombie-Britannique; l’affaire Enso est à comparer avec deux affaires au Québec (supra, note
40) où des déversements à l’intérieur des digues entourant un réservoir ou à
l’intérieur de la cour fermée d’une usine ont été considérés comme des déversements dans l’environnement, mais sans entraîner de responsabilité pénale
cependant, pour d’autres raisons.
P.G. du Québec c. Consolidated Bathurst Inc. (10 août 1990), 410-27-000896898 (C.P.S.), M. le juge R. Lefrançois (l’infraction visait en fait le fait de n’avoir
pas averti les autorités du déversement selon l’article 21 L.Q.E.).
National Rivers Authority v. Yorkshire Water Services Ltd. [1995] 1 All ER 225.
Code de l’environnement, 5e éd., Dalloz, 1994: Crim. 14 nov. 1963, D. 1964.
Somm. 39.
COBURN, supra, note 57, p. 125, commentant l’affaire Amoco, supra, note 53
(italiques de l’auteur).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tion entre la fuite de produit à travers les parois endommagées
d’une lagune et son infiltration à travers le sol sous-jacent jusqu’à
un cours d’eau88. La Cour de district de Californie a considéré
comme un «release» au sens du CERCLA89 le fait que des substances déposées dans une lagune aient percolé. Qu’elles aient
ensuite refait surface pour s’échapper dans l’atmosphère a aussi
été vu comme un «release»90 (sans se prononcer catégoriquement,
la Cour avait laissé planer l’idée que d’avoir déposé initialement
les produits dans les lagunes aurait aussi constitué un «release»).
Par contre, une Cour d’appel de circuit avait invalidé quelques
années plus tôt, l’opinion que «the placement of a hazardous substance into any unenclosed containment structure wherein the
hazardous substance is exposed to the environment» était un
«release». L’Environmental Protection Agency (E.P.A.) était d’avis
que de tels cas obligeaient à donner l’avis prévu par la loi en cas de
«release»91. Pour leur part, les commentateurs allemands, dans
leurs analyses, considèrent sans difficulté que l’infraction de pollution de l’eau («Gewässerverunreinigung»)92 peut se faire indirectement à travers un réseau d’égout, le déversement dans un
fossé, la fuite d’un véhicule, la percolation jusqu’à la nappe phréatique93.
2.3 Responsabilité continue ou ponctuelle?
Dans le cas de phénomènes continus, le moment où l’infraction est accomplie a des conséquences extrêmement lourdes
pour le contrevenant, chaque jour où se prolonge le phénomène
88. Price v. Cromack, supra, note 36.
89. 42 U.S.C. § 9601(22): «The term “release” means any spilling, leaking, pumping, pouring, emitting, emptying, discharging, injecting, escaping, leaching,
dumping, or disposing into the environment (including the abandonment or discarding of barrels, containers and other closed receptacles containing any hazardous substance or pollutant or contaminant) [...]».
90. U.S. v. Shell Oil Co., supra, note 35.
91. The Fertilizer Institute, supra, note 35; la Cour a révisé la décision de l’E.P.A. en
ces termes: «When these in pari materia provisions of CERCLA are read
together, it becomes clear that CERCLA requires reporting whenever a hazardous substance is released from a facility, such as a tank or a lagoon, into the
environment, such as the ground or the air.»
92. Article 324 du Strafgesetzbuch («Code pénal») allemand.
93. Adolf SCHRÖDER, Strafgesetzbuch – Kommentar, 23e éd, München, C.H. Beck,
1988, §324 ¶ 10; Hans-Joachim RUDOLPHI et Eckhard HORN, SK-StGB
Systematischer Kommentar zum Strafgesetzbuch, Frankfurt am Main,
Luchterhand, 1991, feuilles mobiles, § 324, ¶ 10; Regina MICHALKE,
Umweltstrafsachen, Heidelberg, Éditions juridiques C.F. Müller, 1991, § 324, ¶
28; Volker MEINBERG, Manfred MÖHRENSCHLAGER, R.A. Wolfgang
LINK, Umweltstrafrecht, Düsseldorf, Werner, 1989, p. 38.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
183
pouvant entraîner sa culpabilité94. Compte tenu des processus en
cause dans la migration, il est difficilement concevable qu’elle se
fasse d’un seul coup. Dans ce cas, l’infraction devient-elle intrinsèquement continue? Jusqu’ici, dans notre droit, ce qu’il advient
du contaminant lorsqu’il a franchi les parois du contenant n’est
pas entré en ligne de compte pour apprécier la continuité d’une
infraction. C’est la continuité du passage de l’intérieur du contenant vers l’extérieur qui a été prise en considération. On ne s’est
pas soucié, au Québec, du chemin parcouru par le contaminant
échappé, si ce n’est pour établir qu’il s’était bel et bien écoulé dans
l’environnement95. En Ontario, commentant l’affaire Imperial
Oil96, où un déversement accidentel d’environ 15 000 litres d’essence dans les égouts avait entraîné l’évacuation de 5 000 personnes, l’arrêt de l’usine d’épuration des eaux municipales et le
rejet consécutif d’eaux usées non traitées dans un cours d’eau, de
même que des explosions et des incendies dans six résidences,
dont deux complètement détruites, Berger97 constate que:
The Courts have been careful to regard discharges as continuing
offences, past the contaminant’s initial entry into any portion of the
environment, when the contaminant continues to migrate and pose
a risk to the environment.
Aux États-Unis, dans certaines décisions, la continuité de la
propagation subséquente du contaminant a été parfois perçue
comme le prolongement de l’acte de pollution.
The statutory language does not suggest that the release of a substance occurs only once if the substance is migrating, or that liability
is limited to the owner or operator that introduced the substance
initially or was the source of the substance, or that a “passive”
owner or operator is exempted from the Act.98
While it may seem inequitable, the mere migration of contaminants
from adjacent land constitutes disposal for the purposes of
CERCLA, and passive downstream landowners are liable for the
cleanup costs from their neighbours’ activities.99 (italiques ajoutés)
94. Voir notamment l’article 110 L.Q.E.
95. C’est notamment ce qui se dégage de la décision Tricots Canada U.S., supra,
note 55.
96. R. v. Imperial Oil Ltd. (1990), 5 C.E.L.R. (N.S.) 81 (C.S. Ont., Appel).
97. Stan BERGER, «The Demise of Multiple Charges for Multiple Environmental
Effects Arising out of a Single Incident – Case Comment, R. v. Imperial Oil
Ltd.», (1990) 5 C.E.L.R. (N.S.) 93, 96.
98. Lincoln Properties, supra, note 36.
99. Reichhold Chemicals, Inc., supra, note 35.
184
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
En droit allemand, l’infraction de pollution de l’eau n’est pas
considérée continue, quant aux effets subséquents à l’introduction première du contaminant dans l’environnement. «[D]ie
Vorschrift beschreibt kein Dauerdelikt»100. Cette analyse dans la
doctrine s’étend, avec une certaine réserve, à la pollution du sol101
et au dépôt illégal de déchets, lorsque les effets peuvent se faire
sentir ultérieurement102.
Il faut se rappeler que fuite et propagation sont deux phénomènes différents. Dans l’un, il y a apport constant à l’environnement. Dans l’autre, c’est un simple déplacement de l’apport
initial. La quantité totale de contaminants dans l’environnement
demeure inchangée. Vu sous cet angle, la migration est un concept
tout à fait distinct de ce que vise normalement l’infraction de pollution. Ce n’est plus l’apport, mais le transport, encore que ce mot
suppose un acte et un agent. L’infraction devient alors nécessairement continue et ne peut jamais être ponctuelle, sauf si un événement soudain cause le déplacement brusque des contaminants. Et
encore, ce ne sera vraisemblablement dans ce cas que l’accélération d’une propagation déjà amorcée.
2.4 Quelle est la «source de contamination»?
Si celui qui a l’obligation d’agir doit s’en prendre à la source, il
lui faut la localiser. Il faut identifier ce sur quoi cette personne doit
agir. La notion juridique de source de contamination n’est toutefois pas liée, en droit québécois, à l’infraction de pollution. Elle
n’est utilisée que pour certaines dispositions administratives de la
L.Q.E. Nous utilisons donc le mot «source» dans son sens commun,
c’est-à-dire, selon Le Robert, «ce qui crée, produit quelque chose».
L’obligation de droit, comme en fait foi le jugement Laidlaw, est
100.
101.
102.
«La disposition [l’article 324 sur la pollution de l’eau] ne crée aucune infraction
continue», RUDOLPHI et HORN, supra, note 93 (voir aussi SCHÖNKE et
SCHRÖDER).
L’Allemagne fédérale s’est dotée d’un article de loi portant spécialement sur la
pollution du sol («Bodenverunreinigung»), l’article 324a du Code pénal: c. infra,
note 382.
SCHÖNKE et SCHRÖDER, supra, note 93, § 324a,¶ 4, § 326, ¶ 23; voir le commentaire du Dr. K. LAUBENTHAL sur la décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989 – 1 StR 372/89 (BGHSt. 36, 255) Juristische
Rundschau 1990, p. 512 (accusation d’avoir illégalement déposé de la boue de
manganèse dans un fossé, en contravention à l’article 326 (1) du Code pénal allemand); de leur côté (supra, note 193), MICHALKE, § 326 Abs. 1, ¶ 130, ainsi que
MEINBERG, MÖHRENSCHLAGER et LINK, expriment des réserves.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
185
celle de tarir la source103. L’affaire Tricots Canada U.S.104 est au
même effet. Or, pour agir sur la source, il faut la reconnaître, la
localiser, la délimiter. Si elle est extérieure à l’environnement, il
est toujours possible de la circonscrire. Il s’agit alors d’un ou de
plusieurs points d’où des contaminants sont libérés et pénètrent
dans l’environnement. Sous ce rapport, il n’y a que rarement des
sources de contamination diffuse. Il y a toujours quelque part un
point d’entrée, même en agriculture, où l’on utilise souvent ce qualificatif. Ce qui est diffus, c’est l’effet, la conséquence. Les sources,
quoique nombreuses et difficiles à contrôler individuellement,
restent néanmoins identifiables105. Mais lorsque les contaminants sont déjà libérés, on oublie le point d’entrée. Comment alors
caractériser la source? Peut-on avancer l’idée que cette source
devienne le terrain d’où migrent les contaminants106?
103.
104.
105.
106.
186
Supra, note 18, p. 379.
Supra, note 55.
Le Clean Water Act américain, 33 U.S.C. §§ 1311 et s., par exemple, s’applique
expressément aux sources ponctuelles («point sources»), c’est-à-dire «any discernible, confined and discrete conveyance [...]» (33 U.S.C. § 1362 (14)), ce qui n’a
pas empêché son application en agriculture:
«...the manure spreading vehicles themselves were point sources. The collection
of liquid manure into tankers and their discharge on fields from which the
manure directly flows into navigable waters are point source discharges under
the case law.»: Bly v. Southview Farm, 34 F.3d 114; 1994 U.S. Ap. LEXIS 24248
(2nd Cir.), U.S.S.C. (requête en certiorari rejetée);
«The discharges forming the basis of the indictment resulted from spraying an
overabundance of waste water onto the surface of the irrigation fields, which in
turn ran off into a nearby stream through a break in the berm around those
fields. Thus I cannot conclude that these discharges are nonpoint source discharges as a matter of law.»: United States of America v. Oxford Royal Mushroom Products, Inc., 487 F.Sup. 852; 1980 U.S. Dist. LEXIS 10663 (E.D. Pa.);
et, en matière d’enfouissement sanitaire:
«The discharges here from, inter alia, (1) overflowing ponds, (2) collection-tank
bypasses, (3) collection-tank cracks and defects, (4) gullies, trenches, and ditches, (5) broken dirt berms, all constitute point source discharges.»: O’Leary v.
Moyer’s Landfill, Inc., 523 F.Sup. 642; 1981 U.S. Dist. LEXIS 17266 (E.D. Pa.);
«Since the city’s landfill caused pollutants to enter Beaver Pond, and since these
pollutants were then conveyed into the rest of the Intervale by the railroad culvert, the district court’s conclusion that the city discharged pollutants into navigable waters from a point source properly applied the statute to findings that
were not clearly erroneous.»: Dague v. Bessette, 935 F.2d 1343; 1991 U.S. Ap.
LEXIS 11997 (2nd Cir.).
Dans P.G. du Québec c. Duchesne, supra, note 41, un terrain où des déchets
avaient été enfouis avait été décrit par la Cour comme la source de contamination de la rivière l’Assomption; dans Gaz métropolitain Inc. c. Ville LaSalle
[1988-89] B.R.E.F. 238, on relate l’émission d’une ordonnance en vertu de
l’article 25 L.Q.E. contre un propriétaire de terrain contaminé, en sa qualité de
responsable d’une source de contamination (mais la source était des déchets);
McCARTY, supra, note 3, entérine cette position, quoique l’arrêt Eldorado qu’il
cite fait état «que l’appelante était responsable d’une source de contamination
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Lorsque l’on cherche à faire du terrain une source, le terrain
peut se délimiter 1) par sa tenure et c’est alors la limite de
propriété qui circonscrirait la source; 2) par la zone contaminée,
c’est-à-dire toute cette partie du terrain où l’on retrouve les contaminants répandus; enfin, 3) par cette seule partie du terrain où
était le point d’entrée des contaminants, comme la tranchée d’un
réservoir souterrain, par exemple. Chacun de ces cas présente des
difficultés et aura des conséquences différentes, quant à l’identité
du responsable allégué, quant à ce sur quoi on prétend qu’il aurait
dû intervenir. Aucune n’est par ailleurs comparable au déplacement de sédiments ou d’autres contaminants provenant directement de l’environnement. Dans ce dernier cas, si les contaminants
sont répandus par une intervention humaine, la source de contamination a plutôt été identifiée à l’activité elle-même plutôt
qu’au lieu d’où les substances provenaient avant de devenir des
contaminants. C’est ainsi que la machinerie à l’origine du déplacement de sédiments (ou même les hélices de remorqueurs ayant
eu le même effet) a été assimilée à un «point source» en vertu du
CWA américain107 et à une activité susceptible de libérer des contaminants dans l’environnement en vertu de la L.Q.E.108.
2.4.1
La propriété source de contamination
Lorsque la limite de propriété représente le point de passage
entre la source et l’environnement, il s’agit alors d’un concept tout
à fait artificiel, défendable peut-être en droit civil, mais sans justification environnementale. Par exemple, le propriétaire du terrain source pourrait acquérir le terrain voisin et faire disparaître
du coup la limite de propriété. Dans un immense terrain dont
seule une petite partie est contaminée, si la propagation de contaminants met des années avant d’atteindre une autre propriété,
le propriétaire est-il à l’abri de poursuites durant toute cette
période? Un phénomène de pollution attribué au seul fait qu’un
contaminant ait franchi une ligne de propriété bouscule un principe fondamental. La notion d’environnement transcende la
notion de propriété. «[U]ne infraction à l’article 20 [L.Q.E.] n’a
107.
108.
active et, entre autres, un réservoir fuyait» (P.G. du Québec c. Mines d’or Eldorado Inc. (16 février 1992), Abitibi 605-36-000005/6/7/8-89/2/0/8/6 (C.Q.) M. le
juge J. Viens, p. 7); NADON et GRANDA sont également d’avis qu’un terrain
peut être une source de contamination, supra, note 15, p. 220.
Avoyelles Sportmen’s League, Inc. v. Marsh, 715 F. 2d 897 (5th Cir. 1983); United States v. M.C.C. of Florida, Inc., 772 F.2d 1501(11th Cir. 1985), nouvelle
audition refusée: 778 F.2d 793.
New Brunswick International Paper, supra, note 58.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
187
rien à voir avec la qualité de propriétaire, locataire, usufruitier ou
preneur à bail emphytéotique du sol ou le rejet est effectué»109.
C’est d’ailleurs l’une des principales innovations de la L.Q.E., à
une époque où le droit à la libre disposition de ses biens autorisait
un propriétaire, sous réserve du droit des nuisances, à souiller
impunément son terrain110.
Ajoutons qu’une telle délimitation de la source de contamination ignore la migration verticale là où le tréfonds est du domaine
privé. Elle ignore aussi la migration attribuable aux mouvements
de l’eau souterraine lorsque cette eau non puisée n’est pas encore
appropriée. D’autre part, si une migration hors d’une propriété a
eu un effet dommageable, il ne s’agit alors pas tant d’une libération de contaminants dans l’environnement que de leur migration vers un lieu hors de l’environnement. Ainsi, le contaminant
qui se propage dans un sous-sol sort de l’environnement pour
entrer dans un espace construit, tout comme un produit qui
s’infiltre dans une conduite d’égout, ou même celui qui s’infiltre
dans un puits. C’est le phénomène inverse de ce qui est généralement perçu comme la pollution de l’environnement. Le libellé
de l’article 20 L.Q.E., que nous abordons plus loin, comme celui de
l’article 14 L.P.E.O., fait des dommages aux biens l’un des effets
appréhendés pouvant résulter d’un acte de pollution, et non
pouvant créer celui-ci.
2.4.2
La zone contaminée en tant que source
Si la source se définit comme la zone contaminée, alors se
pose la difficulté de déterminer de quelle manière se produit la
libération de contaminants depuis cette source. Imaginons un terrain de 10 000 mètres carrés où la zone contaminée en compte
mille. Assimiler cette zone à la source signifierait que le propriétaire doit agir sur ces 1 000 mètres carrés. L’avoir constatée
un an plus tôt, la prétendue source aurait peut-être été de 750
mètres carrés ou 1 250 un an plus tard. L’étendue de la source et sa
109.
110.
188
Piette c. Lasnier (9 août 1989), Iberville 755-27-001292-814 (C.S.P.), M. le juge J.
Frédérick; DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 50: «[L]es droits
de propriété ne constituent pas un cadre approprié pour définir une politique
globale de gestion qualitative de l’environnement»; Tanguay-Moreau, supra,
note 60: «il importe peu de savoir si les faits et gestes reprochés aux défendeurs
ont été posés sur leur propriété, mais bien plutôt de savoir si de tels faits et gestes sont susceptibles de causer un dommage à l’environnement»: voir aussi
Texaco Canada Inc. c. C.U.M., supra, note 23, p. 46.
«Le droit de propriété est absolu» et comporte le droit de détruire le
bien: LAMONTAGNE, supra, note 26, respectivement aux ¶¶ 207 et 206.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
localisation dépendent donc, selon cette approche, du moment où
l’observation est faite. Et s’il s’agit, peu importe l’étendue de la
zone contaminée, de la source, alors, il faut conclure que les contaminants, où qu’ils soient dans cette zone, ne l’ont pas encore
quittée. Comment alors prétendre qu’il y aurait «émission» ou
«dégagement» depuis cette source? Ne l’oublions pas, il s’agit de
déterminer ce sur quoi doit agir la personne à qui on reproche
l’infraction. Si les contaminants sont distribués partout, la source
l’est-elle également? À l’intérieur de cette zone, y a-t-il un point
donné représentant conceptuellement la source, le reste constituant l’environnement dégradé par cette source? Si c’est le cas,
la source est-elle encore active? Comment la qualifier d’active? Le
fait de trouver des contaminants dans le sol et de constater que
cette contamination est étendue permet-il d’établir qu’à un
moment précis, au moment de l’infraction alléguée, il y a migration? Qui plus est, dans la mesure où le déplacement est constant,
la source de la contamination en un point donné n’est-elle pas
l’endroit d’où provenaient les contaminants tout juste auparavant? Un environnement contaminé qui en contamine un autre,
qui à son tour en contamine un autre, puis celui-là un autre, ne
constituerait-il pas un ensemble de sources de contamination en
cascades les unes par rapport aux autres111? Et que dire d’une
zone contaminée s’étendant sur plus d’un terrain et qui progresse?
Faut-il alors localiser le terrain où la progression a commencé?
Cela nous ramènerait alors à la première approche commentée
plus haut.
2.4.3
Le sol sous-jacent au point d’entrée
des contaminants
La solution réside-t-elle dans la troisième voie, celle visant
cette portion du sol jouxtant immédiatement le point d’entrée des
contaminants dans l’environnement? Si on pouvait fixer sur
bande vidéo le mouvement progressif des contaminants, depuis le
sol, il suffirait de rembobiner cette bande pour remonter jusqu’au
point de rejet initial. Cette remontée aux sources soulève néanmoins son lot de questions. Se pose notamment le problème de
délimiter l’étendue de la source, sans revenir au concept de zone
contaminée dont on vient justement de se distancer. La source sur
laquelle le prétendu contrevenant aurait l’obligation d’intervenir
doit donc nécessairement constituer une portion seulement de
111.
C’est justement l’un des résultats possibles qui a fait réagir le tribunal, dans
l’affaire NWP, supra, note 35.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
189
cette zone contaminée, dans le voisinage du point d’entrée des contaminants, ce qui, à n’en point douter, devient quelque peu arbitraire. Cette démarche suppose aussi une incontournable
abstraction, celle de refaire en sens inverse le chemin parcouru
par le contaminant, mais en s’arrêtant avant d’atteindre le but
ultime, la véritable source, c’est-à-dire là d’où le contaminant a été
introduit dans l’environnement. On exclut d’emblée l’acte initial
de pollution. On l’ignore. L’aboutissement ne demeure que la
première des sources dites secondaires, la source secondaire la
plus en amont, alors qu’il n’y a aucune raison, si l’on passe outre à
tous les points intermédiaires, à tous les «environnements» traversés par les contaminants, si l’on s’abstient de les voir comme
des sources, de déroger ultimement à cette règle et d’affirmer
péremptoirement que le premier environnement traversé par les
contaminants soit lui-même exceptionnellement une source. La
loi ne fait pas ces distinctions. Pour prétendre atteindre la source,
il faut obligatoirement remonter plus haut. Il faut remonter là où
les contaminants étaient avant qu’ils ne pénètrent dans l’environnement. Nous verrons plus loin que tous ces choix intermédiaires
apparaissent davantage, à toutes fins utiles, comme des accommodements devant un système de droit qui n’a pas été conçu au
départ pour disposer du problème112. Cette détermination à voir
dans le sol une source de contamination, sans s’interroger sur la
nature du phénomène ni sur ses conséquences, entraîne aussi une
autre anomalie. De la sorte, en effet, le sol ne se trouve pas traité
comme peuvent l’être l’eau ou l’air. La rivière polluée qui charrie
son lot d’immondices et les dépose à l’occasion sur ses berges n’est
jamais vue comme une source de contamination du sol. Le lac
eutrophisé saturé d’algues et dégageant des odeurs douteuses
peut-il être vu comme une source de contamination de l’atmosphère? Notre droit n’a pas reconnu de tels effets113.
2.5 Migration contre simple présence
Le problème juridique soulevé par la migration ne se pose
toutefois pas seulement en opposition à leur introduction initiale
dans l’environnement, mais aussi à leur simple présence. L’existence même des contaminants crée-t-elle une obligation? Les
112.
113.
190
Ce point est très bien illustré par Steichen, qui note qu’il y a «absence de formalisation juridique unifiée de la question des sites contaminés dans les différents
systèmes juridiques»: supra, note 42, p. 39.
Dans l’affaire Champs c. Corporation municipale de Labelle, [1991] R.J.Q. 2313,
par exemple, ce sont les auteurs d’un rejet d’égout à la rivière qui ont été jugés
responsables de la perte d’usage de l’eau polluée.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
études de caractérisation de sols révèlent leur présence mais n’en
indiquent pas nécessairement le mouvement. Il est cependant
techniquement possible de le déterminer. Le phénomène est complexe et peut varier dans le temps114. Tout au plus, ce problème ne
serait que celui de la preuve de la prétendue infraction. Il reste
que si c’est la migration tolérée qui représente l’infraction, alors la
preuve de l’élément matériel passe par la preuve de cette migration aux dates visées par les chefs d’accusation.
Rappelons que la Cour du Québec a approuvé la position du
ministère de l’Environnement et de la Faune voulant que les
critères de contamination des sols lui servaient à «calibrer» l’application du troisième volet de l’article 20 L.Q.E.115. Faut-il y voir
une opinion que le dépassement de ces critères laisserait présumer une infraction? Ce serait à notre avis confondre l’action et
le résultat116 et nous ne croyons pas que ce soit là la lecture qu’il
faille faire de ce jugement. L’article 20 interdit de libérer ou de
permettre la libération de contaminants dans l’environnement
dans certaines circonstances, notamment en contravention des
normes réglementaires. Il n’interdit pas leur simple présence. Ce
que la Cour a envisagé, à notre avis, c’est vraisemblablement le
rôle des critères dans les cas où il n’y a pas de règlements fixant
des normes d’émission ou de rejet. Dans ce cas, pour qualifier le
geste initial introduisant les contaminants dans l’environnement,
il faut se rabattre sur le résultat, sur la conséquence, et déterminer si, selon les termes mêmes de 20, la présence des contaminants libérés «est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé,
à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer
114.
115.
116.
BOULDING, supra, note 32, fait le commentaire suivant, p. 60: «Ground water
is the most difficult part of the hydrological cycle to study because it is hidden
from view and occurs in a complex environment of soil and geologic materials.
The movement of water in the atmosphere and surface water can be directly
observed, and boundary conditions (air-ground, air-surface water, and surface
water-ground) are readily defined. Inferences concerning the movement of
ground water rely largely on indirect observations supplemented by a limited
number of direct observations (monitoring wells). Even data from direct observations may have large margins of error as a result of variability in the materials through which the ground water is flowing». Mais il ajoute: «Hydrogeology
is not an exact science, but the fundamental principles of ground-water flow are
well enough understood that a reasonably good characterisation of a particular
system is possible».
Texaco Canada Ltée c. C.U.M., supra, note 23.
C’est ce qui semble s’être pourtant produit en Ontario dans l’affaire R. v. Hill (24
mai 1988), D.C.O.M. No. 263/87 (C. Dist. Ont.), inédit, résumé à 5 W.C.B. (2d) 28
(conf. en appel), où des contaminants rejetés dans le sol à la suite d’un débordement ont engendré une responsabilité pénale quotidienne, tant qu’ils n’ont pas
été retirés du sol; voir aussi SAXE, supra, note 21.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
191
du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol,
à la végétation, à la faune ou aux biens»117. Les critères ne sont
alors pas en soi une norme de rejet mais pourraient à la rigueur
avoir une utilité dans l’appréciation des risques associés à cette
présence118, quoiqu’il ne pourrait s’agir tout au plus que d’une
indication, d’un guide. La possibilité de recourir à une évaluation
du risque le démontre119, et les règlements qui permettraient
d’établir qu’au-delà de certaines normes, l’environnement est
contaminé120 aux fins d’en forcer la remise en état, n’ont pas
encore été adoptés121. S’ils l’étaient, l’environnement serait réputé
contaminé. Ce qui est toutefois en cause ici, c’est un fait accompli.
Soit, il implique un acte antérieur de pollution. Il est en effet
pratiquement impossible d’envisager que des contaminants se
retrouvent dans le sol sans qu’ils aient, ipso facto, été émis dans
l’environnement122. Mais l’article 20 ne traite de cette présence
que pour qualifier les conséquences de l’acte sanctionné: la libération des contaminants.
3. L’INFRACTION DE POLLUTION
Ces considérations nous amènent invariablement à circonscrire les abus que le législateur cherche à enrayer pour déterminer
si l’une ou l’autre des situations décrites plus haut peut être visée
par l’infraction de pollution. Comme la pollution est un problème
universel, l’infraction devait nécessairement correspondre à un
concept précis dans l’esprit du législateur lorsqu’il l’a codifiée avec
ses sanctions administratives et pénales. Selon la Cour suprême
du Canada, dans l’affaire Sault Ste-Marie, il ne semble pas qu’il
s’agisse d’une question complexe123. Dans cette affaire, la Cour
117.
118.
119.
120.
121.
122.
123.
192
C’est ce que l’on appelle le «troisième volet» de l’article 20: Alex Couture Inc. c.
Piette [1990] R.J.Q. 1262 (C.A.).
Politique de protection et de réhabilitation, § 6.1.2.2, «Estimation des impacts et
du risque» supra, note 1, ¶ 2 535.
Ibid.
Art. 31.52 L.Q.E.: «Le gouvernement peut adopter des règlements pour: a) établir, pour l’application des articles 31.42, 31.43 et 31.46, les quantités ou les
concentrations de contaminants au-delà desquelles tout élément qui compose
l’environnement, et qui en contient dans une quantité ou une concentration
supérieure, est contaminé».
NADON et GRANDA, supra, note 15, p. 186; McCARTY, supra, note 3, p. 325.
Northwestern Mutual Life Insurance Co. v. Atlantic Research Corp., 847 F.Sup.
89 (E.D. Va. 1994); U.S.A. v. Northernaire Plating Co., 670 F. Suppl. 742 (W.D.
Mich. 1987).
R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, p. 1038: «Telle est l’essence de
l’accusation et le mal que vise l’infraction. Un seul acte du même genre est l’objet
de l’interdiction. Une seule infraction générique a été imputée, en essence «la pollution», et cette infraction peut être commise d’une ou de plusieurs manières.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
suprême s’est intéressée à l’infraction de pollution elle-même. La
cause, en effet, portait sur l’article 32(1) de l’Ontario Water
Resources Commission Act124. Le juge Dickson (qu’il vaut la peine
de citer ici dans la langue du jugement) s’est exprimé en des
termes d’une simplicité désarmante:
I am satisfied that the Legislature did not intend to create different
offences for polluting, dependent upon whether one deposited or
caused to be deposited, or permitted to be deposited. The legislature
is aimed at one class of offender only, those who pollute.125 (italiques ajoutés)
Il n’y a qu’une catégorie de coupables: «ceux qui polluent».
Mais comme le rappelle la Cour suprême, et comme l’a souligné la
Cour d’appel du Québec126, il n’est pas nécessaire de commettre
l’acte positif du moment que l’on permette à la pollution de se
produire. Toutefois, dans l’une et l’autre cause, il y avait au départ
une transaction coupable à l’origine de la pollution, qui par la suite
s’est produite sans le concours actif du contrevenant. Lorsque
seule la migration de contaminants est visée, il n’y a personne qui
réunit de la sorte cet ensemble de facteurs à l’origine de la pollution.
3.1 Pénétration contre propagation
Face à l’infraction de pollution, il est stérile, à notre avis, de
tenter de distinguer les divers modes de migration. L’infraction
peut être commise de plus d’une manière. Tout au plus, ces
diverses manifestations pourraient-elles illustrer les nombreuses
façons dont une personne peut engager sa responsabilité, si responsabilité il y a. Le débat, en réalité, doit porter sur un tout autre
élément, celui du facteur déterminant. La Cour suprême a analysé à quelques reprises les lois environnementales adoptées par
les diverses provinces canadiennes. Ces analyses illustrent très
clairement, à notre avis, quelle a été l’intention du législateur, en
124.
125.
126.
Ontario Water Resources Commission Act, R.S.O. 1970, ch. 332, art.
32(1): «[TRADUCTION] Est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une amende d’au plus 5 000 $ pour la première
condamnation et d’une amende d’au plus 10 000 $ pour chacune des suivantes,
ou d’un emprisonnement d’au plus un an, ou de l’amende et de l’emprisonnement, toute municipalité ou personne qui décharge, dépose ou fait décharger ou déposer ou permet de décharger ou de déposer dans un puits, un lac, une
rivière, un étang, une source, un ruisseau, un réservoir ou autre étendue d’eau
ou cours d’eau ou sur une de leurs rives, ou en tout endroit, des matières de
quelque nature que ce soit qui risquent d’en altérer la qualité de l’eau.»
Supra, note 123, p. 1309.
Laidlaw, supra, note 18.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
193
créant l’infraction de pollution. Ce qu’il a cherché à contrôler, ce
sont les activités susceptibles de porter atteinte à l’environnement, les activités au sens large, c’est-à-dire tout ce qui est le fait
de l’homme, que ce soit un état qu’il a d’abord créé et qui présente
un risque qui se matérialisera ensuite par sa négligence ou son
omission d’agir, que ce soit des agissements concrets et actuels
présentant le même risque. La notion d’activité est omniprésente.
Commentant la L.P.E.O., le juge Gonthier précise que «[s]i le
terme «usage» n’y figurait pas, l’al. 13(1)(a) engloberait une
gamme beaucoup plus vaste d’activités polluantes»127 (italiques
ajoutés, ci-contre et ci-après). Dans l’arrêt Sault Ste-Marie, il est
clair, dans les propos du juge Dickson, que ce sont des activités qui
sont vues comme sources de pollution.
Il est vital qu’il y ait un élément de contrôle, particulièrement dans
les mains de ceux qui ont la responsabilité d’activités commerciales
qui peuvent mettre le public en danger, pour promouvoir l’observation de règlements conçus pour éviter ce danger.128
Le critère est un critère de fait, fondé sur une évaluation de la situation du défendeur relativement à l’activité qu’il entreprend et qui
cause la pollution. S’il est en mesure de contrôler l’activité là où la
pollution se produit, il en est responsable.129
L’arrêt britannique Sweet v. Parsley fait également allusion
à des activités: «...where the subject matter of a statute is the regulation of a particular activity involving potential danger to public
health, safety, or morals»130. C’est aussi ce que l’on nous rappelle,
lorsque les auteurs Duplessis, Hétu et Piette écrivent que la
L.Q.E. vise à «faire de la protection de l’environnement une préoccupation importante pour tous ceux qui mènent des activités susceptibles de modifier la qualité de l’environnement»131. Me Odette
Nadon écrit également: «lorsque l’on s’adonne à des activités à risques comportant la manipulation, l’entreposage ou la fabrication
de substances toxiques, l’extrême prudence est la règle et la réglementation encadre ces types d’activités, justement pour prévenir
la survenance de faits dommageables»132. Enfin, la Commission
127.
128.
129.
130.
131.
132.
Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1080.
Supra, note 123, p. 1321.
Id., p. 1329.
(1970) A.C. 132, 163.
DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 49.
Odette NADON, «La responsabilité du pollueur et l’évolution de la notion de
faute», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements
récents en droit de l’environnement (1996), Cowansville, Yvon Blais, 1996, 141185, p. 151.
194
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de réforme du droit au Canada s’en tient elle aussi à l’exercice
d’activités133. Le concept d’infraction de pollution est donc relié,
conceptuellement, aux conséquences de l’exercice d’une activité,
c’est-à-dire à tout le moins d’une cause matérielle humaine, même
si l’effet de cette cause peut se manifester passivement, et le responsable interpellé pour son omission d’agir devant ce qu’il a permis de se produire. Par exemple, une personne qui accumule des
produits toxiques dans un réservoir et les y abandonnent a réuni
un ensemble de facteurs qui causeront la pollution134. Il en est de
même de celui qui enfouit des récipients renfermant des substances dangereuses.
Quiconque se livre à des activités dangereuses qui comportent des
risques ou qui s’engage dans des situations qui exigent le respect
d’obligations légales et sociales, se voit soumis à une norme minimale de diligence raisonnable établie en fonction de la conduite
d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.135
Par contre, sanctionner la migration de contaminants dans
le sol sans égard à ce qui a, au départ, causé ou permis l’introduction des contaminants dans l’environnement, c’est aller au-delà de
la «sphère de risque» dont parle le juge Gonthier dans l’arrêt
Canadien Pacifique.
Lorsqu’un tribunal est appelé à analyser une prétention d’imprécision, il doit d’abord circonscrire tout le contexte interprétatif
entourant la disposition attaquée. Il doit procéder ainsi parce qu’il
lui faut déterminer si la disposition fournit un fondement suffisant
pour établir une distinction entre une conduite permise et une
conduite prohibée, ou pour délimiter une «sphère de risque».136
133.
134.
135.
136.
Les crimes contre l’environnement (1985), Document de travail 44, p. 54 (cité
dans Canadien Pacifique, supra, note 67, p.1073): «Pour être efficaces, les dispositions du Code [criminel] interdisant la pollution devraient pouvoir embrasser
un vaste éventail d’activités. Après tout, l’environnement et, partant, la vie et la
santé humaines, peuvent être endommagés ou mis en danger soit par des actes
directs, soit au cours de nombreuses activités. Les principaux dommages et dangers que peuvent causer une grande variété de produits, de déchets et de contaminants dangereux peuvent survenir au cours de leur fabrication, de leur
transport, de leur utilisation, de leur stockage et de leur élimination. Par souci
d’exhaustivité autant que de précision, toutes ces activités qui peuvent, dans
certaines conditions, engager la responsabilité pénale, devraient être visées par
la formulation du texte d’incrimination.» (italiques ajoutés).
L’abandon est d’ailleurs déjà réputé un «rejet», au sens de la Loi canadienne sur
la protection de l’environnement, L.R.C. 1985, c. C-15.3, art. 3 (v. infra, p. 236) et
un «release», dans la définition de ce mot, dans le CERCLA: supra, note 89.
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 537.
Supra, note 67, p. 1069.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
195
Une disposition générale peut être attaquée (comme en l’espèce)
parce qu’elle ne fournirait pas aux citoyens un avertissement adéquat de la conduite prohibée.137 (italiques ajoutés)
Citant l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society138, il rappelle qu’une disposition est enrichie par le reste du texte dans
lequel elle se situe139. Or, si l’on prend exemple de la L.Q.E., on
voit que le législateur veut véritablement contrôler des activités
dans lesquelles des personnes peuvent s’engager. L’infraction de
pollution vise, à notre avis, ce qui a pour effet d’introduire des contaminants dans l’environnement. Parallèlement et conséquemment, la responsabilité administrative attribuée à l’auteur de la
contamination concerne celui dont les gestes ou la négligence ont
contribué à introduire ces contaminants.
Un autre argument illustre que l’infraction de pollution ne
peut comprendre la migration lorsque l’infraction n’est exprimée
qu’en termes génériques. Prenons un complexe résidentiel construit sur un terrain fortement contaminé. Les occupants qui y ont
acquis de bonne foi une résidence font certes partie de ces personnes que l’on cherche à protéger par le biais des lois
environnementales. Une loi telle que la L.Q.E. n’a-t-elle justement pas pour objectif, entre autres:
[...] de doter le Québec d’un code de normes réglementaires conçues
pour protéger le milieu ambiant, notamment en ce qui concerne les
multiples formes de contamination qui assaillent l’homme contemporain.140
Comme le rappelle le juge Cory dans l’arrêt Wholesale
Travel:
[l]es lois de nature réglementaire sont essentielles au fonctionnement de notre société industrielle complexe; elles jouent un rôle
crucial et légitime dans la protection des citoyens qui sont les plus
vulnérables et qui sont les moins capables de se protéger euxmêmes.141
À présent, ajoutons à notre exemple que les contaminants
dans le sol migrent depuis la propriété vers l’extérieur. En sanctionnant la migration et en en faisant porter la responsabilité
137.
138.
139.
140.
141.
196
Id., p. 1074.
R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606.
Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1081.
DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 49.
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, p. 227.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
pénale ou administrative par ceux qui ont prétendument le contrôle de la situation, c’est-à-dire qui auraient le pouvoir d’intervenir pour stopper la migration, on vient de changer complètement
la donne. Les personnes vulnérables censées être protégées sont
devenues des pollueurs. Pire encore: si le seul mouvement des contaminants suffisait à créer l’infraction, il ne serait jamais nécessaire, pour sévir, de retracer la personne qui a permis aux
contaminants de pénétrer dans l’environnement. Il suffirait d’observer que des contaminants se déplacent et de ne s’en prendre
qu’à la personne qui a la garde ou la propriété du lieu où le
déplacement a été observé. À l’inverse, si le terrain, en l’absence
de tout déplacement de contaminants, ne constituait pas dans les
faits ce que d’aucuns appelleraient une source de contamination,
mais serait simplement pollué, il faudrait alors remonter la
chaîne des événements pour trouver un responsable. Le seul à
pouvoir en rendre compte serait alors celui qui, au départ, aurait
introduit le contaminant dans l’environnement. On aurait ici un
autre résultat aberrant: alors qu’une contamination mobile est a
priori plus dommageable qu’une contamination fixe142, c’est paradoxalement dans ce cas plus grave, que le pollueur pourrait se
cacher derrière la victime.
Pour éviter ces curieux résultats, il n’y a d’autre choix que de
se rabattre sur ce qui caractérise vraiment la pollution, au sens de
l’acte de polluer et non de l’état de pollué, c’est-à-dire, cette entrée
du contaminant dans l’environnement. Il ne s’agit pas d’un mouvement depuis une source prise in abstracto. C’est un mouvement
d’un point précis à un autre, d’un point hors de l’environnement à
un point dans l’environnement, une situation éminemment simple et facile à circonscrire. Peu importe si ces points ne sont
distants que de quelques millimètres, comme l’épaisseur des
parois d’un réservoir. Il importe peu que le mouvement se fasse
d’un seul coup ni que la vitesse de passage soit grande ou non. Ce
qui est déterminant, c’est qu’avant l’infraction, le produit n’était
pas dans l’environnement. Après, il y est. Dans le cas d’une substance naturelle, notons qu’elle doit d’abord être extraite de son
milieu pour devenir un contaminant là où elle sera ensuite réintroduite. Voilà deux situations qui nous apparaissent clairement
142.
«...a small amount of [toxic] wastes, or a highly mobile waste, may cost more to
clean up, dispose, or treat than less toxic or relatively immobile wastes.»: United
States of America v. Pesses, 1994 U.S. Dist. LEXIS 18684; 39 E.R.C. (BNA) 1951
(W.D. Pa. 1994).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
197
à l’intérieur de la «sphère de risque» dans laquelle doit évoluer le
citoyen.
Avant que le problème des sols contaminés ne prenne de
l’ampleur, personne ne songeait à lire les lois environnementales
de manière à faire de la propagation de contaminants déjà introduits dans l’environnement un phénomène de pollution passible
de sanction. Encore aujourd’hui, aucun jugement, au Québec, n’a
adopté telle ligne de pensée. Si cette thèse avait été envisageable,
la Cour d’appel, dans l’affaire Laidlaw par exemple, n’aurait pas
eu à prendre en considération que les barils fuyaient au moment
de leur découverte. L’enfouissement des barils n’aurait même pas
été pertinent, puisque du seul fait d’être propriétaire d’un terrain
où migrent des contaminants aurait suffit à relier la compagnie à
l’infraction. Or, pas un seul passage du jugement de la Cour
d’appel n’ouvre la porte à pareille interprétation. Du reste, opter
pour cette solution aurait un effet pour le moins incongru. Les
corps publics deviendraient les plus exposés à l’infraction de pollution, par l’ensemble des friches industrielles, des mines désaffectées143, des sédiments pollués et autres prétendues «sources de
contamination» dites «orphelines», mais néanmoins sous la garde,
sinon la propriété, de l’État ou des municipalités144.
3.2 N’est-ce pas le propre d’un contaminant
de se propager?
Mettre en cause le phénomène de propagation des contaminants entraîne une autre incongruité. On confond la cause et
l’effet. N’est-ce pas le propre d’un contaminant de se propager? La
L.Q.E. définit comme «contaminant» les solides, liquides et gaz,
les micro-organismes, les sons, vibrations, rayonnements,
chaleur, odeurs, etc., toutes choses susceptibles de se propager
dans l’environnement. Cette propagation n’est certes pas étrangère à ce qui fait de ces facteurs autant de contaminants qui
143.
144.
198
«La Loi sur les mines [LRQ c. M-13.1] consacre la théorie de la domanialité du
tréfonds: en principe, le droit aux substances minérales du tréfonds et aux réservoirs souterrains fait partie du domaine public.»: LAMONTAGNE, supra, note
15, p. 167.
Rappelant que le résultat prohibé par la loi, à savoir l’élimination non conforme
de déchets, est déjà accompli, RUDOLPHI et HORN, supra, note 93, précisent: «Für die Verbesserung desolater Zustände, also z. B. die Rekultivierung
einer stillgelegten Deponie, hat allein die Abfallverwaltung zu sorgen.» («Pour
l’amélioration de cette situation, c’est-à-dire pour le réaménagement d’un site
d’enfouissement abandonné par exemple, seule l’Administration publique se
trouve responsable»).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
peuvent entrer dans la chaîne alimentaire, détériorer la qualité
d’une eau de surface ou souterraine, incommoder des gens, des
animaux, des poissons, des plantes. Si les lois environnementales
prohibent la libération de contaminants susceptibles d’effets nuisibles, c’est précisément parce qu’ils ont cette particularité de
pouvoir se déplacer et d’être disponibles. Si les contaminants d’un
sol y étaient fixés à demeure, s’ils n’avaient pas la faculté de se
propager, alors il faudrait rattacher la responsabilité des propriétaires ou des gardiens à la seule présence des contaminants.
Lorsqu’une eau souterraine en mouvement contient un contaminant en quantité suffisante pour être susceptible d’effets nuisibles, est-on en train d’assister à la décharge de cette eau contaminée vers l’environnement aval ou à sa contamination par
l’environnement amont? En effet, la présence de contaminants
dans une eau souterraine n’est avant tout qu’un indice qu’elle a
été contaminée. Le sens de l’écoulement peut servir à repérer la
provenance de cette contamination. Si l’eau est captive et que l’on
n’observe pas de gradient hydraulique, on aura une présence d’eau
contaminée sans pouvoir établir une contamination active. En
d’autres termes, dans de tels cas, le mouvement est nécessaire
pour établir le phénomène prétendument polluant, ce qui signifie
que la cause se confond avec sa conséquence. Il n’y a en effet aucun
barème, aucun critère permettant de tracer une ligne en amont de
laquelle le mouvement de contaminant est la cause et, en aval,
l’effet, sauf au point d’entrée dans l’environnement.
3.3 Le problème des condamnations multiples
L’introduction du contaminant dans l’environnement est
facile à circonscrire. Nous ne disons pas «facile à prouver», mais le
lieu et le moment peuvent être appréhendés conceptuellement et
constatés ensuite matériellement. Le lieu, c’est le ou les points par
lesquels le contaminant entre dans l’environnement. Le moment,
c’est celui où ce passage se produit. La question de la migration
ultérieure, on l’a vu, est autrement plus complexe et sa sanction
pénale se buterait constamment au problème de la multiplicité
des chefs d’accusation145. La responsabilité associée à la migration présente en effet l’inconvénient de multiplier à l’infini la
survenance des actes de pollution. S’il faut intervenir à chacun des
maillons de la chaîne, on doit conclure qu’il existerait un premier
acte de pollution dès le moment de l’introduction initiale du con145.
R. c. Kienapple, [1975] 1 R.C.S. 729.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
199
taminant dans l’environnement, d’où résulterait une seconde
infraction. Sa pénétration dans les eaux souterraines serait un
événement distinct du premier. Si c’est le franchissement d’une
limite de propriété qui est le critère déclencheur, alors, le fait
d’avoir causé dans un premier temps la contamination de la
propriété d’X est-elle une infraction distincte de celle de causer,
ensuite, celle de la propriété d’Y, en aval de la première? Le
contrevenant pourrait-il enfin avoir nettoyé son site et se retrouver néanmoins coupable de la migration des contaminants qui ne
s’y trouvaient déjà plus et qu’il n’a pu ainsi récupérer? Dans le cas
de l’expansion d’un panache de contamination, la migration reste
observable jour après jour aux environs immédiats du point
d’introduction des contaminants dans l’environnement, comme
elle est observable jour après jour en tout point où le panache continue sa progression. La personne condamnée pour avoir laissé, à
une date x, un contaminant se propager, serait-elle assurée de ne
pas être recherchée pour une infraction commise plus tard, quand
le même contaminant est observé plus loin en aval?
Dans l’hypothèse où l’infraction a lieu au moment du changement de médium, imaginons un réservoir hors terre qui fuit et
dont le produit se répand d’abord à l’air libre (première infraction
alléguée) avant de pénétrer dans le sol (deuxième infraction) et
d’ensuite atteindre la nappe phréatique (troisième infraction). Il
ne suffirait pas alors au gardien du réservoir de stopper l’écoulement. Il demeurerait passible de poursuites pour le produit
échappé s’il ne prenait pas les mesures nécessaires pour éviter que
le produit ne pénètre dans le sol. Et s’il le faisait, mais sans
intervenir sur la partie du produit qui se trouve dans le sol, il
resterait responsable de sa progression dans la nappe phréatique.
Généralement, la protection accordée au contrevenant contre les
condamnations multiples s’applique aux infractions qui, «bien
qu’abstraitement différentes à la lecture des textes d’incrimination, comportent des éléments déterminants qui se recoupent et
visent de facto des comportements essentiellement identiques»146.
Ici, c’est un peu le contraire. Il y a une seule infraction créée par le
législateur, mais on cherche à la décomposer pour sanctionner à la
fois l’acte initial, ses effets et le défaut d’enrayer ses effets. Il ne
s’agit plus alors de diverses manières de commettre une infraction. On crée plutôt une nouvelle infraction, sans le concours du
146.
Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Principes de preuve et de procédure
pénales, 4e éd., Montréal, Thémis, 1997, p. 712.
200
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
législateur, pour des choses foncièrement différentes les unes des
autres.
Si la question clé est «de savoir si les deux accusations sont
fondées sur la même cause, la même chose ou le même délit»147,
alors en prétendant qu’il s’agit de délits distincts, on contourne
indûment la règle. Pourtant, même dans les cas où le législateur a
prévu plus d’une infraction mettant en cause une action et ses
effets appréhendés d’une part et l’accomplissement de ces mêmes
effets, d’autre part, les tribunaux se sont refusés à imposer plus
d’une condamnation. C’est ainsi que la Loi sur les pêches, qui crée
une infraction pour avoir soit déversé une substance nocive dans
l’eau, soit pour l’avoir placée en un endroit d’où elle risque d’atteindre l’eau148, ne permet pas d’obtenir une double condamnation, l’une pour avoir placé la substance dans un lieu interdit,
l’autre parce que la substance s’est ensuite répandue dans
l’eau149. Si l’accusation vise les deux événements, une seule condamnation sera possible150. Alors que la L.P.E.O. énumère divers
effets appréhendés d’une libération de contaminants dans l’environnement, la survenance de chacun de ces effets n’a pas pour
effet de créer autant d’infractions différentes151.
3.4 La culpabilisation de la victime
La sanction de la migration des contaminants suppose une
fragmentation et une extension de l’acte pollueur, fragmentation
puisque l’on examine séparément l’entrée du contaminant dans
l’environnement et son comportement subséquent, extension
parce que l’infraction n’apparaît pas terminée du simple fait de
l’introduction du contaminant dans l’environnement. Le danger
de cette démarche est de créer un nouvel acte punissable, attribué
à une personne qui n’est absolument pas reliée à l’acte d’origine.
Prenons le cas classique d’un propriétaire qui découvre un produit
toxique clandestin sur sa propriété. Si son terrain est devenu une
source de contamination, alors il sera responsable de la contamination de l’environnement «aussi longtemps qu’il ne fait pas tarir
cette source»152. Pourtant, il n’est pas celui qui, au départ, a
147.
148.
149.
150.
151.
152.
R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, p. 502.
L.R.C. 1985, c. F-14, art. 36(3); pour le texte de la disposition, v. infra, p. 237.
Paule HALLEY, «La Loi fédérale sur les pêches et son régime pénal de protection
environnementale», (1992) 3 C. de D. 769, p. 790.
Northwest Falling Contractors Ltd. v. R., [1980] 2 R.C.S. 292, p. 302.
R. v. Imperial Oil, supra, note 96.
Laidlaw, supra, note 18, p. 379.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
201
contaminé cette portion de l’environnement. Et qu’en serait-il du
produit qui, par l’effet des eaux souterraines et de la gravité, se
retrouvait dans le sol d’une propriété voisine, d’où il referait surface au creux d’un fossé pour se répandre ensuite dans les eaux
superficielles? Le voisin deviendrait-il de la sorte responsable de
cette autre contamination153? On le voit, cette position a pour effet
de culpabiliser la victime. Dans le cas où le terrain passe entre les
mains d’un tiers, ce dernier n’a peut-être pas davantage les
moyens ou l’intention de le remettre en état. Pourtant, si la migration engendre sa responsabilité, il peut se retrouver dans l’étrange
situation d’être dans l’incapacité matérielle d’agir et de ne pas
trouver preneur pour son terrain (et donc ne pas pouvoir se
départir de la garde de celui-ci autrement qu’en l’abandonnant).
L’État, de son côté, ne pourra se déclarer propriétaire du terrain
ainsi abandonné, en vertu de l’article 936 C.C.Q., qu’à moins d’en
prendre la responsabilité, au risque, s’il n’agit pas ensuite sans
délai, d’être lui-même en infraction.
Le défaut de prendre immédiatement les mesures nécessaires dès
que possible pour corriger une situation non réglementaire et des
mesures insuffisantes pour éviter l’infraction ne donnent pas
ouverture à la défense de diligence raisonnable.154
Si l’État refuse, par ailleurs, de se porter acquéreur d’un bien
immobilier sans maître, sous prétexte que le site est contaminé et
que les contaminants se répandent, dans le but exprès de ne pas
en devenir responsable, n’est-il tout simplement pas en train
d’abdiquer ses responsabilités environnementales? Curieux effet
que celui d’une loi qui inciterait l’État à renoncer à agir là où, au
153.
154.
Poussé à l’extrême, ce raisonnement a des effets surprenants. Dans le cas du
CERCLA, sans doute la plus puissante des armes législatives relatives aux sols
contaminés, une régie municipale a été jugée responsable d’une fuite de substances dangereuses à travers ses égouts, mais provenant des installations d’un
tiers (Westfarm Associates, supra, note 36). De même, dans le cas d’un propriétaire de centre commercial, pour le perchloroéthylène échappé à travers ses
égouts à partir d’un commerce de nettoyage à sec: «The statutory language does
not suggest that the release of a substance occurs only once if the subtance is
migrating, or that liability is limited to the owner or operator that introduced
the substance initially or was the source of the substance, or that a «passive»
owner or operator is exempted from the Act» (Lincoln Properties, supra, note
36); enfin, le propriétaire qui a reçu des résidus d’un terrain en amont entraînés
par les eaux de ruissellement a dû en assumer la responsabilité: «While it may
seem inequitable, the mere migration of contaminants from adjacent land constitutes disposal for the purposes of CERCLA, and passive downstream landowners are liable for the cleanup costs from their neighbors’ activities» (Reichhold
Chemicals, supra, note 35).
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 608.
202
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
contraire, il devrait plutôt intervenir, ou qui le placerait automatiquement en infraction dès le moment où il assumerait la
garde ou le contrôle des sites «orphelins» contaminés. Il est
difficile pour l’État, en effet, de prétendre ne pas avoir les moyens
d’agir.
D’autre part, la victime considérée pollueuse est dans une
situation extrêmement précaire par rapport au pollueur initial.
La décontamination est très onéreuse. Or, le propriétaire fait face
à une situation beaucoup plus difficile à appréhender et, partant,
à gérer. Ne serait-ce que pour déterminer s’il doit ou non intervenir, des études coûteuses sont nécessaires pour évaluer la nature,
l’étendue et le comportement de la contamination. Il ne pourrait
en principe s’abstenir de faire au moins cette vérification, s’il a des
soupçons155. Pourtant, le fait que le site soit la propriété d’un autre
ou soit ultérieurement acquis par un tiers ne devrait pas être un
actus novus interveniens venant rompre le lien de causalité entre
les agissements de la première personne (celle qui a causé
l’introduction des contaminants dans l’environnement) et les
conséquences matérielles prétendument illégales qui ont résulté
de cet acte. Pour quelle raison, désormais, cette pollution, parce
que migrante, relèverait-elle d’un tiers qui n’a en rien contribué
au problème? La personne qui a exercé l’activité à l’origine de
l’introduction du contaminant dans l’environnement, ou créé une
situation ayant ensuite causé cette introduction, est censée
connaître ses installations, ses procédés, ses produits. Advenant
qu’elle n’ait pu prévenir la pollution, elle reste néanmoins en position d’intervenir rapidement pour stopper un déversement accidentel. Le propriétaire subséquent, ou le voisin chez qui les
produits ont pu se répandre, n’ont ni la possibilité d’empêcher
l’apparition du phénomène de migration (ils ne peuvent intervenir qu’en aval, après le fait, pour la stopper, l’enrayer), ni la
connaissance que le pollueur pouvait avoir de la situation dont il a
été l’auteur.
Une défense fondée sur l’impossibilité financière lui seraitelle reconnue? Dans l’affaire M.R.C. d’Abitibi, la Cour d’appel a
refusé l’argument du fardeau financier. Il s’agissait d’une affaire
155.
COTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 394: «La
connaissance imputée consiste à attribuer à un individu la connaissance d’un
fait ou d’une circonstance lorsque, suite à la preuve d’un fait par la poursuite, on
peut inférer qu’un homme raisonnable aurait eu connaissance de ce fait».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
203
de zonage156. Les considérations financières ne sont habituellement pas admises en défense, en droit pénal157. Cette règle vient
du principe qu’une personne qui choisit délibérément d’exercer
une activité doit en assumer l’entière responsabilité158. Si elle a
les moyens d’exploiter une usine, elle doit avoir les moyens de prévenir la pollution pouvant émaner de cette usine. Lord Diplock,
dans Sweet v. Parsley159 rappelle ainsi cette règle:
...where the subject matter of a statute is the regulation of a particular activity involving potential danger to public health, safety, or
morals, in which citizens have a choice as to whether they participate or not, the court may feel driven to infer an intention of Parliament to impose, by penal sentences, a higher duty of care on those
who choose to participate and to place on them an obligation to take
156.
157.
158.
159.
204
M.R.C. d’Abitibi c. Ibitiba Ltée [1993] R.J.Q. 1061 (C.A.), aux p. 1068 et
1069: «Certes, pour le propriétaire, le fait de se conformer à une réglementation
visant à protéger l’environnement est une charge supplémentaire et lui occasionne des tracas et des dépenses additionnelles. C’est là simplement la rançon
que tout propriétaire individuel doit payer pour la protection générale et collective de la nature. [mais la Cour ajoute: ] nous ne sommes pas devant une situation où la réglementation réduit tellement l’exercice du droit de propriété qu’elle
en rend un usage impossible ou a pour effet de supprimer totalement l’achalandage d’une entreprise tout en lui laissant ses biens. [...] On ne peut plus
admettre désormais que des individus ignorent systématiquement, en ne leur
accordant aucune importance, les règles de la protection de l’environnement,
puis, ayant placé la collectivité devant une situation de fait [il s’agissait ici de la
construction d’une route trop près d’un plan d’eau], viennent ensuite se plaindre
des inconvénients financiers et économiques qui peuvent leur résulter d’une
exécution forcée et en nature des prescriptions de la loi et de la remise en état
des lieux pour les générations actuelles et futures.»
DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 28; P.G. du Québec c. Novi
Pêche (1987) Inc. (30 novembre 1989), Bonaventure 105-27-001514-884 (C.S.P.)
M. le juge J. Bécu; P.G. du Québec c. Simard (23 septembre 1994), Alma
160-61-000108-948 (C.Q.), M. le juge J.-Y. Tremblay, J.E. 94-1563.
Wholesale Travel, supra, note 141, p. 227: «Le concept de l’acceptation des conditions repose sur la théorie que ceux qui choisissent de se livrer à des activités
réglementées ont, en agissant ainsi, établi un rapport de responsabilité à l’égard
du public en général et doivent assumer les conséquences de cette responsabilité. C’est pourquoi on devrait considérer, dit-on, que ceux qui se livrent à une
activité réglementée ont accepté, dans le cadre de la conduite responsable qu’ils
doivent assumer en raison de leur participation au domaine réglementé, certaines conditions applicables aux personnes qui agissent dans la sphère réglementée.»; Fabien exprime l’avis que cet argument est également applicable aux
lois environnementales: Marc-André FABIEN, «Développements récents en
droit pénal de l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du
Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 63-99, p. 96
Supra, note 130 (ce passage est cité dans Canada Tungsten Mining Corporation
v. The Queen (5 mars 1976), résumé à [1976] W.W.R. 104, [1976-1977] F.P.R. 78
(Cour suprême des Territoires-du-Nord-Ouest, en application de la Loi sur les
pêches, supra, note 158).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
whatever measures may be necessary to prevent the prohibited act,
without regard to those considerations of cost or business practicability which play a part in the determination of what would be
required of them in order to fulfil the ordinary Common law duty of
care. (italiques ajoutés)
S’il est impossible d’obtenir les crédits nécessaires pour
décontaminer son site, le propriétaire est-il condamné à une
infraction continue? Devra-t-il se départir de son bien? Et s’il ne
trouve pas d’acheteur, devra-t-il le remettre à la municipalité ou à
l’État? «[L’]attente de la vente d’un immeuble n’exonère pas le
propriétaire de ses obligations légales»160. Par ailleurs, l’abandon
d’un immeuble ne relève pas nécessairement le propriétaire des
obligations personnelles auxquelles il était tenu161. Si on a fait
état plus haut de situations où, en droit civil, le propriétaire d’un
immeuble contaminé pourrait avoir à rendre compte de la contamination répandue ailleurs, on ne peut assimiler toutefois les
recours civils et les recours pénaux. La situation n’est aucunement comparable162. Les recours civils seront possibles même si
le terrain contaminé n’est pas le point d’entrée des contaminants
dans l’environnement. En d’autres termes, le propriétaire d’un
terrain traversé par des contaminants venus d’un autre terrain, et
non pas seulement d’une source située sur son terrain, pourrait
être, selon les circonstances, recherché en justice pour dommages
civils163. Un recours pénal contre cette personne serait difficilement concevable et éminemment contraire à la Charte canadienne
des droits et libertés164, en rendant une personne coupable des
160.
161.
162.
163.
164.
Paule HALLEY, «Les recours pénaux», dans DAIGNEAULT et PAQUET,
supra, note 3, ¶ 50 830 (citant P.G. du Québec c. St-Pierre (22 février 1996), Hull
550-61- 007396-951 (C.Q.), M. le juge R.R. Lapointe).
On peut rester responsable des dommages déjà causés par le bien qu’on abandonne (LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 14); c’est un peu ce qu’a sanctionné,
en 1990, la «Loi du pollueur-payeur», L.Q. 1990, c. 26, introduisant les articles
31.42 à 31.52 dans la L.Q.E. quant aux contaminants laissés sur un ancien site.
Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e
éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 36: «L’ordre pénal énumère les conduites
jugées antisociales, en dresse une liste limitative [nullum crimen sine lege] et les
assortit de peines spécifiquement prévues [nulla poena sine lege], dont la sévérité dépend non du préjudice réel effectivement subi, mais de la gravité sociale
de l’acte reproché. Au contraire, le droit civil se contente d’un principe général de
responsabilité, faisant peu cas du caractère antisocial de la conduite de l’auteur
du dommage ou de la gravité de la faute commise. Seuls entrent en ligne de
compte le préjudice subi par la victime et le lien entre ce préjudice et la faute.»
Pelchat c. Canadian Tire Corporation Ltd. (16 mars 1995), Québec 200-05003512-949 (C.S.), M. le juge L. Rochette, J.E. 95-1006, p. 4 et 5.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 7 et 9; une «loi qui permet de déclarer coupable
une personne qui n’a véritablement rien fait de mal viole les principes de la justice fondamentale et, si elle prévoit une peine d’emprisonnement, une telle loi
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
205
agissements d’un autre sur lequel elle n’a aucun contrôle165. Pour
reprendre les termes de la juge Huddart de la Cour suprême de
Colombie-Britannique, dont le jugement a été confirmé en appel:
To allow a conviction in such circumstances would be to find the
accused guilty of the acts of another, and, to use the language of
Devlin J. (supra, at p. 21) [dans Reynolds v. G.H. Austin & Sons
Ltd., [1951] 2 K.B. 135, à la p. 149], it would be “pouncing on the
most convenient victim”. If the legislature wishes to place a positive
duty on a neighbour in such circumstances, it can do so in clear language.166
Au civil, l’infortuné voisin dispose tout de même d’un recours
contre la personne à l’origine de la contamination167. «Il serait
responsable des dommages susceptibles de découler de l’état de
son terrain, à charge pour lui, s’il le désire, de retrouver le
véritable responsable...»168. Même dans le CERCLA, où la conduite d’une personne n’est pas pertinente quant à sa responsabilité sous cette loi169 (il ne s’agit pas d’une responsabilité
pénale, mais d’une responsabilité administrative ou d’ordre civil),
on a prévu ce qui a été appelé le «third-party defence». La contamination qui est entièrement due aux agissements d’un tiers exonère la partie autrement déclarée responsable, sans compter que
cette loi donne aux personnes ayant encouru des frais de décontamination le pouvoir d’intenter une poursuite contre les véritables
pollueurs170. En matière pénale, il n’y a pas de tel recours en
garantie. Il y a plutôt acquittement, si la preuve démontre que
l’infraction a été commise par une tierce personne, sans participation de l’accusé. Rechercher la culpabilité du propriétaire innocent apparaît donc injustifié dans ces circonstances.
Une autre conséquence est de rendre coupable la personne
qui a agi légalement. Par exemple, une personne peut avoir exercé
une activité à une époque où les considérations environnementales n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Son activité peut
165.
166.
167.
168.
169.
170.
206
viole le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits
et libertés»: Renvoi sur le Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, 492.
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 275.
Rivtow Straits, supra, note 36, p. 22.
Pelchat, supra, note 163.
Michel BÉLANGER, «Le droit de l’environnement et la pratique notariale à
l’égard des terrains contaminés», (1988) C.P. du N. 375, 416.
«The legislation is designed to impose strict liability on a variety of actors,
including past and present owners, irrespective of their culpability»: HydroManufacturing, Inc. v. Kayser-Roth Corp., 903 F.Sup. 273 (D. R.I. 1995).
À titre d’exemple, voir: American Color & Chemical Corporation v. Tenneco
Polymers, Inc., 918 F.Sup. 945; 1995 U.S. Dist. LEXIS 20357 (D. S.Car. 1995).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
être antérieure à l’entrée en vigueur de la L.Q.E., qui même
n’interdit pas de contaminer l’environnement171. Elle prescrit
seulement que cela doit se faire dans le respect des balises
prévues172. On peut fort bien imaginer une situation où un terrain
s’est retrouvé contaminé par la simple accumulation, avec les
années, des contaminants que l’entreprise était légalement autorisée à rejeter. Admettre que la migration qui s’ensuit des contaminants constitue une infraction serait en quelque sorte punir
cette personne pour les conséquences normales et prévisibles du
geste légal qu’elle posait. On aurait en quelque sorte autorisé cette
personne à constituer avec le temps une prétendue source de contamination distincte de l’établissement qu’elle exploitait173. On
l’aurait incitée à se piéger elle-même.
3.5 L’imprescriptibilité
L’extension de l’acte de pollution a un autre effet pernicieux.
Elle abolit la prescription. En effet, dès que le contaminant est
lâché dans l’environnement, les chemins qu’il peut emprunter
sont multiples et nul ne sait à quel moment ni en quel lieu le
produit peut réapparaître, ou encore passer dans un nouveau
médium comme l’air ou l’eau. En transposant les principes de
l’arrêt Laidlaw à cette situation, la personne qui à l’origine a
introduit le contaminant dans l’environnement serait imputable
de ce que, bien plus tard, malgré qu’elle en ait tari la source, le contaminant continue de se propager. Un riverain industriel du canal
de Lachine serait responsable de ce qu’aujourd’hui des contaminants renfermés dans les sédiments du canal migreraient dans les
eaux. Il n’y aurait pas de raison d’exclure ici l’élément de continuité qui avait permis à la Cour d’appel, dans Laidlaw, de relier
à la personne qui les avait enfouis, en 1973, les barils de produits
toxiques qui, en 1991, laissaient échapper leur contenu.
L’affaire Amoco174 posait un problème de prescription analogue à celui de l’affaire Laidlaw. La compagnie contrevenante
171.
172.
173.
174.
Michel YERGEAU, Loi sur la qualité de l’environnement, texte annoté, Montréal, SOQUIJ, 1988, p. 105.
Art. 24 (alinéa 1) L.Q.E.: «Le ministre doit, avant de donner son approbation à
une demande faite en vertu de l’article 22, s’assurer que l’émission, le dépôt, le
dégagement ou le rejet de contaminants dans l’environnement sera conforme à
la loi et aux règlements. Il peut, à cette fin exiger toute modification du plan ou
du projet soumis.»
«Une société conséquente ne peut à la fois tolérer, organiser voire susciter une
activité susceptible de causer des dommages et punir ceux qui occasionnent les
troubles en question dans l’exercice normal de cette activité»: LITTMANNMARTIN, supra, note 79, p. 151
Supra, note 53.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
207
avait déposé des déchets dangereux dans des lagunes causant une
infiltration continue dans le sol. Après une intervention des
autorités, Amoco avait entrepris d’enrayer la contamination. Si la
contravention avait été le dépôt initial Amoco perdait sa défense
de diligence raisonnable, vu qu’il était délibéré, mais l’infraction
aurait été prescrite. La Cour a plutôt retenu la thèse de l’infraction continue reliée à l’infiltration dans le sol et l’eau
souterraine à partir de la lagune, évitant ainsi la prescription175.
Ici, l’acte pollueur n’était pas le dépôt initial, mais uniquement
l’infiltration, contrairement aux conclusions de l’affaire Laidlaw,
où le dépôt initial blâmable faisait partie de la transaction fautive.
La solution d’Amoco au problème de prescription rappelle une
autre affaire en Ontario176:
The accumulation of all dumping is the deposit and the deposit
remains, that is, it is a continuing or continuous matter. I find that
Mr. Liverance created a risk which continued and became an established fact and that he had a duty to remove it. The duty continued
with the risk.
As the duty and the omission to act under that duty were continuous, the limitation period commenced on the discovery of that
breach of duty or in 1983.
En fait, sanctionner l’inaction face à la migration de contaminants rend l’omission perpétuelle. Plusieurs refusent cette conséquence177. Par exemple:
Because CERCLA conditions the innocent owner defence on the
defendant’s having purchased the property “after the disposal” of
hazardous waste at the property, “disposal” cannot constitute the
allegedly constant spreading of contaminants. Otherwise, the
defence would almost never apply, as there would generally be no
point “after disposal.”178 (italiques ajoutés)
Wer giftige Abwässer in einen Fluß abläßt oder Schadstoffe durch
Verbrennen beseitigt, hat einen irreversiblen Gefährdungszustand
geschaffen.179
175.
176.
177.
178.
179.
208
Si Amoco n’a pu alors profiter de la prescription, elle a néanmoins eu droit à une
défense de diligence raisonnable, ayant pris des mesures à cette époque pour
enrayer la contamination qui s’échappait de la lagune.
R. v. Liverance (1986), 1 C.E.L.R. (N.S.) 97 (Ont. Prov. Ct., Cr. Div.).
La prescription doit se calculer depuis le moment du déversement: U.S. v. Telluride Co., 884 F.Sup. 404 (D. Col. 1995).
U.S. v. CDMG Realty Co., 96 F.3d 706 (3rd Circ. 1996).
Décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989, supra, note
102: «Celui qui laisse écouler des eaux usées contaminées dans une rivière ou
qui élimine des déchets dangereux en les brûlant, a créé un danger irréversible».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Dans une affaire civile, la Cour suprême de Californie a
avancé une solution intéressante. Les coûts prohibitifs rendent
les dommages permanents et non continus180. Par contre, on
trouve aussi des décisions qui font de l’acte accompli un acte
continu. En droit anglais, le défaut de recouvrir les déchets d’un
lieu d’enfouissement a créé, par le seul maintien des déchets dans
cet état, une infraction continue de dépôt illégal181. En Ontario,
une personne en défaut d’avertir les autorités d’un déversement
s’est vue condamnée pour une infraction continue parce que les
contaminants répandus étaient demeurés dans l’environnement182. Au Québec, le mot «rejet» utilisé à l’article 20 L.Q.E. a
déjà été lu comme incluant aussi bien l’action que son résultat
accompli et continu183.
3.6 Une lecture indûment complexifiée
Étendre et fragmenter l’introduction d’un contaminant dans
l’environnement complexifie la lecture de dispositions autrement
simples et limpides. Fonder la responsabilité sur une prohibition
générale de polluer, ou attribuer une responsabilité d’ordre administratif sur cette base provoque des résultats inusités dans les
cas de migration. Les tribunaux qui se sont interrogés sur la distinction entre l’introduction initiale du contaminant et sa propagation subséquente se sont longuement et systématiquement
intéressés à la terminologie employée. En Ontario, les définitions
de la L.P.E.O. ont été scrutées par le tribunal184. Aux États-Unis,
on a distingué les mots «disposal» et «release»185. On a relevé ce
genre de conflit dans l’interprétation des dispositions en cause:
180.
181.
182.
183.
184.
185.
Une nuisance n’est plus continue mais devient permanente, si elle ne peut être
enrayée à un coût raisonnable: Mangini v. Aerojet-General Corporation (1996),
12 Cal. 4th 1087 (Cal. S. Ct.) (avec dissidence).
«A continuing state of affairs is in my judgment capable of being embraced
within the meaning of the word “deposit”»: Thames Waste Management Ltd v.
Surrey County Council (1er novembre 1996), CO/1026/96 (Q.B.).
«As long as a contaminant remains in the natural environment and the potential for “pollution” continues the offence continues»: R. v. Hill, supra, note 116.
«Le mot «rejet» vise aussi bien l’action de rejeter que son résultat. Restreindre la
portée des mots «a rejeté ou permis le rejet» à l’action délimitée dans le temps et
l’espace ferait perdre de vue l’objectif de la législation, qui est de prévenir et
d’empêcher un résultat.»: P.G. du Québec c. Scierie Mont-Laurier Inc. (9 mai
1994), Labelle 560-27-003438-922 (C.Q.), M. le juge F. Beaudoin, inf. en
partie: (30 mars 1995), Labelle 560-36-000003-944 (C.S.), M. le juge L.-P. Landry, appel accueilli: (7 janvier 1997), Montréal 500-10-000184-950 (C.A. ), MM.
les juges P.-A. Gendreau, M.J. Fish et A. Biron (ad hoc), J.E. 97-254 (l’aspect
continu ou non de l’infraction n’a cependant pas été soulevé en appel).
Canadian National Railway, supra, note 35.
ABB Industrial Systems, supra, note 74; Ecodyne Corp. v. Shah, 718 F.Sup.
1454 (N.D. Cal. 1989); The Reading Co. v. City of Philadelphia, 155 Bankr. 890
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
209
If the spreading of contaminants is constant, as HMAT would have
us assume, characterising liable parties as “any person who at the
time of disposal... owned or operated any facility,” 42 U.S.C. §
9607(a)(2), would be a rather complicated way of making liable all
people who owned or operated a facility after the introduction of
waste into the facility... We will not impute to Congress an intent to
set up a simple liability scheme through a convoluted methodology.186
Assuming that any hazardous waste may migrate long after it has
been introduced into the environment, the corporate successor’s
sweeping interpretation of the term disposal would effectively
impose cleanup liability on any owner in a chain of title187.
En France, c’est encore le vocabulaire («jeté, déversé ou
laissé écouler») qui a été analysé188. En Allemagne, on s’est refusé
à voir une infraction continue là où le législateur ne l’a pas
exprimé explicitement189. Il n’y a pas eu pareille exégèse par nos
tribunaux, tout simplement parce que le cas ne s’est pas présenté.
Le législateur n’a pas non plus mis en vigueur les dispositions de
la L.Q.E. visant expressément les propriétaires de terrains190.
Clairement, si le principe du pollueur-payeur est bien codifié, il
est loin d’en être autant du principe de la «victime-payeuse» ou du
«propriétaire-payeur».
3.7 La gravité objective
Dans la L.Q.E., l’infraction de pollution représente l’infraction la plus grave que la loi contienne, passible d’emprisonnement. Pourtant, dans la migration, rien ne concourt à rendre le
prétendu contrevenant passible de peines aussi lourdes. D’abord,
l’élément mental de l’infraction ne s’y trouve pas, élément présumé, puisque les infractions aux lois environnementales sont
réputées de responsabilité stricte191. Le prétendu contrevenant,
rappelons-le, est avant tout une victime. La gravité plus importante de l’acte initial de rejet est illustrée par une décision
ontarienne en matière d’application de pesticides. Le geste initial
191.
(E.D. Penn. 1993); Snediker Developers Ltd. Partnership v. Evans, 773 F.Sup.
984 (E.D. Mich. 1991).; CDMG Realty, supra, note 178.
CDMG Realty, supra, note 178.
Snediker, supra, note 185.
RASSAT, supra, note 13.
S CH Ö NK E e t S CH R Ö D E R ; R U D O L P H I e t H O R N ; ME I N B E R G ,
MÖHRENSCHLAGER et LINK; supra, note 93.
Supra, note 161 (les articles 31.46 à 31.51 que cette loi a introduits dans la
L.Q.E. ne sont pas en vigueur).
HALLEY, supra, note 160, ¶ 50 780.
210
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
186.
187.
188.
189.
190.
d’application excessive et négligente du pesticide a été considéré
beaucoup plus grave que l’omission ultérieure de stopper son
évaporation dans une habitation (les accusations portaient par
ailleurs sur deux dispositions distinctes de la loi)192. La tolérance
passive de la propagation ne peut se comparer à l’acte initial
d’introduction. Le législateur imposerait autrement les pires peines à celui qui n’est pas à l’origine du problème et qui a davantage
à faire pour s’en sortir que le vrai responsable.
4. LA RECHERCHE DE L’ACTE RÉPRÉHENSIBLE
La migration sous l’angle pénal pose avant tout le problème
de l’identification de l’acte répréhensible, et donc des éléments de
l’actus reus de l’infraction de pollution. Il peut s’agir, comme on l’a
vu, d’agissements que l’on veut réprimer, comme il peut s’agir de
conditions qu’une personne a d’abord réunies et qu’elle a ensuite
négligé de contrôler. L’actus reus peut donc être analysé sous
l’angle de l’acte positif ou de l’omission. L’identification de cet acte
est essentielle car il est au cœur de l’infraction réglementaire193.
L’acte positif peut être celui qui cause la migration. Il peut s’agir
alors de l’acte à l’origine de l’introduction du contaminant dans le
sol comme il pourrait aussi s’agir de l’acte à l’origine d’une propagation des contaminants déjà introduits. Dans les deux cas, la
migration apparaît comme une conséquence du geste posé, un peu
comme dans Laidlaw, où les fuites prolongeaient le geste initial,
l’enfouissement des barils. Sous l’angle de l’acte positif, la Cour
d’appel a vu une seule et même transaction194, et sans l’étendre à
la migration des contaminants une fois sortis des barils. Mais la
comparaison s’arrête là. Il ne s’agit pas ici d’incriminer l’acte à
l’origine de la présence du contaminant dans l’environnement,
192.
193.
194.
R. v. Burton’s Sanitation Limited (10 juillet 1986), Ont. Prov. Ct., Cr. Div.,
Gananoque (inédit): «There is a different degree of culpability that attaches in
this particular case to the continuing part of the offence, from the original
offence. The original offence is an action, the continuing part of the offence is
passive. It’s a failure to do something that perhaps they should have done. But it
is certainly less wilful and callous than knowing they should have done it and
deliberately failing to do it.»
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 271: «cette
preuve hors de tout doute raisonnable de l’actus reus devient particulièrement
importante en matière d’infractions réglementaires car la poursuite n’a pas à
prouver la mens rea de l’accusé, celle-ci se déduisant de la simple preuve de
l’actus reus. L’accusé ne pouvant se disculper par l’absence de mens rea, il peut
lui devenir nécessaire pour éviter une condamnation, surtout en matière
d’infractions de responsabilité absolue, de démontrer qu’il n’a pas commis
l’actus reus de l’infraction.»
HALLEY, supra, note 66.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
211
mais un phénomène subséquent. Il faut que ce phénomène soit vu
comme un acte de pollution, au sens de «disposal» dans le RCRA
américain195, au sens de «jeter, déverser ou laisser écouler» du
Code rural français196, d’«ajouter, de déposer, de perdre ou d’émettre» de la L.P.E.O.197, de «verunreinigen» ou d’«einbringen» du
Code pénal allemand198, au sens d’«émettre, déposer, dégager ou
rejeter» de la L.Q.E.199. Cette hypothèse étant posée, qu’en est-il
du phénomène? Devient-il un acte en soi? Est-il alors passible de
sanction? Dans ce cas, devrait-on distinguer la propagation de
cause humaine et la propagation spontanée? Bien souvent, il n’y a
pas d’intervention humaine dans la migration, ni de volonté
agissant sur le contaminant et entraînant son mouvement. Cette
absence d’intervention et de volonté rend difficile le rattachement
à l’actus reus d’une infraction. «Le caractère volontaire d’un acte
est un impératif constitutionnel. [L’]acte matériel interdit doit
être accompli sous le contrôle conscient de son auteur»200. Appliquée au seul déplacement de contaminants, cette position excède
la «sphère de risque» que mentionne la Cour suprême. Le citoyen
qui découvre une contamination qui se propage n’a posé jusqu’ici
aucun geste le situant à l’intérieur de cette sphère de risque. Il
exerçait un droit tout à fait légitime, celui de posséder. La découverte de l’état de son terrain n’affecte certes pas ce droit ou ne le
rend pas moins légitime et, en ce sens, on ne peut rattacher sa
responsabilité à une quelconque infraction de possession201. On
observe d’ailleurs des hésitations à relier des phénomènes naturels et la responsabilité:
Au Québec:
Il me paraît évident que l’effet des phénomènes naturels ne saurait
constituer un novus actus brisant le lien de causalité entre la pollution et la conduite blâmable de Laidlaw. 202
En Colombie-Britannique (loi fédérale):
Put simply, providing the opportunity for pollution to continue by
not doing anything about a neighbour’s activities is not enough to
195.
196.
197.
198.
199.
200.
201.
202.
42 U.S.C. § 6903(3).
Art. L. 232-2.
Supra, note 20, art. 1.(1).
Strafgesetzbuch, §§ 324 et 324a.
L.R.Q., c. Q-2, art. 20.
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 275 et 281.
«Au départ, l’acte de propriété est utile en soi et accompli sans intention malicieuse»: LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 236.
Laidlaw, supra, note 18.
212
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
constitute the actus reus of s. 36(3) [of the Fisheries Act] in view of
the principles set down by the Supreme Court of Canada in Sault
Ste. Marie.203
Aux États-Unis:
Those who owned previously contaminated property where waste
spread without their aid cannot reasonably be characterised as
“polluters”; excluding them from liability will not let those who
cause the pollution off the hook.204
En Grande-Bretagne:
I cannot myself find it possible to say that a causing of the entry of
the polluting matter occurs merely because the landowner stands
by and watches the polluting matter cross his land into the stream,
even if he has committed himself by contract to allowing the adjoining owner so to act.205
4.1 L’existence d’un acte positif
La situation est différente s’il y a une conduite qui, selon les
circonstances, pourra être qualifiée de blâmable. Encore là, il faut
distinguer l’acte qui introduit le contaminant de celui qui met en
cause des contaminants déjà présents. Dans le premier cas, il y a
pollution et le problème est celui de la qualification du phénomène
subséquent de propagation. Nous reviendrons sur ce point. Dans
le second cas, la propagation de contaminants déjà présents est
activée par une personne, avec l’amplification d’une migration en
cours, ou la mise en mouvement de contaminants qui ne migraient
pas.
4.1.1
L’activation de la migration
Avant d’attribuer une conséquence pénale à cette activation,
il ne faut pas oublier qu’une fois les contaminants introduits, la
quantité qui est susceptible de se répandre est une quantité finie.
Entre l’évaporation laissée à elle-même, par exemple, et l’évaporation accélérée par l’excavation du sol, la seule différence sera
le facteur temps, non la quantité. Si la personne qui laisse un contaminant du sol s’évaporer durant un mois était un pollueur, elle
le serait pendant un mois. Pose-t-elle un geste différent si l’évaporation se produit plus rapidement? Paradoxalement, la première
203.
204.
205.
Rivtow Straits, supra, note 36.
CDMG Realty, supra, note 178.
Price v. Cromack, supra, note 36.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
213
serait coupable de trente infractions quotidiennes, passibles de
2 000 $ d’amende minimale par jour, dans le cas de l’article 20
L.Q.E. La seconde n’aurait commis qu’une seule infraction. Cela
est fort différent de la pollution classique. Une usine qui dégage
pendant un mois un kilogramme à l’heure d’anhydride sulfurique
aura certes pollué davantage que la même usine ayant dégagé ce
contaminant au même rythme mais pendant une semaine seulement. Par l’amplification d’un phénomène de migration, une
personne ne déclenche pas en soi la migration mais l’accentue ou
l’accélère. Les substances volatiles contenues dans un sol se
propagent progressivement par évaporation dans l’air interstitiel
puis à l’air libre, à un rythme qui dépend entre autres de la
porosité du sol et de la volatilité des substances206. Par de simples
travaux d’excavation, une personne peut exposer ces substances à
l’air libre et en accélérer la migration dans l’atmosphère. Cette
personne pose-t-elle alors un acte distinct de pollution207? Il ne
s’agit pas ici de discuter si, dans les faits, la personne aura causé
ou non une aggravation d’un phénomène, qui est une question de
preuve. Du reste, cette libération accélérée n’est pas nécessairement une aggravation, puisqu’elle peut améliorer l’action de
dégradation des agents naturels. La question est qu’il y a aggravation possible. Constituerait-elle un acte de pollution?
Cela soulève d’importantes difficultés. L’aggravation ne
semble pas, dans les textes examinés, être considérée comme une
source de responsabilité pénale. Le geste de pollution s’apprécie
par rapport à une norme ou, à défaut, à des conséquences simplement appréhendées (comme c’est le cas pour le «troisième
volet» de l’article 20 L.Q.E.). Il y a pollution si des contaminants
sont libérés en excès des quantités maximum permises ou si des
contaminants sont libérés et que cette libération est susceptible
de conséquences négatives. L’aggravation signifierait plutôt que
si deux usines déversent chacune des contaminants dans un
même cours d’eau, c’est la plus récente qui sera en cause. De la
même manière, ce sont les véhicules les plus récemment ajoutés
au parc automobile qui aggraveront le niveau d’émissions atmosphériques. Semblablement, si un sol laisse migrer des contaminants dans l’environnement, sanctionner l’aggravation
signifierait que c’est l’activité supplémentaire, et non plus la
migration elle-même, qui est en cause. Si c’est ce geste sup206.
207.
BOULDING, supra, note 32.
C’est pourtant la position du ministère de l’Environnement du Québec, selon les
Lignes directrices d’intervention, supra, note 50, p. 72.
214
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
plémentaire qui devient la conduite blâmable, on entre dans des
distinctions que ne font pas les lois pénales. En effet, l’infraction
de pollution est toujours prise dans son absolu, c’est-à-dire abstraction faite des conséquences observées. Ce sont les conséquences appréhendées qui entrent en ligne de compte, conséquences
présumées, dans le cas d’un dépassement de norme réglementaire
ou d’une prohibition totale, ou conséquences dont la possibilité
doit être prouvée208 (nous disons bien la «possibilité», non le
résultat observé209) lorsqu’il n’y a pas de norme. L’aggravation, au
contraire, suppose une conséquence observable. Elle ajoute à
l’infraction de pollution une dimension qu’elle n’a pas. Il faudrait
en outre, pour que l’infraction soit constituée de l’aggravation,
admettre que la migration en soi n’est pas sanctionnée, quelle
qu’en soit l’intensité. Dans ces conditions, l’aggravation ne peut
l’être, si elle repose sur les mêmes textes. Il y a contradiction.
Enfin, sanctionner l’aggravation signifierait que l’état initial de
l’environnement conditionne l’existence ou non de l’infraction,
alors que, dans notre droit du moins, mais aussi sous d’autres
juridictions, il y aura infraction de pollution même si la libération
des contaminants se fait dans un milieu déjà dégradé210.
La migration qui ne serait pas survenue sans intervention
humaine peut-elle être traitée différemment? Bien que rare (elle
suppose au départ l’absence de mouvement, même ténu, des contaminants), elle reste néanmoins possible. Ce peut être une nappe
souterraine que des contaminants ont gagné par des puits creusés
postérieurement à la contamination et qui ont traversé l’argile qui
les gardait captifs. Ce n’est pas hypothétique. Aux États-Unis, on
a cherché à mettre en cause, mais sans succès, une firme qui avait
foré des puits pour caractériser une contamination et avait de la
sorte mis des contaminants en contact avec une nappe profonde211. Il faut, au départ, que les contaminants aient été fixes,
autrement le phénomène en est nécessairement un d’aggravation.
208.
209.
210.
211.
«[C]’est à lui [le demandeur] qu’incombe le fardeau de la preuve justifiant sa
demande», Duval c. Plancher Beauceville Flooring Inc. (27 décembre 1974),
Beauce 350-05-000505-74 (C.S.), M. le juge Bédard; «[i]l suffit donc à la poursuite d’établir la potentialité de la contamination et non nécessairement sa réalité», Piette c. Excavation A. Lachapelle Inc. (30 janvier 1985), Arthabaska
415-36-000001-838 (C.S.), M. le juge G. Desjardins, J.E. 85-312, conf. (13 septembre 1990), Québec 200-10-000026-851 (C.A.), MM. les juges R. Dussault et
M. Beauregard et Mme la juge C.Tourigny.
«Il suffit de démontrer que la contamination était telle qu’elle portait la capacité
latente de provoquer tel résultat», P.G. du Québec c. Granicor Inc. (6 avril 1995),
Québec 200-27-018236-926 (C.Q.), M. le juge Dubé, conf. en appel.
Ville de Saint-Luc c. Clément, [1992] R.J.Q. 2167 (C.S.).
CDMG Realty, supra, note 178.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
215
On serait tenté de comparer le déplacement de contaminants
par quelqu’un d’un lieu à un autre avec un semblable déplacement
de substances faisant partie de l’environnement lui-même,
comme des sédiments soulevés par de la machinerie dans le cours
d’eau. Cependant, là où elles étaient au départ, ces matières
n’étaient pas contaminantes. Il n’y avait à cet endroit ni contaminant ni source de contamination. C’est l’intervention humaine qui
a transformé les substances naturelles en contaminants et qui a
causé leur réintroduction212. C’est dans ce sens que l’on peut
parler de libération de contaminants et c’est l’intervention, en tant
qu’activité, qui en est la source. Dans le cas des contaminants
présents dans un sol ou une eau souterraine contaminés, l’intervention humaine n’a pas pour effet de les transformer en contaminants, de les créer. Ils le sont déjà. L’action de les introduire dans
l’environnement est accomplie. La différence est donc très nette.
On pourrait avancer que le fait de transporter des sols dans un
endroit sain représente un nouvel événement de pollution. On
pourrait aussi soutenir que, si ce n’est le transport, alors ce serait
la migration qui suit le dépôt qui pourrait être qualifiée de pollution nouvelle. C’est un point de vue intéressant. Il permet d’associer une dégradation possible de l’environnement à un acte positif
et intentionnel. Cependant, on oublie de tenir compte de la migration qui se produisait déjà au point d’origine. Ce raisonnement fait
nécessairement une distinction que ne fait pas la loi entre la
migration au point d’origine et la migration au point de dépôt.
D’avoir déplacé les sols ne change rien à l’infraction alléguée, si ce
n’est le locus delicti commissi. Le prétendu contrevenant libérerait le contaminant en un lieu y plutôt qu’un lieu x. Il n’y aurait
donc pas, à proprement parler, de nouvelle infraction, mais une
infraction commise ailleurs.
Amplification ou déclenchement de la migration par l’action
d’une personne présentent l’inconvénient de n’avoir aucun lien
avec la propriété ou la garde des contaminants. La responsabilité
serait essentiellement reliée à l’acte posé (celui qui aurait causé
l’amplification ou le déclenchement) alors que le geste actif d’une
personne qui accentue un phénomène de migration ou le provoque
n’est pas l’argument sous-tendant une responsabilité associée à la
garde ou à la propriété de terrains contaminés. Cette question
n’est donc d’aucune utilité dans la recherche d’une responsabilité
212.
«C’est la mise en mouvement par une intervention humaine qui semble caractéristique des termes employés [...].»; Dominique GUIHAL, Droit répressif de
l’environnement, Paris, Économica, 1996, ¶ 2872.
216
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
visant le propriétaire ou le gardien. C’est par cette seule garde ou
propriété que l’on souhaite voir engagée la responsabilité. On
pourrait arguer que le déplacement des sols causera la dégradation d’un milieu qui n’était pas encore atteint. En laissant des
sols contaminés dans un milieu déjà dégradé, la migration qui s’y
produit s’étend à d’autres sols contaminés, plutôt qu’à des sols
intacts. Mais l’infraction de pollution ne permet pas de faire cette
distinction. Que le milieu soit ou non dégradé ne change rien213.
De plus, sanctionner la migration dans le nouveau milieu récepteur, mais sans la sanctionner au point d’origine, signifierait que
la migration en tant que telle n’est tout simplement pas une
infraction. D’autre part, si aucune nouvelle contamination n’est
causée par le transport d’un fragment d’environnement dégradé
(par exemple, le sol), il n’y a pas d’autre conséquence que sa nouvelle localisation. Lorsque d’une masse de sol ne coule aucun contaminant, qu’un amoncellement se trouve en un lieu plutôt qu’un
autre, il n’y a rien qui puisse faire partie de l’actus reus d’une
quelconque infraction. Les contaminants restent entourés ou
enveloppés des mêmes particules de sol, ou dissous dans la même
eau interstitielle. L’acte positif de déplacement des sols n’est donc
pas un acte générateur d’infraction du seul fait qu’ils soient
contaminés, que la migration soit ou non une infraction. Si elle
l’est, l’acte positif n’a entraîné que le déplacement du lieu de commission de la prétendue infraction. Le déplacement n’est donc pas
déterminant de l’actus reus. Il permet seulement de relier la
migration, là où elle se produit désormais, à la même personne qui
en aurait été responsable là où les sols étaient au départ. Si, au
contraire, la migration ne crée pas d’infraction, qu’elle se produise
en un lieu x ou en un lieu y, est sans conséquence pénale.
L’épanchement atteindra invariablement et progressivement des
zones intactes, que les sols soient dans leur lieu d’origine ou là où
on les a déposés. Ce phénomène d’épanchement, en un lieu ou en
un autre, est identique. S’il n’engendre pas de responsabilité dans
l’un, il n’en engendrera pas dans l’autre. S’il y en a une quant au
second site, c’est qu’il y en a une quant au premier.
4.1.2
La migration subséquente à l’introduction
des contaminants dans l’environnement
Lorsque l’introduction première des contaminants dans l’environnement est prise en considération, la situation factuelle
213.
Ville de Saint-Luc, supra, note 210; voir aussi, par analogie, en droit
civil: Champs, supra, note 113, p. 2324.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
217
reste identique quant à la migration. En effet, hormis les cas de
substances naturelles qui se répandent spontanément, comme le
cas du radon ou de la radioactivité de l’uranium minéral, et hormis
les cas où la cause humaine est indirecte, comme le lessivage par
les précipitations acides, la migration de contaminants est toujours consécutive à leur introduction première214. C’est donc forcément in abstracto que l’on examine la migration elle-même.
Si la migration est imputée au pollueur initial, dans la
continuité du geste initial, alors nécessairement se pose le problème de sa qualification par rapport à ce geste. Le responsable
d’un réservoir pétrolier observe une fuite et la colmate, mais le
produit échappé continue de se propager. Chaque jour où il se
répand constitue-t-il une infraction si la fuite est colmatée? Si la
personne néglige même de tarir la source première, de colmater la
fuite, les deux phénomènes se produiraient simultanément, fuite
et propagation. À l’abri d’infractions multiples, ce second pollueur
ne serait condamné que pour une seule série d’infractions continues215. Paradoxalement, celui qui a colmaté la fuite serait dans la
même situation, au plan pénal, que celui qui ne l’aurait pas fait.
Autant de chefs d’accusation contre l’un que contre l’autre, puisque l’une et l’autre infraction, à cause de la pérennité du phénomène, serait pratiquement imprescriptible. Le second ne devrait
pas en principe écoper d’amendes plus lourdes du fait du cumul
des phénomènes car, autrement, il se verrait condamné deux fois
pour une même transaction, malgré ce qu’empêche la protection
contre les accusations multiples216. Si la migration est une infraction, il s’agit simplement du prolongement d’une seule et même
transaction, selon l’arrêt Laidlaw. Seule la négligence devant la
fuite pourrait alourdir la peine.
Cette thèse entraînerait un autre résultat inéquitable. Alors
que la migration serait une infraction imprescriptible lors même
que la source serait tarie, un écoulement continu verrait la prescription courir une fois le contenant complètement vidé. Encore là,
214.
215.
216.
218
«À moins d’être confronté à un problème de contamination naturelle, comme par
exemple l’émission de radon, la plupart des sources de contamination résultent
inévitablement du fait de l’homme.»: BÉLANGER, supra, note 47, p. 82.
Northwest Falling Contractors, supra, note 150.
Dans l’affaire Imperial Oil, supra, note 96, malgré la tentative de la Couronne
de multiplier les chefs d’accusation en se fondant sur l’ancien article 13 L.P.E.O.
et les nombreuses conséquences du déversement, non seulement des chefs
ont-ils été rejetés par application de la règle res judicata, mais les amendes sur
les chefs retenus ont même été réduites: R. v. Imperial Oil (17 mars 1988), Ont.
Prov. Ct., Crim. Div., juge Grossi (résumé à 5 W.C.B. (2d) 373).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
la fuite des contaminants jouirait d’un traitement plus favorable
que le fait accompli, qui continue simplement d’avoir des effets
par lui-même. Le premier se prescrirait, même sans aucun geste
préventif de l’auteur, l’autre non. Par contre, si l’on fait abstraction de la migration pour caractériser l’infraction, et qu’on la situe
au niveau des conséquences du geste, elle peut alors entrer en
ligne de compte pour évaluer la gravité du geste initial. La collaboration du contrevenant après le fait devient un facteur
d’atténuation de la peine, non une défense à une infraction subséquente217. Il ne s’agit alors pas d’efforts pour prévenir l’infraction,
mais pour en diminuer les effets, ce qui ne peut être que si
l’infraction est commise, un peu comme dans Bata218. De plus, on
ramène l’infraction à l’intérieur de ses véritables balises plutôt
que de transformer ses conséquences en infraction219.
4.2 L’absence d’acte positif
Contrairement à ce qui s’est produit dans Laidlaw, la migration qui serait source de responsabilité par sa seule existence fait
abstraction de quelque intervention humaine. Il n’y a pas de
conduite blâmable autre que de rester passif devant un fait accompli et ses conséquences, là où, au départ, il y aurait une obligation
d’agir. Quelle serait cette obligation?
4.2.1
Le propriétaire du sol
Le problème est strictement lié à un état de l’environnement
et à l’obligation d’agir devant cet état au point où l’omission
constituerait une faute punissable ou une source de responsabilité
administrative. Les commentateurs ont avancé l’hypothèse que ce
serait le propriétaire du terrain contaminé qui serait investi de
cette obligation, parce qu’il en «contrôlerait» les contaminants.
L’article 20 L.Q.E. utilise le mot «permettre». On ne peut permettre que si l’on contrôle220. Cependant, si le contrôle peut
217.
218.
219.
220.
On évite alors un résultat comme celui qui a entraîné l’acquittement dans
l’affaire Amoco, supra, note 53.
Supra, note 35.
«L’article 20 interdit le rejet d’un contaminant en raison des conséquences
qu’aura cet acte sur l’environnement»: Texaco Canada, supra, note 23, p. 51.
«...pour causer ou permettre un rejet, une personne doit exercer un degré suffisant de contrôle sur les facteurs sous-jacents qui ont mené au rejet, avoir été en
mesure de l’empêcher et ne pas avoir exercé son contrôle de façon à l’empêcher»:
Monique LUSSIER et Larry COBB, «Certains aspects de droit de l’environnement comparé entre le Québec et l’Ontario à l’aube de l’an 2000», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de
l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 271-356, p. 299 (citant
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
219
s’inférer de la propriété, il peut y avoir propriété sans contrôle et
inversement221. Or, dès que l’on rattache une responsabilité environnementale au contrôle, alors ce ne sont pas seulement les sols
contaminés qui peuvent engendrer une responsabilité. Il peut en
être de même de l’eau polluée qui traverse un héritage. Il pourrait
à la rigueur en être de même de l’atmosphère. Ne voir, dans la
notion de contrôle, qu’un facteur propre à engager la responsabilité du propriétaire ou de l’occupant d’un sol, sans se soucier
des phénomènes comparables dans l’air ou l’eau, c’est faire une
distinction que la loi ne fait pas. Si ce ne sont que des considérations de faisabilité technique, ce sont des défenses à une infraction. Hormis les hautes couches de l’atmosphère, il y a partout
quelqu’un, dans ces conditions, qui a le contrôle d’un environnement dégradé causant des effets nuisibles du fait de cette
dégradation. Était-ce l’intention du législateur de rendre toutes
ces personnes responsables au plan pénal?
L’argument de la propriété a aussi été utilisé pour les contaminants eux-mêmes. Leur propriétaire en serait responsable.
Là encore, on peut distinguer la propriété d’une part et la garde et
le contrôle d’autre part. Mais les contaminants sont-ils la propriété ou sous le contrôle de celui à qui appartient le sol? La propriété
suppose une démarche volontaire d’acquisition ou de possession,
hormis les quelques cas d’accession naturelle du Code civil. Comment devient-on propriétaire, au point d’en devenir responsable,
de contaminants qui se trouvent dans sa propriété contre sa
volonté? L’accession a déjà été avancée.
Le fait de déverser des substances sur le sol afin d’en augmenter la
fertilité provoque ainsi purement et simplement la disparition des
engrais qui, une fois intégrés dans la terre, deviennent comme elle
des immeubles par nature. Si l’on suit ce raisonnement, rien ne
semble faire obstacle à ce que l’on continue à qualifier d’immeuble
une terre ayant subi le phénomène inverse, c’est-à-dire ayant été
altérée par des produits toxiques portant atteinte à la fertilité des
sols.222
222.
Re 724597 Ontario Ltd. (1994), 13 C.E.L.R. (N.S.) 257 (O.E.A.B.)); «l’omission
est sanctionnée dans le sens où quelqu’un a causé ou permis quelque chose en ne
l’empêchant pas»: CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note
63, p. 291.
«La notion de propriété n’implique pas irréfragablement celle de garde ou de
soin»: P.G. du Québec c. Gagné (2 décembre 1998), Arthabaska 415-36-000019947 (C.S.), M. le juge G. Desjardins; voir aussi, en Ontario, R. v. Lopes (1996), 18
C.E.L.R. (N.S.) 299 (C.J. Ont., Div. Prov.) où le propriétaire d’un terrain n’a pas
été réputé en contrôle d’opérations illégales survenant sur ce terrain.
STEICHEN, supra, note 42.
220
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
221.
Cette thèse est malheureusement incompatible avec la
migration. Des contaminants en mouvement sont indiscutablement des meubles. Des fertilisants intimement incorporés au sol
en deviendraient partie intégrante, mais l’excès qui n’a pas été
retenu par ce sol, entraîné par les eaux, ne peut certes pas faire
partie de l’immeuble, ni être revendiqué par le propriétaire du sol
d’où il provient contre celui du sol où il s’est répandu. Le contaminant qui migre dans le sol n’est immeuble ni par nature ni par
accession. Il s’agit d’un bien meuble sans maître223.
Les meubles sans maître appartiennent à la personne qui se les
approprie par occupation.
Les meubles abandonnés que personne ne s’approprie appartiennent aux municipalités qui les recueillent sur leur territoire ou à
l’État.224
Les meubles qui sont perdus ou oubliés entre les mains d’un tiers ou
en un lieu public continuent d’appartenir à leur propriétaire. Ces
biens ne peuvent s’acquérir par occupation, mais ils peuvent, de
même que le prix qui leur est subrogé, être prescrits par celui qui les
détient.225
Pour attribuer une responsabilité pénale à la propriété des
contaminants qui se répandent, encore faut-il qu’ils aient un
propriétaire. Or, la propriété ne s’impose pas226. Rien ne permet
en droit civil d’empêcher quelqu’un d’abandonner la propriété
d’un bien227. Une loi pénale qui, au surplus ne contient aucune disposition à cet effet, ne modifie pas les règles de droit civil relatives
à la propriété. La lire autrement serait un moyen détourné de
rechercher en responsabilité une personne qui ne serait pas
autrement visée. Si les contaminants, du seul fait qu’ils soient
223.
224.
225.
226.
227.
L’article 934 du Code civil du Québec précise en effet que «[s]ont sans maître les
biens qui n’ont pas de propriétaire, tels les animaux sauvages en liberté, ceux
qui, capturés, ont recouvré leur liberté, la faune aquatique, ainsi que les biens
qui ont été abandonnés par leur propriétaire» (italiques ajoutés).
Art. 935 C.c.Q.
Art. 939 C.c.Q.
Banque Laurentienne du Canada c. 200 Lansdowne Condominium Association,
[1996] R.J.Q. 148 (C.S.), [1996] R.D.I. 99 (C.S.); voir cependant SHEEHAN,
supra, note 25, p. 10.
«La faculté d’abandon peut être invoquée par le titulaire d’un droit réel principal
[...] qui désire se soustraire unilatéralement à ses engagements»: LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 118 («L’abandon a essentiellement une finalité libératoire.»: Ibid.); voir aussi Martin PAQUET, «La Loi canadienne sur la protection
de l’environnement», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 65
550: «le fait d’abandonner une chose apparaît comme l’expression d’une volonté
arrêtée, définitive: celle de ne plus en vouloir, de cesser de l’employer.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
221
enfouis, ne pouvaient être considérés comme des biens sans maître, comment qualifier la notion de trésor228? Si c’est l’individualité propre que conserve le trésor229 qui permet de le considérer
sans maître, alors il n’y aurait pas de raison de traiter différemment le contaminant flottant en phase libre sur l’eau souterraine
ou dissous dans celle-ci et d’en attribuer la propriété au propriétaire du fonds si celui-ci n’en veut pas. Si l’on peut volontairement
abandonner un bien, on peut certainement refuser d’en acquérir
la propriété. Déclarer que le propriétaire d’un sol devient propriétaire des contaminants qui s’y trouvent à l’état mobile, c’est
lui prêter un statut qu’il n’a pas et que le droit ne crée pas, à moins
d’un geste intentionnel de sa part. «Il n’y a aucun texte ou principe
de droit qui crée une obligation du propriétaire à l’égard d’une
chose laissée contre son gré sur son terrain par un tiers»230. Quant
aux contaminants fixés au sol, ils ne rendent responsables que
dans la mesure où leur seule présence dans l’environnement
engage une responsabilité, puisqu’ils sont fixes. Il n’y a alors pas
de migration. Mais, même fixés au sol, les contaminants n’en
deviennent pas nécessairement immeubles231.
Une chose fait partie intégrante d’une autre lorsqu’elle contribue à
l’intégrité du tout, sans en constituer l’essence. Cette chose, incorporée à l’autre, entre donc comme partie dans un tout et perd alors
son individualité. Sa fonction est d’assurer l’utilité de l’immeuble et
d’en faciliter l’usage. Cette notion d’utilité est déterminante pour
juger de l’incorporation d’un meuble à un immeuble. 232
Une substance qui contamine un héritage ne répond certes
pas au critère d’utilité. Voilà un autre facteur qui nous éloigne de
l’analogie concernant les fertilisants incorporés au sol233. Du
reste, si les lois environnementales attribuaient une responsabilité pénale à la seule présence d’un contaminant, elles auraient
alors pour effet de déposséder le justiciable de son bien, car il
228.
229.
230.
233.
Art. 938, C.c.Q.
Voir Boivin c. Procureur général du Québec, [1997] R.J.Q. 1936 (C.S.).
Clément c. Curé et marguilliers de la paroisse de Notre-Dame de Montréal (1936)
42 R.L. 95 (C.S.), p. 98; cette affirmation doit être nuancée à la lumière de dispositions expresses telles que l’article 134 du Règlement sur les déchets solides
[Q-2, r. 3.2], qui oblige une personne à laisser libre de déchets un terrain dont
elle a la garde.
Art. 901 C.c.Q.: «Font partie intégrante d’un immeuble les meubles qui sont
incorporés à l’immeuble, perdent leur individualité et assurent l’utilité de
l’immeuble.»
Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, Code civil du
Québec, tome 1, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 529.
Voir le passage cité de STEICHEN, supra, p. 220.
222
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
231.
232.
devrait, pour éviter une sanction, retirer de son héritage une
partie de celui-ci. Il peut cependant ne pas y avoir eu abandon, lors
d’un déversement accidentel par exemple. Ici, le propriétaire du
bien répandu ne l’a pas à première vue abandonné, mais un bien
détérioré laissé en un lieu public, y compris la voie publique, est
réputé abandonné234. Un chargement de légumes répandu sur la
voie publique lors d’un accident serait incontestablement devenu
irrécupérable. À défaut pour le propriétaire de les reprendre, si la
chaussée est par la suite nettoyée par les services de voirie, on ne
peut certes pas leur reprocher d’avoir détruit le bien d’autrui. On
voit que si la propriété du sol est facile à démontrer, la propriété
des contaminants qui s’y trouvent procède davantage d’une fiction
juridique.
4.2.2
La garde et le contrôle
Si le propriétaire du sol n’est pas propriétaire des contaminants, ceux-ci peuvent être soit restés la propriété d’un tiers avant
leur perte, soit devenus res derelictae. Laissés à eux-mêmes, leur
état est-il différent de celui des animaux sauvages qui ne sont sous
la garde de personne, quelque dommage qu’ils causent235? La
garde d’un bien suppose un pouvoir de direction ou de contrôle236.
Si le sol est susceptible de contrôle ou de direction, est-il possible
de soutenir que le propriétaire du sol sera responsable de la migration s’il n’intervient pas? Il ne peut y avoir qu’une source à la
contamination, c’est-à-dire le point amont d’où celle-ci provient.
S’arrêter au sol sans remonter plus haut est un choix purement
arbitraire. Il faut admettre l’existence de sources secondaires, et
alors tout point de migration devient la source du point aval, dans
une cascade sans fin qui multiplie à l’infini les responsables. Il n’y
a plus de victimes, il n’y a que des responsables.
Une personne peut transférer la possession d’un bien et en
conserver la direction et le contrôle. Le transfert du contrôle ne se
décide donc pas dans l’abstrait et le contrôle ne peut s’attribuer
arbitrairement à la personne jugée la cible la plus convenable par
l’Administration. Personne ne dirige ou ne contrôle le comportement du contaminant répandu dans l’environnement. Soit, une
234.
235.
236.
Le deuxième alinéa de l’article 934 du Code civil du Québec stipule que «[s]ont
réputés abandonnés les meubles de peu de valeur ou très détériorés qui sont
laissés en des lieux publics, y compris sur la voie publique [...]».
BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 871.
Id., ¶ 790.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
223
personne a toujours la faculté d’agir237, mais «l’omission qui peut
se décrire comme étant quelque chose qu’une personne aurait pu
faire si elle l’avait voulu ou s’y était préparée, est rarement punie
par la Common law»238. Il en résulte que l’obligation d’agir doit
être ouvertement exprimée ou se déduire clairement des textes de
loi pour être susceptible de sanction. De plus, la personne ne doit
pas être piégée en se retrouvant dans une situation qui ne lui
laisse aucune échappatoire. L’infraction ne doit pas priver le
prévenu d’une défense de diligence raisonnable239.
Lorsqu’il y a migration, c’est la passivité et rien d’autre qui
engendre une responsabilité. Or, cette passivité empêche toute
défense, sinon l’ignorance de bonne foi des faits (l’aveuglement
volontaire et le défaut de se renseigner adéquatement peuvent
faire perdre cette défense) et la défense d’impossibilité (qui doit
être absolue et sans égard aux considérations financières)240. Le
propriétaire d’un sol n’aurait à peu près aucune porte de sortie,
sinon que de faire immédiatement le nécessaire pour que cesse la
migration. La sanction de son omission d’agir: 2 000 $ d’amende
quotidienne en vertu de la L.Q.E. et même l’emprisonnement.
«Comme l’on peut présumer que le législateur ne cherche pas à
créer par ses lois des résultats injustes ou inéquitables, il faut
adopter les interprétations judiciaires qui permettent d’éviter de
tels résultats»241. Le propriétaire ou l’occupant d’un sol, de son
seul état, ne pose ni n’a posé aucun geste répréhensible. Au contraire, il exerce l’un des attributs fondamentaux de la personne,
celui de posséder242. La propriété ou l’occupation d’un sol n’est pas
237.
242.
«[L]a pollution n’est pas véritablement imprévisible et inévitable si l’accusé
savait ou aurait dû savoir que sa conduite risquait d’entraîner une situation
incontrôlable.»: Paule HALLEY, Instituer la prudence environnementale: le
régime pénal québécois de lutte contre la pollution, doctorat, Université de Montréal, 1994, p. 203 (citée dans CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON,
supra, note 63, p. 1292).
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 281.
Sault Ste-Marie, supra, note 123, p. 1323-1324.
CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 613: «Le fait de
demeurer passif devant les risques potentiels ou de procéder à une action
risquée sans vérification des conséquences ferme la porte à une défense de diligence raisonnable car l’accusé n’a pas pris les précautions requises pour éviter
de perpétrer l’infraction. L’absence de prévention devient alors synonyme de
négligence. Le caractère raisonnable d’un comportement diligent est fonction de
l’activité réglementée et est proportionnel à la gravité du risque que le législateur désire éviter.»
Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1082; sur l’emprisonnement en matière
d’environnement, voir R. v. Crow (1995), 20 C.E.L.R. (N.S.) 235 (C.J. Ont., Div.
gén.).
V. supra, note 201.
224
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
238.
239.
240.
241.
l’exercice d’une activité à risque dont le contrôle peut se justifier
par des sanctions. En effet, avec ou sans gardien, avec ou sans
propriétaire, la migration se produira. Lorsqu’abstraction est
faite de la personne à l’origine de l’introduction du contaminant
dans le sol, personne n’a accompli ou omis d’accomplir quelque
geste dont le résultat est la migration des contaminants. Le
propriétaire ou l’occupant d’un sol est frappé d’une responsabilité
pénale alors qu’il n’a absolument rien fait, sans avoir voulu quoi
que ce soit de ce qui se produise, sans l’avoir causé directement ou
indirectement et sans avoir fait au départ quoi que ce soit qui
aurait pu éventuellement le causer.
5. COMMENT DIVERSES JURIDICTIONS ABORDENT
LE PROBLÈME LÉGISLATIF ET JUDICIAIRE
Il n’est pas étonnant de constater l’hésitation manifestée par
les cours de justice de toutes juridictions lorsqu’elles ont été
appelées à se prononcer sur la responsabilité du simple propriétaire d’un site contaminé, même lorsque la loi vise expressément
le statut de propriétaire, comme dans le CERCLA américain. Qu’il
s’agisse de cas de responsabilité administrative ou de cas de
responsabilité pénale, la problématique semble être la même. Il
s’agit en fait de déterminer si le propriétaire doit rendre compte
devant les autorités de l’état de son terrain, en lieu et place de
celui qui a été la cause de cet état.
5.1 États-Unis
Aux États-Unis, la pollution des eaux fédérales est régie par
le Clean Water Act243, tandis que la pollution du sol ou plus
généralement de l’environnement est régie par le RCRA244 qui en
fait, régit l’élimination des déchets245. Le RCRA a établi une série
de prohibitions en termes très larges, tant dans la notion d’élimination («disposal»)246 que de déchets («solid waste» et «hazardous
waste»)247. Il prohibe l’enfouissement de déchets liquides non
243.
244.
245.
246.
247.
Aussi désigné sous le nom de Federal Water Pollution Control Act, 33 U.S.C. §§
1251-65.
Supra, note 49, que les Américains appellent familièrement le «Reecra» ou «Reccra».
«RCRA primarily regulates ongoing disposal of hazardous waste.»:
BRONSTON, supra, note 11, p. 622.
Supra, note 49.
42 U.S.C. § 6903(5) et (27): «The term “hazardous waste” means a solid waste, or
combination of solid wastes, which because of its quantity, concentration, or
physical, chemical, or infectious characteristics may:
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
225
dangereux et de certains déchets dangereux, sauf autorisation
expresse de l’Administration, laquelle ne peut être accordée à
moins que le risque ne soit convenablement circonscrit. La loi
édicte ainsi que «the land disposal of the hazardous wastes
referred to in paragraph (2) is prohibited unless the Administrator determines the prohibition on one or more methods of land disposal of such waste is not required in order to protect human
health and the environment for as long as the waste remains hazardous [...]»248. La contamination du sol et de l’eau souterraine
apparaissent comme un souci évident du législateur lorsqu’il
impose à l’Administrateur de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de
contamination d’une source souterraine d’eau potable249 ou qu’il
n’y aura pas de migration des composés dangereux des déchets250.
Le RCRA ne permet pas de recouvrer les frais de décontamination d’un site, comme la Cour d’appel du Ninth Circuit le
confirmait récemment251, mais l’ampleur des problèmes causés
par les lieux d’élimination a poussé les tribunaux américains à
l’interpréter de manière à en étendre la portée au plan de la
responsabilité252. En 1980, le Congrès adoptait cependant le
CERCLA, dont l’objectif premier a été d’imposer la responsabilité
252.
(A) cause, or significantly contribute to an increase in mortality or an increase in
serious irreversible, or incapacitating reversible, illness; or
(B) pose a substantial present or potential hazard to human health or the environment when improperly treated, stored, transported, or disposed of, or otherwise managed.»
«The term “solid waste” means any garbage, refuse, sludge from a waste treatment plant, water supply treatment plant, or air pollution control facility and
other discarded material, including solid, liquid, semisolid, or contained
gaseous material resulting from industrial, commercial, mining, and agricultural operations, and from community irrigation return flows or industrial discharges which are point sources subject to permits under section 402 of the
Federal Water Pollution Control Act, as amended (86 Stat. 880) [33 U.S.C. §
1342], or source, special nuclear, or by-product material as defined by the Atomic Energy Act of 1954, as amended 968 Stat. 923.»
42 U.S.C. § 6924(d)(1).
42 U.S.C. § 6924(c)(3)(B).
42 U.S.C. § 6924(d)(1), alinéa 2; l’Administrateur ne peut déterminer que la
santé publique ou l’environnement sont protégés que s’il conclut qu’il n’y aura
pas de migration: Hazardous Waste Treatment Council v. U.S. E.P.A., 1990
910 F.2d 947, 285 U.S. Ap. D.C. 474.
The Birch Foundation, supra, note 29: «RCRA is not principally designed to
effectuate the cleanup of toxic waste sites or to compensate those who have
attended to the remediation of environmental hazards. RCRA’s primary purpose, rather, is to reduce the generation of hazardous waste and to ensure the
proper treatment, storage, and disposal of that waste which is nonetheless generated, “so as to minimise the present and future threat to human health and the
environment”.»
BRONSTON, supra, note 11, p. 622-623.
226
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
248.
249.
250.
251.
de la décontamination aux personnes à l’origine du problème,
plutôt que d’en faire porter les coûts par les contribuables.
Expenses can be borne by two sources: the entities which had a specific role in the production or continuation of the hazardous condition, or the taxpayers through federal funds. CERCLA leaves no
doubt that Congress intended the burden to fall on the latter only
when the responsible parties lacked the wherewithal to meet their
obligations.253
CERCLA is a comprehensive environmental legislation which is
directed to cleaning up the environment with consequential beneficial effects on the health and welfare of the citizens of the United
States. CERCLA in essence requires that all parties who at any
time caused an environmental hazard to exist whether by affirmative act or failure to take action, be responsible in damages for “response costs”.254
Le CERCLA crée avant tout une responsabilité administrative, non pénale. Les personnes potentiellement responsables
sont expressément désignées dans la Loi. Sommairement, ce sont:
1) le propriétaire ou exploitant actuel d’un site où se produit un
«release»; 2) le propriétaire ou l’exploitant du site à l’époque où a
eu lieu le «disposal»; 3) celui qui a pris des arrangements pour un
traitement ou un «disposal» sur le site; et 4) celui qui a effectué le
transport vers le site255. La responsabilité est enclenchée non par
le «disposal», mais par le «release» ou le «threatened release»256. S’il
s’agit du fait d’un tiers sans lien contractuel (y compris par la
vente du site) avec la personne potentiellement responsable, cette
dernière sera exonérée, mais seulement si elle a prudemment géré
les substances et tenu compte des agissements prévisibles du
tiers257. Le propriétaire sera aussi exonéré s’il a acquis le site sans
en connaître l’état, sans avoir eu de raison d’en douter après avoir
fait les vérifications nécessaires258. La portée de la vérification à
faire est précisée dans la Loi259. Les anciens propriétaires seront
253.
254.
255.
256.
257.
258.
259.
United States of America v. Distler, 741 F.Sup. 637; 1990 U.S. Dist. LEXIS 3717
(W.D. Ky. 1990).
The State of New York v. SCA Services, Inc., 785 F.Sup. 1154; 1992 U.S. Dist.
LEXIS 3066 (S.D. N.Y. 1992).
42 U.S.C. § 9607(a); Ecodyne, supra, note 185; BRONSTON, supra, note 11, p.
609-610.
42 U.S.C. § 9604 (intervention) et § 9606 (ordonnance); sur ces distinctions, lire
DAIGNEAULT, supra, note 75, p. 1037-1038.
42 U.S.C. § 9607(b)(3): c’est ce qui a été appelé le «third-party defence»; la loi
accorde aussi une défense de force majeure («act of God» et «act of war»).
42 U.S.C. § 9601(35)(a): c’est ce qui a été appelé l’«innocent landowner exemption».
42 U.S.C. § 9601(35)(b): «...the court shall take into account any specialised
knowledge or experience on the part of the defendant, the relationship of the pur-
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
227
responsables s’ils ont eu connaissance de l’état du site mais ne
l’ont pas dévoilé à l’acquéreur subséquent. Ils perdent ainsi le
«third-party defence»260. Ces vendeurs de mauvaise foi se trouvent
en quelque sorte punis pour leur comportement261.
5.1.1
Les grands concepts
Les tribunaux se sont bien évidemment penchés sur la terminologie particulière de la loi américaine. On n’y trouve pas l’équivalent anglais du mot «émettre» que la L.Q.E. utilise dans la
définition de «source de contamination»262. Bien que n’étant pas
sémantiquement un choix heureux en français, il n’en comporte
pas moins l’idée de «faire sortir» quelque chose hors d’une source
précise. On peut cependant retracer trois termes, dans la législation fédérale américaine, pouvant s’apparenter à la notion d’émission, chacun devant bien sûr se lire dans le contexte de la loi où il
se trouve.
5.1.1.1
«Discharge»
C’est le CWA qui définit «discharge of pollutants»: «Any addition of any pollutant to navigable waters from any point source».
Nous avons vu la définition de «point source»263. Cette expression
utilisée dans l’autre définition a contribué à rattacher un «discharge» à des conditions créées par l’activité humaine264. L’action
des agents naturels n’a cependant pas été exclue. Le ruissellement superficiel a été considéré comme un «point source» du
moment qu’il a été recueilli et canalisé, vu que la loi le prévoit
expressément265. La définition de «point source» n’a toutefois pas
265.
chase price to the value of the property if uncontaminated, commonly known or
reasonably ascertainable information about the property, the obviousness of the
presence or likely presence of contamination at the property, and the ability to
detect such contamination by appropriate inspection.»
42 U.S.C. § 9601(35)(c).
D’où l’appellation «guilty landowner provision»: BRONSTON, supra, note 11, p.
634.
Art. 1 L.Q.E.; le fait que la définition n’utilise que ce terme, sans les autres mots
retrouvés à l’article 20 L.Q.E. donne peut-être un sens plus général au mot
«émettre», c’est-à-dire incluant «dégager», «déposer» et «rejeter»; nous y reviendrons.
Supra, note 105.
United States v. Plaza Health Laboratories, 3 F.3d 643 (2nd Cir.
1993): «Although by its terms the definition of “point source” is nonexclusive, the
words used to define the term and the examples given (“pipe”, “ditch”, ... etc.)
evoke images of physical structures and instrumentalities that systematically
act as means of conveying pollutants from an industrial source to navigable
waters.»; comparer avec les affaires Enso, Texaco et Sécal, supra, note 40.
O’Leary, supra, note 105.
228
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
260.
261.
262.
263.
264.
permis de qualifier de la sorte un édifice où coulait de l’eau de pluie
pour se déverser ensuite dans un cours d’eau. L’absence de structure destinée à diriger l’eau vers la rivière («conveyance») ne
constituait pas un «point source», «as any discharge of material
would not be deliberate or systematic»266.
Ces définitions ont été interprétées plutôt littéralement par
les tribunaux, quoique ceux-ci aient tout de même réussi à leur
donner une grande portée. La définition de «pollutants»267, par
exemple, a amené les tribunaux à inclure des substances qui existent naturellement dans l’environnement, et jusqu’à l’eau ellemême! Comme cette définition inclut spécialement le «dredged
spoil», les tribunaux ont conclu que le rejet de sédiments était un
«discharge of pollutants»268. L’allusion au dragage a amené une
cour d’appel à considérer qu’il n’était pas nécessaire que les
polluants proviennent de l’extérieur de l’environnement269. L’entraînement, par l’exploitation d’un barrage, et la mise en solution
dans l’eau de gaz naturellement présents dans l’atmosphère a
constitué un «discharge of pollutants» à cause d’une sursaturation
fatale à la vie aquatique270. Il en fut de même du transfert de l’eau
d’un plan d’eau à un autre271. Quant à la contamination de l’eau
souterraine, elle n’a été visée que si les polluants finissaient par
atteindre une eau de surface272. Le mot «addition» a cependant
entraîné une lecture restrictive de «discharge», de sorte que n’ont
pas été incriminés l’érosion et la réduction du taux d’oxygène
266.
267.
268.
269.
270.
271.
272.
Hudson Riverkeeper Fund, Inc. v. Fucci, 917 F.Sup. 251, 1996 U.S. Dist. LEXIS
2652 (S.D. N.Y., 1996).
33 U.S.C. § 1362(6): «The term “pollutant” means dredged spoil, solid waste,
incinerator residue, sewage, garbage, servage sludge, munitions, chemical wastes, biological materials, radioactive materials, heat wrecked or discarded
equipment, rock, sand, cellar dirt and industrial, municipal and agricultural
waste discharged into water. [...]»
Weiszmann v. District Engineer, U.S. Army Corps of Engineers, 526 F.2d 1302
(5th Cir. 1976); au même effet, voir M.C.C. of Florida, Inc., supra, note 107, où le
fait que des sédiments aient été soulevés par les hélices de bateaux et redéposés
dans l’eau a été considéré comme un «discharge of pollutants».
Avoyelles Sportsmen’s League, supra, note 107.
National Wildlife Federation v. Gorsuch, 530 F.Sup. 1291 (D.C.D.C. 1982), inf.
pour d’autres motifs, 693 F.2d 156, 224 U.S.Ap.D.C. 211.
Dubois v. United States Department of Agriculture, 102 F.3d 1273 (1st Cir.
1996), 43 Envt. Rep. Cas. 1824; contra: Bettis v. Town of Ontario, N.Y., 800
F.Sup. 1113 (W.D.N.Y. 1992); Orleans Audubon Society v. Lee, 742 F.2d 90 (5th
Cir. 1984), nouvelle audition refusée, 750 F.2d 69 (5th Cir. 1984).
Sierra Club v. Colorado Refining Co., 838 F.Sup. 1428 (D. Colo. 1993); United
States v. GAF Corp., 389 F.Sup. 1379 (S.D. Tex. 1975), inf. 602 F.2d 1123, 53
ALR Fed. 469 (3rd Cir. 1979), certiorari refusé (1980) 44 U.S. 1074, 62 L.Ed. 2d
756, 100 S. Ct. 1020.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
229
causées par l’exploitation d’un barrage273, la destruction de poissons à travers les turbines d’une centrale et leur rejet subséquent
dans le cours d’eau274, l’augmentation de la quantité de polluants
s’écoulant par des canalisations pluviales275, les polluants déjà
présents dans l’eau et passant dans une usine avant d’être retournés au cours d’eau276.
5.1.1.2
«Disposal»
C’est avant tout le mot «disposal» qui, dans le droit fédéral
américain, est déclencheur de la responsabilité rétroactive. Par
cette définition277, Bronston laisse entendre que le législateur ne
visait pas la migration passive de contaminants278. À l’époque, les
tribunaux américains étaient divisés sur le sens du mot. Bronston
relatait alors que l’interprétation restrictive était surtout le lot
des cours de district ou de faillite. Une opinion majoritaire,
adoptée par la cour du Ninth Circuit (une cour d’appel) supportait
une interprétation large qui incluait la migration279. Mais la position favorisée par Bronston a continué de faire des adeptes au
niveau des cours de circuit.
273.
274.
275.
276.
277.
278.
279.
230
State of Missouri v. Department of the Army, Corps of Engineers, 672 F. 2d 1297
(8th Cir. 1982); voir cependant PUD No. 1 of Jefferson county v. Washington
Department of Ecology, 511 U.S. 700 (U.S.S.C. 1994).
National Wildlife Federation v. Consumers Power Co., 862 F.2d 580 (6th Cir.
1988).
Pedersen v. Washington State Dept. of Transp., 1980, 611 F.2d 1293, 25 Wash.
Ap. 781.
Appalachian Power Co. v. Train, 545 F.2d 1351 (4th Cir. 1976).
Supra, note 49.
BRONSTON, supra, note 11, p. 618: «In the first stage, the polluter “disposes” of
the waste, such as by burying barrels at a waste site. This disposal renders the
toxins capable of entering the environment – that is to say, it creates the risk of
eventual contamination. In the second stage, the hazardous pollution actually
leaches or migrates into the environment. These two stages may occur simultaneously – the risk may actualise instantly – as would be the case if a landowner
poured a barrel of hazardous waste into a pound on the property. Such an action
undoubtedly constitutes a disposal. The language quoted above [la définition de
disposal], however, suggests that the second phase alone cannot be considered a
disposal. The actor must have created the risk of environmental contamination
to have disposed of the waste. The definition’s structure is essentially equivalent to defining disposal as the creation of an environmental risk “so that” such
risk may materialise.»
Ce fut aussi la position de la Cour d’appel du 11th Circuit, en 1996, dans Redwing Carriers, Inc. v. Saraland Appartments, 94 F.3d 1489 (11th Cir. 1996):
«CERCLA’s definition of “disposal” should be read broadly to include the subsequent movement and dispersal of hazardous substances within a facility.»; voir
aussi Reichhold Chemicals, supra, note 35 (décision d’une cour de district
rendue en 1995).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
But we need not address this question in the broad terms of whether disposal always requires active human conduct. Even if it does
not, we conclude that the passive migration at issue in this case
cannot constitute disposal. While “leaking” and “spilling” may not
require affirmative human conduct, neither word denotes the gradual spreading of contamination alleged here. A common definition
of “leak” – and the one most favourable to HMAT – is “to enter or
escape through a hole, crevice, or other opening...” This definition
requires that a substance “leak” from some opening. For example,
the definition would encompass the escape of waste through a hole
in a drum280. [Le jugement compare ici les faits avec ceux de
l’affaire Nurad281, où des réservoirs souterrains abandonnés
avaient fui à la longue, et précise qu’il ne se prononce pas sur
l’écoulement continu depuis une perforation dans un baril, vu que
la question n’est pas en cause.]
L’affaire CDMG a étoffé l’analyse du terme «disposal» d’un
examen de certaines incohérences que peut entraîner une lecture
trop large du mot282, mais Bronston avait déjà exprimé cet avis 283.
Par ailleurs, le RCRA, dans lequel le mot est défini, indique
clairement que le législateur faisait la nuance entre le «disposal»
et la contamination subséquente ou la migration des contaminants. Le mot comprend le fait de placer («placement») des déchets
en un lieu donné et, dans le cas des déchets liquides non dangereux, nous avons vu que le RCRA en permettait l’enfouissement
si l’Administration déterminait que:
280.
281.
282.
283.
CDMG Realty, supra, note 178; la position de la Cour du 3rd Circuit dans CDMG
a été reprise en 1997 par la Cour du 2nd Circuit: ABB Industrial Systems, supra,
note 74 (dans cette affaire, la Cour a refusé de voir en la migration de trichloroéthylène et de trichloroéthane une infraction au RCRA).
Nurad, Inc. v. William E. Hooper & Sons Co., 966 F. 2d 837 (4th Cir. 1992);
l’affaire Nurad a été suivie dans Northwestern Mutual Life, supra, note 122,
quant à l’opinion que le terme «disposal» n’exige pas de conduite humaine
active, mais dans une autre affaire, Joslyn Manufacturing, supra, note 35, on a
pris soin de préciser que Nurad visait des réservoirs qui coulaient.
CDMG Realty, supra, note 178, passage cité, supra, p. 208.
Supra, note 11, p. 627-628, citant United States v. Petersen Sand & Gravel, 806
F.Sup.1346 (N.D. Ill. 1992): «Congress clearly intended the above provision to
exempt from liability purchasers who acquired the land after the relevant polluting activity had taken place. Congress expressed this intention, however, by
requiring that the exemption apply only to innocent purchasers who receive the
land after “disposal” of the hazardous waste. If disposal incorporates passive
migration, virtually no one could qualify for this defence because the passive
migration could well occur or continue to occur during the innocent purchaser’s
ownership. As one court has noted, only purchasers fortunate enough to purchase land where the buried waste was contained in concrete – and thus incapable of migration – could assert the defence if courts adopted the passive
definition of disposal».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
231
[...] to place in such owner or operator’s landfill will not present a
risk of contamination of any underground source of drinking
water.284 (italiques ajoutés)
De même, l’enfouissement de certains déchets dangereux
(«land disposal») ne pourrait pas être considéré sûr [...]
[...] unless, upon application by an interested person, it has been
demonstrated to the Administrator, to a reasonable degree of certainty, that there will be no migration of hazardous constituents
from the disposal unit or injection zone for as long as the waste
remains hazardous.285 (italiques ajoutés)
5.1.1.3
«Release»
C’est par la définition de «release» que le CERCLA permet de
saisir la véritable portée de la définition de «disposal» dans le
RCRA. Bien que les deux définitions soient assez semblables, elles
comportent des différences clés qui ont amené des distinctions
intéressantes286. Les deux définitions ont l’avantage de confirmer
le fait que deux phénomènes différents sont susceptibles de se
produire en matière de pollution: le geste prohibé et sa conséquence287. Le «release» est le phénomène déclencheur de l’intervention gouvernementale, en vertu du CERCLA. Le «disposal» est
le facteur attributif de responsabilité288.
The active reading of disposal ensures that liability under section
107(a)(2) rests squarely where it belongs: on the environmental polluters who created the risk that hazardous waste would enter the
environment and who received the economic benefits of doing so,
and on those who discovered the contamination but refused to take
action to remedy the problem.289
Causation is a peripheral issue under CERCLA... The plaintiff is
not required to link the defendant’s conduct or the defendant’s
waste firmly to the release or threat of release. The release or threat
of release need only have emanated from a facility which [defendant] owned.290
Le terme «disposal» désigne les opérations dont l’aboutissement est l’introduction d’une substance dangereuse dans l’envi284.
285.
286.
287.
288.
289.
290.
Supra, note 249.
Supra, note 250.
La définition de «release» est donnée à la note 89.
Voir le commentaire de BRONSTON, supra, note 11.
CDMG Realty, supra, note 178: «Yet Congress made prior owners liable only if
they owned land at the time of “disposal”, not at the time of “release”».
BRONSTON, supra, note 11, p. 637.
Reichhold Chemicals, supra, note 35.
232
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
ronnement. Le «release» est directement relié à la conséquence ou
au risque de conséquence («threatened release») environnementale. L’abandon d’un réservoir souterrain alors qu’il renferme
toujours des substances dangereuses est un «disposal». Les fuites
qui en résulteront seront des «releases». Une Cour d’appel s’est
dite d’avis qu’en rédigeant le CERCLA, le législateur savait comment décrire la migration des contaminants. La définition de
«release» inclut notamment le «leaching» («lixiviation» ou «lessivage»). Le lessivage est une importante cause du mouvement des
contaminants et la cause prédominante de contamination de l’eau
souterraine dans les lieux d’enfouissement. Le mot «leaching» est
couramment utilisé dans le domaine de l’environnement pour
décrire cette migration291.
Puisqu’il s’agit de l’élément déclencheur de l’intervention
gouvernementale et non l’élément attributif de responsabilité, les
tribunaux ont été très généreux dans leur lecture de la définition
de «release», sans compter que même la menace d’un «release»,
c’est-à-dire un «threatened release» suffit à justifier une intervention292. A notamment été considéré comme un «release», le fait que
du perchloroéthylène écoulé dans les égouts a ensuite migré dans
l’eau souterraine et le sol par des fuites dans les canalisations293.
Il faut dire que dans le cas de polluants ou de contaminants,
l’Administration ne peut intervenir directement que si le «release»
ou le «threatened release» constitue un danger imminent et substantiel pour la santé ou le bien-être publics, sauf s’il s’agit de substances dangereuses nommément désignées294. Les ordonnances
ne sont possibles que s’il y a un danger du même ordre295.
La définition de «disposal» fait allusion à des conséquences
appréhendées: «so that such solid waste or hazardous waste or
any constituent thereof may enter the environment or be emitted
into the air or discharged into any waters, including ground
waters». Cette terminologie a amené Bronston à distinguer deux
291.
292.
293.
294.
295.
CDMG Realty, supra, note 178: «Congress’ use of the term “leaching” in the definition of “release” demonstrates that it was aware of the concept of passive
migration in landfills and that it knew how to explicitly refer to that concept.»
Shell Oil, supra, note 35: «The fact that the sludge was dumped into unlined
pits, the shown tendency of the sludge to migrate through strata of soil, and the
detection of volatile substances known to be present in the sludge in groundwater are sufficient to establish at least a threatened release of hazardous substances into the groundwater.»
Lincoln Properties, supra, note 36.
42 U.S.C. 9604(a)(1)(A) et (B).
42 U.S.C. 9606(a).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
233
phases296 dans le processus de contamination, mais la terminologie du CERCLA et l’interprétation qu’en ont fait les tribunaux
montrent que la deuxième phase rassemble deux autres phénomènes: 1) l’entrée de la substance dans l’environnement (d’où le
mot «into» utilisé tant dans la définition de «disposal», quant à la
conséquence appréhendée, que dans celle de «release», quant à la
conséquence réalisée) et 2) sa propagation subséquente. La langue française ne rend pas les nuances que la préposition anglaise
«into» peut rendre par rapport à la préposition «in». Voici ce que
nous en dit le dictionnaire Oxford:
“Into” A preposition signifying to the inside of; within. It expresses
entrance, or a passage from the outside of a thing to its interior, and
follows verbs expressing motions. It has been held equivalent to, or
synonymous with, “at”, “inside of”, and “to”, and has been distinguished from the words “from” and “through” (italiques ajoutés).
“In” [preposition] expressing relation of presence, existence, situation, inclusion, action, etc.; inclosed or surrounded by limits, as in a
room; also meaning for, in and about, on, within etc.; and is synonymous with expressions “in regard to”, “respecting”, “with respect
to”, and “as is”.
Comme le «release» n’est pas à lui seul attributif de responsabilité, même pour le propriétaire ou l’exploitant des lieux au
moment où le «release» s’est produit s’il n’y a pas contribué297, on
constate que la responsabilité est nécessairement reliée au geste
initial du «disposal». C’est vraisemblablement ce qui fait que la
jurisprudence a eu tendance à responsabiliser seulement la
migration «active», c’est-à-dire lorsqu’il y a eu intervention
humaine298. Cette distinction fondée sur les différences dans les
définitions a été faite dans le but d’éviter de punir des innocents299. En vertu du CERCLA toutefois, on a rendu responsables
ceux qui, n’étant pas à l’origine de la contamination sur leurs
propriétés, ont empiré la situation en effectuant du remblayage,
des forages, etc.300. D’autres décisions ont par contre accepté de
responsabiliser la «contamination passive», c’est-à-dire sans
296.
297.
298.
299.
300.
234
Supra, note 11, p. 618.
American Color, supra, note 170.
Voir à ce sujet la nuance apportée dans The Reading Co., supra, note 185.
Voir Snediker, supra, note 185; ABB Industrial Systems, supra, note 74; Ecodyne, supra, note 186; Emhart Industries, supra, note 35; HRW Systems, supra,
note 48; Bronston, supra, note 11.
Tanglewood East Homeowners Association v. Charles-Thomas, Inc., 849 F.2d
1568 (5th Cir. 1988); Redwing Carriers, supra, note 279; Kaiser Aluminium et
Ganton, supra, note 48.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
aucune intervention humaine. La distinction n’est cependant pas
toujours claire entre les deux termes, parce que ce que l’on a
qualifié de contamination migrante a été en fait une première
émission dans l’environnement301. Enfin, il y a un courant, semble-t-il minoritaire, qui a expressément rendu des propriétaires
innocents responsables de la pollution reçue de tiers, malgré
l’iniquité évidente qui en a résulté302.
5.1.2
Commentaire
Le législateur américain distingue très clairement deux
phases à la contamination de l’environnement, ayant chacune un
effet juridique propre. En appliquant la loi américaine à l’affaire
Laidlaw, on conclurait que l’ancêtre de la compagnie poursuivie
aurait été «any person who at the time of disposal of any hazardous substance owned or operated any facility at which such hazardous substances were disposed of». Il aurait alors été un
«potentially responsible party». Quant à la compagnie poursuivie,
Services environnementaux Laidlaw (Mercier) ltée, elle aurait été
visée à titre de «owner or operator of a facility», au moment de la
propagation des contaminants, c’est-à-dire d’un «release» (la définition de ce mot comprend l’abandon des contenants enfouis).
Cette deuxième compagnie, ayant succédé à l’auteur originaire du
«disposal», aurait également été considérée responsable à titre de
propriétaire ou d’exploitant au moment du «disposal»303. Sous ce
rapport, les conclusions en droit auraient rejoint celles de la Cour
d’appel du Québec en ce que le geste blâmable d’origine serait
entré en ligne de compte. Cependant, il faut comprendre que
l’application du CERCLA à l’affaire Laidlaw n’aurait été possible
que par le choix délibéré du législateur américain visant expressément le propriétaire d’une installation où se produit le «release»,
et cela sans égard à la culpabilité. Malgré tout, un courant
jurisprudentiel tend à s’affirmer, voulant que la seule migration
ne rende pas le propriétaire responsable de ce «release» du seul fait
de ne pas l’empêcher. Il n’y aurait pas de «third-party defence» possible, si le propriétaire était réputé contribuer au «release» par sa
seule omission d’agir.
L’effet du CERCLA n’est pas de culpabiliser la personne
ayant la propriété, la garde ou le contrôle de contaminants en
301.
302.
303.
Westfarm Associates, supra, note 36; The Reading Co., supra, note 185.
Reichhold Chemicals, supra, note 35; Lincoln Properties, supra, note 36.
B.F. Goodrich v. Betkoski, 99 F.3d 505 (2nd Cir. 1996).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
235
train de se déplacer dans le sol ni d’obliger sans recours cette
personne. Elle peut se rabattre sur les véritables auteurs. L’État
se décharge du fardeau de retracer les responsables, mais fournit
au «potentially responsible party» les moyens de se faire dédommager. En quelque sorte, le principe du pollueur-payeur devient
une affaire privée. Il ne met pas l’État en opposition avec le
pollueur. Il place les personnes aux prises avec le problème dans la
situation de devoir départager leur véritable responsabilité. Le
souci de mettre à l’abri la personne qui n’a rien fait de répréhensible, même si elle a le contrôle d’un site contaminé actif, se
reflète dans les défenses permises par le CERCLA. On le voit aussi
dans la législation adoptée au niveau des États eux-mêmes. Par
exemple, le California Expedited Remedial Action Reform Act of
1994304 crée une présomption de non-responsabilité réfragable en
faveur du petit propriétaire privé305. La Loi exempte aussi le
prêteur qui ne participe pas à la gestion de la propriété306. Autrement, on ne peut que constater que les dispositions habituelles
prohibant la pollution ne sont pas vraiment efficaces contre la pollution migrante, que ce soit en vertu du CWA ou du RCRA.
L’insistance du législateur sur les «point sources» et la distinction
qu’il fait entre le «disposal» du RCRA et le «release» du CERCLA le
montrent bien. Quant aux sanctions administratives, là encore le
législateur a exprimé en termes clairs son choix.
5.2 Canada
Il n’y a pas au Canada de législation fédérale comparable au
CERCLA ni, à notre connaissance, de décisions relatives à la Loi
canadienne sur la protection de l’environnement307 susceptibles
d’apporter un éclairage utile quant à l’infraction associée à la
migration. Toutefois, la terminologie employée peut nous fournir
quelques indices, comme la définition de «rejet», qui s’entend de
toute forme de déversement ou d’émission, notamment par écoulement, jet, injection, inoculation, dépôt, vidange ou vaporisation.
Est assimilé au rejet l’abandon.308
Le mot «écoulement» pourrait élargir ici la notion de rejet,
mais le législateur est resté conséquent avec l’acception générale
304.
305.
306.
307.
308.
236
H.S.C.C. §§ 25396 et s.
H.S.C.C. § 253660.2.
H.S.C.C. §§ 25548 et s.
Supra, note 134.
Id., art. 3.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de la notion de pollution, avec les mots «rejet initial». Les autres
personnes touchées par le rejet n’ont que l’obligation d’en faire
rapport309. Quant à la Loi sur les pêches310, elle a permis aux
tribunaux d’aborder la question du mouvement des contaminants
dans le sol ou dans l’eau. Elle prohibe la pollution en ces termes:
Sous réserve du paragraphe (4) [c’est-à-dire les cas permis par
règlement], il est interdit d’immerger ou de rejeter une substance
nocive – ou d’en permettre l’immersion ou le rejet – dans des eaux
où vivent des poissons, ou en quelque autre lieu si le risque existe
que la substance ou toute autre substance nocive provenant de son
immersion ou rejet pénètre dans ces eaux.
Le législateur a envisagé la possibilité de migration, puisqu’il prohibe le rejet de substances nocives là d’où elles pourraient
atteindre les eaux, au même titre que le rejet directement dans ces
eaux. Les tribunaux n’y ont pas vu deux infractions distinctes.
Une personne ne peut à la fois être condamnée pour avoir rejeté
une substance en un lieu amont et à la fois parce que la substance
se serait ensuite retrouvée dans l’eau. La Cour suprême du
Canada, dans Northwest Falling Contractors311, a reconnu la
validité du paragraphe 33(2) de l’ancienne Loi sur les pêcheries312
(aujourd’hui le paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches) et a fait
un parallèle avec l’affaire Sault Ste-Marie. Le dépôt dans une eau
poissonneuse et le dépôt en amont sont deux manières de commettre la même infraction. Deux décisions de Colombie-Britannique
sont particulièrement intéressantes pour la qualification juridique de la contamination migrante. Dans Rivtow Straits313, un
propriétaire a été poursuivi parce que de l’huile provenant d’installations de son locataire s’écoulait dans un ruisseau à travers sa
propriété pour rejoindre une eau poissonneuse. La Cour d’appel a
refusé de considérer que le propriétaire avait commis l’actus reus
de l’infraction. Dans une affaire plus ancienne314, la même cour
s’était fondée sur le caractère mouvant de l’eau pour condamner
une compagnie en vertu de la Loi sur les pêcheries de l’époque. Le
309.
310.
311.
312.
313.
314.
Id., art. 36(2) et 36(3); voir PAQUET, supra, note 226: «Considérant l’ampleur
donnée au mot «rejet» par sa définition et que des biens touchés par un rejet initial peuvent résulter des rejets successifs, l’emploi du qualificatif «initial» circonscrit l’application du paragraphe 36(1) aux personnes qui sont à la source
du rejet».
Supra, note 148.
Supra, note 150, p. 301-302.
S.R.C. 1970, c. F-14.
Supra, note 36.
R. v. MacMillan Bloedel (Alberni) Ltd. (1979), 12 B.C.L.R. 29, (C.A. C.-B.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
237
dépôt avait été fait dans les eaux d’un port. Il n’y avait pas de
preuve que la rade était fréquentée par le poisson, mais il était
établi que le bras de mer l’était. La Cour a rejeté les prétentions de
l’accusée à l’effet qu’il n’y avait pas eu de dépôt dans une eau
poissonneuse: «To restrict the word “water” to the few cubic feet
into which the oil was poured would be to disregard the fact that
both water and fish move»315. Dans l’esprit du législateur, le dépôt
et le déplacement subséquent sont deux choses distinctes et il
sanctionne l’acte initial d’introduction de la substance nocive dans
l’eau, ou dans un autre lieu en référence au fait que la substance
peut atteindre l’eau. Malgré ces deux éventualités, les deux prohibitions, bien que distinctes quant au lieu, n’autorisent qu’une
seule condamnation316.
5.2.1
Ontario
On a dit de la législation ontarienne relative à la restauration de l’environnement qu’elle est très proche de celle des
États-Unis317. Nous nous intéresserons ici à la définition de l’infraction de pollution et à la responsabilité des personnes reliées à
la contamination de l’environnement. L’équivalent de l’article 20
L.Q.E. se trouve aux articles 6 et 14 L.P.E.O. Le premier s’applique «lorsque la quantité, la concentration ou l’intensité du
contaminant excèdent celles que les règlements prescrivent». Il
correspond aux premier et deuxième volets de l’article 20 L.Q.E.
Le troisième volet trouve son pendant au premier alinéa de
l’article 14318, qui doit se lire avec les définitions de «contaminant», «d’environnement naturel» et de «conséquence préjudiciable»319. Nous examinerons principalement trois jugements
315.
316.
317.
318.
319.
238
Id., p. 32.
HALLEY, supra, note 149, p. 765, 789-790.
«[T]he similarities between the two regimes are more striking than the differences»: United States v. Ivey (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 157 (C.J. Ont, Div. gén.), p.
178.
«Malgré toute autre disposition de la présente loi et des règlements, nul de doit
rejeter un contaminant dans l’environnement naturel ou permettre ou faire en
sorte que cela se fasse lorsqu’un tel acte cause ou causera vraisemblablement
une conséquence préjudiciable.»
Art. 1.(1) L.P.E.O.: «Contaminant: Solide, liquide, gaz, son, odeur, chaleur,
vibration, radiation ou combinaison de ces éléments qui proviennent, directement ou indirectement, des activités humaines et qui peuvent avoir une conséquence préjudiciable.»
«Environnement naturel: Air, terrain et eau ou toute combinaison ou partie de
ces éléments qui sont compris dans la province de l’Ontario [air, terrain et eau
sont définis à peu près de la même manière que les mots «atmosphère», «sol» et
«eau» dans la L.Q.E.]»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
ontariens relatifs à l’article 14 L.P.E.O. qui nous éclairent sur les
nuances entre l’acte de pollution et ses effets subséquents.
5.2.1.1
L’affaire Imperial Oil
L’affaire Imperial Oil320 a rappelé ce que la Cour suprême du
Canada avait déjà affirmé relativement à l’infraction de pollution.
Elle peut se produire de plusieurs manières, mais demeure une
infraction générique321. L’affaire concernait l’article 13(1) de la
L.P.E.O. de 1980322. Amendé en 1983, il ressemblait à l’actuel article 14, mais les conséquences préjudiciables étaient énumérées à
l’intérieur même de l’article plutôt que dans une définition323.
Nous avons vu qu’un déversement d’essence, dans cette affaire,
avait eu plusieurs conséquences catastrophiques324. La fuite avait
été stoppée en moins de deux heures et le nettoyage complété à la
satisfaction des autorités. Le débat a plutôt porté sur la possibilité
ou non, pour la poursuite, d’obtenir une condamnation pour
chacune des conséquences préjudiciables survenues en aval. La
Cour s’est inspirée d’une autre décision, non rapportée325, où l’on
concluait que l’article 13 créait une seule infraction et en énumérait les diverses conséquences. La Cour d’appel a rappelé que
l’article 13 était une disposition pénale et devait être «construed
as they construed it»326. Elle a souligné que la Loi contenait des
dispositions pour remettre les lieux en état, pour dédommager les
victimes et, finalement, sanctionner l’acte prohibé. Quant aux
conséquences, elles relevaient de la détermination de la peine. Les
poursuites et les peines n’interviennent qu’après le fait, les vastes
320.
321.
322.
323.
324.
325.
326.
«Conséquence préjudiciable: l’une ou plusieurs des conséquences suivantes:
a) la dégradation de la qualité de l’environnement naturel relativement à tout
usage qui peut en être fait;
b) le tort ou les dommages causés à des biens, des végétaux ou des animaux;
c) la nuisance ou les malaises sensibles causés à quiconque;
d) l’altération de la santé de quiconque;
e) l’atteinte à la sécurité de quiconque;
f) le fait de rendre des biens, des végétaux ou des animaux impropres à l’usage
des êtres humains;
g) la perte de jouissance de l’usage normal d’un bien;
h) le fait d’entraver la marche normale des affaires.»
Supra, note 96.
Sault Ste-Marie, supra, note 123, p. 1308.
L.R.O. 1980, c. 141.
La Cour suprême de l’Ontario (Division d’appel) a fait sienne l’opinion des deux
parties au litige à l’effet que l’amendement législatif n’avait pas changé la
portée de l’infraction.
Supra, p. 184.
R. v. Maple Leaf Mills Ltd. (24 juin 1986), juge Payne (C. Prov. Ont.).
R. v. Imperial Oil, supra, note 96, p. 91.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
239
pouvoirs attribués à l’Administration en cas de déversement étant
le véritable facteur dissuasif327. L’Imperial Oil était aussi poursuivie pour le rejet d’essence dans une rivière en vertu de l’Ontario
Water Resources Act328. La plainte logée en vertu de la deuxième
loi a été rejetée, en application des principes de l’arrêt
Kienapple329.
5.2.1.2
L’arrêt Bata
L’arrêt Kienapple a aussi été suivi dans Bata330. La compagnie était poursuivie en vertu des mêmes lois. Cette fois,
l’accusation a été maintenue quant à la deuxième loi et les
procédures arrêtées quant à la première331. Dans l’affaire Bata, le
moment de la commission de l’infraction était l’une des questions
du débat. L’accusée a tenté de mettre en doute qu’il y aurait eu
déversement durant la période visée par l’une des infractions, soit
entre le 15 août 1988 et le 31 août 1989 (l’accusation ne comportait
qu’un seul chef). Une première inspection avait révélé, le 1er août
1989, la présence de plusieurs contenants à l’extérieur de l’usine.
Plusieurs étaient découverts et exposés aux intempéries.
Plusieurs étaient rouillés. Les barils ont été échantillonnés le 11
et le 22 août 1989, mais ce n’est qu’en octobre 1991 que des analyses de l’eau souterraine ont été faites. Les barils n’y étaient plus,
mais les analyses montraient la présence de produits identiques.
Aux yeux du tribunal, il y avait bel et bien eu rejet, au sens de
l’article 16 de la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario de 1980.
Le juge est cependant allé plus loin. Citant Liverance332 et Blackbird Holdings333, il s’est dit d’avis que le dépôt, un terme de la
définition de «rejet», continuait avec le risque334.
Cette opinion laisse entendre qu’une fois le produit déversé,
son mouvement subséquent serait un rejet. Toutefois, cette conclusion n’était pas essentielle à la déclaration de culpabilité, vu les
327.
332.
333.
334.
Ce sont les actuels articles 91 à 123 (partie X) de la L.P.E.O.; à ce sujet, lire
Moira L. McCONNELL et Erika C. GERLOCK, Environmental Spills: Emergency Reporting Clean Up and Liability, Scarborough, Carswell, 1993 (éd. rév.),
chapitre 6.
L.R.O. 1980, c. 361 (Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, aujourd’hui L.R.O.
1990, c. O.40).
Supra, note 145.
Supra, note 35.
La même situation s’est présentée dans l’arrêt R. v. Petro Canada Inc. (1995), 16
C.E.L.R. (N.S.) 140 (C. Prov. Ont.).
Supra, note 176.
Supra, note 52.
Bata Industries, supra, note 35, à la p. 256.
240
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
328.
329.
330.
331.
fuites, et vu que la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario ne
prohibait pas seulement le rejet dans les eaux, mais aussi en un
lieu où les substances pouvaient affecter les eaux. De plus, les
faits relatés, notamment les faits postérieurs à l’incident et considérés pour la sentence, montrent que le panache de contamination
était toujours présent lors du procès et qu’il était en expansion335.
Pourtant, le tribunal a souligné que l’accusée avait collaboré
pleinement avec les autorités après leur intervention, même si ses
travaux se sont limités à l’enlèvement des barils et à un nettoyage
en surface. Enfin, soulignons que le jugement Bata a été rendu
quelques semaines avant le jugement NWP336.
5.2.1.3
Le jugement NWP
La Cour d’appel de l’Ontario a endossé la position du juge de
première instance, dans l’affaire NWP, qui s’était refusé à voir
dans un sol contaminé une source de contamination337. Ce premier jugement s’est appuyé sur les définitions de «contaminants»
et d’«environnement naturel»338, et sur celle de «source de contamination», définie comme «[t]out ce qui rejette un contaminant
quelconque dans l’environnement naturel»339. Bien que rendu en
matière administrative (il s’agissait de la contestation d’une
ordonnance), le jugement ne s’est pas moins penché sur des dispositions créatrices d’infraction, notamment l’article 5 de la
L.P.E.O. de 1980 (aujourd’hui l’article 6)340. Quoi qu’on ait pu dire,
rien dans le jugement n’indique que la Cour ait lu de façon
indûment restrictive ou littérale la L.P.E.O. Elle s’est interrogée
sur cette conception voulant qu’une partie de l’environnement
puisse être juridiquement la source de la contamination d’une
autre partie, de manière à mettre en cause la personne responsable de cette source. Se refusant à un tel effet juridique, elle a
conclu que la définition d’environnement n’est pas disjonctive, de
sorte à couvrir les mouvements naturels d’un contaminant d’un
point à un autre. Le juge a fait allusion aux définitions mentionnées plus haut et aux deux infractions de pollution de la
L.P.E.O., les articles 5 et 13 de l’époque, et a suggéré une lecture
qui évite le résultat dénoncé. On trouve en effet, dans la décision,
335.
336.
337.
338.
339.
340.
Id., p. 297.
Canadian National Railway (Cour d’appel de l’Ontario), supra, note 19.
Canadian National Railway (Cour de justice de l’Ontario, Div. gén.), supra, note
35.
Supra, p. 85.
Art. 1.(1), L.P.E.O.
À la p. 223 du jugement de première instance.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
241
des expressions comme «on a proper reading of the Act», ou encore
«[i]t would be an undue and improper strain upon the interpretation of the definition [d’environnement]».
Le raisonnement n’est pas dû au fait que les définitions de la
L.P.E.O. soient restrictives. La définition de «contaminant» dit
bien qu’ils «proviennent, directement ou indirectement, des activités humaines». Cette définition aurait bien pu s’appliquer aux
contaminants présents dans un sol contaminé. D’autre part, la
définition d’«environnement naturel» ne vient ni appuyer ni infirmer la thèse que la source doive nécessairement être à l’extérieur
de l’environnement. Dans NWP, les contaminants se répandaient
dans l’environnement naturel, les sédiments du port de Thunder
Bay. Quant à l’article 5 de l’époque (l’actuel article 6), il ne
s’appliquait pas qu’aux «sources de contamination». Un simple
propriétaire aurait donc pu être considéré comme pollueur, n’eût
été de l’analyse du juge, qui n’a manifestement pas ignoré l’article
17 L.P.E.O. (aujourd’hui l’article 18), qu’il cite textuellement et
auquel il renvoie tout au long du jugement. Or, cet article vise
notamment le «propriétaire d’une entreprise ou d’une propriété»
au sujet de contaminants rejetés «dans l’environnement naturel à
partir de l’entreprise ou de la propriété ou sur cette dernière»
(italiques ajoutés). En d’autres termes, le fait pour le tribunal de
considérer qu’une source de contamination soit nécessairement
extérieure à l’environnement n’était qu’une lecture compatible
avec l’économie générale de la loi: «[B]efore s. 6 or s. 7 (or, for that
matter, s. 17) can be invoked, it must be shown that a person has
been responsible for the dicharge into the natural environment in
that the contaminant entered the natural environment from the
equipment or spillings from the operation on the site»341. La lettre
de la définition n’excluait pas la lecture opposée (soulignons que
certaines dispositions ont été amendées en 1990342; elles auraient
pu influencer la cause, mais uniquement quant au rôle historique
des divers acteurs).
5.2.1.4
Autres décisions
L’affaire NWP reste discordante avec d’autres décisions relatives à l’infraction de pollution voulant notamment que la pollution continue tant et aussi longtemps qu’un produit demeure dans
341.
342.
242
Canadian National Railway, supra, note 35, p. 224, citant l’arrêt Rockcliffe
Park Realty, supra, note 36, p. 15.
Nous avons déjà discuté de ces changements: DAIGNEAULT, supra, note 75, p.
1054-1055.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
le sol. Dans l’affaire Hill343, une personne a été trouvée coupable
d’une infraction continue d’avoir omis d’aviser les autorités lors
d’une fuite. Prévenir un rejet aurait comporté l’obligation de
récupérer les contaminants. La pollution était par conséquent
continue et l’obligation d’aviser également. L’affaire Amoco344 a
fait de la percolation depuis une lagune (en fait, une excavation)
une infraction continue, alors que la percolation depuis un terrain
contaminé n’a pas été jugée telle dans NWP, comme s’il existait
dans le premier cas une frontière discernable entre le contaminant et l’environnement, tandis que pour l’autre, il aurait fallu
tracer une limite artificielle.
Ces décisions illustrent le débat, en Ontario, sur la portée de
l’infraction de pollution et de la responsabilité rattachée aux
sources de contamination. Il n’est pas clos345 mais, par les amendements de 1990, l’Ontario vise maintenant davantage de parties
potentiellement responsables. L’article 7 L.P.E.O. (auparavant
l’article 6, au caractère réparateur346) permet
de prendre un arrêté d’intervention [«control order»] adressé, selon
le cas:
au propriétaire ou au propriétaire précédent de la source de contamination;
a)
à la personne qui occupe ou qui occupait la source de contamination;
b)
à la personne qui assume ou qui assumait la responsabilité, la
gestion ou le contrôle de la source de contamination.
L’article 8, qui permet de prendre des «arrêtés de suspension
immédiate» («stop orders») en cas de danger immédiat, vise exactement les mêmes personnes. Le législateur s’est expressément
écarté de la seule notion de responsabilité, qui était le seul facteur
d’exposition dans le texte de l’ancien article 6347, pour viser le
simple statut des personnes en cause. Comme aux États-Unis, le
législateur a voulu imposer des mesures réparatrices indépendamment de toute culpabilité et l’a exprimé clairement. La notion
343.
344.
345.
346.
347.
Hill, supra, note 116.
Supra, note 53.
SAXE, supra, note 21.
Canadian National Railway, supra, note 19, p. 5: «[section 6] is remedial in
nature».
Sur les anciennes dispositions, voir DAIGNEAULT, supra, note 75, p. 1054.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
243
de source de contamination reste cependant déterminante et
l’arrêt NWP soulève des questions analogues à ce qui a été observé
aux États-Unis, concernant la simple migration.
Il y a lieu, en terminant, de citer l’arrêt Glen Leven Properties, au sujet du mouvement de contaminants issus de
l’environnement lui-même. Dans une sablière, le vent soufflait du
sable sur la propriété voisine. Le propriétaire du site avait été
acquitté, vu la définition de la L.P.E.O. de 1971 qui, comme
aujourd’hui, faisait allusion aux activités humaines. «[T]he sand,
being a natural substance the existence of which did not result
from the activities of man, was not a “contaminant”...» Toutefois,
en appel348, la Cour s’est dit d’avis que ce n’est pas tant le «sable»
qui est un contaminant, mais le «sable exposé à l’air» par le fait de
l’homme 349.
5.2.2
Colombie-Britannique
En Colombie-Britannique, par un amendement de 1993 au
Waste Management Act350 (qui comporte une définition extrêmement large de «waste»351), on trouve au Canada la législation probablement la plus claire concernant la responsabilité associée aux
terrains contaminés, en vigueur depuis le 1er avril 1997352.
348.
352.
Glen Leven Properties, supra, note 59: «A substance, even a natural substance,
may constitute a contaminant within the meaning of s. 1(1)(c) of the Environment Protection Act, 1971 whenever man, by changing the natural state of that
substance, causes it to be a substance which may impair the quality of the natural environment or have any of the prohibited characteristics in s. 1(1)(c). Accordingly, when sand, which in its natural state would remain stationary, is
exposed and made subject to movement by winds, as in this case, it falls within
the definition of contaminant. “Solid” within s. 1(1)(c) should be applied to mean
“exposed sand” and not merely “sand” and since the “exposed sand” was the
result of the activities of man, it came within the definition of “contaminant”.»
BERGER, supra, note 57, ¶ 2.12: «A contaminant becomes a contaminant if it is
stationary in its natural state but is moved by a person, by a blasting operation,
or is exposed and made subject to the winds through the removal of protective
soddy and top soil lays.»
Maintenant R.S.B.C. 1996, c. 482.
Id., art. 1:«"waste" includes:
(a) air contaminants,
(b) litter,
(c) effluent,
(d) refuse,
(e) biomedical waste,
(f) special waste, and
(g) any other substance designated by the Lieutenant Governor in Council.»
McCONNELL et GERLOCK, supra, note 327, p. 2-7.
244
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
349.
350.
351.
Comme le CERCLA et la L.P.E.O., elle énumère une série de responsables. Comme le CERCLA, elle permet à ces personnes de
départager entre elles les frais de restauration353. Ces responsables (avec plusieurs exceptions354) comprennent:
(a) a current owner or operator at the site;
(b) a previous owner or operator at the site;
(c) a person who
(i) produced a substance, and
(ii) by contract, agreement or otherwise caused the substance
to be disposed of, handled or treated in a manner that, in
whole or in part, caused the site to become a contaminated
site;
(d) a person who
(i) transported or arranged for transport of a substance, and
(ii) by contract, agreement or otherwise caused the substance
to be disposed of, handled or treated in a manner that, in
whole or in part, caused the site to become a contaminated
site;
(e) a person who is in a class designated in the regulations as
responsible for remediation.355
Une innovation, par rapport au CERCLA, est d’avoir prévu
la migration. Le propriétaire ou l’occupant d’un terrain contaminé
uniquement par la migration est complètement exonéré, s’il n’est
pas également propriétaire ou occupant du terrain d’où émanent
les contaminants356. Les responsables de la restauration sont plutôt ceux qui sont responsables, aux termes de la Loi, du terrain en
amont357. Il est trop tôt pour dire comment les tribunaux interpréteront ces nouvelles dispositions qui apportent plusieurs solutions juridiques au problème des sols contaminés. D’abord, on
s’affranchit de la notion de pollueur. La notion d’acte répréhen-
353.
354.
355.
356.
357.
Supra, note 350, art. 27(1) et 27(5); art. 34 et 35 du Contaminated Sites Regulation, B.C. Reg. 375/96.
Id., art. 26.6; voir aussi les articles 19 à 23 du Contaminated Sites Regulation,
supra, note 353.
Supra, note 350, art. 26.5(1).
Id., art. 26.5(2).
Id., art. 26.6(1)(i).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
245
sible est écartée358. Ce n’est pas le but. L’État peut intervenir du
moment qu’une personne a un intérêt dans le terrain. De nombreuses exceptions écartent cependant ceux qui sont les plus éloignés du problème, comme celui qui n’était plus propriétaire du
site lors de sa contamination359, à charge pour lui de le prouver par
prépondérance360. Si la Loi ne s’en prend pas qu’au pollueur, elle
ne rend pas le simple propriétaire entièrement responsable. Il
peut recouvrer ses frais des autres parties. Comme avec le
CERCLA, l’État se décharge du fardeau de régler lui-même le problème et d’en recouvrer les coûts. Il est en quelque sorte remis
entre les mains d’un ou plusieurs responsables potentiels, que la
loi ne laisse toutefois pas sans ressources.
5.2.3
Autres juridictions provinciales
Les provinces canadiennes, dans le cadre général que traçait
la Cour suprême du Canada pour l’infraction de pollution, ont été
très créatives dans leur rédaction législative. On peut mentionner
notamment que la Saskatchewan, dans la définition de «pollution» de l’«Environmental Management and Protection Act»361,
inclut l’enlèvement («removal») d’une substance, de sorte que la
prohibition de polluer362 comprend celle d’enlever des substances.
Le Nouveau-Brunswick, pour sa part, a adopté des définitions qui
peuvent clarifier également la responsabilité rattachée à la
migration 363 . L’Environmental Law Dictionary 364 souligne
qu’avec une définition de «source de contamination» dans la
L.P.E.O. analogue à celle du Nouveau-Brunswick365 où on men358.
359.
360.
361.
362.
363.
364.
365.
246
Id., art. 27(3): «Liability under this Part applies
(a) even though the introduction of a substance into the environment is or was
not prohibited by any legislation if the introduction contributed in whole or in
part to the site becoming a contaminated site [...].»
Supra, note 350, art. 26.6(1)(e).
Id., art. 26.6(4).
S.S. 1983-84, c. E-10.2.
Id., art. 34.1.
Loi sur l’assainissement de l’environnement, L.R. N.-B., c. C-6, art. 1.
Miller Thomson’s Environmental Law Dictionary, Toronto, Carswell, 1995 (éd.
rév.), p. S-73.
Supra, note 363: une «source de pollution» est définie comme: «toute activité ou
tout bien réel ou personnel qui cause ou pourrait causer le déversement d’un polluant dans ou sur l’environnement ou une partie de l’environnement et comprend tout risque de pollution.»
tandis qu’un «déversement»: «s’entend également de l’émission, de l’abandon,
du dépôt ou du rejet du polluant, des matières usées ou d’autres matières ou de
l’accomplissement ou du non-accomplissement de tout autre activité à l’égard
du polluant, des matières usées ou d’autres matières, avec le résultat direct ou
indirect que le polluant, les matières usées ou les autres matières entrent dans
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tionne «tout bien réel» («any real property»), on aurait pu avoir un
tout autre résultat que celui de l’affaire NWP. L’Île-du-PrinceÉdouard a une définition analogue366.
5.3 France
Le parallèle entre les lois nord-américaines et françaises
relatives à la pollution n’est pas facile, vu qu’en France, elles sont
disséminées dans plusieurs textes. Me Pascale Steichen a mis en
relief la difficulté posée par la législation française lorsqu’on
l’applique aux sols contaminés367. La disposition la plus importante créant l’infraction de pollution est l’article L. 232-2 du Code
rural368 (on remarquera la parenté avec l’article 36(3) de la Loi sur
les pêches canadienne369). Voici ce que nous en disent les commentateurs français:
366.
367.
368.
369.
l’environnement ou dans une partie de l’environnement, que le polluant, les
matières usées ou les autres matières se trouvaient ou non antérieurement dans
l’environnement ou dans la partie de l’environnement.»
Enfin, un «polluant» est: «tout solide, liquide, gaz, micro-organisme, odeur, chaleur, son, vibration, radiation ou combinaison de ces éléments, présent dans
l’environnement,
a) qui est étranger aux éléments naturels de l’environnement ou s’y trouve en
excès,
b) qui affecte les caractéristiques naturelles, physiques, chimiques ou biologiques de l’environnement ou sa composition,
c) qui compromet la santé, la sécurité ou le bien-être d’une personne ou la santé
de la vie animale, qui cause du dommage aux biens ou aux végétaux ou qui gène
la visibilité, les conditions normales de transport, la marche normale des affaires ou la jouissance normale de la vie ou des biens, ou
d) que le règlement prescrit comme polluant,
et comprend un pesticide.»
Art. 1b)i) de l’Environmental Protection Act, R.S.P.E.I., c. E-9.
Supra, note 42, p. 39: «En premier lieu, la réglementation ne vise jamais directement les sites contaminés. Cela l’empêche d’avoir une vision éclairée des incidences sociales, économiques et éthiques liées à la seule question des sites. En effet,
les problèmes qui sont générés par les sites contaminés ne sauraient se confondre avec ceux qui émanent du fonctionnement des installations classées ou bien
encore avec ceux qui résultent du traitement des déchets. La seconde difficulté
provient de la nature des sources [de droit] dans lesquelles [sic] les sites contaminés sont susceptibles d’apparaître. Nous l’avons dit, il s’agit de sources à
l’efficacité douteuse et à la portée juridique incertaine.» (italiques ajoutés)
«Quiconque a jeté, déversé ou laissé écouler dans les eaux mentionnées à
l’article L. 231-3, directement ou indirectement, des substances quelconques
dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa
reproduction ou à sa valeur alimentaire, sera puni d’une amende de 120 000 F et
d’un emprisonnement de deux ans ou de l’une de ces deux peines seulement. Le
tribunal peut, en outre, ordonner la publication d’un extrait du jugement aux
frais de l’auteur de l’infraction, dans deux journaux ou plus.»
Supra, p. 84, lorsque cet article est lu avec la définition de «substance nocive» à
l’article 34.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
247
La clarté des termes ne stimule pas le commentaire, d’autant que
leur application ne soulève pas de réelles difficultés. On notera
pourtant que le comportement répréhensible se réalisera, soit par
une action, le jet, le déversement, telle l’installation d’un collecteur
de substances résiduaires ou d’eaux usées, soit par une abstention
consistant dans le fait de laisser écouler des substances polluantes.
En visant ce comportement d’omission, le législateur permet une
large extension du domaine d’application de l’article L. 232-2 du
Code rural.370
S’il est évident, en effet, que le rejet ou le déversement de substances toxiques prévus tout d’abord, étant des actions positives, ne
peuvent être qu’intentionnels, le fait de «laisser s’écouler» lesdites
substances est indiscutablement moins caractérisé. Une saine analyse grammaticale ne nous en paraît pas moins exiger la preuve
d’une faute. Le fait de «laisser» s’écouler quelque chose paraît bien
postuler une certaine intervention de l’intéressé et non un simple
«comportement personnel de la chose» . Il paraît conforme au sens
habituel des mots de ne pouvoir reprocher à quelqu’un de laisser
s’écouler quelque chose qu’autant qu’il a, soit eu connaissance de
l’écoulement qu’il a consciemment laissé s’accomplir (faute d’abstention intentionnelle), soit eu l’obligation de se préoccuper de
savoir si, compte tenu des circonstances, aucun écoulement nocif ne
se produisait (faute d’abstention d’imprudence).371
Quant à la migration, deux phénomènes distincts ont notamment été examinés par les tribunaux: le déplacement d’une eau
polluée et la percolation de contaminants dans le sol. Sur ce dernier point, l’arrêt Ferrier372 a retenu l’attention. Les faits rappellent ceux de l’affaire Tricots Canada U.S. au Québec373. Une
rivière a été polluée par du mazout provenant d’une canalisation
souterraine corrodée. Le défendeur a localisé et colmaté la fuite
mais la rivière a continué d’être polluée par infiltration: «le
mazout qui s’était répandu dans le sol, après la découverte de la
fuite, a continué à polluer la rivière en raison de la nature du terrain et du régime des pluies.». La source tarie une fois la fuite
localisée, l’infraction continuait. Toutefois, l’article L. 232-2 vise
les rejets dans l’eau et, contrairement à la Loi sur les pêches du
Canada, le rejet d’une substance en un lieu d’où elle pourrait
atteindre l’eau n’est pas une infraction. Tant que le mazout n’avait
pas atteint la rivière, il n’y avait pas encore d’infraction, ce qui
peut expliquer que l’écoulement jusqu’à la rivière, une ou deux
370.
371.
372.
373.
248
LITTMANN-MARTIN, supra, note 79, ¶ 13.
RASSAT, supra, note 13, p. 151.
Supra, note 13.
Supra, note 55.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
années plus tard ait constitué l’infraction. La responsabilité est
néanmoins restée attachée aux installations, non pas au sol qui
n’a pas été vu comme la source. Un peu comme dans Laidlaw374, la
transaction fautive se continuerait depuis la source (la canalisation) jusqu’au point d’entrée dans l’eau, qui est le milieu
réglementé en vertu du Code rural.
Outre l’arrêt Ferrier, Me Littmann-Martin relève plusieurs
situations ayant donné ouverture à l’application de l’article L.
232-2 (ou les dispositions qui l’ont précédé)375. Toujours sur cet
article, la jurisprudence a donné lieu à un curieux débat sur la
sanction des rejets de matières déjà présentes dans l’eau et le droit
ne semble pas fixé. Dans l’arrêt Cravero376, des boues mêlées de
débris végétaux lors de la vidange d’un réservoir hydraulique ont
été vues comme des produits naturels du cours d’eau et, de ce fait,
n’étaient pas visées par l’article 434-1 (devenu L. 232-2) du Code
rural. D’autres décisions sont à l’effet contraire, notamment l’arrêt Berry377, où une compagnie avait vidé un bassin alimentant
des turbines. Les vases du bassin avaient détruit de nombreux
poissons. La compagnie a été condamnée même si la vase, produit
naturel, ne pouvait être un rejet industriel. Enfin, la législation
française vise très distinctement les rejets à la mer et dans un
cours d’eau, en vertu de textes différents, de sorte qu’on peut
sanctionner un même rejet dans ces deux milieux378. Néanmoins,
le premier milieu n’est pas vu comme la source du second. La
cause reste chaque fois la source véritable en amont.
374.
375.
376.
377.
378.
Supra, note 18.
Supra, note 79, ¶13: «[L’article L. 232-2 du Code rural] assure la répression de
pollution résultant des eaux de pluie (Cas. crim., 5 oct. 1982: D. 1982, inf. rap. P.
231; Rev. sc. crim. 1984, p. 766, obs. J.-H. Robert. – CA Nîmes, 19 nov. 1980 et 22
fév. 1983: Rev. sc. crim. 1985, p. 845, obs. J.-H. Robert), du ruissellement des
eaux utilisées par des pompiers pour maîtriser un incendie lorsqu’il entraîne des
substances toxiques (hypothèse de la pollution du Rhin lors de l’incendie de
l’usine Sandoz, cf. A. Kiss, «Tchernobâle» ou la pollution accidentelle du Rhin
par des produits chimiques: AFDI 1987, p. 719. – J.G. Polakiewicz, La responsabilité de l’État en matière de pollution des eaux fluviales ou souterraines internationales: JDI 1991, p. 325 s. [...]). Les débordements de polluants de bassins de
rétention seront aussi des écoulements au sens de l’article L. 232-2 du Code
rural, et même, les infiltrations de produits nocifs par perméabilité des réceptacles ou du sol (Cas. crim., 11 fév. 1953: D. 1954, p. 403).» (italiques ajoutés)
Lyon, 4e Ch. correct., 22 juin 1983; Cravero. II. – Jurisprudence (1984), # 20194.
(Dans La Semaine juridique, Ed. G., 1984); cet arrêt a été vivement critiqué: GUIHAL, supra, note 212, ¶¶ 2872 et s.
Berry et Soc. laitière métropolitaine c. P.G. Rouen, Cour de cassation (Ch. crim.),
18 décembre 1952, 11 février 1953 et 5 mai 1953.
V. supra, note 80.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
249
Ainsi, lorsque le législateur vise, comme dans le cas de la Loi
sur les pêches canadienne, la protection d’un milieu particulier
(l’eau, ici), on conçoit que l’infraction ne soit vraiment accomplie
que lorsqu’il est atteint. Elle peut donc survenir après une lente
migration. Toutefois, ce n’est pas la migration qui crée l’infraction,
mais l’entrée de la substance dans le milieu réglementé et le sol
traversé n’est pas une source. D’ailleurs, quant à la loi canadienne, il faut nécessairement retracer le parcours du rejet et
remonter à sa source, pour pouvoir incriminer le contrevenant379.
Pour ce qui est des substances naturellement présentes dans
l’environnement, le débat en France tourne autour de la possibilité qu’elles puissent être juridiquement considérées nuisibles,
vu qu’elles font partie du milieu. Dans les causes favorisant la
sanction du rejet, c’est l’intervention humaine qui est l’élément
déterminant380. Ces décisions ne s’écartent d’aucune manière du
principe voulant que ce soit l’activité ou l’installation qui soit la
source véritable, même si l’omission peut constituer une infraction quand une installation, par son fait autonome, souille l’environnement. Le rattachement à l’activité est également clair
lorsque ce sont des contaminants d’origine naturelle qui sont en
cause, comme le relargage de sédiments381.
5.4 Allemagne
En Allemagne, l’infraction de pollution se trouve dans le
Code pénal382. Par rapport au droit français, il offre davantage de
parallèles avec notre droit et le débat entourant leur application à
la migration est particulièrement intéressant. D’abord, ce code
contient des dispositions visant séparément la contamination des
sols et de l’eau. Pour les sols, c’est l’article 324a qui y pourvoit383.
379.
380.
381.
382.
383.
250
«La poursuite devra toutefois démontrer la trajectoire suivie par la substance
pour atteindre ces eaux.»: HALLEY, supra, note 149, p. 793.
GUIHAL, supra, note 212, ¶ 2872.
Ibid.
Strafgesetzbuch fédéral.
Ǥ 324a. Bodenverunreinigung.
(1) Wer unter Verletzung verwaltungsrechtlicher Pflichten Stoffe in den Boden
einbringt, einbringen läßt oder freisetzt und diesen dadurch
1. in einer Weise, die geeignet ist, die Gesundheit eines anderen, Tiere, Pflanzen
oder andere Sachen von bedeutendem Wert oder ein Gewässer zu schädigen,
oder
2. in bedeutendem Umfang verunreinigt oder sonst nachteilig verändert, wird
mit Freiheitsstrafe bis zu fünf Jahren oder mit Geldstrafe bestraft.
(2) Der Versuch ist strafbar.
(3) Handelt der Täter fahrlässig, so ist die Strafe Freiheitsstrafe bis zu drei
Jahren oder Geldstrafe.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
La disposition utilise le mot «introduire» («einbringen»), qui en soi
concorde avec l’idée que l’infraction de pollution vise fondamentalement le fait d’ajouter un contaminant à l’environnement.
Comme en France, pour l’eau, et en Amérique du Nord, pour la
pollution en général, la disposition sanctionne l’omission384. Elle
est complétée par l’article 326, qui régit le dépôt de déchets et vise
donc, dans une certaine mesure, la pollution du sol. On a vu que
certains se refusent à y voir une infraction continue, une fois le
contaminant dans l’environnement385. Toutefois, le droit allemand ne semble pas fixé, à en croire le commentaire suivant qui
touche l’article 326 sur le dépôt des déchets:
[TRADUCTION] Il y a en effet ici deux courants de pensée: les uns
qualifieraient l’art. 326 (1) StGB comme infraction continue, c.-à-d.
que même si l’action est complète avec l’enfouissement de déchets,
elle n’est toujours pas terminée tant que la source potentielle de
risque existe. Les autres voient au contraire dans l’article une
infraction ponctuelle qui est non seulement complète mais aussi
terminée avec le dépôt des déchets, puisque même si l’auteur a créé
cette situation illégale (condition préalable pour une infraction
continue), il ne la maintient toutefois pas intentionnellement. C’est
donc seulement selon la première conception que les «Altlasten» [=
sites orphelins] engendreraient une quelconque responsabilité
pénale, parce que selon la deuxième, lorsqu’on découvre le site, la
prescription est normalement depuis longtemps acquise. L’art.
324, entre autres, reste toutefois pertinent dans de telles situations, dans la mesure où le lixiviat ou d’autres contaminants provenant des déchets continuent d’être entraînés jusqu’à l’eau ou la
nappe phréatique même des années plus tard.386
384.
385.
386.
«[TRADUCTION] 324a. Pollution du sol
(1) Quiconque introduit des substances dans le sol, les laisse introduire, ou les
dépose, en violation d’une obligation du droit administratif, et ce faisant le
pollue ou l’influence d’une manière défavorable
1. d’une manière apte à endommager la santé d’autres personnes, des animaux,
des plantes, des eaux ou d’autres choses d’une valeur importante, ou
2. d’une manière importante est punissable d’une peine maximale de 5 ans
d’emprisonnement ou d’une amende.
(2) La tentative est punissable.
(3) Si l’auteur a agi par négligence, la peine maximale sera de 3 ans d’emprisonnement ou une amende.»
RUDOLPHI et HORN, supra, note 93, §324a: «Mit dem Einbringenlassen erfaßt
das Gesetz das Unterlassen der Abwendung einer drohenden Fremdstoffkontamination mit dem Boden seitens des Beschützergaranten (für Mensch oder
Umwelt) oder des Hütergaranten (für den Fremdstoff).» («Avec l’expression
«laisser entrer», le législateur vise par ailleurs l’omission de prévenir une contamination imminente du sol, de la part soit du garant de la santé des humains ou
de l’environnement en question, soit du gardien du contaminant»).
Supra, note 102.
MEINBERG, MÖHRENSCHLAGER et LINK, supra, note 93, p. 77: «Im
Zusammenhang mit den sog. Altlasten erlangt die Frage nach der Beendigung
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
251
Ce commentaire aborde la question du moment où l’infraction est accomplie et celle du changement de médium. Dans le
premier cas, le débat ressemble fort au nôtre et un jugement
allemand a considéré comme accomplie, et donc prescrite, une
infraction à l’article 326: «[TRADUCTION] Ce type d’infraction
est accompli avec la perpétration de l’acte et le risque en résultant,
non pas avec la réalisation possible de dommages futurs. Même si
ce risque dure longtemps, il ne s’ensuit pas que le commencement
de la prescription soit pour autant retardé»387. Dans le second cas,
la solution allemande se rapproche de la française, à savoir la
réglementation par milieu touché. On laisse entendre ici que, si les
substances dont le dépôt illégal serait prescrit percolaient dans le
sol pour atteindre une nappe phréatique, il y aurait alors infraction à l’article 324 du Code portant sur les eaux de surface et
souterraines, dont on a dit qu’il ne crée pas d’infraction continue388. Il ne semble pas que cette solution puisse être retenue
chez nous, d’abord parce que notre infraction de pollution est
générique, ensuite parce que, même là où le législateur a prévu
plus d’une possibilité, on y a vu une seule infraction389. Dans
Tricots Canada U.S.390, l’apparition de produits pétroliers dans la
389.
390.
des Delikts und damit dem Verjährungsbeginn (vgl. § 78a StGB) bei § 326 Abs. 1
StGB große praktische Bedeutung. Im wesentlichen werden hierzu zwei Meinungen vertreten: Die einen qualifizieren § 326 Abs. 1 StGB als Dauerdelikt,
das mit der Ablagerung des Abfalls zwar vollendet sei, bei dem aber
Tat-Beendigung nicht eintrete, solange das Gefährdungspotential des unerlaubt abgelagerten Abfalls noch vorhanden sei. Die anderen sehen die Vorschrift dagegen als Zustandsdelikt an, weshalb mit der Abfallentsorgung nicht
nur Vollendung, sondern auch Beendigung eintrete, da der Täter bei § 326 StGB
den von ihm geschaffenen rechtswidrigen Zustand, was für das Dauerdelikt
aber Voraussetzung sei, nicht willentlich aufrechterhalte. Auf die Altlastenproblematik angewandt, würde man nur nach der ersten Auffassung zu einer
Strafbarkeit gelangen, während nach der anderen Meinung regelmäßig (sofern
die Ablagerungen nur drei Jahre zurückliegen, vgl. § 78 Abs. 3 Nr. 5 StGB) im
Zeitpunkt der Entdeckung der Altlast bereits Verjährung eingetreten sein
dürfte. Verfolgbar bliebe ein solches Verhalten danach u. U. jedoch nach § 324
StGB, sofern flüssige Abfallstoffe oder Ausschwemmungen fester Stoffe über
das Deponieabwasser noch Jahre hindurch in Gewässer oder das Grundwasser
gelangen.»
Décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989, supra, note 102,
p. 512: «Bei diesen Delikten tritt mit der Begehung zugleich der Erfolg der Tat
ein, der in der eingetretenen Gefährdung, nicht in einer aus der Gefährdung
möglicherweise später erwachsenden Verletzung besteht. Auch wenn sich die
Gefährdung lange hinzieht, führt sie als ein durch die Tat verursachter Zustand
nicht zu einer Verzögerung des Verjährungsbeginns über das Ende der diesen
Zustand herbeiführenden Handlung hinaus.»
V. supra, p. 185. Il est à noter, cependant, que ces commentaires visent l’article
326 (dépôt illégal de déchets).
V. supra, p. 218.
Supra, note 55.
252
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
387.
388.
rivière n’a pas été vue comme une nouvelle infraction. La source,
celle sur laquelle le responsable devait agir, était la conduite
souterraine. Enfin, dans l’infraction à l’article 324 du Code pénal
allemand, relatif à l’eau, qui peut être subséquente à une infraction à l’article 326, relatif aux déchets, il n’y a rien qui soit incompatible, par exemple, avec l’affaire Laidlaw391. Le déchet peut
libérer des contaminants parce qu’il peut en contenir et en être la
source392.
En terminant, ajoutons que le droit allemand distingue,
d’une part, l’infraction pénale de causer une contamination et,
d’autre part, la responsabilité de nettoyer un site. Fondamentalement, on exige de «fermer le robinet» et de prévenir une pollution imminente. Pour les déchets, seul le responsable de
l’enfouissement initial commet une infraction, les possesseurs
subséquents n’entrant pas en ligne de compte, même si les risques
augmentent avec le temps. «[TRADUCTION] Considérer l’enfouissement de déchets comme étant une infraction continue
aurait pour conséquence, en pratique, l’annulation de la prescription dans de tels cas»393.
6. APPLICATIONS EN DROIT QUÉBÉCOIS
Ce survol confirme deux importantes règles: le choix des termes et le contexte de la loi restent indéniablement déterminants
pour juger si la migration est assimilée à la pollution; ensuite, le
souci d’éviter des conséquences aberrantes oriente les décisions
des tribunaux, qui s’appuient alors sur les fins recherchées par le
législateur. Les lois se lisent dans le contexte de leur économie
générale, en respectant leur finalité, leur cohérence et leur harmonie394. Assimiler migration et pollution aurait plusieurs conséquences douteuses. La contamination en provenance de tout site
orphelin passé dans le domaine public en rendrait l’État responsable. Les municipalités aux prises avec des friches industrielles
seraient dans la même situation et les administrations publiques
se retrouveraient ipso facto parmi les plus importants pollueurs
391.
392.
393.
394.
Supra, note 18.
Duchesne, supra, note 41.
LAUBENTHAL, supra, note 102, p. 515: «Interpretierte man auch die Begehungsmodalität des Ablagerns der Abfälle als Dauerdelikte, würde dies in solchen Fällen letzlich zu einem faktischen Verjährungsausschluß führen.»
Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais,
1990, p. 290, 302, 370.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
253
au Québec395. Il y aurait à n’en point douter matière à l’un des plus
retentissants recours collectifs de l’histoire de la Province396! Il est
difficile d’envisager que la branche législative de l’État ait voulu
pareil scénario. Autre exemple, l’acquéreur d’une résidence
découvre une fuite ancienne de mazout, qui atteint les eaux souterraines. Le voilà pollueur. Son obligation n’est plus de stopper la
contamination des eaux, mais de stopper aussi la migration des
eaux. «À l’impossible nul n’est tenu»397, mais l’argument financier
n’est hélas pas une défense acceptable en matière pénale, si par
ailleurs la solution existe. Dès lors, pour se soustraire à sa responsabilité pénale, s’il n’a pas les moyens financiers d’intervenir, le
propriétaire doit-il se défaire de son bien? C’est une dépossession
en bonne et due forme. Une autre conséquence redoutable est
l’abolition de la prescription. Même si le propriétaire stoppe la
migration, une partie des contaminants a pu continuer sa progression sans que le geste du prétendu contrevenant n’ait quelque
effet sur cette progression en aval398. Est-il alors perpétuellement
responsable? La responsabilité passe-t-elle entre les mains des
voisins en aval? Que dire des municipalités dont les conduites
souterraines servent de chemin préférentiel à la propagation? Le
législateur a-t-il voulu un tel résultat? A-t-il voulu frapper d’une
responsabilité pénale, du reste la plus sévère que contienne la
L.Q.E., une personne placée bien malgré elle dans cette situation?
Nous parlons de celui dont on affirme qu’il omet de tarir une
source de contamination qu’il aurait sous son contrôle ou sa garde
et qui commettrait ainsi par omission l’infraction de pollution,
imprescriptible dans ce cas, passible d’emprisonnement ou de
lourdes amendes pour chaque jour où elle se continue. C’est là
donner une portée excessive, voire abusive aux mots émettre,
déposer, dégager ou rejeter.
Dans toutes les juridictions consultées, assimiler migration
et infraction de pollution est loin d’être admis. On observe soit un
395.
396.
397.
398.
254
La L.Q.E., par l’effet de l’article 126, s’applique en effet au gouvernement, à ses
ministères et à ses organismes.
Pour une autorisation d’exercer un recours collectif en relation avec l’émission
souterraine d’un contaminant (en l’occurrence des biogaz) sous la garde de
l’intimé, voir Roberge c. Ville de Sherbrooke (8 octobre 1998), St-François
450-06-000001-986 (C.S.), M. le juge T. Toth, R.E.J.B. 98-8753 (il s’agit ici d’un
cas où des déchets constituent la source de l’émission d’un contaminant; il ne
s’agit pas d’un cas de terrain contaminé au sens strict).
Martin PAQUET rappelle «l’impossibilité relative devant laquelle ces personnes peuvent se retrouver, selon les circonstances», supra, note 3.
C’est le phénomène qui a notamment été observé dans l’affaire Bata, après que
les barils aient été enlevés et la surface du site ait été nettoyée, supra, note 35.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
refus d’assimiler les deux phénomènes, soit une grande hésitation
à le faire. Cette hésitation repose sur plusieurs facteurs importants, et tous recevables sous nos lois: la responsabilisation de la
victime, l’imprescriptibilité de l’infraction et la multiplication des
causes d’infraction, sans compter les résultats incohérents qu’une
portée excessive des dispositions peut entraîner. Là où le propriétaire d’un sol a été jugé responsable, le législateur en avait fait
explicitement le choix. Les décisions québécoises n’ont pas poussé
l’analyse aussi loin, l’État n’ayant pas soumis aux tribunaux des
cas patents de contamination migrante avec l’intention d’en faire
répondre un simple propriétaire ou gardien. Cela ne veut pas dire
que nos tribunaux n’aient jamais été confrontés à des situations
mettant en cause des contaminants en migration. Si aucune responsabilité n’a été attribuée à la migration, les décisions ne permettent pas de trancher de façon définitive la question. Elles n’en
ont pas traité. Il est révélateur toutefois que la question ne se soit
pas posée quand elle aurait pu être un moyen commode de
contourner les difficultés soulevées, comme dans Laidlaw399. De
plus, les décisions sont compatibles avec le refus de rendre responsable le simple propriétaire ou gardien. Quelques auteurs ont
abordé la question, notamment pour distinguer L.P.E.O. et
L.Q.E.400. Les différences, bien que souvent ténues, sont réelles et
chaque système de droit conserve son originalité et ses particularités dans ses solutions à ce problème.
6.1 Législatif
L’essentiel des dispositions touchant la contamination de
l’environnement se trouve dans la L.Q.E., mais quelques autres se
trouvent dans sa réglementation, et aussi dans des dispositions
réglementaires relevant d’autres lois401. Nous nous en tiendrons à
la L.Q.E. Ses dispositions sont attributives de responsabilité
pénale ou d’une responsabilité que nous avons qualifiée d’administrative, découlant directement de l’effet de la loi, indépendamment de toute infraction. Elle peut résulter d’un acte officiel,
généralement une ordonnance, ou de l’effet de la loi seule. Elle est
créatrice d’obligation, dont le défaut d’exécution expose à sanction
399.
400.
401.
Supra, note 18.
NADON et GRANDA, supra, note 15; McCARTY, supra, note 3; LUSSIER et
COBB, supra, note 220.
Voir, par exemple, la Loi sur les pesticides, L.R.Q. c. P-9.3, ou encore l’ancien
article 130 du Règlement sur les produits pétroliers, [U-1.1, r. 1].
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
255
pénale ou civile402. Si l’on ne s’en tient qu’à la seule lecture de la
L.Q.E., on recense plusieurs expressions qui pourraient hypothétiquement mettre en cause le propriétaire, le gardien403 ou
l’occupant d’un sol contaminé tant au plan pénal qu’administratif:
1) la personne qui émet, dépose, dégage ou rejette des contaminants dans l’environnement404;
2) celle qui le permet405;
3) la personne responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants406;
4) la personne responsable d’une source de contamination407;
5) la personne qui avait la garde ou le contrôle des contaminants408;
6) le propriétaire de contaminants déversés, émis, dégagés
ou rejetés409;
7) le propriétaire d’un sol où se trouvent des contaminants410;
8) le propriétaire ou l’occupant d’un sol qui tolère qu’on y
émette, dépose, dégage ou rejette des contaminants411.
Le législateur choisit ses cibles avec force nuances et s’abstient de viser une catégorie trop générale de personnes. La Loi les
atteint en les reliant à l’acte de pollution ou à leur statut juridique
par rapport aux contaminants ou au sol. La L.Q.E. doit se lire en
402.
404.
405.
406.
407.
408.
409.
410.
411.
La sanction pénale est celle du défaut d’agir, dans la mesure où l’omission constitue une infraction (c’est le cas de l’omission de se conformer à une ordonnance: art. 106.1, L.Q.E.); la sanction civile est généralement l’obligation aux
frais encourus par le ministre, lorsqu’il a dû agir en lieu et place du contrevenant.
On parle souvent des personnes ayant soit la garde, soit le contrôle de contaminants. Nous utiliserons ici le mot «gardien» pour désigner indistinctement ces
personnes, d’autant plus que la garde sous-entend un contrôle (sur ce dernier
point, voir BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162).
Art. 20, 31.42 et 31.43.
Art. 20.
Art. 115.1.
Art. 25 à 27, 31a), b), d) et g.1), 49, 49.1, 116.2 et 116.3.
Art. 114.1 et 115.1.
Art. 114.1.
Art. 31.49.
Art. 106.1, alinéa 2.
256
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
403.
permettant à ces dispositions de se compléter les unes les autres et
aussi en évitant des incohérences412. Hormis les cas du propriétaire des contaminants, de celui qui en avait la garde ou le
contrôle, ou du propriétaire d’un sol contaminé, toutes les autres
dispositions sont intimement liées à la libération413 des contaminants, même dans le cas d’une source de contamination, dont la
définition sous-entend une libération de contaminants. Nous
allons donc aborder séparément les dispositions qui impliquent
un phénomène de libération de contaminants et celles qui concernent plutôt le statut juridique d’une personne.
6.1.1
Les dispositions associées à la libération
de contaminants
Si la désignation d’éventuels responsables est variée dans la
L.Q.E. («responsable d’une source de contamination», «personne
ou municipalité qui avait la garde ou le contrôle» etc.), la nomenclature est rigoureusement uniforme pour la libération des contaminants. Dans ce cas, sauf exceptions414, on retrouve ensemble les
mots «émettre, déposer, dégager ou rejeter» ou leurs substantifs.
«[C]haque terme ne devrait avoir qu’un seul et même sens où qu’il
apparaisse dans la loi»415, sous réserve, ajoutons-nous, que les dispositions pourraient peut-être justifier un écart par rapport à
cette lecture ailleurs où on retrouve ces termes.
6.1.1.1
L’article 20 L.Q.E.
C’est dans l’acte énoncé à l’article 20 L.Q.E. que la libération
de contaminants apparaît dans son contexte le plus large. On vise
l’acte posé directement ou, par le mot «permettre», indirectement.
L’affaire Laidlaw a aussi montré que l’omission de tarir une
source était une pollution causée directement. L’article 20 interdit
de polluer tandis que 106.1 crée l’infraction et prévoit des sanctions. Les articles 66 et 108 les complètent. Des dispositions telles
412.
413.
414.
415.
CÔTÉ, supra, note 394, p. 287.
Par «libération», nous entendons indistinctement, au sens de la L.Q.E., «émission, dépôt, dégagement ou rejet».
Un seul de ces mots apparaît à l’article 66 (déposer), ce qui semble relié à la
nature d’un déchet et aux dispositions particulières de la section VII du chapitre
I de la L.Q.E. Un seul, également, se trouve dans la définition de «source de
contamination» (émettre). Cette dernière exception est plus difficile à expliquer.
L’article 114.1 substitue au mot «déposer», le mot «déverser», vu les circonstances particulières visées par cet article.
CÔTÉ, supra, note 394, p. 84.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
257
que l’article 8 du Règlement sur les matières dangereuses416 ou
l’article 55 du Règlement sur les déchets solides417 créent une
responsabilité analogue, encore que les matières qu’ils visent ne
soient pas automatiquement assimilables à des contaminants418.
Tant à l’article 20 qu’à l’article 106.1, le législateur a choisi les
mots émettre, déposer, dégager et rejeter ou leurs substantifs419.
Les mêmes apparaissent aux articles 25 à 27, 31 c) et d), 31.42 et
31.43, 117, créateurs d’une responsabilité administrative, et à des
articles tels que 22 et 31.11 (certificats et attestations). On notera
la parenté, mais non l’identité, des termes avec ceux utilisés par
d’autres juridictions, comme dans le CERCLA, le Code rural
français ou la L.P.E.O. Tant en droit ontarien qu’américain, les
tribunaux ont remarqué que les termes utilisés faisaient allusion
à un phénomène actif qui sous-entendait la contribution humaine.
Cette prémisse est également présente là où on a semblé rendre la
migration passible de sanctions. Ces cas mettaient tous en cause
quelqu’un à l’origine de l’introduction initiale du contaminant
dans l’environnement, tout comme dans Laidlaw d’ailleurs. La
sanction de la contamination migrante est apparue davantage
comme une volonté de faire échec à la prescription420.
Si, aux articles 20 et 106.1, ce sont le rejet, le dégagement,
l’émission ou le dépôt d’un contaminant qui sont en cause, peut-on
lire ces mots sans faire violence aux choix terminologiques du
législateur, sans compromettre ses objectifs et sans entraîner de
416.
417.
418.
420.
[Q-2, r. 15.2].
[Q-2, r. 3.2]; v. infra, Thibault Démolition, note 424.
Sur la différence entre déchet et contaminant, voir de l’auteur, «La gestion des
déchets», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 40 140 et, de
l’auteur également, sur la différence entre matière dangereuse et contaminant,
«Les dédales de la nouvelle réglementation sur les matières dangereuses», dans
Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit
de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 231-270, p. 248.
Art. 20 L.Q.E.: «Nul ne doit émettre, déposer, dégager ou rejeter ni permettre
l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet dans l’environnement d’un contaminant au-delà de la quantité ou de la concentration prévue par règlement du
gouvernement.
La même prohibition s’applique à l’émission, au dépôt, au dégagement ou au
rejet de tout contaminant, dont la présence dans l’environnement est prohibée
par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à
la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du
dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à
la faune ou aux biens.»
Art. 106.1 (2e alinéa) L.Q.E.: «Commet également une infraction qui le rend passible des mêmes peines, le propriétaire ou l’occupant d’un sol qui a connaissance
de l’émission, du dépôt, du rejet ou du dégagement d’un contaminant visé à
l’article 20 dans un sol dont il est propriétaire ou qu’il occupe et qui tolère cette
émission, ce dépôt, ce rejet ou ce dégagement.»
SAXE, supra, note 21.
258
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
419.
résultats excessifs? En anglais, la L.Q.E. nous éclaire déjà un peu
sur ce qui est visé. On ne trouve la préposition «in», ni à l’article 20,
ni à 106.1. Elle aurait pu inclure un phénomène se produisant
entièrement à l’intérieur de l’environnement, aussi bien que
depuis l’extérieur vers l’intérieur421. À l’article 20, on trouve
«into»422, indiquant que les mots émettre, déposer, dégager et
rejeter visent l’introduction initiale du contaminant, non son
déplacement ultérieur. À 106.1, le mot «on» («sur») rend le mot
français «dans», ce qui nous éloigne davantage de l’idée d’une
migration à l’intérieur même du sol423. Le législateur exprime un
mouvement de quelque chose vers autre chose, et non à l’intérieur
d’une même chose. Les définitions que nous donne Le Robert
dénotent toutes cette même idée424:
Émettre: Produire au-dehors, mettre en circulation, offrir au
public. Faire sortir de soi (un son). Projeter spontanément hors de
soi, par rayonnement (des radiations, des ondes).
Déposer: Poser (une chose que l’on portait).
Dégager: Laisser échapper (un fluide, une émanation).
Rejeter: Jeter425, porter ou mettre ailleurs. (En ôtant d’un lieu).
Ne plus vouloir de –.
Il faudrait voir le sol comme un contenant, comme une masse
isolée dont quelque chose peut ensuite sortir, pour lire les termes
émettre, déposer, dégager ou rejeter comme visant le mouvement
hors de cette masse. Mais, le sol n’est pas une masse isolée. Il n’y a
421.
422.
423.
424.
425.
V. supra, p. 234.
Art. 20 L.Q.E.: «No one may emit, deposit, issue or discharge or allow the emission, deposit, issuance or discharge into the environment of a contaminant in a
greater quantity or concentration than that provided for by regulation of the
Government. (italiques ajoutés)
The same prohibition applies to the emission, deposit, issuance or discharge of
any contaminant the presence of which in the environment is prohibited by
regulation of the Government or is likely to affect the life, health, safety, welfare
or comfort of human beings, or to cause damage to or otherwise impair the quality of the soil, vegetation, wildlife or property.»
Art. 106.1 (2e alinéa): «The owner or occupant of land who has knowledge of and
tolerates the emission, deposit, discharge or ejection of a contaminant referred
to in section 20 on land he owns or occupies is also guilty of an offence and is
liable to the same penalties.» (italiques ajoutés)
Analysant le sens du mot «déposer», la Cour supérieure a confirmé «l’intention
du législateur de s’en remettre au sens courant des termes.»: P.G. du Québec c.
Thibault Démolition ltée (23 novembre 1994), Hull 550-36-000024-941 (C.S.), M.
le juge J.-P. Plouffe.
Jeter signifie notamment «abandonner, rejeter comme encombrant et inutile».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
259
pas d’entités théoriques de sol se contaminant l’une l’autre. On ne
peut sans limites abstraites circonscrire dans le sol le lieu précis
d’où émanent des contaminants. Si un sol libère des contaminants, ce n’est que par une fiction le transformant en un contenant. Si par ailleurs le sol peut être un tel lieu, alors une rivière ou
une masse d’air polluée en est un autre. L’interprétation littérale
des mots «émettre, déposer, dégager ou rejeter» ne pose des difficultés que si l’on assimile ainsi le sol à un contenant ou à une source.
Il faut donc confronter le sens de ces mots avec les autres dispositions pour en déduire la portée véritable. «Toute disposition d’une
loi, qu’elle soit interprétative, prohibitive ou pénale, est réputée
avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer
quelque avantage», nous rappelle le législateur426. Encore faut-il
rester cohérent avec les autres dispositions de la loi utilisant les
mêmes termes et distinguer les termes différents qu’on y trouve.
Fort heureusement, la grande uniformité terminologique décrivant la libération de contaminants permet une analyse beaucoup
plus précise que si ces termes n’apparaissaient que dans un ou
deux articles. Pour des termes au sens très général, l’exercice est
particulièrement utile et instructif427.
6.1.1.2
Les articles 114.1 et 115.1
La L.Q.E. distingue les contaminants déversés, émis, dégagés
ou rejetés de ceux qui se répandent ou se propagent. Ce choix n’est
pas anodin et est étonnamment cohérent et conséquent. C’est
l’article 114.1 qui fait cette distinction428, article que nous avons
comparé aux dispositions du CERCLA429. Des termes différents
signifient généralement des choses différentes430. Les décisions
426.
427.
429.
430.
Loi d’interprétation, L.R.Q. c. I-16, art. 41.
CÔTÉ, supra, note 394, p. 291: «Les expressions générales sont particulièrement sensibles à l’influence de leur environnement légal. Premièrement,
quelque généraux que soient les termes employés par le législateur, les exigences de cohérence et d’harmonie interne du texte pourront justifier la restriction
de la portée de ces expressions.»
Art. 114.1 L.Q.E.: «Lorsqu’il estime qu’il y a urgence, le ministre peut ordonner à
toute personne ou municipalité qui est propriétaire de certains contaminants ou
qui en avait la garde ou le contrôle, de ramasser ou d’enlever tout contaminant
déversé, émis, dégagé ou rejeté dans l’eau ou sur le sol, accidentellement ou contrairement aux dispositions de la présente loi ou des règlements du gouvernement et de prendre les mesures requises pour nettoyer l’eau et le sol et pour que
ces contaminants cessent de se répandre ou de se propager dans l’environnement.» (italiques ajoutés)
DAIGNEAULT, supra, note 75.
CÔTÉ, supra, note 394, p. 313.
260
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
428.
américaines, face à une terminologie analogue mais non identique, ont constaté que des termes différents servaient à distinguer les phénomènes en cause. Dans le CERCLA, la lixiviation
(«leaching») n’apparaît pas dans la longue énumération de «disposal», mais plutôt dans celle de «release»431, le phénomène lié à la
présence de substances dangereuses dans l’environnement. Le
législateur sait par quel terme désigner la propagation des contaminants, et ne l’utilise pas pour décrire le «disposal».
Sur ce plan, 114.1 est très révélateur. Le premier groupe de
termes, dans cet article, vise les contaminants introduits dans
l’environnement à la suite d’un «disposal», les seconds ceux qui
migrent à l’occasion d’un «release»432. La libération des contaminants y est présentée comme un fait accompli. Les mots sont au
passé. Pourtant, du même souffle, le législateur parle de mesures
requises pour que ces contaminants «cessent» au présent de se
propager. Il ne s’agit pas d’éviter une propagation, mais de la faire
cesser. On s’intéresse au phénomène au moment où il a cours,
montrant que le législateur conçoit très bien qu’un contaminant
puisse avoir été libéré (fait accompli, utilisation du participe
passé) et néanmoins continuer de se déplacer (fait continu, utilisation de l’infinitif présent). Le déplacement subséquent est distinct
de la libération même du contaminant. Assimiler ces notions créerait au contraire une incohérence. Par exemple, l’article 26433: si
114.1 s’applique quand le ministre estime qu’il y a urgence, 26
s’applique s’il perçoit un danger immédiat. Le ministre peut alors
ordonner que cesse la libération de contaminants, comme 114.1
lui permet de faire cesser leur propagation. Or, 26 est susceptible
d’appel, et non 114.1. L’article 26 ne vaut que pour 30 jours, l’autre
n’a pas cette limite. Si le gardien ou propriétaire d’un terrain était
gardien des contaminants qui migrent, les deux dispositions
auraient des objets identiques, mais l’une offrirait un recours à la
personne visée et l’autre non, l’une aurait une durée limitée,
l’autre indéterminée.
431.
432.
433.
Supra, notes 49 et 89.
Supra, note 75, p. 1038-1040.
Art. 26 (1er alinéa): «Toutefois, le ministre peut, sans préavis mais pour une
période d’au plus 30 jours, ordonner au responsable d’une source de contamination, de cesser ou de diminuer dans la mesure qu’il détermine, l’émission, le
dépôt, le dégagement ou le rejet d’un contaminant lorsqu’à son avis il en résulte
un danger immédiat pour la vie ou la santé des personnes ou un danger de dommage sérieux ou irréparable aux biens.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
261
Un autre article, 115.1434, aussi comparé au CERCLA, parle
au passé des contaminants «émis, déposés, dégagés ou rejetés». Il
autorise le ministre à prendre des mesures pour «éviter ou diminuer un risque de dommage». Sans doute, les contaminants qui se
meuvent sont plus problématiques que ceux qui sont stables435. Si
donc l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants visaient leur simple mouvement, on comprendrait mal
pourquoi la Loi les désigne au passé. L’examen de l’article 114.1
révèle une distinction entre le contaminant qu’on libère et celui
qui se répand ou se propage et 115.1 la confirme. Dans le même
article, on autorise le ministre à prendre des mesures pour «contenir» des contaminants libérés et pour «prévenir» qu’ils ne le
soient. Si migration vaut libération, alors «contenir» et «prévenir»
sont pure redondance. Prévenir une propagation, c’est la contenir.
Par contre, si libérer des contaminants consiste à les introduire,
on évite cette redondance L’expression «responsable de l’émission,
du dépôt, du dégagement ou du rejet [des contaminants]» à 115.1
vise la même personne qu’à l’article 20. Ces articles utilisent les
mêmes termes et la responsabilité peut émaner des divers modes
de commission de l’acte répréhensible, à savoir le geste positif,
l’omission telle que décrite dans Laidlaw, et la permission, telle
qu’expressément prévue à l’article 20. L’article 115.1 ne va donc
pas au-delà de l’article 20. Nos commentaires sur ce dernier
concernent tout aussi bien 115.1. En d’autres termes, pour que le
ministre puisse réclamer ses frais, il doit établir qu’une personne
a elle-même introduit les contaminants dans l’environnement, ou
qu’elle a omis d’en prévenir l’introduction alors qu’elle en avait le
devoir et le pouvoir. L’introduction en cause est nécessairement la
libération décrite au premier alinéa de 115.1, puisque c’est cette
libération actuelle ou éventuelle, associée aux dommages ou aux
434.
435.
Art. 115.1 L.Q.E.: «Le ministre est autorisé à prendre toutes les mesures qu’il
indique pour nettoyer, recueillir ou contenir des contaminants émis, déposés,
dégagés ou rejetés dans l’environnement ou susceptibles de l’être ou pour prévenir qu’ils ne soient émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement
lorsque, à son avis, ces mesures sont requises pour éviter ou diminuer un risque
de dommage à des biens publics ou privés, à l’homme, à la faune, à la végétation
ou à l’environnement en général.
Le ministre peut, en la manière de toute dette due au gouvernement, réclamer
les frais directs et indirects afférents à ces mesures de toute personne ou municipalité qui avait la garde ou le contrôle de ces contaminants et de toute personne
ou municipalité responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet
des contaminants, selon le cas, que celle-ci ait été ou non poursuivie pour infraction à la présente loi. La responsabilité est solidaire lorsqu’il y a une pluralité de
débiteurs.» (italiques ajoutés)
United States of America v. Pesses, supra, note 142.
262
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
risques qui en résulteront, qui permet au ministre d’intervenir. Il
s’agit d’une introduction dans l’environnement, et la version
anglaise de l’article 115.1, comme pour l’article 20, utilise la
préposition «into».
6.1.1.3
Les articles 31.42 et 31.43
Élargir le sens des termes émettre, déposer, dégager et rejeter
ferait aussi échec au principe du pollueur-payeur lancé en 1990436.
Codifié aux articles 31.42 à 31.45 L.Q.E., il vise celui qui est à
l’origine de la présence des contaminants dans l’environnement,
celui qui les y a émis, déposés, dégagés ou rejetés. En visant tout
autant la migration que l’introduction initiale du contaminant, les
articles 31.42 et s.437 ne distingueraient plus le pollueur originaire
436.
437.
Supra, note 161; l’article 115, qui existe dans la L.Q.E. depuis 1972, est aussi, à
sa façon, une expression du principe du pollueur-payeur: «Dans tous les cas où
un contrevenant a été déclaré coupable d’une infraction à la présente loi, le
ministre peut, aux frais du contrevenant, prendre les mesures nécessaires pour
remettre les choses dans l’état où elles étaient avant que la cause de l’infraction
ne se produise.»
L’inconvénient de cet article est d’être limité aux conséquences de l’acte pour
lequel une personne est jugée coupable. Si l’infraction ne vise qu’une journée, les
mesures ne devraient alors viser que les conséquences de la pollution causée ce
jour-là. Plus récemment, l’article 109.1.1 a été introduit pour permettre à un
juge d’un tribunal pénal d’imposer au contrevenant la remise en état des lieux. Il
comporte la même limite d’application que l’article 115.
Art. 31.42 L.Q.E.: «Le ministre peut, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire
qu’un contaminant est présent dans l’environnement dans une quantité ou une
concentration supérieure à celle établie par règlement adopté en vertu du paragraphe a) de l’article 31.52, ordonner à quiconque y a émis, déposé, dégagé ou
rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990, de
lui fournir une étude de caractérisation de l’environnement, un programme de
décontamination ou de restauration de l’environnement décrivant les travaux
visant à décontaminer ou à restaurer l’environnement et un échéancier de la
réalisation de ces travaux.
Le ministre peut également, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’est
présent dans l’environnement un contaminant dont la présence y est prohibée
par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à
la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du
dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à
la faune ou aux biens, rendre une ordonnance au même effet à l’égard de quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et
ce, même avant le 22 juin 1990.
L’ordonnance contient l’énoncé des motifs du ministre et le délai dans lequel doivent lui être fournis les documents. Elle prend effet le seizième jour qui suit celui
de sa notification ou à toute date ultérieure que le ministre y indique.
Dans les soixante jours de la réception des documents, le ministre approuve,
avec ou sans modification, les travaux de décontamination ou de restauration
projetés et l’échéancier de leur réalisation. Le responsable visé dans l’ordonnance doit, à la demande du ministre, lui fournir dans le délai qu’il fixe tout
renseignement, toute recherche ou toute étude dont il estime avoir besoin pour
accorder son approbation.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
263
du propriétaire actuel. Faire de la victime un pollueur dès qu’elle
fait face à la migration des contaminants438 et la «Loi du
pollueur-payeur» n’est plus que la «Loi de la victime-payeuse». Dès
lors que les contaminants migrent à peu près toujours, il n’y aurait
plus de différence entre l’auteur d’une pollution primaire et de la
«pollution secondaire» qui en découle (encore qu’«auteur» est pour
le moins inapproprié dans ce cas). Vu les conclusions de l’affaire
Laidlaw, où omission équivaut à commission lorsqu’une personne
ne tarit pas la source sous sa garde439, alors le propriétaire du terrain contaminé serait réputé libérer lui-même les contaminants
au sens des articles 31.42 et 31.43 L.Q.E. Celui qui aurait appliqué
des mesures de confinement pour «tarir» la prétendue source
pourrait malgré tout se voir obligé quant aux terrains voisins en
tant que pollueur de ces terrains. Par ordonnance, il serait requis
d’exécuter un programme de décontamination de l’«environnement» voisin contaminé par son terrain. Paradoxalement, il ne
pourrait pas être tenu de décontaminer le sien parce que, dans cet
exemple, il n’en serait pas lui-même le pollueur. Nouveau résultat
aberrant: la prétendue source resterait hors d’atteinte. Seules ses
conséquences accomplies seraient visées.
6.1.1.4
Le responsable de la source de contamination
La notion de source de contamination selon la L.Q.E. reste
concordante avec la distinction faite entre l’introduction du contaminant et sa migration. La définition utilise un seul verbe,
439.
Le responsable visé dans l’ordonnance doit alors exécuter ces travaux conformément à l’échéancier, tels qu’ils ont été approuvés.» (italiques ajoutés).
Art. 31.43 (1er alinéa) L.Q.E.: «Le ministre peut, lorsqu’il constate la présence
d’un contaminant dans l’environnement dans une quantité ou une concentration supérieure à celle établie par règlement adopté en vertu du paragraphe a)
de l’article 31.52, ordonner à quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le
contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990, de le ramasser, de l’enlever, de le recueillir ou de le neutraliser et de prendre toutes les
mesures qu’il lui indique pour décontaminer ou restaurer l’environnement.»
(italiques ajoutés)
C’est exactement le cas des propriétaires de terrains résidentiels dans le voisinage immédiat d’une compagnie qui recyclait des accumulateurs au plomb, à
Saint-Jean-sur-Richelieu; la contamination du voisinage par le plomb avait provoqué des cas de saturnisme chez de jeunes enfants; ces propriétaires victimes
auraient tous, selon l’interprétation large, permis la libération de contaminants
dans l’environnement à partir de leurs propres terrains où s’étaient d’abord
déposés les contaminants, qui ont ensuite été absorbés par les enfants; si la compagnie était responsable de la contamination initiale, les propriétaires du voisinage devenaient responsables de la contamination secondaire selon la même
interprétation.
Supra, note 18.
264
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
438.
«émettre». L’absence des autres, déposer, dégager ou rejeter, n’empêche pas ici d’y voir le même type de phénomène qu’à l’article 20.
Par l’article 25 en effet440, le responsable d’une source de contamination441 peut être contraint de limiter ou cesser non seulement
l’émission, mais aussi le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants. Même si seul émettre est utilisé dans la définition, on
ne peut ici le lire comme excluant les autres termes de la série
habituelle. Le mot aurait alors une connotation plus large. On
peut en tirer une conclusion encore une fois concordante avec
l’idée d’introduction des contaminants dans l’environnement.
Plus que les autres termes, émettre suppose un mouvement hors
d’une chose vers une autre: «produire au dehors, faire sortir de soi,
projeter hors de soi»442. Il y a émission lorsqu’un contaminant sort
d’un état de chose ou s’il est produit par une activité, et elle se fait
vers l’environnement lorsque le contaminant s’échappe ensuite
vers le milieu récepteur. Et l’état de chose ou l’activité en constitue
la source. Dans ces conditions, si l’article 20 vise l’introduction du
contaminant, alors, in pari materia, la «source» de contamination
est «toute activité ou tout état de chose» qui introduit un contaminant dans l’environnement, en parfait concordance avec l’arrêt
Laidlaw.
L’économie générale de la L.Q.E. et les interrelations entre
ses dispositions confirment qu’une source de contamination est
extérieure à l’environnement. La L.Q.E. contient des dispositions
préventives, curatives et prohibitives. Les dispositions curatives
expriment au passé la libération de contaminants. La disposition
prohibitive par excellence, quant à cette même libération, est
l’article 20. Les mesures préventives concernent les sources actives ou potentielles de contamination (les articles 22, 25, 26, 27 et
31.11 et s.). Elles concordent avec une source vue comme extérieure
à l’environnement. De même, l’article 70.1 prévoit que c’est l’activité exercée relative aux matières dangereuses qui peut être une
source de contamination (la virgule qui suit les mots «matière
440.
441.
442.
Art. 25 (1er alinéa) L.Q.E.: «Lorsqu’il constate la présence dans l’environnement
d’un contaminant visé à l’article 20, le ministre peut ordonner au responsable de
la source de contamination de cesser définitivement ou temporairement ou de
limiter, selon les conditions qu’il impose, l’émission, le dépôt, le dégagement ou le
rejet de ce contaminant.» (italiques ajoutés)
«[L]e terme «responsable» pourrait être interprété comme incluant, aux fins du
pouvoir d’ordonnance de l’article 25, celui qui a «permis» le rejet d’un contaminant au sens de l’article 20 de la L.Q.E.»: LUSSIER et COBB, supra, note 220,
p. 308 (note 54).
V. supra, p. 259.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
265
dangereuse» le montre bien)443. Si un sol contenant une matière
dangereuse pouvait être, aux yeux du législateur, une source de
contamination, l’article 70.1 en aurait tenu compte et aurait été
rédigé autrement.
Parmi les mesures préventives, l’article 22 est instructif.
Mesure préventive par excellence, il assure le contrôle des sources
potentielles de contamination. C’est «le pendant nécessaire de
l’article 20 de la loi»444. Il vise le fait:
• d’ériger une construction;
• de la modifier;
• d’entreprendre:
– l’exploitation d’une industrie quelconque;
– l’exercice d’une activité;
– l’utilisation d’un procédé industriel;
• d’augmenter la production d’un bien ou d’un service;
lorsque peut en résulter la libération de contaminants ou une
modification à la qualité de l’environnement. Il illustre on ne peut
plus clairement ce que veut prévenir le législateur: la pollution
causée par ceux qui posent des actes ou créent des situations à risque. Il se donne deux moyens fondamentaux, l’un préventif, 22,
l’autre prohibitif, 20445. Voilà les sources de contamination, dans
son esprit, et d’autres dispositions le confirment. Tout comme le
CWA américain vise les «point sources», le législateur québécois a
démontré que la libération d’un contaminant se fait depuis un
point, un endroit précis. Ainsi, le demandeur d’un certificat d’autorisation doit indiquer les «points d’émission, de rejet, de déga443.
444.
445.
266
Art. 70.1 (2e alinéa): «L’ordonnance peut consister notamment à faire cesser,
temporairement ou définitivement, l’exercice d’une activité relativement à une
matière dangereuse, susceptible d’être une source de contamination.» (italiques
ajoutés)
Martin PAQUET, «Les contrôles de l’administration», dans DAIGNEAULT et
PAQUET, supra, note 3, ¶ 45 120.
Granicor, supra, note 209: «[L]a loi tend à exercer un contrôle sur l’esprit
humain, sur son libre arbitre et sur son activité industrieuse et raisonnée. [...] Si
on lit l’article 20 en tenant compte de l’article 22, il est permis d’affirmer que les
interdictions et les prohibitions y contenues touchent ce qui découle d’une activité, d’une industrie, d’une opération, d’un exercice quelconque. Tout texte législatif doit s’évaluer à la lumière de la raison et du bon sens.» (italiques ajoutés)
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
gement ou de dépôt dans l’environnement»446 (italiques ajoutés),
tout comme la demande d’attestation d’assainissement447. Le
contenu d’une attestation est au même effet. Du reste, une lecture
complète du régime des attestations d’assainissement, tant dans
la L.Q.E. que dans la réglementation, n’est cohérente qu’avec la
notion de source extérieure à l’environnement. Par exemple, si
31.16 L.Q.E. permet au ministre d’ordonner que cesse la libération de contaminants, l’article 31.11, qui en prohibe la libération,
ne vise que ceux qui proviennent «de l’exploitation d’un établissement industriel» (italiques ajoutés). Clairement, l’introduction
de contaminants se fait, dans l’esprit du législateur, à partir de
points précis, nécessairement des installations ou des activités
d’où s’échappent les contaminants, exactement comme dans la
définition américaine de «point source»448.
Prétendre que l’environnement lui-même est une source est
inconciliable avec ces dispositions à caractère préventif touchant
justement les sources. De plus, l’article 25 rendrait redevables
toutes les personnes responsables des «environnements» à travers
lesquels se propagent des contaminants, résultat particulièrement injuste, surtout par la gravité de la peine imposée, sans
compter qu’on multiplie ainsi les infractions là où, si elles avaient
été le lot d’un seul et même «auteur», il n’y en aurait eu qu’une
seule. De plus, même dans son sens ordinaire, le mot «source» ne
peut s’interpréter de la sorte. Soulignons enfin qu’avec ce raisonnement, par un simple confinement, un terrain ne serait plus une
source tandis que les terrains non protégés tout autour et contaminés par le premier continueraient vraisemblablement à
propager plus loin leurs contaminants. S’agirait-il désormais
d’autant de sources secondaires? De nouvelles mesures de confinement ne feraient que reporter plus loin le problème, créant à
l’extrême un territoire où les sols seraient tous isolés dans des
membranes. Plus de source mais un environnement exactement
dans le même état. L’article 25, visant le responsable d’une source
de contamination, se prête très mal aux terrains contaminés, tout
simplement parce qu’il n’a pas été conçu pour cela449.
446.
447.
448.
449.
Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement,
[Q-2, r. 1.001], art. (8).
En vertu des articles 31.16 et 31.17 L.Q.E.
V. supra, note 105.
«[Ê]tre propriétaire d’un sol sans avoir participé directement ou indirectement
ne suffit pas.»: LUSSIER et COBB, supra, note 220, p. 308 (note 54).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
267
6.1.2
Les dispositions associées au statut juridique
de la personne en cause
S’il n’est pas allé aussi loin que les juridictions voisines, le
législateur québécois s’est écarté un peu du cadre strict visant le
pollueur pour désigner nommément certaines personnes selon
leur statut juridique à l’égard du sol ou des contaminants. Essentiellement, ces statuts sont la garde ou le contrôle de contaminants
(114.1 et 115.1), la propriété des contaminants (114.1), ainsi que la
propriété (31.46 à 31.50, 106.1 al.2) ou l’occupation d’un sol (106.1
al.2). La propriété et l’occupation du sol ne posent pas de problème. Par contre, la propriété des contaminants ne s’établit pas
aussi facilement. Il en est de même de leur garde ou contrôle.
6.1.2.1
La propriété du sol, son occupation
Les articles 31.46 à 31.50 et 106.1, alinéa 2, identifient
nettement leur cible. Le cas le plus simple est celui des articles
31.46 et ss. Ils visent le propriétaire d’un sol où des contaminants
sont présents en concentrations excédant des normes réglementaires. Le texte est clair. Bien que non en vigueur, ces dispositions
n’en sont pas moins révélatrices. D’abord, contrairement aux articles 31.42 à 31.45, il n’est question que de sol, non de l’environnement au sens large. Le législateur nous montre, en choisissant
le mot «sol» uniquement, sans parler de l’eau, qu’il ne se soucie pas
tant du mouvement des contaminants que de leur présence. Ce
n’est donc pas la migration qui est en cause ici. Un sol, un
propriétaire, des contaminants excédant un seuil, voilà les ingrédients nécessaires, mais le propriétaire ne sera obligé que s’il
entreprend certains travaux ou change l’usage du sol. Autrement,
l’état peut perdurer. Cela contribue à illustrer l’incohérence d’une
responsabilité associée à la migration. Avec le mouvement des
contaminants, le propriétaire deviendrait responsable d’une prétendue source et pourrait être sujet à une ordonnance en vertu de
25 ou 26 L.Q.E., obligation qui se résumerait toutefois à limiter ou
faire cesser la libération des contaminants, non de décontaminer450. En vertu des articles 31.46 et ss., la seule présence en excès
des normes suffirait à forcer la décontamination lors des travaux
ou du changement d’usage, alors que le mouvement des contami450.
C’est ce qui s’est d’ailleurs produit dans le cas de la compagnie Balmet Canada
Inc., où une ordonnance rendue en vertu de l’article 26 L.Q.E. exigeait, comme
mesure d’urgence, que soit asphaltée la surface du terrain pour éviter que ne se
répande la poussière chargée de plomb: Balmet Canada Inc. c. Ministre de
l’Environnement (1989), 6 C.M.Q. 726.
268
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
nants n’entraînerait que l’obligation de le stopper. En d’autres
termes, la situation la plus préoccupante entraînerait la mesure
la moins radicale. Une lecture parallèle des articles 31.46 et ss. et
d’un autre confirme la distinction. Le deuxième alinéa de l’article
126 soustrait l’État à ces articles, de sorte que le dépassement des
seuils dans le sol d’une terre de l’État ne permettrait pas au
ministre de l’Environnement d’inscrire un avis contre cette terre.
Comme les articles 31.42 à 31.45 ne sont pas visés par 126, le
dépassement des seuils dans les lots voisins contaminés par les
terrains de l’État donnerait ouverture contre lui à une ordonnance
de décontamination des lots voisins! Pas de décontamination
forcée de la prétendue source, donc, à cause de 126, mais décontamination forcée des lots voisins. Encore une fois, cette
interprétation aboutit à des résultats absurdes.
Si la migration des contaminants n’est pas pertinente aux
articles 31.46 et s., il en est tout autrement du deuxième alinéa de
106.1. Il fait partie de ce qu’on appelle «les amendements
Laidlaw»451, commentés par divers auteurs, notamment au sujet
de la question de la tolérance452. On a la même terminologie que
pour l’infraction de pollution, mais cette disposition révèle encore
une fois que la libération des contaminants se produit lors de leur
introduction dans l’environnement depuis une source extérieure.
Si 106.1 vise le même phénomène que l’article 20, le propriétaire
ou l’occupant ne doivent pas tolérer, dès qu’ils en ont connaissance, que l’on introduise des contaminants dans ce sol. Même
terminologie, mêmes concepts. On évite d’ailleurs des résultats
qui seraient autrement pour le moins inéquitables. De stopper
l’introduction d’un contaminant depuis une source extérieure est
certainement accessible au propriétaire ou à l’occupant. Mais de
stopper sa migration est une tout autre affaire.
Présentée et adoptée dans les semaines suivant l’acquittement en première instance des Services environnementaux
Laidlaw (Mercier) ltée453, la disposition s’interprète facilement à
451.
452.
453.
Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement, L.Q. 1992, c. 56, art. 14.
Jean PIETTE, «Les faits marquants de la jurisprudence de la dernière année en
droit de l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du Québec,
Développements récents en droit de l’environnement (1996), 219-238, p. 222;
NADON et GRANDA, supra, note 15; PAQUET, supra, note 3.
P.G. du Québec c. Services environnementaux Laidlaw (Mercier) Ltée
(8 décembre 1992), Beauharnois 760-27-000085-920 (C.Q.), M. le juge M. Mercier, J.E. 93-105 (c’est cet acquittement, confirmé en Cour supérieure, qui a été
infirmé par la Cour d’appel dans le jugement Laidlaw discuté tout au long de ce
texte, supra, note 18); l’amendement législatif a fait partie du Projet de loi 61
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
269
la lumière des faits de la cause et la lecture qu’en avait alors faite
la Cour du Québec: des barils avaient été enfouis à une date
lointaine et Laidlaw semblait échapper à toute responsabilité,
parce que l’infraction de dépôt était prescrite, ou que ce n’était pas
Laidlaw elle-même qui les y avait enfouis, mais son prédécesseur.
Bien que Laidlaw fut ensuite condamnée, ce que le législateur
appréhendait peut encore se produire. Si des barils étaient découverts, mais sans que leur propriétaire ou l’auteur du dépôt ne
puissent être identifiés, le propriétaire ou l’occupant des lieux,
informé d’une fuite, aurait à en répondre s’il la tolérait pour
l’avenir. Son obligation ne serait pas nécessairement de retirer les
barils, quoique d’autres règles pourraient s’appliquer454, mais de
stopper l’écoulement, de ne pas tolérer l’émission, le dépôt, le
dégagement ou le rejet des contaminants hors des barils vers le
sol. Par contre, enrayer la progression du panache de contamination n’a aucune commune mesure. Le législateur a ici contourné la
difficulté qui se présente lorsque des biens sans maître laissent
échapper des contaminants. Il peut aussi contrer la libération de
contaminants depuis une installation de surface. Si le responsable
de l’installation néglige de le faire, le propriétaire du sol pourrait
devoir en répondre. Cette interprétation, la seule à notre avis qui
continue de donner un sens utile à la disposition depuis le renversement du jugement ayant acquitté Laidlaw, viendrait confirmer
que le propriétaire ou l’occupant n’a pas la garde ou la propriété
des res derelictae situées dans son sol et une disposition spéciale
est nécessaire pour les rendre malgré tout responsables des
dégâts d’une source clandestine.
En incluant la migration, la situation se complexifie indûment. D’abord, le propriétaire ou l’occupant sont aux prises avec
un fait accompli. Comment alors ne pas être réputés le tolérer? Ils
sont dans la situation de la victime considérée pollueuse, avec les
mêmes conséquences pénales. Pour les mêmes raisons que l’arti-
454.
270
(34e législature, 2e session), qui avait été présenté en chambre le 3 décembre
1992, c’est-à-dire cinq jours avant le jugement; des articles supplémentaires
avaient alors été rapidement introduits au projet de loi, dont l’article 14, destiné
à ajouter le second alinéa à l’article 106.1 L.Q.E.
L’article 70.8 L.Q.E., par exemple, interdit d’avoir en sa possession une matière
dangereuse pour plus de 12 mois sans une autorisation expresse. Les articles
144 et s. du Règlement sur les matières dangereuses, [Q-2, r. 15.2], imposent des
mesures de remise en état de l’environnement, dans le cas des lieux de dépôt
définitif de matières dangereuses qui, notamment, ont été fermés. L’article 134
du Règlement sur les déchets solides, [Q-2, r. 3.2], oblige celui qui a la garde de
terrain de prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit libre de déchets en
tout temps.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
cle 20 ne peut avoir cette conséquence, le deuxième alinéa de
l’article 106.1 ne le peut pas non plus. La lecture contraire
entraînerait aussi un autre résultat douteux en culpabilisant le
voisin du terrain en cause. En effet, si les contaminants migraient
vers un terrain adjacent et que son propriétaire ou occupant en
était informé, ce voisin serait alors réputé tolérer la libération des
contaminants dans son sol455. L’article 106.1 rendrait coupables
les victimes en aval du point d’introduction du contaminant dans
l’environnement. Il est difficile d’imaginer plus grande injustice.
Comme la Politique de protection et de réhabilitation exige d’un
propriétaire qu’il informe son voisin dès que la contamination a
atteint le terrain de ce dernier456, il y aurait là un effet particulièrement pervers en donnant au voisin la connaissance qui
l’exposerait ensuite à l’article 106.1. Enfin, en refusant de considérer que 106.1 vise la migration, on reste concordant avec
l’usage du mot «on» en anglais et avec les faits de l’affaire Laidlaw
à l’origine de la disposition. Comme le révèle le jugement final,
c’est un cas de pollution classique, non un cas de sol contaminé
d’où ont migré des contaminants.
6.1.2.2
Propriété, garde ou contrôle des contaminants
«En tant que propriétaire d’un terrain, vous devez assumer
la garde des contaminants qui s’y trouvent». C’est la formule
consacrée du ministère de l’Environnement dans ses instructions
aux propriétaires de terrains contaminés. Si un contaminant est
une chose susceptible de garde457, la question est plutôt de savoir
comment s’acquiert la garde ou la propriété du contaminant
répandu. Nous ne l’aborderons pas in abstracto. Deux dispositions, en effet, visent expressément le gardien de contaminants,114.1 et 115.1. Une seule vise leur propriétaire, 114.1. Les
auteurs Baudouin et Deslauriers nous enseignent que la propriété
fait présumer la garde458, mais que celle-ci peut aussi être transférée. Il ne s’agit pas ici de la propriété du sol, mais de celle du
contaminant. Vu ce lien entre garde et propriété, nous allons examiner en premier lieu le cas du propriétaire. Selon le Code civil, la
455.
456.
457.
458.
«With knowledge comes control»: John SWAIGEN, «Case Comment – R. v.
Columbia Bitulithic Ltd. (8 C.E.L.R. (N.S.) 7) and R. v. Rivtow Straits Ltd.
(8 C.E.L.R. (N.S.) 16)», (1992) 8 C.E.L.R. (N.S.) 23, p. 27.
Supra, note 1, § 6.1.2.1 (¶ 2 534).
Roberge, supra, note 396.
BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 791; voir aussi Gagné,
supra, note 221 et P.G. du Québec c. Lévy (16 mars 1994), Longueuil 50505-001693-909 (C.S.), M. le juge G. Mercure, J.E. 94-587.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
271
propriété se perd par l’abandon et celle des biens sans maître
s’acquiert par l’occupation volontaire. Les contaminants qui
migrent sont des meubles. Journaux ou autres détritus poussés
sur la propriété d’une personne n’en deviennent pas pour autant
sa propriété. La neige soufflée sur une propriété ne rend pas le
propriétaire des lieux propriétaire du sel au printemps. Les règles
du Code civil ne permettent pas d’imposer de la sorte la propriété
et la L.Q.E. ne peut rendre responsables les victimes malgré elles.
De la même façon, l’acquisition d’une propriété immobilière n’entraîne pas automatiquement l’acquisition des biens meubles qui
s’y trouvent. L’acheteur pourrait forcer l’ancien propriétaire des
lieux à les reprendre. À 114.1, le propriétaire de contaminants
déversés qui doit les ramasser ne peut être que le propriétaire de
ces contaminants avant le déversement. Le recours du ministre
pourrait autrement être déjoué par l’abandon des biens. Pour
éviter l’effet de l’article 934, alinéa 2, du Code civil459, 114.1 doit
nécessairement viser le propriétaire des contaminants immédiatement avant l’incident.
Ceci nous amène au gardien. Tant 114.1 que 115.1 utilisent
l’imparfait de l’indicatif. Les responsables interpellés ne sont pas
les gardiens actuels des contaminants, s’il en est, mais ceux qui en
«avaient» la garde ou le contrôle. L’imparfait ne s’explique que si
le législateur recherche ceux qu’il veut relier aux contaminants
avant l’incident460. L’imparfait, («avait la garde ou le contrôle»)
laisse entendre, pour ces dispositions du moins, qu’on n’a pas la
garde ou le contrôle d’un contaminant du seul fait qu’il se soit
répandu chez soi. La garde ne se transfère pas lorsque les contaminants ont été introduits dans l’environnement. Les participes
passés «déversé», «émis», «déposé», «dégagé» et «rejeté» montrent
une chose terminée. Or, la migration n’est jamais terminée. Pourtant on vise ici des situations prioritaires (urgence dans le cas de
114.1 et risque réel ou appréhendé dans le cas de 115.1). Dans ces
conditions, assimiler migration et émission, dépôt, dégagement,
rejet ou déversement ferait en sorte que le législateur ne vise,
dans ces cas pourtant prioritaires, que les contaminants qui ont
cessé de migrer. La personne obligée d’intervenir ou tenue aux
frais est donc la personne qui en «avait» la garde ou le contrôle,
plutôt qu’un nouvel et hypothétique gardien. De plus, comme les
459.
460.
Supra, notes 229 et 234.
Voir, au sujet d’une disposition analogue, Shell Canada Products Ltd. v. British
Columbia (Ministry of Environment, Lands and Parks), [1994] B.C.E.A. No. 7
(B.C. Environmental Appeal Board).
272
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
règles de droit civil ne voient qu’un gardien à la fois d’un bien, sauf
exception461, l’État se retrouverait gardien de tout ce qui est
déversé sur les terres publiques et c’est lui qui serait visé par ces
dispositions. En lisant déversement, émission, dépôt, dégagement
ou rejet comme autant de manières d’introduire un contaminant
dans l’environnement, tout s’éclaire. Que les contaminants
migrent ou non n’est pas pertinent. Il suffit que les contaminants
aient été introduits dans l’environnement. L’acte déclencheur est
accompli dès ce moment, ce qui concorde avec le but d’une mesure
préventive. Il suffit, pour 114.1, qu’une intervention d’urgence
soit nécessaire pour éviter la propagation. Il suffit, pour 115.1, que
les contaminants, une fois introduits, présentent ou puissent
présenter un risque462.
On pourrait s’en remettre, par analogie, à la responsabilité
du fait des animaux sauvages, lesquels se déplacent hors du
contrôle de qui que ce soit463, si ce n’est que le contaminant libéré
avait un propriétaire ou gardien avant sa libération. Certes, le
propriétaire d’un terrain où gîte un animal sauvage a certainement la capacité physique de le contenir et de l’empêcher de
nuire. Le droit civil, pourtant, ne lui impose aucune responsabilité. Il n’en est ni gardien, ni propriétaire. Pareillement, il n’y
a pas de raison que les contaminants d’un sol qui demeurent
mobiles soient sous la garde ou le contrôle, ou deviennent la
propriété, d’une personne qui n’en a jamais voulu. Rien dans la
L.Q.E. ne permet de modifier les règles d’acquisition de la garde
ou de la propriété d’une res derelictae, fût-elle un contaminant.
Bref, la L.Q.E. est complète, cohérente et conséquente et le législateur a paré aux éventualités en choisissant les diverses personnes
qu’il voulait voir rendre compte d’une contamination. Le seul cas
où le propriétaire d’un contaminant est visé est l’urgence, lors d’un
accident ou d’une infraction, et il s’agit du propriétaire des contaminants avant leur libération. Quant au propriétaire d’un sol,
advenant que les articles 31.46 et s. entrent en vigueur, il ne sera
redevable qu’au moment de certains travaux ou de changer
461.
462.
463.
BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 803: «il ne peut jamais y
avoir qu’un seul gardien dont la responsabilité est engagée du fait des biens.»
On peut consulter à ce sujet les faits de l’affaire Lévy, supra, note 458.
BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 871: «Certains animaux
(dont la plupart des animaux sauvages et le gibier) n’appartiennent à personne
et ne sont pas contrôlés par le propriétaire du terrain ou du fonds sur lequel ils
gîtent. [citant l’article 934 C.c.Q. ] Lorsque le préjudice est causé par un animal
considéré comme res nullius, il ne saurait y avoir de responsabilité, ce dernier
n’ayant ni gardien, ni propriétaire.».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
273
l’usage du sol. Il ne semble faire de doute que le législateur, en
adoptant les dispositions des articles 20 et 106.1 L.Q.E., ne
pouvait viser la contamination migrante, tolérée ou non, causée
ou non par quiconque.
6.2 Judiciaire
Il y a peu de décisions judiciaires au Québec pouvant jeter un
éclairage satisfaisant sur la contamination migrante, mais quelques-unes ne peuvent s’interpréter que dans le sens développé
plus haut, ou d’une manière qui soit concordante avec ce développement.
6.2.1
L’affaire Tricots Canada U.S.
La première est l’arrêt Tricots Canada U.S464. Une compagnie a voulu réclamer de son assureur les frais de plus de
100 000 $ de nettoyage d’une rivière où s’était propagé du mazout.
Après un bris de conduite souterraine, le mazout s’était frayé un
chemin dans le sol jusqu’à la rivière. La compagnie a averti les
autorités et entrepris de recueillir le produit. La police d’assurance ne couvrait ces dépenses que si l’assuré y était légalement
tenu. L’assureur a plaidé avec succès que la compagnie n’avait pas
d’obligation légale de contenir ou recueillir le produit échappé.
L’article 20 interdit de polluer et, donc, son obligation était de
colmater la fuite. Assimiler la progression subséquente du produit
à une infraction aurait alors obligé la compagnie à intervenir en
aval ou lorsque le produit aurait fait résurgence dans la rivière. La
Cour a jugé que l’obligation ne s’étendait pas jusque là et a rejeté
la réclamation.
6.2.2
Le jugement Laidlaw
Nous avons abondamment parlé du jugement Laidlaw car il
a établi clairement que l’omission d’agir pour stopper la libération
d’un contaminant, lorsqu’une obligation existe, équivaut à libérer
le contaminant dans l’environnement. L’arrêt appuie le principe
que la migration d’un contaminant ne suffit pas à engager la
responsabilité du propriétaire d’un sol. Cette responsabilité n’est
pas entrée en ligne de compte, alors que c’eut été la façon la plus
simple de faire condamner l’accusée. Au contraire, puisque la pollution provenait de barils enfouis et qu’elle se produisait au
moment et là où les barils fuyaient, il a fallu relier l’accusée, non
464.
274
Supra, note 55.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
pas aux contaminants répandus, mais à leur source, c’est-à-dire
les contenants. Tout au plus, cette affaire soulève-t-elle la question de l’abandon d’un bien et de sa garde. La Cour d’appel a-t-elle
refusé de reconnaître la possibilité d’abandonner son bien?
A-t-elle refusé implicitement cette éventualité parce que les barils
se trouvaient sur la propriété même de Laidlaw? Il reste que la
garde a précédé l’entrée des contaminants dans l’environnement,
ce qui rejoint la lecture que nous avons faite des articles 114.1 et
115.1.
6.2.3
L’affaire Levy
L’affaire Levy465 est reliée au tristement célèbre incendie
d’un entrepôt de déchets dangereux, dont des BPC, à SaintBasile-le-Grand. Une vaste opération destinée à contrecarrer les
effets appréhendés de l’incendie a entraîné des dépenses de 17
millions. L’État s’est prévalu de l’article 115.1 L.Q.E.466 et le
recours a été dirigé contre Mark Levy, le propriétaire des lieux et
des entreprises exploitant l’entrepôt. L’article 115.1 vise soit la
personne qui avait la garde ou le contrôle des contaminants
libérés, soit celle qui est responsable de leur libération dans
l’environnement467. La Cour s’est appuyée sur la notion de garde
et de contrôle pour juger Levy responsable. Elle a aussi relevé qu’il
était propriétaire du site. On peut y voir une application de la
présomption de garde, mais le jugement ne le dit pas expressément. Toutefois, le défendeur a été réputé en contrôle des contaminants par ses compagnies468. Cette décision maintient le
débat à l’intérieur des balises exposées plus haut car, dans ce cas,
il y a eu véritablement libération de contaminants depuis l’entrepôt. La cause n’est pas la migration de contaminants déjà libérés.
Leur source demeure clairement l’entrepôt incendié. De plus, ils
étaient incontestablement sous la garde et le contrôle de Levy
avant leur libération dans l’environnement. Après, ils étaient
plutôt hors de son contrôle, si l’on peut dire.
465.
466.
467.
468.
Supra, note 458.
V. supra, note 434.
Lévy, supra, note 458, p. 13: «Il lui suffisait [au Procureur général] de démontrer
que Levy avait la garde ou le contrôle des contaminants ou encore que Levy était
«responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants» sans égard au fait qu’il ait été poursuivi ou non pour une infraction à la
loi.»
Id., p. 14: «La preuve, on l’a dit, a démontré que Levy était propriétaire du terrain, site de l’incendie, et qu’il avait, avec ses compagnies, le contrôle des contaminants.».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
275
6.2.4
L’arrêt Thibault Démolition
L’arrêt Thibault Démolition469 illustre deux aspects commentés plus haut, à savoir l’interprétation des termes décrivant la
libération de contaminants à l’article 20 L.Q.E. et la thèse de
l’introduction initiale dans l’environnement quant à l’accomplissement de l’infraction. Il s’agissait d’une poursuite en vertu du
«deuxième volet» de l’article 20470. Des déchets interdits se trouvaient sur le site d’un dépôt de matériaux secs. L’accusation visait
l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet dans l’environnement des déchets prohibés. En première instance, l’acquittement
a été fondé sur l’interprétation des mots «déposer» et «dépôt». Pour
le premier juge, un dépôt prohibé devait être un enfouissement et
non pas un simple empilement. Cette interprétation a été réformée par la Cour supérieure. C’était l’intention du législateur
d’utiliser le mot «déposer» à l’article 20 dans son sens courant bien
que la règle471 favorisant le sens courant ne soit pas absolue.
L’enfouissement n’était pas nécessaire pour qu’il y ait dépôt.
L’empilement à même le sol suffisait. L’article 20 se lit donc avec
le sens courant des termes. Ce jugement nous éloigne davantage
aussi de la thèse reliant l’article 20 au mouvement des contaminants après leur introduction dans l’environnement. Elle a
repoussé d’un cran en amont le moment où l’infraction est accomplie, manifestant par là la volonté du législateur d’intervenir le
plus tôt possible. L’utilisation du mot «susceptible» à l’article 20
n’aurait autrement presque plus d’utilité. La seule libération de
contaminants sur le sol a été suffisante472. Ce qu’il en advenait
ensuite n’était pas pertinent à l’infraction.
6.2.5
L’affaire Granicor
Granicor inc. exploitait une usine de transformation du
granit et projetait de la limaille et de l’eau durant le sciage473. Le
certificat d’autorisation prévoyait que les eaux usées seraient
rejetées dans un bassin, pour y sédimenter et être recyclées. Le
pompage avait cependant fait défaut à cause d’un glissement des
solides accumulés, paralysant les activités. Coincés, les dirigeants
469.
470.
473.
Supra, note 424.
La prohibition était créée dans ce cas-ci par l’article 55 du Règlement sur les
déchets solides, [Q-2, r. 3.2].
Telle qu’énoncée par CÔTÉ, supra, note 394.
Il y a ici coïncidence avec l’usage de la préposition «on» dans la version anglaise
du second alinéa de l’article 106.1 L.Q.E., supra, note 423.
Supra, note 209.
276
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
471.
472.
de la compagnie ont fait éventrer le bassin. Environ 6 000 mètres
cubes de résidus ont alors brusquement emprunté un fossé agricole pour atteindre une rivière. Avec la reprise des activités, les
eaux usées ont suivi le même chemin jusqu’à ce que la digue soit
réparée, deux jours plus tard. Le jour du déversement principal,
une mare boueuse a envahi le terrain avant de s’engager dans le
fossé agricole. L’eau de la rivière était blanchâtre sur 800 mètres
en aval. Le tout était encore observable le lendemain, jour où les
inspecteurs ont prélevé des échantillons, sans compter l’écoulement qui se continuait depuis l’usine. Des poursuites ont été
intentées pour infraction aux articles 20 et 22 L.Q.E., pour les
deux jours en question. Or, la continuation des effets du déversement massif le lendemain n’est pas entrée en ligne de compte
pour déterminer la commission d’une infraction à l’article 20 le
deuxième jour. Seule l’existence d’un écoulement moins considérable provenant de la poursuite des activités a été retenue. La
preuve n’ayant pas établi hors de tout doute raisonnable que cet
écoulement avait une ampleur suffisante pour constituer une
infraction, la cour en a fait bénéficier les accusés. Pourtant, le
déversement massif de la veille demeurait observable, notamment sa propagation dans la rivière (l’eau blanchâtre) et les effets
potentiels du déversement massif avaient, eux, été prouvés. Si la
propagation subséquente à un déversement avait été une source
d’infraction, cette décision aurait vraisemblablement été différente.
6.2.6
Les affaires Pelchat et Eldorado
Dans Pelchat474, la Cour supérieure a laissé entendre que
l’article 20 L.Q.E. pouvait s’appliquer à la migration de contaminants provenant d’un terrain. Refusant un moyen préliminaire du
défendeur, la Cour a estimé qu’il pouvait y avoir recours civil
contre le propriétaire du terrain sur la base de cet article. «[L]’article 20 L.Q.E. interdit de permettre le dégagement dans l’environnement d’un contaminant au-delà de la concentration prévue
par règlement», rappelle la Cour. Il s’agissait toutefois d’une
décision préliminaire et la cause ne s’est pas rendue au fond. Dans
l’affaire Mines d’or Eldorado475, la Cour a refusé de reconsidérer
une ordonnance émise en vertu de l’article 25 L.Q.E. L’appelante
alléguait qu’elle aurait dû être fondée sur l’article 31.43 puisqu’il
n’y avait pas, selon elle, de contamination dynamique ou encore
474.
475.
Supra, note 163.
Supra, note 106.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
277
active. Toutefois, la Cour a souligné «que le sous-ministre avait
«constaté» que l’appelante était responsable d’une source de contamination active et entre autres, un réservoir fuyait»476 (italiques
ajoutés). Elle a aussi rejeté un argument fondé sur la multiplicité
des chefs d’accusation, au motif qu’il y avait plusieurs sources de
contamination, que les mesures auraient pu faire l’objet d’autant
d’ordonnances distinctes et qu’il était donc possible d’enfreindre
séparément les diverses dispositions de l’ordonnance émise. Les
sources distinctes étaient notamment des barils de trioxyde d’arsenic et un réservoir. Sur la multiplicité des chefs, cette décision
accrédite le principe d’une infraction de pollution pour chaque
source de contamination. Dans ce cas, d’assimiler un sol contaminé à une source de contamination, en sus de la source initiale,
autoriserait la multiplication des chefs, pour chaque source secondaire se succédant en aval du rejet initial. Or, les décisions
rendues en application de la Loi sur les pêches477 et celles rendues
en vertu de la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario478 s’y
opposent. Ces deux lois font une infraction du fait de rejeter des
substances nocives dans l’eau, ou encore dans un endroit d’où elles
peuvent atteindre cette eau. Deux situations différentes, mais les
tribunaux ont obligé la poursuite à n’en choisir qu’une, a fortiori
lorsqu’une seule situation est prévue (l’infraction générique de
pollution).
6.3 Commentaire
Le droit québécois, dans ses dispositions générales relatives
à la pollution, tant au plan pénal qu’administratif, ne s’écarte pas
des grands principes présidant à l’interprétation de telles dispositions, dans les systèmes juridiques passés en revue. Une lecture
de l’article 20 L.Q.E., conséquente avec les autres dispositions
visant les sources de contamination ou les cas où la contamination
est accomplie, permet de faire échec à ce qui serait manifestement
un effet inapproprié, par son iniquité notamment, sans compter
les conflits et contradictions potentiels avec ces autres dispositions. Une chose est sûre, sanctionner l’introduction du contaminant dans l’environnement est compatible avec les objectifs de la
L.Q.E. et, sans difficultés d’interprétation ni effort de conciliation
des textes, rend concordantes toutes les dispositions pertinentes
de la Loi et les rend compatibles avec le sens ordinaire des mots
476.
477.
478.
278
Id., p. 7.
Supra, note 148.
Supra, notes 124 (lois de 1970) et 328 (lois de 1980).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
utilisés à l’article 20. Elle permet d’éviter les conséquences que les
commentateurs et tribunaux de plusieurs juridictions ont appréhendées. Elle met à l’abri la victime, elle évite de piéger l’accusé
dans une situation imprescriptible de non-retour, elle ne multiplie
pas à l’infini les possibilités d’accusations. Cette interprétation
n’entraîne aucun vide juridique. Ce qui est prohibé, c’est de
souiller initialement l’environnement, qu’il y ait ou non des conséquences observables. Leur seule possibilité suffit. Les personnes
visées sont celles qui, par leurs activités ou par des installations
dont elles ont la responsabilité, peuvent être auteurs de la libération de contaminants, par action, omission ou permission. Quant
aux situations accomplies, en infraction ou non à la L.Q.E., le
législateur s’est doté de divers moyens qui ne justifient pas
d’étendre à outrance le sens des termes pour viser des cibles qu’il
n’a pas jugé utile d’inclure. Les législatures qui ont des dispositions visant directement les terrains contaminés ont chaque fois
identifié de façon précise les personnes qu’elles voulaient rendre
responsables.
Compte tenu des accrocs majeurs qu’une conclusion contraire pourrait causer à plusieurs principes fondamentaux de justice reconnus par notre droit, il faut conclure que le législateur a
choisi ses cibles clairement. Les personnes responsables au-delà
des règles du droit commun sont identifiées. Rien dans notre jurisprudence n’appuie la thèse voulant que la migration des contaminants puisse entraîner une contravention à l’article 20 L.Q.E. Au
contraire, il y a toujours eu quelque part une source extérieure,
dont quelqu’un a été jugé responsable. C’est en vain que l’on
cherchera dans les décisions rapportées par les auteurs Duplessis,
Hétu et Piette479, dans la jurisprudence inédite que les premiers
ont également compilée480, dans les lois annotées publiées par les
Yergeau481 et les Rivest et Thomas482, ou encore dans les centaines
de jugements répertoriés dans L’environnement au Québec483,
quelque arrêt faisant valoir autre chose qu’une approche fondée
sur des sources ou des causes extérieures à l’environnement, des
sources ou des causes artificielles et tangibles, attribuables à
l’action humaine. Au contraire, toutes les décisions concordent
479.
480.
481.
482.
483.
Supra, note 23.
Yvon DUPLESSIS, Jean HÉTU et Lise VÉZINA, Jurisprudence inédite en droit
de l’environnement, 1980-1992, Cowansville, Yvon Blais, 1994.
Supra, note 171.
Robert L. RIVEST et Marie-Andrée THOMAS, La Loi sur la qualité de l’environnement et sa réglementation annotées, Cowansville, Yvon Blais, 1995.
Supra, note 3.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
279
avec cette approche. Faire abstraction des sources extérieures
serait incontestablement du droit nouveau.
Pour attribuer au propriétaire ou à l’occupant d’un sol la
responsabilité de la migration, il faudrait assimiler la migration à
la libération des contaminants, le sol à une source de contamination ou le propriétaire du sol au propriétaire ou au gardien des
contaminants répandus. Or, que ce soit conceptuellement ou
juridiquement, de telles analogies entraînent des incohérences et
des aberrations qui, par le fait même, confirment que telle n’a pu
être l’intention du législateur. Elles tiennent au fait que l’on étend
au-delà de ce qu’admettent les concepts usuels reliés à la contamination de l’environnement et que l’on pousse dans un champ
théorique et abstrait la portée de phénomènes qui ne peuvent être
valablement appréhendés que dans le concret.
6.3.1
La source dite «secondaire»
Une grande part du débat tourne autour de la notion de
source de contamination qui contient celle de libération de contaminants. Si le sol était une source, il serait tout au plus une
source dite «secondaire». Un sol contaminé de façon naturelle
n’existe pas. Objectivement, l’environnement naturel est sans
qualité. Il peut être hostile à l’humain, la faune ou la flore. Par
exemple, un sol riche en minerai d’uranium sera radioactif. Ce
sera sa propriété, mais il ne sera pas contaminé. La chaleur ou un
rayonnement peuvent être des contaminants, mais un air excessivement chaud l’été n’est certes pas contaminé! La contamination est invariablement un phénomène artificiel. La source doit
nécessairement être constituée de facteurs matériels extérieurs à
l’environnement, dont l’activité humaine est la cause. Cela dit,
rien n’exclut que la libération des contaminants se fasse de
manière autonome, mais il ne faut pas confondre la libération
autonome des contaminants avec le comportement autonome des
contaminants une fois libérés. Tout n’est par la suite qu’une question de temps pour que la migration s’étende. La source dite
«secondaire» suppose une abstraction.
Prenons l’exemple d’un réservoir qui s’écoule peu à peu. Le
mouvement s’amorce par la gravité et celle-ci continuera à agir à
l’extérieur. Elle contribuera à la progression du contaminant.
Selon les obstacles rencontrés, le mouvement sera plus ou moins
lent. Il pourra parfois s’interrompre, mais il aura commencé le
jour de la fuite. L’enlèvement subséquent de l’équipement aura
tari la source, mais n’aura rien changé à la progression du produit.
280
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
C’est ici qu’intervient la première abstraction, celle de la source
dite secondaire. Elle n’existe que par une remontée du temps
interrompue là où l’observateur l’a décidé. Dans notre exemple,
après un certain temps, on aura un filet ou un panache s’étendant
sur une certaine distance. Il pourra progresser en surface du sol,
ou sous la surface, mélangé ou non à l’eau souterraine. Si la fuite
est continue, le produit aura peut-être parcouru plusieurs mètres
au bout d’un an et le filet ou le panache pourra être ininterrompu
depuis la source. Dans ce cas, autrement que par pure abstraction
et d’une manière tout à fait arbitraire, on ne peut, au-delà de la
source matérielle qu’est le réservoir, délimiter sur le parcours du
produit ce qui serait une nouvelle source. Si le sol absorbe
difficilement le produit, on pourra avoir une accumulation temporaire du produit près du point d’entrée, mais ce lieu d’accumulation n’est pas une source. Ce serait plutôt le contraire. Le
phénomène ne cause pas une libération de contaminants (s’il
s’agit même d’une libération), mais s’oppose à sa progression et en
ralentit l’épanchement. Le sol est ici en train de freiner le produit.
Peut-on qualifier de source ce qui bloque ou ralentit?
Mais cet exemple n’est guère nécessaire, puisqu’il relève du
sens commun que, tant et aussi longtemps qu’il y aura un réservoir qui fuit, ce sera le réservoir et rien d’autre qui constituera la
source des contaminants, que l’on prenne ou non la L.Q.E. en
considération. Ce dont il faudrait se convaincre, c’est qu’une fois le
réservoir enlevé, la source serait conceptuellement déplacée en
aval et le milieu récepteur (le terrain) deviendrait désormais la
source, en substitution de la première. Du reste, de quelle contamination ce terrain serait-il la source, sinon du même terrain en
périphérie, eau souterraine et sol confondus? Entité non délimitée
au plan environnemental, il serait la source de la contamination
d’un terrain, qui n’est pas davantage délimité et se confond avec le
premier, si l’on ne tient pas compte de la tenure. Alors, il devient
incontournable de fragmenter le tout pour tenter juridiquement
de distinguer le prétendu terrain source, surtout si le panache de
contamination est considérable. Si le jour où le réservoir est retiré
des lieux, le panache couvre désormais des centaines de mètres
carrés, en vertu de quels critères (conséquents avec l’application
de la L.Q.E.) distinguera-t-on la source du reste du terrain pour
identifier ensuite le responsable? Sera-t-elle l’ensemble de la zone
contaminée? Devra-t-on conclure que la nouvelle source est l’étendue de la contamination au moment où la source première est
tarie?
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
281
On pourrait disserter longtemps sur ces notions, mais elles
portent en elles-mêmes les limites de leur application. La source
secondaire, par exemple, est un paradoxe lorsqu’en aval de la
première. Dès qu’une source est l’aval d’une autre, c’en n’est déjà
plus une. Un milieu qui reçoit de l’amont une substance qui
poursuit sa progression n’est pas une source, c’est un chemin
emprunté par la substance, dans son inexorable avancée dans
l’environnement. A-t-elle été un moment retenue par ce même
milieu, parce que s’y trouvait une barrière naturelle? Cela ne peut
suffire à transformer en source ce qui, dans les faits, n’est qu’un
obstacle.
6.3.2
L’émission du contaminant
Quant au phénomène d’émission, son application à un sol où
des contaminants sont en mouvement défie logique et réalité. En
lui attribuant son sens ordinaire, qui est plus qu’un simple mouvement, mais un déplacement qualifié en fonction d’une source, en
fonction d’une entité dont quelque chose est en train de sortir,
alors, le contaminant ne sort vraiment de l’environnement que
lorsqu’il envahit une structure, un habitacle, une chose qui est
elle-même hors de l’environnement. Pour que l’environnement
émette quelque chose, il faut que cette chose en soit extraite. C’est
ainsi qu’un gaz comme le radon, qui s’infiltre dans un sous-sol,
peut être considéré comme émis par l’environnement lui-même.
Mais comment le sol peut-il, à moins de déformer le sens des mots,
s’émettre en lui-même quelque chose. Car c’est bien de cela qu’il
s’agit. Lorsqu’il y a migration, l’environnement se «contamine»
lui-même. On conçoit facilement qu’un système fermé n’émet rien
tant que les substances qui s’y trouvent circulent d’une composante à l’autre sans en sortir. Par analogie, le contaminant
exogène qui se trouve dans un système naturel n’a pas encore été
émis, tant qu’il n’est pas sorti du système naturel. Lorsqu’il y a
migration de contaminants, ces contaminants restent dans l’environnement. Cela est inhérent au concept même. Ils se déplacent,
parfois dans une direction, parfois dans un va-et-vient alternant
avec les fluctuations de l’eau souterraine. Appeler «émission» une
migration est donc là aussi, un paradoxe. Alors que rien n’est
produit au-dehors, on choisit une terminologie qui sous-entend le
contraire. Dans la masse indifférenciée qu’est le sol ou l’eau
souterraine, on crée artificiellement des divisions, des frontières,
pour pouvoir affirmer, une fois ce postulat établi, qu’il y a passage
d’une division à l’autre, qu’une frontière par ailleurs intangible,
théorique, a été franchie.
282
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Source dite «secondaire» et migration assimilée à émission
supposent donc deux postulats absolument nécessaires pour que
ces mots puissent dire autre chose que ce qu’ils signifient au
départ, pour leur permettre de s’appliquer à des choses ou des
phénomènes qu’autrement, ils ne pourraient désigner. Entre la
source et l’aval, on doit intercaler ce que l’on choisit délibérément
de nommer source, mais en évitant d’en interposer d’autres, plus
bas, et en faisant abstraction, nécessairement, de la source véritable. Dans le milieu que traverse un contaminant après y avoir
été introduit par la source véritable et avoir séjourné plus ou
moins longtemps à proximité du point d’introduction, il faut
concevoir une zone, un point, un espace que l’on décrit comme
émettant le contaminant. Mais des milieux ainsi traversés, on en
trouvera de semblables tout au long de la progression du contaminant qui, à moins de ne pas poursuivre le raisonnement jusqu’au
bout, sera constamment émis vers un autre point théorique qu’en
conséquence, il n’atteindra jamais. Si l’Administration prétend à
l’existence d’une source secondaire, il lui faut admettre qu’il y a
des sources secondaires, en cascades, l’une étant la source de la
suivante, à l’infini. L’infraction ne serait finalement jamais
accomplie.
7. CONCLUSION
On ne saurait rechercher en responsabilité pénale ou administrative la personne aux prises avec un terrain contaminé du
seul fait que les contaminants présents s’y déplacent, sans forcer
le sens et la portée des dispositions législatives pertinentes et,
surtout, sans aboutir à des résultats qui font violence aux principes de l’équité et de la justice fondamentale. Généralement,
lorsqu’en apparence une loi a un tel effet, c’est déjà une invitation
à l’interprète de se montrer prudent. Dans la démarche voulant
mettre en cause le propriétaire d’un terrain (ou encore son gardien
ou son occupant), on voit déjà, éloquemment, bien des bémols
posés par ceux-là mêmes qui réclament cette mise en cause: on ne
saurait par exemple accepter que le petit propriétaire résidentiel
assis malgré lui sur une soupe chimique en devienne lui-même le
premier responsable, dès que le véritable pollueur est introuvable; l’État qui, par son ministre de l’Environnement, émet des
ordonnances et, par le Procureur général, poursuit les pollueurs,
ne se met pas en cause comme pollueur quant à ses propres sites
qui, pourtant, sont légions, depuis les cours d’eau dont les sédiments ont été pollués jusqu’au tréfonds des anciens sites miniers,
en passant par tous ces sites dits «orphelins». Comme l’a si bien dit
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
283
une cour de district américaine: «No one likes to clean up a mess,
much less pay the cost of it...»484.
La société est confrontée à un dilemme. D’une part, elle a
toléré pendant des générations des atteintes massives à l’environnement, dont elle a collectivement profité. D’autre part, devant
l’ampleur et, surtout, la pérennité des dégâts, elle souhaiterait
faire marche arrière. Personne n’aime nettoyer des dégâts, la
société est donc contrainte à chercher des responsables. Mais le
temps a souvent fait disparaître les véritables auteurs, d’où les
tentatives de mettre en cause des tiers ayant simplement le
malheur d’avoir un lien quelconque avec le milieu détérioré, soit
parce qu’ils le possèdent, soit parce qu’ils l’occupent, soit parce
qu’ils s’en servent.
7.1 Ne pas pousser trop loin le sens des mots
L’auteur Bronston nous rappelle la tentative américaine
d’étendre la responsabilité créée par les lois environnementales485. Il relate comment le législateur, devant les limites inhérentes au concept traditionnel de pollution, a conçu le CERCLA
pour viser un plus grand nombre de responsables. Il y a même eu
au départ une véritable frénésie dans la recherche des responsables, acharnement qui semble maintenant temporisé par les
plus récents jugements des cours de circuit. En Ontario, le frein a
été appliqué en 1992 dans l’affaire NWP. Ce que ce jugement a
rappelé, c’est que l’infraction de pollution demeure une infraction
de pollution et que c’en est une lecture indûment généralisatrice
que de l’appliquer à la migration. Le jugement de première instance ne résulte pas d’une exégèse de la loi, mais procède du bon
sens. On s’en rend facilement compte lorsque l’on en suit le
raisonnement486. C’est une mise en garde dans la lecture des
textes rédigés inévitablement en termes très larges. On pourrait
scruter et décortiquer à l’envi les dispositions pertinentes des lois
environnementales. Il est assuré que l’on pourra trouver une
manière de les lire qui desserve la cause de ceux qui souhaitent
484.
485.
486.
284
Hydro-Manufacturing, supra, note 169.
Supra, note 11, p. 622-623: «Given the magnitude of the problem caused by
hazardous waste disposal at abandoned sites, it should not be surprising that
courts attempted to construe the disposal definition under RCRA so as to promote liability ».
Canadian National Railway, supra, note 35, p. 223: «We are of the opinion that,
on a proper reading of the Act, the source of contaminant must be some source
outside the natural environment and not from a source that is part of the natural environment itself. Otherwise, contaminated lake water, changed by the
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
responsabiliser les propriétaires. Les lois environnementales sont
nécessairement rédigées en termes généraux487, et généreux. Il
est donc possible, mais risqué, de leur donner une portée extrêmement large. Citant Andrew S. Butler, la Cour suprême insiste
sur la nécessité de lire les dispositions pertinentes dans leur
contexte véritable488.
C’est justement l’exercice qu’a fait la justice ontarienne dans
l’arrêt NWP. Le jugement vient nous dire comment doivent être
lues les dispositions de la L.P.E.O., parmi plus d’une lecture possible. Pour qui aura consulté la loi de l’époque, il est clair qu’on peut
la lire de manière à rendre responsable le propriétaire d’un terrain où se produit une migration. Sa rédaction est suffisamment
large. Mais la Cour a beaucoup insisté sur l’aberration qui en
résulterait. Il ne faut pas imposer «an undue and improper strain
upon the interpretation». C’est pourquoi, d’appliquer l’infraction
de pollution à la seule migration des contaminants aboutit, dans
la L.Q.E., à des résultats incohérents, lorsque toutes les dispositions apparentées sont juxtaposées et comparées et qu’une même
interprétation est donnée à des termes identiques ou similaires.
La L.Q.E., en effet, n’échappe pas à la règle établie par la Cour
suprême. Comme ailleurs, le législateur a choisi une rédaction
générale et englobante. Il s’attend à ce que les distinctions appropriées soient faites.
487.
488.
natural water cycle to cloud and to rain upon land, then by seepage into the land
or drainage to a river, and then to another lake, would make that latter lake
water and all the intervening moisture, whether it be cloud, rain, soil or river, all
sources of contaminant for which persons would be responsible. It would make
persons responsible even if they had no knowledge of there being a contaminant
or, if they did, where it came from, because they were the owner, occupant or in
charge of the land or river or the other lake. The same analogy could apply to a
situation where a person owns land located between a farm and a lake. If the farmer uses excessive fertiliser, it could become a contaminant that seeps through
the farm soil or runs into the abutting land or seeps into the soil of the abutting
land, and through it into the lake. The intervening property owner would have
no knowledge, either of the contaminant or its location. The contaminant entered the natural environment on the farm, and the owner of the in-between lands
could not be said to be the owner of the source of contaminant. It would be an
undue and improper strain upon the interpretation of the definition of a natural
environment in s. 1(1)(k) to read it as being disjunctive, and to cover natural
movements of contaminant from one part of the natural environment to another.»
Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1073-1074.
«A Presumption of Statutory Conformity with the Charter» (1993), 19 Queen’s L.
J. 209, p. 222; cité dans Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1071: «In such
instances, however, the expectation of legislators will invariably be that courts
will flesh-out the generality of the provisions through interpretation based upon
experience.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
285
7.2 Respecter les choix du législateur
Le problème n’est pas sans solution. D’autres législatures en
ont fait la démonstration. S’il faut rendre responsable le propriétaire, il est tout à fait possible de le dire clairement. C’est ce que
les États-Unis ont fait, la Colombie-Britannique aussi, de même
que, dans une certaine mesure, l’Ontario. Toutefois, et cela se lit
sans équivoque dans le CERCLA américain et le Waste Management Act de Colombie-Britannique, ce que le législateur a prévu,
ce n’est pas tant d’imposer au propriétaire le fardeau d’assumer
seul la décontamination, mais plutôt de lui transférer le rôle de
cotiser l’ensemble des responsables. Commentant le CERCLA,
une cour américaine a rappelé que l’État pourrait assumer cette
responsabilité et se mettre ensuite à chercher des responsables489.
On a choisi de faire jouer ce rôle au premier intéressé, celui qui
aujourd’hui a en sa possession ou sous sa garde un site contaminé.
Mais même sous une loi d’aussi grande portée, existe néanmoins
la défense de l’innocent owner, qui ne pourrait pas trouver d’application si la migration était assimilée à la pollution. Ce débat était
vraisemblablement connu de la Colombie-Britannique. Les nouvelles dispositions du Waste Management Act, en effet, ont abordé
la migration. Elles n’en ont pas fait une infraction de pollution,
mais elles ont néanmoins inclus, parmi la liste des personnes
potentiellement responsables, celles qui exploitent ou possèdent
le site d’où migrent les contaminants. Lorsqu’un terrain a été
contaminé par migration, son propriétaire n’a donc pas à en
rendre compte.
Ces lois ne font pas du propriétaire un pollueur et elles
laissent intact le régime pénal et administratif couvrant l’infraction de pollution. Elles créent un régime de responsabilité sui
generis, clair, précis. La victime n’est pas taxée de pollueur ni
exposée aux rigueurs des dispositions pénales qui sanctionnent la
pollution. Elle peut mettre en cause les personnes ayant provoqué
la contamination et se faire dédommager. Lorsqu’on la taxe de
pollueur, tous ces avantages s’écroulent car elle devient alors
pleinement responsable. C’est elle qui est réputée en infraction,
c’est elle qui doit répondre de l’acte dont on l’accuse. Elle ne peut se
tourner vers un tiers responsable, sauf pour démontrer qu’ellemême n’a pas commis l’acte. Cependant, pour le propriétaire d’un
terrain d’où migrent des contaminants, lorsque l’infraction reprochée vise cette migration, cette défense est impossible. Associer
489.
286
V. supra, p. 227, le passage cité de l’arrêt Distler, note 253.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
migration tolérée et pollution par omission, en vertu de la L.Q.E.,
aurait pour effet de culpabiliser la victime, de l’exposer à une
lourde obligation, de la priver pratiquement de toute défense
utile, de créer une contravention virtuellement imprescriptible,
d’entraîner ni plus ni moins que sa dépossession et de l’affliger des
pires peines prévues par la Loi. Ce scénario ne peut être voulu par
le législateur à l’égard d’une personne qui n’aurait rien fait
d’autre que d’exercer l’acte légitime de posséder un immeuble; non
pas une installation, une structure ou un équipement qui pourrait
à la rigueur justifier une responsabilité de gardien, mais un sol,
une composante de l’environnement, le plus souvent dégradé par
un tiers de surcroît, une situation où la pollution a déjà fait son
œuvre. Les règles d’interprétation suivantes, tirées de la décision
Canadien Pacifique490 ne permettent pas d’arriver à pareille conclusion:
Lorsqu’une disposition se prête à plus d’une interprétation, le principe de l’absurdité peut permettre de rejeter les interprétations qui
entraînent des conséquences négatives, puisqu’on peut présumer
que le législateur ne voulait pas de telles conséquences.
Les tribunaux ont donc pour rôle d’interpréter et de clarifier le langage d’une disposition législative et, partant, de déterminer la
sphère de risque.
Lorsqu’une partie prétend qu’une loi a une portée excessive ou
qu’une peine est cruelle et inusitée, le tribunal doit procéder à une
analyse de la proportionnalité.
7.3 Rechercher l’«avertissement raisonnable»
Une telle conséquence juridique n’est pas un «avertissement
raisonnable»491. Cela vaut tant pour la migration simplement
tolérée, que pour celle qui fait suite à un acte de pollution au sens
strict. Autrement, on appliquerait à des phénomènes similaires,
quant à leur manifestation et leurs conséquences, des solutions
différentes. L’infraction sanctionne l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement sans égard aux conséquences
observables. C’est le choix qu’a fait le législateur. Cela ne laisse
cependant pas l’Administration sans ressources. La L.Q.E. contient déjà des dispositions pour faire face aux conséquences elles490.
491.
Supra, note 67, respectivement aux pages 1082, 1088 et 1091.
Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, note 138, p. 634: «Du point de vue
du fond, l’avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective
de l’illégalité d’une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du
texte d’incrimination et sur le rôle que joue le texte d’incrimination dans la vie
de la société.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
287
mêmes. Comme elles n’offrent pas de recours au propriétaire
contre les personnes à l’origine de la contamination, contrairement aux lois d’autres juridictions, il y aurait sûrement lieu
pour le législateur québécois de s’inspirer de régimes comme celui
établi par la Colombie-Britannique, afin d’assurer aux justiciables un traitement plus juste et plus équitable.
L’environnement est un tout. Le voir autrement menacerait
les objectifs de la L.Q.E. Ses composantes s’entremêlent. Il y a de
l’eau dans l’air, des particules de sol dans l’eau et le sol contient et
de l’eau et de l’air. Les parties solides, liquides et gazeuses de
l’environnement ne se distinguent que par leurs propriétés qui
entraînent leur séparation en fonction de leur densité respective.
Chacun de ces milieux est une masse sans limites physiques
apparentes. Dans chacun de ces milieux et entre eux, donc, les
contaminants évoluent à l’intérieur de la même masse globale.
Dans ces milieux, le contaminant ne fait que poursuivre la course
qu’il a amorcée au moment où il a été libéré dans l’environnement.
Tout ce qui se passera en aval sera tributaire du moment choisi
pour l’observer. Au-delà de la frontière évidente et indiscutable
que représente le point de franchissement entre l’extérieur et
l’intérieur de l’environnement, on se perd nécessairement en
nuances et en distinctions arbitraires pour arriver à isoler ce qui
pourrait constituer une source de pollution. L’acte de pollution
apparaît comme un concept en soi et il existe une convergence
dans la façon dont il est perçu sous diverses juridictions. Le
pollueur est le pollueur. C’est ce qu’a exprimé en termes clairs et
simples le juge Dickson dans Sault-Ste-Marie. La règle est précise, la sphère de risque bien circonscrite et la salubrité de
l’environnement protégée en amont, là où elle doit l’être. Cela
n’empêche pas le législateur d’envisager d’autres mesures pour
assurer la remise en état de l’environnement, lorsque celui-ci a été
dégradé. Comme l’ont exprimé certaines cours américaines, le
Congrès des États-Unis a choisi de faire porter par l’entreprise
privée les coûts de la restauration, quitte à ce que ce responsable
expressément désigné se retourne contre le véritable pollueur ou
contre le responsable de la source de contamination à l’époque où
celle-ci contaminait l’environnement. Sur ce plan, le législateur
jouit d’une grande liberté de choix, ses seules contraintes étant la
Constitution et les conséquences politiques de ses choix. Laissons-le nous le dire clairement.
288
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
CHRONIQUES
DROIT COMMERCIAL
Joy GOODMAN*
Stipulations de restriction d’usage, clauses de
non-concurrence, d’exclusivité et de «rayon»
INTRODUCTION
Il existe différentes situations où une entreprise peut chercher par contrat à se mettre à l’abri
de la concurrence: contrat d’emploi
ou contrat de vente d’entreprise
contenant une clause de nonconcurrence1, clauses d’exclusivité
ou de «rayon2» se trouvant dans un
bail, ainsi que la stipulation de restriction d’usage d’un immeuble,
que les parties qualifient de «servitude réelle». La forme la plus connue de ce dernier type de clause est
sans doute la «servitude non alimentaire» dont la regrettée chaîne
d’alimentation Steinberg fut le
pionnier.
Le but du présent article est
de présenter un cadre d’analyse
pour les clauses de restriction
d’usage ayant trait aux immeubles, d’en examiner la qualification
juridique à titre de servitude
réelle, de servitude personnelle ou
d’obligation personnelle, et d’en
considérer les critères de validité
et d’opposabilité à titre d’obligation personnelle.
L’utilité de la servitude réelle
réside dans le fait qu’elle soit un
droit réel, en principe perpétuel, et
qu’à ce titre elle grève le fonds servant (donc n’est pas affectée par
l’aliénation de l’immeuble servant)
et est au bénéfice du fonds dominant (ce qui implique que c’est le
propriétaire actuel du fonds
dominant qui en bénéficie). La servitude personnelle constitue également un droit réel qui suit le fonds
servant, mais au bénéfice d’une
personne plutôt qu’un fonds de terrain. Étant plus aléatoire que la
servitude réelle, selon certains
auteurs, elle a obligatoirement une
durée limitée. L’obligation personnelle ne confère pas de droit de
suite. Elle reste soumise à la règle
* Joy Goodman, Loto-Québec. L’auteure remercie Me Manon Jolicœur.
1. Les clauses de non-concurrence stipulées dans les contrats d’emploi sont régies
par l’article 2089 C.c.Q.
2. Il existe deux types de clauses dites de «rayon». Dans le premier type, le locateur
s’engage, pendant la durée du bail, à ne pas permettre l’utilisation pour des fins
qui font l’objet de l’exclusivité du locataire, de tout immeuble lui appartenant
dans un territoire défini en termes de distance à partir du centre commercial
(c’est-à-dire dans un rayon de x km. du centre commercial). Dans le second type de
clause de rayon, le locataire s’engage, en cours du bail, à ne pas exercer un commerce similaire dans un territoire donné.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
289
de la relativité des contrats, et
donc, en principe, ne peut être
invoquée contre des tiers. Le bénéficiaire d’une restriction d’usage a
tout intérêt à ce que la clause soit
réputée être un droit réel, car c’est
seulement de cette façon qu’il peut
assurer que son droit ne sera pas
affecté par une aliénation de l’immeuble par son cocontractant.
LA SERVITUDE RÉELLE
Aux termes de l’article 1177
C.c.Q.,
La servitude est une charge
imposée sur un immeuble, le
fonds servant, en faveur d’un
autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent.
Cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter, de la part du propriétaire du
fonds dominant, certains actes
d’usage ou à s’abstenir lui-même
d’exercer certains droits inhérents à la propriété.
Pour sa part, l’article 499
C.c.B.-C. se lisait comme suit,
La servitude réelle est une
charge imposée sur un héritage
pour l’utilité d’un autre héritage
appartenant à un propriétaire
différent.
Lamontagne 3 observe que
«les articles 1177 et s. C.c.Q modifient peu le droit antérieur en
matière de servitude. Celle-ci
demeure un démembrement du
droit de propriété (911, 1119
C.c.Q., id., 405 C.c.B.-C.), qui permet d’augmenter l’utilité d’un bien
en l’affectant à la disposition de
plusieurs personnes, et ce dans le
respect de l’ordre public (9 et 1373
C.c.Q., id., 545 C.c.B.-C.)».
Selon les auteurs4, les conditions suivantes doivent être
satisfaites pour qu’il y ait servitude réelle:
• Deux immeubles désignés
dans l’acte, soit le fonds servant et le fonds dominant.
• Les immeubles appartiennent à des propriétaires différents.
• Le droit est consenti en
faveur du fonds dominant.
• Le voisinage utile (mais pas
nécessairement la contiguïté) entre les immeubles.
Décary5 rappelle que la servitude, à titre de démembrement du
droit de propriété, doit être interprétée restrictivement, qu’elle s’interprète «d’après le titre qui la
constitue et l’intention des parties»; c’est «la substance de l’acte,
et non le nom que les parties y ont
donné, qui détermine s’il s’agit
d’une servitude».
Dans les jugements dans
Segal c. Ross6 et Zigayer c. Ruby
3. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 3e édition, 1998, Éditions
Yvon Blais Inc., p. 329.
4. LAMONTAGNE, id., p. 330 et s.; MARLER’s Law of Real Property, Buroughs &
Co., 1932, p. 250 et s.; Jean-Guy CARDINAL, «La propriété immobilière», (1965)
68 R. du N 99.
5. Robert DÉCARY, «De la validité d’une «servitude» de non-usage à des fins commerciales dans une zone commerciale», (1977) 80 R. du N. 63, 66 et s.
6. [1962] R.L. 385 (C.S.).
290
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Foo’s (Montreal) Ltd.7, la Cour
supérieure avait vu dans la stipulation de restriction d’usage une
servitude réelle. Les décisions
dans Gestion Lepco c. Nard8 et
Industries Bonneville c. Placements Paul Bernard Ltée9 sont
allées dans le sens contraire.
Dans Segal10, le juge Challies dit ceci:
The Court is of the opinion that
the right called a servitude complies with the requirements of
Art. 499 c.c. as there is a charge
imposed on one real estate for
the benefit of another belonging
to a different proprietor. As
Mignault says (Droit civil, t. 3,
p. 7):
Elle consiste de la part du propriétaire du fonds asservi à souffrir ou
à ne pas faire quelque chose; elle ne
l’oblige point à faire.
It is not necessary that the two
properties be contiguous. Marler, No. 252, p. 103.
The right in the deed is an obligation not to do something,
namely not carry on certain
trade and not to have a parking
lot on the property on Bélanger
Street in favour of another property on Hochelaga Street...
While the question is doubtful,
the Court is of the opinion that
there was, in fact, a servitude
created.
Zigayer portait sur une interdiction de vendre de la nourriture
7.
8.
9.
10.
11.
12.
et des boissons ou d’ériger un restaurant sur l’immeuble décrit
comme le fonds servant. Le juge
Trépanier décida que le seul critère permettant de distinguer
entre l’obligation personnelle et la
servitude réelle était l’indication
se trouvant dans l’acte que la servitude était au bénéfice d’un immeuble et la description complète des
fonds servant et dominant11.
La majorité des auteurs se
sont montrés hostiles à cette ligne
de pensée. Déjà en 1962, Chait12
opinait qu’une clause restrictive
d’usage n’était pas une servitude:
The prohibition to carry on a certain type of business does not
really benefit the dominant
land. It benefits the person who
occupies and carries on a certain
type of activity on the dominant
land. Should the owner of the
dominant land cease to carry on
this particular type of business,
or change the nature of his business, the benefit ceases. Should
the owner transfer his business
to a location other than the
dominant land, the benefit again
would cease. The fundamental
element of benefit to the dominant land is surely not present in
such a provision. It is purely an
attempt to secure a personal
advantage by way of precluding
or minimizing competition in
business.
Chait conclut en soulignant
qu’en bien des cas, le fonds «dominant» est très loin du fonds «servant», ce qui enfreint évidemment
[1976] C.S. 1362.
[1992] R.D.I. 279 (C.S.).
J.E. 93-1651 (C.S.).
Op. cit., note 6, p. 404 et 407.
Op. cit., note 7, p. 1363-1364.
Samuel CHAIT, Contractual Land Use Control, 1962 Meredith Memorial Lectures, 52, p. 58.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
291
la règle de proximité ci-dessus
mentionnée13.
Décary14, après une revue
exhaustive de la doctrine et de la
jurisprudence, conclut que le droit
français est unanime «dans [son]
refus de considérer comme servitude une clause dont le but est de
réduire la compétition entre un
commerce exercé sur un fonds
dominant et un commerce exercé
sur un fonds servant». La même
conclusion s’imposerait en droit
québécois, mais la jurisprudence
est beaucoup moins claire:
Il était donc permis de conclure,
en droit québécois, qu’avant la
décision précitée du juge Trépanier, la question n’avait jamais
été abordée directement, si ce
n’est par Me Chait, et les tribunaux éprouvaient beaucoup de
réticences et de difficultés à conférer le caractère de servitude à
des clauses qui avaient pour but
soit d’empêcher une quelconque
concurrence soit de profiter
davantage au propriétaire qu’au
fonds.15
Lafond16 opine que malgré
plusieurs arrêts de jurisprudence,
la stipulation de non-concurrence
ne constitue pas une servitude
réelle, étant donné qu’ «aucun droit
réel de jouissance n’est accordé sur
le fonds servant», et qu’en plus la
clause «sert davantage l’intérêt de
ses occupants que le fonds luimême».
Pour sa part, Lamontagne17
considère que la qualification juridique de la stipulation, à titre de
servitude réelle, servitude personnelle ou obligation personnelle,
dépend de sa rédaction (la présence ou absence d’un fonds servant et d’un fonds dominant):
l’avantage pour le fonds dominant
consiste à «maximaliser [son]
exploitation ou le rendement du
fonds dominant (terrain et bâtiments)».
Très récem m ent , d a ns
Léveillé et autres c. Coopérative
Funéraire d’Autray18 et The Standard Life Assurance Company c.
Centre Commercial Victoriaville
Ltée19 la Cour supérieure s’est penchée directement sur la question
sous étude.
13. Dans les servitudes en faveur de services publics (téléphone, hydro, etc.), le
fonds dominant désigné dans l’acte est souvent le siège social du fournisseur du
service. En raison de ce problème, la jurisprudence a parfois considéré les installations elles-mêmes comme fonds dominant, et certains auteurs ont vu dans
la prétendue servitude un droit de superficie comportant accessoirement les
servitudes nécessaires à son exercice: Voir, à ce sujet, LAMONTAGNE, op. cit.,
note 3, Jean-Guy CARDINAL, «Un cas singulier de servitude réelle», (1954-55)
57 R. du N. 478, 635. Les servitudes non alimentaires Steinberg sont, de façon
constante, exprimées en faveur d’une certaine propriété appartenant à sa filiale
de l’époque, Ivanhoé. Cet immeuble peut effectivement être très loin du fonds
servant: voir CHAIT, op. cit., note 12, p. 59.
14. Op. cit., note 5, p. 80 et 153.
15. Id., p. 153.
16. Pierre-Claude LAFOND, Droit des biens, Thémis, 1991, p. 565 à 566.
17. Op. cit., note 3, p. 346 à 347.
18. [1998] R.D.I. 404 (C.S). Contrairement à la note inscrite sur le jugement rapporté, il y a eu désistement du jugement de première instance en appel (no
500-09-006690-986).
19. [1999] R.J.Q. 795 (C.S., le 8 février 1999; en appel: nos 500-09-007731-995 et
500-09-007739-998).
292
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Dans Léveillé, un opérateur
de salon funéraire s’est porté
acquéreur des actifs d’un concurrent situé à environ un kilomètre
de son commerce. Quelques mois
plus tard, il revend l’immeuble aux
requérants Belley et Lacoursière,
sujet à une restriction – décrite
comme une servitude réelle grevant l’immeuble vendu au profit de
l’immeuble où se trouve le commerce du vendeur – défendant
l’utilisation de l’immeuble vendu à
des fins de salon funéraire ou
entreprise funéraire. À peine un
an plus tard, le corequérant
Léveillé fait une offre d’achat pour
l’immeuble, conditionnellement à
la possibilité qu’il puisse l’utiliser
pour un salon funéraire. Les trois
requérants – les deux propriétaires actuels et l’acquéreur potentiel
– ont présenté une requête pour
jugement déclaratoire, laquelle
visait à déterminer «si la servitude
prédécrite est purement personnelle à Belley et Lacoursière ou
réelle et, par conséquent, liant
Léveillé.» Le juge Denis, citant les
au teu r s D éc ar y 2 0 , C a nt in
Cumyn21 et Lafond22, ainsi que
l’arrêt Gestion Lepco inc. c. Nard23,
décida que la «servitude de nonconcurrence n’était pas une servitude réelle au sens de l’article 1177
C.c.Q. mais une obligation personnelle, car établie à l’avantage d’un
propriétaire et d’un fonds de commerce plutôt qu’à l’avantage du
fonds lui-même.
Les faits dans l’arrêt Standard Life 24 sont intéressants.
Standard Life était le créancier
hypothécaire d’un centre commercial appartenant à Centre Commercial Victoriaville Ltée. Les
Épiciers Unis Métro-Richelieu
(«Métro»), un locataire dans le
centre commercial, décide de ne
pas rester sur les lieux à la fin de
son bail. Après des pourparlers
entre Métro et son locateur, une
entente est conclue qui vise l’acquisition d’un terrain avoisinant
par une compagnie liée au locateur, l’aménagement à cet emplacement d’un magasin Super C (une
bannière appartenant à Métro), et
la signature d’un acte qualifié de
servitude réelle prohibant, au
bénéfice de l’immeuble récemment
acquis, l’exploitation d’un supermarché dans le centre commercial.
La durée de la servitude était limitée à la durée de l’exploitation d’un
magasin d’alimentation par Métro
sur le fonds «dominant». Environ
deux ans plus tard, Standard Life
signifie un préavis d’exercice d’un
droit hypothécaire, et le propriétaire délaisse volontairement
l’immeuble. Après plusieurs tentatives infructueuses de louer l’ancien local de Métro, Standard Life
signe avec la mise en cause une
entente prévoyant la location d’un
local pour exploiter un supermarché d’alimentation. Métro et le propriétaire du fonds «dominant»
demandent l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire,
d’une ordonnance de sauvegarde et
d’une injonction permanente pour
empêcher la contravention de la
20. Op. cit., note 5.
21. Madeleine CANTIN CUMYN, «De l’existence et du régime juridique des droits
réels de jouissance innommés: essai sur l’énumération limitative des droits
réels», (1986) 46 R. du B. 3, 36.
22. Op. cit., note 16, p. 566.
23. Op. cit., note 8
24. Op. cit., note 19.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
293
servitude. Une ordonnance interlocutoire a été émise.
Dans l’audition au mérite,
Standard Life plaida:
• que la servitude a été consentie en fraude de ses droits;
• que la création de la servitude a diminué la valeur du
bien hypothéqué donnant
ouverture à un recours en
nullité;
• que la charge imposée constitue uniquement une obligation personnelle qui lui est
inopposable.
Seul le troisième argument a
été discuté dans le jugement de la
Cour supérieure.
La juge Courville était d’avis
que la restriction d’usage ne possédait pas les attributs d’une servitude réelle, pour les raisons
suivantes:
• aucun droit réel de jouissance n’était accordé sur le
fonds servant;
• la clause profitait au locataire plutôt qu’au propriétaire de l’immeuble «dominant»;
• l’utilité de la clause était liée
à un usage particulier plutôt
qu’à l’immeuble «dominant»;
• il n’y avait pas de «rapport de
nature» entre l’objet de la
clause et l’usage ou l’utilité
du fonds lui-même.
Contrairement à la situation
dans Standard Life, dans Léveillé
c. Coopérative Funéraire d’Autray25, deux des requérants étaient
parties au contrat contenant la
restriction, tandis que le troisième
requérant, l’acquéreur potentiel,
n’avait pas encore acheté l’immeuble au moment de la présentation
de la requête. Abstraction faite de
l’exercice intellectuel de qualification de la restriction, le but véritable de la requête était de
permettre aux deux requérants –
les propriétaires actuels de l’immeuble – de se soustraire de leur
obligation contractuelle en vendant l’immeuble libre de la restriction. De plus, la restriction d’usage
était une considération essentielle
pour le vendeur dont le but était,
dès le départ, d’éliminer un concurrent situé à proximité de son commerce. Dans de telles circonstances, faire droit à la requête consistait à aider les deux corequérants à
faire fi de leur engagement contractuel. À ce sujet, le juge Denis se
contenta de souligner que la convention ne liait que les parties au
contrat et donc n’était pas opposable à l’acquéreur subséquent. À
notre avis, ce raisonnement n’est
pas satisfaisant. Même si, à titre
d’obligation purement personnelle, la restriction ne saurait lier
un tiers, faut-il que la Cour supérieure vienne en aide à un bris de
contrat? Est-ce que l’acheteur, en
pleine connaissance de cause, peut
l’ignorer?
Une situation similaire fut
présente dans 94298 Canada Ltd.
c. Ville Jacques-Cartier Shopping
Centre Inc. et al.26, dont les faits se
25. Op. cit., note 18.
26. No 505-05-003549-976, 22 octobre 1997 (C.S.); maintenu en appel no 500-09005822-978, 5 juin 1998 (C.A.).
294
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
résument comme suit. Entre 1987
et 1989 la requérante avait acquis
de Ville Jacques-Cartier certains
terrains situés à Longueuil. Les
actes de vente intervenus entre les
parties créaient une «servitude» de
restriction d’usage contre les
immeubles de la requérante en
faveur de deux immeubles appartenant à l’intervenante, Ivanhoé,
dont un à trois kilomètres et
l’autre à 15 kilomètres des terrains
vendus. Au départ, la restriction
prohibait pratiquement tous les
usages commerciaux, mais elle a
été modifiée en 1995 afin de permettre toute utilisation commerciale, sauf l’utilisation pour fins
d’un supermarché d’alimentation
d’une superficie égale ou supérieure à 15 000 pi². La chaîne
d’alimentation Sobey’s a fait une
offre d’achat pour un terrain faisant partie des immeubles, conditionnelle à l’élimination de la
servitude. La requérante s’adressa
donc à la Cour supérieure par voie
de requête pour jugement déclaratoire, dans le but de faire déclarer
que les terrains n’étaient pas
sujets «à une servitude réelle et
perpétuelle empêchant leur utilisation pour fins de supermarché
d’alimentation». Les intimées ont
répondu par une requête en irrecevabilité alléguant que la requête
pour jugement déclaratoire n’était
pas un moyen approprié.
La juge Richer donna droit
aux prétentions des intimées pour
deux raisons. D’abord, selon la
juge, la requête visait non pas «la
solution d’un problème réel» au
sens de l’article 453 C.p.c., mais
plutôt l’annulation d’une obligation contractuelle. Deuxièmement,
l’action en annulation des servitudes serait un recours plus complet
et plus efficace, car permettant de
vider tout le litige, et notamment
la question des droits découlant du
contrat et d’une éventuelle annulation des servitudes.
La Cour d’appel27 maintint le
jugement de première instance.
Toutefois, le tribunal se divisa
quant au raisonnement utilisé par
la juge de première instance. Le
juge Biron considéra que la clause
était claire et ne nécessitait
aucune interprétation. Selon ce
juge, la requête pour jugement
déclaratoire n’est pas la procédure
appropriée pour demander la nullité d’une clause contractuelle.
Pour sa part, le juge Forget (dont
l’opinion était partagée par le juge
Beauregard), écarta ce motif, car
selon lui, la requérante ne demandait pas la nullité de la clause,
mais plutôt une déclaration à
l’effet qu’elle ne constituait pas
une servitude réelle. En ce qui a
trait au deuxième motif du jugement de première instance, c’està-dire que le jugement sur requête
pour jugement déclaratoire ne
mettrait pas fin au litige, le juge
Forget décida qu’il s’agissait d’un
pouvoir discrétionnaire relevant
du tribunal de première instance,
tout en soulignant, sur la foi de
Corporation Municipale de Contrecœur c. Soreli Inc.28, que «la possibilité de procédures futures ne
constitue pas, en toutes circonstances, une fin de non-recevoir à
toute requête en jugement déclaratoire29».
À notre avis, il est implicite
dans les jugements rendus dans
27. No 500-09-005822-978.
28. [1990] R.D.J. 313.
29. Op. cit., note 27, p. 7.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
295
l’affaire Ville Jacques-Cartier, tant
en Cour supérieure qu’en Cour
d’appel, que les juges étaient conscients du fait que, advenant un
jugement favorable, la requérante
avait l’intention de s’en servir
comme une licence pour ignorer
une obligation contractuelle. La
validité de la restriction d’usage à
titre d’obligation contractuelle
n’avait pas été vidée dans le cadre
de la requête, qui ne visait qu’à
faire déterminer si oui ou non il
s’agissait d’une servitude réelle.
LA SERVITUDE
PERSONNELLE
La servitude personnelle,
tout comme la servitude réelle,
constitue un démembrement du
droit de propriété imposé sur un
immeuble. Contrairement à la servitude réelle, elle est stipulée en
faveur d’une personne plutôt qu’un
fonds. Même si le Code civil du
Québec (comme le Code civil du
Bas-Canada) n’en parle pas spécifiquement, les auteurs et la jurisprudence considèrent qu’elle
existe30. Comme la servitude personnelle n’est pas stipulée au bénéfice d’un immeuble, les deux
principales difficultés qui empêchent les tribunaux à considérer la
restriction d’usage comme une servitude réelle, soit l’absence d’utilité et l’absence de proximité au
«fonds dominant», sont éliminées.
Selon certains auteurs, contrairement à la servitude réelle qui
est en principe perpétuelle, la
durée de la servitude personnelle
est limitée. Lamontagne 31 lui
applique la règle prévue à l’article
1123 C.c.Q. concernant l’usufruit :
la durée de la servitude personnelle ne peut pas dépasser 100 ans;
si aucun terme n’a été stipulé, elle
prend fin au décès si elle est stipulée en faveur d’un individu ou à
l’expiration de trente ans si en
faveur d’une personne morale. Par
contre, dans l’arrêt Boucher c. la
Reine 32 le juge Marceau opine
qu’exceptionnellement sa durée
peut être perpétuelle.
Est-ce que la clause de restriction d’usage peut être valide à
titre de servitude personnelle?
Cette question n’est abordée que
de manière très indirecte dans
Léveillé33 et Standard Life34, et
pas du tout dans les autres arrêts
30. Voir, à ce sujet, LAMONTAGNE, op cit., note 3, p. 339-341; Camille CHARRON,
«Ce droit réel méconnu: la servitude personnelle» (1982) 42 R. du B. 446; Madeleine CANTIN CUMYN, «De l’existence et du régime juridique des droits réels
de jouissance innomés: essai sur l’énumération limitative des droits réels»,
(1986) R. du B. 3; Plourde c. Plante [1986] R.D.I. 299 (C.A.).
31. Op. cit., note 3, p. 341.
32. (1982) 22 R.P.R. 310, p. 315 (C.F.), citant Matamajaw Salmon Club c. Duchaîne,
(1921) 59 D.L.R. 391 (Conseil privé). Voir également André COSSETTE, «Essai
sur le droit de pêche dans les cours d’eau non navigables» (1997) 100 R. du N. 3;
Procureur Général du Québec c. Club Appalaches Inc., [1998] R.J.Q. 2113 (C.S.),
appel rejeté le 25 août 1999, J.E. 99-1697, retenu pour publication [1999] R.J.Q.
33. Op cit., note 18, p. 408.
34. Op cit., note 19, p. 804. À la toute fin de son jugement, la juge Courville dit ceci:
«Est-il nécessaire de rappeler que le but recherché par les parties signataires de
la convention, soit l’intérêt commercial de Métro-Richelieu, aurait pu être
atteint en utilisant un autre véhicule juridique qui, lui, aurait pu lier les propriétaires successifs du lot?» Il est possible de voir dans cet obiter obscur une
allusion à la servitude personnelle.
296
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
auxquels nous avons fait référence. Les auteurs sont divisés sur
ce sujet. Cantin Cumyn35 est d’avis
qu’une clause de restriction
d’usage ne peut jamais constituer
une servitude personnelle:
La clause de non-concurrence
n’est jamais susceptible de constituer une servitude personnelle. Le bénéficiaire de la
stipulation peut s’en prévaloir
comme droit de créance. Il ne
peut prétendre l’exercer à titre
de droit réel contre l’ayant cause
de la personne obligée dont il
aurait acquis l’immeuble à
l’occasion duquel la stipulation a
été faite. La clause de nonconcurrence ne donne à titre
principal aucun droit direct de
jouissance de la chose, sur lequel
pourrait se greffer une obligation réelle de ne pas faire concurrence.
Pour sa part, Charron36 croit
qu’une clause de non-concurrence
peut, dans certaines circonstances,
se qualifier comme servitude personnelle:
Il faut admettre aussi qu’il est
plus facile de trouver servitude
personnelle lorsqu’il s’agit d’un
droit «positif» (c’est-à-dire un
droit de passage, de puisage, de
vue, de coupe de bois) que d’un
d roit «négatif» (c o mm e la
défense de construire, de faire
commerce). Cela n’empêche pas
les conventions de non-aedificandi ou de non-usage de pouvoir être rédigées pour consti-
35.
36.
37.
38.
39.
tuer des servitudes, tant personnelles que réelles. Une clause de
«non-concurrence» peut donc
être plus qu’une obligation personnelle, pourvu qu’elle identifie
le fonds servant et qu’elle ne
transgresse pas l’ordre public en
vertu de son caractère trop général ou de sa durée exagérée.
Dans Léveillé37, le juge Denis
réfère au passage de Cantin
Cumyn ci-dessus mentionné, mais
ne l’explore pas.
À notre avis, il est difficile de
voir dans la restriction d’usage un
démembrement du droit de propriété, mais la même objection
peut facilement être faite à l’égard
des servitudes interdisant la construction ou limitant la hauteur
d’un bâtiment. Pourtant, ces restrictions sont reconnues comme
servitudes réelles, en ce qu’elles
cont rib uent à l’a grém ent , à
l’esthétique ou à l’urbanisme du
fond s d om ina nt 3 8 , ou p a rce
qu’elles en préservent la visibilité,
l’accès ou les aires de stationnement. En fin de compte, la qualification juridique de la restriction
dépend non seulement de l’intention des parties39 mais surtout de
l’appréciation qu’en font les tribunaux, notamment leur volonté d’y
voir un démembrement du droit de
propriété. La question de la validité de la restriction à titre de servit ud e p ersonnelle, nous le
soumettons, reste ouverte.
Op. cit., note 21, p. 36.
Op. cit., note 30, p. 450.
Op. cit., note 18, p. 408.
CARDINAL, op. cit., note 4, p. 105.
Le bénéficiaire de la clause de restriction d’usage a toujours l’intention que
celle-ci reste en vigueur, peu importe la vente de l’immeuble.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
297
L’OBLIGATION
PERSONNELLE
À moins qu’il ne soit contraire à l’ordre public, l’engagement qui constitue l’essence de la
restriction d’utilisation d’un
immeuble est valide et lie les parties au contrat. Il reste à déterminer à quelles conditions la restriction sera réputée être contraire à
l’ordre public. Quelques auteurs se
sont aventurés sur ce terrain.
Ainsi, Chait opine que la clause
«may even be invalid as a personal
obligation, under certain circumstances, as being contrary to public
order, and also in violation of the
laws in respect of restraint of
trade»40. Décary, pour sa part, est
d’avis qu’une «servitude de nonconcurrence interdisant toute activité commerciale dans un secteur
zoné commercial est contraire à
l’ordre public, et ce de deux manières: d’une part elle vient en conflit
avec un règlement de zonage édicté
par le corps public dans l’intérêt
public; d’autre part elle constitue
un obstacle à la liberté de commerce, laquelle liberté est d’ordre
public41.
Contrairement à la situation
envisagée par Décary, la clause qui
nous intéresse n’interdit pas toute
activité commerciale, mais seulement un type particulier d’utilisation. La stipulation ne vient
donc pas en contradiction avec le
règlement de zonage; elle ne fait
que prohiber un usage qui autrement serait permis. Pouvons-nous
l’invalider pour le motif que les
parties auraient usurpé une fonc40.
41.
42.
43.
44.
298
tion confiée à la municipalité par la
Loi sur l’aménagement et l’urbanisme42? À notre avis, la réponse à
cette question est non. Une disposition contractuelle interdisant la
construction afin de préserver la
visibilité d’un bâtiment, là où la
réglementation municipale permettrait autrement de construire;
l’obligation contractuelle de maintenir un ratio de stationnement
supérieur au minimum exigé par
la Ville; une limitation contractuelle à la hauteur d’une bâtisse
qui est inférieure à la hauteur
maximale prévue par le règlement,
ne sont pas contraires à l’ordre
public. Il ressort que la stipulation
contractuelle peut être plus contraignante que la réglementation
municipale, sans pour autant la
contrevenir, et sans être réputée
contraire à l’ordre public.
Considérons maintenant la
clause comme une restriction à la
liberté commerciale, laquelle est
de l’ordre public. Comme le souligne Décary, toute restriction à
cette liberté «doit être raisonnable
eu égard aux intérêts des parties
concernées et aux intérêts du
public»43. Les principes régissant
la validité des clauses de non-concurrence dans les contrats d’emploi et de vente d’entreprise sont
bien connus. D’ailleurs, l’article
2089 C.c.Q. les codifie en ce qui a
trait au contrat de travail. Dans un
arrêt rendu le 4 décembre 1998
dans Copiscope Inc. c. TRM Copy
Centers (Canada) Ltd.44, la Cour
d’appel a eu l’occasion d’appliquer
ces principes à une convention por-
Op. cit., note 12, p. 58.
Op. cit., note 5, p. 153 à 154.
Voir l’article 113 alinéa 3 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
Op. cit. note 5, p. 157, citant M.M. Caravane Ltée c. Gagnon, [1973] C.S. 1020.
REJB 1998-09660 (C.A. Montréal, no 500-09-006414-981, le 4 décembre 1998);
voir également Burnac Corp. c. Entreprises Ludco Ltée, [1991] R.D.I. 304 (C.A.),
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tant sur la location et l’installation
de photocopieuses dans des magasins exploitant d’autres types d’activités commerciales, tels que
dépanneurs et pharmacies. Le contrat stipulait la possibilité pour
l’exploitant d’y mettre fin sur avis
de 30 jours, mais comportait une
clause l’empêchant pendant une
période d’un an à partir de la fin du
contrat, «to carry on, engage in or
be engaged or connected with or be
interested in or advise any person
in connection with the business of
making Photocopy equipment
available for use by the public or
otherwise providing photocopy
services to the public...» et ce, dans
un rayon de 25 milles de son commerce.
La Cour d’appel, sous la
plume du juge Nuss, a déclaré
in v alide
la
c lause
de
non-concurrence.
The validity of the Noncompetition Covenant must be determined on the basis of well settled
principles set out in the jurisprudence.
1. Undertakings in restraint of
trade are generally against
public order;
2. There may, within reasonable limits, be contractual
restrictions on the freedom to
conduct a specified commercial activity;
3. The validity of such restrictions is dependant on their
being reasonable, particularly regarding the length of
time that they are to apply
and the territory where they
are to be applicable;
4. Furthermore, it must be
shown that the restrictions
are necessary for the reasonable protection of the interests of the party in whose
favor they are granted;
5. If the restrictions do not meet
the test of reasonability they
will be struck down as being
contrary to public order45.
En annulant la clause de
non-concurrence, le tribunal a souligné sa rédaction très large et son
vaste territoire (5 082 km²), ainsi
que le fait qu’elle s’appliquait
même si l’autre partie mettait fin
au contrat.
La stipulation de restriction
d’usage ressemble à bien des
égards à la clause d’exclusivité
dont bénéficient les locataires de
centres commerciaux. La clause
d’exclusivité garantit au locataire,
pendant la durée de son bail (ou
pendant qu’il exploite activement
son commerce dans les lieux
loués), l’exclusivité dans le centre
commercial relativement à la
vente de certains biens ou services.
L’exclusivité conférée peut être
plus ou moins large, dépendant de
la nature du centre commercial, le
type d’activité du locataire et les
rapports de force entre les parties.
Les clauses d’exclusivité génèrent
souvent des problèmes d’interprétation, et à ce titre ont fait l’objet
de beaucoup de jurisprudence46.
qui maintient la validité d’une clause de non-concurrence se trouvant dans une
option d’achat. La clause interdisait l’achat de terrains dans un rayon de 20 milles de la ville de Rivière-du-Loup.
45. Id., p. 9 du jugement.
46. Voir, à titre d’exemple: 9008-3817 Québec Inc. c. Muffins Probec Inc., [1998]
R.J.Q. 42 (C.A.); Ivanhoé III inc. c. Pique-Vite (Galeries Rive-Nord) inc., J.E.
98-1665 (C.S.); Marché du boulevard (1984) Inc. c. Hudon et Deaudelin Ltée, J.E.
93-1891 (C.A.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
299
Jamais, toutefois, à notre connaissance, n’a-t-on invalidé une clause
d’exclusivité en raison d’atteinte
au principe de la liberté commerciale47. La raison pour cela est fort
simple. Les clauses d’exclusivité, si
onéreuses qu’elles puissent être,
sont par leur nature limitées:
• dans le temps, à la durée du
bail (ou à l’exploitation active
du commerce dans les lieux
loués, ce qui peut être de
durée moindre);
• dans l’espace, au centre commercial.
De plus, les clauses d’exclusivité sont souvent la contrepartie
des clauses d’usage par lesquelles
le locateur limite le genre d’utilisation que le locataire peut faire
des lieux loués, dans le but d’assurer une variété intéressante
d’activités dans le centre commercial. Les tribunaux semblent
reconnaître, du moins implicitement, la validité de ces restrictions
de part et d’autre.
Dans certains cas, le bail
commercial prévoit l’extension de
la restriction à l’extérieur du centre commercial, ce que l’industrie
immobilière appelle une «clause de
rayon». Lorsque la restriction est
au bénéfice du locataire, le locateur ne peut, pendant la durée du
bail, permettre une activité similaire dans un territoire défini
comme étant un rayon de x kilomètres du centre commercial. Ce
genre de clause n’est qu’une extension dans l’espace de l’exclusivité
du locataire, et à ce titre ne vaut
que pour des immeubles appartenant au locateur ou, dépendant de
la rédaction de la clause, à une personne liée. C’est ainsi que l’efficacité de ce type de clause de rayon
est relativement limitée, d’autant
plus que, selon la jurisprudence,
elle n’empêche pas le locateur de
vendre un terrain situé dans l’aire
couverte par la clause de rayon à
quiconque sachant que l’acquéreur
a l’intention de s’en servir pour une
fin prohibée48.
L’autre type de clause de
rayon est au bénéfice du locateur et
vise à empêcher le locataire, au
cours du bail, d’exercer une activité similaire dans un territoire
défini encore une fois en termes de
rayon à partir du centre commercial. Cette clause a pour but de
décourager le locataire de se relocaliser en cours du bail, ou encore
protéger le loyer à pourcentage
payable au locateur. Ce type de
restriction fut l’objet de la décision
de la Cour supérieure dans Place
Lebourgneuf (1986) Inc. c. Gestion
dentaire Dal-Veau Inc. et al.49. Le
jugement applique le critère de rai-
47. Wal-Mart, dans l’arrêt Katiou inc. c. Rossdeutscher, J.E.-96-800, (appel réglé
hors cour: no 500-09-002282-960) a cherché à faire déclarer invalide une clause
d’exclusivité relativement à l’exploitation d’une pharmacie dans un centre commercial, au motif que la clause constituait une entrave à l’exercice de la profession de pharmacien, enfreignant la Loi sur la pharmacie, et donc, contraire à
l’ordre public. Le tribunal était d’avis que le bail n’écartait pas les principes de
la Loi sur la pharmacie. La clause ne faisait qu’assurer l’exclusivité de l’activité
de pharmacie dans le centre commercial, et il s’agissait d’une clause de nonconcurrence ne contrevenant pas à cette loi.
48. Hudon et Deaudelin Ltée c. Aménagement Westcliff Ltée, [1997] R.J.Q. 372
(C.A.). Il s’agit toutefois d’une question d’interprétation du contrat.
49. J.E. 91-633 (C.S.).
300
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
sonnabilité, celle-ci étant appréciée à la fois du point de vue du
public (qui risquait d’être privé
d’un service) et du point de vue des
défendeurs (qui risquaient d’être
empêchés d’exercer leur profession
dans un certain territoire). La
clause en question défendait au
locataire et à certaines personnes
liées, dans un rayon de trois milles
à partir du centre commercial,
d’exercer, directement ou indirectement, un commerce semblable à
celui exercé dans les lieux loués.
Les défendeurs individuels – les
dentistes actionnaires et administrateurs du locataire – ont quitté le
centre commercial avant l’expiration du bail, pour exercer leur
profession à un endroit situé à 1,8
kilomètre de distance, donc à l’intérieur du territoire prévu par la
clause de rayon. Le locateur a
intenté une action en injonction
permanente. À l’encontre de l’action, les parties défenderesses ont
plaidé que la clause allait au-delà
de ce qui était raisonnablement
nécessaire à la protection des intérêts de la demanderesse. Le tribunal n’était pas d’accord. Selon le
juge Goodwin, la distance de trois
milles de rayon du centre commercial était raisonnable «compte tenu
de toutes les autres possibilités
qu’a le public d’obtenir des soins
dentaires et vu que les dentistes
pourraient eux-mêmes exercer
leur profession dans un milieu
similaire50», et la durée de cinq
ans, qui correspondait à la durée
du bail, était également raisonnable. Le juge conclut en disant
que les défendeurs avaient adhéré
libr emen t au c on tr a t et ils
devaient respecter leur engagement.
Comment devrait-on appliquer le critère de raisonnabilité
dans le contexte des stipulations
de restriction d’usage? Même si
l’intérêt social favorise la liberté
commerciale, la tentative de se
prémunir contre la concurrence en
prohibant un type particulier d’activité sur un immeuble donné ne
peut pas être illégale en soi, car,
sinon, toutes les clauses d’exclusivité seraient invalides. De plus,
contrairement à la situation que
l’on retrouve en matière de clause
de non-concurrence (notamment
dans un contrat d’emploi), les parties à une stipulation de restriction
d’usage traitent habituellement
sur un pied d’égalité et personne
ne risque d’être privé de la possibilité de gagner sa vie.
Ceci étant dit, il ne faut
quand même pas que la stipulation
dépasse ce qui est raisonnablement nécessaire pour la protection
des intérêts du bénéficiaire. Normalement, le territoire, qui est
limité à un ou plusieurs immeubles spécifiques appartenant au
cocontractant, ne pose pas de problème, mais la situation pourrait
être l’inverse si le fonds «servant»
est trop loin du commerce du bénéficiaire. Le critère de raisonnabilité s’apprécie également du point
de vue du public. C’est ainsi que la
stipulation ne devrait pas avoir
pour effet d’obliger les consommateurs à parcourir de longues distances afin de trouver les biens ou
services couverts par la restriction,
ni limiter indûment la concurrence
dans un marché donné. Le problème réside le plus souvent dans
la durée de la prohibition, car,
50. Id., p. 8.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
301
dans leur volonté d’en faire une
servitude réelle, les parties l’ont
très souvent stipulée perpétuelle.
À notre avis, une durée illimitée
serait fatale à la validité de la stipulation.
En l’absence totale de jurisprudence directement sur le point,
il est peut-être osé de se prononcer
sur une durée qui pourrait être vue
comme raisonnable. À notre avis,
la durée de la stipulation ne
devrait pas excéder la durée de
l’exploitation du commerce que l’on
vise à protéger (car alors la stipulation dépasse ce qui est raisonnablemen t n éc essair e p our la
protection des intérêts du bénéficiaire). De plus, il serait sûrement
prudent d’indiquer une limite
maximale, par exemple 30 ans.
tion a tout intérêt d’assurer que
celle-ci soit prise en charge par
tout acheteur subséquent de l’immeuble. Il a également intérêt de
pouvoir lui-même la céder à une
personne qui achète son fonds de
commerce. La transmission de la
stipulation obéit aux règles générales en matière d’obligations.
LA TRANSMISSIBILITÉ
DE LA RESTRICTION
D’USAGE À TITRE
D’OBLIGATION
PERSONNELLE ET SON
OPPOSABILITÉ AUX TIERS
Évidemment, la transmissibilité du bénéfice contractuel peut
en pratique être rendue impossible
par la rédaction même de la stipulation. Ainsi, une clause qui limite
la durée de la restriction à la
période au cours de laquelle le
bénéficiaire opère son commerce
sur le fonds «dominant» empêchera normalement un acquéreur
subséquent du fonds de commerce
d’en bénéficier. En dehors de cette
circonstance, le bénéficiaire de la
stipulation pourra la céder à l’acquéreur de son fonds de commerce,
en autant que la clause prévoit la
possibilité de la transférer à titre
d’accessoire du fonds de commerce51.
Si la restriction d’usage ne
confère qu’un droit personnel, il
demeure important de savoir si le
bénéfice d’une part et l’obligation
d’autre part peuvent être transmis. Le bénéficiaire de la stipula-
Les parties peuvent prévoir
que tout acquéreur subséquent de
l’immeuble devra «assumer» l’engagement. Si l’acquéreur le prend
en charge, un deuxième débiteur
sera ajouté au débiteur original de
51. Art. 1442 C.c.Q. Voir J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations,
Cowansville, Yvon Blais Inc., 5e édition, 1998, no 465. Dans Les Huiles J.
St-Pierre Inc. c. Les Huiles Montcalm Inc., [1985] C.A. 13, les appelants avaient
vendu leur commerce à la compagnie Énergie 2000 Inc. Le contrat contenait une
clause de non-concurrence en faveur de l’acheteur. Énergie 2000 a revendu le
commerce à l’intimée. La Cour d’appel a refusé d’émettre une ordonnance
d’injonction interlocutoire à la demande de l’intimée, étant donné que le contrat
original ne prévoyait pas la transmissibilité de la clause de non-concurrence, et
les appelants ne sont pas intervenus dans la vente subséquente pour consentir à
son transfert. À la page 15 du jugement, le juge Chouinard dit ceci: «Que la
clause de non-concurrence ait été l’accessoire de la clientèle vendue ou même
davantage la garantie de l’existence de celle-ci, cela peut être contraire à la
volonté exprimée des parties. Dans l’espèce sous étude, cette volonté n’est pas
claire...»
302
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
l’obligation, par le mécanisme de la
délégation de paiement simple52.
Si, par contre, l’acquéreur subséquent n’assume pas la stipulation,
le bénéficiaire pourra être limité à
poursuivre son cocontractant,
étant donné que l’acquéreur n’est
pas partie au contrat. C’est ainsi
qu’une fois qu’il a trouvé que la restriction d’usage n’était pas une servitude réelle, le juge Denis s’empresse à dire que la convention est
inopposable à l’acquéreur subséquent de l’immeuble53. Il s’agit
d’une application du principe de la
relativité des contrats dont traite
l’article 1440 C.c.Q.:
Le contrat n’a d’effet qu’entre les
parties contractantes; il n’en a
point quant aux tiers, excepté
dans les cas prévus par la loi.
Est-ce que le fait que l’acheteur subséquent soit au courant de
la clause (celle-ci ayant fait l’objet
de publication contre l’immeuble
dans le registre foncier) change la
situation? L’article 2941 C.c.Q.
rend les droits publiés opposables
aux tiers. Les droits en question
sont les droits réels, dont la loi
requiert la publication, ainsi que
les autres droits personnels dont la
loi prescrit ou autorise la publication, tel qu’un bail54. L’article 2941
C.c.Q. ne s’applique pas aux simples obligations personnelles dont
la loi ne permet pas la publication,
et le fait que ces obligations se
trouvent dans un acte publié ne les
rend pas automatiquement opposables aux tiers. Dans Léveillé, non
seulement l’acheteur potentiel
avait l’intention de se servir de
l’immeuble pour une fin prohibée
par la stipulation, mais il en était
parfaitement au courant, et savait
que son vendeur était lié par la
clause. Malgré ceci, le juge Denis
trouva que la clause ne lui était pas
opposable55.
Il existe toute une série d’arrêts où les tribunaux ont traité de
la question de l’opposabilité au
tiers d’un engagement de nonconcurrence ou d’une clause d’exclusivité56. Dans certaines circonstances, les tribunaux sont prêts,
sur la base des principes de la responsabilité délictuelle, à condamner le tiers au paiement de
dommages-intérêts ou à émettre
une ordonnance d’injonction
contre lui pour faire cesser la situation prohibée.
Baudouin et Jobin disent ceci:
De plus, le champ de l’opposabilité des contrats s’est singulièrement développé en droit
contemporain. En effet, dans
l’appréciation de la portée de l’effet relatif des contrats, il ne faut
pas confondre deux notions voisines et parfois difficiles à bien
distinguer: l’effet de l’obligation
et son opposabilité. Si l’obligation contractuelle est sans effet
52. Voir les arrêts La Confédération c. Traklin Holdings Inc., no 500-05-007130-923
et Morness Investment Inc. c. Chahbazi, no 500-05-013387-905, qui traitent de
la qualification juridique de la prise en charge d’un prêt hypothécaire par l’acquéreur d’un immeuble. À notre avis, le principe devrait être le même pour la
prise en charge d’une restriction d’usage.
53. Op. cit., note 18, p. 410.
54. Voir articles 2941 et 2938 C.c.Q.
55. Op. cit., note 18, p. 410.
56. Voir Howard KAMINSKY, «Landlord-Tenant. A breach of a restrictive covenant: Does an interlocutory injunction lie against a third party in good faith and
without knowledge?», (1992) 22 R.D.U.S. 155.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
303
vis-à-vis des tiers, en ce sens
qu’ils ne peuvent en devenir créanciers ou débiteurs au plan contractuel, il n’en reste pas moins
qu’elle leur est opposable. Le fait
qu’un tiers ne soit pas partie à un
contrat ne lui donne pas le droit
de l’ignorer. Ce contrat s’impose
à lui comme tout fait juridique.
Ainsi, l’employeur qui, en connaissance de cause, engage un
individu qu’il sait lié à son
concurrent, commet une faute
délictuelle et peut être poursuivi
en dommages. Le principe de
l’effet relatif des contrats doit
donc être réduit à sa vraie
dimension qui est la suivante: le
tiers n’a aucun droit de créance,
ni aucune responsabilité obligationnelle en raison d’une convention à laquelle il n’est pas partie
même s’il demeure tenu de respecter celle-ci.57
Kaminsky 58 commente le
jugement non rapporté de la Cour
supérieure dans Mercerie Bougrin
Inc. c. Les Galeries des Monts
Inc. 59 . Un locataire demandait
l’émission d’une ordonnance d’injonction contre son locateur et un
nouveau locataire pour faire cesser
une utilisation qui portait atteinte
à son exclusivité. Au moment de la
signature de son bail et de son
aménagement dans le centre commercial, le nouveau locataire ignorait l’existence de l’exclusivité. La
Cour a refusé d’émettre l’ordonnance. La juge Deschamps commente la règle discutée par
Baudouin dans les termes suivants:
L’application des règles de la
responsabilité délictuelle rend le
fardeau des parties moins lourd,
mais exige quand même la connaissance par le tiers des droits
des parties. Il serait impensable
de pouvoir opposer à un tiers non
partie à un contrat, des droits
dont il ignore tout. L’évolution
jurisprudentielle est telle maintenant que la simple connaissance suffit par opposition à une
participation à un contrat, mais
cette évolution jurisprudentielle
ne permet pas une contravention
claire à la règle de la relativité
des contrats.60
Kaminsky conclut en disant
que la simple connaissance de la
part du tiers de l’existence d’une
clause d’exclusivité ne serait pas
suffisante pour établir sa responsabilité délictuelle, s’il croyait sincèrement qu’il ne la violait pas. Si,
toutefois, la conduite du tiers équivaut à la mauvaise foi (ce qui
arrive lorsque le tiers est non seulement au courant, mais participe
au bris du contrat), sa responsabilité délictuelle sera engagée.
Appliquant ces principes au
cas qui nous intéresse, il nous semble qu’abstraction faite de la possibilité que la stipulation soit jugée
contraire à l’ordre public, un
acquéreur potentiel d’un immeuble qui fait l’objet d’une stipulation
de restriction d’usage engagerait
sa responsabilité délictuelle s’il
décidait d’ignorer la restriction,
sachant que son vendeur commet
un bris de contrat. De plus, une
ordonnance d’injonction pourrait
être émise à la fois contre le vendeur, partie au contrat contenant
57. Op. cit., note 51, no 457
58. Op. cit., note 56. Voir également, Pierre-G. JOBIN, «Sécurité et information de
l’usager d’un produit», (1972) 13 C. de D. 453, p. 455 à 456.
59. No 500-05-011970-900, 14 novembre 1990. Voir, également, Boucherie Côté Inc.
c. Fruitier d’Auteuil Inc., J.E. 99-707 (C.A.).
60. Mercerie Bougrin, note 59, p. 9 et 10.
304
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
la stipulation, et l’acquéreur
potentiel qui s’apprête à acquérir
l’immeuble, pour empêcher la contravention appréhendée de la restriction.
Conclusion
Nous avons vu que la doctrine, très majoritairement, ainsi
que la plus récente jurisprudence,
sont à l’effet qu’une stipulation de
restriction d’usage d’un immeuble
ne constitue pas une servitude
réelle, et qu’il y a de forts doutes
quant à sa validité à titre de servitude personnelle. Quant à la validité de la stipulation à titre
d’obligation personnelle, celle-ci
devrait être jugée selon le critère
de raisonnabilité qui s’applique
aux contrats de non-concurrence,
que l’on adaptera au contexte particulier d’une restriction affectant
un immeuble.
Même si la stipulation n’est
qu’une obligation personnelle, elle
est transmissible, et à ce titre peut
être invoquée contre l’acquéreur
de l’immeuble qui la prend à sa
charge. Si le principe énoncé par
Baudouin et Jobin 61 est suivi,
même un acquéreur subséquent
q ui
n’a va it
pas
a ssum é
l’engagement ferait fi de la restriction à son péril.
Finalement, nous soumettons que les tribunaux devraient
faire preuve de prudence lorsqu’on
leur demande de qualifier juridiquement la stipulation de restriction d’usage à titre de droit réel ou
droit personnel. Dans bien des cas,
le recours ne constitue en réalité
qu’un moyen détourné pour contrevenir à une obligation contractuelle. Nous ne croyons pas que
c’est le rôle de la Cour de venir en
aide à de telles démarches.
61. Supra, note 57.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
305
DROIT DISCIPLINAIRE
Marie Paré
Droit disciplinaire: l’enquête du syndic
Le Code des professions confie au syndic d’un ordre professionnel un rôle clef en matière de
contrôle de l’exercice de la profession. Nous nous proposons ici de
faire le point sur l’état actuel de la
jurisprudence quant à l’étendue
des pouvoirs d’enquête du syndic
(1), l’obligation corrélative de collaboration imposée au professionnel
(2) et les conséquences des vices
affectant l’enquête eu égard à l’instance disciplinaire (3). Nous aborderons également, de façon très
succincte, la question de l’imputabilité du syndic (4), sur laquelle
les tribunaux se sont encore trop
peu penchés.
1.
L’étendue de l’enquête
du syndic
L’article 122 du Code des professions1 énonce que l’enquête du
syndic doit être initiée «à la suite
d’une information à l’effet qu’un
professionnel a commis une infraction à l’article 116». L’enquête dont
traite cette disposition n’a pas à
revêtir un caractère formel, et l’in-
formation portée à l’attention du
syndic peut même lui permettre de
procéder directement au dépôt
d ’une p la int e d iscip lina ire.
L’article 128 du Code a en effet été
interprété comme autorisant le
syndic à agir, sans enquête préalable, lorsqu’il a lui-même pris
connaissance d’une infraction commise par un membre de l’Ordre2. À
titre d’exemple, cette connaissance
du syndic peut découler d’une
réclame publicitaire antidéontologique3, ou d’un jugement rendu
par un tribunal4.
Qu’il agisse de sa propre initiative ou à la demande d’un tiers,
et qu’il lui apparaisse ou non utile
de procéder à une enquête préalable formelle, le syndic qui décide
de porter plainte contre un membre doit fonder son intervention
sur une quelconque «information»
au sens de l’article 122. La lecture
conjuguée des articles 122 et 128
du Code permet de conclure que la
source de cette information est
sans pertinence:
1. 122. Le syndic et les syndics adjoints peuvent, à la suite d’une information à l’effet
qu’un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116, faire une
enquête à ce sujet et exiger qu’on leur fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. Ils ne peuvent refuser de faire enquête pour le seul
motif que la demande d’enquête ne leur a pas été présentée au moyen du formulaire proposé [...]
2. Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), [1991] D.D.C.P. 190
(T.P.).
3. Ibid.
4. Parizeau c. Barreau du Québec, [1997] R.J.Q. 1701 (C.S.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
307
[...] l’article 122 du Code ne
requiert pas qu’une demande
d’enquête soit reçue par le syndic. En effet, l’article requiert
simplement que le syndic agisse
sur la foi d’une information. Une
lecture rapide des articles 122,
122.2 et 123.3 du Code fait voir
que le législateur distingue
entre «information» et «demande
d’enquête». Le bon sens commande que les remarques faites
par un juge dans le corps de son
jugement concernant le comportement d’un membre du Barreau, puisse être considéré
comme une source d’information
suffisante pour le syndic. [...]5
La jurisprudence retient
donc clairement une interprétation libérale de l’article 122. Le
Syndic doit être en mesure de
mener son enquête selon ses
«intuition, soupçon et information»6: ses pouvoirs d’enquête étendus ont pour objet de lui permettre
de vérifier le bien-fondé des «suspicions» qu’il peut entretenir quant
au comportement d’un ou plusieurs membres, lorsque d’une
façon ou d’une autre leurs agissements ont été portés à son attention.
Cela étant dit, dans l’arrêt
Beaulne c. Kavanagh 7 la Cour
d’appel a déclaré que le syndic n’a
pas un pouvoir général et discrétionnaire de faire enquête, mais
bien un pouvoir «spécifique et
limité». L’enquête dont la légalité
était remise en cause dans cette
affaire concernait tous les membres de la profession et avait pour
but d’identifier les optométristes
qui pratiquaient en étroite collaboration avec des opticiens d’ordonnance. Le syndic précisait dans sa
demande de renseignement que le
défaut d’y répondre était susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires. L’intervention du
syndic n’était donc pas individualisée, fondée sur une «information»
au sens de l’article 122 du Code, et
constituait en fait une «partie de
pêche».
Les limites imposées à cette
occasion par la Cour d’appel au
pouvoir du syndic d’initier et
mener une enquête doivent cependant être appréciées à la lumière
des faits particuliers de l’espèce8.
La jurisprudence subséquente a en
effet confirmé que le syndic n’est
pas tenu de circonscrire son
enquête aux fautes qui sont alléguées dans la dénonciation,
lorsque une information en justifiant l’élargissement est portée à
sa connaissance. À titre d’exemple,
le syndic n’a pas à ignorer les
infractions dont l’existence peut
lui être révélée en cours d’enquête9, au motif que la dénonciation n’en faisait pas mention. Sou-
5. Id., p. 1711.
6. Id., p. 1709. Voir également Seyer c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel
des), [1996] D.D.O.P. 280 (T.P.), Laporte c. Médecins, [1997] D.D.O.P. 271 (T.P.),
Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2, et Thibault c. Leduc, J.E. 98-416 (C.S.).
7. Beaulne c. Kavanagh, [1989] R.J.Q. 2343 (C.A.).
8. La portée limitée de ce jugement est d’ailleurs soulignée par la Cour supérieure
dans Mailloux c. Beltrami, [1998] R.J.Q. 1228 (C.S.), appel rejeté 1999-02-19.
9. Seyer c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), précité, note 6; Laporte c.
Médecins (Ordre professionnel des), précité, note 6, p. 287: «Quand le syndic
enquête, il a le droit de constater ce qui est évident et qui l’amène à pousser son
enquête.»
308
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
lignons également que le syndic
peut, lorsqu’il interroge un professionnel dans le cadre d’une
enquête portant sur un autre
membre, découvrir des faits
l’incitant à penser que ce professionnel a lui-même commis des
fautes déontologiques: il a alors le
pouvoir d’initier une enquête distincte10.
En conséquence, si la teneur
d’une dénonciation ou de l’information détenue par le syndic
limite initialement la portée de son
enquête et par le fait même la
nature des renseignements ou
documents qu’il peut exiger d’un
professionnel, cette limite peut
être repoussée lorsqu’une nouvelle
information au sens de l’article 122
est obtenue en cours d’enquête.
Contrairement à l’enquête devant
le Comité de discipline, circonscrite par les termes de la plainte
disciplinaire, celle du syndic est
fonction de l’ensemble des informations portées à sa connaissance
préalablement au dépôt de la
plainte.
2.
L’obligation du
professionnel de fournir
les renseignements et
documents demandés par
le syndic.
dienne, et qu’il aurait dû obtenir
un mandat de perquisition. Le Tribunal a très clairement rejeté ces
arguments: seul le chapitre VII du
Code des professions, intitulé «Dispositions pénales», requiert l’obtention du mandat de perquisition
visé à l’article 190.1 C.P. D’autre
part, la fouille ou saisie ne pouvait
être qualifiée d’«abusive» puisque
le syndic, contrairement au policier procédant à une perquisition,
n’a pas besoin pour agir d’avoir des
motifs «raisonnables et probables»
de croire qu’une infraction a été
commise, le seuil d’application des
articles 114 et 122 C.P. étant beaucoup moins élevé:
[...] Le syndic a donc le droit,
dans le cadre d’une enquête sur
une infraction commencée suite
à une information, d’exiger la
production de documents et
qu’on lui donne tous les renseignements pertinents.
[...] L’appelant estime que le
Comité de discipline a faussement assimilé le rôle du syndic à
celui d’un inspecteur effectuant
une inspection administrative.
L’arrêt de la Cour Suprême du
Canada dans Comité paritaire
de l’industrie de la chemise c.
Potash, [[1994] 2 R.C.S. 406,
454] est instructif à ce sujet:
La demande de renseignements et documents adressée au
professionnel par le syndic constitue une «saisie» ou «fouille» aux
sens donnés à ces termes par la
jurisprudence. Dans l’affaire
Laporte c. Médecins11, le professionnel appelant prétendait que le
syndic avait procédé à une fouille
abusive au sens de la Charte cana-
[...] Il existe une distinction
importante entre avoir des
motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et posséder
une simple information, surtout si celle-ci est donnée de
façon anonyme. Une inspection sera souvent nécessaire
avant même qu’on puisse justifier l’existence de motifs rai-
10. Thibault c. Leduc, précité, note 6.
11. Laporte c. Médecins (Ordre professionnel des), précité, note 6.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
309
sonnables de croire qu’une
infraction a été commise.
Le rôle de l’inspecteur agissant
en vertu d’une information, examinant registres et documents et
recherchant une preuve inculpatoire nous semble bien similaire
à celui du syndic.
Dans les deux cas, on n’a pas de
motifs raisonnables de croire à la
commission d’une infraction, on
n’a pas le droit de perquisitionner de force, la sanction de la
personne refusant de fournir les
documents ou renseignements
étant la condamnation pour
entrave, les documents dont la
rédaction est exigée et qui sont
susceptibles d’être examinés ne
sont pas de nature personnelle et
ne procurent aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de ceux qui ont le
droit de les consulter et enfin, il y
a possibilité de faire sanctionner
les abus par contrôle judiciaire.
Nous faisons nôtre la conclusion
tirée par la Cour Suprême dans
Potash, même si c’était dans un
contexte législatif différent:
Compte tenu de l’importance
de l’objectif des lois réglementaires, de la nécessité des pouvoirs d’inspection et des
attentes réduites en matière
de vie privée, l’équilibrage des
intérêts sociaux et des droits
des particuliers ne commande
pas l’imposition d’un système
d’autorisation préalable en
sus de l’aval législatif.
Le Tribunal estime qu’elle peut
s’appliquer au syndic.
[...] S’il n’y a pas de consentement, il s’agit bien d’une saisie.
Elle n’est cependant pas abusive. Le syndic faisait légalement
enquête et a demandé des documents dont la Loi exige la tenue.
La valeur sous-jacente à l’article
8 de la charte est la protection de
la vie privée. Comme nous
l’avons vu, l’appelant n’avait pas
d’attente raisonnable de vie privée, dans le contexte de réglementation et de protection du public,
à l’égard des documents demandés.12 (nos italiques)
La Cour supérieure en arrive
à des conclusions similaires dans
la cause Mailloux c. Beltrami13.
Dans cette affaire les requérants,
des audioprothésistes, contestaient la validité des articles 114 et
122 du Code des professions, et
demandaient à la Cour d’émettre
une injonction enjoignant au syndic de cesser d’exiger d’eux des
documents. Après avoir déclaré
que la demande de production de
documents constituait bien une
saisie au sens de l’article 8 de la
Charte canadienne, le juge Guertin
a conclu que les dispositions en
cause ne portaient pas atteinte aux
articles 8 et 24.1 de la Charte,
compte tenu du contexte dans
lequel ce pouvoir est exercé.
Les faits susceptibles de justifier l’exercice par le syndic de la
plénitude de ses pouvoirs d’enquête n’ont donc pas à rencontrer
des critères de fiabilité très exigeants. C’est plutôt au stade du
dépôt de la plainte disciplinaire
que le Code impose une obligation
plus lourde au syndic: ce dernier
doit en effet juger que «la plainte
[...] paraît justifiée»14.
Le syndic joue, eu égard au
contrôle de la profession, le rôle
d’enquêteur et, dans l’éventualité
12. Ibid.
13. Mailloux c. Beltrami, précité, note 8.
14. Art. 128 C.P. Soulignons que la plainte doit également être accompagnée de
l’affidavit du plaignant (art. 127 C.P.).
310
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
du dépôt d’une plainte disciplinaire, celui de plaignant. Dans le
premier volet de son intervention,
ses obligations à l’égard du professionnel sont restreintes, dans la
mesure où il agit sur la foi d’une
information au sens de l’article 122
du Code des professions. Soulignons que le Code ne contient pas
d’obligation stricte d’aviser formellement le professionnel qu’il est
l’objet d’une enquête, et les propos
tenus par la Cour supérieure dans
le jugement Parizeau c. Barreau
du Québec permettent de conclure
que le syndic peut même agir à son
insu15.
Suite à la saisine du Comité
de discipline, le syndic est partie à
l’instance disciplinaire, et la conduite de l’affaire relève dès lors du
Comité lui-même16. Il est toutefois
important de noter que le syndic ne
se trouve pas, malgré son statut de
simple «partie», dans la même
position que le professionnel
intimé. D’une part, préalablement
à l’audition le syndic17 a une large
obligation de divulgation de la
preuve, gouvernée par le critère de
la pertinence18, alors que l’obligation de divulgation du professionnel se limite quant à elle à la
preuve d’expert qu’il entend faire
valoir en défense. Dans l’affaire
Roy c. Médecins19, le professionnel
en appelait d’une décision lui
imposant la divulgation au syndic
plaignant des noms et résumés des
témoignages de ses témoins,
experts ou autres, et des documents qu’il entendait produire. En
mettant l’accent sur l’efficacité du
processus disciplinaire, le Comité
de discipline s’était en effet rendu
aux arguments du syndic qui soutenait qu’il avait droit «à une pour-
15. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4, p. 1711:
[...] La tenue d’une enquête concernant un membre du Barreau par un ou plusieurs syndics adjoints, à la connaissance du membre ou à son insu, ne constitue
pas en soi un préjudice pour ce membre. L’obligation de discrétion du syndic et
de ses assistants protège la réputation du membre enquêté. Certes, les enquêteurs posent des questions et rencontrent des gens, et un risque de fuite est toujours possible, mais cela ne saurait justifier l’absence d’enquête dont la finalité
demeure toujours la protection du public.
Voir également Farhat c. Lalonde, [1999] R.J.Q. 1699 (C.S.).
16. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4, p. 1708. Le syndic n’est pas un
«organe décisionnel» de l’ordre professionnel, contrairement au Comité de discipline ou au Bureau, lorsque ce dernier exerce notamment les pouvoirs que lui
confère l’article 55.1 C.P. Voir, sur la question du locus standi du Bureau devant
le Tribunal des professions, le jugement récemment rendu dans Lessard c.
Comité des requêtes du Barreau, T.P. Mtl., no 500-07-000240-980, 16 avril 1999,
juges J. Biron, P. Bachand et G. Rouleau, où il a été décidé que le locus standi du
Comité des requêtes du Barreau se limite aux questions de compétence.
17. Soulignons que tout plaignant, qu’il s’agisse du syndic ou d’une personne du
public, est en fait soumis à cette obligation de divulgation, puisque c’est le droit
de l’intimé à une défense pleine et entière (art. 144 C.P.) qui en est le fondement,
et non pas le caractère public de la charge de syndic: voir Larocque c. Charette,
[1996] D.D.O.P. 47 (C.D. Dent.) et Brunet c. Lebel, [1998] D.D.O.P. 203 (T.P.)
(Rés.) D.D.E. 98D-44 (T.P.).
18. Voir notamment Notaires (Corp. professionnelle des) c. Delorme, [1994] D.D.
C.P. 287 (T.P.) (requête en évocation rejetée, no 500-05-004517-940); Vernacchia c. Médecins (Ordre professionnel des), [1995] D.D.O.P. 265 (T.P.); Latulippe
c. Tribunal des professions, J.E. 98-1367 (C.A.).
19. Roy c. Médecins (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 229 (T.P.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
311
su ite plein e et en ti ère». Le
Tribunal des professions a en ces
termes accueilli partie de l’appel:
[...] Il n’y a pas lieu de s’engager
dans une joute sémantique pour
décider si l’expression «défense
pleine et entière» a une sœur
jumelle appelée «poursuite
pleine et entière». Qu’il suffise de
reconnaître, sans ambages, que
les deux protagonistes ont le
droit de faire valoir leurs points
de vue respectifs, tant devant le
comité de discipline qu’en appel.
Reste à déterminer si l’obligation de divulgation doit être
identique, compte tenu des pouvoirs conférés au syndic par le
Code des professions, des règles
de procédure et de preuve régissant l’audience disciplinaire, et
de la nature et des conséquences
d’une condamnation pour le professionnel.
[...] Compte tenu des pouvoirs
importants que possède le syndic, compte tenu de la charge de
la preuve par prépondérance à
laquelle il est astreint, compte
tenu des conséquences parfois
lourdes d’une déclaration de culpabilité, compte tenu de l’objectif
de protection du public que vise à
atteindre le droit disciplinaire, il
y a lieu de réformer en partie la
décision rendue par le Comité de
discipline.
L’obligation générale de communiquer les noms de tous les
témoins et le résumé de leurs
témoignages va trop loin. Sous
l’angle de l’efficacité, elle se
défend bien. [...] Cependant le
droit disciplinaire n’est pas identique au droit civil. Les enjeux ne
sont pas les mêmes. La position
du professionnel se rapproche
davantage de l’accusé en droit
pénal que d’une partie à un litige
civil. [...] Le syndic a suffisamment d’avantages au départ, il
connaît suffisamment d’éléments du dossier du professionnel pour ne pas être en reste et
ne pas se trouver dans une situation désavantageuse. La possibilité pour le professionnel de ne
pas être contraint de dévoiler à
l’ a va nc e l’ e ns e mb le de s a
défense, rétablit une certaine
forme d’équilibre entre les deux
parties.
Une exception s’impose toutefois
au principe de la divulgation par
la défense; elle se rapporte aux
expertises. Voilà un domaine
technique et objectif où la communication par le professionnel
du nom, du curriculum vitæ, des
textes de référence et du rapport
de l’expert ou, s’il n’existe pas, du
résumé de son témoignage, servirait adéquatement les fins de la
justice.20 (nos italiques)
D’autre part, le locus standi
du syndic trouve sa source dans le
Code des professions et il n’agit
donc pas à titre privé, mais ès qualité. Son rôle ne consiste pas en
principe à gagner une cause, mais
bien à éclairer le Comité afin que
les objectifs du droit disciplinaire,
à savoir la protection du public,
puissent être atteints. Bien que le
respect de ces paramètres du rôle
du syndic puisse parfois être difficile à apprécier, le Tribunal des
professions n’a pas hésité, dans sa
décision Hudon c. Médecins vétérinaires21, à souligner l’incohérence
de la position défendue devant lui
par le syndic, qui aurait tenu «un
langage contradictoire susceptible
20. Id., p. 232.
21. Hudon c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), [1995] D.D.O.P. 283
(T.P.), p. 291.
312
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
d’être perçu comme une déviation
de son rôle public de surveillant de
l’ensemble de la profession»22.
Le syndic, qu’il exerce son
rôle d’enquêteur ou assume celui
de partie devant le Comité de discipline, n’a pas à faire preuve
d’impartialité vis-à-vis du professionnel intimé. Comme l’a souligné
la Cour supérieure dans la cause
Parizeau c. Barreau du Québec23,
[...] le syndic et les syndics
adjoints sont-ils tenus d’agir de
manière indépendante et impartiale face à la requérante? Malgré plusieurs questions du
Tribunal, la procureur de la
requérante a été incapable de
citer un article des Chartes qui
répondrait affirmativement à
cette question, car le syndic et
les adjoints ne sont pas des tribunaux au sens des Chartes.
[Des articles 121 et 124 et de
l’annexe II du Code des professions] il apparaît clairement que
le syndic et les adjoints doivent
agir à distance par rapport au
Barreau, à la requérante et à
toute autre personne. Qui plus
est, le Barreau a l’obligation de
prendre les dispositions nécessaires pour préserver en tout
temps leur indépendance dans
l’exercice de leurs fonctions. De
plus, le syndic, les syndics
adjoints et les syndics correspondants sont tenus à un devoir de
discrétion.
Nulle part cependant ne leur
est-il fait obligation d’être
impartiaux face à la requérante.
D’ailleurs, comment pourrait-il
en être ainsi? En effet, à partir
du moment où une personne,
qu’elle soit policier ou syndic,
reçoit une information concernant une personne et qu’elle
décide de faire enquête, elle
prend position par rapport à la
personne qui fait l’objet de son
enquête. Elle la soupçonne d’un
manquement et de là, exerce ses
pouvoirs d’enquête, souvent à
l’insu de la personne objet d’enquête. Contrairement au comité
de discipline qui a le pouvoir de
sanctionner et qui doit agir de
manière indépendante et impartiale, le syndic et ses assistants
ne sont tenus d’exercer leurs
pouvoirs d’enquête qu’indépendamment de toute pression
externe (art. 121 du Code) et de
bonne foi (art. 193 du Code).24
Enfin, la Cour d’appel a
affirmé, dans l’arrêt Sylvestre c.
Parizeau25, que le professionnel
est informé de la plainte par la
signification qui en est faite, et que
le syndic n’a pas l’obligation de
l’aviser préalablement qu’une procédure disciplinaire sera intentée
contre lui.
À la lumière de ce qui précède, on doit constater qu’au stade
«pré-inculpatoire» le professionnel
a en fait plus d’obligations que de
droits. Cette situation est redevable au contexte particulier du
droit disciplinaire qui, comme il a
été maintes fois répété, «n’est ni le
droit civil ni le droit criminel mais
plutôt une branche du droit administratif qui puise sous certains
rapports au premier et pour d’autres, au second»26. Les ordres professionnels visent la protection du
22.
23.
24.
25.
Ibid.
Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4.
Id., p. 1709.
Sylvestre c. Parizeau, J.E. 98-585 (C.A.). Au même effet, voir Farhat c. Lalonde,
précité, note 15.
26. Archambault c. Avocats (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 157 (T.P.), p.
164. Voir également Béchard c. Roy, [1974] C.S. 13, confirmé unanimement par
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
313
public, par le biais du contrôle non
pas de l’ensemble des citoyens
mais bien uniquement de leurs
membres, lesquels se voient reconnaître le droit d’exercer une profession d’exercice exclusif ou à titre
réservé27. Or ce droit n’existe pas
dans l’absolu: les professionnels
sont légalement tenus de respecter
les règles édictées par le législateur et par l’ordre auquel ils appartiennent. Comme l’a souligné le
juge Dalphond, de la Cour supérieure28:
[...] Lorsque la nature des actes
posés par certaines personnes et
la latitude dont elles jouissent
dans leur travail habituel sont
telles que la protection du public
exige que ces actes ne soient
posés que par des personnes possédant la formation et les qualif ic a tio ns r e q uis e s , l’ É ta t
intervient par la création d’un
ordre professionnel [...]
Une fois un ordre professionnel
créé, toute personne y admise
bénéficie du droit de faire en
exclusivité à toute autre personne non membre de cet ordre,
divers actes et de porter un titre.
[...] (p. 18)
[...] En contrepartie de ce monopole consenti, l’État exige des
membres d’un ordre qu’ils rencontrent des normes élevées de
compétence et d’éthique, toujours afin de protéger le public.
La fonction première du Bar-
la Cour d’appel, [1975] C.A. 509, et Béliveau c. Comité de discipline du Barreau
du Québec, [1992] R.J.Q. 1822 (C.A.). Soulignons que le droit disciplinaire est
généralement qualifié de droit sui generis, expression que certains auteurs
considèrent, à juste titre à notre avis, «surannée et vide de sens», dans la mesure
où les principes développés dans l’ensemble du droit administratif font appel à
la fois au droit pénal et au droit civil (Voir Me Jean-Claude Hébert, «L’exclusion
de la preuve en droit disciplinaire», Colloque sur le nouveau Code des professions, Institut Wilson & Lafleur, 23 novembre 1995).
27. Bien que ce droit ait pu être à l’occasion qualifié de simple «privilège», cette
notion apparaît particulièrement désuète en droit administratif contemporain
(Voir, notamment, le commentaire du juge Gonthier dans 2747-3174 Québec
Inc. c. Régie des alcools du Québec, [1996] 3 R .C.S. 919, p. 947). La question de
savoir si le droit d’exercer une profession est protégé par l’article 7 de la Charte
canadienne fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire, le Tribunal des professions ayant pour sa part répété à plusieurs reprises que cette disposition
n’est pas applicable (voir notamment Roy c. Avocats, [1998] D.D.O.P. 204 (T.P.),
décision évoquée par la Cour supérieure pour d’autres motifs à REJB 98-10129
(C.S.); Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Coutu, [1998] D.D.O.P. 357
(T.P.), évocation rejetée à [1998] R.J.Q. 2824 (C.S.); voir également Windisch-Laroche c. Biron, [1992] R.J.Q. 1343 (C.S.), appel rejeté à J.E. 97-323 et
autorisation de pourvoi devant la Cour suprême rejetée, no 25911). En tout état
de cause, le droit d’exercer une profession ne dépend pas de la simple «volonté du
Prince» ou, en l’occurrence, de celle de l’ordre professionnel (voir à titre d’exemple Ordre des audioprothésistes du Québec c. Chanteur, [1996] R.J.Q. 539 (C.A.),
confirmant [1994] R.J.Q. 2341 (C.S.); Bandi c. Bernier, [1998] R.J.Q. 1590
(C.S.)), et il ne peut y être porté atteinte que dans le respect des règles de justice
naturelle, sous-jacentes au droit à une défense pleine et entière garanti par le
Code des professions. Le débat sur l’applicabilité de l’article 7 de la Charte
semble sous certains aspects quelque peu immatériel, puisque les règles de justice naturelle, dont la reconnaissance a largement précédé l’adoption de la
Charte, trouvent en droit administratif un terreau fort propice à leurs application et développement.
28. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4.
314
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
reau, comme de tout autre ordre
professionnel, est donc de protéger le public (art. 27 du Code) en
s’assurant des qualifications de
ses membres, en adoptant un
code de déontologie approprié et
en mettant en place des infrastructures requises pour la formation des membres et le
contrôle des services qu’ils fournissent au public.29
Le syndic a donc, dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête,
une très large marge de manœuvre30. Ses obligations se limitent, comme il a été mentionné précédemment, à agir sur la foi d’une
information au sens de l’article 122
C.P., avec l’indépendance31 et la
confidentialité32 que lui impose le
Code des professions. Ce n’est
qu’après l’éventuel dépôt d’une
plainte disciplinaire que prend
naissance le droit du professionnel
à une défense pleine et entière et
au respect des principes de justice
naturelle que celle-ci sous-tend.
Ces deux étapes distinctes du processus disciplinaire, qui appellent
l’application de règles également
distinctes, ne sont pas pour autant
hermétiques l’une à l’autre: des
irrégularités commises dans le
cadre de l’enquête peuvent en effet
affecter la légalité et l’admissibilité de la preuve du syndic.
3.
Les vices affectant
l’enquête du syndic
Il a été maintes fois répété
que les comités de discipline et le
Tribunal des professions n’ont pas
le contrôle des agissements du syndic, et qu’une éventuelle illégalité
commise par ce dernier dans le
cadre de son enquête n’entraîne
pas l’irrecevabilité de la plainte.
La jurisprudence est à cet égard
constante. Ce principe est notamment énoncé dans les affaires Fullum c. Psychologues (C orp .
professionnelle des)33, Delisle c.
Arpenteurs-géomètres34, Hakim c.
Lalonde35, Pelletier c. Psychologues36, Parizeau c. Avocats (Ordre
professionnel des)37 et Dulac c.
Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des)38. Le rôle du Comité
de discipline se limite à juger du
bien-fondé de la plainte, selon la
preuve qui lui est présentée, et de
s’assurer que le professionnel
bénéficie d’une défense pleine et
entière.
Si le fait que l’enquête du
syndic ait été menée de façon abusive ou illégale n’entraîne pas
29. Id., p. 1708.
30. Soulignons cependant que le recours en injonction peut être un moyen approprié pour contrôler les abus par le syndic de ses pouvoirs d’enquête: voir Beaulne
c. Kavanagh, précité, note 7, Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des),
[1996] D.D.O.P. 172 (T.P.) et Mailloux c. Beltrami, précité, note 8.
31. Art. 121 C.P.
32. Pour une discussion sur l’obligation de confidentialité du syndic, voir notamment Bissonnette c. Médecins (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 247
(T.P.), p. 258-259 et Farhat c. Lalonde, précité, note 15, p. 1702-1703.
33. Fullum c. Psychologues (Corp. professionnelle des), [1991] D.D.C.P. 317 (T.P.).
34. Delisle c. Arpenteurs-géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2.
35. Hakim c. Lalonde, [1993] D.D.C.P. 252 (T.P.).
36. Pelletier c. Psychologues, J.E. 92D-25 (T.P.).
37. Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des), précité, note 30.
38. Dulac c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 279
(T.P.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
315
l’invalidité de la plainte ellemême, cela ne signifie pas pour
autant que les vices dont elle est
affectée sont sans pertinence eu
égard à l’issue de la procédure disciplinaire. Le Comité de discipline
a en effet la faculté de rejeter les
éléments de preuve obtenus illégalement 39.
Dans l’affaire Archambault
c. Avocats40, le Tribunal des professions a ainsi écarté un élément de
preuve obtenu de façon illégale. Il
s’agissait d’un enregistrement fait
par les forces policières à l’insu de
l’appelant Archambault, et dont le
syndic avait obtenu copie. La Cour
d’appel, dans le cadre des procédures pénales intentées contre l’appelant, en avait déjà constaté le
caractère illégal en s’appuyant sur
les articles 8 et 24 de la Charte
canadienne. Après analyse des
principes d’exclusion de la preuve
applicables en droit pénal et en
droit civil, le Tribunal des professions a ainsi formulé ceux qui
devaient s’appliquer en matière
disciplinaire:
[...] indépendamment de l’article
24 de la charte canadienne et de
son article 8 sur lesquels porte la
décision de la Cour d’appel [...] et
séparément de l’application de
l’article 2858 du Code civil du
Québec, il existe une troisième
voie d’intervention visant à écarter ce qui serait inéquitable dans
une instance disciplinaire. Ce
devoir d’agir avec équité pour les
membres des organes disciplinaires est distinct du droit
d’exercer la profession qui, selon
la jurisprudence, ne tombe pas
sous l’article 7 d la charte cana-
dienne à titre de droit garanti.
Or, exerçant notre devoir de
juger en discipline avec équité,
nous estimons que l’appelant
Archambault a droit minimalement à une protection de nature
préventive contre les abus susceptibles de découler d’un enregistrement policier pratiqué à
son insu alors qu’il est dans
l’exercice de sa profession.41
Le Comité de discipline a
ainsi le devoir d’exclure l’élément
de preuve dont l’introduction est
susceptible de porter atteinte à
l’équité du processus disciplinaire.
Ce principe, applicable lorsque
l’illégalité invoquée est imputable
à un tiers, comme c’était le cas
dans l’affaire Archambault, s’impose nécessairement lorsque
l’abus ou illégalité découle de la
façon dont le syndic a mené son
enquête.
On doit cependant comprendre que ce n’est pas cet abus
ou illégalité qui entraîne, per se,
l’arrêt des procédures ou le rejet
d’éléments de preuve: quelle qu’en
soit la source, l’illégalité ne sera
prise en considération que si elle
porte atteinte au caractère équitable de l’audition. Comme nous
l’avons précédemment souligné,
les comités de discipline et le Tribunal des professions refusent en
effet de contrôler les agissements
du syndic. Ainsi, en l’état actuel de
la jurisprudence, des gestes abusifs posés par le syndic dans le
cadre de son enquête peuvent être
sans conséquence eu égard à la
procédure disciplinaire, dans la
mesure où le Comité de discipline
39. Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2; Fullum c. Psychologues, précité, note 33; Pelletier c. Psychologues, précité, note 36.
40. Archambault c. Avocats (Ordre professionnel des), précité, note 26.
41. Id., p. 167.
316
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
est d’avis que le droit de l’intimé à
une défense pleine et entière ne
s’en trouve pas affecté. Le professionnel intimé peut pourtant avoir
subi un préjudice directement provoqué par la façon dont l’enquête a
été menée par le syndic. Les cas de
harcèlement, de non-respect de la
confidentialité de l’enquête ou
d’absence d’indépendance du syndic ne sont malheureusement pas
inconnus en droit disciplinaire. Le
professionnel, que la loi oblige à
collaborer à l’enquête et contraint
à témoigner devant le Comité, a
dans une telle situation bien peu
de recours pour demander réparation.
4.
L’imputabilité du syndic
Le sy n dic bén é ficie d e
l’immunité relative prévue à l’article 193 C.P.42: il ne peut être
poursuivi en justice pour des actes
accomplis de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions. Cette disposition le soustrait au régime de
responsabilité pour faute simple.
Dans une décision récente
rendue par la Cour supérieure, Mc
Cullock-Finney c. Barreau du Québec43, la demanderesse poursuivait en dommages le Barreau du
Québec44 et l’Office des professions, au motif qu’ils auraient
manqué à leur obligation de protection du public dans un processus disciplinaire concernant un
avocat dont les agissements lui
avaient causé préjudice. La de-
manderesse réclamait des dommages matériels, compensatoires,
moraux et punitifs. Le juge Jean
Normand, de la Cour supérieure,
décrit comme suit l’obligation de
bonne foi prévue à l’article 193
C.P.:
[...] Puisqu’il s’agit d’actes posés
dans l’exercice des fonctions des
défendeurs, étant donné l’immunité relative dont ils jouissent,
leur responsabilité ne saurait
être engagée que s’ils ont agi de
mauvaise foi, ce qui serait le cas
si les actes (ou omissions) ont été
posés en violation intentionnelle
des obligations qui leur sont
imposées par la loi, s’ils ont agi
par malice ou de façon gravement injuste. Le fardeau de
preuve de la demanderesse se
trouve alourdi du fait que la
bonne foi se présume (2805
C.c.Q.).
La notion de faute intentionnelle
est bien décrite par Monsieur le
juge Chevalier dans West Island
Teachers’ Association c. Madeleine Nantel. Dans cette affaire,
le juge Chevalier examinait
cette notion du droit civil dans le
cadre d’une réclamation pour
dommages exemplaires pour
violation d’un droit garanti par
la Charte des droits et libertés de
la personne.
L’atteinte illicite à un des
droits reconnus par la charte
est un délit. Pour être intentionnel, il faut qu’il soit commis dans des circonstances
qui indiquent une volonté
déterminée de causer le dom-
42. 193. Ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’actes accomplis de bonne
foi dans l’exercice de leurs fonctions: [...]
2º un syndic, un syndic adjoint ou correspondant ou un expert que le comité
s’adjoint; [...]
43. Mc Cullock-Finney c. Barreau du Québec, J.E. 99-354 (C.S.) (en appel).
44. Le directeur général du Barreau, le syndic et un syndic adjoint étaient nommément désignés comme défendeurs.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
317
mage résultant de la violation. Cette volonté peut se
manifester de plusieurs
façons. Elle est susceptible
d’apparaître par suite de la
contestation que la faute
commise est lourde ou grossière au point que l’esprit ne
saurait s’imaginer que celui
qui l’a commise ne pouvait
pas ne pas se rendre compte
au départ qu’elle produirait
les conséquences préjudiciables qui en ont été la suite. La
faute est également intentionnelle si elle provient
d’une insouciance déréglée et
téméraire du respect du droit
d’autrui, en parfaite connaissance des conséquences,
immédiates et naturelles ou
au moins extrêmement probables que son geste va causer à sa victime.
Malheureus ement po ur la
demanderesse, elle ne s’est pas
déchargée de son fardeau de
preuve.45
On constate donc, d’une façon
générale, qu’une poursuite civile
contre un syndic impose à la partie
demanderesse un fardeau de
preuve très difficile à rencontrer. Il
est cependant important de souligner que dans cette affaire on
reprochait en fait au syndic son
absence de diligence or, après analyse des faits à la lumière des dispositions législatives pertinentes,
le juge en est arrivé à la conclusion
qu’aucune faute n’avait été commise dans le traitement du dossier.
Le syndic ne pouvait se voir reprocher aucune violation intentionnelle de ses obligations légales.
Les principes énoncés par le
juge Normand doivent à notre avis
être abordés différemment lorsque
le syndic a posé des actes illégaux,
ind ép end a m m ent d es conséquences de ceux-ci eu égard à la
procédure disciplinaire. Un manquement manifeste à la loi devrait
en effet, s’il a causé un préjudice au
demandeur, être susceptible de
générer la responsabilité civile du
syndic et priver celui-ci du bénéfice
de l’immunité relative que lui confère l’article 193 C.P.46 Un tel manquement doit constituer une faute
lourde au sens de l’article 1474
C.c.Q.: il dénote une insouciance,
une imprudence ou une négligence
grossière.
La jurisprudence portant sur
l’immunité relative du syndic est
particulièrement pauvre, et il y a
lieu de se référer à celle concernant
les substituts du procureur général, dont les fonctions présentent
de nombreuses similarités avec
celles du syndic. Dans l’arrrêt P.G.
Québec c. Proulx47 le juge LeBel,
dissident quant à l’issue de l’appel,
procède à une analyse exhaustive
des critères qui doivent être rencontrés pour que la faute d’un
substitut puisse le priver de son
immunité. Ses collègues Brossard
et Beauregard ne remettent pas en
cause les principes qu’il énonce,
mais diffèrent d’opinion quant à
leur application aux faits de l’espèce.
Il ressort de cette décision
que la seule faute professionnelle
d’une personne bénéficiant de
45. Mc Cullock-Finney c. Barreau du Québec, précité, note 43, p. 31 et 32.
46. Voir, a contrario, Comeau’s Sea Foods Ltd c. Canada, [1997] 1 R.C.S. 12.
47. P.G. Québec c. Proulx, [1999] R.J.Q. 398 (C.A.). La Cour d’appel souligne à cette
occasion que les principes posés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt
Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, font partie du droit public applicable au
Québec.
318
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
l’immunité relative ne peut suffire
à engager sa responsabilité civile,
mais que la témérité («recklessness») de ses actes ou décisions
peut le faire, et ce même en l’absence de mauvaise foi. Selon nous,
la violation par le syndic de ses
obligations légales, dans la mesure
où celles-ci sont clairement définies48 par la loi ou par une jurisprudence constante, doit également engager sa responsabilité
civile. Le public et les professionnels soumis au contrôle du syndic
sont en effet en droit d’attendre de
ce dernier qu’il connaisse non seulement l’étendue de ses pouvoirs
mais également celle de ses obligations. Une violation claire et manifeste de celles-ci constitue un
détournement des pouvoirs qu’il
détient et devrait permettre
d’inférer sa mauvaise foi49, sans
qu’il soit besoin de prouver qu’il a
agi avec «une volonté déterminée de
causer le dommage résultant de la
violation».
Enfin, soulignons que l’article 193 C.P. confère au syndic une
immunité relative contre les poursuites «en justice», mais rien dans
le Code des professions ne le soustrait à la compétence disciplinaire
de son ordre professionnel. Bien
que les comités de discipline et le
Tribunal des professions aient
répété à maintes reprises qu’il ne
leur revenait pas d’exercer un contrôle sur les agissements du syndic, cette question a cependant
toujours été analysée dans le cadre
d’une défense opposée par un professionnel pour attaquer la validité du processus disciplinaire.
L’article 116 prévoit que «le
comité est saisi de toute plainte
formulée contre un professionnel
pour une infraction au présent
code, de la loi constituant l’ordre
dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au
présent code à ladite loi». Dans la
mesure où la compétence des comités de discipline s’étend à des actes
qui n’ont parfois qu’un lien extrêmement ténu avec l’exercice d’une
profession, tout particulièrement
en matière d’actes dérogatoires, il
nous apparaît qu’une procédure
disciplinaire dirigée contre le syndic pourrait constituer une voie
intéressante, restée à notre connaissance jusqu’ici inexplorée,
pour rechercher la sanction des
abus commis par celui-ci dans
l’exercice de ses fonctions.
48. Dans P.G. Québec c. Proulx, précité, l’une des divergences entre l’opinion de la
majorité et du juge LeBel portait sur l’application erronée par le substitut de
l’article 24(2) de la Charte canadienne. Alors que le défaut du substitut de constater le caractère illégal de la preuve sur laquelle il avait fondé sa décision
d’autoriser la dénonciation criminelle constitue aux yeux du juge LeBel «un
détournement de la procédure pénale, de ses objectifs et de la violation des
règles fondamentales qui lui sont imposées» (p. 430), le juge Beauregard la qualifie d’«erreur de droit» et «faute professionnelle» (p. 434). En s’inspirant de cette
jurisprudence, on peut conclure que lorsque la portée ou nature de l’obligation
du syndic prête à interprétation, la violation invoquée entraînera plus difficilement sa responsabilité civile.
49. Voir P.G. Québec c. Proulx, précité, p. 431. Voir également Forget c. Commission
des valeurs mobilières, [1993] R.J.Q. 2145 (C.S.), p. 2152: «[...] En droit public
canadien, la mauvaise foi ne se limite pas à la malhonnêteté intentionnelle de la
part de l’autorité en question, mais englobe tout abus de pouvoir par un agent
public».
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
319
Conclusion
On ne peut nier l’importance
de la mission des ordres professionnels en matière de contrôle de
l’exercice de la profession par leurs
membres et de protection du
public. Or les larges pouvoirs d’enquête du syndic sont essentiels à
l’atteinte de ces objectifs.
La jurisprudence de ces dernières années a permis d’établir un
certain équilibre entre les droits
du professionnel et la protection du
public, par l’énoncé de principes
visant à assurer le respect du droit
du professionnel à une défense
pleine et entière, notamment en
matière de divulgation ou d’exclusion de la preuve. Mais cette reconnaissance nécessaire des droits du
professionnel se limite pour l’instant, sous réserve de quelques
exceptions, au processus discipli-
320
naire enclenché par la saisine du
Comité de discipline. Ainsi, la
question des illégalités commises
par le syndic dans le cadre de son
enquête a surtout été abordée sous
l’angle de la validité de la plainte
ou de la recevabilité de la preuve.
Les agissements abusifs du syndic
restent donc largement, dans les
faits, à l’abri de toute sanction
directe.
Le droit disciplinaire est
cependant en constant développement, et la jurisprudence de cette
dernière décennie nous a permis de
constater qu’il ne suffit plus à un
ordre professionnel, son Bureau ou
son syndic, d’invoquer la notion de
«protection du public» pour justifier ses actions et établir son bon
droit. Cette situation peut laisser
présager d’intéressants développements en matière d’imputabilité
du syndic.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
DROIT DE LA FAILLITE
Marc Lemieux
La compensation dans un contexte
de proposition et de faillite
Les récentes décisions de la
Cour d’appel dans les affaires
Structal (1982) Inc. c. Fernand Gilbert Ltée1, St-Léonard (Ville de) c.
2945-2802 Québec Inc.2 et D’Auteuil (Syndic de)3 ne manqueront
pas de retenir l’attention des praticiens dans le domaine de la faillite
et de l’insolvabilité.
D an s l’ affair e S tructa l,
Structal poursuivait Gilbert en
paiement du solde dû aux termes
d’un contrat de sous-traitance. Gilbert avait retenu ce solde après
que des retards de Structal dans
l’exécution de ses obligations lui
eurent occasionné des dommages.
Gilbert opposait à l’action de
Structal une demande reconventionnelle, réclamant ces dommages. En cours d’instance, Structal
déposa une proposition à ses
créanciers en vertu de la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité4. Il fut permis à Gilbert de continuer la
demande reconventionnelle, malgré la proposition de Structal. Les
créanciers de Structal acceptèrent
cette proposition avant le jugement de la Cour supérieure sur
l’action de Structal5. Ce jugement
ordonna à Gilbert de payer le solde
dû aux termes du contrat de soustraitance, accueillit la demande
reconventionnelle de Gilbert et
prononça la compensation entre
les montants des deux condamnations malgré qu’au moment du
dépôt de la proposition de Structal,
la créance de Gilbert n’était pas
liquide. La Cour d’appel a maintenu le jugement de la Cour supérieure, sauf pour réviser les
montants des condamnations.
Dans l’affaire St-Léonard, un
propriétaire d’immeubles déposa
une proposition à ses créanciers au
mois de novembre 1990. À ce
moment, il poursuivait la Ville de
St-Léonard devant le Bureau de
révision de l’évaluation foncière
(«Bref») pour obtenir, entre autres,
un remboursement de taxes
payées en trop pour les années
1989 et 1990. Le Bref rendit un
jugement en faveur du propriétaire au mois de mai 1991, une
semaine avant que les créanciers
de celui-ci ne rejettent sa proposition, entraînant ainsi sa faillite6.
1.
2.
3.
4.
5.
[1998] R.J.Q. 2686 (ci-après, l’affaire Structal).
500-09-001790-948, J.E. 98-2341 (ci-après l’affaire St-Léonard).
200-09-000822-962, J.E. 99-864 (ci-après l’affaire D’Auteuil).
L.R.C. (1985), ch. B-3, telle qu’amendée (ci-après la LFI).
Cette information n’apparaît pas du jugement rapporté et a été obtenue du
bureau du syndic à la proposition.
6. Art. 57 LFI, tel qu’il était rédigé au moment des faits en litige dans cette affaire. À
l’époque, et jusqu’en 1997, l’art. 57 faisait en sorte que la personne insolvable
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
321
La dette de la Ville résultant de
cette décision du Bref n’est devenue exigible qu’au mois de juillet
1991, quelque temps après le rejet
de la proposition du propriétaire,
étant donné les dispositions de la
Loi sur la fiscalité municipale. La
Cour supérieure devait décider si
la compensation légale s’était opérée entre cette dette de la Ville et la
dette du propriétaire pour les taxes
foncières de 1991, au moment où la
dette de la Ville est devenue exigible. Elle a tranché que tel était le
cas, ce que la Cour d’appel a confirmé.
Enfin, dans l’affaire D’Auteuil, Motokov était créancière de
D’Auteuil au moment où celui-ci
déposa un avis d’intention de faire
une proposition à ses créanciers.
Après le dépôt de cet avis, D’Auteuil effectua des travaux sur des
biens vendus par Motokov, pour un
montant admis par les parties. Par
la suite, les créanciers de D’Auteuil
r ejetèr en t la pr oposit ion d e
celui-ci, ce qui entraîna sa faillite.
Le syndic à la faillite de D’Auteuil
intenta une action contre Motokov
en recouvrement du montant des
travaux. La Cour supérieure rejeta
l’action du syndic, au motif que la
compensation s’était opérée entre
la créance de Motokov et celle de
D’Auteuil, malgré que la créance
que le syndic réclamait à titre de
succession de D’Auteuil ne soit née
qu’après le dépôt de l’avis d’intention de D’Auteuil. La Cour d’appel
confirma ce jugement.
Ces trois décisions ont un
fondement juridique commun, le
paragraphe 97(3) LFI, qu’il convient de citer:
Les règles de la compensation
s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif
du failli, et aussi à toutes les
actions intentées par le syndic
pour le recouvrement des créances dues au failli, dans la même
mesure que si le failli était
demandeur ou défendeur, selon
le cas, sauf en tant que toute
réclamation pour compensation
est atteinte par les dispositions
de la présente loi concernant les
fraudes ou préférences frauduleuses.
Cette disposition est complétée par le paragraphe 101.1(1)
LFI, qui stipule que dans une proposition qui n’est pas une proposition de consommateurs, «les
articles 91 à 101 s’appliquent,
compte tenu des adaptations de
circonstance, sauf disposition contraire de celle-ci». Le paragraphe
101.1(2) LFI précise que dans un
tel cas «la mention, à ces articles,
du failli vaut mention du débiteur
à l’égard de qui la proposition visée
au paragraphe (1) a été déposée».
Le paragraphe 97(3) LFI se lirait
donc ainsi, avec ces «adaptations
de circonstance»7:
Les règles de la compensation
s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif
était rétroactivement réputée avoir fait cession de ses biens en faillite au jour du
dépôt de la proposition (ou de l’avis d’intention de faire une proposition qui,
depuis 1992, pouvait précéder cette date). Depuis 1997, la faillite n’est présumée
qu’à compter du jour du rejet de la proposition.
7. Il n’y a pas lieu pour le paragraphe 97(3) de préciser que la compensation, dans un
contexte de proposition, s’applique dans la même mesure que si le débiteur était
demandeur ou défendeur, selon le cas, car le dépôt d’une proposition n’entraîne
pas le dessaisissement des actifs du débiteur.
322
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
du [débiteur], et aussi à toutes
les actions intentées par le [débiteur] pour le recouvrement des
créances [qui lui sont] dues [...],
sauf en tant que toute réclamation pour compensation est
atteinte par les dispositions de la
présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses.
Les
ar r êts
Structa l,
St-Léonard et D’Auteuil sont
dignes d’intérêt pour plusieurs raisons. L’arrêt Structal introduit,
inutilement à notre avis, la notion
de compensation en «equity» dans
le droit québécois de la faillite. La
Cour d’appel a manqué une belle
occasion, nous semble-t-il, de juger
plus simplement que la compensation judiciaire peut avoir lieu après
la date de la proposition ou de la
faillite. Les arrêts St-Léonard et
D’Auteuil se signalent surtout
parce qu’ils permettent l’opération
de la compensation légale après la
date à laquelle la faillite rétroagissait à l’époque de ces litiges. Ils établissent aussi que l’opération de la
compensation légale ne constitue
pas un traitement préférentiel car
elle s’opère, dans les circonstances
de chacun de ces cas, entre deux
dettes nées dans le cours normal
des affaires de la personne insolvable.
Avant d’étudier plus en
détail les affair es Structa l,
St-Léonard et D’Auteuil, il est utile
de rappeler la raison d’être du
paragraphe 97(3) LFI.
I-
L’EFFET D’UNE
PROPOSITION ET D’UNE
FAILLITE SUR LA
COMPENSATION
Trois caractéristiques de la
faillite seraient susceptibles d’empêcher la compensation de jouer
après la date de la faillite.
Premièrement, la faillite
d’un débiteur a pour effet de le
déposséder de ses droits et de ses
biens. À compter de la faillite, «un
failli cesse d’être habile à céder ou
autrement aliéner ses biens qui
doivent [...] immédiatement passer
et être dévolus au syndic [...]»8. En
droit civil, la compensation s’analyse comme un double paiement
entre créanciers réciproques. En
l’absence du paragraphe 97(3), la
faillite empêcherait la compensation, puisque le failli et son débiteur cessent d’être réciproquement
créancier et débiteur l’un de l’autre
et puisqu’il est juridiquement
impossible pour le failli d’effectuer
un paiement9.
Deuxièmement, à compter de
la faillite d’un débiteur, les créanciers ordinaires n’ont aucun
«recours» contre celui-ci ou contre
ses biens «et ne peuvent intenter
ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du
recouvrement de réclamations
prouvables en matière de faillite
[...]» 10 . La faillite suspend les
recours des créanciers ordinaires
contre le failli. Ceux-ci ne dispo-
8. Art. 71(2) LFI.
9. J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, 5e éd., 1998, p. 775.
10. Art. 69.3 LFI.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
323
sent que du droit de partager le
produit de réalisation des actifs du
failli et ne peuvent exercer ce droit
que s’ils déposent une preuve de
réclamation. On pourrait croire
qu’en l’absence du paragraphe
97(3), la faillite du débiteur aurait
pour effet de suspendre l’opération
de la compensation, comme elle
suspend tous les autres recours des
créanciers ordinaires contre le
failli11.
Troisièmement, la loi cherche à traiter tous les créanciers
ordinaires sur un pied d’égalité,
que leur débiteur commun soit solvable ou pas. Ils se paient avec les
actifs du débiteur, chacun en proportion de sa créance12. C’est ainsi
qu’un paiement fait par un débiteur insolvable ayant eu pour effet
de conférer une préférence à un
créancier peut être déclaré inopposable aux autres créanciers13. Il
répugnerait à ce principe d’égalité
de traitement que, par le truchement de la compensation, un
créancier du failli reçoive le paiement entier de sa créance, alors
que les autres créanciers doivent
se contenter d’une fraction de la
leur.
Le contexte d’une proposition
se présente de façon légèrement
différente. Le dépôt d’un avis d’intention de faire une proposition et
le dépôt d’une proposition ne pro-
voquent pas le dessaisissement des
actifs de la personne insolvable.
Celle-ci continue d’être pleinement
habile à disposer de ses droits et
autres biens. En revanche, à l’instar de la faillite, le dépôt d’un avis
d’intention ou d’une proposition a
pour effet de suspendre les recours
des créanciers ordinaires contre la
personne insolvable14, justement
pour permettre à celle-ci de tenter
de redresser sa situation financière. Les créanciers déposent une
preuve de réclamation faisant état
de leur créance contre la personne
insolvable au moment du dépôt de
l’avis d’intention ou de la proposition. Ceci leur donne le droit de
voter sur la proposition qui leur
sera éventuellement offerte. Si la
personne insolvable prépare et
dépose sa proposition dans les
délais statutaires, et si cette proposition est acceptée par les créanciers et hom ologuée p a r le
tribunal, le créancier ne peut
recouvrer que le montant prévu à
la proposition à son égard. En
revanche, si la personne insolvable
fait défaut de déposer sa proposition dans les délais15 ou si cette
proposition est rejetée par les
créanciers, la personne insolvable
est présumée avoir fait cession de
ses biens en faillite.
Il faut souligner ici que, jusqu’en 1997, cette faillite présumée
était rétroactive à la date du dépôt
11. Dans Vachon c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1985] 2
R.C.S. 417, la Cour suprême a jugé que le mot «recours» a «un sens très large qui
vise toute espèce de tentative de recouvrement, tant judiciaire qu’extra-judiciaire» (p. 423). Il s’agissait dans cette affaire du droit de la Commission de
l’emploi et de l’immigration de retenir sur les prestations dues à un chômeur le
montant dû par celui-ci à la Commission en remboursement d’un trop-perçu de
prestations. Le paragraphe 97(3) LFI n’était toutefois pas en cause dans ce
litige.
12. Art. 2644 et 2646 du Code civil du Québec et art. 136 et 141 LFI.
13. Art. 1631 du Code civil du Québec et art. 95 LFI.
14. Art. 69 et 69.1 LFI.
15. Art. 50.4(8) LFI.
324
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de l’avis d’intention (ou, à défaut
d’un avis d’intention, la date du
dépôt de la proposition). Depuis
1997, la faillite n’est présumée
qu’à compter du jour de l’expiration des délais pour déposer la proposition ou du rejet de celle-ci par
les créanciers16.
Le paragraphe 97(3) LFI
constitue une exception législative
au principe d’égalité de traitement
des créanciers 17 et vise à permettre à la compensation d’avoir
lieu, malgré les caractéristiques de
la proposition ou de la faillite qui
en empêcheraient autrement l’opération.
II- L’ARRÊT STRUCTAL
Dans l’affaire Laviolette c.
Mercure18, la Cour d’appel avait
déjà permis l’opération de la compensation légale entre deux dettes
dont une n’était pas exigible au
moment de la faillite. Dans cette
affaire, une caisse d’épargne fit
cession de ses biens. Au moment de
la faillite, un dénommé Laviolette
était débiteur de la caisse pour le
solde d’un prêt à terme qu’il remboursait à celle-ci au moyen de versements mensuels. Laviolette était
aussi créancier de la caisse, pour le
montant qu’il avait déposé dans un
compte d’épargne tenu par celle-ci.
Laviolette avait remis à la caisse
des chèques post-datés pour effectuer les versements mensuels sur
son prêt. Deux de ces chèques
furent encaissés après la faillite,
après quoi Laviolette contremanda
le paiement des autres chèques et
cessa d’effectuer ses versements.
Le syndic à la faillite de la caisse
intenta une action en remboursement du solde du prêt, devenu exigible suite à la cessation des
paiements. Laviolette opposa une
défense de compensation et prétendit que sa dette résultant du
prêt était éteinte jusqu’à concurrence du montant du dépôt.
En première instance, la
Cour supérieure rejeta la défense
de Laviolette, au motif que sa dette
à l’égard de la caisse n’était pas
exigible au moment de la faillite.
La Cour d’appel accueillit l’appel et
permit la compensation. Dans ses
motifs, M. le juge en chef Tremblay
justifia comme suit la décision de
la Cour19:
Il ne faut pas oublier que les deux
dettes existaient et étaient dues
lors de la faillite. Il ne s’agit pas
d’une créance née ou acquise
après la faillite La compensation
légale n’a pu s’opérer avant la
faillite, parce que l’une des deux
dettes n’étaient pas exigibles.
Mais, au fur et à mesure que les
versements devenaient échus,
ils s’éteignaient par compensation.
Les auteurs qui refusent la compensation s’appuient sur le fait
que le débiteur ne peut plus
payer. C’est exact et leur argument aurait grand poids si nous
n’avions pas le paragraphe (3)
plus haut cité. C’est précisément
pour obvier à cette difficulté que
le législateur a précisé sa pensée.
D’ailleurs, si cette disposition
n’a pas l’effet de permettre que la
compensation s’accomplisse
16. Art. 50.4(8) et 57 LFI.
17. Husky Oil Operations Ltd. c. M.R.N., [1995] 3 R.C.S. 453, p. 495-96 (ci-après
l’affaire Husky Oil).
18. [1975] C.A. 157, infirmant [1973] C.S. 173 (ci-après l’affaire Laviolette).
19. Id., p. 3 et 4 des motifs de M. le juge en chef Tremblay.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
325
après la faillite, je me demande
quelle est son utilité. Si la compensation a lieu avant la faillite,
les dettes ont alors cessé d’exister et je ne vois pas comment l’on
pourrait parler de «réclamation
produites contre l’actif» ou d’«actions intentées par le syndic».
[nos italiques]
La même année, dans l’affaire Banque de Montréal c.
Kwiat 20 , la Cour d’appel avait
décidé que le jour où un client
emprunteur fait cession de ses
biens, la banque prêteuse peut considérer éteinte par compensation
son obligation de rembourser au
syndic les dépôts du client, jusqu’à
concurrence du montant des avances faites par la banque à celui-ci.
Dans son jugement, monsieur le
juge Bernier avait noté que,
«pourvu que les créances réciproques existaient à la date de la faillite, les dispositions du Code civil
concernant la compensation s’appliqueront tout comme s’il n’y avait
pas eu de faillite, comme si le syndic et le failli n’étaient qu’une seule
et même personne»21. Plus récemment, dans l’affaire Goldstein c.
Auerback22, la Cour d’appel s’est
appuyée sur ses jugements rendus
dans les affaires Laviolette et
Kwiat pour constater l’opération
de la compensation légale entre
des montants avancés par des
administrateurs à leur compagnie
et le montant d’un prêt fait par la
compagnie à ses actionnaires pour
lequel les administrateurs furent
tenus responsables en raison de
l’article 95 de la Loi sur les compagnies. Dans les arrêts Kwiat et
Auerbach, les dettes réciproques
étaient exigibles au moment de la
faillite23.
Comme l’a souligné M. le juge
en chef Tremblay dans l’affaire
Laviolette, contrairement à la version française du paragraphe 73 de
la Loi sur les liquidations24, le
paragraphe 97(3) LFI ne restreint
pas explicitement l’opération de la
compensation aux seules créances
«échues ou devenues exigibles à
l’ouverture de la liquidation de la
compagnie» 25 . Le paragraphe
97(3) ne fait pas non plus de distinction entre compensation
légale, judiciaire ou conventionnelle. Dans l’affaire Kwiat, la Cour
d’appel avait écrit à cet égard que
le paragraphe 97(3) LFI (alors
numéroté 75(3)) «fait que, pour les
fins de l’établissement de l’actif et
de la partie du passif formée par
des réclamations prouvables, la
compensation légale et même judiciaire s’applique [...]» [nos italiques]26. On pouvait ainsi penser
que la solution retenue dans l’arrêt
Laviolette à l’égard de la compensation légale prévaudrait également en matière de compensation
20.
21.
22.
23.
[1975] C.A. 157 (ci-après l’affaire Kwiat).
Id., p. 159.
(1991) 51 Q.A.C. 292 (ci-après l’affaire Auerbach).
Dans l’affaire Auerbach, pour conclure que la dette des administrateurs était
exigible au moment de la faillite, la Cour a tranché que cette dette devient exigible dès que la compagnie effectue le prêt prohibé, et non à la date subséquente
à laquelle un tribunal déclare le prêt contraire à l’article 95 de la Loi sur les compagnies.
24. L.R.C. (1985) ch. W-11.
25. Voir, en ce sens, Chagnon & Cie c. Hutchison, (1920) 31 B.R. 545 et comparer
Crain c. Wade, (1917) 55 R.C.S. 208.
26. Supra, note 20, p. 159.
326
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
judiciaire. Toutefois, une controverse continuait d’entourer la
question. Il n’était pas inusité
qu’un syndic poursuive un débiteur du failli en s’opposant à ce que
le débiteur invoque la compensation judiciaire pour des dommages
que le failli lui aurait occasionnés,
au motif que la compensation ne
pouvait avoir lieu si une des dettes
n’était pas liquide ou exigible en
date de la faillite, ou que la compensation conférait une préférence
à ce débiteur.
La Cour supérieure s’est penchée sur cette question en 1997
dans l’affaire ASM Canada Ltd. c.
Créalise Conditionnement Inc.27.
Dans cette cause, ASM avait
intenté une action contre Créalise
en paiement des royautés prévues
dans un contrat de services et
Créalise avait intenté une autre
action contre ASM en réparation
des dommages causés par l’exécution fautive par celle-ci de ses
engagements contractuels. Après
le dépôt des procédures, ASM a fait
cession de ses biens et le syndic a
continué l’instance. Les deux
actions ont été réunies pour une
audition commune. La Cour supérieure a accueilli chacune de ces
actions et a prononcé la compensation judiciaire entre les montants
des deux condamnations, malgré
que la créance de Créalise n’a été
liquidée par le tribunal qu’après la
date de faillite, et malgré la prétention du syndic que l’opération de la
compensation constituerait une
préférence frauduleuse28:
La compensation, légale ou judiciaire, peut avoir pour effet d’accorder une certaine préférence à
un créancier; elle n’en demeure
pas moins valide si elle n’est pas
frauduleuse. Dans le cas de la
compensation judiciaire, l’intervention nécessaire du juge
écarte toute possibilité de
fraude.
Finalement, comme la compensation judiciaire n’a pas d’effet
rétroactif, elle ne peut être considérée comme un paiement frauduleux au sens de l’article 95 de
la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, puisque pour être visé
par cette disposition de la loi,
tout tel paiement doit être fait
dans les trois (3) mois précédents la faillite.
L’arrêt Structal confirme la
solution retenue dans l’affaire
ASM en fondant toutefois son analyse sur la notion de compensation
en «equity». Selon la Cour d’appel29:
Le critère à retenir pour pouvoir
appliquer la compensation en
«equity» consiste à déterminer si
les créances sont si étroitement
reliées qu’il serait injuste d’exiger le paiement de l’une sans
autoriser la compensation de
l’autre.
La reconnaissance en droit
de la faillite de cette notion de common law étonne. Elle nous paraît
ne pas avoir été nécessaire dans la
mesure où les principes de la compensation judiciaire et le paragraphe 97(3) LFI auraient pu
mener la Cour d’appel au même
résultat. L’exigence que les créances soient «si étroitement reliées»
ne rappelle-t-elle pas le critère de
connexité imposé par l’article 172
du Code de procédure civile, applicable en matière de compensation
27. C.S.M. 500-05-012826-903, J.E. 97-1399 (ci-après l’affaire ASM).
28. Id., p. 17-18.
29. Structal, supra, note 1, p. 2694.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
327
judiciaire30? De plus, on peut se
demander si le paragraphe 97(3)
LFI renvoie, au Québec, aux règles
de la compensation en vigueur
dans d’autres provinces31. Pourquoi, en effet, les règles normalement applicables de la compensation devraient-elles être mises
de côté et remplacées par de nouvelles règles, alors que la LFI n’impose pas cette solution?
En ce qui concerne la prétention que l’opération de la compensation confère une préférence frauduleuse en faveur de Gilbert, la
Cour d’appel répond que le paragraphe 97(3) LFI constitue une
exception législative au principe
n or malemen t applica b le d e
l’ ég alité en tr e c r éanciers 3 2 .
Comme nous le verrons ci-après,
les décisions de la Cour d’appel
dans les affaires St-Léonard et
D’Auteuil répondent de façon plus
complète à cette prétention.
III- LES ARRÊTS
ST-LÉONARD ET
D’AUTEUIL
Les affaires St-Léonard et
D’Auteuil ont ceci de particulier
qu’elles apportent une nuance à la
jurisprudence posant comme condition de la compensation que les
deux dettes réciproques existent
au moment de la faillite.
Dans l’affaire St-Léonard,
selon le jugement de la Cour d’appel, au moment du dépôt de l’avis
d’intention du propriétaire, la
créance de la Ville pour les taxes de
1991 n’existe pas encore. Cette
créance est née en 1991 et est
devenue exigible en entier, pour
des raisons propres à l’espèce, au
mois d’avril 1991. La créance du
propriétaire pour le remboursement du trop-perçu de taxes pour
les années antérieures, toujours
selon le jugement de la Cour d’appel dans cette affaire, n’est née
qu’au moment de la décision du
Bref au mois de mai 1991, une
semaine avant le rejet de la proposition, et n’est devenue exigible,
comme nous l’avons déjà indiqué,
qu’au mois de juillet 1991. La Cour
d’appel confirme dans son jugement que «sous les réserves prévues à l’article 97(3) lui-même, la
compensation légale, même si elle
crée une forme de garantie, trouvera application après la cession
de bien si les dettes avaient la double qualité d’exister et d’être réciproques avant la faillite»33. De
plus, la Cour est consciente que le
rejet de la proposition fait rétroagir la faillite du propriétaire au
jour du dépôt de son avis d’intention (étant donné les dispositions
de la LFI en vigueur à l’époque de
ce litige). Pourtant, la Cour constate que les créances réciproques
du propriétaire de la Ville se sont
éteintes par le jeu de la compensation, après la date du rejet de la
proposition, lorsque la créance du
propriétaire en remboursement du
trop-perçu de taxe est devenu exigible34:
Certes, à cette date [le 10 juillet
1991], Turenne était en déconfiture mais sa créance était née
depuis le jugement du 1er mai,
une époque où il n’était pas
encore failli et où la créance de
30. Voir Banque Nationale du Canada c. Noël, [1996] R.J.Q. 109 (C.S.).
31. Voir BEAUDOIN et JOBIN, supra, note 9, p. 775.
32. Structal, supra, note 1, p. 2695, en se fondant sur l’arrêt Husky Oil, supra,
note 17.
33. St-Léonard, supra, note 2, p. 14.
34. Id., p. 16-17.
328
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
St-Léonard pour les taxes de
1991 était liquide et exigible
depuis le 1er avril. On pourrait
peut-être prétendre que les deux
dettes étaient postérieures à la
date effective de la faillite, celle
de la proposition. La dette de
Turenne à l’endroit de St-Léonard et la créance acquise contre
elle sont nées durant la période
de la proposition, à une époque
où Turenne était encore en affaires et sont relatives à la conduite
de son entreprise immobilière.
Dans cette situation, je vois mal
comment on devrait ou pourrait
rétroactivement annuler les
actes faits dans le cours normal
des affaires à moins que l’acte de
proposition n’ait prévu quelques
arrangements particuliers à cet
égard, ce sur quoi nous n’avons
pas un iota de preuve.
La Cour a retenu une solution semblable dans l’affaire D’Auteuil. Ce n’est qu’après avoir
déposé son avis d’intention que
D’Auteuil exécuta des travaux sur
les biens fournis par Motokov. La
créance D’Auteuil pour le montant
de ses travaux ne pouvait manifestement pas exister avant que ces
travaux ne soient exécutés. En
revanche, au moment où les créanciers rejetèrent la proposition
D’Auteuil, les travaux étaient complétés et la créance de celui-ci existait. La Cour a rappelé l’exigence
traditionnelle de l’existence réciproque des dettes avant la faillite.
Pourtant, étant donné la rétroactivité de la faillite présumée dans
cette affaire, décrétée par les dispositions de la LFI en vigueur à
l’époque de ce litige, la dette de
M otokov n ’ ex istait p a s à ce
moment. Citant son propre jugement dans l’affaire St-Léonard, la
Cour d’appel dans D’Auteuil a
néanmoins constaté que la compensation légale s’était opérée35 :
Si la compensation doit s’appliquer lorsque les dettes sont nées
durant la période la proposition,
je suis d’avis qu’elles doivent a
fortiori s’appliquer lorsqu’elles
sont nées dans la période séparant le dépôt de l’avis d’intention
de la proposition.
Ici, la créance de l’intimée existait avant la date effective de la
faillite, le 1er novembre 1994,
alors que celle du débiteur est
née entre la date du dépôt de
l’avis d’intention et celle de la
proposition alors que ce dernier
était toujours en affaires. Il
s’agit donc de deux dettes réciproques simultanées, intimement liées à la conduite des
affaires du débiteur, de sorte que
leur compensation ne saurait
être assimilée à un paiement
préférentiel ou frauduleux; il
s’agit en effet de réparations exécutées après le début de l’avis
d’intention sur des biens qui
avaient été vendus antérieurement.
Si, comme le prévoit l’article
1673 C.c.Q., la compensation
s’opère de plein droit dès que
coexistent des dettes qui sont
certaines, liquides et exigibles, il
est difficile d’imaginer que
même si la loi lui confère une
existence juridique rétroactive,
la faillite du débiteur ait pour
effet d’annuler une compensation qui s’est produite automatiquement par la seule coexistence
des éléments requis par la loi.
On aurait tort de penser que
la Cour d’appel a mis de côté la
condition que les dettes réciproques existent avant la date de faillite. Cette condition est expressément réaffirmée dans les arrêts
35. D’Auteuil, supra, note 3, p. 5-6.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
329
St-Léonard et D’Auteuil. Il nous
semble plutôt que la Cour a voulu
apporter une nuance à cette condition lorsque la faillite résulte de
façon rétroactive du rejet d’une
proposition. La condition devient
alors que les dettes réciproques
existent avant le vote des créanciers rejetant la proposition. Cette
solution se justifie par l’absence
dans la LFI de dispositions (autres
que celles visant les paiements
préférentiels ou frauduleux) permettant aux tribunaux de faire
revivre deux dettes qui se seraient
réciproquement éteintes par le jeu
de la compensation légale. Cette
nuance n’a sans doute qu’un intérêt temporaire, puisque dorénavant la faillite ne rétroagit plus au
jour du dépôt de la proposition ou
de l’avis d’intention.
De plus, la Cour dans l’arrêt
St-Léonard constate l’opération de
la compensation légale même si
l’une des dettes (en l’occurrence, la
dette de la Ville) n’est devenue exigible qu’après le rejet de la proposition. Cette décision nous paraît
parfaitement conforme à l’interprétation du paragraphe 97(3) LFI
retenue dans l’affaire Laviolette. Il
semble ainsi solidement établi que
la compensation légale peut avoir
lieu même si l’une des dettes ne
devient exigible qu’après la date de
la faillite.
Enfin, on se rappellera que le
paragraphe 97(3) LFI permet à la
compensation de jouer «sauf en
tant que toute réclamation pour
compensation est atteinte par les
dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences
frauduleuses». On doit se demander quelle portée les tribunaux
donnent à cette restriction à l’application des règles de la compensa t ion, ét a nt d onné surt out
l’article 95 LFI, qui présume préférentiel tout paiement effectué par
le failli dans la période de trois
mois précédant l’ouverture de la
faillite ou dans la période entre
l’ouverture de la faillite et la date
de la faillite36. On a déjà fait valoir
que l’article 95 LFI ne vise pas la
compensation légale, car celle-ci
s’opère par le seul effet de la loi et
ne résulte pas d’un acte posé par le
débiteur insolvable37. On a aussi
jugé que l’article 95 LFI ne vise pas
la compensation judiciaire, car l’intervention du tribunal écarte toute
possibilité de fraude et n’a généralement lieu qu’après la date de faillite, en dehors de la période visée
par cette disposition38. Dans les
arrêts St-Léonard et D’Auteuil, la
Cour aborde la question d’une
façon originale. Elle souligne dans
St-Léonard que les dettes réciproques de la Ville et du propriétaire
étaient nées durant la période de la
proposition, à une époque où le pro-
36. Ces expressions sont définies aux art. 2(1) et 2.1 LFI. La date d’ouverture de
faillite signifie la date du premier des événements suivants: le dépôt d’un avis
d’intention, le dépôt d’une proposition, le dépôt d’une cession de biens et le dépôt
d’une requête à l’égard de laquelle une ordonnance de séquestre est émise. La
date de faillite signifie plutôt la date de l’ordonnance de séquestre, celle de la
cession de biens ou celle de la survenance d’un fait qui entraîne une faillite présumée.
37. Canadian Imperial Bank of Commerce c. Zwaig, [1976] C.A. 682, p. 685 (motifs
de M. le Juge Bernier).
38. ASM, supra, note 27, p. 18.
330
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
priétaire était encore en affaires et
étaient relatives à la conduite de
son entreprise immobilière. Elle
souligne aussi dans D’Auteuil que
la créance de D’Auteuil est née
entre la date de l’avis d’intention et
celle de la proposition, à une époque où celui-ci était encore en affaires, et que cette créance et celle de
Motokov étaient intimement liées
à la conduite des affaires de D’Auteuil. En somme, dans chaque cas,
les dettes étaient nées dans le
cours normal des affaires du débiteur insolvable. Ce résultat paraît
conforme à une certaine jurisprudence qui repousse la présomption
créée à l’article 95 LFI en présence
d’un paiement fait dans le cours
normal des affaires39.
39. Voir B. BOUCHER et J.-Y. FORTIN, Faillite et insolvabilité: perspectives québécoises de la jurisprudence canadienne, p. 2-731 et 2-732.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
331
DROIT DU LOGEMENT
Pierre Gagnon
L’équité contractuelle en droit du logement
depuis 1994 et l’interdiction conventionnelle
relative aux animaux favoris*
AVANT-PROPOS
En raison de son caractère
résolument progressiste, le Code
civil du Québec (C.c.Q.) a redonné
vigueur à l’ensemble de notre droit
privé. Au cours des cinq premières
années d’application du Code, praticiens du droit et juges ont en
quelque sorte veillé sur la petite
enfance des nouvelles dispositions.
Le colloque du Barreau «La
réforme du Code civil, cinq ans
plus tard», tenu à l’automne 1998,
a dégagé un certain nombre de
lignes directrices de cette évolution. C’est dans ce contexte qu’il
nous a paru opportun de faire le
point sur les solutions jurisprudentielles d’équité contractuelle,
inspirées par le Code de 1994, qui
ont infléchi le domaine du droit du
logement, tantôt superficiellement, tantôt de manière fondamentale.
A) INTRODUCTION
1.
L’équité contractuelle
Le contrat est l’émanation et
l’expression de la volonté des par-
ties: c’est cette caractéristique qui
lui confère son autorité et sa force
obligatoire. «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
à ceux qui les ont faites», édicte
l’article 1134 du Code civil français. L’autonomie de la volonté1 est
le principe fondamental du droit
des contrats, en France comme au
Québec.
Cette doctrine n’est pas
définie en toutes lettres dans le
nouveau Code, mais on trouve
l’énoncé de son proche corollaire, le
consensualisme, à l’article 1385
C.c.Q.: «Le contrat se forme par le
seul échange de consentement...».
De plus, le principe de l’autonomie
de la volonté est perceptible en filigrane dans l’ensemble des dispositions relatives aux obligations.
Voici quelques exemples: l’énumération limitative des vices de consentement (1399 C.c.Q.), ainsi que
le caractère obligatoire (1434 et
1458 C.c.Q.), l’irrévocabilité et
l’immutabilité (1439C.c.Q.) de la
convention et de ses suites. La fermeté de l’engagement contractuel
constitue un gage de sécurité pour
les parties. Il est loisible d’affirmer
* Cet article traduit l’état du droit à la fin de septembre 1999.
1. François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil – les Obligations, 5e éd., 1993, Paris, Dalloz, p.25.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
333
que la crédibilité des institutions
d’un pays se mesure en grande partie à l’aune de la continuité des
règles qui déterminent la formation et l’exécution du contrat2.
Cependant, la complexité
croissante du tissu social et des
relations économiques ne permet
plus l’application aveugle du consensualisme, doctrine héritée
d’une période où prédominait le
libéralisme intégral. D’une part, le
souci de favoriser la justice contractuelle, malgré la force inégale
des contractants, a suscité l’apparition d’un «formalisme de protection», selon la formule du ministre
de la Justice3. C’est le cas notamment pour la forme et le contenu
des contrats soumis à la Loi sur la
protection du consommateur4.
D’autre part, en vue de rétablir l’équilibre des prestations et
ainsi favoriser une «nouvelle moralité contractuelle»5, le législateur
québécois – surmontant sa réticence bien ancrée de civiliste à cet
égard6 – a dû se résoudre à élargir
la latitude d’analyse des juges. Dès
1964, il ajoutait au Code civil du
Bas-Canada (C.c.B.-C.) une section intitulée De l’équité dans certains contrats 7 . En particulier,
l’article 1040c prescrivait que le
tribunal pouvait intervenir en vue
de réduire ou même d’annuler les
obligations monétaires découlant
d’un prêt d’argent si le coût du prêt
était excessif ou encore si l’opération dans son ensemble était
«abusive et exorbitante». Le juge
devait prendre sa décision «eu
égard au risque et à toutes les circonstances».
Le texte même de la modification invitait le décideur à analyser chaque clause dans le contexte
des autres conditions de la convention, et même à tenir compte des
facteurs extérieurs, tels les risques
assumés par l’une ou l’autre des
parties. Cet élargissement de la
discrétion judiciaire a pris quelque
peu à rebrousse-poil la magistrature de l’époque: tributaire d’un
réflexe séculaire de prudence, elle
a favorisé une interprétation restrictive de ses nouveaux pouvoirs8.
La brèche était néanmoins pratiquée: sans remettre en cause la
responsabilité des parties devant
leurs engagements, le codificateur
de 1994 exige désormais que
l’équité contractuelle9 soit respectée à toutes les étapes de la convention. Il a d’ailleurs porté son propre
jugement sur l’état du consensus
2. V. Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e éd.,
1998, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 12.
3. Le Code civil du Québec – Commentaires du ministre de la Justice, 1993, Québec,
Gouvernement du Québec, t. 1, art. 1385.
4. L.R.Q., c. P-40.1.
5. Précité, n. 2.
6. V.Gérard CORNU, Droit civil – Introduction. Les personnes. Les biens, 5e éd.,
1991, Paris, Montchrestien, p. 72; selon cet auteur, «le pouvoir modérateur
demeure, en droit français, exorbitant ».
7. L.Q. 1964, c. 67.
8. Roynat Ltée c. Restaurants de la Nouvelle-Orléans Inc. (les), [1978] 1 R.C.S. 969.
9. «L’équité est une donnée objective et universelle qui exige... au moins, qu’il n’y ait
pas, dans le traitement de choses semblables, de différences excessives »: G.
CORNU, précité, note 6, p. 69.
334
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
social en retirant aux tribunaux le
pouvoir de déterminer la légalité
de certaines stipulations. Voici
l’éclairage du juge Jean-Louis
Baudouin sur cette question:
Le Code civil s’est attaché, dans
toute une série de dispositions
visant les règles de formation et
d’exécution des contrats, à établir une équité contractuelle fondée sur la bonne foi. Plus
interventionniste que le législateur de 1866, il n’hésite pas,
dans un grand nombre de dispositions, à déclarer nulles, non
écrites, ou sans effets certaines
stipulations conventionnelles.
Dans ces cas, mis à part d’éventuels problèmes de qualification
ou d’interprétation de ces clauses et la constatation judiciaire
de leur existence, le juge n’a
qu’un pouvoir d’intervention
limité qui consiste seulement à
annuler la clause en question.10
2.
La clause abusive
À la fin du long processus de
refonte mené par l’Office de révision du Code civil, le concept de
clause abusive ne faisait plus
hérisser l’hermine des magistrats.
L’Office prévoyait d’ailleurs l’octroi au juge d’une discrétion plus
poussée pour tous les types de contrats. Mais vu l’absence de consensus à cet égard, la disposition
finalement adoptée (article 1437
C.c.Q.) s’applique seulement aux
contrats d’adhésion et de consommation11. Malgré le champ d’application restreint, les critères
d’appréciation du caractère abusif
demeurent vagues à souhait.
Qu’est-ce qui «désavantage le consommateur ou l’adhérent de façon
excessive et déraisonnable»? Comment va-t-on «à l’encontre de ce
qu’exige la bonne foi»? Par quels
critères peut-on identifier une
clause qui «dénature» le contrat?
Le libellé de l’article 1437 suspendait les juges dans un état inconfortable – et inaccoutumé –
d’apesanteur normative. Pour le
professeur Pierre-Gabriel Jobin, il
s’agissait d’un «terrain semé d’embûches»12.
L’absence de balises claires
aurait pu occasionner des difficultés majeures d’interprétation. Au
contraire, le premier quinquennat
de l’article 1437 n’a pas provoqué
de révolution jurisprudentielle; la
disposition a été appliquée généralement avec prudence et circonspection, comme l’explique dans un
élan d’optimisme le professeur
Jean Pineau:
«Cinq années, c’est encore peu,
mais c’est déjà suffisant pour
prétendre, contrairement à ceux
qui prédisaient le pire, que la
10. J.-L. BAUDOUIN, Les obligations, 4e éd., 1993, Cowansville, Les Éditions Yvon
Blais Inc., p. 245.
11. V. Pierre-Gabriel JOBIN, Les clauses abusives, dans Congrès du Barreau du
Québec 1996, Service de la formation permanente, p. 366-367. Cette restriction
ne s’applique toutefois pas à la clause pénale abusive (articles 1622 et 1623
C.c.Q.).
12. Précité, n. 11, p. 367. Pour clarifier le débat, celui-ci propose néanmoins certains
repères de classification. Une clause peut être abusive
– soit en elle-même
– soit à la lumière «des autres stipulations de la convention »
– soit (à la lumière) «d’autres contrats ayant un lien avec (le contrat) et dont les
répercussions peuvent rendre la clause abusive, ou au contraire rendre inacceptable une clause qui serait acceptable à première vue » (p. 382-383).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
335
moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
surprise, sans être divine, est
plutôt agréable!13
3.
La bonne foi
Progressivement, mais surtout au cours du dernier quart de
siècle, les tribunaux québécois en
sont venus à évaluer non seulement la légalité stricte du contrat,
mais également les circonstances
de sa mise à effet14. «(Les conventions) doivent être exécutées de
bonne foi» prescrit l’article 1134 in
fine du Code civil français. La doctrine de l’abus de droit vise à supprimer les effets pervers de
l’exécution malicieuse ou entachée
de mauvaise foi15. Dans l’arrêt
phare rendu en la matière par la
Cour suprême du Canada, l’honorable juge Claire L’heureux-Dubé
s’exprime ainsi sur la pertinence
de cette théorie:
Bien qu’elle puisse représenter
un écart par rapport à la conception absolutiste des décennies
antérieures , qu’il lus tr e la
célèbre maxime «la volonté des
parties fait loi», elle s’inscrit
dans la tendance actuelle à concevoir les droits et obligations
sous l’angle de la justice et de
l’équité.16
L’exigence de la bonne foi (et
la condamnation de l’abus de droit)
est désormais codifiée aux articles
6, 7 et surtout à l’article 1375
C.c.Q.:
La bonne foi doit gouverner la
conduite des parties, tant au
Les notions distinctes mais
complémentaires de clause abusive et d’abus de droit font maintenant partie intégrante du droit
positif: la codification de ces principes a eu pour effet de stimuler une
analyse plus approfondie de la
relation contractuelle, de façon que
soient réalisées les attentes exprimées à l’époque par le ministre de
la Justice:
Si le Code civil maintient, quant
à certaines normes ou notions,
un flou relatif, il traduit aussi
jusqu’à un certain point, les
ambivalences et les intérêts
diversifiés qui cohabitent dans
la société. Il faut voir ces règles
comme les pores par lesquels le
code peut respirer, se vivifier et
s’adapter par l’interprétation
qui lui sera donnée suivant l’évolution de notre société.17
B) EN DROIT DU
LOGEMENT
1.
EN GÉNÉRAL
Le bail résidentiel, à toutes
les étapes de son existence, est
assujetti de façon toute particulière à la règle de la bonne foi. En
effet, ce contrat établit les conditions relatives à la satisfaction
d’un besoin fondamental, l’habitation. Il comporte des obligations
diversifiées qui sont, par surcroît,
13. Jean PINEAU, La discrétion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matière contractuelle?, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Barreau du
Québec et Éditions Yvon Blais Inc., no 113, p. 178.
14. Pour connaître l’état du droit en la matière avant la refonte du Code, v.
Pierre-Gabriel JOBIN, Grands pas et faux pas de l’abus de droit contractuel,
(1991) 32 C. de D. 153.
15. «L’intention malveillante est le critère incontesté de l’abus de droit»: G.
CORNU, précité, note 6, p. 58.
16. Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 145.
17. Précité, note 3, p. VII.
336
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
exécutées de façon successive.
Impossible souvent de retrouver
une preuve écrite fiable pour régler
les conflits qui surviennent en
cours d’exécution; le bail lui-même
est verbal dans de nombreux cas.
La bonne foi a l’insigne avantage
d’être une notion simple et universellement acceptée: son sens est
équivalent en droit et dans la vie
courante. De plus en plus, elle
constitue la clef de voûte pour la
solution de litiges portant sur le
droit du logement.
À titre d’exemple, la Régie du
logement a sanctionné l’abus de
droit dans les domaines suivants:
– recours excessifs et harcèlement par le locateur18;
– location dans un but criminel19;
– loyer frauduleusement bas20;
– av is d’ au g men tati on irrégulier21.
1.1 Les clauses déclarées
abusives
Dans le cadre de la réforme
majeure du droit du logement réalisée en 197322, le législateur a
décrété qu’il était désormais interdit de déroger dans un contrat à la
p lup a rt d es d isp osit ions d u
C.c.B.-C. relatives au bail résidentiel. Cette interdiction est reprise à
l’article 1893 du Code actuel par la
formule «Est sans effet la clause...»
Toute stipulation contraire est
abusive et frappée de nullité, dès
l’origine et sans décision judiciaire
quant à son caractère. En vertu du
p rincip e d e l’ordre p ub lic,
l’Autorité fait une détermination
préalable de la nature abusive d’un
comportement et limite en conséquence l’autonomie de la volonté
des parties23. Des cas précis sont
prévus aux articles 1900 (limitation de la responsabilité et modification des droits), 1905 (déchéance
du terme), 1906 (réajustement du
loyer en cours de bail) et 1910
C.c.Q. (état du logement).
1.2 La clause abusive
(art. 1901 C.c.Q.)
L’article 1901 C.c.Q., qui
porte sur la clause pénale abusive
et sur la clause abusive en général,
transpose dans le domaine du bail
résidentiel la latitude considérable
d’analyse qu’on constate à l’article
1437 C.c.Q. La faculté de statuer
18. Couture c. Fréchette, [1998] J.L.75.
19. Morin c. Bourgoin, [1995] J. L. 196
20. Caisse populaire Notre-Dame-de-la Merci de Montréal c. Diamant et al., [1997]
J.L. 44.
21. Lussier c. Bouchard, [1999] J.L. 86.
22. L.Q. 1973, c. 75; ces modifications ont été reprises pour l’essentiel aux articles
1650 et suivants du C.c.B.-C. en 1979.
23. Le droit positif récent a quelque peu atténué la sévérité de cette notion. On établit désormais une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public
de protection. L’ordre public de direction concerne les principes et les politiques
de l’État: aucune dérogation n’est admise et la nullité est absolue (art. 1417
C.c.Q.). Au contraire, le bénéficiaire de l’ordre public de protection peut y renoncer, lorsque la mesure de protection est devenue actuelle. Dans ce cas, aux termes de l’article 1419 C.c.Q., la nullité est relative. V. Nicole ARCHAMBAULT,
Droit des obligations du louage, dans La réforme du Code civil, textes réunis par
le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, vol. 2: Obligations,
contrats nommés, 1993, Ste-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 650-651.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
337
sur la nature équitable d’une stipulation contractuelle, conférée
lors de la réforme de 1973, n’est
soumise à aucune contrainte spéciale: il s’agit en tous points d’un
pouvoir discrétionnaire24. Appliquée plutôt timidement au cours
des quelque vingt premières
années de son existence, la disposition a pris du galon dans le contexte plus «contestataire» du
nouveau C.c.Q.
L’article 1901 traite en premier lieu de la clause pénale abusive, qui prescrit une pénalité
excessive en cas d’inobservation
d’une obligation. Depuis 1994,
deux types principaux de clauses
pénales ont été analysés par les tribunaux. Il y a d’abord la stipulation, formulée de multiples façons,
qui prévoit un rabais de loyer ou
autre prime si le locataire exécute
fidèlement ses obligations. En cas
de faute à cet égard, le locateur
réclame le remboursement de
l’avantage consenti, généralement
de façon rétroactive. Le tribunal
doit évaluer la sanction réclamée
en regard du «préjudice réellement
subi» 25. Voici une autre formulation de cette exigence:
Nous concluons donc que, si à
priori, les clauses abusives doivent être étudiées à la lumière
des règles d’équité, nous croyons
que dans les cas où la peine est
démesurée par rapport au préjudice subi, elle doit être déclarée
nulle ou réductible.26
Pour la majorité des régisseurs de la Régie du logement, la
stipulation conditionnelle de
rabais de loyer ou d’un autre avantage constitue une clause pénale
au sens de l’ article 1622 C.c.Q. On
juge en effet que, par une telle condition, les parties évaluent par
anticipation les dommages-intérêts découlant de l’inexécution de
l’obligation27.
La citation suivante démontre le souci manifesté par les décideurs de cerner correctement la
nature de la stipulation visée:
La Régie examine ce type de
clause avec beaucoup de prudence. Sans nécessairement conclure qu’il s’agit d’une clause
pénale dans tous les cas, le soussigné considère que le locateur a
le fardeau de démontrer qu’il ne
s’agit pas d’un moyen pour hausser artificiellement le coût du
loyer ou d’attirer un locataire
sous de fausses représentations.
Il a le fardeau également de
démontrer que la clause est
claire et non équivoque, que le
locataire y a consenti en toute
connaissance de cause et finalement que son contenu est raison-
24. «Faculté acccordée à une personne appelée à prendre une décision, dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît
la plus appropriée suivant les circonstances »: Hubert REID, Dictionnaire de
droit québécois et canadien, 1994, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, p. 434.
25. Bernier c. Burnett, [1996] J.L. 335.
26. Immeubles Yamiro Inc. c. Yvon Mola Brière, [1997] J.L. 131.
27. Le raisonnement contraire, bien que minoritaire, est tout à fait soutenable:
«En droit québécois, la clause pénale (est) un engagement de payer une somme
d’argent fixée à l’avance et en sus de l’obligation initiale ... la clause stipulant la
révocation des mois gratuits si la locataire ne paie pas le loyer le premier jour du
mois a, comme conséquence, que la locataire sera simplement tenue à son obligation initiale, c’est-à-dire, au paiement du loyer pendant toute la durée du
bail»: Weldon c. Demers, [1994] J.L. 321.
338
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
nable au sens de l’article 1901
précité.28
Un second type de clause
pénale fixe à l’avance les conséquences de divers événements qui
peuvent survenir en cours de bail:
par exemple, l’indemnité de cession de bail29, la peine pour retard
du loyer ou les frais de chèque sans
provision30. Dans de tels cas, il
s’agit d’établir une stricte équivalence entre le préjudice subi et la
sanction prévue.
Quant à la clause abusive au
sens large, qui confère au juge le
pouvoir d’intervenir en matière
d’«obligation... déraisonnable», le
pouvoir discrétionnaire est limité
seulement par le devoir de statuer
«en tenant compte des circonstances». Le locataire peut demander
une décision déclaratoire du tribunal à cet égard, à titre principal ou
accessoire. Il peut également invoquer en défense la nature abusive
d’une clause dont le locateur veut
lui imposer l’observation. La jurisprudence est d’une utilité plutôt
limitée sous ce rapport, puisqu’on
est généralement en présence de
cas d’espèce. Quelques illustrations néanmoins: le locataire se
plaint d’être assujetti au coût des
services publics31, de devoir installer des tapis à ses frais32, d’être
responsable de la réparation des
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
appareils ménagers fournis avec le
logement33, de ne pas pouvoir utiliser un lave-vaisselle dans son
appartement34.
2.
LA QUESTION DES
ANIMAUX FAVORIS
2.1 Observations
préliminaires
La clause supplémentaire du
bail qui provoque le plus de conflits
est sans contredit celle qui régit la
possession d’animaux favoris.
Dans une minorité de cas, le bail
précise le nombre, la taille ou l’espèce des bêtes qui auront accès aux
lieux loués35. Ainsi, un chat sera
toléré, mais non un chien36. Habituellement toutefois, c’est l’exclusion générale: aucune concession,
même pour l’animal qui accompagne un visiteur37. La formule
usuelle est succincte et lapidaire:
«Pas d’animaux». Cette position
radicale n’est pas sans fondement.
Les habitations sont d’abord destinées aux êtres humains; les
animaux qu’on y introduit se comportent fréquemment comme des
intrus peu désirables, et leurs maîtres comme des gardiens peu soucieux d u b ien com m un. La
coexistence des personnes et des
animaux, particulièrement dans
les immeubles à logements multiples ou dans les édifices en hau-
Arquello c. Immeubles Yamiro Inc., [1995] J.L. 44.
F.D.L. Compagnie Ltée c. Morin, [1996] J.L. 366.
Foucault et a. c. Maurice, R.L. 28-960415-019G, 17 juillet 1996, r. D. Dumont.
Lowry et a. c. Verlinden, R. L. 26-960424-004G, 21 novembre 1996, r. D.
Laflamme.
Athanassiadis c. Cormier, R.L. 35-931216-005G, 16 février 1994, r. J. Bisson.
Campbell c. Diakite, R.L. 35-960423-025A, 6 septembre 1996, r. H. Chicoyne.
Olivier c. Office municipal d’habitation (OMH) de Vanier, R.L. 18-970217-030G,
18 juin 1997, r. J. Cloutier.
Delli Quadri c. Annecchini, R.L. 34-960411-001G, 17 juin 1996, r. J. Gagnon
Trudel.
Mondou c. Miller, C.Q. 500-02-020249-947, 2 juin 1995, j. R. Barbe.
Giarciello c. Tremblay, R.L. 32-960322-005G, 31 mai 1996, r. G. Joly.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
339
teur, est une source inépuisable de
différends de toutes sortes.
Les voisins se plaignent au
propriétaire des aboiements, de la
malpropreté, des odeurs; ils sont
allergiques au poil, ils redoutent la
présence d’un molosse dans l’ascenseur. Le locateur, de son côté,
subit des frais supplémentaires de
conciergerie et d’extermination de
parasites. Il assiste impuissant à
la détérioration de sa propriété,
grugée à coups de becs, de crocs,
d’ergots ou de griffes. Il craint l’effet d’entraînement chez les autres
locataires s’il manifeste la moindre
tolérance à ce sujet. Sans tenir
compte du temps perdu à intervenir dans les chicanes entre voisins
ou à faire le pied de grue dans
l’antichambre de la Régie du logement. La mise en œuvre d’une politique d’interdiction totale des
animaux favoris comporte des
avantages certains, à la fois pour
l’ensemble des locataires et pour le
propriétaire. C’est une mesure qui
prévient les tensions entre voisins
et réduit les coûts d’exploitation,
entraînant la bonne entente et les
loyers raisonnables.
Ces objectifs fort respectables se heurtent cependant à un
phénomène incontournable: la
relation qui existe depuis l’aube
des temps entre l’homme et les animaux qu’on dit «familiers»38. Au
Québec, entre 45 et 58 % des
ménages hébergent au moins un
animal39. Leur popularité croissante s’explique en partie par le
fractionnement, ou l’«atomisation»
du tissu social: la personne seule
ou handicapée, l’enfant unique, le
vieillard isolé nouent des rapports
étroits de substitution avec un animal de compagnie. En principe
tout au moins, il est légitime pour
quiconque est empêché d’acquérir
ou de conserver un animal de se
sentir lésé dans l’exercice de ses
droits fondamentaux.
Il faut également compter
avec l’influence croissante de la
zoothérapie. De nombreux médecins affirment que le contact avec
un animal soulage ou même guérit
les symptômes reliés aux maladies
physiques ou psychologiques. Voici
la définition de cette discipline proposée par la Société de zoothérapie
de Drummondville:
le terme général «zoothérapie»
s’applique à toute activité impliquant l’utilisation d’un animal
auprès de personnes, dans un
but récréatif ou clinique. Cetteméthode favorise les liens naturels et bienfaisants existant
entre les humains et les animaux, à des fins préventives et
thérapeutiques.40
Ces divers facteurs illustrent
le dilemme du décideur: doit-il
favoriser l’application d’une clause
légale et claire, ou plutôt se montrer ouvert aux nouvelles tendances, y compris à la zoothérapie? S’il
cherche la réponse dans le texte
législatif, l’article 1901 C.c.Q. lui
fournit un seul critère, vague à
souhait: la clause visée est-elle
«déraisonnable»? Cette imprécision explique en grande partie les
flottements de la jurisprudence
québécoise. Avant d’approfondir
l’état du droit positif québécois en
38. «Familier: qui est considéré comme faisant partie de la famille »: Nouveau Petit
ROBERT, Édition 1995, p. 890.
39. Le Devoir, 22 décembre 1998, p. B1.
40. Site Internet www.zoothérapie.com.
340
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
la matière, il convient de faire un
rapprochement sommaire avec
certaines solutions élaborées à ce
sujet en Ontario et aux États-Unis.
2.2 À l’extérieur du Québec
La Loi sur la protection des
locataires de l’Ontario, mise en
vigueur le 16 juin 1997 4 1 , a
refondu en un seul texte toute la
législation portant sur le louage
résidentiel. Concernant la possession d’animaux, le mérite principal
de la position ontarienne est de dissiper tou te ambig u ï t é. Tout
d’abord, à l’article 15, le principe:
Est nulle la disposition de la convention de location interdisant
la présence d’animaux dans l’ensemble d’habitation ou dans ses
environs immédiats.
Le législateur a donc tranché
la controverse en faveur des locataires qui possèdent un ou des animaux. Il n’a pas pour autant
dépouillé le locateur de tout
recours. Aux termes des articles 64
et 65 de la Loi, ce dernier peut
envoyer au locataire un avis de
résiliation du bail fondé sur le préjudice découlant de la possession
d’un animal. Le locataire peut
alors, soit se départir de son animal dans un délai maximal de 7 à
10 jours, selon le manquement
reproché, soit quitter le logement
dans un délai maximal de 20 jours,
soit attendre la décision du tribunal, que le locateur doit saisir par
requête.
L’article 74 précise que la
résiliation du bail est accordée seu-
lement si la présence de l’animal
(ou d’un autre animal de cette race
ou espèce) «a gêné de façon importante la jouissance raisonnable de
l’ensemble d’habitation», «a provoqué... de graves allergies» ou
encore «constitue en soi un danger
pour la sécurité du locateur ou des
autres locataires». Il y a donc une
parenté certaine avec l’approche
québécoise, qui subordonne la résiliation du bail à l’existence d’un
préjudice sérieux. Par contre, le
locateur n’est pas admis, comme
au Québec, à demander une ordonnance d’exécution en nature. Cette
distinction est explicitée ci-dessous, au paragraphe 2.3.2 (Les
sanctions).
Quant au droit des ÉtatsUnis en la matière, en voici un
rapide survol42. D’abord, les clauses «no pets» sont généralement
tenues pour valides et susceptibles
d’exécution. Il existe toutefois de
nombreuses exceptions, notamment en faveur des personnes
âgées, des handicapés et des occupants de logements subventionnés. Le principe d’accommodement
convenable («reasonable accommodation») – qui est également en
pleine évolution au Québec43 –
constitue un élément fondamental
de la plupart des Codes des droits
de la personne: le locateur est tenu
de manifester une certaine indulgence à l’égard du locataire qui a
besoin de son animal pour sa santé
physique et mentale.
L’esprit de tolérance est également à la source de l’estoppel,
une doctrine de la common law
41. L.O. 1997, c. 24.
42. L’information relative au droit américain est tirée de Companion Animals in
Rental Housing, Newark, N. J., Rutgers University Law School Animal Rights
Center, Site internet www.animal-law.org/housing/.
43. V. notamment Whittom et al. c. Commission des droits de la personne du Québec,
J.E. 97-1255.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
341
selon laquelle est réputé avoir
renoncé à exercer son droit le
créancier qui a omis d’agir en
temps utile après avoir connu la
violation d’une clause du contrat44.
Dans la ville de New York par
exemple, le délai d’action – très
bref – est de trois mois. Généralement toutefois, il doit s’écouler un
délai beaucoup plus long pour que
l’on puisse conclure à l’acquiescement passif du locateur. De plus,
l’estoppel ne peut plus être invoqué
si le locataire renouvelle son bail.
Comme la plupart des États ne
reconnaissent pas le principe de la
tacite reconduction, le droit acquis
du locataire sous ce rapport
s’éteint avec l’ancien bail.
2.3 Au Québec
Prises isolément, les décisions rendues au Québec au cours
des dernières années relativement
aux clauses prohibitives paraissent souvent épouser des thèses
diamétralement opposées. Certains décideurs semblent privilégier une application rigoureuse de
la stipulation, alors que d’autres
sont plutôt sensibles au préjudice
subi par le possesseur de l’animal.
Il est clair qu’il n’existe pas d’unanimité étanche à ce sujet.
Mais serait-ce préférable?
Au-delà des divergences de degré
inévitables dans un contexte fortement émotif, une conclusion
découle manifestement de la jurisprudence récente: le principe de
l’autonomie de la volonté n’est nullement remis en cause dans l’en-
semble des décisions rendues45.
D’autre part, ce qui apparaît parfois comme un magma jurisprudentiel se compose en fait d’une
multitude de cas d’espèce. Il
convient donc de faire le point sur
les principes relativement constants énoncés par les juges et régisseurs, ainsi que sur les nuances
diverses révélées par la jurisprudence des dernières années. Nous
nous penchons par la suite sur
deux affaires qui ont quelque peu
bouleversé l’échiquier des idées
reçues en la matière.
2.3.1 Les principes
a) La clause n’est pas
déraisonnable
L’interdiction de posséder un
animal n’est pas considérée en soi
comme une «obligation... déraisonnable» au sens de l’article 1901
C.c.Q. La formulation suivante est
typique à cet égard:
Une telle clause, d’application
générale et d’intérêt commun,
n’est pas déraisonnble ni abusive à sa face même... Selon la
jurisprudence, une telle clause
n’est pas injuste parce que, d’une
part, tous les locataires et occupants de l’immeuble y sont assujettis et que, d’autre part, elle a
été clairement énoncée au locataire qui y a adhéré librement.46
On insiste beaucoup dans les
décisions sur le fait qu’il s’agit
d’une «clause à laquelle la locataire
a librement consenti»47. «Toute
personne a l’obligation d’honorer
44. V. également la définition de H. REID, précité, note 24, p. 222.
45. Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) c. Halbot, R.L. 10960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé.
46. OMH de Sept-Îles c. Bouchard et al., C.Q. 650-02-000412-948, 27 octobre 1995, j.
G. de Pokomandy.
47. Vigeant c. Tsatoumas, R.L.31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier.
342
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
les engagements qu’elle a contractés...», déclare péremptoirement
l’article 1458 C.c.Q. C’est essentiellement le rappel qu’on fait au
locataire fautif:
[...] la locataire a acquis ce chien
alors qu’elle était consciente
qu’elle dérogeait ainsi aux conditions de son bail, sans préalablement l’accord de la locatrice
[...]48
Ou encore,
À la signature de son bail, la
locataire savait pertinemment
qu’elle ne pouvait garder d’animaux dans son logement. Malgré une telle interdiction, elle
décide de procéder à l’acquisition
de deux chiens [...]49
La position des tribunaux en
cette matière est donc remarquablement ferme et concordante, tout
au moins lorsqu’il y a eu négociation véritable des conditions du
bail.
b) La clause est conforme à la
Charte
Reconnaissant qu’ils ont
enfreint une clause de leur bail,
certains locataires plaident néanmoins que cette stipulation viole
certains droits fondamentaux conférés par la Charte des droits et
libertés de la personne du Qué-
bec 5 0 . Invoquant notamment
l’article 1 de la Charte, ils avancent
qu’une telle restriction constitue
une atteinte à leur liberté et à leur
dignité. Cette prétention a généralement été rejetée, les décideurs
étant d’avis qu’il n’y a pas de lien
essentiel entre la liberté et la
dignité d’un locataire et le droit ou
non d’avoir un animal.
On a également eu recours à
l’article 10 de la Charte, qui interdit le comportement de nature discrim ina t oire. Une loca t a ire
d’origine chinoise se disait victime
de discrimination «fondée sur la
race», parce qu’elle était la seule à
s’être vu contester la présence de
son chien, alors que les autres locataires (tous des Occidentaux)
n’étaient pas incommodés51. Son
moyen de défense n’a pas été
retenu par la Régie, la locataire
n’ayant pas pu fournir une preuve
prépondérante de comportement
raciste. Un autre locataire a fait
valoir que son fils souffrait d’un
«handicap» et que la présence de
son animal de compagnie constituait «l’utilisation d’un moyen
pour pallier ce handicap»52. La
question n’a pas été tranchée au
fond dans cette décision, puisque le
régisseur a décidé, après une étude
exhaustive du sujet, que l’intéressé souffrait non pas d’un handicap, mais d’une maladie.
48. OMH de Longueuil c. Narbonne, R.L. 37-941028-008G, 16 janvier 1995, r. G.
Joly.
49. Domiciles Pop Inc. c. Thibault, R.L. 06-960508-001G, 30 janvier 1997, r. M.
Dubé.
50. L.R.Q., c. C-12. La Charte canadienne des droits et libertés (L.R.C. (1985), App.
II, no 44, Ann. B) ne s’appliquerait pas en la matière, selon le juge Pokomandy
(v. ci-dessus, note 46).
51. Résidence Lincoln c. Yang Uye Il, R. L. 31-961009-055G, 13 décembre 1996, r. R.
Holden.
52. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
343
c)
L’application de la clause ne
constitue pas du harcèlement
L’article 1902 C.c.Q., introduit par la réforme de 1994, interdit le comportement visant à
restreindre le droit du locataire à
la jouissance paisible des lieux ou à
obtenir qu’il quitte le logement.
Cette interdiction vise non seulement les actes carrément illégaux,
mais également «les manifestations permises par la loi mais exercées de façon abusive»53.
Plaide-t-on que l’application
sélective ou déraisonnable de la
clause prohibitive équivaut à du
harcèlement? Les décideurs sont
peu sympathiques à cette thèse:
Le tribunal ne saurait voir dans
le comportement des locateurs à
cet égard une quelconque forme
de harcèlement, ceux-ci s’étant
bornés à demander à la locataire
de respecter la clause spécifique
du bail interdisant la présence
d’animaux dans le logement, les
demandes répétées des locateurs
n’étant aucunement empreintes
de mauvaise foi [...]54
Dans une autre affaire, il a
été jugé qu’un locataire poursuivi
en résiliation de bail, après avoir
été mis en demeure de se débarrasser de son chien, ne pouvait pas
obtenir la résiliation du bail en sa
faveur et des dommages-intérêts
pour cause de harcèlement, même
si la demande du locateur avait été
rejetée pour d’autres motifs55.
d) La tolérance n’équivaut pas à
une renonciation
La doctrine de l’estoppel n’a
pas la faveur des décideurs, du
moins lorsque la tolérance n’est
que passive. On pourrait penser
que le caractère obligatoire de la
clause prohibitive s’atténue avec le
temps. Il n’en est rien dans la plupart des cas. La renonciation à la
clause doit être explicite:
[...] le fait d’avoir toléré la présence d’animaux à l’encontre de
la stipulation contenue dans les
baux ne constitue pas en soi une
renonciation à se prévaloir de
cette clause. Or, la preuve ne
révèle ni faits, ni paroles qui
pourraient laisser croire à une
modification du bail pour en
retrancher la clause ou pour permettre aux appelants de croire
que l’intimé renonçait à son
application [...]56
Ce principe est énoncé, à
quelques variantes près, dans
maintes décisions de la Régie du
logement57. Il est évoqué dans les
situations les plus diverses. Quelques illustrations:
– le propriétaire a toléré la présence d’un animal en particulier; il n’est pas obligé d’accepter
celui qui le remplace58;
53. Pierre PRATTE, «Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code
civil du Québec», (1996) 43 R. du B. 3, p. 15.
54. Vigeant c. Tsatoumas, R.L. 31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier.
55. Lacroix, c. Moore, R.L. 31- 961015-055G, 5 février 1997, r. J.-P. Hurlet (Moore c.
Lacroix, R.L. 31-960814-052G, 22 octobre 1996, r. J. Giroux).
56. OMH de Dégelis c. Lebrun et al., [1994] J.L. 127.
57. V. Héroux c. Leblanc, R.L. 16-940811-005G, 17 octobre 1994, r. G. Langlois;
Habitations Atlantique c. Bernatchez, R.L. 08-940824-008G, 12 janvier 1995, r.
M.Dubé; S. D. Gameroff Estate c. Parent, R.L. 34-960409-012G, 3 septembre
1996, r. D. Laflamme.
58. Chagnon c. Lainesse, C.Q. 750-02-000283-958, 29 septembre 1995, j. R. Denis.
344
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
– le locateur a soumis la bête à
une période de probation, «pour
permettre aux locataires de la
dresser»; insatisfait du résultat,
il a le droit d’exiger l’application
de la clause prohibitive59;
– l’ancien locateur était indulgent; le nouvel acquéreur de
l’immeuble n’est pas tenu de
l’imiter60;
– le locateur est en train d’éliminer tous les animaux dans
l’immeuble; la demande contre
le locataire est une étape de ce
processus61;
– par sa taille, son comportement
ou pour toute autre raison, l’animal du voisin ne provoque pas
de plaintes62;
– le locateur a toléré le caniche
des locataires; les deux gros
chiens du cessionnaire du bail
constituent par contre un «motif
sérieux» lui permettant de s’opposer à la cession en vertu de
l’article 1871 C.c.Q.63.
Qui plus est, l’iniquité du
comportement du locateur n’est
pas un élément pertinent du débat:
le locataire n’est pas admis à invoquer le passe-droit en faveur d’un
voisin64, ou même à l’égard du concierge qui possède lui-même un
animal65:
Il n’appartient pas au tribunal
de connaître les motivations qui
animent le locateur de permettre à certains de garder leur
animal et de l’interdire à d’autres.66
Une réserve pourtant: la
motivation du locateur sera prise
en considération – à son avantage
– s’il souhaite enrayer l’effet d’entraînement chez les autres locataires67. Même en l’absence de tout
problème actuel, le locateur est
justifié d’agir pour prévenir un
préjudice éventuel. Voici un exemple de cette position:
Concernant la clause, le Tribunal doit en venir à la conclusion
que cette clause est parfaitement légale et que le locateur est
en droit d’en exiger le respect
même si antérieurement il a
toléré la présence d’animaux. Le
fait que l’animal n’ait pas causé
de dommages ou qu’il n’y ait pas
de preuve de préjudice ne peut
e mpê c h e r l’ e xe r c ic e de la
clause.68
En somme, «Le locateur a le
droit d’exiger une certaine uniformité d’application de ses règlements...»69
59. Martin et al. c. Beaulieu, C.Q. 200-02-009585-961, 4 décembre 1996, j. G.-A.
Gobeil.
60. Rheault et al. c. Fortin et al., R.L. 18-940805-008G, 20 septembre 1994, r. M.
Bégin.
61. SCHL c. Halbot, R.L. 10-960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé.
62. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny.
63. Tourangeau c. Thériault, [1997] J.L. 245.
64. Auclair c. OMH de Baie-Comeau, C.Q. 655-02-000222-932, 7 avril 1994, j. R.
Boucher.
65. Immeubles S.M.G. enr. c. Schrenk, R.L. 31-960819-100G, 16 octobre 1996, r. M.
Lackstone; confirmé par la C.Q.: [1997] J.L. 333.
66. Kilifis c. Mainville et al., R.L. 35-951023-023G, 20 mars 1996, r. L. Harvey.
67. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, R.L. [1997] J.L. 16.
68. OMH de Charlesbourg c. Labrecque, [1998] J.L. 65.
69. OMH de Longueuil c. Trottier, [1995] J.L. 159.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
345
2.3.2 Les sanctions
L’article 1863 C.c.Q. prévoit
deux recours pour la mise à effet de
la clause prohibitive.
Premièrement, le tribunal
peut résilier le bail si l’inexécution
de l’obligation du locataire cause
au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble un préjudice
sérieux au sens de l’article 1863
C.c.Q. (si l’animal est une «cause
sérieuse de nuisance»70, une «source sérieuse de tracasseries»71).
Une fois le préjudice sérieux
établi, l’article 1973 C.c.Q. permet
accessoirement au décideur de rendre une ordonnance octroyant un
délai au locataire pour exécuter la
conclusion portant sur le respect
de la clause. Si le locataire n’obtempère pas, le tribunal n’a plus le
choix: il «doit» résilier le bail si
demande lui en est faite. Ce sera
également la solution retenue
lorsque le locataire refuse séance
tenante de se départir de son animal. On notera que la résiliation
du bail obtenue par le locateur ne
met pas fin aux obligations du locataire, notamment quant au versement d’une indemnité de relocation72.
En second lieu, même si
aucun préjudice n’a été prouvé, le
tribunal peut rendre une ordonnance d’exécution en nature visant
à forcer le locataire à respecter la
clause prohibitive. Les réticences
héritées de la common law relativement à l’injonction mandatoire
se sont graduellement estompées
au cours du dernier quart de siècle,
au point où l’exécution en nature
est couramment accordée dans les
procédures judiciaires au Québec73. En droit du logement, la
mise en application de la clause
par une ordonnance d’exécution en
nature est un des «cas qui le permettent», au sens de l’article 1863
C.c.Q.74. Ce sont surtout les circonstances de l’affaire qui déterminent le délai accordé au locataire
pour se conformer à l’ordre du tribunal. On relève notamment des
échéances de trente jours75, de
deux mois76 et même, dans une
espèce récente, d’un an77.
La seule sanction prévue
pour l’inobservation de l’ordonnance rendue en stricte application de la clause prohibitive est –
plutôt étonnamment d’ailleurs –
de nature pénale. L’article 112 de
la Loi sur la Régie du logement78
(L.R.Q., c. R-8.1) prévoit en effet
que le non-respect d’une ordonnance de ce type constitue un
outrage au tribunal. La Régie n’a
pas, du moins théoriquement, le
70. Faust c. Stelzer, R.L. 32-960314-012G, 19 septembre 1996, r. A. Simard.
71. Denis c. Lavallée, R.L. 18-940131-001G, 8 mars 1994, r. J. Cloutier.
72. Bouthillette c. Duchesneau, R.L. 32-960521-005; 31-960927-083G, 30 janvier
1997, r. A. Simard.
73. Pierre-Gabriel JOBIN, Les sanctions de l’inexécution du contrat, dans La
réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Cowansville, Barreau du Québec
et Éditions Yvon Blais Inc. (no 113), p. 106 et s.
74. Tortorici c. Vargas et al., R.L. 31-931008-011G, 15 mars 1994, r. J.-C. Pothier.
75. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny.
76. OMH de Gaspé c. Jeannotte, R.L. 08-970417-001G, 26 novembre 1997, r. M.
Dubé.
77. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256.
78. L.R.Q., c. R-8.1.
346
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
pouvoir de résilier le bail pour le
seul motif que le locataire n’a pas
obéi à son ordre. Le locateur doit
donc s’adresser à la Cour supérieure pour faire valoir son droit79.
Cette dernière se limitera à prononcer les sanctions prévues à l’article 51 du Code de procédure civile
(amende ou emprisonnement). Ce
recours peu commode est rarement
exercé, puisque le tribunal de droit
commun n’a pas le pouvoir de résilier le bail.
Toutefois, en pratique, il est
c ou r an t de libeller a insi la
demande: «résiliation du bail ou,
subsidiairement, ordonnance».
Ainsi, dans un dossier où les deux
conclusions étaient énoncées, le
régisseur a prononcé l’ordonnance
et réservé le droit à la résiliation si
l’ordonnance n’était pas respectée80. Dans une autre affaire, seule
l’exécution en nature avait été
demandée: le régisseur a réservé
au locateur le droit de faire résilier
le bail en cas de non-respect de
l’ordonnance 81. Dans ces espèces,
on juge que l’inobservation de l’ordonnance cause en soi au locateur
un préjudice suffisamment sérieux
pour justifier la résiliation.
2.3.3 Les tempéraments
Il ne faut pourtant pas conclure de ce qui précède que le droit
est fixé défnitivement en cette
matière. Ce n’est sûrement pas le
cas: comme il s’agit d’un débat de
société aux ramifications multiples, les données du problème et
les modes de solution sont en constante évolution. L’application
stricte de normes juridiques
inflexibles s’avère carrément
impossible.
L’opinion suivante reflète
bien cette réalité:
Une société évoluée comme la
nôtre reconnaît depuis plusieurs
années l’importance de la solidarité sociale. Le domaine du logement résidentiel est régi, à cause
de cela, par des normes plus élaborées que celles qui régissent le
marché des immeubles commerciaux où l’on retrouve une plus
grande liberté contractuelle.82
Dans ce contexte, il n’est pas
rare que transparaisse un certain
malaise chez le décideur qui doit
mettre à effet une clause prohibitive83. Il s’ensuit qu’on exige le respect intégral des formalités
requises pour l’application du
droit. De plus en plus également,
on scrute finement la preuve, pour
déceler des éléments de renonciation effective à la clause, ou encore
pour établir un manquement à
l’obligation de bonne foi. Enfin, la
notion de zoothérapie est quelquefois mise à contribution.
a) Le respect des formalités
Voici quelques exemples du
formalisme exigé dans ce domaine.
79. Société en commandite 2275-2253 H.B. c. Pelchat, R.L 18-921209-018G,
4 février 1993, r. M. Bégin.; par contre, s’il s’agit d’une ordonnance rendue en
appel par la Cour du Québec, ce tribunal punira lui-même la désobéissance:
OMH de St-Léonard c. Meunier, [1996] J.L. 252.
80. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, [1997] J.L. 16.
81. Laurendeau et Hachez c. Lasalle et al., R.L. 27-961219-002G (27-960820-003G),
11 février 1997, r. G. Bernard.
82. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier.
83. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
347
Le locateur qui a demandé
uniquement la résiliation du bail,
mais n’a pas réussi à prouver le
préjudice sérieux, est simplement
débouté: le tribunal n’accorde pas
l’ordonnance à titre subsidiaire, si
la demande n’en est pas faite spécifiquement84. On pourra toutefois
lui réserver ses autres recours85.
Fréquemment, la clause d’interdiction n’est pas inscrite au corps
même du bail, mais plutôt dans
une annexe de clauses supplémentaires (ou règlement de l’immeuble) signée par le locataire.
L’article 1894 C.c.Q. édicte que ce
règlement doit être remis avant la
conclusion du bail. Le défaut par le
locateur de respecter cette condition l’empêche d’invoquer la
clause 86 . Dans une espèce, la
clause prohibitive a été déclarée
inopposable à un locataire dont
l’exemplaire du bail, contrairement à celui du locateur, ne contenait pas l’interdiction en toutes
lettres87. La stipulation a également été jugée sans effet contre un
sous-locataire qui n’avait pas été
avisé de la restriction contenue au
bail original88. Enfin, une simple
résolution visant à interdire la présence d’animaux, adoptée par le
Conseil d’administration d’un
Office municipal d’habitation
(OMH), n’a pas force exécutoire à
l’égard du locataire89.
Quand le bail ne contient
aucune clause prohibitive, le locateur a théoriquement le droit de
demander qu’une telle stipulation
soit ajoutée aux conditions lors de
son renouvellement, selon le mécanisme prévu aux articles 1942 et s.
C.c.Q. Comme cette demande
remet en cause un droit acquis du
locataire, elle est généralement
refusée90. On conseillera plutôt au
locateur d’utiliser les recours
usuels si un problème réel survient91.
b) La bonne foi et la
renonciation
Même si la tolérance n’est
habituellement pas considérée
comme une justification valable en
ce domaine, rien n’empêche le locataire de faire la preuve que le locateur a, dans les faits, renoncé au
droit conféré par la clause prohibitive. La nuance entre tolérance et
renonciation est ténue, mais réelle.
Le point de convergence de ces
positions apparemment contradictoires, c’est que le rôle du juge n’est
pas uniquement d’appliquer normes et préceptes abstraits: saisi
d’un litige concret, il doit également prendre en considération la
valeur objective de la preuve et
surtout, la bonne foi relative des
parties (articles 6, 7, et 1375
C.c.Q). C’est ainsi que, dans une
84. Édifice 1175 Papineau Inc. c. Lanctôt et al., [1992] J.L. 129.
85. Immeubles Turret Inc. c. Zecevic-Nedic, R.L. 34-960424-002G, 27 juin 1996, r. J.
Gagnon Trudel.
86. OMH de Sainte-Thérèse c. Goyer, 1994 [J.L. 219]; OMH de Sept-Îles c. Bouchard,
[1995] J.L. 137.
87. Aubuchon c. Beaudoin, R.L. 31-980520-118G, 2 septembre 1998, r. P. Thérien.
88. Blanchette c. Collins, R.L. 15-940531-002G, 5 juillet 1994, r. G. Langlois.
89. OMH d’Ormstown c. D’Amour, R.L. 27-960618-002G, 23 août 1996, r. G. Bernard.
90. Kilifis c. Miskin et al., [1997] J.L. 200.
91. Immeubles Redmond Inc. c. Veilleux, R.L. 18-950403-009F, 14 septembre 1995,
r. M. Bégin.
348
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
affaire où l’attitude du locateur
était entachée de mauvaise foi, le
régisseur a pris le contre-pied de
l’opinion généralement acceptée
en décidant que le simple écoulement du temps pouvait constituer
une «renonciation tacite»92.
Il arrive effectivement que la
clause prohibitive demeure lettre
morte pendant de nombreuses
années, jusqu’à ce que surgisse un
différend, sur le prix du loyer ou
l’état du logement, par exemple. Le
locateur brandit alors son bail
écorné par l’âge et exige impitoyablement réparation. Ce type de
représailles reçoit généralement
un accueil plutôt glacial. Voici
l’analyse, assez typique, d’un
régisseur à cet égard:
De toute évidence, les parties
sont en relation très conflictuelle... De toute évidence aussi,
la locatrice introduit ce recours
devant la Régie du logement
pour exercer une certaine vengeance à l’endroit de la locataire.93
Dans l’affaire précitée, on a
permis à la locataire de garder son
animal jusqu’à la fin de son bail.
D an s d’ au tr es déc isions, la
demande du propriétaire est simplement rejetée94. On aura jugé,
comme dans une espèce récente,
que «la mésentente n’a finalement
rien à voir avec le comportement
de l’animal»95.
Plus le sens donné à la notion
de renonciation est large, plus on
lim it e l’a d m issib ilit é d e la
demande d’ordonnance fondée uniquement sur l’existence d’une
clause prohibitive. Tantôt, le but
visé par la stipulation est considéré comme hypothétique:
(le) locateur admet qu’il tolère
les animaux jusqu’à ce qu’il
reçoive des plaintes et que la
clause est inscrite au bail au cas
où il aurait à s’en servir. Dès
lors, le locateur ne peut plus se
limiter à prouver la clause du
bail interdisant les animaux... Il
doit également faire la preuve
d’un préjudice.96
Tantôt, on juge qu’il ne s’agit
pas d’une véritable condition du
bail:
Malgré la clause du bail, le locateur a permis la présence des
chats en autant qu’ils ne causent
pas de préjudice aux autres locataires. Devant une telle clause,
le Tribunal ne peut considérer
qu’il s’agissait d’une exigence
formelle de la part du locateur,
soit le refus de tolérer la présence d’animaux dans le logement. Pour obtenir l’éviction de
l’animal, le locateur doit maintenant prouver que l’animal lui
cause un préjudice.97
Voici une illustration supplémentaire de cette position:
De prime abord, les locataires
enfreignent une clause à leur
bail leur interdisant expressément de garder un animal dans
le logement concerné. Cependant, il a été mis en preuve que
92.
93.
94.
95.
Masse c. Valladont, R.L. 16-950517-002G, 11 juillet 1995, r. G. Langlois.
Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256.
Landry c. Létourneau, R.L. 18-950302-007G, 26 avril 1995, r. C. Courtemanche.
Daoust c. Gracovetsky, R.L. 34-960411-009G; 34-960521-011G, 3 septembre
1996, r. D. Laflamme.
96. SEC 296 Bonneau c. Lambert, R. L. 25-961115-005G, 3 février 1997, r. G. Choinière.
97. Vigneault c. Houde, R.L. 16-980330-002G, 2 juin 1998, r. C. Courtemanche.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
349
tous les logements de cet immeuble contiennent une telle clause,
mais que dans les faits, le locateur a toujours toléré la présence
d’animaux dans l’immeuble....
Le tribunal doit donc conclure
que la clause au bail des locataires est sans effet.98
Tout compte fait, en dépit des
fluctuations jurisprudentielles et
de l’inadmissibilité maintes fois
réitérée de la théorie de l’estoppel,
la tolérance d’une durée jugée suffisante est de plus en plus assimilée à une renonciation pure et
simple. L’évolution de la jurisprudence tend à accréditer l’énoncé
suivant:
Lorsqu’il y a tolérance, malgré
une clause du bail, il faut prouver un préjudice sérieux [...]99
c)
La zoothérapie
Nou s av on s fa it ét a t
ci-dessus de l’influence grandissante de la zoothérapie. Malgré des
réserves maintes fois exprimées
sur la validité d’une telle justification, la jurisprudence québécoise
admet désormais plus volontiers
l’utilité thérapeutique de l’animal
de compagnie. Cette attitude d’ouverture mène occasionnellement à
la conclusion que la clause prohibitive est déraisonnable, lorsqu’une
preuve médicale convaincante est
versée en preuve. Une décision
récente, tout en faisant droit à la
demande du locateur, reconnaît
98.
néanmoins que l’état de santé du
locataire peut constituer, «exceptionnellement» 100 , une défense
valable. Aux termes d’une décision
rendue en 1998, la locataire est
autorisée à garder son chien, son
état de dépression chronique ayant
été confirmé par son médecin101.
Dans une autre affaire, s’écartant
du cadre même de la preuve, un
régisseur déclare avoir «connaissance judiciaire» que «...l’affection
d’un maître envers son animal de
compagnie représente dans bien
des cas une présence et une source
importante de réconfort»102. Par
conséquent, «en présence d’un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa
famille», la demande d’ordonnance
est rejetée.
La position sympathique à la
zoothérapie est bien schématisée
dans l’extrait suivant:
[...] le locataire ne pourra faire
échec à cette clause que s’il rencontre les deux conditions suivantes:
1. La présence de l’animal ne
cause aucun trouble de quelque
nature et
2. La présence de l’animal est
nécessaire pour la santé ou la
sécurité du locataire.
Ces critères sont en effet de plus
en plus retenus par les tribunaux pour décider de la présence
d’animaux en contravention à
une clause du bail.»103
103.
Archambault c. Roche et Daigle, R.L. 37-980903-018G, 25 janvier 1999, r. L.
Harvey.
Pavillon Montcalm c. Guillemette, R.L. 18-960509-015G, 22 août 1996, r. M.
Bégin.
OMH de Sullivan c. Lafontaine, R.L. 13-970704-002G, 10 septembre 1997, r. G.
Allegra.
Place Concorde Inc. c. Caron, R.L. 31-980121-033G, 20 mars 1998, r. G. Joly.
OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier.
Demers c. Rabouin, R.L. 37-950109-008G, 10 février 1995, r. G. Joly.
350
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
99.
100.
101.
102.
2.3.4 Les affaires
COULOMBE et FRAM
Incontestablement, les dossiers qui ont acquis le plus de relief
sur cette question au cours des dernières années sont ceux qui ont
opposé L’Office municipal d’habitation de Pointe-Claire à deux de
ses locataires au sujet des chats de
ces dernières. Dans chacun des
cas, les locataires ont signé un bail
dont une des clauses interdisait la
possession d’un animal.
Les observations formulées
aux différents niveaux de juridiction dans ces affaires revêtent une
importance considérable en raison
du fait que les différends ont pris
naissance dans un contexte de
logements subventionnés, un
milieu de vie où les enjeux de la
question sont particulièrement
problématiques. D’une part, le
locataire n’a presque aucun pouvoir de négociation sur les conditions de son bail. D’autre part, les
voisins incommodés par la présence d’un animal sont généralement des personnes démunies,
âgées ou malades, qui ne sont pas
en mesure de déménager lorsque
leur tranquillité est perturbée par
l’animal d’un voisin. Enfin, les
administrateurs de ces logements
veulent faire l’économie des tracasseries et chicanes additionnelles que leur tolérance à cet égard
pourrait provoquer.
a) OMH de Pointe-Claire c.
Coulombe
Ce dossier a jusqu’à ce jour
été jugé à quatre niveaux: pre104.
105.
106.
107.
mière instance par la Régie du
logement104, appel par la Cour du
Québec105, révision judiciaire par
la Cour supérieure106 et pourvoi
par la Cour d’Appel107.
Dans un premier temps, le
régisseur a fait droit à la demande
d’ordonnance produite par le locateur. La décision est fondée surtout sur le principe de l’autonomie
de la volonté, la locataire s’étant
engagée en ce sens «volontairement et librement». L’interdiction
attaquée n’est pas contraire aux
Chartes. La clause n’est pas déraisonnable au sens de l’article 1901
C.c.Q. (ancien article 1664.11
C.c.B.-C.), notamment parce
qu’elle est conforme à la volonté de
la majorité des occupants du complexe résidentiel et parce qu’elle
vise à favoriser l’intérêt commun.
La preuve médicale soumise par la
locataire pour justifier la présence
de son chat n’a pas été jugée
convaincante par le régisseur.
En appel de novo devant la
Cour du Québec, une preuve supplémentaire (témoignage de médecin spécialiste, rapport, autorités)
est versée au dossier pour faire ressortir la valeur thérapeutique
«véritable» de la présence de l’animal. Malgré ces nouveaux éléments, qu’il qualifie d’«impressionnants», le juge décide que le
«droit à la vie» de la locataire,
garanti par l’article 1 de la Charte
québécoise, et ses autres droits
fondamentaux ne sont pas compromis. Le juge confirme donc les
principes et motifs du régisseur,
exprimés selon lui «avec beaucoup
de clarté et d’élégance».
[1994] J.L. 79.
C.Q. 500-02-031707-933, 11 avril 1995, j. J. Dionne.
[1996] R.J.Q. 1902 (C.S.).
C.A. 500-09-002386-963, 17 septembre 1999, j. Baudouin, Nuss et Denis (ad
hoc).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
351
En revanche, le jugement
rendu en juin 1996 par le juge
Louis S. Tannenbaum, sur la
requête en révision judiciaire du
jugement de la Cour du Québec,
remet fondamentalement en question des valeurs jusque alors pratiquement incontestées. Le juge de
la Cour supérieure tire de la
preuve les conclusions suivantes:
1.
Lorsque le redressement visé
par le recours est de nature
comminatoire («injunctive
relief»), comme c’est le cas en
l’espèce (ordonnance de se
départir), il ne suffit pas de se
demander si le locataire a
consenti à la clause visée. En
écartant la notion de préjudice des motifs de sa décision,
la Cour du Québec a fait
défaut d’exercer sa compétence en la matière:
Proof of prejudice is an important factor.
2.
3.
108.
109.
352
Selon le juge Tannenbaum, le
«droit à la vie» de la locataire
est effectivement mis en péril
par la démarche judiciaire de
l’OMH. Il reconnaît une crédibilité déterminante à la
médecin-experte qui prévoit
des conséquences négatives
majeures sur la santé physique et émotive de la locataire si celle-ci est privée de
son chat.
Le juge rejette l’argument
selon lequel une décision
favorable à Mme Coulombe
aurait un effet d’entraînement chez les autres locataires. Il conclut qu’il n’a pas à
tenir compte de faits étran-
gers à la cause dont il est
saisi.
Enfin, confirmation de la
décision de première instance par
la Cour d’appel. Dans un arrêt
unanime et sans équivoque, les
juges statuent que:
1.
La Cour du Québec n’a fait
qu’exercer sa compétence en
donnant effet à la clause du
bail de la locataire, «tout en
manifestant de la symapthie
pour... celle-ci». Il s’agit donc
d’une «erreur manifeste» de
la Cour supérieure.
2.
La décision de la Régie du
logement et le jugement de la
Cour du Québec n’étaient pas
«manifestement déraisonnables». Par conséquent, le juge
de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire
n’avait pas à «substituer sa
propre analyse et ses propres
conclusions».
b) OMH de Pointe-Claire c.
Fram
En l’espèce, le régisseur
donne raison à l’OMH essentiellement pour les mêmes raisons que
dans Coulombe108. Il ajoute néanmoins la remarque que la présence
d’animaux dans le complexe alourdit la tâche des employés. En effet,
«les occupants sont pour la
grande majorité des personnes
âgées qui sont à divers degrés en
perte d’autonomie ...»
Le jugement de la Cour du
Québec109 infirme la décision rendue en première instance. Le juge
Gérard Rouleau, de la Cour du
R.L. 35-940119-014G, 12 mars 1997, r. G.Bernard.
J.E. 98-1402; ce jugement a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Québec, décrit le cadre réglementaire très rigoureux qui régit
l’attribution et l’administration
des logements à loyer modique, un
contexte qui «laisse place à peu
sinon pas du tout de négociation
entre l’administration de l’immeuble et un éventuel locataire». Il en
conclut que le bail de Mme Fram est
un contrat d’adhésion au sens de
l’article 1379 C.c.Q.
Il fait ensuite état du tort
considérable qui serait occasionné
à la locataire par l’application de la
clause. De plus, relativement à un
referendum tenu sur la question
dans l’immeuble, il voit mal «comment l’opinion des autres locataires peut être pertinente sur la
présence d’un chat à l’intérieur
d’un appartement et qu’ils ne verront jamais». C’est sur l’article
1437 C.c.Q. que se fonde le juge
Rouleau pour déclarer la clause
abusive. Il est intéressant de noter
qu’il ne fait aucune allusion à l’article 1901 C.c.Q., pourtant applicable spécifiquement au bail
résidentiel.
Le juge Rouleau formule
deux propositions, à la fois simples
et dignes de réflexion. D’abord, sur
le libellé de la question référendaire, un rappel à la juste mesure:
(Cette question) ne faisait
aucune différence entre un chat
qui ne sort jamais de l’appartement de son maître et un
molosse de 35 kilos qui hanterait
les espaces communs.
Puis, sur la pertinence de la
Charte des droits et libertés du
Québec en ce domaine:
Les aînés et les personnes handicapées... sont aussi aptes que
quiconque à décider de leur vie,
d’avoir ou non un animal, d’en
être responsable et de répondre
de leurs fautes si elles ne font
pas face adéquatement à leur
responsabilité à cet égard.
Prendre pour acquis qu’à cause
de leur âge ou de leur condition
physique elles ne peuvent s’occuper adéquatement d’un animal est discriminatoire...»
CONCLUSION
À la suite de l’arrêt récent de
la Cour d’appel dans le dossier
Coulombe, on pourrait être tenté
d’opiner que la cause a été entendue, et la question réglée de façon
définitive. Il serait téméraire au
présent stade de tirer une telle conclusion. En effet, les juges de la
Cour d’appel ont pris bien soin de
situer leur décision dans le contexte précis et exigu d’une requête
en révision judiciaire présentée
par la locataire. Soulignons que
dans l’affaire Fram, le fardeau est
renversé: le juge de la Cour du
Québec, dans son jugement sur le
fond, a déclaré la clause déraisonnable et c’est l’OMH qui s’adresse à
la Cour supérieure. Il est donc loisible d’affirmer que le débat vient à
peine de s’engager.
Dans une perspective plus
globale, le constat s’impose que
l’équité contractuelle est une
notion à forte connotation morale,
dont le contenu varie considérablement selon les sociétés et les époques. Tout ce que peut espérer
l’observateur, c’est de rendre
compte le plus justement possible
de l’état du droit à un moment
donné. Tel est le modeste propos de
cette chronique.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
353
CHRONIQUE DE DROIT PÉNAL
Jean-C. Hébert
L’exclusion de preuve en appel
Ayant conclu – contrairement au magistrat de première
instance – que les droits constitution n els d’ u n ac c u sé furent
atteints par des agents de l’État,
un tribunal d’appel peut-il procéder à l’exclusion de preuve comme
le ferait normalement le juge du
procès? Imaginons le scénario suivant. Un inculpé conteste l’admissibilité d’une preuve matérielle au
motif que son obtention violait ses
droits protégés par la Charte canadienne. Au terme de la première
étape d’un voir-dire constitutionnel, le juge du procès conclut à
l’absence de toute violation constitutionnelle. Aucune preuve ni
arguments relatifs à la question de
l’exclusion de preuve ne sont alors
présentés au tribunal. L’instruction du mérite de l’inculpation suit
son cours et une déclaration de culpabilité s’ensuit. Lors du pourvoi,
l’appelant convainc le tribunal de
révision que la saisie de la preuve
matérielle incriminante fut effectuée en violation de l’un ou l’autre
de ses droits constitutionnels. La
cour d’appel de premier ou second
niveau1 est-elle un «tribunal compétent» au sens de l’article 24 de la
Charte canadienne?
La compétence législative
d’appel
En matière criminelle, la
compétence d’appel est exclusivement d’origine législative2. Or, la
compétence et les pouvoirs d’une
cour d’appel sont définis de façon
exhaustive dans la partie XXI du
Code criminel. Sauf circonstances
exceptionnelles3, une cour d’appel
1. La Cour supérieure siège en appel des jugements rendus par les cours de poursuites sommaires; la Cour d’appel siège notamment en appel (sur permission, et à
l’égard d’une question de droit seulement) des jugements d’appel de la Cour supérieure et des jugements au mérite de tous les tribunaux saisis de poursuites relatives à des actes criminels.
2. Dans l’arrêt R. c. Thomas, [1999] 3 R.C.S. 535, par.14, s’exprimant pour l’opinion
majoritaire, le juge Lamer rappelait l’état du droit dans les termes suivants:
«En matière criminelle, la compétence d’une cour d’appel est purement d’origine
législative: art. 674 du Code criminel. Voir aussi Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2
R.C.S. 53, p. 69, et R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, p. 1773. À l’égard des appels
ordinaires en matière criminelle, la compétence et les pouvoirs d’une cour d’appel
sont définis de façon exhaustive dans la partie XXI du Code criminel. Il faut interpréter le pouvoir précis conféré par le par. 686(8) à la lumière de ce régime législatif. [...]»
3. L’al. 686(1)d) C.cr. dispose que la cour d’appel peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un
tribunal de première instance que l’art. 672.45 accorde à celui-ci ou auxquels il
fait renvoi, de façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances.
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
355
ne peut exercer les pouvoirs d’un
tribunal de première instance.
Bref, la compétence législative
d’une cour d’appel en est une de
révision. Par conséquent, siégeant
en appel, la Cour supérieure ne
peut juger une affaire de novo4; la
Cour d’appel ne le peut guère plus.
Parce que le juge du procès, après
avoir (erronément) conclu à l’absence de violation des droits constitutionnels de l’accusé, omet de
procéder à la seconde étape d’un
voir-dire constitutionnel, la cour
d’appel n’a rien à réviser sur la
question d’exclusion de preuve.
Elle ne peut pas, au lieu et place du
premier juge, exercer une compétence dévolue exclusivement au
«tribunal compétent» par le par.
24(2) de la Charte canadienne,
celui-ci s’étant par ailleurs abstenu de l’exercer.
Le par. 24(2) de la Charte
canadienne est une disposition
réparatrice spéciale. Il énonce les
conditions auxquelles l’exclusion
d’éléments de preuve peut être
accordée dans une demande de
réparation aux termes du par.
24(1)5. Une demande de réparation
ne peut être accordée que si l’accusé franchit la première étape
consistant à démontrer de façon
prépondérante que la preuve contestée fut obtenue «dans des conditions qui portent atteinte aux
droits ou libertés garantis» par la
Constitution. L’article 24 de la
Charte canadienne n’est pas attributif de compétence aux tribunaux
d’appel, que ce soit en matière de
réparation générale prévue au par.
16 ou de réparation spéciale selon
le par. 2. Une cour d’appel n’est pas
d’office un «tribunal compétent» au
sens de l’article 24 de la Charte
canadienne.
Une fois acquise et prouvée
au dossier la violation ou négation
d’un droit constitutionnel, procédant à exercer sa compétence législative – limitée à l’examen d’une
pure question de droit7 – , la cour
d’appel ne peut que réviser l’application du droit aux conclusions
4. Dans l’arrêt R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, p. 458, le juge Dickson , dissident
sur autre chose, fit l’analyse suivante:
«L’al. 613(1)a) [actuel al. 686(1)a)] permet à un tribunal d’appel des déclarations
sommaires de culpabilité d’accueillir un appel si le verdict est «déraisonnable ou
ne peut pas s’appuyer sur la preuve» ou si le juge de première instance a commis
une erreur «sur une question de droit» (R. c. Ponsford (1978), 41 C.C.C. (2d) 433
(C.A. Alb.)) Ceci ne veut pas dire qu’un tribunal d’appel des déclarations sommaires de culpabilité est automatiquement autorisé à juger l’affaire de nouveau (R. c.
Colbeck (1978), 42 C.C.C. (2d) 117 (C.A. Ont.))» (Nos italiques)
5. Dans l’arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1000, le juge Dickson exprima
comme suit l’opinion majoritaire de la Cour suprême:
«[...] Le paragraphe 24(2) est une disposition réparatrice spéciale. Il se distingue
du par. 24(1) qui constitue la disposition réparatrice générale de la Charte. Le
paragraphe 24(2) énonce les conditions auxquelles l’exclusion d’éléments de
preuve peut être accordée dans une demande de réparation aux termes du
par. 24(1). Dans les arrêts R. c. Therens et R. c. Collins, la Cour à la majorité a conclu que seul le par. 24(2) permet d’écarter des éléments de preuve; un élément de
preuve ne peut être écarté en application du par. 24(1) seulement. [...].»
6. R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764.
7. Dans l’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S.615, p. 625, le juge Cory (pour la
Cour) rappelait que:
«La décision d’écarter un élément de preuve pour le motif qu’il est susceptible de
déconsidérer l’administration de la justice, conformément au par. 24(2) de la
356
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de fait tirées par le juge du procès8.
Dans cette perspective, les juges
d’appel peuvent donc réexaminer –
plutôt qu’examiner – l’admissibilité des éléments de preuve contestés que si le juge du procès (après
avoir reconnu une violation constitutionnelle) a commis une erreur
de principe dans son appréciation
et son application des principes
juridiques pertinents au bon usage
du par. 24(2) de la Charte canadienne9. Cet exercice de réexamen
peut ultérieurement avoir un
impact déterminant sur le mérite
du pourvoi10.
Outre l’erreur de principe
(c.à.d. une erreur de droit) commise par le juge du procès lors d’un
voir- dire constitutionnel, une conclusion de fait déraisonnable tirée
par celui-ci peut justifier l’ingérence d’une cour d’appel dans le
processus décisionnel lié au par.
24(2) de la Charte canadienne11. Il
importe que l’accusé puisse faire
analyser l’admissibilité de la
preuve contestée pour atteinte à la
Constitution en fonction des principes juridiques appropriés. En
cette matière, l’analyse par le juge
du procès de la norme d’exclusion
est conditionnée par ses conclusions préliminaires quant à
l’existence, la nature et l’importance d’une violation ou négation
des droits constitutionnels de
l’accusé. Face à une analyse erronée en droit ou à des conclusions de
Charte, est une question de droit (voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.SA. 265, p.
275).» (Nos italiques)
8. La Cour suprême, à la majorité, fit l’observation suivante dans l’arrêt R. c.
Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p. 98:
«En l’espèce, le ministère public a admis dans toutes les cours qu’il y avait eu
violation de l’art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. La seule question à déterminer en cette Cour est de savoir si la preuve soumise doit être
écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte. Les juges formant la majorité de la
Cour d’appel de l’Ontario n’ont formulé aucun principe ou règle de droit avec
lequel nous ne soyons pas d’accord: (1985), 18 C.C.C. (3d) 289. Ils ont simplement appliqué le droit aux conclusions de fait du juge du procès, à l’égard desquelles ils ne s’estimaient pas justifiés d’intervenir.» (Nos italiques)
9. Dans l’arrêt R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, p. 651, le juge Cory fit
l’observation suivante pour l’opinion majoritaire:
«[...] Il appert donc que le juge du procès a commis une erreur dans son appréciation et son application des principes juridiques qui doivent être considérés en
appliquant le par. 24(2), et que l’admissibilité des éléments de preuve contestés
doit être réexaminée.» (Nos italiques)
10. Le passage pertinent du jugement unanime de la Cour suprême, dans l’affaire
R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S. 59, p. 81, se lit comme suit:
«[...] Tout comme le juge LeBel, quand j’examine l’ensemble de la décision du
juge Lamoureux, je crois qu’il a tenu compte des deux exigences du par. 24(2)
avant de conclure à l’exclusion de la preuve. Ce n’est que s’il avait eu tort de décider de l’exclusion que la Cour d’appel pouvait à bon droit annuler l’acquittement.
[...]»
11. L’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, p. 626, rendu par le juge Cory pour
la Cour suprême, comporte le passage pertinent suivant:
«En l’espèce, le juge du procès ne semble pas avoir tiré une conclusion de fait
déraisonnable ni commis une erreur de droit. Néanmoins, la Cour d’appel à la
majorité a renversé sa décision. En toute déférence, je suis d’avis que la Cour
d’appel à la majorité a commis une erreur à cet égard et s’est ingérée trop promptement dans les conclusions du juge du procès.» (Nos italiques)
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
357
fait déraisonnables (tant dans le
premier que dans le second volet
du voir-dire), une cour d’appel est
justifiée de s’ingérer dans la bonne
marche du procès pour réexaminer
le processus d’exclusion effectué
par le juge du procès – et –, par
implication nécessaire, réviser
également ses conclusions préliminaires à propos de la violation ou
négation des droits constitutionnels alléguée par l’accusé12.
Cette révision des conclusions préliminaires ne peut toutefois intervenir que si le juge du
procès a procédé au second volet du
voir-dire. Autrement, la cour d’appel ne peut que constater les
erreurs commises à propos de la
violation constitutionnelle, pour
ensuite en évaluer l’effet selon les
règles ordinaires en matière
d’appel de déclaration de culpabilité. À cet égard, constitue une
erreur de droit l’omission par le
juge du procès de tirer des conclusions dans le cadre d’une décision
préliminaire portant sur des questions mixtes de droit et de fait se
rapportant à l’admissibilité d’éléments de preuve cruciaux. Le
sous-al. 686(1)b)iii) C.cr. oblige la
cour d’appel à examiner l’effet de
cette erreur sur le cours du procès
et sur le verdict. Dans l’hypothèse
où le point préliminaire est purement une question de droit, il
incombe à la cour d’appel d’en arriver à la bonne conclusion en droit.
Dans l’hypothèse où le point préliminaire est une question de fait ou
une question mixte de fait et de
droit, la cour d’appel doit se
demander si la question aurait inévitablement été tranchée en faveur
de l’admissibilité; dans l’affirmative, l’erreur n’a pas d’incidence;
dans la négative, l’erreur a pu
influencer le verdict puisque l’élément de preuve aurait pu être
écarté13.
12. L’extrait suivant de l’arrêt R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, p. 167-168, rendu
par le juge Iacobucci pour l’opinion majoritaire, confirme notre propos:
«[...] Dans un arrêt où elle examinait l’application du par. 24(2) de la Charte par
une cour d’appel provinciale, notre Cour a clairement indiqué qu’en l’absence
d’une erreur quant aux principes juridiques qui devraient guider une décision
fondée sur le par. 24(2), il n’appartient pas vraiment à notre Cour de réviser les
conclusions des tribunaux d’instance inférieure et de substituer sa propre opinion en la matière à celle de la cour d’appel: R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p.
98.
De même, comme l’a souligné le juge Cory dans l’arrêt Mellenthin, précité, en
l’absence d’une erreur de principe analogue, une cour d’appel provinciale ne
devrait pas modifier les conclusions tirées par le juge du procès lors du voir-dire.
Ce qui importe c’est que l’accusé ait fait analyser l’admissibilité de la preuve
contestée en fonction des principes appropriés. En l’espèce, on ne saurait dire
que la Cour d’appel a commis une erreur en ne suivant pas la décision du juge du
procès et en procédant de nouveau à l’analyse fondée sur le par. 24(2). C’est
parce qu’il a conclu qu’il n’y avait eu qu’une violation «technique» de l’art. 8 de la
Charte et que les al. 10a) et b) n’avaient pas été violés que le juge du procès a
abordé l’analyse fondée sur le par. 24(2) sous un angle fondamentalement différent.»
13. R. c. Rockey, [1996] 3 R.C.S. 829, p. 833-834, par. 1 à 7. Il convient de citer au
texte le raisonnement articulé par le juge Sopinka pour l’opinion majoritaire de
la Cour suprême:
«Les points à l’égard desquels le juge du procès a fait erreur en omettant de tirer
des conclusions concernaient une décision préliminaire portant sur des questions mixtes de droit et de fait se rapportant à l’admissibilité d’éléments de
358
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
L’argumentaire qui précède
fait voir qu’un tribunal d’appel
peut difficilement s’ingérer dans le
processus d’exclusion de preuve
prévu au par. 24(2) de la Charte
canadienne dans l’hypothèse où le
juge du procès s’est abstenu de
tirer des conclusions de fait et
d’examiner les facteurs pertinents
au second volet du voir-dire. L’enseignement de la Cour suprême14
met en relief la connexité existant
entre le constat d’une violation
constitutionnelle par le juge du
procès et l’appréciation qu’il peut
en faire au second volet du processus de pondération des facteurs
pertinents. C’est pourquoi, en
l’absence de motifs justificatifs,
toute conclusion subsidiaire par le
juge du procès à l’effet de ne pas
exclure une preuve contestée – fondée sur le postulat d’une violation
constitutionnelle hypothétique –
mérite peu de considération dans
un processus de révision judiciaire15.
preuve cruciaux. Ont été présentés, au voir-dire, des éléments de preuve à
l’égard desquels des conclusions devaient être tirées. Bien que les conclusions
sur ces points préliminaires auraient constitué des questions mixtes de droit et
de fait, l’omission de tirer ces conclusions a constitué une erreur de droit. Dans
un tel cas, le sous-al. 686(1)b)(iii) exige que la cour examine l’effet de l’erreur sur
le cours du procès et sur le verdict. Si le point préliminaire est purement une
question de droit sur laquelle le juge du procès a omis de statuer, la cour d’appel
décide quelle est la bonne conclusion en droit. Si cette conclusion entraîne
l’admissibilité d’éléments de preuve qui ont, de fait, été admis, alors l’erreur n’a
eu aucun effet sur le verdict. La cour d’appel n’acceptera pas l’argument que des
juges différents pourraient rendre une autre décision. Il n’y a qu’une seule
réponse, celle donnée par la cour d’appel.
Cependant, si le point préliminaire est une question de fait ou une question
mixte de droit et de fait, la décision n’est pas nécessairement inévitable. Dans
notre système, en cas de différend sur des questions de fait, la règle générale est
que l’appelant a droit à ce que ce soit le juge du procès qui tranche. Dans de telles
circonstances, la cour d’appel a tort de simplement trancher la question. Le raisonnement qu’il faut faire consiste à se demander si la question de fait aurait
inévitablement été tranchée en faveur de l’admissibilité. Si la réponse est oui,
alors l’erreur n’a eu aucune incidence. Si la réponse est non, alors il est raisonnable de penser que l’erreur a pu influer sur le verdict étant donné que l’élément
de preuve aurait pu être écarté. [...]»
14. Notamment dans l’arrêt Borden, précité, note 12.
15. Le juge Sopinka, pour l’opinion majoritaire, fit l’analyse suivante dans l’arrêt R.
c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, p. 70:
«Conclusion concernant le paragraphe 24(2)
Je répète que je suis d’avis que les déclarations, les empreintes digitales, la chemise, les chaussures et l’argent sont inadmissibles en vertu du par. 24(2).
L’intimée a souligné que notre Cour a déclaré que les cours d’appel doivent faire
preuve de retenue envers les tribunaux d’instance inférieure sur la question de
l’admissibilité de la preuve sous le régime du par. 24(2): voir, par exemple,
l’arrêt Grant, précité. En l’espèce, le juge du procès et la Cour d’appel ont tous
les deux conclu subsidiairement qu’ils admettraient la preuve en question
même s’il y avait eu des violations de la Charte. À mon avis, ils ont tous les deux
commis une erreur en tirant ces conclusions subsidiaires et il est difficile
d’évaluer leur raisonnement étant donné que peu de propos ont été tenus à cet
égard. Le juge du procès a simplement énuméré les facteurs énoncés dans l’arrêt
Collins, précité, en tirant une brève conclusion sur chaque point. Il n’a pas rassemblé les points dans les trois grandes catégories de facteurs et il n’a pas
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
359
La suffisance du contexte
factuel
Les réparations fondées sur
la Charte canadienne doivent être
accordées dans le contexte normal
des procédures dans lesquelles une
question prend naissance16. Face à
une violation constitutionnelle
prouvée de façon prépondérante, le
tribunal appelé à soupeser les trois
catégories de facteurs façonnées
par le droit prétorien doit disposer
d’un contexte factuel suffisant
pour lui permettre d’exercer judi-
cieusement sa discrétion judiciaire. De façon générale, il est
acquis que les décisions relatives à
la Charte canadienne ne doivent
pas être rendues dans un vide factuel17.
Dans l’appréciation des facteurs pertinents au processus d’exclusion de preuve prévu au par.
24(2) de la Charte canadienne,
l’équité procédurale revêt une
importance capitale18. Or, lorsqu’un juge de première instance
conclut (erronément) à l’absence
motivé non plus chacune de ses conclusions. La Cour d’appel a énuméré les facteurs de l’arrêt Collins et formulé sa conclusion que, tout compte fait, il y avait
lieu d’utiliser la preuve. À mon avis, on ne devrait faire preuve d’aucune retenue
particulière à l’égard de l’un ou l’autre de ces jugements. Premièrement, ni le
juge du procès ni la Cour d’appel n’ont conclu à l’existence d’une violation
concernant la saisie des éléments de preuve en question, et cette erreur de droit
a vraisemblablement influé sur leur conclusion subsidiaire que les violations, si
tant est qu’elles aient existé, n’étaient pas graves. Deuxièmement, comme je l’ai
déjà souligné, le juge du procès a conclu à tort que la police avait agi de bonne foi.
Troisièmement, les motifs du juge du procès et de la Cour d’appel étaient si brefs
et non étayés qu’il est difficile de dire si d’autres erreurs ont été commises. À
mon avis, aux termes du par. 24(2), la chemise, les déclarations, les chaussures,
les cigarettes, l’argent et les empreintes digitales n’auraient pas dû être admis
en preuve.»
16. Dans l’arrêt Dagenais c. S.R.C., [1994] 3 R.C.S. 835, le juge Lamer rendait le
jugement majoritaire de la Cour suprême. À la p. 867, le juge Lamer cite avec
approbation le passage suivant des notes du juge La Forest dans l’arrêt Mills:
«D’après ce qui précède, il doit être évident que je favorise le point de vue suivant lequel les réparations fondées sur la Charte doivent, d’une manière générale, être accordées dans le contexte normal des procédures dans lesquelles une
question prend naissance. Je ne crois pas que l’art. 24 de la Charte exige que l’on
invente de toutes pièces un système parallèle pour l’administration des droits
conférés par celle-ci qui viendra s’ajouter aux mécanismes déjà existants
d’administration de la justice.» (Nos italiques)
17. Mackay c. La Reine, [1989] 2 R.C.S. 357. Il convient de reproduire le passage suivant, p. 361-362, du jugement unanime de la Cour suprême écrit par le juge
Cory:
«Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des
opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit
l’intimée, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant
simplement à ce que l’on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d’un tribunal qu’il examine une question comme celle-ci dans un vide factuel. Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non
étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.»
18. Le juge La Forest, pour l’opinion majoritaire, s’est exprimé dans les termes suivants dans l’affaire R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, p. 59:
360
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
de violation constitutionnelle, l’accusé se trouve privé de l’opportunité de consigner au dossier la
preuve et les arguments pertinents au processus d’exclusion de
preuve. Lorsqu’un tribunal d’appel
exerce sa compétence de révision,
il est loisible à l’accusé d’attaquer
le mérite du verdict de culpabilité
en plaidant la violation de ses
droits constitutionnels au regard
de l’admissibilité de la preuve à
charge. Encore faut-il que les juges
d’appel disposent d’un contexte
factuel suffisant permettant d’apprécier les questions litigieuses
sans préjudicier les droits de parties19. Dans l’hypothèse où une
cour d’appel serait compétente
pour agir – hors le cadre juridictionnel prévu par l’article 686 C.cr
– comme «tribunal compétent» au
sens du par. 24(2) de la Charte
canadienne, le même raisonnement devrait prévaloir à propos de
l’étape suivante du processus de
réparation. Il se peut qu’un appelant ne puisse convenablement
éclairer le «tribunal compétent»
sans lui présenter une preuve suffisante et des arguments pertinents quant à l’évaluation des
facteurs issus de l’arrêt Collins.
Selon le libellé même du par.
24(2) de la Charte canadienne,
l’admissibilité de la preuve (ou son
exclusion) doit être déterminée «eu
égard aux circonstances». Par conséquent, s’agissant pour le tribunal compétent de déterminer si
une preuve devrait être frappée
d’exclusion, suite à la mise en
preuve d’une violation ou négation
constitutionnelle, le contexte factuel global est essentiel20. En général, le par. 24(2) de la Charte canadienne a pour objet d’empêcher que
l’administration de la justice ne
soit davantage déconsidérée par
l’utilisation d’éléments de preuve
dans un procès. Cette déconsidération additionnelle peut notamment découler de l’absolution judiciaire à l’égard d’une inconduite
des organismes d’enquête de
«Dans l’appréciation de ces facteurs, l’équité du processus et, en particulier, ses
répercussions sur l’équité du procès revêtent une importance capitale.» (Nos
italiques)
19. Dans l’arrêt R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918, p. 920, le juge Iacobucci approuve
l’analyse du juge Harradence, dissident pour le tribunal d’appel. Or, ce dernier
s’était exprimé comme suit, p. 488, [(1992) 73 C.C.C. (3d) 481]:
«It is my view that these cases are a clear signal to appellate courts that the fact
that the issue was not raised in the court of original jurisdiction is not an insurmontable barrier to the matter being considered for the first time at the appellate level. Where the court has a sufficient factual foundation to appraise the
issue without prejudice to the parties and particularly where refusing to do so
will result in unfairness, then in my view it is proper for the court to hear and
determine the question put before it.»
20. Dans l’affaire R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, p. 65, la juge Wilson, dans une opinion minoritaire (dissidente sur le dispositif du pourvoi), fit la remarque suivante en relation avec la règle de la retenue judiciaire:
«Cette approche respectueuse à l’égard de l’examen des décisions des tribunaux
inférieurs en vertu du par. 24(2) est appropriée précisément parce que la question de l’admissibilité est à ce point reliée aux faits.
Je le répète, le contexte est essentiel en ce qui concerne la question de l’admissibilité et selon moi, le contexte en l’espèce est très différent de celui de l’arrêt
Duarte. [...]» (Nos italiques)
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
361
l’État21. Or, en l’absence d’un lien
causal, un lien temporel entre une
perquisition ou fouille illégale et
des tactiques d’enquête suffit pour
soutenir la conclusion que des éléments de preuve furent obtenus
dans des conditions portant
atteinte aux droits constitutionnels d’un accusé et, ainsi, donner
ouverture au recours prévu par le
par. 24(2) de la Charte canadienne22.
Lors d’une vaste opération
policière, le lien temporel entre différents événements peut être probant. L’accusé se trouve alors
justifié d’établir, dans le second
volet du voir-dire, plusieurs violations ou négations de ses droits
constitutionnels survenues en cascade et de façon contemporaine23.
Procédant à évaluer la gravité de
différentes violations ou négations
des droits constitutionnels de l’accusé, le «tribunal compétent»
devrait pouvoir, eu égard aux circonstances, évaluer notamment le
caractère envahissant d’une
fouille, l’attente raisonnable de
l’accusé au respect de sa vie privée,
l’endroit précis où la fouille eut
lieu, l’existence de motifs raisonnables et probables et la bonne ou
mauvaise foi policière24.
21. Dans l’arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 784, le juge Lamer reprend, pour
l’opinion majoritaire, une proposition de droit formulée antérieurement dans
l’arrêt de principe Collins:
«En général, l’article a pour objet d’empêcher que l’administration de la justice
ne soit davantage déconsidérée par l’utilisation d’éléments de preuve dans une
instance. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Collins, précité, p. 281, cette déconsidération additionnelle découlerait de l’utilisation des éléments de preuve qui priveraient l’accusé d’un procès équitable ou de l’absolution judiciaire d’une conduite
inacceptable de la part des organismes d’enquête et de poursuite.» (Nos italiques)
22. Exprimant l’avis unanime de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Grant, [1993] 3
R.C.S. 223, p. 255, le juge Sopinka aborde l’incidence du lien temporel comme suit:
«En l’espèce, le lien temporel entre les perquisitions périphériques sans mandat
et les éléments de preuve ultérieurement déposés au procès par le ministère
public est suffisant pour justifier l’examen de l’exclusion de ces éléments de
preuve. Quoiqu’elles n’aient peut-être pas un lien causal avec la preuve déposée,
les perquisitions sans mandat font néanmoins partie intégrante d’une série de
tactiques d’enquête qui ont abouti à la découverte des éléments de preuve en question. [...]» (Nos italiques)
23. Le raisonnement suivant fait, au nom de l’opinion majoritaire, par le juge
Sopinka dans l’arrêt R. c. Goldhart, [1996] 2 R.C.S. 463, p. 482, soutient notre
proposition:
«[...] Conformément à la directive voulant qu’on examine l’ensemble du rapport
entre la violation et la preuve obtenue, il convient que la cour examine la force
du rapport causal. Si le lien temporel et le lien causal sont ténus tous les deux, la
cour peut très bien conclure que la preuve n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou une liberté garantis par la Charte. Par
contre, le lien temporel peut être fort à ce point que la violation de la Charte fait
partie intégrante d’une seule et même opération. Dans un tel cas, la faiblesse ou
même l’absence d’un lien causal sera sans importance. Un fois les principes de
droit définis, la force du lien entre la preuve obtenue et la violation de la Charte
est une question de fait. Par conséquent, la possibilité d’appliquer le par. 24(2)
sera déterminée cas par cas, comme l’a proposé le juge en chef Dickson dans
l’arrêt Strachan.» (Nos italiques)
24. Dans l’arrêt R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, p. 69, le juge Lamer résume, pour
la Cour, l’énumération de certains facteurs utiles pour évaluer la gravité d’une
violation constitutionnelle:
362
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
La preuve nouvelle
Un justiciable peut avoir
grand intérêt à obtenir du tribunal
d’appel un verdict d’acquittement
plutôt qu’une ordonnance de nouveau procès. Exceptionnellement,
la présentation d’une preuve nouvelle peut permettre à l’appelant
de fournir au tribunal de révision
un contexte factuel suffisant à la
tenue d’un débat contradictoire
sur la question d’exclusion de
preuve. En matière criminelle, la
diligence raisonnable n’est qu’un
facteur parmi d’autres pour jauger
l’admissibilité d’une preuve nouvelle. Si une preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la
justice de l’admettre, le défaut de
satisfaire à cette exigence ne
devrait pas entraîner l’inadmissibilité de la preuve nouvelle. Bref, le
défaut de satisfaire à l’obligation
25.
26.
27.
28.
de diligence raisonnable ne doit
pas l’emporter sur la recherche
d’un juste résultat25.
La règle générale gouvernant l’admissibilité en appel d’une
preuve nouvelle 26 souffre une
exception lorsqu’elle porte sur
l’équité du procès, plutôt que sur
l’examen de la rectitude d’une décision rendue par le juge du procès27.
Lorsque la détermination du pourvoi requiert l’examen de facteurs
extrinsèques au dossier remettant
en cause des questions vitales
tranchées en première instance, il
devient indispensable pour le tribunal d’appel de prendre ces faits
en considération28. La production
d’une preuve nouvelle portant sur
l’équité du procès permet au tribunal d’appel de réviser les bases factuelles à partir desquelles le juge
du procès a fondé son appréciation
«La catégorie suivante est la gravité de la violation. En examinant cette question, la cour prend en considération quelques-uns ou l’ensemble des facteurs
suivants: le caractère envahissant de la fouille, les attentes en matière de vie
privée de la personne à l’endroit où l’on procède à la fouille, l’existence de motifs
raisonnables et probables et la bonne foi policière.»
Rédacteur de l’opinion majoritaire, le juge Major fit l’observation suivante dans
l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, p. 707:
«Il est souhaitable que la diligence raisonnable ne reste qu’un facteur parmi
d’autres, et son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être
appréciée en fonction d’autres circonstances. Si la preuve est convaincante et
s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, alors le défaut de satisfaire à ce
critère ne devrait pas être retenu pour en écarter l’admission.»
L’arrêt R. c. Palmer, [1980] 1 R.C.S. 759, a défini les conditions d’admissibilité
d’une preuve nouvelle.
Dans l’arrêt R. c. W.(W.), (1995) 100 C.C.C. (3d) 225, le juge Doherty fit
l’observation suivante, p. 232, pour la Cour d’appel d’Ontario:
«The Palmer criteria do not, however, apply to all situations where fresh evidence is offered on appeal. Those criteria reflect the balancing of competing
considerations relevant to the interests of justice when fresh evidence is offered
to attack a determination made at trial. The same criteria cannot necessarily be
applied where, as here, the fresh evidence is offered for a different purpose. The
material sought to be admitted here is not directed at a finding made at trial,
but instead challenges the very validity of the trial process. The nature of this
material and the purpose for which it is offered places it outside the Palmer
paradigm: R. v. McKellar (1994), 34 C.R. (4th) 28 at p. 31, 19 O.R. (3d) 796, 72
O.A.C. 398 (C.A.); R. v. Vottero (June 17, 1992, Ont. C.A., Court File No. C10945,
unreported).»
P.G. Canada c. Obadia, [1998] R.J.Q. 2581, p. 2584. (C.A. Qué.).
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
363
de la crédibilité des témoins29. Il y
a certes atteinte à l’équité du procès lorsque l’accusé se trouve privé
de l’opportunité de se faire entendre – par preuve et argumentation
– sur le processus d’exclusion de
preuve en raison d’un jugement
interlocutoire erroné quant à
l’existence d’une violation constitutionnelle liée à l’obtention d’une
preuve. De façon générale, le principe de justice naturelle audi alteram partem – consacrant le droit
d’être entendu – confère à toute
partie le droit de présenter des éléments de preuve sur tous les points
importants d’un litige30.
L’appréciation d’une preuve
nouvelle par un tribunal d’appel se
répercute indubitablement sur la
disposition du pourvoi. Plutôt que
d’ordonner un nouveau procès, le
tribunal de révision peut trancher
l’affaire lui-même pourvu que la
preuve consignée au dossier soit
concluante31. Dans l’hypothèse où
une cour d’appel conclut à l’exclusion de la preuve ayant entraîné
le verdict de culpabilité, il devient
possible de clore le dossier en substituant un verdict d’acquittement.
Par contre, si le tribunal de révision n’arrive pas à trancher l’affaire en raison du caractère non
concluant de la nouvelle preuve,
une ordonnance de nouveau procès
s’impose puisque l’accusé a droit de
faire trancher la question d’exclusion de preuve par le juge du procès32. La loi ne prévoit pas la possibilité d’un renvoi de dossier, par le
29. R. c. R.(P.), (1999) 132 C.C.C. (3d) 72, p. 79-81, (C.A. Qué.)
30. Dans l’arrêt Porto Seguro c. Belcan S.A. , [1997] 3 R.C.S. 1278, p. 1293, par. 29,
la juge McLachlin fit la remarque suivante en commentant la portée de la règle
audi alteram partem:
«Ce principe confère à toute partie à un litige le droit de présenter des éléments
de preuve sur tous les points importants.»
31. Dans l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 3 R.C.S. 579, p. 597, par. 28, la juge
L’Heureux-Dubé faisait l’observation suivante pour l’opinion minoritaire concordante:
«J’ajouterais que cette approche est en accord avec les règles générales concernant l’admission d’une nouvelle preuve établies dans l’arrêt Stolar, précité, p.
492, où notre Cour a statué que, dès qu’une cour d’appel décide d’admettre la
preuve, elle peut trancher l’affaire immédiatement si la preuve est concluante,
ou, si elle ne l’est pas, ordonner un nouveau procès.»
32. Dans l’arrêt Asencios c. La Reine, [1987] R.J.Q. 540, p. 544-545, le juge Kaufman
commentait au nom de la Cour d’appel du Québec l’importance de la seconde
étape d’un voir-dire constitutionnel en matière d’exclusion de preuve:
«[...] The issue was a serious one and appellant was entitled to have it determined at his trial.
But in deciding that Sec. 8 was inapplicable to appellant, the trial judge did not
address the issue as to whether or not evidence ought to have been excluded or
admitted under Sec. 24 para. 2.
[...]
In the result, I conclude that appellant’s rights under Sec. 8 of the Charter were
infringed and that he was therefore entitled to have the admissibility of the evidence under Sec. 24 para. 2 decided by the trial judge at his trial. [...]
In coming to this conclusion, I have considered the alternative possibility that
this Court might simply decide whether or not the admission of the evidence
would bring the administration of justice into disrepute and decide the question
of admissibility in consequence. I believe, however, that this is an issue that
should be decided in the first instance by the Court of first instance. Sec. 24
364
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
tribunal d’appel au juge du procès,
pour la tenue de la seconde étape
du voir-dire constitutionnel33.
Conclusion
En général, dès que le mécanisme de pondération du par. 24(2)
de la Charte canadienne soulève
des questions d’appréciation de
crédibilité et de bonne foi de la part
des agents de l’État visés par une
allégation de violation des droits
constitutionnels de l’accusé et que
les juges d’appel ne peuvent bénéficier des conclusions de fait du
premier juge sur le sujet, l’ordonnance de nouveau procès s’impose34. Le même raisonnement
s’applique a fortiori face à l’absence de conclusions de fait concernant les témoins qui auraient pu
déposer pendant le voir-dire et qui
n’ont pu le faire en raison d’une
décision interlocutoire erronée du
premier magistrat35. En somme,
sauf les cas où le tribunal d’appel
dispose de renseignements suffisants lui permettant de trancher
para. 2 provided that this issue be decided “having regard to all the circumstances”. This involves an appreciation of the evidence on the issue and, in my view,
that appreciation should first be made by the trial judge who has heard it.» (Nos
italiques)
33. Ibid:
«I have also considered the suggestion of the Crown, in its factum, that in the
event that this Court should conclude that the trial judge erred in finding no
breach of the Charter under Sec. 8, the case should be referred back to the trial
court for a determination of the issue under Sec. 24 para. 2. I do not see any basis
for making such an order: Gunn c. R., (1982) 66 C.C.C. (2d) 294.»
34. Dans l’arrêt R. c. Polashek, (1999) 134 C.C.C. (3d) 187, p. 202, le juge Rosenberg
statua comme suit pour la Cour d’appel d’Ontario après avoir conclu à une violation du droit à l’avocat:
«[...] On the other hand, the appellant did not testify on the voir dire, and therefore failed to provide any evidence that he would have acted differently. Because
of his finding that there was no s. 10(b) violation, the trial judge made no findings of fact on this issue that would assist in determining the trial fairness
question. In my view, this question can only be resolved on a new trial. If the
trial judge were to find that this evidence would have affected the fairness of the
trial, it would have to be excluded. This is particularly the case given the
concerns about the effect of the exclusion on the repute of the administration of
justice already expressed.»
35. Dans l’affaire R. c. Sinnathurai, [1994] A.Q. no 570, la Cour d’appel du Québec
cita avec approbation l’extrait suivant du mémoire de l’intimé qui concéda le
bien-fondé du pourvoi de la Couronne:
«Toutefois, les parties conviennent également que la détermination du remède
prévu au par. 24(2) de la Charte soulève des questions de crédibilité et de bonne
foi de la part des policiers ayant obtenu le mandat de perquisition, et que cela
nécessite que l’on ait vu et entendu les témoins pertinents.»
Aux par. 9 et 10 du jugement, on peut lire ce qui suit:
«Le moyen de droit étant fondé, il n’est pas opportun, en l’espèce, que l’application de l’article 24(2) de la Charte soit faite par la Cour d’appel.
À l’instar de notre arrêt Manola Asencios c. Sa Majesté la Reine, [1987] R.J.Q.
540, p. 545, il y a lieu d’ordonner un nouveau procès.»
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
365
l’affaire en excluant la preuve, il
est de bonne politique judiciaire
que les juges d’appel s’abstiennent
d’exercer une fonction dévolue aux
magistrats de première ligne36 et
de jongler avec la règle de droit sur
la base d’un raisonnement spéculatif.
36. Bien que dissident dans l’affaire R. c. Timm, (1999) 131 C.C.C. (3d) 306, p 326,
l’observation suivante faite par le juge Fish de la Cour d’appel du Québec
résume bien le besoin de retenue judiciaire d’un tribunal d’appel sur le sujet:
«Applications for a Charter remedy should normally be left to the judge before
whom the accused is to be tried (Unless it is for some reason inappropriate to do
so, compare R. v. Mills, [1986] 1 S.C.R. 863 at p. 955, 966-7 and 971; and R. v.
Rahey, [1987] 1 S.C.R. 588, particularly at p. 955). I believe that we should not,
in the absence of any need to do so, discharge that function on appeal.
Here, I have concluded that the judge’s ruling under s. 24(2) cannot stand and
that a new trial is warranted on other grounds. It thus seems preferable to me
that we reserve for the judge at that new trial the required de novo determination under s. 24(2) of the Charter.»
Un avis d’appel de plein droit fut déposé au greffe de la Cour suprême par Timm
le 30-11-98.
366
Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999
Téléchargement