Revue du Barreau Édition courante Archives Revue du Barreau du Québec Revue du Barreau: volume 59 numéro 1 Recent Developments in Secured Financing by Way of Instalment Sale, Leasing and Lease Sterling H. Dietze Les sources juridiques des immunités civiles et de la responsabilité extracontractuelle du procureur général à raison d'accusations pénales erronées: le mixte et le mêlé (Québec c. Proulx) Jean-Denis Archambault Considérations sur l'appel, à la Cour du Québec, des décisions des tribunaux administratifs Suzanne Comtois La migration des contaminants et la responsabilité de droit pénal ou administratif Robert Daigneault Chroniques Droit commercial. Stipulations de restriction d'usage, clauses de nonconcurrence, d'exclusivité et de "rayon" Joy Goodman 156K Droit disciplinaire. Droit disciplinaire: l'enquête du syndic 147K Marie Paré Droit de la faillite. La compensation dans un contexte de proposition et 165K de faillite Marc Lemieux Droit du logement. L'équité contractuelle en droit du logement depuis 1994 et l'interdiction conventionnelle relative aux animaux favoris 207K Pierre Gagnon Droit pénal. L'exclusion de preuve en appel Jean-C. Hébert 141K Publication du Barreau du Québec sous la direction du Comité de la Revue du Barreau ● ● ● ● ● Me Me Me Me Me Claude Champagne, président Jean-Denis Archambault Michel Deschamps Pierre Giroux Jean-Claude Hébert ● ● ● ● ● ● Me Me Me Me Me Me Françoise Mercure Gilles Pépin Micheline Plante Louise Poudrier-Lebel William A. Schabas Suzanne Vadboncoeur, secrétaire Dans les études ou articles, l'exactitude des citations, des lois, des codes et de toute autre note ou référence relève de la seule responsabilité de l'auteur. Opinions émises doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. Plan du site | Liens utiles | Bottin | Contactez-nous Mise à jour : NaN undefined NaN Recent Developments in Secured Financing by Way of Instalment Sale, Leasing and Lease Sterling H. DIETZE Abstract Instalment sales contracts, leasing (crédit-bail) and leases are frequently used in secured financings in the Province of Quebec. Until recently, rights of vendors and lessors did not need to be registered in order to be enforceable as against third parties. Recent legislative changes to the Civil Code of Quebec require registration of rights of secured creditors relating to leasing contracts and certain instalment sales contracts and long term leases. This article briefly reviews the regime prior to such legislative changes. The specific provisions of such modifications concerning instalment sales contracts, leasing and leases, as well as assignment, are then analysed. Finally, the transitional rules are examined. If the regime applicable to a movable hypothec without delivery is taken as a benchmark, certain important issues in the area of secured financing by way of instalment sales contracts, leasing and leases are not addressed by the modifications to the Civil Code of Quebec. The reform has also introduced a number of uncertainties. Résumé Les contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail sont fréquemment utilisés au Québec en matière de financement. Jusqu’à récemment, les droits des vendeurs, crédit-bailleurs et locateurs n’avaient pas à être inscrits afin d’être opposables aux tiers. Suite aux récents amendements apportés au Code civil du Québec, certains des droits de ces créanciers relativement aux contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail à long terme doivent être inscrits. Cet article passe en revue brièvement le régime en vigueur avant que les amendements au Code civil du Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 1 Québec n’entrent en vigueur. Les amendements ayant trait aux contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail, ainsi qu’à leur cession, sont ensuite analysés. Enfin, les règles transitoires sont également analysées. En adoptant le régime applicable à l’hypothèque mobilière sans dépossession comme point de comparaison, il appert que plusieurs questions importantes relatives à l’utilisation à titre de sûreté des contrats de vente à tempérament, crédit-bail et bail sont laissées sans réponse par les récents amendements au Code civil du Québec. La réforme a aussi introduit un certain nombre d’incertitudes. 2 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Recent Developments in Secured Financing by Way of Instalment Sale, Leasing and Lease Sterling H. DIETZE1 1- Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 2- Pre-bill 181 regime . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 a) Definition; Constitution . . . . . . . . . . . . . . . . 6 b) Accession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 c) Proceeds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 d) Registration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 e) Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 f) Assignments . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 3- Why a reform?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 4- Instalment sales. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 a) Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 b) Proceeds . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 c) Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 21 i) Subject Property . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 ii) Opposability . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 iii) Diminishing of Ownership Rights . . . . . . . . 25 1. Member of the Barreau du Québec and The Law Society of Upper Canada. This article is a revised version of a paper presented April 26, 1999 in Montreal at The Canadian Institute conference entitled Les derniers développements en matière de financement et de sûretés. The comments of other colleagues including members of the Finance Practice Group at Stikeman, Elliott, as well as the research assistance of Kathleen Wong, Adina Schwartz and Jason Streicher, are gratefully acknowledged. Any remaining errors are those of the author. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 3 iv) Single Registration . . . . . . . . . . . . . . . . 26 v) PMSI . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 d) Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 5- Leasing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 a) Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 b) Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 34 c) Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 6- Leases . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 a) Definition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 b) Registration and Priority . . . . . . . . . . . . . . . 39 c) Realization . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 7- Assignments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 a) Universalities . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 b) Additional Registrations . . . . . . . . . . . . . . . 46 8- Transitional rules . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 9- Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 4 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 1- INTRODUCTION Title manipulation is widely used in the Province of Quebec as a method for providing creditors with security. Retaining title to the subject property is generally regarded as a security par excellence. Recognizing this practice, the Office de révision du Code civil had recommended that certain types of consensual title manipulation arrangements come within the scope of the general provisions on hypothecs by introducing the notion of a presumption of hypothec. The legislator did not accept this suggestion in adopting the Civil Code of Québec (the “Civil Code” or “CCQ”"). The Minister of Justice, in his commentary to the Civil Code,2 stated the following: Ainsi, le code n’a pas retenu la présomption d’hypothèque dont l’effet aurait été d’assimiler à une hypothèque toute convention qui procurait au créancier un avantage dans la réalisation de sa créance. L’introduction d’une telle présomption risquait d’aller à l’encontre de la conception civiliste du droit des obligations et des sûretés. Elle aurait entraîné également une incertitude juridique considérable en raison des litiges que ne manquerait pas de soulever la difficulté de qualifier certaines conventions... La solution retenue a consisté plutôt à apporter, dans d’autres dispositions du code, un tempérament aux difficultés dénoncées relativement aux conventions qui procurent au créancier un avantage sur les autres créanciers. The provisions concerning instalment sales in Article 1745 et seq. of the Civil Code and leasing (crédit-bail) in Article 1842 et seq. of the Civil Code were adopted in light of the legislator’s decision to reject the presumption of hypothec. An important element of the reform concerning movable security in the Civil Code was the introduction of a requirement for registration of the rights of creditors under certain consensual security devices, including title manipulation, in order for such rights to be opposable to third parties. Various provisions of An Act respecting the implementation of the reform of the Civil Code, S.Q. 1992, c. 57 (the “Implementation Act”) appeared to suspend 2. Commentaires du ministre de la Justice (Quebec: Ministère de la Justice, Les Publications du Québec, 1993) (the “Minister’s Commentary”) at 1654. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 5 the requirement for registration of certain instalment sales, sales with a right of redemption and leasing contracts until official notice that the Register of personal and movable real rights (the “Register”) was fully operational.3 An Act to amend the Civil Code and other legislative provisions as regards the publication of personal and movable real rights and the constitution of movable hypothecs without delivery, S.Q. 1998, c. 5 (“Bill 181”) was introduced in the National Assembly on November 28, 1997 and received assent on April 16, 1998. Although certain provisions came into force on July 1, 1998, the sections concerning instalment sales, leasing and leases came into force September 17, 1999. Bill 181 represents the legislator’s initiative to conform secured financing by way of instalment sales, leasing and leases with the principles which motivated the initial reform on adoption of the Civil Code. The purpose of this article is to set out briefly certain elements of the regime prior to September 17, 1999 for secured financing by way of instalment sales, leasing and leases. Particularly, issues concerning the rules of accession, the right of the vendor or lessor to proceeds, the requirement of registration, realization and assignment will be canvassed. The specific provisions of Bill 181 concerning these security devices and assignments will then be analyzed using the themes previously considered. Finally, the transitional rules of Bill 181 are examined. 2- PRE-BILL 181 REGIME a) Definition; Constitution Instalment sale, leasing and lease are respectively defined as follows: ARTICLE 1745 CCQ An instalment sale is a term sale by which the seller reserves ownership of the property until full payment of the sale price. La vente à tempérament est une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu’au paiement total du prix de vente. 3. See, for example, Implementation Act, Articles 98, 107 and 162 prior to September 17, 1999. See also the discussion, infra at 14 et seq. 6 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 ARTICLE 1842 CCQ Leasing is a contract by which a person, the lessor, puts movable property at the disposal of another person, the lessee, for a fixed term and in return for payment. Le crédit-bail est le contrat par lequel une personne, le crédit-bailleur, met un meuble à la disposition d’une autre personne, le crédit-preneur, pendant une période de temps déterminée et moyennant une contrepartie. The lessor acquires the property that is the subject of the leasing from a third person, at the demand and in accordance with the instructions of the lessee. Le bien qui fait l’objet du crédit-bail est acquis d’un tiers par le crédit-bailleur, à la demande du crédit-preneur et conformément aux instructions de ce dernier. Leasing may be entered into for business purposes only. Le crédit-bail ne peut être c o n s e n t i qu ’ à d e s fi n s d’entreprise. ARTICLE 1851 CCQ Lease is a contract by which a person, the lessor, undertakes to provide another person, the lessee, in return for a rent, with the enjoym e nt o f a m o vabl e o r immovable property for a certain time. Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s’engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d ’ u n bi e n , m e u bl e o u immeuble, pendant un certain temps. The term of a lease is fixed or indeterminate. Le bail est à durée fixe ou indéterminée. It should be noted that only movable property may be subject to a leasing contract. Although instalment sales and leases may relate to movable or immovable property, this article will only treat these contracts as they relate to movable property. Further, this article deals mainly with instalment sales, leasing and leases in a commercial context and does not specifically treat the proviRevue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 7 sions of the Consumer Protection Act, R.S.Q., c. P-40.1 (the “Consumer Protection Act”) that deal with instalment sales and long term leases, except as the Consumer Protection Act provisions are useful in understanding instalment sales and leases in a commercial context.4 Instalment sales, leasing and leases have long been used as methods of providing creditors with security.5 Recent cases demonstrate that Quebec courts are also conscious of the fact that instalment sales and leasing are frequently used in secured financing.6 The characterization by Mr. Justice Lachapelle in Destefano of a leasing contract as a loan does not always correspond to the way in which other judges will view secured financing techniques. The Court of Appeal, in Banque nationale du Canada v. Sousministre du revenu du Québec (1997), REJB 98-2365 (C.A.), in determining if instalment sales could be considered to be loans and advances for purposes of Section 1138 (1) of the Taxation Act, R.S.Q., c. I-3, stated: Les sommes dues sont donc un solde de prix de vente. Or, un solde de prix de vente doit se distinguer d’un prêt ou d’une avance, où la 4. Leasing may only be entered into for “business” purposes, in accordance with the third paragraph of Article 1842 of the Civil Code. The French version of this text speaks of enterprise. For a definition of enterprise, see the third paragraph of Article 1525 of the Civil Code. 5. For a general discussion of the pre-Bill 181 regime, see: A. Grenon, “Le crédit-bail et la vente à tempérament dans le Code civil du Québec” (1994) 25 R.G.D. 217; P.-G. Jobin & J. Deslauriers, “La vente dans le Code civil et la Loi sur la protection du consommateur” in Obligations et Contrats, vol. 5, (Montreal: Barreau du Québec, 1998) at 149; K. Smyth, “Equipment Financing” in Financing Business: A hands-on seminar (Conference McGill University Faculty of Law, Montreal, May 5 and 6, 1995) and R.P. Godin, “Le crédit-bail” in La Réforme du Code Civil, vol. 2 (Quebec: Presses de l’Université Laval, 1993) 679. For a discussion in respect of leasing under the pre-1994 law, see R. Demers, Le financement de l’entreprise aspects juridiques (Sherbrooke: Éditions Revue de droit Université de Sherbrooke, 1985) at 287. In light of the importance of title manipulation as a means of providing security to a creditor, Quebec doctrine sometimes characterizes these as quasi-sûretés or sûretés-propriétés, see, for example, J. Auger, “Problèmes actuels de sûretés réelles” (1997) 31 R.J.T. 619. For a discussion of the application of the private international law rules to quasi-sûretés on movable property, see J.A. Talpis & C. Troulis, “Conflict of Laws Rules under the Civil Code of Quebec Relating to Security”, in Développements récents sur l’hypothèque (1997) (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1997) 187 at 196 et seq. 6. See, for example, Société générale Beaver Inc. v. Destefano (1996), J.E. 96-1193 (C.Q.) [hereinafter Destefano]; Location Tiffany Leasing Inc. v. 3088-6022 Québec Inc. (1998), J.E. 98-1485 (C.Q.) and Banque nationale du Canada v. Nadeau (1998), J.E. 98-994 (C.Q.) (on appeal C.A.Q. 200-09-002005-988). 8 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 relation juridique entre les parties en est une de prêteur-emprunteur. De plus, les sommes en jeu ne peuvent constituer un prêt, la condition essentielle de la tradition d’une somme entre le prêteur et l’emprunteur étant absente en l’espèce. Le premier juge a donc qualifié avec exactitude les contrats intervenus comme des contrats de vente à tempérament comportant un solde de prix de vente. J’estime qu’on ne peut dénaturer la forme de la relation contractuelle existante afin d’ajuster après coup ces prétentions aux contraintes fiscales.7 Even though some courts have adopted what appears to be a functional approach to the interpretation of particular debtorcreditor relationships, it is important to emphasize that the Civil Code establishes separate regimes applicable to instalment sales, leasing, leases and hypothecs. Quebec civil law allows creditors the latitude to exploit other title manipulation devices in order to obtain security, such as trusts, consignments, sales with a right of redemption, loans for use and others. Although these particular mechanisms may be attractive in certain circumstances, they will not be treated in this article.8 It is particularly important to note that reservation of title in sales as a security mechanism has not necessarily been fully covered by Article 1745 of the Civil Code. The definition of an instalment sale in such article requires that the seller reserve ownership of the property until full payment of the sale price. This definition should be compared to the definition of an instalment sale appearing in the Consumer Protection Act s. 132, as modified by Bill 181, where an instalment sale is defined as a contract involving credit whereby a merchant selling goods to a consumer reserves ownership of the goods until the consumer’s performance of all or part of his obligations. An instalment sale where the seller reserves ownership of the property until payment of less than the 7. This decision may be contrasted to the earlier decision of the Quebec Court of Appeal in General Motors Acceptance Corporation of Canada Ltd v. Sousministre du revenu du Québec (1994), [1994] R.D.F.Q. 7 (C.A.), where, for purposes of determining whether GMAC was a “corporation de prêts”, the Court of Appeal adopted a functional approach and stated that the use of instalment sales was simply a technique to obtain security for purposes of recovering funds advanced. Hence, for the Court of Appeal, GMAC was in fact a “corporation de prêts” as such term was used under the applicable provisions of the provincial taxation statute. See also Gagné v. Tremblay (1999), J.E. 99-418 (C.A.). 8. For a discussion of some of these devices, see J.B. Claxton, Security on Property and the Rights of Secured Creditors under the Civil Code of Quebec (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1994) and L. Payette, Les sûretés dans le Code civil du Québec (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1994) at 37 et seq. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 9 full sale price would therefore not technically be an instalment sale under Article 1745 of the Civil Code but could be an instalment sale under the Consumer Protection Act. Additionally, a sale where the seller reserves ownership of the property until a condition, other than full payment of the sale price of the sold property, occurs would not be an instalment sale under Article 1745 of the Civil Code. Hence, a vendor would be able to reserve ownership of the property until the purchaser satisfies some non-monetary obligation or pays less than, but not all of, the purchase price. It is therefore possible to structure an arrangement using sale and reservation of ownership of the property such that it will not constitute an instalment sale as defined in Article 1745 of the Civil Code thus avoiding any need to register for opposability and the need to follow the realization regime applicable to hypothecary creditors. b) Accession Even if a creditor employs an instalment sale contract, leasing or lease in order to continue to have ownership of the subject property, it is possible that such property may undergo modifications or may be used in conjunction with an immovable. For movable hypothecs, various articles of the Civil Code provide protection to the hypothecary creditor in the event of modifications to the charged property. Article 2671 of the Civil Code states that a hypothec extends to everything united to the property by accession. Articles 2673 and 2953 of the Civil Code permit a hypothec to subsist on a new movable resulting from the transformation of charged property and resulting from the mixture or combination of several movables. The person acquiring ownership of such new property, for instance by application of the rules of movable accession, is also bound by such hypothec. Registrations may be required at the Register. No particular provision in respect of instalment sales, leasing or leases deals with the applicability of movable accession. The general provisions outlined in Articles 971 et seq. of the Civil Code will therefore apply. A recent interesting example of movable accession arose in Location Fortier Inc. v. Pacheco (1997), J.E. 98-197 (C.S.) (Motion to appeal dismissed C.A.M. 500-09005961-974) [hereinafter Pacheco]. In this case, a leased truck was modified, without the consent of the lessor, by the installation by the lessee of towing equipment which was under loan from a third party. In accordance with the evidence before the court, it 10 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 was not possible to separate, without deterioration or excessive labour and cost, the truck and the towing equipment. The Court applied the principles in Article 971 of the Civil Code so that the lessor became the owner of the truck and the towing equipment. The Court also required the lessor to pay the sum of $6,000 to the owner of the towing equipment. The application of the principles of movable accession will give comfort to certain vendors and lessors who, in their underlying contract, state that their rights of ownership will extend to other property that may be incorporated into the subject property. This protects the owner where the value of the original subject property exceeds the value of the added property or the value of the work involved in such addition. For example, if large equipment is subject to an instalment sale, a leasing or a lease, the principles of movable accession will operate such that most replacement parts become the property of the vendor or lessor, as the case may be. Movable accession may be more problematic if title manipulation is used in inventory financing. For example, if a vendor under an instalment sales contract sells raw materials to a purchaser and such purchaser uses such materials by transforming, mixing or combining them with other property to form a new movable and such raw materials do not contribute the most to such new movable, the vendor will lose its real rights in the resulting property. Such vendor would be unable to preserve a real right in such property, unlike the position of a hypothecary creditor under Articles 2673 and 2953 of the Civil Code, and may only have a claim for reimbursement or damages against the owner of the resulting property. Conversely, assume that the property subject to the instalment sales contract contributes most to the value of the resulting movable and hence, the vendor acquires, by movable accession, ownership in the resulting movable. If the original raw materials are combined with movables owned by third parties, the vendor may have an obligation to reimburse such third parties.9 Additionally, if such other movable property is subject to a hypothec granted by the purchaser, the vendor, even though acquiring own9. See Articles 973 and 975 of the Civil Code and Pacheco. Note that under Article 973 of the Civil Code undivided co-ownership may result if it is impossible to determine who contributed most to the new movable. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 11 ership to the new movable, will be bound by the hypothec granted by the purchaser.10 Insofar as attachment to an immovable is concerned, the principles in Article 1843 of the Civil Code and Article 48 of the Implementation Act are useful. For a leasing contract, Article 1843 of the Civil Code specifically states that property which is the subject of a leasing, even if attached or joined to an immovable, retains its movable nature for as long as the contract lasts, provided it does not lose its individuality. Furthermore, the principles in Article 48 of the Implementation Act are applicable to instalment sales, leasing and leases so that movables subject to such contracts which are in an immovable and are used for the operation of an enterprise or the pursuit of activities will remain movable. Article 571 of the Code of Civil Procedure also provides a mechanism for the vendor or lessor to be able to realize on its property. If the property has become immovable by operation of Article 903 of the Civil Code, such property may be seized separately from the immovable since it does not belong to the owner of the immovable. This is similar to the rule for a movable hypothec without delivery, since movables charged with a hypothec which are permanently physically attached or joined to an immovable without losing their individuality and without being incorporated with the immovable are deemed, for enforcement purposes, to retain their movable character as long as the hypothec subsists.11 If, however, the movable property subject to the instalment sale, the leasing or the lease, is incorporated into an immovable and loses its individuality, it becomes immovable property.12 The vendor or lessor will lose any real right to such movable property and may only have a personal claim for reimbursement or damages. This should be contrasted with the rights of a hypothecary creditor under a movable hypothec who may, by registration at the applicable land register, have the movable hypothec subsist as an immovable hypothec.13 10. See Article 2673 in fine of the Civil Code. 11. See Article 2672 of the Civil Code. Article 48 of the Implementation Act is also useful in this context, since only movables which insure the utility of the immovable are to be considered as immovable property if they meet the other conditions in Article 903 of the Civil Code. Furthermore, under such provision of the Implementation Act, any movables which, in the immovable, are used for the operation of an enterprise or the pursuit of activities, remain movable. 12. See Articles 901 and 954 et seq. of the Civil Code. 13. See Articles 2796 and 2951 of the Civil Code. 12 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 c) Proceeds Of importance in inventory financing is the ability of the secured creditor to have its security extend not only to the subject property but also to all proceeds, whether such be corporeal or incorporeal property. The Supreme Court of Canada in Grondin v. Lefaivre (1931), [1931] S.C.R. 102 stated that, in accordance with the general principles applicable in the Province of Quebec, there is no real right or right to follow property (droit de suite) extending to money or proceeds of sold property. The court cited Articles 1994 and 2005a of the Civil Code of Lower Canada as exceptions. In spite of this decision, various cases under the pre-1994 regime held that the rights of ownership of a vendor under an instalment sales contract extended to tangible trade-ins, the claims resulting from a sale of such property and other proceeds, even if there was no specific mandate granted by the vendor to the purchaser under the relevant contract.14 The specific text upon which the Supreme Court of Canada relied to find a real right in proceeds has not been reproduced in the Civil Code. For hypothecary creditors, Article 2674 of the Civil Code provides for real subrogation. A hypothec on a universality of property may subsist and extend to property of the same nature which replaces property alienated in the ordinary course of business of an enterprise. A hypothec on specific property will need to be registered in order to subsist on replacement property. If there is no replacement property, the hypothec subsists and extends to the proceeds of alienation provided these may be identified. No similar text is applicable to instalment sales, leasing or leases. Nevertheless, it is possible that a court will be sympathetic to the position of a vendor under an instalment sale in light of the cases interpreting the pre-1994 regime and the treatment in common law jurisdictions.15 It is difficult to see, however, what specific text may be invoked by the vendor or the lessor in order to justify a 14. See Banque Royale du Canada v. Borg-Warner Acceptance Canada Ltée (1987), [1987] R.J.Q. 2148 (C.S.) (settlement out of court 1991-11-12 C.A.Q. 200-09000511-870); Banque Toronto-Dominion v. General Motors Acceptance Corporation du Canada Ltée (1987), [1987] R.L. 393 (C.A.); In re Morin G.M.C. Ltée (1985), J.E. 85-448 (C.A.); Crédit Chrysler Canada Ltée v. Caisse populaire Laurier (1994), J.E. 94-1326 (C.S.) and the discussion in Payette, supra, note 8 at 133 et seq. 15. See for example Personal Property Security Act, R.S.O., c. P-10, s. 25 [hereinafter PPSA]. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 13 finding that such vendor or lessor has a right in the trade-ins, the claims or other proceeds even if identifiable.16 Assuming that the previous jurisprudence is followed by the courts in their interpretation of the rights of ownership under the Civil Code, if such rights of ownership are on individual property that is subject to an instalment sale, leasing or lease and such property is sold in the ordinary course of an enterprise, no registration would be necessary in respect of replacement property in order for the rights of ownership of the applicable vendor or lessor to extend thereto. This should be contrasted to the requirement for registration, on replacement property, of a hypothec which charges individual property under the second paragraph of Article 2674 of the Civil Code in similar circumstances.17 d) Registration The second paragraph of Article 1745 of the Civil Code stated, prior to September 17, 1999, that the reservation of ownership of property acquired for the service or carrying on of an enterprise may not be set up against third persons unless it is published. Similarly, Article 1847 of the Civil Code stated that the rights of ownership of the lessor may be set up against third persons only if they have been published. Article 1852 of the Civil Code permitted rights resulting from a lease to be published, but did not require them to be published in order to be set up against third persons. Since the coming into force of the Civil Code, there has been some confusion as to the requirement for registration, as set out in the pre-Bill 181 Articles 1745 and 1847 of the Civil Code, of the relevant reservation of ownership under instalment sales and rights of ownership under leasing contracts in order to render such rights opposable to third parties. Two decisions seemed to confirm the necessity of registration for opposability.18 These two decisions did not, however, analyze the application of the Implementa16. Payette, supra, note 8 at 135 suggests that mandate may be used as a mechanism in order to preserve a real right in proceeds that are identifiable. See also Yachting & Sports Pigeon Inc. (1995), 2 C.B.R. (4th) 236 (Que. S.C.). 17. See infra, note 65, for the discussion of the current controversy in respect of the applicability of Article 2674 of the Civil Code to sales in the ordinary course of business of inventory versus equipment. 18. See Fibro Design (1994) Ltée (1997), B.E. 97BE-581 (C.S.) and Banque Canadienne Impériale de Commerce v. Harris (1998), J.E. 98-2116 (C.Q.) (Désistement de jugement du 15 septembre 1998 (C.Q.M. 500-22-021950-988) et désistement d’appel, 1998-11-20 (C.A.M. 500-09007155-989)). 14 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tion Act and specifically Articles 98, 107 and 162, as such articles applied at that time. These provisions addressed the opposability of the reservation of ownership of a vendor under instalment sales and rights of ownership of a lessor under leasing contracts. Unfortunately, in accordance with a certain interpretation, the text of these provisions, only covered those instalment sales and leasing contracts entered into prior to 1994 and which continued in force.19 It should be noted that the administrative interpretation of these particular provisions, which appeared in the Manuel de l’inscription et de la consultation des droits personnels et réels mobiliers20 at p. 16, prior to the May 19, 1998 revision, and appeared on all certified statements issued after registration of a right at the Register until recently, is that the reservation of ownership under instalment sales and the rights of ownership of the lessor under leasing contracts entered into since January 1, 1994 and prior to September 17, 1999 did not need to be registered in order to be opposable to third parties. Hence, even if a form was tendered for registration at the Register in order to attempt to render these rights opposable to third parties, a vendor or a lessor was unable to have their specific rights accepted for registration. Recent cases have confirmed that registration was not necessary in order to render the applicable rights opposable to third parties.21 The explanatory notes to Bill 181 also serve to confirm the intention of the legislator that reservations of ownership under certain instalment sales and rights of ownership under leasing contracts, even for contracts entered into since January 1, 1994, did not need to be registered, prior to September 17, 1999, in order to be opposable to third parties. This has now changed since the relevant provisions of Bill 181 are now in force. 19. See for example R. Godin, “Baux commerciaux et crédit-bail” in Développements récents en droit commercial (1996) (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1996) 103 at 114, where the author suggests that there is a serious doubt as to the opposability of the rights of ownership of a lessor arising under contracts of leasing entered into since January 1, 1994. 20. (Quebec: Les Publications du Québec, 1994) (the “User’s Guide”). 21. See Poliquin v. Fiducie Desjardins Inc. (1997), J.E. 1997-1512 (C.S.); Talbot Équipement Ltée v. 2866-8192 Québec Inc. (1998), J.E. 98-2221 (C.S.); Wegoma Machinery & Fabrication Systems Inc. v. 9022-9394 Québec Inc. (1998), J.E. 98-2222 (C.S.) and Pétrolière Impériale v. Poirier (1998), REJB 98-8618 (C.Q.). In fact, the Minister’s Commentary concerning Article 162 of the Implementation Act seems to be clearer than was the text of such article: [c]et article suspend provisoirement l’application de la loi nouvelle, lorsque celle-ci, contrairement à l’ancienne, soumet certaines conventions à la publicité comme c’est le cas en matière de vente avec réserve de propriété ou faculté de rachat, de crédit bail... Minister’s Commentary, supra, note 2, Tome III at 136. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 15 It is common practice to have some form of a master agreement whereby a vendor and a purchaser agree that certain movable property will be sold from time to time subject to a reservation of ownership. Cases prior to 1994 seemed to validate a reservation of ownership in a universality of property that could be sold from time to time.22 Professor Grenon has suggested that it would be possible to exploit Article 2987 of the Civil Code in order to provide for a single registration in respect of instalment sales that occur from time to time between the same vendor and purchaser pursuant to a master agreement.23 Unfortunately, the article on which Professor Grenon bases this argument deals with registration by way of presentation of a summary. The second paragraph of Article 2982 of the Civil Code allows applications for registration in land registers by way of summary of a document, whereas Article 2983 of the Civil Code, in respect of registration at the Register, speaks of a notice unless otherwise provided by law or regulations. Therefore, there would seem to have existed some doubt as to the possibility of one single registration for various instalment sales of movable property between the same vendor and purchaser by way of a summary at the Register.24 e) Realization In respect of leasing and leases, no article restricts the rights of the lessor to use specific remedies in the case of realization. The full contractual and legal remedies not contrary to public order are therefore available.25 In respect of instalment sales, Article 1748 of the Civil Code stated that if the purchaser fails to pay the purchase price in accordance with the specific contract, the seller may require immediate payment of the instalments due or take back the sold property. If the contract contains an acceleration clause, the seller may instead require payment of the remaining purchase price. Claxton characterized these remedies for instalment sales as pro22. See Payette, supra, note 8 at 222 and In re Distribution Omnibus Inc. (1986), [1986] R.J.Q. 2286 (C.A.). 23. See Grenon, supra, note 5 at 223-224. 24. Payette, supra, note 8 at 222 appears to be of the opinion that, under the pre-Bill 181 regime, no single registration was possible. Since the cases resolved the confusion as to the requirement of registration and the relevant provisions of Bill 181 are now in force, the possibility of a single registration under the pre-Bill 181 regime is a moot point. 25. See Claxton, supra, note 8 at 201 and 204. 16 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 viding for the right of either seizing or suing.26 Article 1749 of the Civil Code required, if the reservation of ownership was published, that a seller who elects to take back the sold property make a demand on the buyer and any subsequent acquirer, if any, and follow the provisions applicable to the hypothecary recourse of taking in payment. In the absence of the possibility to register reservations of ownership under an instalment sale, there was some doubt as to the applicability of Article 1749 of the Civil Code. Recent cases hold that the formalities set out or referred to in Article 1749 of the Civil Code were not applicable.27 A vendor under an instalment sales contract may be able to use other rights available generally to sellers under the Civil Code. The right to stoppage in transitu set out in the second paragraph of Article 1740 of the Civil Code is available to the vendor.28 This right may be particularly useful if it appears that the purchaser is experiencing financial difficulties and will be unable to perform a substantial portion of its obligations. Note that the right under the first paragraph of Article 1740 of the Civil Code is probably not applicable since payment of the purchase price under an instalment sales contract is, by the very terms of such contract, at a date later than delivery of the subject property. The right of resolution under Article 1741 of the Civil Code is also not available to a vendor under an instalment sale. One of the conditions for applicability of this right of resolution is that the sale is not with a term.29 26. Claxton, supra, note 8 at 189 where he states that this rule appears to be of public order. The case of Crédit Ford du Canada Ltée v. Placements C.F.G.L.M. Provost Inc. (1996), [1996] R.J.Q. 3111 (C.Q.) seems to confirm this. 27. See the cases cited, supra, note 21, Ordinateurs Hypocrat Inc. v. Marché L.I.T.G. Express Distribution Inc. (1994), J.E. 94-1196 (C.S.) and Ateliers d’usinage Malcor Inc. v. Soniplastics Inc. (1996), B.E. 97BE-357 (C.S.) (on appeal C.A.M. 500-09-00344-965; incidental appeal discontinued). 28. See also Article 1721 of the Civil Code. 29. A sale “net thirty days” has been held to be with a term, see Les Alcools de commerce Inc. v. La Corporation de produits chimiques de Valleyfield Ltée (1985), [1985] C.A. 686; Fiducie du Québec v. Fabrication Précision Inc. (1978), [1978] C.A. 255 and Landry v. Gauthier (1996), J.E. 96-429 (C.Q.). Courts have held that, if the conditions for Article 1741 of the Civil Code are not fulfilled, the general right of resolution is applicable, see 166606 Canada Inc. v. Bashtanik (1996), J.E. 96-1556 (C.S.) and Major et Cie v. Papadopoulos (1997), B.E. 97BE-402 (C.Q.). The issue as to whether the general right of resolution is available for instalment sales is beyond the scope of this article. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 17 Vendors may also invoke rights under the Bankruptcy and Insolvency Act, R.S.C. 1985, c. B-3 (the “Bankruptcy and Insolvency Act”). In particular, Section 81.1 of this act provides vendors with a right to repossess the goods sold and recently delivered to the purchaser.30 f) Assignments It is common place that the rights of a vendor under instalment sales are assigned absolutely to a third party.31 In certain industries, the vendor will sell to a related financing company all of the vendor’s interest in such instalment sales. In fact, certain standard form documents provide for such an assignment in the actual instalment sales contract. These assignments are intended to be absolute assignments and not as collateral.32 Since certain of the rights arising under instalment sales contracts, leasing and leases constitute claims or other rights of actions, their assignment would be governed by Article 1637 et seq. of the Civil Code. In particular, in order for the assignment to be opposable to third parties, the formalities set out in the Civil Code must be fulfilled. Article 1642 of the Civil Code is applicable to an assignment of a universality of claims, present or future. Opposability to the vast majority of third parties, including a trustee in bankruptcy, would result from registration of an assignment of a universality of claims at the Register. A number of difficulties arise in respect of assignments. In the first instance, note that there must be one registration per assignment of a universality of claims. Hence, it is not possible to have a single registration in respect of a master agreement which 30. For a discussion of this particular remedy, see L.W. Houlden & G.B. Morawetz, Bankruptcy and Insolvency Law of Canada, 3rd ed. (Toronto: Carswell, 1998) at 3-192.16 et seq. Note that Section 81.1(1)(a) requires a notice to be sent within thirty days after delivery of the goods to the purchaser. Recent case law has allowed, in certain circumstances, the notice to be sent outside of this delay, see, In re Rizzo Shoes (1989) Ltd (1994), 29 C.B.R. (3rd) 270 (Ont. Gen. Div. (Bankruptcy)) and In re Gestion J.F. Sports Inc. (20 November 1995), Montreal 500-11-001599-956 (Sup. Ct). Vendors and lessors would also be able to invoke their rights under Section 81 of the Bankruptcy and Insolvency Act. 31. See, for example, the structure set out in some of the cases, supra, note 14 and Compagnie Trust Royal v. Crédit Ford du Canada (1989), [1989] R.J.Q. 856 (C.A.). 32. For a discussion on the distinction between an absolute and a collateral assignment, see S.H. Dietze, “Some Applications of the Implementation Act to Movable Security” (1997) 57 R. du B. 1 at 10 et seq. 18 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 provides for various assignments from time to time between the same assignor and assignee. Additionally, determining what is a universality is a difficult task.33 It should be noted that, in respect of registered hypothecs, Article 3003 of the Civil Code provides that an assignment which is not registered at the applicable register and notified to the account debtor, is not opposable to a subsequent assignee that conforms with the relevant formalities. No equivalent provision applied prior to September 17, 1999 to the assignment of the reservation of ownership under instalment sales, the rights of ownership under leasing or rights resulting from leases.34 3- WHY A REFORM? As previously outlined, when the Civil Code was adopted, the legislator envisaged that the Register would serve for registration of certain rights that were commonly employed in secured financing in order that such rights be opposable to third parties. The Implementation Act suspended this application until the Register became fully operational. The adoption of Bill 181 clearly signaled that the legislator intended to render the Register fully operational within a short period of time. Over the course of the last few years, various sectors of the economy have expressed the desire that certain rights associated with instalment sales and leases be required to be registered even if not arising in a commercial context. This is particularly true in respect of vehicle financing.35 In addition, the purpose of the reform is to lift the suspension of the requirement for publication in respect of the reservation of ownership under certain instalment sales and the rights of ownership under leasing contracts and to require registration of rights resulting from certain long term leases. It was also felt that the recourses of a vendor under a commercial instalment sales contract should be the same as those 33. See the controversial decision addressing the notion of “universality” in Automobile Maillot Inc. (1996), J.E. 96-1843 (C.S.) where it was held that where 95 % of the claims of an assignor were from one account debtor, the assignment of all such claims was not an assignment of a universality. For a further discussion, see Dietze, id at 13. 34. Smyth, supra, note 5 at 6 suggests that Article 2939 of the Civil Code would require such registration. 35. See the remarks of Serge Ménard, the then Minister of Justice, in his presentation of Bill 181 to the National Assembly at Quebec, National Assembly, Debates of the National Assembly (10 December 1997) and available at www. si2.rdprm.gouv.qc.ca. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 19 available to hypothecary creditors. Another important measure is to permit physical persons not carrying on an enterprise to grant movable hypothecs without delivery. The following discussion focuses on the provisions of Bill 181 as they relate to instalment sales, leasing and leases.36 4- INSTALMENT SALES a) Definition Bill 181 modifies the second paragraph of Article 1745 of the Civil Code in respect of the requirement for registration of reservations of ownership. It is important to note that there is no modification to the definition of an instalment sale. Therefore, the reservations of ownership that require registration are those arising under instalment sales contracts as defined in the first paragraph of Article 1745 of the Civil Code and not all reservations of ownership. Hence, as was the case under the pre-Bill 181 regime, it will be possible to structure a sale where the vendor retains title to the purchased property in such a fashion that it will not constitute an instalment sale for purposes of Article 1745 of the Civil Code and therefore will not require registration in order to be opposable to third parties. b) Proceeds By enacting Bill 181, the legislator has not modified any of the provisions applicable to instalment sales such that there would be a right in or to the proceeds of the sale of the subject property. Doubt remains therefore as to the right of the vendor to proceeds in the absence of a specific mandate entitling the purchaser to sell the subject property and requiring it to render account of the proceeds.37 In light of this uncertainty, vendors may wish to require purchasers to grant a movable hypothec without delivery over the proceeds arising from the subject property. If the hypothec is set out in the deed of acquisition, the vendor may benefit from the provisions of Article 2954 of the Civil Code and obtain priority over a 36. Bill 181 also requires registration of rights of redemption under certain sales with a right of redemption but does not deal at all with consignment. This seems to be a curious choice by the legislator since, in the author’s experience, consignment is much more frequently used than sale with right of redemption as a security mechanism. For a discussion of Bill 181 and sales with a right of redemption, see F. Duquette & L. Payette, “Influence de la loi 181 dans la pratique des juristes” (Conférence Regiscom, Montreal, May 27, 1998) [hereinafter Duquette & Payette] at 13 et seq. 37. See supra, note 16. 20 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 general hypothec, provided that the vendor’s rights are registered within 15 days of the sale. The vendor’s hypothec would also benefit from the real subrogation set out in Article 2674 of the Civil Code. Presumably, the super priority would extend to proceeds of alienation provided such proceeds are identifiable.38 In certain circumstances, the vendor may decide that an attempt to protect rights in the proceeds is a theoretical rather than a practical concern. For equipment financing, for example, it is possible that the secured creditor views the tangible equipment as the only security rather than the equipment and the proceeds. For inventory financing, the practical difficulty may be identifying the specific proceeds since, in many circumstances, these will be mingled with the funds of the purchaser in any event.39 c) Registration and Priority i) Subject Property The reservation of ownership under instalment sales of the following property now need to be registered in order to be opposable to third parties: (a) road vehicle determined by regulation, (b) other movable property determined by regulation, and (c) any movable property acquired for the service or operation of an enterprise. Any road vehicle or other movable property as determined by regulation40, whether acquired for the service or operation of an enterprise or not, if subject to a reservation of ownership under an instalment sale, as defined in Article 1745 of the Civil Code, will need to be registered in order to be opposable to third parties. The specific road vehicles set out in the regulation are some of those for which a descriptive file may be opened at the Register pursuant to the Regulation s. 15.41 The specific road vehicles are a 38. See infra, at 27 et seq. for discussion of the use of a vendor’s hypothec in the event of multiple sales between the same vendor and purchaser. 39. See Payette, supra, note 8 at 139. 40. The regulation is in the form of an amendment to the Regulation respecting the register of personal and movable real rights G.O.Q. 1993.II.8058 (as previously amended, the “Regulation”). The regulation was published in the Gazette officielle du Québec, Part 2 on August 18, 1999 at 2719 (the “Amendment”). 41. These are a passenger vehicle, motorcycle, taxi, emergency vehicle, bus, minibus and commercial vehicle, as defined in section 4 of the Highway Safety Code, R.S.Q., c. C-24.2, a trailer or semi-trailer whose net weight exceeds 900 kg, motor home and snowmobile of a model year more recent than 1988, as defined in section 2 of the Regulation respecting road vehicle registration, G.O.Q. 1991.II.5881 and a motorized all terrain vehicle equipped with handlebars and at least two wheels, that is designed to be straddled and whose net weight dows not exceed 600 kg. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 21 passenger vehicle, a motorcycle, a motor home, a snowmobile of a model year more recent than 1988 and a motorized all-terrain vehicle equipped with handlebars and at least two wheels, that is designed to be straddled and whose net weight does not exceed 600 kg. The other movable property consists of a caravan or a fifthwheel, a mobile home, a boat, a personal watercraft and an aircraft.42 The advantage of being able to register against vehicles at the Register is that a descriptive file under the specific vehicle identification number will be established upon an initial registration.43 Hence, registrations and searches may be undertaken against the vehicle identification number, as well as against the particular grantor. This will permit an increased level of protection for those creditors who make specific registrations against such vehicles by vehicle identification number. The third category of property requiring registration is movable property acquired for the service or operation of an enterprise. Given the expansive definition of enterprise in the Civil Code, and the uncertainty as to whether the movable property is acquired for the service or operation of an enterprise, it will be prudent to register in circumstances where any doubt arises. Assume for a moment that a practitioner is unsure if the property subject to the instalment sale falls into one of the three above-mentioned categories. As a precaution, the practitioner registers the vendor’s reservation of ownership at the Register. Would such a registration preclude the practitioner from subsequently taking the position that the reservation of ownership under such instalment sale is not required to be registered? Under the PPSA ss. 46(5)(b), a registration pursuant to such legislation does not in and of itself create a presumption that the PPSA applies to the underlying transaction. No similar provision exists in the Civil Code in respect of instalment sales. Instead, Articles 2943 and 2944 of the Civil Code establish that registration of a right in the Register carries certain simple presumptions. 42. Amendment, supra, note 40 adding a new section 15.01 to the Regulation. 43. The Amendment requires a 17 character vehicle identification number that must be verified by a control algorithm prior to establishing a descriptive file for certain of the road vehicles. See amendment, supra, note 40, amending section 20 of the Regulation. 22 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 These simple presumptions may be rebutted, however, by evidence to the contrary.44 It would seem, therefore, that the registration of such rights would not preclude a finding that such reservation of ownership does not require registration in order to be enforceable as against third parties.45 An additional difficulty will arise in interpreting “acquired”. Is this a subjective or an objective test? Is it one of intention on the part of the purchaser at the moment of acquisition? If the property is initially acquired for purposes other than for the service or operation of an enterprise, can its change of use have an effect upon the requirement for registration? These questions will need to be addressed by the courts; however, until such time, the prudent approach is to register in all circumstances. ii) Opposability If the reservation of ownership under the applicable instalment sales contract is published within 15 days of the date of the sale, these rights will be opposable to third parties from such earlier date. This delay is similar to the delay applicable to the vendor’s hypothec of Article 2954 of the Civil Code. Note however, that for a vendor’s hypothec, such hypothec must be in a written act of acquisition.46 An instalment sale need not be in writing in order to have effect between the parties.47 If the reservation of ownership under the applicable instalment sales contract is not registered within 15 days of the date of the sale, Article 1749 of the Civil Code, as modified by Bill 181, sets out a method to determine the priority of such rights vis-à-vis the rights of third parties. Hence, if the reservation of ownership was not registered as required, the seller may take back the property only if it is in the hands of the original purchaser and subject to rights and charges which such purchaser may have granted on such property. If the reservation of ownership was published after 44. See Article 2847 of the Civil Code. 45. This reasoning may also apply to reservations of ownership that arise out of a sale contract that does not fall within the definition of an instalment sale set out in Article 1745 of the Civil Code. A practitioner may wish to register pursuant to Article 1745 of the Civil Code but later argue that the realization regime is inapplicable since the particular reservation of ownership did not require registration in the first instance in order to be opposable to third parties. 46. See Article 2696 of the Civil Code. 47. See Article 1385 of the Civil Code, Fiducie du Québec v. Équipement de bureau J.R.D Inc. (1985), J.E. 85-306 (C.A.) and Duquette & Payette, supra, note 36 at 6. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 23 15 days from the date of the sale, again the seller may only take the property back if it is in the hands of the original purchaser unless such reservation of ownership was registered before the sale of the property by the original purchaser in which event the original reservation of ownership is opposable to the subsequent acquirer. In these cases, the seller may take the property back subject only to such rights and charges which the original purchaser may have granted and which were duly published prior to the registration of the reservation of ownership. An example of this rule may be useful. Assume that a particular potential purchaser has previously granted to a financial institution a movable hypothec without delivery on all present and future movable property and that this hypothec was granted and registered prior to entering into an instalment sale. Assume further that the reservation of ownership of the vendor under the instalment sale was registered more than 15 days after the date of sale. As between the financial institution and the vendor, the rights of the financial institution will have priority. This would also apply if the reservation of ownership of such vendor were not registered at all. In circumstances where the rights of a hypothecary creditor would rank prior to those of a vendor under an instalment sale, how could such vendor reacquire a first ranking position? If the vendor benefited from a vendor’s hypothec which had been registered after 15 days from the sale, the vendor could attempt to obtain and, relying upon Article 2956 of the Civil Code, register a cession of rank. The text of Article 2956 of the Civil Code does not contemplate (nor does Bill 181 modify it to provide) the ability of a vendor under an instalment sale to register a cession of rank in order to re-obtain a first rank on the sold property vis-à-vis the hypothecary creditor. It would appear that a cession of rank between the vendor and the hypothecary creditor may not be registered. The vendor may therefore have to be satisfied with the undertaking of the financial institution to subordinate its security to the vendor’s security.48 It is possible that this agreement may not be opposable to the trustee in bankruptcy of the purchaser. In 48. See D. Desjardins, “Les conventions de priorité et de subordination ou au-delà de la simple cession de rang” in Finance Commerciale et Crédits Syndiqués (Montreal: McGill University Faculty of Law, October 31 and November 1, 1997) in respect of subordination and priority agreements. 24 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 practice, this may not be a concern if the financial institution is solvent. iii) Diminishing of Ownership Rights If the reservation of ownership of a vendor under an instalment sale is not registered or is registered outside of the 15 day period, such vendor runs the risk of losing or having its rights diminished vis-à-vis third parties. This result seems to run contrary to the traditional civil law respect for title and ownership. Certain commentators have in fact stated that the registration requirement diminishes ownership rights since the purchaser seems to be able to give greater rights to third parties than such purchaser may have.49 In the author’s opinion, this assertion does not take into account important considerations. In adopting the Civil Code, the legislator modified the provisions concerning sale of the property of another. The circumstances when the sale of the property of another remains valid are more restricted than they were in the former legislation.50 Therefore, under Quebec civil law, it has always been possible for a vendor to give greater rights than it has in property pursuant to the provisions applicable to the sale of the property of another. For those secured creditors carrying on business in common law jurisdictions in Canada which have a regime similar to the PPSA, it will come as no surprise that a secured party or a trustee in bankruptcy may have greater rights than those the debtor has in the subject property. In the recent Supreme Court of Canada decision Re Giffen (1998), [1998] 1 S.C.R. 91 [hereinafter Giffen], it was held that, since the lease had not been properly perfected by registration or possession under the applicable provisions of the British Columbia legislation, a trustee in bankruptcy could end up with full rights in a leased car even if the bankrupt only had a right of use and possession. Under current Quebec civil law, there is a possibility that non-consensual security, which prior to 1994 was a landlord’s privilege and is now a legal hypothec, charge the property of third parties on the premises. Hence, by operation of law, a landlord 49. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 7 et seq. 50. See Article 1713 et seq. of the Civil Code and Article 1487 et seq. of the Civil Code of Lower Canada. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 25 benefiting from a legal hypothec would be able to have greater rights than those of the tenant since the landlord’s legal hypothec would extend to property subject to an instalment sale, leasing, lease or other title manipulation device.51 For those practitioners familiar with secured transactions under the pre-1994 regime, it will be remembered that a consensual security by way of commercial pledge on property subject to an instalment sales contract was held to give to the secured party greater rights than the grantor.52 The Court of Appeal relied upon the provisions in the Civil Code of Lower Canada concerning the pledge of property of another in order to validate the commercial pledge. In light of the foregoing, it should not come as a surprise that by application of certain provisions of Bill 181 a grantor may give greater rights to a secured creditor or subsequent purchaser than such grantor has in the subject property. iv) Single Registration One of the most useful reforms introduced by Bill 181 is the notion of a single registration for reservations of ownership under certain instalment sales, rights of ownership under leasing contracts and rights under certain leases in respect of a universality of movable property of the same kind that is involved in such sales, leasing or leases in the ordinary course of business between persons operating enterprises.53 This reform will definitely facilitate financing arrangements in the commercial context between two parties that may enter into master agreements and subsequent instalment sales, leasing or leases on a regular basis. If such rights are registered pursuant to Article 2961.1 of the Civil 51. See for example Azzaria v. 2875781 Canada Inc. (1995), J.E. 95-863 (C.S.). 52. See M. Goulet, Le nantissement commercial (Montreal: Wilson & Lafleur, 1990) at 21 et seq.; Bo-Less Inc. v. Boily (27 December 1979), Quebec 200-09000192-770 (C.A.) (reproduced at Annexe 1 of Goulet) and Y. Goldstein, “A Bird’s Eye View of Conflicting Claims” in New Developments in Commercial Lending Meredith Memorial Lectures 1981 (Montreal: Richard De Boo, 1982) 88 at 101 et seq. 53. Article 2961.1 of the Civil Code speaks about reservation of ownership. Since the only reservations of ownership that require registration in order to be opposable to third parties are those under instalment sales, as defined in Article 1745 of the Civil Code, presumably Article 2961.1 of the Civil Code only applies to these reservations of ownership. The expression “of the same kind” or de même nature as used in Article 2961.1 of the Civil Code may be held to be equivalent to “of the same nature” or de même nature in Article 2674 of the Civil Code. Practitioners will need to determine what constitutes a universality of movable property of the same kind. 26 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Code, they will not, however, be opposable to a third party who acquires the subject property in the ordinary course of business of the seller to such third party.54 The reform does not apply to the vendor’s hypothec which will not benefit from a single registration under Article 2961.1 of the Civil Code. Hence, it will be necessary, if the vendor’s hypothec is used as security, to continue to register such a hypothec after each act of acquisition and within 15 days of the sale in order to benefit from the super-priority.55 There are definite advantages to choosing instalment sales as a mechanism for secured financing over a hypothec, including a vendor’s hypothec.56 No written contract is necessary in order for the instalment sale to be enforceable57 whereas for a conventional movable hypothec without delivery the absence of a written contract is cause for absolute nullity.58 Furthermore, the deed of hypothec must contain a sufficient description of the hypothecated property or an indication of the nature of the universality of the charged property.59 There is no requirement that the registration of reservations of ownership indicate a specific sum up to which the vendor will have rights in the subject property. This result should be compared to Article 2689 of the Civil Code where an act constituting a hypothec must indicate the specific sum for which it is granted. The Minister’s Commentary in respect of this article would seem to indicate that this provision is an important mechanism in order to inform third parties of the extent of the security of a hypothecary creditor.60 It is more properly the registration of the rights of the hypothecary creditor in the Register and the indication thereat of the specific sum which informs third parties of the amount of the charge and not the amount in the deed itself. Such policy choice seems to be key to the provisions concern54. Note the discrepancy in the English and French versions of the first paragraph of Article 2961.1 where “son vendeur” has been translated as the seller’s. 55. See Payette, supra, note 8 at 199. 56. Table A appearing at the end of this article summarizes some of the advantages and disadvantages of employing movable hypothec without delivery, instalment sale, leasing and lease for inventory financing (Part I) and equipment financing (Part II). 57. See, supra, note 47. 58. See Article 2696 of the Civil Code. 59. See Article 2697 of the Civil Code. This may not represent a substantial difference, since, under the general rules applicable to obligations, the sold property must at least be determinate as to kind and determinable as to quantity. See Article 1374 of the Civil Code. 60. Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1684 where he states: “La seule exigence de l’article est d’indiquer la somme pour laquelle l’hypothèque est consentie, de manière à informer les tiers de l’étendue de la garantie.” Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 27 ing security by way of hypothec. It is therefore curious that such policy choice was not reflected in any of the modifications set out in Bill 181. Creditors consulting the Register will be unable to know the extent of the security of certain vendors and lessors unlike the charge of a hypothecary creditor.61 For reservations of ownership under instalment sales registered pursuant to Article 1745 of the Civil Code but not registered pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code, no further registration is required in order for such rights to be opposable to third parties in the event of a sale of such property in the ordinary course of business.62 As is the case for a movable hypothec without delivery, a single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code must be renewed prior to the expiration of a 10-year period in order to preserve opposability.63 An obvious advantage for instalment sales contracts over movable hypothecs without delivery is that, if the reservation of ownership is appropriately registered, the vendor will not be outranked by a creditor benefiting from a prior claim, including a prior claim of the State for amounts due under fiscal laws.64 Registration of the reservation of ownership preserves the effect of such right and consequently the subject property never enters into the patrimony of the purchaser and creditors benefiting from prior 61. The administrative practice prior to September 17, 1999, in respect of rights resulting from a lease was to permit, but not require, an indication of the periodic rent payable. See User’s Guide, supra, note 20 at the previous 199. Note that Section 18 of the PPSA provides certain creditors with a right to receive information from a secured party. The Civil Code does not contain such a right nor does Bill 181 introduce such a right to compensate for the lack of an indication of a charging amount in registrations pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. 62. See Payette, supra, note 8 at 218 and Article 1714 of the Civil Code. 63. See Article 2798 of the Civil Code. Registrations of reservations of ownership under instalment sales and rights of ownership under leasing contracts, other than under Article 2961.1 of the Civil Code, will need to indicate the date after which the registration ceases to be effective. See Article 2983 of the Civil Code. Unlike a registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code or in respect of movable hypothecs without delivery, this may be for a period of time exceeding 10 years. See the User’s Guide, ibid at 74.3. No specific text in Bill 181 would permit renewal beyond the initially indicated date for those instalment sales, leasing and leases not registered pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. This is possible, however, under the general provisions of Articles 2937 and 2942 of the Civil Code. 64. See Article 2651 of the Civil Code. 28 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 claims would not be able to validly institute proceedings to cause such property to be seized and sold. The final sentence of the first paragraph of Article 2961.1 of the Civil Code states that the reservation of ownership will not follow property sold in the ordinary course of business. There is a current debate as to whether property sold in the ordinary course covers not only inventory but also equipment.65 Since instalment sales may be used for both inventory and equipment financing this debate also applies to the interpretation of Article 2961.1 of the Civil Code. Financing by way of instalment sale has some disadvantages compared to secured financing by way of hypothec. We have already canvassed the uncertainty as to whether an instalment sale will extend to proceeds. In addition, the difficulties with movable and immovable accession remain for instalment sales and have not been dealt with by Bill 181. There is no provision in Bill 181 or in the Civil Code analogous to Article 2700 or 2701 of the Civil Code for instalment sales. If movable property subject to an instalment sale requiring registration is sold out of the ordinary course of business, no additional registration is required in order for such instalment sale to continue to be opposable to third parties even if the vendor-owner has been informed or consented to such sale. Presumably purchasers in such circumstances will require that the purchaser-debtor under the particular instalment sale obtain a reduction of the vendor-owner’s rights on such particular property.66 If the particular purchaser from the debtor under the instalment sale is assuming the instalment sale, how does one deal with this assumption? It would seem that registration thereof should be required if the Register is to reflect accurately security charging particular assets. Neither Bill 181 nor the Civil Code specifically requires a subsequent registration in order to inform third parties of the charge on such assets now being held by the pur65. See D. Pratte, “Le droit de suite et l’hypothèque mobilière” (1997) 57 R. du B. 413, the doctrine and cases cited in such article and Legault & Frères v. 2751-5717 Québec Inc. (1997), [1997] R.J.Q. 2336 (C.Q.). 66. Although this may appear to be an advantage to financing by way of instalment sale, vendor’s may want to have a mechanism to inform other parties of their continuing security as is the case for hypothecary creditors under Article 2700 of the Civil Code. If the hypothec or the instalment sale is registered against the vehicle identification number, no further registration is necessary. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 29 chaser. The third paragraph of Article 2938 of the Civil Code states that the modification of a published right must also be published. Is this provision applicable to the sale out of the ordinary course of business of property subject to reservations of ownership? Would this also apply to the assumption of the obligation of the debtor under the instalment sale by the purchaser? If the purchaser is assuming obligations under a master agreement, a new registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code will render opposable subsequent reservations of ownership under instalment sales but it is unclear how this protects the vendor’s priority for prior assumed instalment sales.67 v) PMSI The advent of the single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code has prompted some commentators to see a resemblance between this mechanism and the purchase money security interest («PMSI») under the PPSA.68 Although it is tempting to see a parallel between these two mechanisms, there are still significant differences. A PMSI is defined under the PPSA as (a) a security interest taken or reserved in collateral to secure payment of all or part of its price, or (b) a security interest taken by a person who gives value for the purpose of enabling the debtor to acquire rights in or to collateral to the extent that the value is applied to acquire the rights. The PPSA excludes from its scope a transaction of sale by and lease-back to the seller. A security interest is broadly defined under the PPSA and would include the security known under Quebec law as a movable hypothec, an instalment sale, a pledge, lease or consignment, that secures payment or performance of an obligation. In light of this extended list and the definition of a PMSI, more creditors may benefit directly from this security than vendors under instalment sales registering pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. In particular, a lender who finances the purchase of property may benefit from a PMSI; however, unless a mechanism such as assignment or subrogation is used, 67. See the discussion infra at 49 et seq. in respect of the possible scope of application of a registration pursuant to Article 2961.6 of the Civil Code as it relates to subsisting contracts. 68. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 23 and F. Duquette, “Bill 181 and its Impact on Banking and Commercial Practices”, Desjardins Ducharme Stein Monast, October 1998 at www.ddsm.ca. 30 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 such lender would be unable to benefit from a registration under Article 2961.1 of the Civil Code.69 Section 33 of the PPSA establishes a super-priority for a PMSI over any other security interest in the same collateral given by the same debtor. The purpose of Article 2961.1 of the Civil Code is to facilitate a single registration for various instalment sales, leasing and leases entered into between two parties. This registration gives a super-priority to those creditors but only because of the combined effect of Article 2961.1 of the Civil Code and registration under, for example, Article 1745 of the Civil Code. Hence, the effect of Article 2961.1 of the Civil Code is much more analogous to the PPSA, s. 45(4) which permits a single registration to perfect various security interests subsequently granted by the debtor to the secured party.70 The PPSA distinguishes between a PMSI in inventory and its proceeds and a PMSI in other types of personal property. In contrast, no distinction is made under Article 2961.1 of the Civil Code. In order for a PMSI in inventory and proceeds to have priority over any other security interest, (i) the PMSI must be perfected at the time the debtor obtained possession of the inventory or a third party at the request of the debtor obtained or held possession of the inventory, whichever is earlier, (ii) before the debtor receives possession of the inventory, the secured party gives notice in writing to every other secured party who has registered a financing statement in which the collateral is classified as inventory before the date of registration by such secured party, and (iii) such notice states that the person giving it has or expects to acquire a PMSI in inventory and describes such inventory by item or type. There is no requirement in Bill 181 or the Civil Code for notice to other registered creditors in order for a registration under Article 2961.1 of the Civil Code to have the effect of giving it a super-priority. Furthermore, the registration under Article 2961.1 of the Civil Code is not at all linked to the debtor receiv69. See A. Grenon, “Major Differences between PPSA Legislation and Security over Movables in Quebec under the new Civil Code” (1995) 26 C.B.L.J. 391 at 400 et seq. Note, however, that lessors may benefit from a registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. 70. Pursuant to the PPSA, s. 45(4) not only subsequent PMSIs may benefit from an initial registration but most other security interests as well. Article 2961.1 of the Civil Code seems to correspond to the restricted and controversial interpretation of the PPSA, s. 45(4) set out in Adelaide Capital v. Integrated Transportation Finance Incorporated (1994), 6 P.P.S.A.C. (2nd) 267 (Ont. Ct (Gen. Div.)). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 31 ing possession of the inventory in order to have the effect of giving a super-priority but rather it is linked, by application of the rule in Article 1745 of the Civil Code, to the date of the sale. In respect of collateral, other than inventory and its proceeds, a PMSI has priority over any other security interest in the same collateral given by the same debtor if, other than in the case of intangibles, such PMSI was perfected before or within ten (10) days after the debtor, obtained possession of the collateral, as a debtor, or a third party, at the request of the debtor, obtained or held possession of the collateral, whichever is earlier. In the case of intangibles, other than inventory or its proceeds, the PMSI must be perfected before or within ten (10) days after the attachment of the PMSI in the intangible. The provisions concerning instalment sales under Article 1745 of the Civil Code and priority are not linked at all to obtaining possession of the collateral but rather to the date of the sale. The delays also differ. As a final note, it is clear that a properly perfected PMSI will give a super-priority in proceeds to the extent they are traceable or identifiable. The current doubt in respect of the extension of an instalment sale to proceeds has been canvassed previously.71 d) Realization One of the avowed goals of the reform under Bill 181 is to provide instalment sales, other than in the case of consumer contracts, with the fully panoply of hypothecary recourses. 72 Duquette & Payette argue that, since Article 1748 of the Civil Code has not been modified, the current rights of the vendor to either require immediate payment of the instalments or to take back the property remain, and in taking back such property it is the provisions concerning the taking of possession applicable to hypothecs that will apply.73 The issue may center on the interpretation of the phrase «take back the sold property» in Articles 1748 and 1749 of the Civil Code. In accordance with an alternative interpretation of the legislative changes to Article 1749 of the Civil Code, the taking back of the sold property under Article 1748 of the Civil Code would simply be analogous to obtaining possession of the hypothecated prop71. See supra at 13 et seq. 72. See Explanatory Notes to Bill 181. 73. Duquette & Payette, supra, note 36 at 11-12. 32 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 erty or surrender as a preliminary measure prior to exercise of any specific hypothecary recourse. Hence, Article 1749 of the Civil Code, as modified by Bill 181, is more than just a procedural mechanism. It sets out the substantive remedies available to a vendor under an instalment sale, other than in the case of a consumer contract, once the vendor has elected to take back the sold property as a preliminary step in realization.74 Thus, when the Civil Code speaks of taking back the sold property in Article 1748, one must ask the further question as to what the specific rights of the vendor are upon taking back such property. These rights are governed by the realization regime set out or referred to in Article 1749 of the Civil Code. Bill 181 introduces the rule that, if the instalment sale is a consumer contract, the Consumer Protection Act rules applicable to the exercise by the seller of the right of repossession govern. Other than in respect of instalment sales falling into the first two categories of subject property discussed above, one may be tempted to conclude that instalment sales that constitute consumer contracts need not be registered in order to be opposable to third parties. It should be noted, however, that there is an overlap in the notions of “consumer”, for purposes of the Consumer Protection Act, and “enterprise” under the Civil Code. Certain case law has held that professionals, skilled trades persons and farmers may be considered to be consumers for purposes of the Consumer Protection Act, although, their activities may also fall within the extended definition of an enterprise.75 Hence, a vendor contemplating the use of instalment sales as a secured financing device may need to consider the application of the Consumer Protection Act in the event of realization and as to form and content of the contract. Notwithstanding that a particular instalment sale may constitute a consumer contract subject to the Consumer Protection Act, it may also require registration at the Register in order to be opposable to third parties if the movable property is acquired for the service or operation of an enterprise by a person considered to be a consumer for purposes of the Consumer Protection Act. 74. I am indebted to Mtre Catherine Jenner of Stikeman, Elliott for this argument. 75. See, for example, Bérubé v. Tracto Inc. (1997), [1998] R.J.Q. 93 (C.A.) and Équipement Robert Charest v. Cadieux (1998), B.E. 98BE-1258 (C.Q.) (Motion for permission to appeal refused 1998-08-26 (C.A.Q. 200-09-002119-987)). A prior draft of the Implementation Act had proposed amendments to the Consumer Protection Act such that the notion of merchant would correspond to enterprise in Article 1525 of the Civil Code. This version was not adopted. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 33 5- LEASING a) Definition Bill 181 does not modify the definition of a leasing contract or the rules concerning movable or immovable accession nor does it address the uncertainty as to proceeds. b) Registration and Priority As is the case with reservation of ownership under instalment sales, the rights of ownership of the lessor under a leasing contract will be opposable to third parties if registered at the Register within 15 days of the leasing contract. Bill 181 has not modified Article 1847 of the Civil Code in a manner analogous to Article 1749 of the Civil Code in order to indicate what will occur if the rights of ownership are not registered or are registered after the 15-day period. This has led Duquette & Payette to suggest that the rights of ownership of a lessor will not be opposable to third parties in such circumstances.76 The general principles of the effect of publication are set out in Article 2941 et seq. of the Civil Code. Publication of rights allows them to be set up against third persons, establishes their rank and, where the law so provides, gives them effect. Furthermore, unless otherwise provided by law, rights rank according to the date, hour and minute entered on the memorial of presentation, provided that the entries have been made in the proper registers.77 In the absence of the last portion of the first paragraph of Article 1847 of the Civil Code, these general principles would mean that the rights of ownership of the lessor would only be opposable to third parties from the date, hour and minute of registration at the Register. When Bill 181 states that the effect against third persons operates from the date of the leasing contract provided the rights are published within 15 days, this is an exception to the rule set out in Article 2945 of the Civil Code. Therefore, if the rights of ownership of the lessor are registered within 15 days of the date of the leasing contract, rank will be established from the date of such leasing contract, otherwise, the rule in Article 2945 of the Civil Code applies and the rights of ownership will only rank from the date, hour and minute of registration.78 This interpretation is more consistent with the overall 76. Duquette & Payette, supra, note 36 at 17. 77. Article 2945 of the Civil Code. 78. This position seems to be accepted by others, see Bill 181 – Developments in the Law of Security in Quebec, Ogilvy Renault, November 1998 at www. ogilvyrenault.com. 34 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 economy of the Civil Code and would permit a lessor under a leasing contract to register after the 15-day period in order to render the rights of ownership opposable to third parties from the date of registration. This would also be consistent with the interpretation of the rule applicable to the vendor’s hypothec in Article 2954 of the Civil Code. The difficulty with this interpretation is that the legislator specifically provides for the consequences of lack of registration or registration after the 15-day period for the reservation of ownership under instalment sales in the second and third paragraphs of Article 1749 of the Civil Code introduced in Bill 181. Does this demonstrate the intention of the legislator in the case of leasing contracts to require registration within the 15-day period following the leasing contract in order to render the rights opposable to third parties? Presumably, the general provisions concerning the effects of publication as outlined above would still be applicable since those particular rules have not been rendered inoperative by specific provisions in Bill 18179. Article 1847 of the Civil Code states that it is the rights of ownership of the lessor that must be registered in order to be opposable to third parties. The traditional view in the civil law is that the rights of ownership are usus (droit d’user), fructus (droit aux fruits et revenus) and abusus (droit de disposer).80 The nature of the leasing contract is that the lessee has the usus. Fructus would include the payments that the lessee makes to the lessor in return for the use of the particular property. Does the expression «the rights of ownership» extend to all of the rights generally associated with ownership? If so, in order for the lessor to be able to have its right to the payments under the leasing contract opposable to third parties, the rights of ownership thereunder must be registered in the Register. This should be contrasted with Article 1745 of the Civil Code where it is only the reservation of ownership in respect of the property under the relevant instalment sales 79. If the rights of ownership of a lessor are opposable from the date of registration when registration occurs outside of the 15 day period, it does not necessarily follow that the application of the general principles concerning publication and opposability will render the same results for a leasing contract as for those established by the second and third paragraphs of Article 1749 of the Civil Code. For example, the lessor may argue that its rights are opposable to a prior registered hypothecary creditor provided that the lessor’s rights of ownership are registered prior to realization by such hypothecary creditor. 80. Article 947 of the Civil Code and D.-C. Lamontagne, Biens et propriété, 3rd ed. (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1998) at 55. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 35 that must be registered in order to be opposable to third parties. On one possible interpretation, this reservation of ownership only includes the real right in the movable property subject to the instalment sale and does not extend to the income or payments generated under the instalment sales contract. Alternatively, one might argue that the reservation of ownership of the subject property reserves to the vendor all of the rights of ownership set out in Article 947 of the Civil Code, except those that are given to a third party by the owner, e.g. usus to the purchaser. This issue is of importance when considering the effect of Bill 181 on assignments. A single registration at the Register will now be possible for a master agreement and various leasing contracts subsequently entered into pursuant thereto in order for the rights of ownership under all such leasing contracts to be opposable to third parties. This registration will be valid for a maximum of 10 years with a possibility of renewal.81 Practitioners are now faced with the task of determining whether a particular contract is a lease or a leasing. This characterization is important since the rights under a lease with a term of more than one year will not always require registration whereas the rights of ownership of a lessor under a leasing contract must always be registered in order to be opposable to third parties. If the rights resulting from a leasing contract are registered as a lease, arguably the rights of ownership of the lessor have not been appropriately registered and will not be opposable to third parties.82 A contract that is not a leasing contract is not necessarily a lease. The current accepted position is that, since the adoption of the Civil Code, a leasing contract may no longer be characterized 81. Grenon, supra, note 5 at 227 suggests that leasing contracts between the same parties occur on an irregular basis. It is possible, however, to conceive of a financing structure whereby a lessee might finance its fleet of vehicles by way of various leasing contracts under a master agreement with a particular lessor. For a general discussion of other principles applicable to instalment sales contracts that apply also to leasing contracts, see the discussion, supra, under the headings of “opposability”, “diminishing ownership rights”, “single registration” and “realization”. 82. The registration form annexed to the Amendment, Form RD, distinguishes between rights under a lease and rights of ownership of a lessor under a leasing contract. The Civil Code introduced the important reform in 1994 whereby the registration regime for personal and real movable rights was based on registration of rights. Characterization of rights in order to determine proper registration is therefore of extreme importance. 36 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 as a lease.83 Furthermore, certain commentators have suggested that if a particular contract does not conform with the definition of a leasing contract, it will not be characterized as a lease but will be an innominate contract.84 Assume for a moment that a contract is designated by the parties as a leasing contract however, the only element necessary for a leasing contract that is absent is that the lessor does not acquire the property from a third person at the demand and in accordance with the instructions of the lessee. Since the relationship between the parties corresponds to the remaining conditions in Article 1842 of the Civil Code, it is very possible that such contract could also conform to the definition of a lease in Article 1851 of the Civil Code. The practitioner would therefore have to determine if the rights resulting from such contract will need to be registered under Article 1852 of the Civil Code. If, however, the contract is not a lease, no registration will be necessary in order to render the rights of ownership of the lessor enforceable against third parties. Practitioners may wish to adopt a prudent approach. If it is not obvious that a contract purporting to be a leasing contract conforms to the particular definition of leasing then the rights of ownership of the lessor thereunder may need to be registered as rights resulting from a lease as well as rights of ownership of the lessor under the leasing contract. This may lead to a multiplicity of registrations at the Register under Articles 1847, 1852 and 2961.1 of the Civil Code. c) Realization Bill 181 introduces no change to the current regime for realization for a leasing contract. 6- LEASES a) Definition Bill 181 has not modified the rules concerning movable or immovable accession. There is also no modification to address the uncertainty as to proceeds. 83. See Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1156 et seq. and Godin, supra, note 5 at 688. 84. See Godin, Ibid and P.-G. Jobin, Traité de droit civil: Le louage de choses, 2nd ed. (Cowansville: Éditions Yvon Blais, 1996) at 56. See also Xerox Canada Ltée v. Pathfinder Marine Inc. (1999), J.E. 99-580 (C.S.), a case under the Civil Code of Lower Canada, where the court held that a contract that did not fulfill all of the requirements for a leasing was in fact an innominate contract even though the contract had a great similitude to a lease. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 37 Although Bill 181 has not modified the definition of lease in Article 1851 of the Civil Code, an important preliminary consideration is whether or not the particular contract constitutes a lease. We have previously examined the possibility of considering a contract that does not conform with all of the requirements of a leasing contract as a lease.85 The case of I.G.U. (Ingraph) Inc. v. L.B.G.P. Consultants Inc. (1990), J.E. 90-1224 (C.S.) [hereinafter Ingraph] provides an interesting fact situation which, if to be decided now, would give rise to a number of issues. In this particular case, the parties had entered into a license agreement. L.B.G.P. Consultants Inc. was seeking to quash a seizure before judgment. Mr. Justice Trudel had to determine the nature of the license agreement. The plaintiff argued that the license constituted a real right of usufruct. The Court indicated that this particular legal institution licence coming from the common law was not part of Quebec civil law. After consideration of various authors, particularly French doctrine, Mr. Justice Trudel states that “...le tribunal juge que la license d’exploitation dont I.G.U. est titulaire s’assimile à un contrat de louage et non à un usufruit.” Some commentators, based upon the Ingraph decision, advance the argument that a license, whether it be exclusive or non exclusive, constitutes under civil law an innominate contract in the nature of a contract of lease.86 For purposes of registration under Article 1852 of the Civil Code, it is not sufficient that the contract under consideration be “in the nature of”, “analogous to” or “like” a lease. The contract must be a lease. The third paragraph of Article 2938 of the Civil Code states that personal rights and movable real rights require publication only to the extent prescribed or expressly authorized by law. The Minister’s Commentary to Articles 1852 and 2938 of the Civil Code confirms that the law must expressly authorize or require publication of personal and movable real rights.87 Accordingly, one should adopt a restrictive interpretation to provisions requiring publication of personal and movable real rights in order for such rights to be opposable to third parties. Hence, even if a license agreement is analogous to a contract of lease, unless such 85. See the discussion, supra, at 36 et seq. 86. See L. Payette and S. Picard “Les prises de garantie en matière de transferts de technologie” Presentation to the Canadian Bar Association and Licensing Executives Society (U.S.A. and Canada), Inc., December 2, 1998 at 26. 87. See, supra, note 2 at 1163 and 1846. 38 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 license agreement is specifically held to be a lease, rights resulting from the license will not be required to be registered in order to be opposable to third parties. b) Registration and Priority Article 1852 of the Civil Code, as amended by Bill 181, provides that the rights under a lease with a term of more than one year of the following property will need to be registered in order to be opposable to third parties: (a) road vehicle determined by regulation, (b) other movable property determined by regulation, and (c) any movable property required for the service or operation of an enterprise, subject to exclusions to be set out in a regulation.88 Bill 181 provides that the term of one year or less is deemed to be a term of more than one year if, by operation of a renewal clause or another covenant to the same effect, the term of the lease may be extended to more than one year. As is the case with a leasing contract, opposability is from the date of the lease provided that the rights under the lease are published within 15 days thereof. The third category of movable property in respect of which registration will be required is that “required for the service or operation of an enterprise”. This should be contrasted with the applicable test for instalment sales of movable property “acquired for the service or operation of an enterprise”. Does the use of the word “required” render this test more objective than the test under Article 1745 of the Civil Code?89 The obvious issue that must now be faced is to determine what is meant by “rights under a lease”. Duquette & Payette state that this does not include the rights of ownership of the lessor.90 They maintain that the rights under a lease are, for the lessor, the right to receive the rent and, for the lessee, the right to enjoyment of the property. In accordance with their position, lack of registration of the rights under a lease would not prevent a lessor from claiming the leased property in the hands of a third party. 88. See the comments, supra, at 21 et seq. concerning the scope of road vehicles and other movable property. The Amendment does not set out any exclusions. 89. See supra, under the headings of “opposability”, “diminishing ownership rights”, “single registration” and “realization” for other issues that arise for instalment sales that may also be relevant to leases. 90. See Duquette & Payette, supra, note 36 at 18. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 39 The Minister’s Commentary in respect of Article 1852 of the Civil Code specifically states that the rights under a lease are personal rights and therefore their registration must be specifically provided for by law. As an additional argument in favor of the position of Duquette & Payette, no one seriously advances the argument that registration of a lease of an immovable property is required in order to render the lessor’s rights of ownership in the immovable opposable to third parties. Duquette & Payette argue that registration is required in order that the receipt of rent by the lessor from the lessee be opposable to third parties. Since, as indicated above, fructus is a right that arises out of ownership, one might argue that the right to the rent does not arise out of the lease but is a corollary to the right of ownership which does not need to be registered on Duquette & Payette’s argument. Note however, that the better view is that the right to rents from this specific lessee arises from the specific lease and hence the payment and terms and conditions in respect thereof are indeed rights resulting from the lease. Arguably, the lessor may have other rights resulting from the lease. It is the essence of a lease that the lessee have the usus of the leased property. As a corollary, one of the rights of the lessor is its ability to take back possession of such leased property at the end of the term, in the event of default or upon other terms and conditions provided for specifically under the lease. Even if one of the rights of ownership of the lessor is to be able to take back the property, the specific terms and conditions under which the lessor may take back the property from this specific lessee are rights of the lessor specifically outlined under the lease. If this interpretation is accepted, one of the important rights resulting from the lease is the right of the lessor to require the lessee to give back the leased property upon the terms and conditions set out in the lease. Hence, if a lessor wants these rights to be opposable to third parties and protect its ability to realize on the specific leased property it is important that the lessor register these rights under the lease.91 91. As a further technical argument, Section II of Chapter IV of Title Two of Book Five of the Civil Code is entitled Rights and Obligations Resulting from Lease. Article 1863 of the Civil Code, as part of that Section, permits a party to require, where applicable, specific performance in the event of non-performance of an obligation and to resiliate the lease if non-performance causes serious injury. If the lessor resiliates, the lessee must surrender the leased property. The legis- 40 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 In many of the common law jurisdictions in Canada, it is a requirement that the rights of ownership of a lessor to leased property subject to a long term lease be perfected through registration in order to be enforceable against third parties.92 It would appear that an important consideration of the legislator in adopting Bill 181 was to conform Quebec civil law to the applicable regime in other jurisdictions in Canada. In fact, Serge Ménard, the then Minister of Justice, in presenting Bill 181, stated: Le projet de loi propose également de soumettre à la même exigence tous les baux de plus d’un an, qu’ils concernent des particuliers ou des entreprises, dès lors que ces baux porteront eux aussi sur des véhicules routiers ou d’autres biens meubles de valeur. On connaît bien l’importance qu’ont, de nos jours, la vente à tempérament ou avec faculté de rachat et la location à long terme comme modes de financement utilisés pour l’obtention de biens mobiliers et en particulier de véhicules automobiles, mais, lorsqu’on sait que les droits ou charges qui découlent de ces contrats demeurent présentement occultes et bien souvent ignorés des acquéreurs potentiels des mêmes biens, voire des créanciers de ceux qui détiennent ces biens, on comprend aisément la nécessité des deux nouvelles mesures que propose ici le projet de loi no. 181. On comprend d’autant plus, d’ailleurs, leur nécessité lorsqu’on sait aussi que des mesures similaires existent depuis déjà un certain temps dans les autres provinces canadiennes et que plusieurs groupes déplorent actuellement le fait qu’on ne dispose pas, au Québec, d’un système comparable à celui qui prévaut dans ces provinces permettant de vérifier l’existence de droits ou de charges grevant des véhicules routiers. ... [L]es citoyens et les entreprises du Québec sont en droit de bénéficier, au même titre que leurs voisins, d’un système de publicité des droits mobiliers, qu’il soit complet, fiable et qu’il permette d’assurer efficacement la protection de leurs droits en tant qu’acquéreurs ou créanciers.93 It is very possible therefore that, in the mind of the drafter of Bill 181, it is in fact the rights of ownership of the lessor in leased movable property that must be registered in order to be opposable to third parties. As Duquette & Payette have pointed out, upon a strict technical reading of Bill 181, this is not clearly reflected. In light of our discussion above concerning the lessor’s right to the lator therefore characterizes the lessor’s right to require specific performance and to resiliate as rights resulting from the lease. 92. See, for example, the discussion of the Supreme Court of Canada in Giffen, supra. 93. Supra, note 35. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 41 rent as well as the right to take possession, the prudent approach, in order to protect the rights of a lessor, will be to register such rights. Bill 181 does not distinguish between the rights of the lessor and the rights of the lessee resulting from the lease. The lessee has rights under the lease such as the right to the usus of the leased property in accordance with the terms of the lease. The question will arise as to the scope of the lessee’s rights under the lease that are intended to be caught by Article 1852 of the Civil Code. Will such include, for example, the option to purchase the leased property? In the recent decision of 9046-7309 Québec Inc. (1998), J.E. 98-2374 (C.S.), Mr. Justice Tremblay had to determine whether, for the purposes of the definition of rent in the security of Compagnie Trust Royal, such would include the claim of the lessor to a balance of purchase price of the equipment sold by the lessor to the lessee pursuant to an option to purchase set out in the lease. The Superior Court came to the conclusion that: L’option d’achat d’équipement contenue au bail ne constitue pas une réclamation découlant du bail, c’est plutôt une obligation du propriétaire de vendre au locataire si jamais celui-ci exerce son option. Even if the claim resulting from the sale following the exercise of the option to purchase in the lease was not a claim resulting from the lease, the Court states that the option to purchase was an obligation of the owner to sell to the lessee. Such obligation on the owner is also a right of the lessee.94 Thus, the rights of a lessee under an option to purchase in a lease may not be opposable to third parties, including a trustee in bankruptcy of the owner or a subsequent acquirer of the owner’s right, unless such rights are registered. If a license agreement is held to be a lease,95 one of the important rights resulting from the license may be exclusivity. A licensee wanting to render such exclusivity opposable to third parties may wish to have its rights registered. The licensor, given the possible sensitive nature of the rights subject to the license, may, on 94. Article 1850 of the Civil Code, in the context of a leasing contract, contemplates that an option to acquire the subject property may be given to the lessee by the contract. 95. For a discussion on this point, see supra, at 38 et seq. 42 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 the contrary, prefer that such rights not be divulged or available to the public.96 Article 2936 of the Civil Code states that any renunciation or restriction of the right to publish a right which shall or may be published, as well as any penal cause relating thereto, is without effect. Licensors and licensees will need to give careful consideration to the necessity to publish rights resulting from the license and the way in which certain sensitive information should be protected so as not to be divulged or available to the public. As is the case with the reservation of ownership under certain instalment sales and the rights of ownership under leasing contracts, rights resulting from the applicable leases may be the subject of a single registration for various leases arising under a master agreement.97 Duquette & Payette argue that if the rights under the lease are not registered within 15 days of the lease, such rights will never be opposable to third parties.98 As argued above in respect of the rights of ownership of the lessor under leasing contracts, rights resulting from leases should rank from the date of registration if registered outside the 15 day period. c) Realization Bill 181 introduces no change to the regime for realization. 7- ASSIGNMENTS a) Universalities Although the Barreau du Québec had suggested that Article 1642 of the Civil Code be modified in order to address the difficulties of rendering certain assignments of claims opposable to third parties,99 the legislator did not take this suggestion into account in Bill 181. Practitioners will continue to be faced with difficult issues respecting assignments of claims and universalities. 96. Article 2981 of the Civil Code requires that the applications for registration at the Register identify the property concerned. 97. See the discussion supra concerning other issues applicable to a single registration. 98. Duquette & Payette, supra, note 36 at 19. 99. See Mémoire concernant la publicité des droits personnels et réels mobiliers et la constitution d’hypothèque mobilière sans dépossession (P.L. 181) (Montreal: Barreau du Québec, February 1998) at 4. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 43 Bill 181 requires that assignments of reservations of ownership under certain instalment sales and rights of ownership under a leasing contract be registered in order to be opposable to third parties.100 This should be compared to the current requirement for hypothecs under Article 3003 of the Civil Code where the formalities of registration and notification to the hypothecary debtor are only necessary in order to render the assignment of the hypothec opposable to a subsequent assignee that conforms to such formalities. Article 3003 of the Civil Code is analogous to Article 2127 of the Civil Code of Lower Canada. Under the prior legislation, the Quebec Court of Appeal interpreted the term “subsequent transferee” to exclude a trustee in bankruptcy.101 In light of these cases and the text of Article 3003 of the Civil Code, if the assignments contemplated under Article 1745 and 1847 of the Civil Code are not registered they will not be opposable to a trustee in bankruptcy. In the modifications to Article 1852 of the Civil Code, Bill 181 omits to state, in contrast to Articles 1745 and 1847 of the Civil Code, the consequences of not registering an assignment. Application of the general principle in Article 2941 of the Civil Code will require assignments of rights resulting from a lease requiring registration to be registered in order to be opposable to third parties. It would seem clear that the rights resulting from a lease include the rights of the lessor to the rent. Therefore any assignment by a lessor of receivables generated from leases will be subject to registration under Article 1852 of the Civil Code. Insofar as leasing contracts are concerned, if the rights of ownership, as such expression is used in Article 1847 of the Civil Code, include the fructus or payments, then assignment by a lessor of receivables arising from leasing contracts will also need to be registered in order to be opposable to third parties. These registrations would be in addition to any registration undertaken pursuant to Article 1642 of the Civil Code. 100. 101. 44 See Articles 1745 and 1847 of the Civil Code, as modified by Bill 181. There is no requirement, contrary to Article 3003 of the Civil Code in respect of hypothecs, that a subrogation in such rights be registered in order to be opposable to certain third parties. Banque de Nouvelle-Écosse v. Perras, Fafard, Gagnon Inc. (1984), [1985] C.A. 21; In Re Royal Limoge Inc.; Huot v. Quintex (1994), 62 Q.A.C. 231 (C.A.) and Provi-Grain (1986) Inc. (1994), [1994] R.J.Q. 1804 (C.A.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 In previous discussions in this article,102 it was argued that there was a distinction to be made between assignments of receivables arising out of instalment sales contracts and assignments of the reservation of ownership. If the reservation of ownership in respect of the movable property outlined in Article 1745 of the Civil Code only includes the rights of ownership in such movable property and not any receivables generated under the applicable instalment sales contract, an assignment of such reservation of ownership would not include an assignment of the receivables. If receivables are included, registration is necessary in order for the assignment to be opposable to third parties. The issue concerning reservation of ownership may, alternatively, be stated as to whether it is possible to assign separately the receivables generated under an instalment sales contract and the reservation of ownership in respect of the sold movable property. As an analogy, it would seem possible to assign the rents produced by an immovable without a transfer of the rights of ownership in the immovable.103 Part of the difficulty may arise from interpreting Articles 1442 and 1638 of the Civil Code. When a claim, being a receivable under the instalment sales contract, is assigned will the reservation of ownership follow as an accessory or since it is directly related to such receivable? The distinction between fructus, usus and abusus may be useful. The usus is not in the hands of the owner since it is given to the purchaser under the instalment sale. Arguably therefore, the usus could be in the hands of the purchaser, part of the fructus in the hands of an assignee of the receivables under the instalment sales contract while the abusus remains in the vendor. This result also follows from the nature of an instalment sale as contrasted to a hypothec. The hypothec is by its nature an accessory right,104 hence if the obligation secured by hypothec is assigned by the hypothecary creditor, the hypothec will follow, subject to fulfilling any other formalities of registration or notification set out in the Civil Code. This may not necessarily be the result for the reservation of ownership of movable property under an instalment sale, since different rights in respect of the subject 102. 103. 104. See, supra, at 35 et seq. Under the pre-1994 regime, it was common to have an assignment of rentals. See Article 2661 of the Civil Code. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 45 property may be in the hands of different persons. This distinction is important. For an assignment of a universality of claims arising from instalment sales, whose reservation of ownership is required to be registered under Article 1745 of the Civil Code, the assignee would be able to benefit from the receivable vis-à-vis third parties if it had complied with Article 1642 of the Civil Code. The assignee would not, however, be able to benefit from the reservation of ownership if it had failed to comply with the registration requirement for the assignment of such reservation of ownership.105 b) Additional Registrations With the introduction of Article 2961.1 of the Civil Code, it will be possible to make a single registration for various reservations of ownership under instalment sales, rights of ownership under leasing contracts and rights under certain leases. Practitioners may wish to have a master agreement in respect of assignments of such rights benefit from a single registration. This would be extremely useful for receivables financing structures including factoring and securitization where the receivables in such programs are generated under instalment sales, leasing contracts and leases. As an example, a car manufacturer enters into various instalment sale contracts with its dealers from time to time. Registration in respect of these instalments sales between the particular manufacturer and the particular dealer may be made by a single registration. Over the course of a period of time, the manufacturer will also enter into new arrangements with new dealers. The manufacturer may then enter into a master agreement with a financial institution to assign from time to time certain of the receivables generated from present and future instalment sales contracts with present and future dealers. Article 2961.1 of the Civil Code appears to permit a single registration for the various assignments that may occur between the manufacturer and the financial institution. This registration would be in addition to any registration required under Article 1642 of the Civil Code. Note that a registration under Article 2961.1 of the Civil Code could be 105. 46 Because of the interpretation given in this article to the rights of ownership in Article 1847 of the Civil Code and the rights resulting from a lease in Article 1852 of the Civil Code, this argument is not available in respect of leasing contracts and leases. From a practical perspective, this argument may be academic since the assignee will want to be able to collect the claims and benefit from the reservation of ownership. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 valid not only for a single assignment but for various subsequent assignments that could arise from time to time pursuant to the master agreement106. Practitioners will also need to be aware that registrations will be necessary in connection with a sale of an enterprise if the rights being acquired are those of a secured creditor under applicable instalment sales, leasing contracts and leases. Furthermore, if the vendor of the enterprise is a lessee under leases which are required to be registered, an assignment of the leases in connection with a sale of an enterprise will also need to be registered in order for the acquirer to benefit from the rights of the original lessee.107 Article 2712 of the Civil Code is not modified by Bill 181. Therefore, if claims subject to a movable hypothec result from instalment sales, leasing contracts and leases that need to be registered, there is no requirement that the hypothec on such receivables be registered against such particular registered rights or that the purchaser or lessee be notified. There is a current administrative practice at the Register such that if radiations or reductions for hypothecs are tendered where the hypothecary creditor has itself granted a hypothec on receivables to another hypothecary creditor, the registrar will not permit such radiation or reduction unless it is clear that the first hypothecary creditor may do so without the consent of such second hypothecary creditor or if the consent of the second hypothecary creditor is obtained. It is possible that this administrative practice will continue and be extended to instalment sales, leasing contracts and leases even if no particular provision requires that a hypothec on claims arising under such contracts be registered against them.108 106. 107. 108. Although the text of Article 2961.1 of the Civil Code appears to permit a single registration for assignments, the User’s Guide, supra, note 20 does not appear to provide for a mechanism for registration of multiple assignments where various third-party purchasers or lessees are involved. A Form RD may be used for multiple assignments between the same assignor and assignee where only one purchaser or lessee is involved, see for example, the User’s Guide, supra, note 20 at 74.19 et seq. A prudent approach is warranted even if the purchaser is acquiring by assignment of lease. There may be other considerations associated with the sale of an enterprise where the purchaser would be assuming certain rights of the purchaser or lessee under existing instalment sales, leasing contracts and certain leases. See supra at 29 et seq. Perhaps the current practice arises from the interpretation of Article 2743 of the Civil Code which gives the creditor and not the grantor of the hypothec the right to grant acquittances. In accordance with Article 3065 of the Civil Code, radiations and reductions are associated with acquittances. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 47 The current administrative practice for assignments of a universality of claims where some of such claims benefit from a registered hypothec is that the registration number of the hypothec may be included in the Form RG used for registration.109 It is anticipated that a similar practice will be followed for assignment of registered reservations of ownership under instalment sales, rights of ownership under leasing contracts and rights resulting from leases that have a registration number at the time of assignment.110 A technical difficulty arises where a single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code is undertaken for present and future assignments. At the moment of registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code there will be no registration number for certain future rights since the applicable vendor or lessor has not as yet entered into instalment sales, leasing contracts or leases with purchasers or lessees. Will the assignee need to add these registration numbers in the future? Unfortunately, the Amendment does not clarify this, but it is hoped that subsequent registrations will not be required or that an administrative practice will develop in order to address this particular issue in a practical way. 8- TRANSITIONAL RULES Section 19 of Bill 181 repeals Articles 98, 107, 137 and 162 of the Implementation Act. The provisions of Bill 181 apply in respect of registration of rights under certain instalment sales contracts, leasing contracts and leases subsisting on September 17, 1999. The transitional period for registration of subsisting rights is one year from the date of coming into force of section 19 of the Bill 181. Such rights must be registered in order to remain opposable to third parties.111 If the rights resulting from a lease have already been published pursuant to the former permissive rule under Article 1852 of the Civil Code, no transitional registration in respect of such rights is required. It should also be noted that assignments of the relevant reservations of ownership under instalment sales contracts, rights of 109. 110. 111. 48 See User’s Guide, supra, note 20 at 152. The Form RD will permit registration of certain rights and their assignment using the same form. Compare this to Article 157 of the Implementation Act and the current controversy in the cases in respect of this provision. Emballages PlastiDesign Inc. (1996), [1996] R.J.Q. 1613 (C.S.) (reversed on appeal (1999), [1999] R.J.Q. 1361 (C.A.)); 2748-6588 Québec Inc. (1996), [1996] R.J.Q. 1707 (C.S.) (appeal dismissed C.A.M. 500-09-002714-962) and Re 157637 Canada Inc. (1996), 43 C.B.R. (3rd) 146 (Que. C.S.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 ownership under leasing contracts and rights under the relevant leases must also be registered within such 12 month period in order for such assignments to remain opposable to third parties. This registration of assignments will be necessary even if all previous formalities to render an assignment opposable to third parties have been completed.112 This will entail a large amount of due diligence not only concerning assignments but also in respect of the underlying instalment sales, leasing and leases since many of such underlying rights will need to be registered first before the assignments may be registered. Section 25 of Bill 181 prohibits realization proceedings for certain instalment sales if there has been no transitional registration of such instalment sales. This may be compared to Article 158 of the Implementation Act which had the same effect in respect of certain pre-1994 securities that became, by operation of law, hypothecs on January 1, 1994. An issue will arise as to whether it is possible to undertake a single registration for various subsisting instalment sales, leasing contracts and leases arising in the ordinary course of business between persons operating enterprises. No specific transitional rule applies Article 2961.1 of the Civil Code to transitional registrations of subsisting instalment sales, leasing contracts and leases. The Amendment, in the second paragraph of a new Article 52.2 to the Regulation, requires that a Form RD be used for transitional registrations where “...registration of the right is required under article 2961.1 of the Civil Code”. In order for Article 2961.1 of the Civil Code to be used, the phrase “preserves all the rights ... in that property” must be interpreted as preserving the rights of the applicable vendor and lessor in the property subject to all subsisting contracts. This interpretation does not seem to concur with the intention that Article 2961.1 of the Civil Code be used to preserve rights in property subject to one specific contract and similar property subject to subsequent contracts. Article 3024 of the Civil Code empowers the government, by regulation, to take all necessary steps for the implementation of the provisions of the Civil Code dealing with publication. The Minister’s Commentary in respect of this provision are instructive in determining its scope: En prévoyant que le gouvernement peut, par règlement, prendre toute mesure nécessaire à la mise en application du Livre neu112. See Article 94 of the Implementation Act and the discussion in Dietze, supra, note 32 at 11 et seq. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 49 vième, l’article vise à octroyer au gouvernement la possibilité de réglementer tout ce qui n’est pas une règle de base de la publicité. L’article devrait ainsi faciliter la mise à jour des règles de fonctionnement des registres.113 In light of this interpretation of the government’s ability by regulation to modify the regime for publication, it would have been preferable that Bill 181 specifically address the possibility of a single registration during the transitional period in order to preserve rights relating to subsisting contracts. Hopefully, a court will uphold the rights of the vendor or lessor in the subsisting contract if registration is undertaken in accordance with the administrative practice adopted pursuant to Article 52.2 of the Regulation. When Bill 181 was initially adopted in 1998, there was some thought that it would come into force by the end of that year. There was then some suggestion that this would be on July 1, 1999.114 The government was apparently working towards having the Register functionally able to receive electronically transmitted registrations before proclaiming the remaining provisions of Bill 181 in force. As an interesting aside, the federal government introduced on June 12, 1998 Bill C-50 as a first act to harmonize federal law with the civil law of the Province of Quebec. This will be known as the Federal Law – Civil Law Harmonization Act, No. 1. If this Bill is adopted in its current form, it will modify the Bankruptcy and Insolvency Act such that a vendor of any property sold to a debtor under a conditional or instalment sale, if the exercise of such vendor’s right is subject to the provisions of the Civil Code concerning hypothecs, will be considered to be a secured creditor for purposes of the Bankruptcy and Insolvency Act. This would be a major departure from the current treatment of such vendors. By introducing this provision, the federal government would be treating certain instalment sales vendors as equivalent to hypothecary creditors. This almost seems to be the adoption of a presumption of hypothec for these vendors. Since the Quebec legislator has expressly rejected the presumption of hypothec, Bill C-50 does not seem to harmonize the federal law with the underlying principles of Quebec civil law. 113. 114. 50 Minister’s Commentary, supra, note 2 at 1908. See M.-J. Longtin, “Les incidences de la réforme du Code civil sur la législation” in La réforme du Code civil, cinq ans plus tard (Montreal: Éditions Yvon Blais, 1998) 1 at 30. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 9- CONCLUSION Bill 181 represents the most important reform undertaken by the Quebec legislator in the area of secured transactions since the coming into force of the Civil Code and the Implementation Act in 1994. Instead of simply publishing a notice indicating that the Register is fully operational, as provided previously in Article 162 of the Implementation Act, the legislator determined that certain modifications to the Civil Code were necessary in order to render the regime applicable to instalment sales, leasing and leases more responsive to the types of secured financings undertaken in the Province of Quebec. By introducing the provisions of Bill 181, the legislator sought, particularly for instalment sales contracts, leasing and leases, to expand the requirement for registration of certain rights under these contracts in order that they be opposable to third parties. The intent is also to expand the recourses available to a vendor under certain instalment sales contracts in a commercial context. In order to facilitate certain transactions, Bill 181 introduces a single registration for various instalment sales contracts, leasing and leases among the same parties concerning a universality of movable property of the same kind where such parties are involved in an enterprise. If the regime applicable to a movable hypothec without delivery is taken as a benchmark, certain important issues in the area of secured transactions by way of instalment sales contracts, leasing and leases are not addressed in Bill 181. The reform has also introduced a number of uncertainties. The issues not squarely addressed by Bill 181 include the following: 1. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is transformed or modified, the rules of movable accession may operate such that the owner loses its real right in such property. Conversely, in certain cases, the owner may own such resulting property but subject to a movable hypothec. This differs from the result for a movable hypothec without delivery since a hypothecary creditor may preserve, through appropriate registration where applicable, its real rights in the property and hypothecary creditors rank pari passu amongst themselves in proportion to the value of their respective pre-transformation charged property. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 51 2. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is incorporated into an immovable losing its individuality, the owner will most likely lose its real right to such movable property. A hypothecary creditor may, by appropriate registration, have its movable hypothec subsist as an immovable hypothec. 3. In the absence of any specific text analogous to Article 2674 of the Civil Code applicable to instalment sales contracts, leasing contracts and leases, will the courts follow the case law interpreting the pre-1994 legislation and extend the rights of the owner to proceeds? 4. Even though a cession of rank between two hypothecary creditors may be registered, Bill 181 does not establish a rule permitting registration of a cession of rank between, for example, a vendor under an instalment sales contract registered outside of the 15 day period and a prior ranking hypothecary creditor. 5. If movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is sold out of the ordinary course of an enterprise, Bill 181 does not require registration in order for the owner’s rights to continue to be opposable to third parties contrary to the requirement under Article 2700 of the Civil Code for certain movable hypothecs. 6. There is no ability to register an assumption of the debtor’s rights under an instalment sales contract, leasing or lease analogous to Article 2701 of the Civil Code for movable hypothecs. 7. A secured creditor obtaining, by way of subrogation, the rights of the owner under an instalment sales contract, leasing or lease will not need to register such subrogation in order to render it opposable to a subsequent assignee contrary to the rule under Article 3003 of the Civil Code for hypothecs. 8. The Consumer Protection Act has not been modified in order to conform the notion of merchant thereunder to that of an enterprise under the Civil Code. Consequently, certain contracts may be considered to be consumer contracts and hence, need to comply with the applicable provisions of the Consumer Protection Act, even if these contracts are with individuals carrying on an enterprise. Some of the uncertainties that will arise in interpreting and applying the provisions of Bill 181 are as follows: 52 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 1. Article 1847 of the Civil Code will require the rights of ownership of the lessor under a leasing contract to be registered in order to be enforceable as against third parties. Do these rights include not only the real right in the particular movable property subject to the leasing contract but also the right of the lessor to payments under such contract? 2. Rights under certain leases with a term exceeding one year will be required to be registered in order to be opposable to third parties. Unfortunately, there is uncertainty as to which rights will require registration in order to be opposable to third parties. Particularly, there is a debate as to whether it is necessary to register the rights of a lessor under a lease in order for such lessor to be able to repossess the leased property in the hands of a third party. 3. If the rights of ownership of the lessor under a leasing contract or the rights of the lessor resulting from a lease are registered outside of the 15 day period, may such rights be registered in any event and will they rank from the date of such registration? Bill 181 specifically addresses this issue for instalment sales contracts but does not address this issue for leasing and leases. The general principles applicable to publication would appear to support the argument that such rights may be registered outside of the 15 day period; however, not all commentators support this view. 4. Although the currently accepted view is that a contract that does not conform with all of the requirements for a leasing is not a lease, practitioners may wish to take a prudent approach and, when in doubt, register rights of a lessor both as rights resulting from a lease and rights of ownership under a leasing contract. 5. Is a license agreement a lease such that rights resulting therefrom will need to be registered in order to be opposable to third parties if the other criteria of Article 1852 of the Civil Code are met? 6. The vendor’s hypothec will not benefit from a single registration under Article 2961.1 of the Civil Code. It is very possible that this security mechanism will be used in very limited circumstances, particularly for inventory Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 53 financing, since it may not benefit from one single registration for various acts of acquisition. 7. The owner of movable property will not have a right to follow such property sold in the ordinary course if a registration is made pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code. However, if movable property subject to an instalment sales contract, leasing or lease is sold in the ordinary course and a registration of the appropriate rights of the owner was undertaken under the applicable provision but not undertaken under Article 2961.1 of the Civil Code, there is an apparent right to follow such property sold in the ordinary course. 8. Article 2961.1 of the Civil Code introduces a welcome mechanism for registration of rights arising under various instalment sales contracts, leasing and leases between two parties. The text of such article also contemplates assignments although it is not clear how this will be applied by the administration to permit a single registration for various assignments involved in receivable financing structures such as securitizations and factoring. 9. One of the avowed goals of the reform in Bill 181 is to extend the full panoply of hypothecary recourses to vendors under certain instalment sales contracts. Unfortunately, the text is not clear and there are doubts as to whether this has been accomplished. 10. During the 12 month transitional period, it is unclear whether a single registration pursuant to Article 2961.1 of the Civil Code may be used for all subsisting contracts. The then Minister of Justice, Serge Ménard, intimated, during the detailed study of Bill 181 by the Commission des institutions of the National Assembly, that there would be a global review of the law concerning movable securities.115 Hopefully, the unresolved issues and uncertainties summarized above will be addressed in this review process. Until such time, practitioners and courts will continue to grapple with the issues and uncertainties arising from the application of Bill 181 to secured transactions. 115. 54 See, supra, note 35 (19 March 1998). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 TABLE A (PART I) INVENTORY FINANCING NATURE OF RIGHT Movable hypothec without delivery Art. 2684, al. 2 CCQ CONSTITUTION PUBLICATION RIGHT TO FOLLOW (DROIT DE SUITE) RECOURSES movable accession and transformation Arts 2671, 2673, 2953 CCQ hypothecary recourses Arts 2748 et seq. CCQ all creditors always registered written contract Art. 2696 C.C.Q. rank from registration for 10 years, renewable Arts 2798, 2945 CCQ specific sum Art. 2689 CCQ vendor’s hypothec: superior rank if published within 15 days of sale Art. 2954 CCQ real subrogation, proceeds if identifiable Art. 2674 CCQ one registration per deed registration necessary if sold out of normal course Art. 2700 CCQ cession of rank Art. 2956 CCQ assumption Art. 2701 CCQ vendor’s hypothec: in deed of acquisition Arts 2696, 2954 CCQ 55 56 TABLE A (PART I - cont.) INVENTORY FINANCING Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 NATURE OF RIGHT CONSTITUTION PUBLICATION RIGHT TO FOLLOW (DROIT DE SUITE) RECOURSES Instalment sale Arts 1745 et seq. CCQ vendor reserves ownership until payment in full of purchase price Art. 1745 CCQ; Art. 132 CPA registered if vehicle, “other” movable or movable acquired for service or exploitation of enterprise movable accession and transformation? Art. 971 et seq. CCQ hypothecary recourses apply, for consumer contract CPA applies Art. 1749 CCQ superior rank if published within 15 days of sale Arts 1745, 1749 CCQ sold in or out of the normal course? Arts 1714, 2961.1 CCQ written contract not necessary Art. 1385 CCQ no specific sum master agreement possible proceeds? assumption? one registration possible for 10 years, renewable Art. 2961.1 CCQ cession of rank? other recourses available Arts 1721, 1740 CCQ Bankruptcy and Insolvency Act ss. 81 and 81.1 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 TABLE A (PART II) EQUIPMENT FINANCING NATURE OF RIGHT CONSTITUTION Movable hypothec without delivery and instalment sale (See Table A (Part I) concerning inventory financing.) Leasing Contract (Crédit-bail) Arts 1842 et seq. CCQ PUBLICATION RIGHT TO FOLLOW (DROIT DE SUITE) 57 instalment sale: registration may be for more than 10 years, renewable Arts 1745, 2937, 2942, 2983 CCQ hypothec: immovable accession Arts 903, 2672, 2796, 2951 CCQ; Art. 571 CCP; Art. 48 Implementation Act rights of ownership? Art. 1847 CCQ always registered Art. 1847 CCQ no specific sum superior rank if published within 15 days of contract? Arts 1847, 2941, 2945 CCQ immovable accession Arts 903, 1843 CCQ; Art. 571 CCP; Art. 48 Implementation Act master agreement possible Lease if not a crédit-bail? registration may be for more than 10 years, Arts 1842, 2937, 2942, 2983 CCQ proceeds? one registration possible for 10 years, renewable Art. 2961.1 CCQ assumption? Sold in or out of ordinary course? RECOURSES hypothecary recourses inapplicable 58 TABLE A (PART II - cont.) EQUIPMENT FINANCING NATURE OF RIGHT Lease Arts 1851 et seq. CCQ Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 CONSTITUTION PUBLICATION rights resulting from lease of more than one year? Art. 1852 CCQ registered if vehicle, “other” movable or certain movable required for service or exploitation of enterprise immovable accession no specific sum superior rank if published within 15 days of lease? Arts 1852, 2941, 2945 CCQ proceeds? Master agreement possible registration may be for more than 10 years, Arts 1851, 1880, 2937, 2942, 2983 CCQ one registration possible for 10 years, renewable Art. 2961.1 CCQ RIGHT TO FOLLOW (DROIT DE SUITE) Art 903 CCQ; Art. 571 CCP; Art. 48 Implementation Act Sold in or out of the ordinary course? assumption? RECOURSES hypothecary recourses inapplicable Les sources juridiques des immunités civiles et de la responsabilité extracontractuelle du procureur général à raison d’accusations pénales erronées: le mixte et le mêlé (Québec c. Proulx) Jean-Denis ARCHAMBAULT Résumé L’identification des sources juridiques des règles normatives particulières qui présideront à la solution d’un litige assujetti au droit du Québec, pourra, vu la provenance historique, politique et constitutionnelle de ces sources, s’avérer déterminante. Selon leur appartenance au droit public, d’origine anglaise, statutaire ou de common law, ou, plutôt, au droit privé, d’origine française et codifié, les règles choisies véhiculeront en effet un contenu substantiellement différent, menant à une conclusion judiciaire propre et distincte. Tant notre jurisprudence que notre doctrine continuent d’éprouver de sérieuses difficultés conceptuelles et fonctionnelles à repérer puis départager les autorités respectives de l’une et de l’autre, common law publique et droit civil privé, surtout lorsque survient une mixité des sources. Ainsi de la délimitation de l’étendue précise, effective, de la responsabilité civile extracontractuelle du procureur général du Québec et de ses substituts, pour les dommages subis par les victimes d’accusations pénales erronées, abusives ou malicieuses. Ici, la common law publique octroie à ces défendeurs, en raison de la nature quasi judiciaire de l’acte reproché, une immunité relative qui alourdit le fardeau de preuve des demanderesses pour- Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 59 suivantes. Là, le Code civil du Québec, tout comme, avant lui, le Code civil du Bas-Canada, circonscrit par ailleurs le droit commun privé, jus commune, de la responsabilité extracontractuelle pertinente. La question se pose donc de définir l’autorité et le contenu de l’immunité de la common law publique, prépondérante, et de la responsabilité extracontractuelle du droit civil approprié, subsidiaire, simultanément. Une récente décision de la Cour d’appel du Québec, relative à l’immunité susmentionnée, illustre les malentendus et chassés-croisés auxquels peut donner lieu la recherche trop peu assurée des sources de notre droit. En l’occurrence, les deux membres de la majorité du tribunal, qui accorde le pourvoi et déboute la poursuite, signent chacun des opinions individuelles fondées sur des sources et motifs difficilement conciliables. En outre l’un des juges majoritaires, l’autre ayant, à raison nous semble-t-il, frugalement préféré l’orthodoxie et l’autosuffisance de la common law publique sur ce sujet, se dit en accord avec l’abondant exposé normatif élaboré par leur collègue, au demeurant dissident, qui lui fait large part au droit civil privé. La Cour suprême du Canada a déjà consenti à se saisir prochainement du dossier et, présumera-t-on, y jeter quelque lumière sur le débat des sources. À suivre par les intéressés. 60 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Les sources juridiques des immunités civiles et de la responsabilité extracontractuelle du procureur général à raison d’accusations pénales erronées: le mixte et le mêlé (Québec c. Proulx)* Jean-Denis ARCHAMBAULT** Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 II- L’affaire criminelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 II- La réclamation civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 III- La dissidence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 A- Le rôle du substitut dans le cadre du droit pénal canadien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 B- Le régime de responsabilité du substitut du procureur général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 1- L’affirmation du droit public . . . . . . . . . . 75 2- Acte politique ou opérationnel? . . . . . . . . 82 * Version remaniée d’une conférence prononcée au Congrès du Barreau du Québec, le 4 juin 1999 ** Avocat et professeur de droit à l’Université d’Ottawa Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 61 C- 3- L’étendue de l’autorité éventuelle de Nelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 4- La «traduction» de l’immunité relative en droit québécois . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 La mise en œuvre de ce régime en l’espèce . . . . . 111 IV- Les opinions majoritaires . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 62 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 INTRODUCTION 1. Quand, avant son accession à la Cour suprême du Canada, il retraçait les sources juridiques du droit québécois, L.-P. Pigeon faisait remarquer qu’«[o]n est porté à ne pas prêter suffisamment attention au fait que la province de Québec n’est pas une province de droit civil purement et simplement; elle est un pays de droit civil en droit privé mais pas en droit public»1. Le futur juge recommandait aussitôt de suivre l’exemple d’«une décision très importante de notre Cour d’appel [où] on a statué que les privilèges [ou immunités] découlant du droit public sont du droit public et que le privilège du témoin [à l’égard d’une poursuite civile en diffamation] est régi par la Common Law»2. Tout récemment notre Cour d’appel prononçait une autre «décision très importante», cette fois sur la question des sources juridiques de la nature et de l’étendue de l’immunité, relative, du procureur général du Québec et de ses substituts à l’égard des poursuites pénales erronées, abusives ou malicieuses entamées par eux, immunité invoquée à l’encontre des réclamations en dommages-intérêts consécutivement entreprises par les justiciables victimes de telles poursuites. 2. L’arrêt du 11 février 1999, Québec (Procureur général) c. Proulx3, ni unanime ni limpide sur l’objet des divisions du banc, perpétue l’inconfort séculaire de notre droit québécois à vivre sous une double allégeance, une dualité des origines juridiques, particulièrement lorsqu’est mis en cause le droit privé de la responsabilité extracontractuelle du Code civil, immédiatement perçu comme menacé dans son intégrité par la common law, fût-elle de droit public pourtant. L’arrêt Proulx est d’autant plus symptomatique de ce malaise qu’il prend appui, comme il se doit du reste, sur le déjà classique Nelles c. Ontario, de la Cour suprême du Canada, lui-même cependant lesté d’obiter dicta4 hésitants sur les sources et le contenu de l’immunité, débattue 1. L.-P. PIGEON, Rédaction et interprétation des lois, Collection Études juridiques, Éditeur officiel, Québec, 1978, 50. 2. Ibid. Il s’agissait de la décision Langelier c. Giroux, (1932) 52 B.R. 113. 3. [1999] R.J.Q. 399, ci-après «Proulx [1999]». 4. Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, ci-après Nelles. Le juge Lamer y tient, aux p. 181, 191 et 197, des propos singuliers sur les origines du régime de responsabilité extracontractuelle de l’État au Québec, propos que le juge LeBel s’efforce Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 63 devant notre Cour d’appel, du procureur général du Québec et de ses substituts. L’analyse critique de Proulx suivra la chronologie du dossier, depuis sa phase criminelle initiale jusqu’à son ultime étape civile, relatant chaque fois les instances premières et d’appel, étant entendu que la perspective, de droit civil par opposition à droit pénal, demeure principalement la mixité des sources juridiques pertinentes et, accessoirement, le contenu normatif en résultant. I- L’AFFAIRE CRIMINELLE 3. Le 25 octobre 1982, environ trois semaines après que M. Benoît Proulx, subséquemment demandeur intimé dans Proulx [1999], eut mis fin à ses fréquentations avec elle, Mlle France Alain décédait, atteinte par le tir d’une arme à feu. La police municipale de Sainte-Foy ouvrit une enquête sur ce présumé meurtre. En mai 1983, les enquêteurs chargés du dossier, dont le policier John Tardif, convainquaient M. Fernand Alain, père de la défunte, de collaborer à l’enquête et d’organiser une rencontre privée, à sa résidence, avec M. Benoît Proulx, rencontre durant laquelle serait enregistrée, à l’insu de ce dernier, la conversation entre les deux hommes. Au cours de cette conversation du 31 mai 1983, effectivement interceptée sans le consentement de M. Proulx et qui s’étendra sur plus de trois heures, celui-ci fit remarquer qu’il travaillait avec les policiers afin de vérifier certaines hypothèses et ouvrir une piste. Il qualifia d’acte barbare et inhumain le meurtre en question, puis dit croire qu’il s’agissait d’un crime prémédité commis par un désaxé. Empruntant la troisième personne du singulier pour désigner l’assassin, M. Proulx affirma qu’«il» avait de gros problèmes, qu’«il» voulait forcer la victime à faire certaines choses, qu’«il» avait décidé qu’elle n’appartiendrait à personne d’autre, qu’«il» a agi impulsivement, qu’«il» a cru à un accident, de façon à se sécuriser et se disculper intérieurement. M. Proulx ajouta que l’assassin se déplaçait à pied, qu’«il» demeurait à proximité du lieu du crime et qu’«il» lui avait fallu cacher l’arme du crime dans un sac à poubelle pour éviter d’être vu. En novembre 1985, M. Proulx consentit à se soumettre à un interrogatoire de la part des policiers qui, en dépit de tous leurs efforts, ne réussirent pas à obtenir les aveux qu’ils courtoisement de légitimer: id., 420. Sur les interrogations soulevées par les affirmations du juge Lamer, voir J.-D. ARCHAMBAULT, «Les sources juridiques de la responsabilité extra-contractuelle de la Couronne du Québec: variations de droit public», (1992) 52 R. du B. 515, 553-555. 64 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 semblaient espérer. Malgré le refus de M. Proulx et sans qu’il ne le sache, les policiers enregistrèrent cet interrogatoire. 4. En février et mars 1986, on procéda à une enquête du coroner sur les circonstances du décès de Mlle France Alain, dans le but, entre autres, de constituer des éléments de preuve contre M. Proulx. Déjà le substitut chargé de cette affaire fut celui qui, plus tard, autorisera l’accusation de meurtre contre M. Proulx et conduira son procès. Au cours de l’enquête du coroner, le substitut mena un interrogatoire vigoureux, agressif même, au dire de la Cour d’appel5, de M. Proulx. À l’issue de plusieurs semaines de travaux, l’enquête ne donna absolument rien, ni au coroner, incapable de conclure à la tenue d’une rencontre entre M. Proulx et Mlle Alain le soir du 25 octobre 1982, ni au substitut, tout aussi impuissant à réunir les éléments de preuve essentiels au dépôt d’accusations contre M. Proulx, conformément aux règles du droit criminel. 5. Entre-temps inactif, le dossier se ranima soudainement au début de 1991, à la faveur d’une nouvelle couverture médiatique d’un événement accessoire à ce meurtre, soit la poursuite en responsabilité civile consécutive à diffamation, entamée par M. Proulx contre un journaliste radiophonique et le policier John Tardif, alors à la retraite. Le demandeur Proulx y reprochait aux deux défendeurs de colporter publiquement qu’il était le responsable du meurtre de Mlle Alain. La diffusion dans un journal local, en février 1991, de la photographie de M. Proulx, jointe au compte rendu de la poursuite civile susmentionnée, sembla raviver la mémoire de M. Paul-Henri Paquet, témoin présumé de faits concomitants au crime, et jusque-là involontairement demeuré dans l’ombre. 6. Préférant ne pas communiquer immédiatement avec les autorités policières, M. Paquet entra en contact avec une station radiophonique puis, de là, avec M. John Tardif à qui il expliqua avoir été frappé par les yeux de M. Proulx sur la photo parue dans le journal local. M. Paquet croyait y reconnaître les yeux d’un barbu qu’il avait rencontré, au hasard d’une promenade, sur la rue et près des lieux du crime. Selon M. Paquet, ce barbu portait un sac à dos d’où sortait un objet ressemblant à une tige de métal ou un manche d’une raquette de tennis. De sa propre 5. Proulx [1999] 403. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 65 initiative, M. John Tardif, policier à la retraite initialement saisi de l’enquête en 1982 et codéfendeur dans la poursuite civile logée par M. Proulx au début de 1991, rencontra M. Paquet à plusieurs reprises, lui fit visiter la scène du crime et organisa une séance d’identification. Au cours de celle-ci, devant l’incapacité de M. Paquet à identifier «son barbu» sur une photo pourtant bien de M. Benoît Proulx, M. Tardif manifesta sa déception en répétant que M. Proulx était l’homme apparaissant sur ladite photo. 7. Quoi qu’il en fut, M. John Tardif informa enfin la police de Sainte-Foy de ses contacts avec M. Paquet. Celle-ci procéda elle-même à quelques vérifications relatives au présumé témoin comme à son entourage, et mit au courant de ce récent développement le substitut qui avait participé à l’enquête du coroner menée durant l’hiver de 1986. Ainsi les autorités policières et la Couronne rouvrirent-elles le dossier de Mlle France Alain. La police de Sainte-Foy confia l’affaire à un enquêteur, M. Matte. Cependant et pour le moins curieusement, M. John Tardif, alors codéfendeur, répétons-le, dans la poursuite civile en diffamation engagée par M. Proulx, continua à travailler au dossier du meurtre, d’abord bénévolement, puis, par la suite, en vertu d’un contrat à temps partiel et honoraires conclu avec la ville de Sainte-Foy, pour assister le substitut. Le 11 mars 1991, MM. Paquet, témoin présumé, Tardif, enquêteur contractuel, et Matte, policier, ainsi que le substitut, se rencontrèrent au bureau de ce dernier où eut lieu une autre séance d’identification. Au cours de cette séance, on présenta à M. Paquet huit photos de M. Benoît Proulx prises à l’occasion d’une manifestation syndicale, le 18 mai 1983. Le témoin Paquet identifia une photo, en affirmant y reconnaître «son barbu», alors qu’apparemment on n’y voit pas les yeux de M. Proulx. Peu après la séance d’identification, le substitut fit accomplir certaines vérifications additionnelles relatives au témoin et à ses déclarations des jours ayant suivi le meurtre, puis réexamina l’ensemble de la preuve disponible et, notamment, les transcriptions des interrogatoires de police et de l’enquête du coroner. Enfin, au sortir d’une dernière conférence avec des collègues de son bureau et les enquêteurs, le substitut autorisa le dépôt d’une accusation de meurtre, le 20 mars 1991. 8. M. Proulx nia sa culpabilité, enquête préliminaire eut lieu, et il fut cité à procès, tenu à l’automne de 1991, devant un jury d’assises. Lors des plaidoiries de ce procès, le substitut conseilla aux jurés de lire la conversation du 31 mai 1983 entre M. Fernand Alain et M. Benoît Proulx, interceptée à l’insu de ce der66 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 nier, puis de substituer dans les affirmations de l’accusé Proulx, la première personne du singulier «je», aux «il» référant à l’assassin, de telle sorte que les propos de l’accusé Proulx deviennent de véritables confessions. La défense s’objecta à quelque usage, par le substitut, de cette conversation au motif qu’elle fut obtenue en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés6, tel qu’expliqué par la décision R. c. Duarte7, de la Cour suprême du Canada. Le juge des assises estima plutôt que la bonne foi des policiers le 31 mai 1983, date de l’interception de la conversation litigieuse, rachetait cette irrégularité, et conclut à son admission. 9. En outre, afin d’étayer la preuve dite d’identification, qui ne compte qu’un seul témoin, M. Paquet, le substitut a affirmé au jury que l’accusé Proulx a effectivement été identifié par ce témoin. Le substitut ira jusqu’à lui-même témoigner que lors de «la séance d’identification à nos bureaux [...] je voulais m’assurer que le témoin Paquet fasse une identification positive et je l’ai eue cette identification, je l’ai eue et vous l’avez eue aussi, vous en avez été témoin»8. En dépit des demandes répétées de la part des procureurs de l’accusé, le juge a refusé d’inclure dans son exposé au jury les mises en garde relatives à ce genre d’identification, trop ténue, affaiblie par des procédures policières irrégulières et insuffisantes. Le juge choisira au contraire d’instruire le jury de ce que «légalement, le témoin Paquet a identifié l’accusé Benoît Proulx. Il y a plusieurs façons d’identifier un accusé. Il n’est pas nécessaire que le témoin sorte de la boîte pour aller le regarder dans les yeux, loin de là [...] On peut très bien faire identifier des témoins par des photographies comme ça été le cas dans la présente»9. 10. Le 10 novembre 1991, le jury reconnut M. Benoît Proulx coupable du meurtre au premier degré de Mlle France Alain, et le juge le condamna à la prison à perpétuité. M. Proulx interjeta appel de cette décision à la Cour d’appel du Québec, qui, le 20 août 1992, cassa ce verdict de culpabilité et conclut à l’acquittement de l’accusé. La Cour unanime se pencha sur plusieurs moyens d’appel dont deux, relatifs aux éléments probatoires sus6. Dans Loi de 1982 sur le Canada, L.R.C. (1985), app. II, no 44, annexe B, partie I: «Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives». 7. [1990] 1 R.C.S. 30. 8. Proulx c. R., [1992] R.J.Q. 2047, 2064 (C.A.). 9. Id., 2068. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 67 mentionnés – la conversation du 31 mai 1983 et la séance d’identification du 11 mars 1991 – pouvaient être attribués directement à la conduite du substitut. D’une part, de trancher la Cour d’appel, les conversations enregistrées constituaient une preuve qui entachait l’équité du procès, car même s’ils étaient de bonne foi, les policiers n’avaient pas de motifs raisonnables et probables de croire que M. Proulx était relié au crime10. Or, «le préjudice qui découle de la recevabilité de cette preuve dépend avant tout de l’utilisation qu’en a faite [le substitut] au cours du procès»11. D’autre part, la Cour d’appel qualifia de «faiblesses évidentes»12 les lacunes de la preuve d’identification alimentée tant par le témoignage de M. Paquet et sa présentation par le substitut, que par l’exposé des directives du juge au jury13. II- LA RÉCLAMATION CIVILE 11. Le 3 mars 1993, M. Benoît Proulx déposa une action en dommages-intérêts contre le procureur général du Québec, reprochant à ce dernier d’avoir entamé, sur décision du substitut, une poursuite abusive, contraire aux règles du droit pénal, et sans cause raisonnable ni probable. Le procureur général rétorqua en défense qu’existaient des motifs raisonnables et probables pour porter l’accusation criminelle. Il soutint également, entre autres, que les décisions et conduite du substitut étaient protégées par des immunités de droit public. 12. Peut-être doit-on attribuer aux «troubles cardiaques sévères»14 dont il fut fâcheusement atteint, que le juge Rioux n’ait pas étoffé son court jugement du 7 août 1997, de quelque référence à la jurisprudence ou à la doctrine utile. Il y relate essentiellement et fidèlement certains extraits de l’arrêt de la Cour d’appel du 20 août 1992, acquittant le poursuivant Proulx, extraits qui identifient les illégalités ou manquements commis au procès criminel par le substitut: utilisation incorrecte d’une conversation au demeurant interceptée illégalement, puis d’une iden10. Id., 2056: «de tout temps, l’«expédition de pêche» n’a jamais été tolérée par les tribunaux.». 11. Id., 2057. 12. Ibid. 13. Id., 2068. 14. Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2509, 2515 (C.S.); le juge Rioux ne statua que sur la responsabilité uniquement, laissant à son collègue, le juge Letarte, de déterminer, le 18 août 1997, les dommages-intérêts auxquels avait droit le demandeur Proulx: Proulx c. Québec (Procureur général), [1997] R.J.Q. 2516 (C.S.). 68 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tification irrégulière ou irrecevable de l’accusé Proulx. Sans qu’il nous soit donné de comprendre s’il se soucie du droit public, d’une immunité relative en faveur des actes du substitut, ou de toute autre norme particulière, le tribunal de première instance «après avoir entendu la preuve civile, en vient aux mêmes conclusions que la Cour d’appel [en matière pénale] et décide que la Couronne a porté contre le demandeur Proulx une accusation basée sur des soupçons, des hypothèses et des conjonctures, et qu’elle l’a fait après s’être fondée sur des interrogatoires illégaux qui cachaient de véritables pièges. Le procureur général doit donc être tenu responsable des actes de ses préposés, qui ont endossé et accepté l’enquête policière qui a été menée dans ce dossier, qui y ont même participé et qui ont décidé d’aller de l’avant malgré la fragilité des éléments de preuve qu’ils avaient devant eux»15. 13. Le procureur général se pourvut en appel des décisions susmentionnées, des 7 et 18 août 1997. Le 11 février 1999, la Cour d’appel du Québec cassait le jugement entrepris, sur dissidence du juge LeBel, les juges Beauregard et Brossard formant la majorité. Parce que plus détaillée, complète et encline à approfondir certains des principaux aspects des questions de droit en cause, l’opinion dissidente du juge LeBel retient d’abord l’attention. En outre, les juges majoritaires s’y réfèrent fréquemment, ici pour s’y appuyer, là pour s’en distancer. 14. Après avoir minutieusement relaté les faits à l’origine de l’affaire, les décisions des instances pénales puis les jugements de la Cour supérieure ayant acquiescé à la réclamation en dommages-intérêts de M. Proulx contre le procureur général du Québec, le juge LeBel énumère les arguments juridiques respectifs des protagonistes du litige. L’appelant procureur général soutient en substance que le régime de responsabilité extracontractuelle de l’État, applicable également au procureur général et à ses substituts dans les circonstances de l’espèce, est de droit public, de common law publique. Défini par la Cour suprême du Canada dans Nelles16, ce régime prévoit une immunité relative en faveur du procureur général et de ses substituts, contre les réclamations civiles consécutives à des poursuites pénales abusives. Résultant de la nature quasi judiciaire des vastes pouvoirs discrétionnaires conférés au procureur général et 15. Id., 2514-2515. 16. Précité, note 4. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 69 à ses substituts en matière d’accusation pénale, cette immunité relative met à charge du réclamant d’établir que «le procureur général ou son substitut n’avait aucun motif raisonnable et probable de porter des accusations et que sa décision était animée d’une intention malveillante (mauvaise foi) ou correspondait à un objectif principal autre que celui de l’application de la loi (improper purpose)» 17 . L’appelant souligne encore que les décisions du procureur général et de ses substituts d’entamer des poursuites criminelles impliquent des considérations politiques et d’intérêt général, considérations qui qualifient de politiques les fonctions de puissance publique ainsi exercées par ceux-ci. Conséquemment le demandeur-intimé devait démontrer la mauvaise foi du substitut pour engager la responsabilité du procureur général. 15. S’il reconnaît un certain cadre de droit public au régime de responsabilité civile pertinent, le demandeur-intimé voudrait en revanche y incorporer largement les principes du droit privé, ainsi que les formulait une jurisprudence québécoise antérieure à Nelles. En effet le régime de responsabilité civile applicable à l’État en semblable litige, d’arguer le demandeurintimé, a été défini par notre Cour d’appel dans Arcand c. Procureur général du Québec18, et a intégralement survécu à Nelles. De telle sorte que le réclamant «doit établir qu’il a été acquitté et qu’une accusation avait été portée par malice ou à la suite d’une erreur grossière, ou en l’absence de motifs raisonnables et probables»19. Subsidiairement, si le contenu normatif de l’immunité relative énoncée dans Nelles devait faire autorité en droit québécois, l’appelant-intimé plaide que la mauvaise foi alors requise pourrait «s’inférer de la démonstration d’une négligence véritablement grossière, suivant l’arrêt Ampleman c. Paradis20»21. III- LA DISSIDENCE 16. Le juge LeBel choisit d’approcher le débat en trois volets successifs, savoir, d’abord (A.) le rôle du substitut dans la justice pénale canadienne, secondement (B.) le régime de responsabilité civile extracontractuelle du substitut du procureur général au Québec, finalement suivi, dans un dernier temps, de (C.) la 17. 18. 19. 20. 21. 70 Proulx [1999] 410. [1989] R.R.A. 481 (C.A.). Proulx [1999] 410; nos italiques. (1933) 56 B.R. 358. Proulx [1999] 411. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 mise en œuvre dudit régime en l’espèce. Son analyse, brève et surtout factuelle, du lien de causalité et du calcul des dommages reste marginale au présent exposé. A- Le rôle du substitut dans le cadre du droit pénal canadien 17. Muni des meilleures sources législatives 22, jurisprudentielles23 et doctrinales24, le juge LeBel en déduit qu’il «appartient au substitut de scruter les plaintes et d’autoriser celles-ci, lorsqu’il existe des motifs raisonnables et probables qu’une infraction a été commise»25, puis qu’à sa «fonction plus large que celle du procureur privé»26, et à son «rôle [qui] ne se 22. Aux termes de la Loi sur les substituts du procureur général, L.R.Q., c. S-35, ceux-ci représentent le procureur général devant les tribunaux en matière pénale (art. 3) et, plus spécifiquement selon l’art. 4, remplissent les devoirs et fonctions suivants: le substitut «examine les procédures et documents se rapportant aux infractions commises à l’encontre du Code criminel [...] et, s’il y a lieu, autorise les poursuites contre les contrevenants [...] fait compléter les preuves soumises, voit à l’assignation des témoins et à la production des documents pertinents». En outre, comme l’explique le juge LeBel, la loi ajoute à ces fonctions, «celles de plaider devant les tribunaux de première instance et d’appel, de surveiller les plaintes privées et d’en assurer la conduite, le cas échéant. Enfin, les substituts conseillent les agents de la paix et toute personne chargée de l’application de la loi sur toutes questions relatives à l’application du Code criminel [L.R.C. (1985), c. C-46] et des dispositions pénales des lois et règlements du Québec» (ibid.). 23. Notamment Procureur général du Québec c. Dorion, [1993] R.D.J. 88 (C.A)., relative au caractère confidentiel d’opinions juridiques rendues par des substituts du procureur général, et au pouvoir discrétionnaire d’une cour de justice d’ordonner la divulgation d’une preuve faisant l’objet du privilège de la Couronne; R.c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, 603, où la Cour suprême du Canada enseigne que «ni en droit ni en principe, une cour d’appel n’est investie du pouvoir d’intervenir dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite» pénale. Dans Leon v. United States of America, (1996) 134 D.L.R. (4th) 17, 19, le juge Cory, per curiam, rappelle que «in R. v. Power [ibid.], it was held that an appellate court is empowered to inquire into the exercise of prosecutional [sic] discretion only in the clearest cases of abuse of the court’s process». Voir, au même effet, Kostuch c. Alberta (A.G.), (1995) 174 A.R. 109; 102 W.A.C. (109) (Alta. C.A.); R. c. Daigle, (1997) 162 N.S.R. (2d) 81, 485 A.P.R. 81 (N.-S.S.C.); R. c. Laws, (1998) 41 O.R. 499 (Ontario C.A.); et R. c. Cain,(1998) 170 N.S.R. (2d) 393; 515 A.R. 393 (N.-S.C.A.). Le juge LeBel renvoie également aux décisions québécoises suivantes: Procureur général du Québec c. Chartrand, [1987] R.J.Q. 1732 (C.A.), et Bérubé c. Procureur général du Québec, [1997] R.J.Q. 86 (C.S.), qui illustrent la retenue judiciaire à l’égard du système accusatoire. 24. D. BUTT, «Case Comment. Malicious Prosecution; Nelles v. Ontario; RejoinderJohn Sopinka – (1994) 74 Can. Bar Rev. 366», (1996) 75 R. du B. can. 335; COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA, Poursuites pénales: les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la Couronne, 1990, Ottawa, Document de travail 62. 25. Proulx [1999] 412. 26. Id., 414. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 71 limite pas à celui du plaideur privé, chargé d’un dossier particulier», s’attache «la reconnaissance d’un large pouvoir discrétionnaire lorsque [le substitut conduit] des poursuites criminelles au nom de la Couronne»27. En somme, malgré qu’elles «se prêtent mal à une qualification globale et définitive», les tâches «multiples et complexes des substituts qui examinent, autorisent, conduisent ou, le cas échéant, mettent fin aux plaintes», ont généralement été qualifiées par la jurisprudence de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires28. 18. Sur ce, le juge LeBel aborde l’étude détaillée de l’un des gestes plus singulièrement reproché au substitut en l’occurrence. Le magistrat dissident donne alors ce qui lui paraît être la juste mesure de l’exercice régulier, par le substitut, de la fonction, quasi judiciaire, d’autoriser une dénonciation: Au départ, à cette étape du processus pénal qui est l’autorisation de la dénonciation, l’objectivité et l’appréciation froide et mesurée de l’existence des causes raisonnables et probables sont indispensables au bon exercice des fonctions du substitut. La décision de celui-ci ne peut reposer sur l’intime conviction d’une culpabilité. Il faut que le substitut conserve un certain détachement à l’égard de l’affaire pour évaluer l’ensemble des éléments de preuve disponibles, comme l’impact des règles jurisprudentielles et législatives relatives à leur admissibilité au procès, afin de déterminer s’il est objectivement raisonnable et conforme au droit d’engager une poursuite. Il n’a pas à se substituer au juge et à faire mentalement le procès. Cependant la décision d’autoriser l’accusation doit reposer sur des facteurs objectivement vérifiables et sur l’état probable du droit. L’objectif ne doit pas être d’obtenir une condamnation à tout prix. Lorsque l’obtention d’une condamnation paraîtrait au mieux aléatoire, après une analyse du dossier menée avec le détachement professionnel indispensable, le déclenchement d’une procédure pénale violerait certains des objectifs et des principes fondamentaux du système de justice pénale. Celui-ci ne permet de mettre en péril la sécurité juridique et la réputation d’un citoyen, protégé par la présomption d’innocence, que lorsque existent des motifs suffisants, qualifiés de raisonnables et probables tant par la pratique judiciaire que par les directives gouvernant la conduite des procureurs de la Couronne.29 27. Id., 412. 28. Ibid. 29. Id., 415; nos italiques. Le juge LeBel réfère aux rapports d’enquête suivants: R. BROSSARD, Rapport de la commission d’enquête Brossard sur l’affaire Coffin, Québec: Office d’information et de publicité, novembre 1964; et F. KAUFMAN, The Commission on Proceedings Involving Guy-Paul Morin, Toronto: Queen’s Printer for Ontario, 1998. 72 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Ces énoncés proviennent du droit public relatif à l’administration de la justice pénale ainsi qu’au contrôle judiciaire de la légalité des actes et gestes posés par le procureur général et ses substituts. Ils recueillent à ce point l’unanimité en droit canadien que la Cour suprême du Canada n’a pas jugé utile, dans Nelles, d’y consacrer plus d’un rappel succinct30. On peut s’interroger sur les considérations rationnelles qui ont motivé le juge LeBel à accorder autant d’attention31 au rôle du substitut dans le cadre du droit pénal canadien. Certes, vu le sérieux et la gravité tant des dommages subis par le demandeur intimé, que des manquements attribuables à la fois à notre système judiciaire pénal et au substitut du procureur général, dans cette affaire, il n’était peutêtre pas superflu de procéder ainsi à un rafraîchissement des connaissances. 19. Ce long virage en droit public du contrôle judiciaire de la légalité des gestes de l’Administration semble toutefois poursuivre également l’objectif, chez le juge dissident, de modifier la perception de l’immunité et de la responsabilité extracontractuelle subsidiaire, du substitut. Plus loin dans son opinion, le juge LeBel n’hésite d’ailleurs pas à entremêler l’une et l’autre, retenue judiciaire à l’égard de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires, et immunités fonctionnelles nécessaires au bon déroulement du processus judiciaire. Ainsi enchevêtre-t-il les deux notions et leurs fondements, pourtant distincts: [...] l’existence d’une immunité est justifiée par une tradition de retenue judiciaire à l’égard de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires et par la nécessité d’éviter d’entraver indûment le déclenchement ou l’arrêt du processus accusatoires. À ce propos, on se rappellera que la révision judiciaire des décisions des substituts en cette matière est assujettie à une norme sévère, celle du carrément déraisonnable, découlant, encore une fois, de la common law. D’ailleurs, d’autres immunités existent déjà en faveur de participants au processus judiciaire, comme les parties, les témoins ou les avocats, ou encore les juges de paix et les juges. Cette même tradition de retenue judiciaire s’applique corrélativement au contrôle a posteriori de l’action des substituts, qu’implique le recours en responsabilité civile.32 Bien que les deux notions, retenue judiciaire et immunité, poursuivent en dernier ressort un même but fondamental, soit la jus30. Précité, note 4, aux pages 191 et 192 de l’opinion du juge Lamer, sous le titre Le rôle du procureur général et du procureur de la Couronne. 31. Proulx [1999] 411-416. 32. Id., 420-421. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 73 tice, la primauté du droit ou rule of law, elles naissent de considérations différentes. La retenue judiciaire traduit le respect des cours de justice à l’égard du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs et de l’autonomie relative du pouvoir politique, ou exécutif, qui en résulte. Les juges ne peuvent intervenir sans réserve dans les affaires de l’État. D’où les limites au contrôle judiciaire de l’Administration, patiemment établies par les cours supérieures elles-mêmes, en vertu de leurs pouvoirs inhérents de common law publique, implicites en droit constitutionnel anglais non écrit33. Les immunités, au contraire, facilitent le fonctionnement du processus judiciaire, la mise en œuvre d’une instance judiciaire ou, encore, quasi judiciaire par ses intervenants: juges, commissaires, procureurs, témoins, parties et plaideurs. Les immunités ne se soucient guère de l’étanchéité ou des prérogatives des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elles recherchent essentiellement l’efficacité de la justice judiciaire, notamment la quête, respectueuse d’un minimum de garanties et protections contre les abus, de la vérité factuelle, puis la découverte, consécutive à un débat franc et vigoureux, de la règle de droit. Lorsqu’il tentera par la suite de redessiner les contours de l’immunité relative du substitut du procureur général, le juge LeBel ne reviendra pas explicitement à cet inquiétant parallèle entre la retenue judiciaire en matière de contrôle de la légalité des actes de l’Administration, d’un côté, et, de l’autre, les immunités civiles offertes aux acteurs d’une instance judiciaire ou quasi judiciaire. Mais, outre qu’il a ainsi semé l’équivoque dans l’esprit du lecteur, le juge LeBel a pu laisser croire qu’il conçoit les immunités en matières quasi délictuelles, comme une dilution, une version moins stricte, de la retenue judiciaire en matière de contrôle de légalité. Pareille conception serait regrettable car fondée sur une méprise des raisons d’être et des effets de deux phénomènes juridiques voisins, si l’on veut, mais dissemblables. B- Le régime de responsabilité du substitut du procureur général 20. Le libellé du titre qui coiffe cette seconde partie de l’importante dissidence du juge LeBel peut immédiatement susciter deux interrogations. Premièrement, ne convenait-il pas 33. Voir, notamment, Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982; et la toute récente Baker c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, C.s.C., no 25823, du 9 juillet 1999. 74 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 d’aborder prioritairement, à l’instar de la Cour suprême du Canada dans Nelles34, l’immunité même conférée à certains actes, plutôt que le régime de responsabilité, du procureur général et de ses substituts. Car l’immunité et la responsabilité, évidemment reliées, demeurent deux phénomènes juridiques distincts35, surtout que la première, par définition et vu son appartenance au droit public, détermine l’étendue de la seconde, résiduaire et de droit privé. En outre on pourrait se demander s’il n’aurait été plus significatif, instructif, de compléter ce titre par l’addition des mots «en droit québécois», tout comme, du reste, le titre de la première et précédente partie de la dissidence précisait pertinemment «en droit pénal canadien». C’est bien, en effet, de ce droit québécois que voudra nous entretenir le magistrat dissident, désireux d’y aménager un régime de «responsabilité», ou serait-ce plutôt d’«immunité», propre. Quoi qu’il en soit du titre affiché, ce régime nous sera dévoilé en quatre temps: 1) l’affirmation du droit public; 2) acte politique ou opérationnel? 3) l’étendue de l’autorité éventuelle de Nelles; et 4) la «traduction» de l’immunité relative en droit québécois. 1- L’affirmation du droit public 21. Le juge LeBel marque d’entrée de jeu un net progrès sur la jurisprudence québécoise qui a trop longtemps prévalu 34. À la p. 178, au Titre I. Les différentes positions relatives à l’immunité, et à la p. 191, II. La position canadienne, étant entendu évidemment que cette dernière est tout aussi «relative à l’immunité». 35. Comme l’explique M.K. WOODALL, «Private Law Liability of Public Authorities for Negligent Inspection and Regulation», (1992) 37 R.D. McGill 83, 95, ««Immunity» suggests a special rule that protects one from liability that would have been incurred but for the rule». C’est pourquoi P.-A. CÔTÉ, «La détermination du domaine du droit civil en matière de responsabilité civile de l’Administration québécoise – Commentaire de l’arrêt Laurentide Motels», (1994) 28 Thémis 414, 425, écrit: «Techniquement, la distinction politique/gestion ne fonde pas, en common law, une immunité de responsabilité, car la question de la responsabilité ne se soulève même pas lorsqu’il n’y a pas de duty of care». M.K. Woodall affirmait donc logiquement que «a government rendering a policy decision is not «immune» from private suit; rather, private law is simply irrelevant» (ibid.). Par contre, P. GIROUX et S. ROCHETTE, «La mauvaise foi et la responsabilité de l’État», dans Développements récents en droit administratif et constitutionnel, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, vol. 119, Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1999, 117, 122-123, ne font pas cas de cette précaution: «En vertu de la common law [...] l’autorité publique qui prend une décision qui entre dans la sphère politique n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité extracontractuelle si elle agit de bonne foi et d’une manière responsable, ce qui équivaut à une immunité relative [...] Si l’immunité relative peut être écartée, il faut appliquer le droit privé [...] L’immunité relative liée à la sphère politique est reconnue au Québec depuis l’arrêt Laurentide Motels c. Ville de Beauport [ci-après, note 51]». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 75 et qui s’efforçait tant bien que mal de juger de l’amplitude de la responsabilité civile du procureur général et de ses substituts à la lumière du seul droit privé de notre Code civil, ou en lui donnant priorité écrasante sur le droit public, la common law publique. Sauf omission, c’est la première fois depuis des décennies que notre Cour d’appel nous donne à lire clairement que «[u]n recours fondé principalement sur l’exercice de la fonction d’autorisation des poursuites criminelles, en raison du caractère politique, discrétionnaire et quasi judiciaire de ce rôle, relève d’abord du droit public.» Du même souffle, le juge LeBel écrit que «[l]’on ne se trouve pas ici devant un simple problème de responsabilité professionnelle d’avocat, réglé par le droit de la responsabilité civile contractuelle ou extracontractuelle»36. Ces heureuses affirmations contrastent singulièrement avec la doctrine et la jurisprudence qui ont répété jusqu’à récente date que l’État ou Sa Majesté, était, en matière de responsabilité civile, assimilé à un particulier et, comme celui-ci, entièrement régi par le droit civil privé. 22. Mieux encore, lorsqu’il se penche sur les sources juridiques de la responsabilité civile de l’État au Québec, le juge LeBel procède à leur décapage et rappelle que «l’immunité absolue traditionnellement accordée au souverain a été abolie au Québec dès la fin du XIXe siècle, comme le notait la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Cliche[37]»38. Il explique ensuite, avec, apparemment, une quelconque ambivalence à leur égard, que «[b]ien que traitant de la procédure civile, l’article 94 C.P. a été considéré par plusieurs auteurs comme le fondement d’une reconnaissance d’un régime de responsabilité civile de l’État québécois»39. Malheureusement pour les milieux juridiques intéressés à connaître «l’effet de l’entrée en vigueur du code civil [contem36. 37. 38. 39. Proulx [1999] 416. [1935] S.C.R. 561. Proulx [1999] 416. Ibid.; nous ne reprendrons pas ici l’argumentaire historique, statutaire et jurisprudentiel que nous avons commis dans J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 4, argumentaire qui débouchait sur le peu ou l’absence totale d’autorité de l’art. 94 C.p.c. sur la détermination des sources de la responsabilité en question. Nous poussions même la hardiesse jusqu’à y mettre en déférent doute certaines assertions, au demeurant glissées en obiter dictum, du juge Lamer dans Nelles, précité, note 4, et relatives aux sources juridiques et à la substance du régime de responsabilité quasi délictuelle de l’État québécois (id., 554-555). À la page 420 de sa dissidence, le juge LeBel aborde certains «commentaires accessoires du juge Lamer», sans les décortiquer ni en tirer de véritables points d’appui. Chose certaine, la traditionnelle conviction doctrinale à l’effet que l’art. 94 C.p.c. recèle un régime de responsabilité civile de l’État, a la vie dure; P. GIROUX et S. ROCHETTE, précité, note 35, 117-118, écrivent: «en ce qui a trait à sa respon- 76 Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999 porain], de son préambule, comme de ses dispositions traitant de l’application du livre des obligations à l’État et aux personnes morales»40, la Cour d’appel souligne, avec raison vu les dates de survenance du litige, «que le régime juridique de cette poursuite est entièrement fixé par le droit qui existait avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec[41], le 1er janvier 1994»42. En attendant un prononcé déterminant de la part des hautes instances judiciaires canadiennes sur le sujet, la doctrine cherche une voie43, qui pourrait finalement, si l’on accorde foi aux Commentaires du ministre de la Justice44, s’avérer par trop identique à l’antérieure, au statu quo ante. Or, et cela explique en partie l’attrait de l’arrêt de la Cour d’appel du 11 février 1999, les sources juridiques des immunités civiles et de la responsabilité extracontractuelle de la Couronne du Québec demeurent une terra incognita où rôdent concurremment droit public – législation et common law publique – puis droit privé, presque entièrement codifié. C’est donc via une question ciblée sur l’affaire pendante que le juge LeBel tente d’apprivoiser l’une et l’autre sources, droit public et droit privé: «[s]i aucun texte législatif ne leur accorde en 40. 41. 42. 43. 44. sabilité pour un préjudice causé à autrui, et sous réserve du droit public, le «gouvernement» québécois est assimilé par l’article 94 du Code de procédure civile à une «personne majeure et capable»». Plus explicite et, par le fait même, paradoxale, l’affirmation de J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1998, 72-73, à l’effet que «c’est seulement après 1965, que le Code de procédure civile québécois mit fin à la procédure de la pétition de droit, procédure à suivre lors des recours contre la Couronne provinciale, et prit ainsi en considération l’arrêt Cliche de 1935. Ainsi, de 1965 jusqu’au 31 décembre 1993 [veille de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec] le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle de la Couronne provinciale résidait dans l’article 94 du Code de procédure civile qui assimilait la Couronne à une personne majeure et capable pour tout recours dirigé contre elle [...] Par comparaison, la Couronne provinciale est donc soumise directement et généralement au droit commun de la responsabilité civile et non supplétivement comme pour la Couronne fédérale»; nos italiques. Id., 418; sont visés les art. 300, 1376 et 1464 C.c.Q. L.Q. 1991, c. 64. Proulx [1999] 409. Voir les références énumérées à la note 12 de J.-D. ARCHAMBAULT, La responsabilité extracontractuelle de l’État: le politique et l’opérationnel, Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1996, 3. MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC, t. 1, Québec, Les publications du Québec, 1993, art. 1376, 833: «[c]et article [1376 C.c.Q.] ne fait que codifier le droit actuel». Ledit article est libellé comme suit: «Les règles du [Livre des obligations] s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 77 termes exprès d’immunité absolue[45] contre les recours pour poursuites criminelles abusives, cela signifie-t-il pour autant que le procureur général et les substituts n’en bénéficient pas?» D’enchaîner illico le distingué magistrat, «[u]ne réponse affirmative risquerait d’assimiler totalement le régime de responsabilité pour les actes de puissance publique au régime général de responsabilité civile. Plus prudent, le droit public québécois paraît toujours retenir l’existence d’un certain nombre d’immunités provenant de la common law. Celles-ci ne sont exclues que lorsque le législateur en manifeste clairement l’intention»46. Puisqu’il ne lui suffit guère, malgré tout l’ascendant de la Cour d’appel, d’affirmer des immunités de common law publique en faveur du défendeur appelant, le juge LeBel cherche à tâtons leur provenance sous trois angles. 23. Il franchit un premier pas en direction du droit législatif applicable à la Couronne47, laquelle ne fait toutefois pas l’objet direct de la poursuite pendante, le procureur général ni le substitut n’étant ses préposés ou mandataires48. La législature ontarienne49 et, subséquemment, la Cour suprême du Canada dans Nelles, reconnaissent la distinction fondamentale, de droit public, entre le régime de responsabilité extracontractuelle de la Couronne elle-même, et celui des personnes investies de pouvoirs publics. La première jouissait de prérogatives, les secondes, nullement. Du reste il aurait été risqué de marier le droit des prérogatives, par définition réservées à la Couronne depuis sa genèse, et celui des immunités, élaborées par les Cours de justice et le 45. Nos italiques. À première vue, rien ne permet de comprendre le pourquoi de la présence de l’épithète absolue. Fallait-il qualifier l’immunité? L’affirmation serait-elle différente à l’endroit d’une immunité relative? 46. Proulx [1999] 416. 47. Art. 9 du C.c.B.-C.: «Nul acte de la législature n’affecte les droits ou prérogatives de la Couronne, à moins qu’ils y soient compris par une disposition expresse. [...]»; et art. 42 de la Loi d’interprétation, L.R.Q., c. I-16: «Nulle loi n’a d’effet sur les droits de la Couronne, à moins qu’ils n’y soient expressément compris.» 48. G. PÉPIN et Y. OUELLETTE, Principes de contentieux administratif, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1982, 483; R. DUSSAULT et L. BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e éd., tome III, Les Presses de l’Université Laval, 1989, 904-905. 49. Loi sur les instances introduites contre la Couronne, L.R.O. 1980, c. 393, qui au par. 5(6) met la Couronne à l’abri des procédures pour l’action ou l’omission d’une personne qui s’acquitte ou prétend s’acquitter d’une charge de nature judiciaire ou responsabilités relatives à l’exécution d’actes de procédure judiciaire. Cette disposition n’a évidemment pas empêché la Cour suprême du Canada, dans Nelles, précité, note 4, de diminuer l’étendue de l’immunité de common law du procureur général et de ses substituts. 78 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 législateur en faveur de certains actes ou gestes posés par la Couronne ou par ses sujets. À titre d’illustration, c’est bien la prérogative The King can do no wrong qui avait donné naissance à l’irresponsabilité extracontractuelle absolue de la Couronne. Puis le juge LeBel emprunte une seconde avenue limitrophe, celle tracée à l’égard des municipalités et autres corporations publiques, jusqu’à récemment régies par l’article 356 C.c.B.-C.50. Il puise généreusement aux magistraux enseignements du juge Beetz dans Laurentide Motels Ltd c. Ville de Beauport51, qui rappelait l’autorité de la common law publique sur le droit québécois de la responsabilité extracontractuelle des corporations publiques, et y accueillait la distinction de droit public, politiqueopérationnel, créée dans le cadre du tort de negligence52. Le juge LeBel sait évidemment que le droit des corporations, ou personnes morales en vertu de la nouvelle et plus juste appellation, de droit public, ne règle pas, à l’instar du droit de la Couronne et de ses prérogatives, le sort du procureur général et du substitut, en l’espèce. Ces derniers ne constituent ni la Couronne ou ses préposés ou mandataires, ni une corporation ou personne morale de droit public. 24. Alors seulement, le juge dissident s’avance-t-il précautionneusement sur la troisième et unique voie appropriée: «[p]ortant sur l’exercice de pouvoirs publics fondamentaux dans l’administration de la justice criminelle, les problèmes de responsabilité de l’État pour les substituts du procureur général ne peuvent ainsi s’analyser sans prendre en compte les règles de droit public»53. Au soutien de cette dernière conclusion, le magistrat invoque trois arguments plus ou moins reliés. Primo, «[s]i le droit public doit guider les tribunaux dans la détermination du contenu du régime de responsabilité civile des municipalités et corps publics, a fortiori, il en va de même pour la responsabilité de 50. «Les [corporations] politiques sont régies par le droit public, et ne tombent sous le contrôle du droit civil que dans leurs rapports, à certains égards, avec les autres membres de la société individuellement». L’art. 300 C.c.Q. dispose plutôt que les «personnes morales de droit public sont d’abord régies par les lois particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables» (nous avons ajouté les italiques). En dépit du libellé de l’art. 300 C.c.Q. et de ce que l’on pourrait croire que le droit public, au Québec comme dans d’autres juridictions de droit codifié ou de common law, prévaut sur le droit privé, J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 74, écrivent: «Il y a donc assujettissement de principe au droit civil et, par exception, au droit public, même pour l’État provincial.» 51. [1989] 1 R.C.S. 705, 724-725. 52. J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 26-31. 53. Proulx [1999] 417; nos italiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 79 l’État, du procureur général et de ses substituts, représentants de la Couronne dans l’administration de la justice criminelle»54. Tributaire d’une certaine logique, cette dialectique omet d’indiquer par quel cheminement juridique, texte de loi ou précédent judiciaire, la dimension publique des personnes morales de droit public se projette, se répercute – a fortiori – sur les auteurs de décisions quasi judiciaires, tels les substituts du procureur général ou ce dernier. Faute de solidité à toute épreuve, ce premier argument doit aussitôt être étayé par le suivant. Secundo, «de toute façon», comme s’il voyait là un incontournable à sa démonstration, le juge LeBel affirme que «ce principe fixé dans Laurentide Motels Ltd. a été établi en vertu du Code civil du BasCanada, qui est également applicable au dossier sous examen»55. On nous permettra trois remarques relatives à ce second argument. En premier lieu, le Code civil du Bas-Canada a permis de faciliter l’importation de la common law publique dans le dictum de Laurentide Motels Ltd56, grâce au libellé spécifique de l’article 356 C.c.B.-C., de droit public, qui s’adresse directement aux corporations politiques, ou publiques. En second lieu, aucune disposition du Code civil du Bas-Canada n’instaurait ni ne codifiait, à notre connaissance, quelque règle de droit public destinée aux auteurs de décisions judiciaires ou quasi judiciaires. En dernier lieu, il est d’une logique pour le moins étonnante de tenter de répondre à la question relative à la détermination des sources du droit, public et privé, applicables au dossier, en invoquant comme argument que l’une des composantes intrinsèques de la question, c’est-à-dire la source Code civil, «est également applicable au dossier». 25. Le troisième et ultime raisonnement élaboré par le juge LeBel nous semble en revanche combien plus rigoureux, conforme à notre droit public dans sa plus large acception, et étroitement taillé sur les contours du problème que la Cour d’appel est invitée à solutionner. «De toute façon», de réitérer l’honorable magistrat qui, ostensiblement, cherche une prémisse fondamentale à son raisonnement, et, estimons-nous, y parvient enfin, «le caractère public du débat ressort, comme on l’a vu, de la nature même du statut et de la mission du procureur général et de ses substituts et de leur pouvoir discrétionnaire. La mission du procureur général et de ses substituts ne saurait être assimilée à 54. Ibid. 55. Ibid.; nos italiques. 56. Voir particulièrement les notes du juge L’Heureux-Dubé, précité, note 51, 772 et s. 80 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 celle d’un plaideur particulier[57], parce qu’elle exige la prise en compte de questions d’intérêt public rattachées au rôle de l’État dans l’organisation et le fonctionnement du processus pénal et criminel»58. Voilà donc pour la dimension fonctionnelle du substitut, individu objet de la réclamation en dommages-intérêts. Maintenant et aussitôt, pour sa dimension organique ou, mieux peut-être, organisationnelle, le juge LeBel enchaîne: Certes, la propriété et les droits civils, ainsi que l’administration de la justice, relèvent de la compétence de chaque province en vertu des paragraphes 12, 13 et 14 de l’article 92 de la Constitution[59]. Cependant, la gestion de la justice criminelle s’effectue dans un cadre législatif défini par le Parlement fédéral, en vertu duquel les substituts jouent un rôle substantiellement identique à travers le Canada, sous réserve de certaines variantes régionales. Le droit criminel, par lui-même, constitue une partie fondamentale du droit public. La common law «publique» ne saurait alors être écartée pour définir le cadre juridique de cette affaire.60 Ce troisième argument possède le mérite non négligeable d’invoquer des considérations propres à l’exercice d’une tâche, à l’acquittement d’un devoir manifestement public plutôt qu’au statut ou rang de la personne qui les accomplit. Au risque d’une redite, rappelons que, même s’il fut autrefois connu sous l’appellation «procureur de la Couronne», le substitut, pas plus que le procureur général du reste, n’est un préposé de la Couronne, ni, encore moins, une personne morale de droit public. Tout comme le juge61 jouit d’une immunité absolue en raison non pas de son statut, ni de sa personne, mais bien des devoirs judiciaires qu’il remplit et des actes de même nature qu’il pose, le substitut se voit conférer une immunité relative fonctionnelle à l’égard de ses décisions et gestes quasi judiciaires. Autrement dit, l’immunité en question n’émane ni de la qualité de fonctionnaire de l’État, ni de l’appartenance au Barreau du Québec, ni de toute autre caractéristique personnelle du substitut, mais plutôt de son rôle, sa mis57. Nous soulignons que si, effectivement, la mission du substitut ne saurait être assimilée à celle d’un plaideur particulier, cela ne signifie pas cependant que ce dernier ne bénéficie pas d’une immunité relative à l’égard de ses actes et procédures judiciaires ou quasi judiciaires. Le juge LeBel prendra soin de noter que «[d]’ailleurs, d’autres immunités existent déjà en faveur de participants au processus judiciaire, comme les parties, les témoins ou les avocats, ou encore les juges de paix et les juges» (Proulx [1999] 420-421; nos italiques). 58. Id., 418. 59. Loi constitutionnelle de 1867, (L.R.C. (1985), app. II, no 5). 60. Proulx [1999] 418. 61. Morier c. Rivard, [1985] 2 R.C.S. 716. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 81 sion ou participation, dans les rouages de l’administration de la justice pénale canadienne, constitutionnellement organisée. 26. Parvenu à la «reconnaissance de la légitimité de l’application du droit public et du régime des immunités de la common law»62, le juge LeBel voudra maintenant explorer ce droit et ce régime, pour en identifier le contenu normatif applicable au litige. Il formulera alors trois questions sur lesquelles se concentreront nos trois prochaines sections, questions dont transpirent, à notre avis, certains quiproquos relatifs à la common law publique canadienne et québécoise. 2- Acte politique ou opérationnel? 27. «La première [question] est: la qualification des fonctions du procureur général et de ses substituts, plus précisément de la décision même de porter des accusations contre une personne, seront-elles qualifiées d’actes de gestion ou d’actes de puissance publique?» 63 Avant même d’y esquisser quelque réponse, l’on peut avec déférence douter de la pertinence de cette question dans la présente instance. En effet la common law publique, bien qu’elle ait indubitablement importé en droit canadien64 et québécois65 la distinction politique-opérationnel et ses conséquences sur le régime de responsabilité extracontractuelle d’une autorité publique, ne fait pas de cette distinction un usage universel. La dichotomie politique-opérationnel a été conçue par la common law publique et ne s’y applique que dans le cadre du tort de negligence, où la distinction a facilité l’imposition, à l’Administration, d’une obligation de diligence (duty to care)66. Peutêtre faut-il rappeler que les torts de la common law privée ne reposent pas, contrairement à la responsabilité extracontractuelle de notre droit civil québécois, sur un axiome aussi vaste et souple que celui de la faute génératrice de dommages67. Outre la negligence, les torts connaissent notamment la nuisance (trouble 62. 63. 64. 65. Proulx [1999] 418. Ibid. J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 63-96. Laurentide Motels c. Beauport, précité, note 51; Maska Auto Springs c. SteRosalie (Corp. municipale du village de), [1991] 2 R.C.S. 3; Québec (P.G.) c. Deniso Lebel Inc., [1996] R.J.Q. 1821 (C.A.); Guimond c. Québec, [1996] 3 R.C.S. 347. 66. J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 43, 1-2 et 26-31. 67. R. DAVID, dans Les grands systèmes de droit contemporains, 8e éd., Paris, Dalloz, 1982, 367, écrivait: «[...] on ne songera pas en Angleterre à poser des principes généraux tels que l’on trouve dans les codes du continent européen et 82 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de voisinage), la misfeasance in a public office (exercice illicite d’une charge publique68), l’assault (menace à l’intégrité physique), le false imprisonment (détention illégale), pour ne pas les énumérer tous. Or, le tort de malicious prosecution, poursuite abusive ou malicieuse, diffère, comme chacun d’entre eux, des précédents torts, y compris de la negligence. 28. En aucun moment la Cour suprême du Canada ne s’est-elle intéressée à la question de savoir de quel côté de la clôture politique-opérationnel les actes reprochés par Mme Nelles au procureur général de l’Ontario et à son substitut devaient tomber. Pourtant, quand elle prononce la décision Nelles, le 14 août 1989, la plus haute cour du pays connaît parfaitement, il va de soi, autant sa décision première Kamloops c. Nielson69, que son arrêt tout récent, du 20 avril 1989, Laurentide Motels70. Suivront, du reste, avant la fin de 1989, les sentences Just c. ColombieBritannique et Rothfield c. Manolakos71, toutes deux consacrées à préciser les tenants et aboutissants de la désormais cardinale distinction en matière de negligence. Or, Nelles ignore totalement la scission politique-opérationnel, car le litige résultait d’une malicious prosecution, tout comme, presque simultanément, Tock c. St-John’s Metropolitan Area Bd.72 n’en dit mot, puisque la Cour suprême du Canada y résolvait un cas de nuisance. Le professeur P-A. Côté entrevoyait avec perspicacité le défi que notre Cour d’appel est conviée à relever: Si l’on doit, en matière de responsabilité extracontractuelle des municipalités québécoises, examiner la common law pour en dégager des règles de droit public applicables au Québec, ne faudrait-il pas, au préalable, se demander, compte tenu des faits, quel tort, quel délit civil un justiciable d’un pays de common law aurait pu invoquer avec succès dans les circonstances? Cette opération hautement spéculative peut sembler nécessaire, car, en principe, il faudrait a priori éviter que les règles de droit public, dégagées de la 68. 69. 70. 71. 72. spécialement dans le Code civil français. Les différents types de faute et de préjudice, les circonstances variées dans lesquelles un dommage a pu être subi appellent des règles propres. Ignorant la notion abstraite de faute, les juristes anglais ne connaîtront que différentes espèces de comportements illicites, une variété de torts, et dans le cas du tort de «negligence» ils se demanderont s’il existait ou non dans les circonstances une obligation de vigilance (duty of care) à la charge du défendeur.» Roncarelli c. Duplessis, [1959] S.C.R. 121. [1984] 2 R.C.S. 2. Précité, note 51. [1989] 2 R.C.S. 1228 et 1259. [1989] 2 R.C.S. 1181. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 83 jurisprudence de common law aient, au Québec, une portée qui ne correspond pas à leur portée en common law. Or, cette portée dépend notamment du tort invoqué. Par exemple, la défense fondée sur la nature politique de l’action ou de l’inaction qui cause un préjudice présente le caractère d’une règle de droit public, mais qui peut être invoquée seulement dans le cadre du tort de negligence. Transposée au Québec, devrait-on l’appliquer dans les litiges qui, en common law, relèveraient, par exemple, du droit de la nuisance? On voit combien sera délicate l’opération de transposition des règles de la common law publique en droit civil, dans la mesure, notamment, où elle exigera du juriste québécois une grande familiarité avec la common law des torts et un processus de détermination de la portée des règles de common law qui risque de tenir parfois de la divination.73 La dissidence inscrite dans Proulx a tout de même, sans que la raison ne nous en soit livrée, utilisé l’outil politique-opérationnel, pour conclure que les actes attaqués relevaient «du régime juridique applicable aux actes de puissance publique»74, c’est-à-dire aux actes politiques. Ce recours à la distinction politique-opérationnel comporte un triple écueil. Un, il laisse croire qu’elle constitue un passage obligé dans toute poursuite en responsabilité extracontractuelle entamée contre quelque autorité publique. Deux, il affirme qu’elle dresse un étalon de mesure adéquat d’un acte qualifié de quasi judiciaire75, notamment «la décision même 73. P.-A. CÔTÉ, précité, note 35, 425. 74. Proulx [1999] 419. 75. À la note 412 de notre ouvrage précité, note 43, 122, à laquelle réfère expressément le juge LeBel (id., 418), nous affirmions que Nelles avait tranché «une poursuite civile entamée contre l’État à raison de sa mise en œuvre opérationnelle d’une loi, en l’espèce le Code criminel». Bien que la Cour d’appel du Québec estime au contraire qu’il s’agit-là d’un acte politique (et elle a peut-être raison à l’égard de certains actes du procureur général, mais peut-être tort à l’égard de certains actes de ses substituts: COMMISSION DE RÉFORME DU DROIT DU CANADA, précité, note 24, 27-28 et 79-82), le débat demeure, à notre avis, stérile, vu son impertinence au tort de malicious prosecution, en l’espèce. Notre note 412, illustratrice d’un courant jurisprudentiel canadien, accompagnait le corps de texte suivant, que nous prenons la liberté de réitérer: «les tribunaux rencontrent parfois l’application non seulement invalide mais abusive, harcelante, excessive ou arrogante d’un règlement, par les préposés publics [policiers, fonctionnaires, inspecteurs, etc.]. La common law abandonne alors le terrain de la negligence pour se porter vers les torts d’abus d’autorité publique (abuse of process, abuse of public authority) et d’exercice illégal d’un pouvoir public (misfeasance in a public office). Nous n’étudierons pas ici le droit substantif, du reste hésitant, de ces deux derniers torts, si ce n’est dans la mesure où leur persistance en common law, à l’écart de la distinction politique- 84 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de porter des accusations contre une personne». Enfin, il entre en conflit apparent avec les propres affirmations du juge LeBel, en réponse à sa seconde question au paragraphe suivant, et prolongera la confusion des sources du droit ainsi que des normes, «motif raisonnable et probable» et «malice ou mauvaise foi», jusqu’à sa troisième question exposée au titre 4 La «traduction» de l’immunité relative en droit québécois. 3- L’étendue de l’autorité éventuelle de Nelles 29. Originaire de l’Ontario, Nelles s’applique-t-il, et dans quelle mesure, au Québec? En cours de réponse, le juge LeBel surprend le lecteur en martelant, après avoir néanmoins utilisé la distinction politique-opérationnel, que le «raisonnement du juge Lamer [dans Nelles] reposait sur l’analyse du contenu du Tort of malicious prosecution et des considérations d’intérêt public, qui commandaient de protéger le procureur général et ses substituts contre une avalanche de poursuites, en respectant toutefois le droit des citoyens d’être indemnisés par des abus procéduraux»76. S’il avait véritablement perçu le sens entier de sa référence au tort particulier de malicious prosecution, le juge Lebel n’aurait peut-être pas voulu fouler, comme il l’a fait à la question précédente, les sentiers du tort de negligence, pour déboucher sur la distinction politique-opérationnel. 30. En outre, bien qu’il ait précieusement contribué à l’ordonnancement des sources du droit québécois pertinent en y rappelant l’autorité prépondérante de la common law publique puis de Nelles, le juge LeBel trace une ligne indéfinie entre le droit opérationnel, rappelle deux phénomènes. D’abord, les tribunaux n’abordent pas toutes les poursuites en responsabilité civile de l’État et consécutives à la mise en œuvre, opérationnelle, d’une norme légale ou réglementaire, en étalonnant les faits à l’aide de la common law privée qui régit normalement les actes opérationnels. En second lieu, même quand elles y ont identifié une invalidité opérationnelle, les cours exigent en outre la preuve d’une intention malveillante, d’une mauvaise foi ou d’un comportement équivalent, chez le préposé de l’État.» 76. Proulx [1999] 419; pareillement: «Le juge Lamer a utilisé l’occasion de l’examen du recours civil prévu en Ontario, c’est-à-dire le Tort of malicious prosecution, pour énoncer un principe de droit fondamental et pour discuter du lien entre le régime d’immunité et le droit privé en vigueur dans une action en responsabilité extracontractuelle», puis «[i]l est vrai que l’arrêt Nelles c. Ontario a été jugé sur la base du Tort of malicious prosecution, une action de common law privée, étrangère au droit québécois de la responsabilité civile» (id., 420). Nous reviendrons sur cette dernière assertion relative au droit québécois, au titre 4 La «traduction» de l’immunité relative en droit québécois. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 85 public et le droit privé, présumés contenus dans cette décision angulaire, ligne incidemment extrapolée en droit québécois. Ainsi le raisonnement suivant, par sa vive alternance, n’emporte pas d’emblée adhésion: les considérations de politique administrative et judiciaire examinées dans Nelles c. Ontario relèvent du droit public. Portant sur la mise en œuvre du droit national applicable partout au Canada, elles intéressent le droit privé ontarien mais doivent être prises en compte pour déterminer la nature des règles de droit public encadrant l’action en responsabilité pour poursuites abusives entamées par le procureur général et ses substituts au Québec»77. Ce va-et-vient entre droit public et droit privé est d’autant plus désorientant qu’il suit immédiatement une autre phrase connexe qui, à première vue, semble polariser, d’un côté, le régime d’immunité, et, de l’autre, le droit privé: «[l]e juge Lamer a utilisé [Nelles] pour discuter du lien entre le régime d’immunité et le droit privé en vigueur dans une action en responsabilité extracontractuelle»78. Quelques lignes plus loin, le justiciable lira cependant que «[l]’objet central du débat [dans Nelles] reste non pas le droit privé ontarien, mais la question de l’immunité du procureur général et de ses substituts». Jusque-là, il nous est difficile de savoir exactement «dans quelle mesure l’arrêt Nelles [...] trouve application au Québec». Certes si, à n’en pas douter, premièrement, le régime d’immunité est une question de droit public, et, deuxièmement, Nelles traite de ce régime d’immunité, alors, troisièmement, les règles de Nelles relatives au régime d’immunité font autorité au Québec. Bien. Ce n’est toutefois qu’à la discussion générée par la troisième et dernière interrogation soulevée dans la dissidence de Proulx, que l’on pourra finalement savoir ce que notre Cour d’appel entend par «régime d’immunité». À ce point seulement nous sera-t-il loisible de donner à cette expression un contenu, déterminé, de droit public ou de droit privé, afin de mesurer l’ascendant concret, palpable, de Nelles et de la common law publique sur le droit québécois de la responsabilité extracontractuelle du procureur général et de ses substituts au Québec, ascendant définitivement au cœur du litige Proulx. En d’autres termes, le «régime d’immunité» hérité de Nelles est-il une creuse coquille de droit public qui doit être remplie de droit privé, ou, à l’inverse, 77. Id. 420; nos italiques. 78. Ibid.; nos italiques. 86 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 fournit-il à la fois l’enveloppe et son contenu – les quatre critères énoncés par le juge Lamer – tous deux de droit public? Bref, en présupposant qu’il «devra examiner comment l’immunité relative reconnue au procureur général et à ses substituts se traduit en droit québécois», ultime volet de son raisonnement, le juge LeBel a déjà préalablement arrêté que la common law publique du «régime d’immunité» en litige n’a aucun ou peu de contenu autre que de droit privé. Pas plus que nous n’avons été instruit des raisons pour lesquelles le tort de malicious prosecution devait préalablement franchir le test politique-opérationnel, nous ne connaîtrons les considérations en vertu desquelles une immunité de common law publique doit faire l’objet d’une «traduction» en droit privé québécois79. Affirmer utilement, comme le fait le juge LeBel, que «l’arrêt Nelles c. Ontario a été jugé sur la base du Tort 79. Le professeur P.-A. CÔTÉ, précité, note 35, 428, ailleurs mentionné sur d’autres points par le juge LeBel, id., 428, aurait peut-être influencé ce dernier. Le professeur Côté avait en effet écrit: «le fait que, pour un cas donné, les tribunaux, en contexte de common law, aient décidé de ne pas assujettir l’Administration à un régime exorbitant de responsabilité n’autorise pas à conclure que, dans un cas semblable, l’Administration québécoise devrait être soumise intégralement au droit civil. L’arrêt récent Nelles c. Ontario permet d’illustrer cette proposition. La Cour suprême y a décidé que, dans le cas d’une action pour poursuites abusives intentée notamment contre le procureur général de l’Ontario, l’intérêt public ne justifiait pas que soit reconnue une immunité de responsabilité: les règles de droit commun de torts en la matière ont été jugées suffisamment exigeantes envers le demandeur [...] Pour bien saisir la portée de cet arrêt au Québec, il faut souligner que, selon la common law des torts, le demandeur qui invoque le délit civil de poursuites abusives (malicious prosecution) doit établir que le poursuivant a agi en l’absence de cause raisonnable et probable et qu’il avait une intention malveillante ou visait un objectif principal autre que celui de l’application de la loi [...] Étudiant la question dans une véritable perspective de responsabilité publique, [la Cour suprême du Canada] a jugé que la règle de common law privée [nous ajoutons les italiques] établissait un juste équilibre entre les droits de la victime et les droits de l’Administration». Dans les deux dernières phrases de son argumentation, le professeur Côté assume tout naturellement que la règle – en réalité une immunité relative en faveur des particuliers – de common law qui impose de prouver les deux éléments cumulatifs, constitue une règle de droit privé. Or, comme nous le verrons subséquemment à la partie 4 La «traduction» de l’immunité relative en droit québécois, rien n’est moins sûr que le caractère privé des immunités octroyées par la common law aux acteurs et intervenants du processus judiciaire ou de l’administration de la justice pénale ou civile, qu’ils soient de simples particuliers, citoyens, policiers, agents de la paix ou juges de paix, etc. La common law, issue d’une pensée juridique unitaire, ne se soucie guère, contrairement à la tradition continentale, de distinguer ni d’étiqueter les règles, selon qu’elles appartiendront au droit public ou au droit privé. Il reste toutefois que les immunités, absolues ou relatives, conférées à des personnes physiques, des particuliers, constituent indubitablement des immunités de common law publique, telle l’immunité relative tributaire des poursuites malicieuses ou abusives (malicious prosecution). Sauf égards dus à la plus respectée doctrine, qu’il nous soit permis en conséquence de douter de la Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 87 of malicious prosecution, une action de common law privée, étrangère au droit québécois de la responsabilité civile»80, ne règle pas la question, décisive en l’occurrence, d’identifier la source, la nature et le contenu normatif de l’immunité qui, dans Nelles, vient contrer ce tort, limiter l’étendue, l’empire de la responsabilité civile, de common law privée tout comme du Code civil. 4- La «traduction» de l’immunité relative en droit Québécois 31. «Comment l’immunité relative reconnue au procureur général et à ses substituts se traduit[-elle] en droit québécois?» Directement, le juge LeBel s’empresse de dicter que l’«existence d’une immunité, même relative et partielle, impose la preuve d’une faute qualifiée»81. Pourtant, et la précision est plus que théorique ou sémantique, le droit positif veut plutôt que l’existence d’une immunité impose au poursuivant la preuve de quatre éléments dont certains n’ont rien à voir avec la faute «qualifiée», ni le droit privé, de common law ou codifié. Le juge dissident ne tarde d’ailleurs pas à reproduire le cadre exact élaboré par le juge Lamer, qui requiert les quatre éléments probatoires suivants: a) les procédures ont été engagées par le défendeur; b) le tribunal a rendu une décision favorable au demandeur; c) l’absence de motif raisonnable et probable; d) l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui de l’application de la loi».82 En dépit de ce que le juge Lamer affirme que, en l’affaire pendante, les «deux premiers éléments sont clairs et, d’une manière générale, se passent d’explication»83, l’étude sommaire de leurs origine et contenu nous permettra d’en cerner la qualité, publique ou privée, en common law puis en droit québécois. 80. 81. 82. 83. justesse de son affirmation à l’effet que «l’arrêt Nelles ne pose pas une règle transposable au Québec puisque la Cour a appliqué à la responsabilité de l’Administration ontarienne la même règle de common law privée» (ibid.). C’est ce dernier mot, qui soutient tout l’édifice de l’argumentation, que nous jugeons incorrect. En effet pourquoi faudrait-il que toute relation entre particuliers, y compris dans le cadre de recours judiciaires ou de l’exercice de pouvoirs publics, l’accomplissement de devoirs civiques, soit régie par le droit ou la common law privée? Proulx [1999] 420. Ibid; nos italiques. Nelles, précité, note 4, 192. Ibid. 88 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 32. Exiger, en première condition, que les procédures pénales, incidemment dans l’affaire Proulx, aient été engagées par le substitut, défendeur, constitue pratiquement une évidence, une lapalissade. À tel point qu’on pourrait s’interroger sur les motifs de l’insistance de la common law à en faire mention84. Ici convient-il de relever que Nelles a aboli l’immunité absolue dont bénéficiaient le procureur général et ses substituts à raison de poursuites erronées ou prétendues abusives engagées par eux, pour y substituer une immunité relative dont jouissait tout particulier en semblable circonstance. Or, le rôle, l’initiative et l’encadrement juridiques des particuliers qui engagent des poursuites pénales contre un individu, sont, dans les juridictions qui les autorisent, beaucoup moins clairement définis, restreints ou limités que ceux réservés, parfois exclusivement, au procureur général et à ses substituts, comme c’est chez nous le cas. Il suffit de jeter un coup d’œil le moindrement attentif sur la doctrine85 de common law pour se rendre compte que cette première condition, également souvent applicable aux simples citoyens, n’est pas si évidente, d’une part, et que, d’autre part, elle soulève des difficultés qui logent à des lieues, voire en un univers autre que celui du droit privé de la faute, fût-elle «qualifiée». Cette première condition, quelles qu’en soient la complexité ou l’évidence à l’égard des gestes quasi judiciaires du substitut, appartient à la common law «publique». Elle porte essentiellement sur l’utilisation que fait un particulier, agent de la paix ou policier, en sa qualité de sujet de Sa Majesté, des pouvoirs publics accordés, confiés à tous pour assurer la paix et l’ordre public dans le Royaume. Celui qui porte une plainte ou dénonciation pénale ou une accusation de cette nature, même s’il agit de sa propre et personnelle initiative, ne pose pas un geste privé: il utilise les pouvoirs publics que le Souverain, l’État 84. Voir G.H.L. FRIDMAN, Torts, Waterlow Publishers, 1990, 580 et s., qui ne fait aucune mention de cette première condition. 85. La doctrine démêle en effet, sur la foi d’une jurisprudence pluraliste, les conditions normatives et factuelles dans lesquelles un individu, un agent de la paix, un policier ou toute autre personne qui participe au processus parfois complexe de la dénonciation, de la plainte, de la mise en accusation et de la conduite du procès, «engage» les procédures pénales subséquemment taxées de poursuites malicieuses: CLERK et LINDSELL, On Torts, 16e éd., London, Sweet & Maxwell, 1980, 1042 et s.; J.G. FLEMING, The Law of Torts, 9e éd., LBC Information Services, 1998, 674 et s.; B.S. MARKESINIS et S.F. DEAKIN, Tort Law, 3e éd., Oxford, Clarendon Press, 1994, 369 et s.; S.M.D. TODD, The Law of Torts in New Zealand, The Law Book Co. Ltd., 1991, 770 et s.; WINDFIELD AND JOLOWICZ, On Tort, 14e éd., London, Sweet & Maxwell, 1994, 574 et s. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 89 ou la puissance publique confie à tous86. Quand le législateur réserve à l’Exécutif le monopole des poursuites ou accusations pénales dans une juridiction, il n’enlève pas au simple citoyen, agent de la paix ou policier, un droit privé, mais un droit public. Cette dimension fondamentalement publique du recours, par un justiciable, à la justice pénale, ou civile du reste, notre droit québécois l’a perdue de vue, confondant ici la personne elle-même, privée, de l’individu, et là sa qualité, sa fonction, publique. Car un particulier qui entame des procédures, même civiles, contre un autre particulier, fait usage de la puissance publique, de la force contraignante d’assignation, de comparution, d’exécution ou, en cas extrême, d’outrage aux institutions, que le Souverain accepte de mettre à sa disposition. Bref, avant d’arriver à l’étude des critères de l’immunité relatifs à la démarche cérébrale, rationnelle («motif raisonnable et probable») et à l’objectif ou au but personnel («l’intention malveillante») qui animaient le poursuivant défendeur, la common law a voulu déterminer si le rôle «technique» joué par ce défendeur, et non son identité physique personnelle, dans le processus de l’administration de la justice pénale à l’intérieur du Royaume, permettait réellement que la cour lui impose de venir répondre devant elle de ses gestes. Cette première étape est strictement de droit public, d’analyse des méandres de l’administration de la Justice, totalement étrangère à faute ou au droit privé. Enfin, le fait que cette condition soit devenue, lorsque appliquée au procureur général ou à son substitut, simplissime, superfétatoire si l’on veut, ne l’a point transportée vers la common law privée, pas plus que vers le Code civil. 33. En deuxième condition, d’insister le juge Lamer, «le tribunal [pénal] a rendu une décision favorable au demandeur», ce qu’il ne faut évidemment pas limiter à acquittement. Derechef, cette prémisse ne poserait apparemment pas de difficultés majeures, encore que notre jurisprudence québécoise, si poussiéreuse qu’elle s’est enfoncée dans l’oubli collectif, a, jusqu’à un passé trop peu lointain, occasionnellement fait fi de la seconde exigence87. Qu’importe, de toute façon, sa facilité ou sa complexité 86. Voir les définitions et restrictions prévues aux art. 2, 504, 574(3) et 785 du Code criminel, précité, note 22. 87. Voir, pour une application orthodoxe de ce second critère, Huard c. Dunn, (1871) 3 R.L. 28; Filiatrault c. McManus, (1895) 8 S.C. 163; Montreal c. Lacroix, (1909) 19 B.R. 385, 411; Mignault c. The Grand Trunk Ry Co., (1911) 40 C.S. 475. Par contre, dans Richard c. Goulet, (1914) 45 C.S. 374, 384, et Stacey c. Demers, (1940) 78 C.S. 320, 326, la Cour supérieure exige plus qu’une décision simplement favorable à l’accusé demandeur, dont la plainte ou l’acte d’accu- 90 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de mise en œuvre, ce second critère relève essentiellement du droit pénal, criminel88, donc du droit public. Sauf erreur, il nous est impossible de concevoir comment le droit privé peut jeter quelque éclairage sur la question de savoir si un tribunal pénal a sation a été renvoyé pour défaut de forme: elle ne recevra la poursuite civile que si l’accusé demandeur a été véritablement acquitté au terme de son procès. Pire, dans D. c. Montréal, (1947) R.L. 257 (C.S.), le tribunal accueillera une poursuite consécutive à arrestation abusive, fondé sur absence de «cause raisonnable et probable» en dépit de la condamnation pénale de l’accusé demandeur qui s’en était suivie. De même en sera-t-il de Atlas Industries Ltd c. Campagnat, [1949] C.S. 489, 491, qui affirme que «dans une action en dommages-intérêts pour arrestation illégale [sans cause probable] l’acquittement par un tribunal de droit criminel est étranger au litige [civil]». Dans Chevalier c. Montréal, [1951] C.S. 356, 358, on lit: «Que le recorder ait acquitté le demandeur lors du procès, ce qui est admis, n’a rien à faire avec la présente cause [civile] et ne peut constituer chose jugée». Encore dans Dufour c. Tremblay, [1954] C.S. 343, 348, la cour exhumait les propos du juge Lafontaine, du début du siècle, dans Montréal c. Lacroix, (1910) 19 B.R. 385, 393, à l’effet que «si, au lieu d’alléguer simplement un ensemble de circonstances permettant de croire à la culpabilité de l’accusé, le dénonciateur [défendeur au civil] a entre les mains la preuve certaine de la culpabilité de cet accusé [demandeur], preuve certaine qu’il n’avait pas au moment où le procès a eu lieu, je ne vois pas comment on pourrait interdire à cette personne de pouvoir invoquer le fait de la culpabilité réelle de la personne qui a été accusée en réponse à une demande de dommages-intérêts, alors même que la dénonciation se serait terminée par l’acquittement de l’accusé.» Tout récemment, en 1995, la Cour du Québec a accepté d’investir temps et énergie dans «une audition longue et pénible d’une semaine» (à la p. 1271) consécutive à la poursuite en dommages-intérêts entamée contre un substitut du procureur général du Québec, par un demandeur auparavant bel et bien condamné pour voies de fait contre sa concubine, et débouté de son appel de cette condamnation. Et la cour, avant le rejet de l’action, de conjecturer: «L’argumentation [...] nouvelle et extrêmement bien étayée [...] du procureur du défendeur relativement à l’immunité «relative» des procureurs de la Couronne soulève un vieux débat qui a fait l’objet d’une jurisprudence non concordante des tribunaux tant américains que canadiens.[...] Même si ce genre de procédure en dommages-intérêts contre les substituts du procureur général peuvent être pénibles et éprouvantes [sic] pour ces derniers, ceux-ci, exerçant une fonction publique, ne peuvent éviter que les justiciables, à tort ou à raison, ne se prévalent honnêtement des recours en justice prévus par le droit civil lorsqu’ils croient avoir été victimes d’un acte volontairement malicieux ou empreint de négligence grossière, acte qui leur aurait causé des dommages»: Falardeau c. Bordeleau, [1995] R.J.Q. 1267 (C.Q.). De l’exigence de démontrer une «décision [pénale] favorable au demandeur», point de mention. Heureusement, le juge Letarte écrivait en 1997 que «le plaidoyer de culpabilité, même s’il faut en reconnaître les restrictions, est un élément difficilement compatible avec un recours en dommages-intérêts pour ... abus de procédures criminelles»: Van Rassel c. R., [1997] R.R.A. 333, 339 (C.S.). Dans ce dernier cas, le demandeur soutenait qu’il avait dû plaider coupable à certaines accusations criminelles, parce qu’il n’avait plus les moyens financiers d’assurer sa défense. Le tribunal écarte à raison la réclamation, sans toutefois invoquer quelque jurisprudence ou doctrine. 88. Voir les ouvrages de doctrine mentionnés à la note 85, précitée, qui procèdent tous, dans le même ordre, à l’analyse du second critère «Favorable termination of the proceedings». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 91 rendu une décision favorable ou non à l’égard de celui qui, présentement engagé dans une instance civile en responsabilité extracontractuelle, allègue avoir été malicieusement accusé ou poursuivi par le procureur général ou son substitut, défendeur. En d’autres termes, la question de savoir si la décision de nature pénale rendue par la Cour d’appel du Québec dans Proulx c. R.89 le 20 août 1992 fut «une décision favorable» à l’accusé, par la suite devenu demandeur intimé, était, le 11 février 1999, dans la cause civile Québec c. Proulx, une question de droit, de common law, public. Même si le demandeur intimé Proulx poursuivait le procureur général et son substitut en matière civile, l’immunité relative invoquée par ceux-ci exigeait que la Cour d’appel, le 11 février 1999, examine sa propre décision pénale du 20 août 1992 afin de voir si, uniquement à la lumière du droit pénal et de la common law de la res judicata, cette décision pénale fut «favorable» à Proulx. Comme la réponse était, en l’occurrence, évidente, les trois juges de la Cour d’appel de 1999 n’ont pas approfondi ce critère, ni ses origine et nature de droit public et pénal. 34. En somme il fallait, depuis Québec, lire avec la plus grande vigilance l’affirmation du juge Lamer, au demeurant irréprochable eu égard aux circonstances de l’affaire Nelles et dans un contexte de droit ontarien fondé sur une common law qui n’a pas à se soucier de la division publique/privée, affirmation à l’effet que «[l]es deux premiers éléments sont clairs et, d’une manière générale, se passent d’explication. Les deux derniers en revanche exigent une analyse détaillée»90. Notre Cour d’appel a donc pris au pied de la lettre, hors contexte, ces deux phrases du juge Lamer, pour sauter immédiatement à la «traduction» en droit québécois des troisième et quatrième éléments probatoires, présumant que le contenu de l’immunité relative appartenait au droit privé. Or, vu l’intérêt particulier que revêt au Québec l’identification précise des sources du droit, l’étude par notre Cour d’appel des deux premiers éléments aurait pu démontrer, comme nous le soumettons, que ceux-ci participent carrément de la common law publique, applicable telle quelle au Québec. Cette étude et éventuellement la conclusion à laquelle elle nous a mené, auraient en outre forcé le débat sur la question subsidiaire suivante: si les deux premiers éléments de l’immunité relative, effectivement clairs en l’espèce, appartiennent à la common law 89. Précité, note 8. 90. Nelles, précité, note 4, 192. 92 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 publique, pour quelles raisons les deux derniers éléments, bien que requérant une analyse détaillée, relèveraient-ils de la common law privée ou du droit privé? Toute réponse aurait eu l’avantage de mieux amarrer les énoncés des sources du droit québécois et de donner de meilleures assises à l’analyse des deux derniers éléments de l’immunité relative en litige. 35. Quand il a complété une brève description des deux derniers éléments, «l’absence de motif raisonnable et probable»91 et «l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui de l’application de la loi»92, le juge Lamer insiste sur le lien cumulatif, et non alternatif, qui unit ces troisième et quatrième conditions requises: Pour avoir gain de cause dans une action pour poursuites abusives intentée contre le procureur général ou un procureur de la Couronne, le demandeur doit prouver à la fois l’absence de motif raisonnable et probable pour engager les poursuites et la malveillance prenant la forme d’un exercice délibéré et illégitime des pouvoirs de procureur général ou de procureur de la Couronne, et donc incompatible avec sa qualité de «représentant de la justice».93 Le juge LeBel a fidèlement transcrit et la précédente insistance du juge Lamer sur le caractère cumulatif des deux derniers éléments de l’immunité, et leur description par le même haut magistrat. Le juge LeBel met aussitôt le cap sur ce qu’il estime être le droit québécois, droit vers lequel il veut traduire ces troisième et quatrième éléments. 91. «Un motif raisonnable et probable a été décrit comme [...] la croyance de bonne foi [»an honest belief»] en la culpabilité de l’accusé, basée sur la certitude, elle-même fondée sur des motifs raisonnables, de l’existence d’un état de faits qui, en supposant qu’ils soient exacts, porterait raisonnablement tout homme normalement avisé et prudent, à la place de l’accusateur, à croire que la personne inculpée était probablement coupable du crime en question [...] Ce critère comporte à la fois un élément subjectif et un élément objectif. Il doit y avoir une croyance réelle de la part du poursuivant et cette croyance doit être raisonnable dans les circonstances. La question de l’existence d’un motif raisonnable et probable est à décider par le juge et non par le jury»: id.,193. 92. «L’élément obligatoire de malveillance équivaut en réalité à un «but illégitime» [...] la malveillance [...] veut dire davantage que la rancune, le mauvais vouloir ou un esprit de vengeance, et comprend tout autre but illégitime, par exemple, celui de se ménager accessoirement un avantage personnel»: ibid.; nos italiques. 93. Ibid.; les soulignés proviennent de l’opinion répertoriée du juge Lamer; fait anodin, ils ont été transformés en des italiques, à peine perceptibles, par les arrêtistes de la Société québécoise d’information juridique, dans Proulx [1999] 421. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 93 36. «Au Québec», débute le juge LeBel, «le principal arrêt sur la question demeure celui rendu dans Arcand c. Procureur général du Québec94»95. Le juge Bernier, à l’opinion duquel souscrit le banc, y déboute sans quelque référence jurisprudentielle ou doctrinale, ni interrogation ou allusion relative aux sources juridiques utiles, une réclamation civile en dommagesintérêts consécutive à poursuite abusive. Il s’en remet, à cet égard, à la ratio decidendi du juge Boisvert, de première instance, que reprend d’ailleurs le juge LeBel: La jurisprudence est constante au Québec, pour pouvoir réussir dans une poursuite en dommages suite au dépôt d’une dénonciation, il faut d’abord que le demandeur ait été acquitté de l’accusation portée[96] et ensuite qu’il fasse la preuve que la dénonciation a été faite par malice de la part du plaignant ou par suite d’une erreur grossière ou d’un geste téméraire ou encore en l’absence de cause raisonnable et probable.97 Quelques observations préliminaires s’imposent. Primo, Arcand, certes non négligeable et relativement récent, du 26 avril 1989, outre son silence sur les sources juridiques, ne traite pas expressément d’une quelconque immunité, ni évidemment, de l’effet de Nelles, du 14 août 1989. Secundo, le juge Bernier y endosse le diagnostic du juge Boisvert à l’effet que la «jurisprudence au Québec est constante», notamment en ce que, contrairement aux deux derniers éléments cumulatifs de Nelles, on y retrouve des éléments alternatifs. Tertio, il y eut, après Arcand, soit le 22 avril 1996, un autre prononcé de la Cour d’appel du Québec, du reste noté par le juge LeBel98, apparemment tout aussi «principal» qu’Arcand, à l’égard de la responsabilité extracontractuelle consécutive à des accusations injustifiées: Levy c. Lechter99. Or, cette dernière décision unanime met en parallèle et à la suite l’un de l’autre, deux énoncés de base, sensiblement différents, du droit pertinent. En effet, juste avant de reproduire l’exposé des critères alternatifs formulé par le juge Bernier dans Arcand, la Cour d’appel prend le soin, dans Levy, d’affirmer paradoxalement: 94. [1989] R.R.A. 481 (C.A.), ci-après, Arcand. 95. Proulx [1999] 421. 96. Nelles, précité, note 4, 192, requiert plutôt «une décision favorable au demandeur», notion plus vaste que l’acquittement. 97. Arcand, précité, note 94, 483; nos italiques. 98. Proulx [1999] 422, à la note 68. 99. [1996] R.R.A. 346 (C.A.), ci-après, Levy. 94 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Les principes de droit applicables en l’espèce ont été posés de la façon suivante, par le juge Tyndale, dans l’arrêt Bertrand c. Racicot[100]: The main question raised [...] is as to the liability of a person who instigates criminal proceedings against another. The general rule is that every citizen has the right, and sometimes the duty, to do so if he has reasonable and probable grounds for believing that a crime has been committed (Cr. Cd. 455 [aujourd’hui 504]) and it is important in the administration of justice that he be free to do so without fear of any consequences: he only incurs liability if the prosecution fails and if he acts without reasonable and probable grounds or from improper motives. A great issue was made [...] of the presence or absence of malice on the part of the [Defendant], and before I go further I wish to tackle that issue. In this province the sole basis for an action for damages due to what is variously called «false arrest», «malicious prosecution» or «abus de procédures» is article 1053 C.C. [...] It is based on the notion of fault, as judged by the conduct of a reasonable man, «un bon père de famille», and that is the sole test.101 La Cour d’appel de 1996, dans Levy, interrompt à ce point précis son emprunt au juge Tyndale, frustrant malheureusement le lecteur de la véritable pensée et des authentiques explications endossées unanimement par le banc d’appel de 1985. Le juge Tyndale y continuait: I get the impression that under the common law it is, like defamation and others, a separate and distinct tort, to which are applied special and particular rules that have evolved only from and for cases dealing with that tort. How often has it not been laid down by the highest authorities that we in Quebec have neither the need nor the right in the interpretation and application of our civil law to import foreign rules [...] It is therefore my opinion that it was unnecessary for the [plaintiff] either to allege or to prove malice (as we generally understand the word) on the part of the [Defendant] in order to succeed. It is sufficient to allege and prove fault, or conduct amounting to fault.102 37. Au sortir de cette trilogie judiciaire, de 1985 à 1996, il n’est pas aisé de déceler avec précision autant les sources juridiques que le contenu normatif du régime d’immunité et de responsabilité extracontractuelle du procureur général et de ses substituts, établi en Cour d’appel du Québec, avant ni même après 100. 101. 102. [1985] R.D.J. 418, 419 (C.A.). Levy, précité, note 99, 348-349. Bertrand c. Racicot, précité, note 100, 419-420. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 95 Nelles. D’autant plus que, curieusement et symptomatiquement, hormis les trois récentes décisions précitées, toute la jurisprudence pertinente de notre Cour d’appel répertoriée au cours des cinquante dernières années ne le fut, sauf omission, qu’à l’état de résumé103. Ce déplorable phénomène a contribué à obscurcir les origines et la substance de notre droit en la matière. À défaut d’avoir loisir, dans le cadre restreint de cette analyse jurisprudentielle, de dépouiller exhaustivement une jurisprudence touffue en provenance de la Cour d’appel antérieure à 1949104 et des cours de rang inférieur105, nous limiterons notre étude critique à quelques matériaux essentiels immédiats. 38. Il ressort d’abord des décisions Arcand, Bertrand et Levy, les deux dernières relatives à des accusations dites malicieuses entamées par des particuliers, plutôt que le procureur général, que nos tribunaux ne situent pas expressément la moindre partie du débat juridique en terrain de droit ou common law public, ni d’immunité absolue ou relative. La meilleure illustration de cette négation du droit public réside dans le refus explicite du juge Tyndale, écrit en 1985 et repris en 1996, de tenir compte des règles spéciales que la common law publique a développées en réponse à certains effets indésirables des torts de common law privée. Le juge Tyndale donne l’exemple particulièrement éloquent du tort de diffamation, limité en common law par des immunités, absolues ou relatives, de droit public et appuyées sur le droit fondamental à la liberté d’expression de tout citoyen, ou sur le bon fonctionnement des institutions démocratiques. Notre jurisprudence et notre doctrine québécoises sont demeurées majoritairement insensibles à ce droit public et persistent toujours à 103. 104. 105. 96 Voir Wittenberg c. Plouffe, [1949] B.R. 237; Bélanger c. Paquet, [1949] B.R. 388; Foisy c. Lord, [1949] B.R. 563; Desrochers c. Côté, [1950] B.R. 158; Thow c. Price, [1953] B.R. 590; Gagnon c. Hotte, [1960] B.R. 975; Labrecque c. Millette, [1962] B.R. 670; Ringuette c. Langlois, [1964] B.R. 315; Provencher c. Cloutier, [1964] B.R. 733; Lafond c. Dodier, [1967] B.R. 970; Laval c. Taylor, [1970] C.A. 453; P.G. du Québec c. Létourneau, [1977] C.A. 223. Deux seules décisions de la Cour suprême du Canada furent répertoriées, à notre connaissance, sur un tel litige issu du Québec: Poitras c. Lebeau, (1888) 14 S.C.R. 742 (résumé), et Hétu c. Dixville Butler and Cheese Ass’n, (1908) 40 S.C.R. 128, 133, brève et peu éclairante décision de quatre pages où le juge en chef Fitzpatrick estime non nécessaire, en l’espèce, de se prononcer sur la question de savoir si le demandeur doit alléguer et prouver que «the prosecution was started maliciously to injure him and without reasonable and probable cause.» Le juge LeBel ne peut d’ailleurs que constater les variations de la jurisprudence québécoise de la dernière décennie: Proulx [1999] 422 et les notes 67 et 68. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 assujettir la liberté d’expression au droit privé, allant même jusqu’à juger fautive l’expression d’une vérité factuelle106. 39. En confondant ainsi les torts de common law privée et les immunités de common law publique, pour écarter simultanément et erronément les uns et les autres, on investit notre droit privé québécois de facultés qu’il n’a pas, pour lesquelles il n’est guère conçu. Cela donne des incertitudes, des incohérences, où l’on veut réunir, fondre, sans trop l’admettre, des considérations de common law à des énoncés prétendument de droit privé: «Au Québec, le «tort» de poursuites abusives trouve son équivalent sous l’article 1457 du Code civil du Québec sous réserve que le fardeau de preuve est le même [que celui du tort]: la faute simple ne suffit pas»107. S’il est vrai que les torts sont étrangers au droit privé du Code civil, en retour les immunités et fardeaux de preuve particuliers que la common law publique élabore à l’égard de torts spécifiques, modifient, circonscrivent le droit privé québécois. Prétendre que ces immunités ont leur «équivalent» en droit privé québécois, chercher en droit civil des équivalences à des éléments de droit public, a mené nos tribunaux à des divergences et à affirmer la quadrature du cercle suivante: le seul test de la responsabilité civile est la faute mais il faudra ici au demandeur prouver en outre mauvaise foi – peut-être – ou, à moins que ce ne soit et, «absence de motif raisonnable et probable», expression résolument tirée de la common law mais dont on doit 106. 107. J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 302: «Il y a, à notre avis, responsabilité lorsque les faits publiés sont exacts, mais que la publication n’a pour but que de nuire à la victime. Le droit à la libre expression ne peut être utilisé dans le seul but de porter préjudice à autrui»; nos italiques. Cette conception, répandue en jurisprudence, reflète une étonnante perception du débat public, de la recherche démocratique de la vérité, et des droits fondamentaux à la libre expression et à l’information. De renchérir récemment la Cour supérieure, dans Beaudoin c. La Presse Ltée, [1998] R.J.Q. 204, 211: «il ne suffit pas qu’une chose soit vraie pour que quiconque puisse la dire à n’importe qui. Toute vérité n’est pas bonne à dire. Il faut qu’il y ait intérêt public à dire cette vérité et que celle-ci ne soit pas communiquée dans le seul but de nuire [...] la vérité ne fait pas foi de tout». Outre qu’il laisse transpirer une curieuse hiérarchie des valeurs, individuelles et collectives, ce droit de la diffamation doit son état inquiétant à son ignorance du droit public, notamment des immunités de common law publique, qui tempère les effets, autrement excessifs, du tort de defamation. Voir, d’un côté, R. PÉPIN, «La vérité et la liberté d’expression», (1987) 18 R.G.D. 869, 877, sous l’éloquent titre III – Les limites apportées par le droit civil, et, de l’autre, R.E. BROWN, The Law of Defamation in Canada, vol. 1, Carswell, Toronto, 1987, 361-726. P. GARANT, Droit administratif, 4e éd., Volume 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1996, 565, dont le juge LeBel cite de longs extraits (Proulx [1999] 422). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 97 s’accommoder par convenance, ou par une contrainte tacite, voire inavouable. 40. D’aucuns voudront rétorquer que l’immunité de la Couronne ou de l’État et de ses auxiliaires, au Québec, a été abolie il y a longtemps, et qu’elle fut remplacée par le régime de responsabilité des particuliers, ou «assimilable» à celui-ci, qui ne laisse aucun espace à la common law publique. Le premier argument ne fait point doute depuis la décision R. c. Cliche108 . Le second est un peu court109. Malgré un discutable obiter dictum du juge Lamer, relatif aux sens et portée de l’amendement de 1966 du Code de procédure civile110, amendement qui mettait fin à la vétuste procédure de la pétition de droit, le juge LeBel maintient avec raison, comme le juge Lamer d’ailleurs, que «la question de fond de l’immunité des procureurs de la Couronne n’a pas été tranchée», et que sa réponse participe également du droit public. On peut en conséquence mettre en doute l’opportunité de recourir encore, comme le fait le juge LeBel, à la jurisprudence de la Cour d’appel du Québec des dernières années, qui «n’a pas tranché la question» et, de façon plus gênante, a délibérément refusé de réfléchir dans le cadre de la common law publique, pour nous livrer «des divergences dans les méthodes d’analyse»111. N’aurait-il pas mieux valu, à l’instar de certains arrêts québécois postérieurs à Nelles112, faire table rase et reconnaître, au moins tacitement, par un silence de circonstance, que notre jurisprudence antérieure à Nelles était, au mieux, incertaine, voire incohérente, sur les sources du droit puis les immunités et la responsabilité civile qui en découle. 41. Cela dit et avant d’aborder l’étude de l’usage qu’en tire le juge LeBel, approchons le troisième élément de l’immunité relative consacrée par Nelles, «l’absence de motif raisonnable et probable». Dans Bertrand, on l’a vu113, le juge Tyndale consentait à fouiller le Code criminel pour en extraire, ici et là114, l’expression 108. 109. 110. 111. 112. 113. 114. 98 [1935] S.C.R. 561. Voir J.-D. ARCHAMBAULT, précité, note 4. L.R.Q., chap. C-25; le juge Lamer attribuerait à l’art. 94 C.p.c. «la situation tout à fait différente» du Québec: Nelles, précité, note 4, 181. Proulx [1999] 422. Notamment Forget c. Commission des valeurs mobilières du Québec, [1993] R.J.Q. 2145 (C.S.). Précité, note 100. Par exemple, le par. (2) de l’art. 31 du Code criminel, précité, note 22: «Tout agent de la paix est fondé à recevoir en sa garde un individu qui lui est livré comme ayant pris part à une violation de la paix par quelqu’un qui en a été témoin ou que l’agent croit, pour des motifs raisonnables, avoir été témoin de cette violation»; nos italiques. Voir aussi l’art. 25. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 «motif raisonnable et probable», qu’il insérait ensuite au fardeau de preuve du réclamant en matière civile. Le distingué magistrat croyait ainsi conserver sa pureté au droit civil, y introduisant une common law «décaféinée», neutralisée. Pourtant, en droit pénal tout au moins, le concept «motif raisonnable et probable» n’est-il pas de droit public, de common law publique. Récemment, dans Leroux c. Montréal (Communauté urbaine de), le demandeur poursuivait l’autorité publique en dommages-intérêts consécutifs à une arrestation injustifiée. La Cour supérieure dirigea son attention vers l’«article 450(1) du Code criminel [qui, semblablement] stipule que la police doit avoir des motifs raisonnables et probables de croire que [le demandeur] a commis une infraction pour pouvoir l’arrêter [sans mandat]»115. Puis elle s’en remit aux propos du juge Cory, de la Cour suprême du Canada, qui, dans l’affaire R. c. Storey116, empruntait à la Cour d’appel anglaise le passage suivant: Le pouvoir qu’ont les agents de police d’arrêter une personne sans mandat, que ce soit en common law [...] ou en vertu d’une loi, pourvu toujours que leurs soupçons reposent sur des motifs raisonnables, constitue une protection précieuse pour la collectivité [...] Le public est protégé par la condition préalable, existant en common law et, pour autant que je sache, dans toutes les lois, selon laquelle, avant de procéder à l’arrestation, l’agent de police doit être convaincu de l’existence réelle de motifs raisonnables de soupçonner la culpabilité.117 La Common law dont traite la Cour d’appel anglaise est évidemment la common law «publique», qui régit le droit pénal. Lorsqu’elle est transposée dans un cas de «false arrest», tort spécifique, et qu’elle devient l’une des conditions de l’immunité relative conférée à un policier, agent de la paix ou tout autre individu, non pas en cette qualité, mais à raison d’un acte public déterminé, soit une arrestation, la norme des «motifs raisonnables» ne cesse guère d’être de common law «publique». Il s’agit d’une norme de common law publique qui, jointe à un tort de common law privée, contribue à la détermination du régime, de l’étendue, de la responsabilité civile – par opposition à pénale – de l’auteur d’une arrestation sans mandat, ou «false arrest». Et si, comme elle l’a conclu dans Leroux c. Montréal (Communauté urbaine de)118, la Cour constate «absence de motifs raisonnables» selon les canons du 115. 116. 117. 118. [1997] R.J.Q. 1970, 1996. [1990] 1 R.C.S. 241, 249-251. Dumbell v. Roberts, [1944] 1 All E.R. 326, 329 (C.A.); nos italiques. Précité, note 115, 1997. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 99 droit public, elle peut alors écarter l’immunité relative de droit public et cheminer vers la responsabilité et la faute de droit privé. Soulignons au passage que l’arrestation sans «motifs raisonnables» est une chose, tandis que l’arrestation violente119, brutale, accompagnée de voies de fait120, entachée d’erreur sur la personne, accomplie de manière grossière ou exagérée, bref contraire aux règles professionnelles d’exécution d’un tel acte, en est une autre. Dans ce dernier cas, aucune immunité relative, de common law publique, ne protège l’auteur de l’arrestation litigieuse, assujetti au seul droit civil privé. Quant à l’immunité relative déclarée par Nelles, elle ne constitue pas une protection pénale mais civile, et porte sur les accusations criminelles menées par le procureur général et ses substituts. De common law publique, cette troisième condition, l’absence de motif raisonnable et probable, ne peut être modifiée, altérée, par le droit privé. Si «absence de motif raisonnable et probable» devait prendre une couleur distincte en droit québécois, ce serait en droit public, en common law publique, québécois. 42. La norme de l’«absence de motif raisonnable et probable» peut également être traitée avec profit dans un autre registre, celui des anciennes procédures civiles québécoises menant à incarcération d’un débiteur, pour jeter un éclairage utile sur sa nature publique, de common law anglaise. Notre procédure civile, notamment certaines mesures provisionnelles et les recours extraordinaires, possède de profondes racines anglaises121. La Conquête avait introduit chez nous, entre autre, le capias ad respondendum122, procédure de contrainte par corps avant jugement qui permettait à un créancier d’obtenir, sur requête accompagnée d’affidavit, l’emprisonnement d’un débiteur qui, selon ce créancier, menaçait de quitter définitivement la province sans avoir dûment acquitté sa dette. Très tôt il arriva que ce débiteur, judiciairement relâché à la suite d’une incarcération 119. 122. Là encore, notons que le paragraphe (4) de l’art. 25 du Code criminel, précité, note 22, prévoit qu’un agent de la paix qui procède légalement à l’arrestation, avec ou sans mandat, d’une personne pour une infraction au sujet de laquelle cette personne peut être appréhendée sans mandat, ainsi que toute personne aidant légalement l’agent de la paix, est justifiable, si la personne qui doit être appréhendée s’enfuit afin d’éviter l’arrestation, d’employer la force nécessaire pour empêcher cette fuite, à moins que l’évasion puisse être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente. Chartier c. Québec (P.G.), [1979] 2 R.C.S. 474. J.-M. BRISSON, La formation d’un droit mixte: l’évolution de la procédure civile de 1774 à 1867, Les Éditions Thémis, Montréal, 1986, 99 et s. Id., 90 et s. 100 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 120. 121. consécutive à une requête en capias hâtive ou mal fondée en fait ou en droit, entama en revanche une réclamation en dommagesintérêts contre son créancier auteur du capias injustifié. Dès 1857, notre Cour du banc de la Reine assujettit le débiteur demandeur au fardeau de prouver que le créancier défendeur avait agi «without any reasonable and probable cause, or right or colour of right whatever»123. Lors de l’adoption du Code de procédure civile, en 1867, soit au lendemain de celle du Code civil du Bas-Canada, de 1866, les codificateurs, sûrement au fait de l’art. 1053 C.c.B.-C., insérèrent au Code de procédure civile une Disposition générale, introductive des mesures provisionnelles, dont le capias, et libellée sous l’art. 796 comme suit: Un demandeur peut obtenir, en certains cas, simultanément avec l’ajournement, ou pendant l’instance et avant jugement, que la personne du débiteur, ou ses biens, ou la chose en litige soient mis sous la main de la justice, ainsi qu’expliqué dans les chapitres qui suivent, sauf au défendeur son recours en dommages en prouvant absence de cause probable dans la poursuite de ces voies extraordinaires. (nos italiques) Invité à assurer l’harmonie des deux normes, 796 C.p.c. et 1053 C.c.B.-C., le juge en chef de la Cour du banc du Roi enseigne, en 1892, que les «règles de droit [exigeant preuve de malice et absence de cause raisonnable] ne sont pas une violation de l’art. 1053 (C.C.), qui veut que chacun soit responsable de sa faute, car un plaideur qui réclame devant un tribunal est dans l’exercice d’un droit; or, il est de principe que celui qui cause du dommage quand il exerce son droit, n’est pas responsable, vu qu’il n’est pas en faute. Cependant, dans l’exercice de ce droit particulier, la loi, pour des motifs d’équité, a assujetti le plaideur malheureux au paiement des frais du procès. Mais là s’arrête sa responsabilité. [Ces règles] s’appliquent à la défense comme à la demande, et elles reçoivent leur application, que le plaideur soit heureux ou malheureux, pourvu qu’il soit dans les conditions exigées par la loi, c’est-à-dire qu’il y ait absence de malice et cause probable»124. Les juristes de l’époque savaient donc que notre procédure civile – par opposition à pénale – véhiculait des institutions de droit public anglais relatives à l’organisation des tribunaux, l’administration 123. 124. David c. Thomas, (1857) 11 L.C.J. 69, 78-79. Au même effet, Laidlaw c. Burns, (1866) L.C.R. 318, 321 (C.B.R.); dans ce dernier cas, le banc n’arrive pas à afficher une position commune sur la nécessité d’établir, explicitement et en sus de l’«absence de cause raisonnable et probable», la malice ou la mauvaise foi de l’initiateur de la procédure d’emprisonnement (id., 322-323). Scott c. McCaffrey, (1892) 1 K.B. 123, 125-126. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 101 des instances judiciaires et certaines mesures provisionnelles ou extraordinaires, notamment, dans ce dernier cas, les mesures provisionnelles et brefs de prérogative. Bien que ce soit dans le but de faire respecter ou consacrer un droit privé, tel une obligation contractuelle ou extracontractuelle, la mise en marche, par un justiciable, d’un mécanisme judiciaire fourni par la puissance étatique, constitue un geste public, d’abord assujetti au droit public. Le droit de la procédure civile ne violait pas le Code civil ni son article 1053, mais imposait, au réclamant, avant qu’il s’y rende, des conditions normatives et constitutives d’une immunité relative en faveur du défendeur auteur de la procédure reprochée. 43. Malgré l’incompréhension et les critiques de la doctrine125 d’alors, le législateur québécois profitera d’une substantielle révision du Code de procédure civile, en 1897, pour modifier l’article 796, désormais numéroté 893, de façon à le compléter et y substituer à l’expression «cause probable» la formule «cause raisonnable et probable». Il mettra ainsi en œuvre la recommandation des commissaires qui voulaient «préciser le sens d’une règle importante, et [...] incorporer dans le texte les termes mêmes dans lesquels elle est généralement exprimée en jurisprudence [anglaise] (Abrath & North Eastern Ry. Co., (1886) L.R. 11 App. Cas. [247])»126. Or, cette dernière décision de la Chambre des lords, qui tranchait une réclamation en dommages-intérêts consécutive à accusation et poursuite pénales dites malicieuses, réaffirmait «the two ingredients [...] which are necessary for the maintenance of such an action, that is to say, malice and the absence of reasonable and probable cause»127. En somme, notre 125. 126. 127. 102 C.E. DORION, «De la jurisprudence dans les actions en recouvrement de dommages résultant de poursuites malicieuses», (1895) 11 R.L.n.s. 53, 53-55, voit dans les critères «malice et cause probable», «[a]utant d’expressions inconnues dans le droit français [tandis qu’il] est indiscutable que cette matière des actions en dommages résultant de poursuites vexatoires forme partie du droit civil, non seulement par sa nature, mais d’après le texte même de notre [art. 1053 C.c.-B.-C.]». Ignorant autant l’origine législative des mesures provisionnelles que le libellé explicite de l’art. 796 C.p.c., le chroniqueur affirme que l’«on chercherait en vain ailleurs que dans l’art. 1053 du C.c. [qui] offre au moins l’avantage d’être plus clair et d’une application plus facile [...] le principe des actions en dommages, même pour ceux qui résultent de procédures vexatoires» (id., 57). Voir P.G. MARTINEAU et R. DELFAUSSE, Code de procédure civile de la Province de Québec, C. Théorêt, 1899, Montréal, 572. À la p. 251. Notre Cour supérieure utilisait déjà ce double critère depuis un certain temps à l’égard des réclamations civiles tributaires d’accusations pénales vexatoires: Lefuntun c. Bolduc, (1878) 1 L.N. 266: «The only points now before me are the malicious and want of probable cause [...] They are both essentials of the plaintiff’s action». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 droit voulait que l’exercice de toute procédure, pénale ou civile, soit accompagné d’une immunité relative, issue de la common law publique qui régit la constitution et l’administration des institutions judiciaires, en faveur de tout justiciable. Du reste, dans l’intervalle, la Cour du banc de la Reine avait invoqué, eu égard à une injonction prétendue vexatoire, que «le principe qui a de tout temps été appliqué sur actions en dommages pour poursuites malicieuses [est à l’effet] que le demandeur doit alléguer et prouver malice et absence de cause probable, et ce principe doit s’appliquer à un bref d’injonction comme à toute procédure civile»128. 44. Il faut toutefois reconnaître que la présence aussi déterminante de normes de common law publique anglaise, codifiées par surcroît, et intimement voisines du sacro-saint Code civil, de son crucial article 1053, fut perçue comme une menace intolérable à la pensée privatiste. L’un des plus fervents adeptes de la tradition civiliste française, le juge Rivard, de la Cour du banc de la Reine, invoque l’intégrité et l’autorité exclusive de l’article 1053 C.c.-B.-C., qui débouchent immanquablement sur la soumission de l’initiateur d’une procédure avérée illégale, à l’obligation préexistante d’avoir «pris toutes les précautions d’un bon père de famille»129. Pour arriver à ses fins, le juge Rivard recourt alors à un processus d’assimilation ou d’«équivalence»130 , processus identique à celui que l’on retrouve aujourd’hui en jurisprudence et en doctrine québécoises. Il écrit, en fusionnant indistinctement tous les concepts et critères: Pour qu’il y ait responsabilité en dommages de la part de celui qui institue des procédures judiciaires, il faut que cet acte puisse lui être reproché à titre de faute, c’est-à-dire qu’il l’ait posé sans motif raisonnable, dans un dessein malicieux; autrement, il n’encourt que la responsabilité du plaideur téméraire: il paye les frais. Parce que l’acte reproché constitue l’exercice d’un droit reconnu par le législateur, il n’y a véritablement faute productrice de responsabi128. 129. 130. Montreal Street Ry. Co. c. Ritchie, (1887) 5 M.L.R. 77, 86-87, confirmant (1887) 3 M.L.R. 232; nos italiques. La Cour suprême du Canada confirma expressément la double exigence probatoire: Montreal Street Ry. Co. c. Ritchie, [1889] S.C.R. 622, 630, 633-634. Canadian Last Block Co. Ltd. c. Lord, (1923) 34 B.R. 130, 131; au même effet, Layton c. Cité de Montréal, (1916) 23 R.L.n.s. 132, 136 (C.B.R.). En analysant la jurisprudence pertinente du XIXe s., J.-M. BRISSON, précité, note 121, 109, conclut: «Par désir de convaincre, par prudence ou peut-être même par désarroi, il est devenu d’usage pour les juges comme pour les avocats de signaler que, sur une question donnée, le droit anglais et le droit français concordent et n’offrent pas de solutions divergentes». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 103 lité que si le plaideur, abusant des moyens mis à sa disposition, poursuit avec une légèreté coupable et sans cause plausible. Qu’on lui reproche de la légèreté, de l’imprudence, de la négligence, ou qu’on invoque contre lui «l’absence de cause raisonnable et probable» suivant les termes de l’article 893 C.P., c’est toujours l’infraction à la règle formulée dans l’article 1053 C.C. qui est la source de sa responsabilité. [...] Le système du droit anglais est, du reste, concordant. [...] Ajoutons seulement que l’existence d’un motif autre que celui de faire valoir un recours légitime, l’intention d’abuser de l’exercice du droit, ou, si l’on veut, l’absence de cause raisonnable et probable étant l’un des éléments essentiels de la faute, il incombe à celui qui se plaint de l’établir; il doit démontrer par là que la procédure n’était pas le résultat d’une juste erreur.131 Certains auteurs de l’époque se montreront plutôt intransigeants sur la matière. H.C. Goldenberg, qui inclut sous «False Arrest» les poursuites pénales vexatoires, écrit que «[t]he responsibility for false arrest is not governed by the principles of English Common Law, but by the principle enunciated in article 1053 of the Civil Code». Il est en retour plus mesuré à l’égard des poursuites civiles, notamment les capias et saisies avant-jugement, chez lesquelles il reconnaît l’autorité de l’article 893 C.p.c.: «it is essential to show that they were instituted maliciously and without probable cause Malice is frequently implied from the absence of such probable cause»132. Radical, son collègue G.V.V. Nicholls veut écarter tout droit, immunité et vocabulaire anglais. Envisageant les poursuites autant civiles que pénales, il écrit que «[t]he responsibility resulting from malicious prosecution, or, as it has been more accurately though less frequently called, abuse of process, and from 131. 132. 104 Cie. P-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 189; nos italiques. Il faut dire, à la décharge du juge Rivard, que la Cour suprême du Canada viendra plus tard mixer les mêmes ingrédients: doctrine française, art. 1053 C.c.-B.-C., malice ou mauvaise foi, art. 893 C.p.c., et «absence de cause raisonnable et probable». Le juge Fauteux y déclarera: «Agir en justice, que ce soit en demande ou en défense, ne constitue pas une faute. C’est un droit [...] Ce principe comporte des exceptions en cas d’abus de ce droit légal reconnu à tout justiciable. C’est ainsi que l’exercice de ce droit peut dégénérer en faute susceptible d’entraîner une condamnation en dommages-intérêts s’il constitue un acte de malice, de mauvaise foi ou s’il est tout au moins le résultat d’une erreur grossière équipollente à dol. [...] Cette théorie de l’abus de droit ne déroge pas mais est conforme à l’économie de la loi sous l’article 1053 C.C. Suivant la doctrine classique, le fait invoqué au soutien de l’action en dommages sous cet article doit, outre être dommageable au demandeur et imputable au défendeur, être en soi un fait illicite. Les dispositions [le juge Fauteux réfère expressément à l’«absence de cause raisonnable et probable»] de l’art. 893 C.p.c. offrent un exemple de l’application de ces principes»: Ville Saint-Laurent c. Marien, [1962] S.C.R. 580, 586-587; nos italiques. H.C. GOLDENBERG, The Law of Delicts Under the Civil Code of Quebec, Wilson & Lafleur Ltd, Montréal, 1935, 51-53; nos italiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 defamation, is more difficult to summarize because of foreign elements that have crept into Quebec law. Until recent years common-law authority was as frequently quoted in cases arising on these subjects as was civil-law authority. It was even said on occasion that the English common law alone should govern in defamation because it concerns public policy and public law, and in the abuse of criminal process because the Canadian criminal law is based on the English common law. The fallaciousness of these statements needs no comment [...] The traditional precedent to responsibility for the abuse of process, and the phraseology is a common-law one, is malice and lack of reasonable and probable cause. [...] Cases upon the abuse of process should be decided under articles 1053 and following of the Quebec Code, and malice is not a requirement of the responsibility contemplated by those articles [...] Once malice is admitted to be unnecessary for responsibility, it is not difficult to reconcile the jurisprudence with the phraseology of article 1053. The courts have consistently defined «reasonable and probable cause» as one that would be sufficient to create a reasonable suspicion in the mind of a reasonable man. Lack of reasonable and probable cause, then, is nothing but the fault of article 1053 in a new guise»133. 45. Et voilà, si on nous pardonne la familiarité, que le tour est joué. Dès que son gommées la common law publique anglaise ou ses empreintes dans le Code de procédure civile ou le Code criminel, ainsi que la jurisprudence ouverte à l’une ou aux autres, reste intact le droit privé de l’article 1053 C.c.B.-C. Alors, effectivement et logiquement, doit s’estomper toute exigence de malice ou mauvaise foi. Car toujours, comme l’explique la doctrine contemporaine, «le seul critère de l’intention de nuire ne permet pas de séparer la conduite fautive de celle qui ne l’est pas. Même si l’acte intentionnel paraît moralement et socialement plus sérieux ou plus grave, la base de la responsabilité civile reste la même dans les deux cas. Elle ne s’établit donc pas en fonction de ce critère»134. En d’autres termes, si, d’une part, la faute du droit privé inclut, outre tout manquement à quelque obligation légale, l’acte illégal intentionnellement dommageable, néanmoins, d’au133. 134. G.V.V. NICHOLLS, The responsibility for Offences and Quasi-Offences under the Law of Quebec, Carswell Co., Toronto, 1938, 31-34; nos italiques. J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 39, 107-108; nos italiques. Ces auteurs expliquent également, aux p. 5 et 6, l’intérêt de la distinction relative à l’acte volontaire ou intentionnel, eu égard à la faute, intérêt qui se résume à des «conséquences pratiques» étrangères aux poursuites abusives ou malicieuses. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 105 tre part, cette faute n’exige pas, d’elle-même, un élément intentionnel. Malgré cela, notre plus réputée doctrine enseigne, paradoxalement, le droit suivant. D’abord, nous affirme-t-on, «[u]ne certaine partie de la jurisprudence québécoise, maintenant dépassée, avait fait appel en la matière, à la doctrine anglaise, en introduisant les notions de malice, want of reasonable and probable cause, malicious prosecution. [...] il faut tenir aujourd’hui ces décisions pour périmées, le concept de faute en droit québécois constituant un outil aussi exact et aussi valable». Puis, on nous invite à retenir comme «fondement» de la responsabilité extracontractuelle consécutive à l’«exercice des recours judiciaires et abus de procédures», la dialectique qui suit: La première hypothèse est celle où l’agent, de mauvaise foi, et conscient du fait qu’il n’a aucun droit à faire valoir, se sert de la justice comme s’il possédait véritablement un tel droit. Il n’agit pas alors dans le cadre de l’exercice ou de la défense de son droit, mais totalement en dehors de celui-ci. Une faute peut également être reprochée à l’agent qui, dans l’exercice d’un droit apparent, utilise les mécanismes judiciaires ou procéduraux sans cause raisonnable ou probable, sans motif valable, même de bonne foi. [...] La mauvaise foi (c’est-à-dire l’intention de nuire) ou la témérité (c’est-à-dire l’absence de cause raisonnable et probable) restent donc les bases de l’abus de droit dans ce domaine [...] Il ne saurait, en effet, y avoir abus lorsque, de bonne foi, et en ayant cause raisonnable et probable, un individu cause préjudice à autrui en recourant à la justice pour faire valoir ses droits.135 Le lecteur aura sûrement noté la ressemblance frappante entre la terminologie de common law anglaise, proscrite, et la nomenclature française dite civiliste, prescrite. Il aura également pu s’étonner de l’exigence, en cette matière prétendue de droit privé, d’une faute intentionnelle ou qualifiée à l’aide d’un vocabulaire étranger à notre droit privé, et s’interroger sur le pourquoi de cette dérogation aux principes généraux de la faute simple, fondement de la responsabilité civile extracontractuelle. Il aura peut-être éprouvé, finalement, une certaine difficulté à s’expliquer les raisons pour lesquelles deux notions à première vue différentes, la mauvaise foi ou l’intention de nuire, d’une part, et, d’autre part, l’absence de cause raisonnable et probable, notions que le juge Lamer a maintenues distinctes, seraient spontanément devenues des normes alternatives, interchangeables ou équivalentes. 135. 106 Id., 136-137; nos italiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 46. La Cour d’appel du Québec n’avait donc pas la partie facile, dans Proulx, de trouver parmi notre doctrine locale et notre jurisprudence québécoise, des éléments fiables et cohérents sur l’immunité relative débattue devant elle, immunité relative de common law publique que Nelles avait pourtant affirmée et découpée on ne peut plus clairement. Plutôt que de se consacrer à décortiquer la ratio decidendi et le contenu normatif de Nelles, la Cour d’appel a préféré se réfugier en terrain familier, et miné de ses insuffisances inhérentes, de droit privé. Après avoir, en un premier temps, utilisé l’arrêt Arcand136 pour métamorphoser en alternatifs deux critères que le juge Lamer voulait cumulatifs, le juge LeBel fait de cet arrêt un second usage douteux. «En dépit [des] divergences dans les méthodes d’analyses», écrit-il, «un premier constat s’impose. Le critère alternatif dégagé de l’arrêt Arcand, de l’absence de motif raisonnable ou probable, équivaut, à tout le moins, à l’exigence d’une faute qualifiée. Au départ, la décision d’un substitut de porter des accusations en l’absence de motifs raisonnables et probables, analysée suivant tous les éléments objectifs et subjectifs pertinents dans le contexte pénal, constitue une faute lourde. Elle dénote, en effet, une incompréhension et une insouciance graves à l’égard des conséquences du dépôt d’une accusation criminelle sans fondement»137. Cet énoncé lourdement chargé comporte plusieurs propositions en cascade qui, chacune, crée une équivalence, trouve une exigence, qualifie une faute, déborde le contexte pénal et, en bout de course, glisse de l’accusation «sans motif raisonnable et probable» à l’accusation «sans fondement». Autant d’affirmations qu’on ne peut obtenir, estimons-nous avec égards, qu’en distordant le droit civil privé, ou en le truffant subrepticement de common law, publique ou privée. Quelques lignes plus loin, la dissidence voudra encore préciser les «équivalents» civils auxquels il faudrait, semble-t-il, avoir recours. Le régime de responsabilité – ou d’immunité, et le choix des termes aurait pourtant grande importance – en litige, d’arguer le juge LeBel, «se distingue de celui des actions en responsabilité contre des poursuivants privés ou des policiers. Dans le cas de ceux-ci, une plainte, une arrestation ou une saisie sans motif raisonnable et probable équivalent à une faute civile, qui engage éventuellement la responsabilité en vertu des articles 1053 C.C. ou 1457 C.C.Q. Dans le cas de substituts, on se trouve devant un régime distinct de faute qualifiée. Dans le contexte de la 136. 137. Précité, note 94. Proulx [1999] 422; nos italiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 107 fonction du substitut, on ne saurait retenir un régime unifié de responsabilité pour la procédure abusive»138. Bien qu’accessoire à l’élaboration du raisonnement, cette distinction illustre certaines assertions fort discutables et sous-jacentes à la dissidence. 47. D’abord Nelles, souvenons-nous, substitue à une immunité absolue, de droit public, une immunité relative, de droit public également, jusque-là accordée à tout particulier en pareilles circonstances. Ainsi que l’explique le juge Lamer lorsqu’il endosse les enseignements suivants du professeur Fleming: La désapprobation que le droit a traditionnellement manifestée à l’égard de l’action pour poursuites abusives ressort le plus nettement des restrictions qui lui ont été apportées afin de faire obstacle à ce type d’actions et de protéger les particuliers qui s’acquittent de leur devoir public de poursuivre les personnes raisonnablement soupçonnées d’avoir commis des crimes.139 Bref, la poursuite criminelle engagée par un particulier, du temps où il lui était permis de le faire au Québec, constituait un geste public, dans l’accomplissement d’un devoir public, et s’agrémentait d’une immunité relative de common law publique, en restriction au tort de malicious prosecution ou de poursuites abusives. Le sort des particuliers ou des policiers n’est donc pas, à cet égard, différent de celui réservé par Nelles au procureur général et à ses substituts. En second lieu, affirmer que «une plainte, une arrestation ou une saisie sans motif raisonnable et probable» «équivaut» à faute civile pose encore problème. En effet la présence même du fameux critère «sans motif raisonnable et probable» ne donne-t-elle pas lieu de penser qu’il s’agit d’une norme de droit pénal public, tout simplement codifiée au Code criminel, norme qui n’a pas d’équivalent en droit privé civil et n’a pas à en avoir. Également, en s’appuyant sur la décision Chartier c. P.G. du Québec140, fondée sur une arrestation dont l’exécution, entachée de violence, de grossièreté, d’exagération, de manquement à la discipline ou à la déontologie professionnelle policière, constituait (et non équivalait à) faute civile, la Cour d’appel use de l’une et de l’autre, ici «absence de motif raisonnable et probable» de droit public et, là, faute professionnelle de droit privé dans l’exécution matérielle démesurée d’un devoir public pénal. L’agent de la paix qui, «avec motifs raisonnables et probables», 138. 139. 140. 108 Id., 423; nos italiques. Nelles, précité, note 4, 193; nos italiques. Précité, note 120. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 procède à une arrestation, par ailleurs respectueuse des règles de l’art et standards professionnels, qui s’avère par la suite non fondée, la victime de cette arrestation étant éventuellement relâchée ou acquittée, jouit d’une immunité relative de droit public, du fait qu’il accomplissait un devoir public, et l’invoquera à l’encontre d’une réclamation en dommages-intérêts entamée contre lui par l’infortunée victime de l’arrestation litigieuse. En contrepartie, si cette arrestation «avec motifs raisonnables et probables», y compris du véritable coupable, est exécutée par l’agent de la paix en violation des règles normatives de sa profession, de son corps de métier, alors cette victime, même coupable du crime à l’origine de son arrestation, pourra invoquer la faute de droit civil privé commise par l’agent de la paix. Ainsi en est-il de l’arrestation brutale et démesurée141, pourtant exacte ou justifiée par des motifs raisonnables et probables, d’un criminel confirmé. Pareillement, l’agent de la paix qui a des «motifs probables et raisonnables» de croire qu’une personne a commis ou est sur le point de commettre un crime, ne pourrait invoquer cette immunité de droit public, devenue impertinente, si l’arrestation s’avérait illégale en raison d’une erreur professionnelle, technique, inexcusable sur l’identité propre de la personne arrêtée142, erreur non pas équivalente à, mais constitutive d’une faute de droit privé. Ni notre jurisprudence, notamment Ampleman c. Paradis143, invoquée autant par le demandeur intimé Proulx144 que par le juge LeBel145, ni notre doctrine, ne se sont ouvertement intéressées à cette distinction, doublée de complémentarité, entre immunité relative de droit public et responsabilité civile de droit privé, distinction inoffensive dans l’issue de certains cas, déterminante dans d’autres, telle l’affaire Proulx. 48. Investi de la mission judiciaire de préciser le droit québécois utile, le juge LeBel voudra au surplus créer de toute pièce une présomption, qu’il élabore comme suit: 141. 142. 143. 144. 145. Croteau c. Lapolice, [1989] R.R.A. 314 (C.A.); Leroux c. Montréal (Communauté urbaine de), précité, note 108, 1997; Dubé c. P.G. Québec, [1997] R.R.A. 555 (C.S.); Ouellet c. Société des alcools du Québec, [1997] R.R.A. 417 (C.S.); voir également la jurisprudence touffue énumérée dans J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, précité, note 33, 287, à la note 617. Langlois c. R., [1960] C.S. 644; Bisaillon c. Ste-Marie, (1923) 29 R.L.n.s. 499 (C.S.); Bigras c. Cité de Montréal, (1892) 16 L.N. 125 (C.S.). (1934) 56 B.R. 358. Proulx [1999] 411. Id., 423. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 109 Le fardeau de preuve [pénale] du ministère public lui impose une obligation corrélative de vérification des possibilités de succès avant l’ouverture d’une procédure criminelle. Déclencher une procédure pénale sans motif raisonnable et probable comporte prima facie soit un abus des pouvoirs discrétionnaires accordés au procureur de la Couronne, soit une erreur inexplicable parce que, en principe, celui-ci ne doit porter des accusations qu’en présence de tels motifs, après s’être assuré qu’il existe une infraction en droit et qu’il peut raisonnablement escompter en faire la preuve. Une poursuite engagée en violation de ces principes équivaut à une erreur grossière et téméraire.146 Cette dernière phrase, qui clôt un exercice juridique à notre connaissance inédit, ajoute une de ces nouvelles équations ou équivalences dont est parsemée l’opinion dissidente. «Absence de cause raisonnable et probable» égale «erreur grossière». Cette parité dépasse Nelles. Certains arrêts québécois avaient reconnu que l’absence de cause raisonnable et probable peut, selon les circonstances de l’espèce, équivaloir à malice ou mauvaise foi147. Mais il ne s’est agi ni d’une présomption, ni d’une équation machinale, encore moins de l’assimilation ou de la fusion de deux normes parfaitement distinctes, comme le veut Nelles. À tout événement, cette méthode analogique conduit derechef au droit privé. «[I]l faut alors examiner», renchérit le juge LeBel, «si ses concepts de faute lourde et de faute intentionnelle correspondent aux types de faute qui, suivant la Cour suprême dans l’arrêt Nelles, permettent d’écarter l’immunité du procureur général et de ses substituts. Cette analyse doit s’effectuer en retenant les caractères propres de la responsabilité civile en common law privée»148. Et le magistrat traitera subséquemment de «la gross negligence, qui est peut-être la notion la plus proche de la faute lourde»149, pour, semble-t-il, éclairer notre compréhension de cette dernière. Il intègre aussi à sa démonstration que «les définitions généralement données aux termes malice, bad faith et gross negligence s’avèrent sensiblement semblables à celles que l’on utilise en droit civil». D’où sa conclusion ponctuelle: Un point commun paraît se dégager. Au Québec, comme dans les provinces de common law, s’est confirmée une distinction entre la 146. 147. 148. 149. Id., 422. Larocque c. Willet, (1874) 23 L.C.J. 184, 189 (C.B.R.); Lefuntun c. Bolduc, (1878) 1 L.N. 266, 267 (C.S.); Lake of Woods Milling Co. c. Ralston, (1911) 20 B.R. 536, 541; Waller c. C.P.R., (1912) 1 D.L.R. 47, 55 (C.S.). Proulx [1999] 424; nos italiques. Id., 425. 110 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 conduite téméraire et insouciante associée à une faute qualifiée (gross negligence), et la conduite malicieuse ou malveillante ou dans laquelle se révèle un état d’esprit répréhensible.150 Soit dit avec la plus profonde considération, outre qu’elle flirte avec le tort de negligence, distinct de celui de malicious prosecution, cette conclusion ponctuelle ne pourrait découler de la faute de droit civil, qui n’exige nullement l’élément intentionnel, bien qu’on ait maintes fois voulu l’y inclure sous le poids inavoué de la common law publique. C- La mise en œuvre de ce régime en l’espèce 49. Avant d’entrer, même sommairement car là n’est pas l’objectif de cette chronique axée sur les sources juridiques du droit normatif, avant d’entrer, donc, dans l’examen de la mise en œuvre factuelle du régime de responsabilité dressé par le juge LeBel, qu’il nous soit permis d’avouer notre incapacité à comprendre les raisons du demi tour apparemment négocié en ce tardif point précis. En effet la dissidence oblique abruptement, pour «déterminer [si le substitut] agissait dans cette instance judiciaire avec un objectif illégitime, au sens de l’arrêt Nelles»151. Elle va même jusqu’à s’en remettre à la vénérable décision anglaise Hicks c. Faulkner152, pour utiliser le cadre analytique suivant, de common law et de contenu calqué sur Nelles153: On doit d’abord examiner s’il existait des motifs raisonnables et probables de croyance en la culpabilité de M. Proulx. La décision [de déposer l’accusation de meurtre] doit reposer sur une croyance de bonne foi en la culpabilité. Cette croyance se fondera sur des motifs raisonnables en l’existence d’un état de fait qui, en supposant qu’ils soient exacts, porterait un homme normalement avisé et prudent à la place de l’accusateur à conclure que l’inculpé était probablement coupable du crime.154 Or, si ce postulat fait ici autorité, c’est qu’il est de common law publique. Autrement, comment pourrait-il émerger d’une common law privée ontarienne que le juge LeBel a pris grand soin et labeur d’éloigner de notre droit privé québécois, au motif que ce dernier, de un, faisait autorité en matière d’immunité généralement, de deux, disposait des outils adéquats pour garnir ou meu150. 151. 152. 153. 154. Ibid. Proulx [1999] 426; nos italiques. (1881-82) 8 Q.B.D. 167, 171, mentionné à la note 95, id., 427. Nelles, précité, note 4, 193. Proulx [1999] 427. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 111 bler cette coquille supposée creuse, de common law publique, l’immunité relative du procureur général et de ses substituts? 50. Quoi qu’il en soit, forte de théories métissées et fabriquées en réponse à un questionnement qu’elle a orienté spontanément, à ses premières réflexions, la dissidence passe à l’appréciation factuelle du litige. Cette dernière pivote principalement sur deux griefs reprochés au substitut, défendeur appelant. Dans les deux cas, tandis qu’il les examine à la lumière du critère de l’«absence de cause raisonnable et probable», le juge LeBel exige du substitut des connaissances et une rigueur juridiques supérieures à celles-là même qu’a manifestées le juge des assises, en novembre 1991 à la Cour supérieure. En premier lieu, «au moment de porter des accusations [en mars 1991], le substitut savait que cette preuve tirée des enregistrements [de 1983] avait été obtenue en violation de [l’]arrêt R. c. Duarte [de 1990155], qui avait déclaré la surveillance participative de communications privées contraire à l’article 8 de la charte [et qui] était déjà connu et appliqué par les tribunaux du Québec. En mars 1991, le substitut [...] aurait dû savoir que la mise en preuve de la conversation [...] serait refusée, selon une interprétation correcte, ou qu’à tout le moins on lui nierait toute valeur probante. Il devait également prévoir que l’enregistrement de l’interrogatoire [...] subirait le même sort s’il essayait de l’employer»156. En second lieu, en «déclenchant la procédure criminelle contre Proulx, le substitut sort alors délibérément du cadre du droit pénal canadien. Il engage le processus pénal, alors que, s’il procède à une analyse objective des éléments de preuve et des règles de droit qui entourent l’appréciation de leur pertinence et de leur recevabilité, il doit savoir qu’il ne peut conduire le procès à son terme et obtenir légalement une condamnation»157. Ces deux blâmes font bien peu de cas de ce que le dossier pénal possédait pourtant suffisamment de teneur juridique pour franchir et l’enquête préliminaire et la première instance judiciaire, étant entendu que son redressement et l’acquittement du demandeur intimé ne surviendront que grâce au recul de la jurisprudence subséquente et de la Cour d’appel du Québec, en matière criminelle, le 20 août 1992. 51. Les véritables considérations normatives qui gouvernent la dissidence du juge LeBel reviennent sous une forme 155. 156. 157. 112 Précité, note 7. Proulx [1999] 429; nos italiques. Id., 430; nos italiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 condensée et explicite dans sa conclusion – au demeurant appendiculaire, car il l’a rédigée après avoir pris connaissance des opinions de ses deux collègues majoritaires. Il y note avec raison que malgré que ceux-ci se déclarent en accord avec certains principes de responsabilité énoncés par lui, «en réalité [...] le désaccord porte plutôt sur la nature et la portée des principes en cause»158. Le juge LeBel n’a effectivement pas tort de constater qu’«alors qu’elles reconnaissent que des fautes sérieuses ou graves ont été commises, leurs opinions [majoritaires] excluent la responsabilité du procureur général»159. Il ne semble cependant pas mettre en doute sa compréhension de Nelles, ni l’usage, différent de celui de ses deux collègues, qu’il fait de la faute. Il estime même, dans sa persuasion, que la «conclusion de [ses collègues majoritaires] met effectivement de côté la position de la Cour suprême dans l’arrêt Nelles»160. Il nous appert plutôt que ce soit la dissidence qui s’écarte substantiellement de Nelles. À la toute fin de sa conclusion qui tient du post-scriptum, le magistrat dissident reprend ce langage et ces règles normatives hélas trop courants en jurisprudence et doctrine québécoises, toutes deux fondées sur une séculaire équivoque à l’égard des sources de notre droit, de notre common law publique. Le juge LeBel boucle en effet sa dissidence en livrant un appel au droit de la faute, comme si le droit civil et privé de la responsabilité extracontractuelle devait présider à l’issue du débat: «[d]es fautes ont été commises par le substitut. En raison de leur nature, ces fautes ne lui permettent pas, non plus qu’au procureur général du Québec, d’invoquer l’immunité relative que reconnaît la common law» 161 . La judicieuse mise en garde du juge Lamer dans Nelles se serait-elle si tôt perdue, lui qui, à sa conclusion également, insistait: Il importe de souligner qu’il s’agit ici d’une immunité contre des actions pour poursuites abusives; il n’est question ni d’erreurs de jugement, ni d’erreurs dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, ni même de négligence professionnelle.162 IV- LES OPINIONS MAJORITAIRES 52. Concise, et elle n’avait peut-être pas à se qualifier autrement, l’opinion du juge Beauregard partage avec celle du 158. 159. 160. 161. 162. Id., 432. Id., 433; nos italiques. Ibid. Id., 433. Nelles, précité, note 4, 199; la version anglaise originale dit «professional negligence», que l’on aurait très bien pu traduire par «faute professionnelle», si le litige était venu du Québec. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 113 juge LeBel, que «la doctrine de l’arrêt Nelles c. Ontario trouve application au Québec»163. Toutefois, malgré cette apparente concordance avec son collègue, le juge Beauregard colle à l’orthodoxie du double critère cumulatif: «pour qu’une action en dommages par suite d’un acquittement[164] puisse réussir, le demandeur doit prouver non seulement qu’il a été poursuivi en l’absence de motifs raisonnables et probables, mais qu’en autorisant la dénonciation le substitut a fait montre de malveillance»165. D’autre part, même cumulatifs, les deux critères peuvent, selon les circonstances d’un litige, se fondre: «j’accepte», de préciser le juge Beauregard qui n’insinue ni présomption ni équation prima facie, «qu’une absence manifeste de motifs raisonnables et probables de culpabilité de l’accusé peut équivaloir à de la malveillance»166. Les fondements normatifs de l’opinion du juge Beauregard ne coïncident nullement avec ceux de la dissidence. L’écart qui les sépare devient plus apparent encore en cours d’appréciation des faits par le juge Beauregard qui repousse expressément et correctement le critère de la faute. Deux fois plutôt qu’une, le juge Beauregard affirme que, en l’espèce, «le substitut n’a pas fait montre de malveillance au sens de l’arrêt Nelles»167, ce qui lui donne l’occasion de prendre, par la personne interposée du juge Rioux, ses distances à l’égard de la grille analytique engendrée par le juge LeBel. Le juge Beauregard attribue sa volonté d’accueillir le pourvoi à la démarche rationnelle suivante: Si j’arrive à une autre conclusion que celle du juge de première instance, ce n’est pas que j’aie une appréciation des faits qui est différente de la sienne. En réalité, pour les fins de juger de la conduite du substitut, les faits ne sont pas contestés. Mon intervention résulte du fait que, avec égards pour le premier juge, je suis d’avis que celui-ci n’a pas fait une application correcte de Nelles et qu’il ne s’est pas posé la question de savoir si le substitut avait fait montre de malveillance au sens de l’arrêt Nelles [...] l’erreur de droit du substitut n’a pas constitué de la malveillance. Même lorsqu’elle constitue une faute professionnelle, l’erreur de droit n’est pas de la malveillance [...] je crois faire simplement une application de l’arrêt Nelles.168 Ces critiques à l’endroit du juge de première instance, le juge Beauregard aurait pu tout aussi bien les diriger vers la dissidence, 163. 164. 165. 166. 167. 168. Proulx [1999] 434. Rappelons que la Cour suprême du Canada, dans Nelles, précité, note 4, 193, utilise le critère plus englobant de «décision favorable au demandeur». Proulx [1999] 434. Ibid. Ibid. Id., 434-435; nos italiques. 114 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 assise sur le critère de faute. Dans son épilogue, le juge LeBel, rangé du côté du juge de première instance, reproche à ses deux collègues majoritaires d’avoir outrepassé leur pouvoir de remettre en cause des appréciations factuelles du jugement a quo. Ce faisant, le juge dissident revient irrésistiblement au critère de la faute lorsqu’il présume que «le juge Rioux avait conclu à l’existence de l’intention requise pour engager la responsabilité civile de l’appelant. Cette constatation de fait quant à l’existence de l’intention constituait le fondement de l’opinion du premier juge aussi quant à la qualification du comportement du substitut et à l’identification d’une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’État»169. 53. Un brin plus répandu que le juge Beauregard en matières factuelles, beaucoup moins abondant que la dissidence sur l’élaboration du cadre normatif, le juge Brossard livre une opinion déroutante. D’entrée de jeu il se dit «d’accord avec l’analyse juridique exhaustive [du juge LeBel] concernant les critères et exigences requis pour que la faute d’un substitut du procureur général puisse être qualifiée de suffisamment grave, grossière et malveillante ou malicieuse pour lever l’immunité relative de celui-ci [mais] pas d’accord avec [le juge LeBel] quant à l’application des principes juridiques qu’il dégage aux faits de l’espèce»170. Or, quand il eut pris connaissance des opinions majoritaires, le juge LeBel ajouta en postface à sa dissidence que «le désaccord porte plutôt sur la nature et la portée des principes en cause»171. D’où la précarité du jugement Proulx, qui voit le juge Brossard s’afficher en accord avec les principes juridiques énoncés par le juge LeBel, qui, lui, après lecture de l’opinion du juge Brossard, conclut au contraire que ce dernier s’appuie sur des principes juridiques «de nature et portée» différentes de celles formulées dans sa dissidence. Visiblement, les deux magistrats, conscients de leur désaccord sur l’appréciation des faits de l’espèce, ne s’entendent guère par ailleurs sur la question de savoir s’ils sont en accord ou non sur le droit normatif. Bref, l’un, le juge LeBel, est en désaccord avec ce que l’autre, le juge Brossard, croit être un accord, ce qui, on en conviendra, risque de s’avérer peu instructif pour le justiciable. 54. Qui plus est, sauf respect, la démarche théorique du juge Brossard ne semble pas parfaitement cristalline. On sait 169. 170. 171. Id., 432. Id., 435; nos italiques. Id., 432. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 115 du distingué magistrat «que le régime de responsabilité applicable au substitut du procureur général et à ce dernier exclut que celle-ci puisse se fonder seulement sur le simple fait de l’existence ou de la preuve d’une faute professionnelle [et que] le fardeau repose sur [le demandeur] d’établir par preuve prépondérante une ou des fautes du substitut susceptibles d’être qualifiées de grossières et malveillantes, ou d’être le résultat d’un comportement téméraire («reckless»)»172. Outre qu’il traite de responsabilité, plutôt que d’immunité, et analyse le dossier dans cette perspective, le juge Brossard prend appui sur une faute augmentée d’ajouts alternatifs. «En d’autres mots», précise-t-il, «l’intimé devait établir soit une intention malveillante de la part du substitut, soit un comportement faisant délibérément fi des conséquences éventuelles d’une accusation qu’il savait ou devait savoir ne pas pouvoir résister à l’analyse objective de la preuve»173. Mais, à moins qu’elle ne découle entièrement du contenu normatif de la dissidence, cette nouvelle mouture des critères de Nelles, pourtant cumulatifs en Cour suprême du Canada, n’est accompagnée d’aucune explication relative à ses sources, ni à son caractère alternatif. 55. De toute façon, le juge Brossard a choisi comme point de départ de la réclamation en dommages-intérêts consécutive à poursuite abusive, la faute174: «le substitut a été fautif [...] et négligent dans l’exécution de son mandat professionnel [...] il a incontestablement commis une faute en ne réalisant pas que, en toute probabilité, la preuve de la conversation enregistrée serait ou devait être jugée inadmissible [...] Il s’agit là d’une faute certes sérieuse mais, à mon avis, de caractère strictement professionnel [...] Le substitut a incontestablement été fautif [...] Il s’agit là d’une faute d’omission»175. Il nous paraît souhaitable que ces affirmations soient éventuellement identifiées par nos tribunaux comme de simples obiter dicta. D’abord, Nelles et l’immunité relative énoncent quatre critères clairs et précis dont aucun ne réfère ni à la faute ni à la negligence. Notre Cour d’appel ne semble pas 172. 173. 175. Id., 436. Ibid. Le juge Brossard écrira aussi que «le fardeau repose sur [le demandeur] d’établir l’intention malveillante du substitut ou que son comportement avait été téméraire et grossièrement négligent» (ibid.). Bien qu’il choisira, en une occasion, de traiter des «erreurs professionnelles» du substitut: id., 442. En une autre occasion, il écrira que le substitut «peut se tromper. Sa conviction peut être erronée. Ce n’est que si cette erreur résulte de ou est grossière au point d’équivaloir à un comportement téméraire, malveillant ou malicieux, qu’elle engage sa responsabilité»: id., 443. Ibid.; nos italiques. 116 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 174. saisir que le but de l’immunité relative consiste non seulement à éviter, dans les circonstances déterminées, la condamnation du procureur général et de ses substituts à verser des dommagesintérêts, mais aussi à empêcher que des erreurs, le cas échéant, ne fassent l’objet d’allégations et de tentatives de démonstration judiciaire de comportements fautifs ou de negligence chez ceux-ci. Il ne s’agit guère de créer une classe de professionnels privilégiés, intouchables, mais de maintenir franche et libre l’exécution, l’acquittement d’un devoir public de nature quasi judiciaire. Pas plus qu’on ne recherche les fautes des instances judiciaires, dotées d’une immunité absolue il est vrai, ou des instances quasi judiciaires, pareillement protégées176, ne doit-on rechercher, en vertu des immunités relatives, les fautes des auteurs de décisions, gestes ou actes quasi judiciaires qui, erronés, ont causé dommages. En second lieu et surtout, comme le note pourtant le juge Brossard lui-même, qui y applique toutefois le critère du malveillant ou malicieux, «il n’en demeure pas moins que aussi improbable ou déraisonnable qu’ait pu être le verdict final, l’intimé avait néanmoins été cité à procès à la suite de son enquête préliminaire, c’est-à-dire que la preuve avait paru suffisante à un juge pour être soumise à l’appréciation d’un jury [...] il peut être difficile, sinon même délicat, de qualifier de malveillante ou malicieuse ou de téméraire («reckless») la démarche du substitut alors qu’elle est, à première vue, sanctionnée de façon préliminaire par des décisions du tribunal»177. Comment alors les mêmes erreurs, reproches ou lacunes imputés au substitut, par ailleurs entièrement connus, soupesés et bénis par ce juge d’une cour supérieure pénale, peuvent-ils être taxés de fautifs? En d’autres termes, les erreurs de droit, irrégularités juridiques ou illégalités ouvertement commises de bonne foi (le juge Brossard a écarté la malveillance et la témérité des défendeurs appelants) par un procureur, en poursuite ou en défense, devant un juge d’une cour supérieure, et non décelées par ce dernier, seraientelles des fautes chez ce procureur mais de simples erreurs chez ce juge qui, en vertu de ses connaissances professionnelles présumées adéquates, approuvait les gestes du procureur en dépit, de surcroît, des objections expresses des avocats de l’accusé? 56. En somme, l’opinion du juge Brossard ne serait peut-être pas du plus grand secours pour déterminer l’état exact du droit sur la question en litige. L’incertitude ne résulterait pas 176. 177. Morier c. Rivard, précité, note 61. Id., 439-440. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 117 uniquement d’une appréciation discutable de certains faits de l’espèce jugés fautifs, appréciation au demeurant périphérique à la ratio decidendi, mais, plus fondamentalement, du cadre juridique de l’analyse menée par le magistrat. Ce dernier se situe prioritairement en terrain de responsabilité civile et de faute de droit privé, plutôt qu’en matière d’immunité relative et des quatre conditions de common law publique. À cela, il enchevêtre, par simple référence, les explications normatives du juge LeBel, dissident et qui proteste vigoureusement contre cette accolade du juge Brossard. D’où notre réticence à considérer comme définitionnelle du droit de l’immunité relative du procureur général et de ses substituts à raison d’accusations abusives, l’affirmation suivante du juge Brossard: L’intimé n’a pas établi, en l’espèce, que la négligence ou que les fautes reprochées au substitut répondaient au test établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nelles, et si bien explicité par mon collègue le juge LeBel, pour permettre de lever l’immunité relative dont bénéficie l’intimé en l’instance et son substitut.178 CONCLUSION 57. La décision Proulx du 11 février 1999 aura des retombées jurisprudentielles que seul un prophète pourrait anticiper et mesurer exactement. Le bilan que l’on dressera de cette décision sera donc partiel et provisoire. Dans la colonne des éléments positifs, on peut d’abord féliciter la Cour d’appel du Québec d’avoir unanimement reconnu à la common law publique et à l’arrêt Nelles une autorité certaine sur la solution d’un litige impliquant la responsabilité extracontractuelle du procureur général du Québec et de ses substituts à raison d’accusations ou poursuites pénales erronées ou malicieuses. C’est un important pas franchi dans la bonne direction par une Cour d’appel qui, en 1996 encore, dans Levy179, répétait la thèse de l’exclusivité, du monopole, du droit civil privé sur la question. En second lieu, bien qu’elle y parvienne par des voies obliques dont l’une, tracée par le juge Brossard, n’est peut-être pas de la plus rigoureuse cartographie juridique, la majorité de la Cour se saisit heureusement de l’esprit et, dans le cas du juge Beauregard, de la lettre même de l’immunité relative établie par la common law publique dans Nelles. Inopportun d’un point de vue strictement juridique, le phénomène contraire aurait en outre produit sur le procureur général et ses substituts cet «effet paralysant» que voulait éviter 178. 179. 118 Id., 442. Précité, note 99. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 le juge Lamer180 et auquel pourrait conduire le régime normatif, inhibiteur, promu par le juge LeBel. 58. L’arrêt Proulx, à son débit, n’offre pas toutes les garanties que l’on pourrait normalement attendre d’une sentence de la Cour d’appel. Primo, l’exposé normatif, de substance juridique, le plus étendu et fouillé, demeure la dissidence. À moins qu’il ne soit éventuellement endossé par la Cour suprême du Canada, un jour ou l’autre181, un énoncé juridique issu d’une dissidence, quels qu’en soient la rigueur et le bien-fondé, peut difficilement faire jurisprudence et servir de guide aux instances inférieures ou de même rang. Secundo, ainsi que l’objecte le juge LeBel lui-même, il serait inexact de prétendre que son énoncé normatif recueille, malgré son caractère dissident, l’assentiment de ses deux collègues majoritaires. Tout ce sur quoi le juge Beauregard affirme expressément partager l’avis du juge dissident, c’est sur le point que «la doctrine de l’arrêt Nelles c. Ontario trouve application au Québec»182. La suite du raisonnement du juge Beauregard démontre éloquemment que celui-ci fréquente d’autres avenues, d’ailleurs plus fidèles à Nelles, que celles défrichées et foulées par le juge LeBel. Quant à l’endossement, par le juge Brossard, des explications de fond du juge LeBel, la fin de non-recevoir que ce dernier lui sert le rend à toute fin utile caduc. Tertio, car une opinion minoritaire ne perd pas, de cette seule qualité, toute valeur juridique, la dissidence ouvragée du juge LeBel doit quand même être traitée avec grande circonspection. D’abord, elle fait un détour superflu, qui pourrait s’avérer risqué en d’autres conditions ou litiges engageant la puissance publique, dans la distinction politique-opérationnel, distinction impertinente et justement ignorée par Nelles. En deuxième lieu, elle traite l’immunité relative déterminée par la common law publique de Nelles, comme une notion gigogne qui recèlerait des instruments de droit civil privé de responsabilité extracontractuelle, notamment une faute professionnelle de type spécial. Or, estimons-nous comme le juge Beauregard, il n’y a pas lieu de «traduire» l’arrêt Nelles en droit québécois, mais d’en «faire simplement une application»183. Conséquemment et en troisième lieu, parmi les quatre critères énoncés par Nelles, les deux derniers, «l’absence de motif raisonnable et probable» et 180. 181. 182. 183. Nelles, précité, note 4, 196-197. Autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été accordée le 14 octobre 1999. Proulx [1999] 434. Id., 435. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 119 «l’intention malveillante ou un objectif principal autre que celui de l’application de la loi», sont bel et bien cumulatifs, et non alternatifs comme persiste à l’affirmer le juge LeBel, sur la foi d’une jurisprudence de notre tribunal d’appel que l’on souhaiterait définitivement archivée depuis Nelles. Quatrièmement, que «l’absence de cause raisonnable et probable» puisse, en circonstances idoines, équivaloir à «malice ou mauvaise foi», certes, ainsi que l’accepte le juge Beauregard lorsque cette absence est manifeste184. Mais telle équivalence circonstancielle n’a pas la teneur d’une présomption à laquelle consent malheureusement la dissidence. 59. La Cour d’appel du Québec n’a pas su tirer profit, ni faire profiter les milieux juridiques québécois, de l’occasion que lui tendait le litige Proulx, par ailleurs immensément déplorable, pour dissiper, nettoyer les malentendus et contradictions patentes dont sont farcies notre jurisprudence et notre doctrine en matière d’immunités, d’une part, et de responsabilité civile extracontractuelle, de l’autre, incidemment à l’égard de la puissance publique. Les premières sont de common law publique, ou de droit statutaire évidemment, et protègent autant particuliers qu’agents ou officiers publics, à raison non pas de leur qualité ou statut personnel, mais plutôt d’actes, de fonctions publics qu’ils accomplissent dans l’intérêt collectif. Ce n’est qu’après avoir transpercé cette armure de droit public que s’applique la seconde, de droit privé, soit la responsabilité civile extracontractuelle. Ici, prioritairement, l’immunité tient à quatre conditions de common law publique. Là, subsidiairement, la responsabilité résulte de la faute, du lien de causalité, puis de la nature et de l’étendue des dommages, tous éléments propres au droit privé québécois. Que l’on veuille considérer le bris ou la violation d’une immunité de droit public comme, en outre, au niveau de la responsabilité extracontractuelle, une faute de droit privé, soit. Qu’une faute de droit privé, même choquante ou «qualifiée», constitue à elle seule le bris ou la violation d’une immunité de droit public, nenni. À moins, bien sûr, que le droit public y ait consenti, ce que Nelles n’a pas voulu. Tout compte fait, des trois opinions livrées dans Proulx, celle du juge Beauregard, sobre à l’excès, nous paraît préférable car loyale à Nelles, et devrait faire jurisprudence, encore qu’elle nous prive regrettablement d’un si précieux non-dit. 184. 120 Id., 434. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Considérations sur l’appel, à la Cour du Québec, des décisions des tribunaux administratifs Suzanne COMTOIS Résumé Ce texte – sur les particularités de l’appel, à une cour générale de justice, de décisions prises par des tribunaux administratifs – s’insère dans le questionnement sur les rôles respectifs des tribunaux administratifs et des cours de justice dans l’interprétation et l’application des lois à caractère spécialisé. Il a pour objet de mesurer l’impact des contraintes d’origine jurisprudentielle qui restreignent les pouvoirs d’intervention des juridictions d’appel, plus particulièrement ceux de la Cour du Québec, et partant d’aider à évaluer ce que le justiciable peut attendre de ce recours. À cette fin, la première section traite de l’attitude de réserve traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de faits du décideur initial. La seconde section traite de l’émergence d’un devoir de retenue plus vaste, susceptible de s’appliquer aussi à des questions de droit ou mixtes de fait et de droit. Enfin, la troisième section évalue l’impact de cette évolution jurisprudentielle sur la compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec, à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs. Sans nier que l’approche restrictive adoptée par la Cour suprême puisse être adaptée et légitime, dans des cas du type de ceux visés dans les arrêts Pezim et Southam, l’auteure déplore la confusion qu’elle génère et critique l’application trop large qu’en a fait la jurisprudence étudiée. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 121 Considérations sur l’appel, à la Cour du Québec, des décisions des tribunaux administratifs Suzanne COMTOIS* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Section 1: L’attitude de retenue traditionnellement manifestée par les juridictions d’appel à l’égard des conclusions de fait du décideur de première instance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 1.1 Principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128 1.2 Justifications . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129 Section 2: L’émergence, au sein des juridictions d’appel, d’un devoir de retenue plus vaste découlant du principe de la spécialisation des tâches . . . . . . . . . . 131 2.1 Fondement et domaine d’application initial du principe de spécialisation des tâches: la révision judiciaire . 131 2.2 Extension de ce principe à une cour exerçant une fonction d’appel: les arrêts Pezim et Southam. . . . . . 133 2.3 La norme de retenue applicable à une cour siégeant en appel: la décision déraisonnable simpliciter ou simplement déraisonnable . . . . . . . . . . . . . . . . . 134 2.4 Quelques précisions sur les contextes dans lesquels la Cour suprême a jugé cette 3e norme applicable. . . 135 * Avocate et professeure Faculté de droit Université de Sherbrooke. L’auteure tient à remercier M. Frédérick Breton, étudiant de 2e année pour son assistance dans le repérage de sources. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 123 Section 3: Impact de cette évolution jurisprudentielle sur la compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs . . . . . . . . . . . . 139 3.1 Appels en matière de déontologie policière . . . . . 141 3.2 Appels en matière de déontologie professionnelle . 142 3.3 Appels en matière d’évaluation foncière . . . . . . 143 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 124 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 INTRODUCTION L’appel étant un recours statutaire, il n’existe que s’il est prévu expressément dans une loi1. Au Québec, de nombreuses lois reconnaissent au justiciable un droit d’appel, à la Cour du Québec, de décisions prises par des tribunaux ou organismes administratifs. C’est le cas notamment de décisions prises dans des domaines tels l’accès à l’information2, la déontologie policière3; la protection du territoire agricole4, l’évaluation foncière5, le contrôle des logements locatifs6, les valeurs mobilières7, la déontologie profession- 1. Sur l’appel voir notamment: Gilles PÉPIN et Yves OUELLETTE, Précis de Contentieux administratif, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais, 1982, p. 449 s.; René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition, t. 111, Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 522; Patrice GARANT, Droit administratif, 4e édition, t. 2, Les Éditions Yvon Blais, 1996, p. 521 s.; David J. MULLAN, Administrative Law, 3e édition, Carswell, 1996, paragraphes 812 s.; P. GIROUX et S. ROCHETTE dans Droit Public et Administratif, vol. 7, Collection de droit 1998-1999, p. 133 s. et Y. OUELLETTE, Les Tribunaux administratifs au Canada, Les Éditions Thémis Inc., 1997. 2. Appel des décisions de la Commission d’accès à l’information prévu dans la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, L.R.Q., c. A-2.1, art. 147, décision sans appel, art. 154; Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P-39.1, art. 61, décision sans appel, art. 69. 3. Appel des décisions du Comité de déontologie policière prévu dans la Loi sur l’organisation policière, L.R.Q., c. O-8.1, art. 133, 136, décision finale et sans appel, art. 147. 4. Appel des décisions du T.A.Q. prévu à l’art. 159 Loi sur la justice administrative (1996, chapitre 4) et Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, L.R.Q., c. P-41.1, art. 21.1. La décision de la Cour du Québec est sans appel, article 164 de la Loi sur la justice administrative. Le T.A.Q. a remplacé le Tribunal d’appel en matière de protection du territoire agricole, art. 852 de la Loi sur l’application de la Loi sur la justice administrative, (1997, chapitre 43). 5. Appel des décisions du Tribunal administratif du Québec prévu à l’article 159 de la Loi sur la justice administrative. La décision de la Cour du Québec est sans appel, article 164 de la Loi sur la justice administrative. Le TAQ a remplacé le Bureau de révision de l’évaluation foncière du Québec, art. 138.5 de la Loi sur la fiscalité municipale, L.R.Q., c. F-2.1 et art. 852 de la Loi sur l’application de la Loi sur la justice administrative, (1997, chapitre 43). On notera en outre qu’en cette matière le législateur a supprimé le second palier d’appel antérieurement exercé par la Cour d’appel du Québec. 6. Appel des décisions de la Régie du logement prévu dans la Loi sur la Régie du logement, L.R.Q., c. R-8.1, art. 91, décision sans appel, art. 102. 7. Appel des décisions de la Commission des valeurs mobilières du Québec prévu dans la Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1, art. 324 (3 juges), décision appelable à la Cour d’appel, art. 330. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 125 nelle,8 etc.9. Selon le libellé de la disposition habilitante, le droit d’appel ainsi conféré peut être de plein droit ou sur permission, porter sur toute question de fait et de droit ou avoir un objet plus limité. Aux plans curatif et préventif, l’appel comporte d’importants avantages que les auteurs Pépin et Ouellette ont résumé de la façon suivante: «possibilité de remédier aux erreurs et aux insuffisances du premier juge; harmonisation des multiples jugements rendus par les nombreux juges de première instance; effet préventif salutaire sur le premier juge de la seule possibilité que son jugement puisse être révisé par d’autres, etc.»10. Cependant, l’appel, à une cour ordinaire de justice, d’une décision d’un tribunal administratif soulève des difficultés particulières puisqu’il risque de contrecarrer l’intention première qu’avait le législateur en confiant la solution de ces litiges à des organismes spécialisés. Appelées à donner effet à ces volontés potentiellement contradictoires du législateur, les cours, sous l’autorité de la Cour suprême du Canada, ont adopté une approche qui privilégie l’expertise particulière de l’interprète et limite de plus en plus l’étendue du contrôle exercé en appel sur les décisions des tribunaux administratifs. Le présent texte s’intègre dans ce questionnement sur les rôles respectifs des tribunaux administratifs et des juridictions d’appel dans l’interprétation et l’application des lois spécialisées. Il a pour objet de cerner les contraintes d’origine jurisprudentielle qui limitent les pouvoirs d’intervention des juridictions d’appel, plus particulièrement ceux de la Cour du Québec, et partant, d’aider à évaluer ce que le justiciable peut attendre de ce recours. Après quelques remarques sur la portée, de principe, de l’appel, il conviendra de traiter successivement de l’attitude de réserve traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de fait du 8. Appel des décisions du Comité de discipline des Ordres professionnels prévu dans le Code des professions, L.R.Q., c. C-26, art. 164. 9. Pour une liste plus complète des organismes dont les décisions sont susceptibles d’appel à la Cour du Québec, voir Rapport du Groupe de travail sur certaines questions relatives à la réforme de la justice administrative, Une justice administrative pour le citoyen, Québec, 1994, 158 pages, p. 78 à 80 (Rapport Garant). En raison des contraintes de temps et des particularités dans le traitement jurisprudentiel de ce domaine, la présente étude ne fera pas état des appels logés dans le domaine du droit du travail, plus particulièrement des décisions du Commissaire du travail appelables au Tribunal du travail en vertu du Code du travail, L.R.Q., c. C-27, art. 118. 10. Précis de Contentieux administratif, supra note 1, p. 449. 126 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 décideur initial (1), puis, à la lumière des arrêts Pezim11 et Southam12, de l’émergence d’un devoir de retenue plus vaste, découlant du principe de la spécialisation des tâches (2) et enfin d’examiner l’impact de cette évolution jurisprudentielle sur la compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec, à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs (3). Remarques préliminaires sur la portée de l’appel: En raison de son origine législative, la portée de l’appel peut varier d’un texte à l’autre, de sorte que pour chaque cas, il faut s’en remettre au texte précis de l’habilitation13. Cependant, en dépit de cette diversité, il semble possible d’identifier deux catégories principales d’appel: l’appel non défini ou général qui porte sur toute question de fait ou de droit14, et l’appel limité aux questions de droit et de compétence ou aux seules questions de droit. Relativement à cette dernière catégorie, on notera que l’appel limité aux questions de droit inclut la possibilité de réviser les erreurs de compétence, puisque ces dernières sont simplement une sorte d’erreur de droit. Il est généralement admis qu’à moins de disposition contraire, l’exercice d’une fonction d’appel autorise le juge non seulement à confirmer ou infirmer la décision soumise mais aussi à la modifier et, le cas échéant, substituer sa propre opinion à celle du décideur initial. En effet, comme le rappelait la haute juridiction dans les arrêts Bell Canada c. CRTC15 et Pezim16: (E)n principe, le tribunal saisi d’un appel a le droit d’exprimer son désaccord avec le raisonnement du tribunal d’instance inférieure... sur des questions qui relèvent du pouvoir d’appel prévu par la loi.17 11. Pezim c. Colombie-Britannique, [1994] 2 R.C.S. 557. 12. Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748. 13. René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition, t. 111, Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 526. 14. Selon la jurisprudence et la doctrine, à moins qu’il ne soit limité expressément aux seules questions de droit et/ou de compétence, l’appel permet en principe à la cour de réviser les questions de fait. À ce propos, voir notamment René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e édition, t. 111, Les Presses de l’Université Laval, 1989, p. 527 s. et jurisprudence citée. Voir aussi P. GIROUX. et S. ROCHETTE, dans Droit Public et Administratif, vol. 7 collection de droit 1998-1999, p. 133 s. 15. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) c. Bell Canada, [1989] R.C.S. 1722, 1746. 16. Supra note 11. 17. Id., p. 591. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 127 Les pouvoirs du juge d’appel sont donc, en principe, beaucoup plus étendus que ceux du juge de surveillance dont le rôle se limite essentiellement à contrôler la légalité considérée au sens strict, c’est-à-dire au sens de défaut ou d’excès de juridiction. Cependant, en pratique, même lorsque l’appel est général, les cours d’appel ont tendance à s’imposer une certaine retenue. Pour bien saisir la mesure de cette contrainte d’origine jurisprudentielle, nous traiterons, en premier lieu, de la retenue traditionnellement manifestée à l’égard des conclusions de fait et, en second lieu, du devoir de retenue plus large, découlant du principe de la spécialisation des tâches. Autrement dit, il sera question de la retenue judiciaire avant et après les arrêts Pezim et Southam. SECTION 1: L’ATTITUDE DE RETENUE TRADITIONNELLEMENT MANIFESTÉE PAR LES JURIDICTIONS D’APPEL À L’ÉGARD DES CONCLUSIONS DE FAIT DU DÉCIDEUR DE PREMIÈRE INSTANCE 1.1 Principes Même avant l’émergence du principe de la spécialisation des tâches, les cours d’appel avaient l’habitude de faire preuve de réserve à l’égard des conclusions de fait des juges de première instance. Dans l’arrêt Stein c. «Kathy K.» (Le navire)18, la Cour suprême, sous la plume du juge Ritchie, décrivait la norme d’intervention applicable dans les termes suivants: [...] il est généralement admis qu’une cour d’appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s’accordent avec l’opinion de la Cour d’appel sur la prépondérance des probabilités.19 Une cour d’appel pourrait ainsi réviser les conclusions de fait si elle était d’avis qu’elles ne sont aucunement étayées par la preuve et elle a, à cet égard, «l’obligation de réexaminer la preuve afin de s’assurer qu’aucune erreur de ce genre n’a été commise»20. Toutefois, en l’absence d’une erreur manifeste, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation quant au poids de la preuve à 18. [1976] 2 R.C.S. 802. 19. Id., p. 806. Voir aussi les arrêts Schwartz c. R., [1996] 1 R.C.S. 254, 279 s.; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, 9 et Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 426. 20. Stein c. «Kathy K.» (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808. 128 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 celle du décideur de première instance, particulièrement s’il s’agit d’apprécier la crédibilité d’un témoin21. Récemment réaffirmé dans l’arrêt Southam22, ce principe de non-intervention vise les conclusions de fait d’un juge de première instance. Mais les cours, notamment la Cour du Québec, en ont étendu l’application à l’appel d’une décision d’un tribunal administratif23. Ainsi, dans les multiples domaines relevant de sa compétence d’appel, qu’il s’agisse de déontologie policière24, de discipline professionnelle25, d’accès à l’information26 ou d’évaluation municipale27, il est généralement admis que pour intervenir dans les conclusions de fait du décideur initial, la Cour du Québec exige la démonstration d’une erreur manifeste et déterminante. 1.2 Justifications La principale raison invoquée pour justifier la retenue à l’égard des conclusions de fait – laquelle vaut d’ailleurs tout 21. Voir notamment Hodgkinson c. Simms, [1994] 3 R.C.S. 377, p. 426 et BeaudoinDaigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, p. 8-9; Boulis c. Ministre de la main-d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875. Sur cette question voir aussi J.C. HÉBERT, «L’appel d’une décision déraisonnable», (1997) 57:1 R. du B. 145 p. 147 et s. et Y. OUELLETTE, Les Tribunaux administratifs au Canada, Les Éditions Thémis Inc., 1997, p. 373 s. 22. Supra note 12, au paragr. 59 du jugement. 23. La Cour du Québec fonde ce devoir de réserve quant aux questions de fait sur les grands arrêts de la Cour suprême cités plus haut. Les jugements cités dans les notes qui suivent en sont des exemples. Pour ce qui est des autres juridictions d’appel, voir notamment Heincke c. Brownwell, (1992) 4 Admin.L.R. (2d) 213 (Ont. Div.Ct). 24. Voir notamment Cyr c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] J.Q. 1231 (C.Q.); Coallier c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] A.Q. 187 (C.Q.); Benoît c. Commissaire à la déontologie policière, [1999] A.Q. 37 (C.Q.); Comité de déontologie policière c. Chenel, [1997] A.Q. 345 (C.Q.); et Plante c. Comité de déontologie policière du Québec, [1996] A.Q. 2415 (C.Q.). 25. St-Laurent c. Ordre professionnel des médecins du Québec, [1997] A.Q. 3914 (C.Q.); Gesse c. Tannerbaum, [1998] A.Q. 1696 (C.Q.); et Desrosiers c. Barreau du Québec, [1998] A.Q. 1696 (C.Q.). 26. Voir notamment, École Secondaire Notre-Dame de Lourdes c. Fédération Nationale des Enseignants du Québec et Commission d’accès à l’information [1992] R.J.Q. 2933 (C.A.). Il s’agissait, dans cette affaire, d’une demande de communication des états financiers d’une école privée. L’école avait refusé en s’appuyant sur les art. 21 et 22 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, supra note 2. La Commission a estimé que les documents n’étaient pas visés par ces dispositions et qu’ils devaient être divulgués au motif qu’ils ne contenaient ni projet futur, ni budget pour l’année. La Cour du Québec a renversé la décision de la Commission au motif qu’ils s’agissait de documents visés par l’article 22 et que rien dans la preuve n’étayait la conclusion contraire. 27. Voir notamment Montréal (Communauté urbaine) c. Anstalt, [1997] A.Q. 2638 (C.Q.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 129 autant que l’appel vise la décision d’un juge ou d’un tribunal administratif – est la position privilégiée dans laquelle se trouve le décideur de première instance, pour apprécier les questions de fait, puisqu’il a vu et entendu les témoins alors que le tribunal d’appel procède habituellement sur dossier28. Autrement dit, on estime que si le juge d’appel (qui n’a pu profiter des avantages de l’audition) ne peut se convaincre que le décideur initial (qui lui a eu ce bénéfice) a commis une erreur manifeste, il est alors de son devoir de déférer à son jugement29. En contexte quasi judiciaire, les juges insistent en outre sur l’expertise de l’organisme et parfois, sur la discrétion qui lui est conférée, pour expliquer leur pouvoir limité d’intervention à l’égard de leurs décisions. À titre d’exemple, dans Place St-Eustache c. Ville de St- Eustache30, la Cour d’appel motive ainsi le devoir de réserve judiciaire en ce qui a trait au choix de la méthode d’évaluation et son application dans le cadre de l’évaluation foncière: ni la Cour provinciale (maintenant la Cour du Québec), ni la Cour d’appel qui exerce le second palier d’appel en la matière ne doivent [...] se substituer au Bureau pour décider autrement que lui les questions dont le règlement requiert l’exercice d’une discrétion, ni intervenir si l’évaluation faite par le Bureau n’est pas manifestement erronée ni basée sur des principes de droit mal fondés, s’il n’a pas omis des éléments de preuve importants ni si la méthode suivie pour déterminer la valeur réelle n’a pas pour effet de créer une injustice certaine. L’importance attachée à la décision du Bureau de révision, sous son aspect compétence spécialisée, démontre qu’il est avec les estimateurs à la base du processus d’évaluation et que c’est à lui que revient primordialement l’enquête de première instance au cours de séances tenues conformément à la loi, en respectant le principe audi alteram partem.31 Comme on le verra plus en détail dans la section 3 du texte, la jurisprudence récente est au même effet. Pour les raisons données 28. Selon la jurisprudence, à moins que la loi n’indique clairement le contraire, l’appel, à une cour de justice des décisions d’un tribunal administratif, n’est pas un appel de novo. Il s’agit plutôt d’un appel sur dossier. Sur cette question voir doctrine citée note 1 et la jurisprudence qui y est rapportée. 29. Voir notamment, Stein [1976] 2 R.C.S. 802, p. 808 et Dorval c. Bouvier, [1968] R.C.S. 268, p. 293. A contrario, il a été jugé que lorsque l’appel procède de novo ou qu’une nouvelle preuve est introduite devant la juridiction d’appel, cette dernière devait laisser tomber la retenue et procéder de novo à l’appréciation de la preuve. Voir notamment: Petit c. Guimont, [1998] R.J.Q. 887 (C.S.) et Ville d’Amos c. Centre chrétien d’Amos inc, J.E. 98-2010 (C.A.), particulièrement les notes du juge Dussault. 30. [1975] C.A. 131. 31. Id., p. 133. 130 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 plus haut, les juridictions d’appel refusent systématiquement d’intervenir dans le choix de la méthode d’évaluation et de son application, à moins d’erreur manifeste32. On retrouve également une autre illustration de ces justifications dans Blais c. Colas33 où la Cour d’appel du Québec qualifie la retenue pratiquée par le Tribunal des professions dans l’appréciation des faits de «règle de prudence institutionnelle» au motif qu’il ne jouit pas de la position privilégiée du Comité de discipline – une instance spécialisée – qui a eu le bénéfice de recevoir la preuve fournie par les témoins34. On notera enfin que selon la jurisprudence traditionnelle, la cour siégeant en appel n’avait pas, en principe, de devoir de déférence à l’égard des conclusions de droit dégagées en première instance35. Cependant, la Cour suprême a développé un principe de spécialisation des tâches qui vient aussi restreindre le contrôle judiciaire des questions de droit ou mixtes de fait et de droit de l’organisme et qui, depuis les arrêts Pezim et Southam, peut s’appliquer à une cour siègeant en appel. Dans la prochaine section, il conviendra d’abord, de rappeler très brièvement les assises de cette politique de retenue judiciaire pour ensuite analyser le contexte et les modalités de son extension à une cour siégeant en appel. SECTION 2: L’ÉMERGENCE, AU SEIN DES JURIDICTIONS D’APPEL, D’UN DEVOIR DE RETENUE PLUS VASTE DÉCOULANT DU PRINCIPE DE LA SPÉCIALISATION DES TÂCHES 2.1 Fondement et domaine d’application initial du principe de spécialisation des tâches: la révision judiciaire Rappelons d’abord que le principe de spécialisation des tâches dont découle la politique de retenue judiciaire à l’égard des décisions des tribunaux spécialisés a été développé dans le contexte de recours en révision judiciaire, et non de recours en appel. Le point de départ de cette politique remonte à 1978 avec l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Société des alcools du 32. 33. 34. 35. Voir section 3 du présent texte, notes 86 à 89. [1997] R.J.Q. 1275. Id., p. 1279. Sur ce point voir doctrine citée note1 et la jurisprudence qui y est rapportée. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 131 Nouveau-Brunswick36. Dans l’abondante jurisprudence qui a suivi37, la Cour suprême a, de façon constante, réaffirmé sa volonté de faire preuve de retenue non seulement à l’égard des questions de fait constatées par le tribunal mais aussi des questions de droit ou mixtes de fait et de droit relevant de sa compétence et de son expertise. La norme de contrôle jugée applicable étant alors l’erreur manifestement déraisonnable38. Pourquoi restreindre le contrôle judiciaire? Dans les explications, parfois assez longues, qu’elle a données pour justifier le devoir de retenue du juge de révision, la Cour invoque principalement le souci de respecter le choix du législateur de confier la solution de tels litiges à des organismes spécialisés plutôt qu’aux cours de justice. À cette raison formelle s’ajoute une autre considération, plus pragmatique, qui amène la cour à rechercher qui, de la cour ou du tribunal, est le plus compétent pour interpréter le statut et trancher la question en litige. Et, comme souvent, les tribunaux sont jugés mieux placés que les cours pour apprécier l’ensemble des circonstances et assurer la réalisation des objectifs de la loi, la cour considère être de son devoir de protéger l’autonomie décisionnelle de ces dernières39. La déférence à l’égard des interprétations que font les organismes des lois qu’ils ont à appliquer dénote en outre une certaine conception de l’interprétation juridique qui postule, comme l’indiquait le juge Dickson dans Syndicat canadien de la fonction publique, que dans l’interprétation de textes ambigus touchant des domaines spécialisés, «(i)Il n’y a pas une interprétation unique dont on puisse dire qu’elle soit la 36. [1979] 2 R.C.S. 227. 37. C’est-à-dire plus d’une quarantaine de jugements, pour la plupart d’une longueur fort appréciable, dont la liste est fournie en annexe. 38. Pour une synthèse des principes dégagés dans cette abondante jurisprudence voir notamment les arrêts Pezim c. Colombie-Britannique, [1994] 2 R.C.S. 557 et Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982. Il existe aussi sur cette question une abondante doctrine, voir notamment: Wade MCLACHLAN, «Reconciling Curial Deference with a Functional Approach in Substantive and Procedural Judicial Review», (1993) 7 C.J.A.L.P. 1. et S. COMTOIS, Les méandres de la politique de retenue judiciaire à l’égard des décisions des tribunaux administratifs, dans Développements récents en droit administratif (1995) Les Éditions Yvon Blais. p. 187. 39. Sur les justifications de la politique de retenue judiciaire voir notamment National Corn Growers Canada c. T.C.I., [1990] 2 R.C.S. 1324; Canada c. Alliance de la fonction publique, [1991] 1 R.C.S. 614; Lapointe c. Domtar, [1993] 2 R.C.S. 756 et Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982. Pour une critique de cette doctrine judiciaire voir Luc TREMBLAY, «La norme de retenue judiciaire et les «erreurs de droit» en droit administratif: une erreur de droit? Au-delà du fondationalisme et du scepticisme», (1996) 56 R. du B. 141. 132 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 «bonne»». Dans ce contexte, la cour estime qu’il est préférable de laisser prévaloir l’interprétation de l’expert, à moins que cette interprétation ne soit déraisonnable au point de ne pouvoir s’appuyer rationnellement sur le texte législatif pertinent40. 2.2 Extension du devoir de retenue à une cour siégeant en appel: les arrêts Pezim et Southam Selon les principes qui se dégagent des arrêts Pezim et Southam, le devoir de retenue imposé à une cour siégeant en appel se fonde aussi, principalement, sur l’expertise de l’organisme administratif. Dans Southam, le juge Iacobucci, au nom de la Cour, affirme à ce propos: L’expertise, qui en l’espèce se confond avec l’objet de la loi appliquée par le tribunal, est le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable.41 Puis, il ajoute plus loin: [...] l’appel d’une décision d’un tribunal administratif spécialisé n’est pas exactement comme un appel formé contre une décision d’une cour de première instance. Si le Parlement confie l’examen de certaines questions à un tribunal administratif plutôt qu’aux tribunaux ordinaires (du moins en première instance), il est permis de présumer que c’est parce que le tribunal administratif apporte un certain avantage que les juges ne sont pas en mesure d’offrir. Pour cette seule raison, le contrôle des décisions d’un tribunal administratif doit souvent se faire non pas en regard de la norme de la décision correcte, mais en fonction d’une norme exigeant de faire montre de retenue.42 Toutefois, lorsqu’il vise une cour exerçant une fonction d’appel, le devoir de retenue est modulé à la baisse, puisque le juge d’appel, à la différence du juge de surveillance, n’a pas à exiger, pour intervenir, la démonstration d’un excès de juridiction. C’est pourquoi, la Cour suprême a dû introduire une 3e norme de contrôle judiciaire, moins sévère que la norme de l’erreur manifestement déraisonnable: la norme de l’erreur déraisonnable simpliciter. 40. Il est possible que d’autres types de considérations soient prises en compte, par exemple un souci d’efficacité qui amènerait les cours à limiter le contrôle judiciaire pour économiser les ressources judiciaires ou pour assurer que certains types de litiges soient traités promptement mais si, dans les faits, la cour en tient compte, elle n’en parle pas. Ce type de considérations est généralement absent du discours. 41. Supra note 12, paragraphes 50 et 54 du jugement. 42. Id., paragraphe 55 du jugement. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 133 Après avoir tenté de situer cette nouvelle norme de contrôle par rapport aux normes déjà existantes, il conviendra d’apporter quelques précisions sur les contextes dans lesquels la Cour suprême l’a jugée applicable. C’est en tenant compte de cette analyse que l’on pourra ensuite tenter d’évaluer l’impact de ces jugements sur la compétence d’appel de la Cour du Québec. 2.3 La norme de retenue applicable à une cour siégeant en appel: la décision déraisonnable simpliciter ou simplement déraisonnable Cette nouvelle norme est une norme intermédiaire qui se situe entre la norme de la décision correcte et celle de l’erreur manifestement déraisonnable43. À la différence de la norme de la décision correcte qui renvoie à une solution unique, «les notions de raisonnable et de déraisonnable restent liées au concept d’une marge d’appréciation admissible»44, c’est-à-dire à une conception de l’interprétation qui postule que des concepts juridiques flous appellent souvent une pluralité de solutions, mais fixent le seuil d’intervention du juge à un degré moindre que la norme de l’erreur manifestement déraisonnable. Partant, la différence entre ce qui est déraisonnable et ce qui l’est manifestement se résume essentiellement à une question de degré que le juge Iacobucci explique dans les termes suivants: Est qualifiée de «déraisonnable la décision qui dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. [...] La différence entre ce qui est «déraisonnable» et ce qui est «manifestement déraisonnable» réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s’il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable, mais non manifestement déraisonnable.45 43. Id., paragraphe 54 du jugement, cette norme «exige une retenue plus grande que la norme de la décision correcte, mais moins élevée que celle de la décision non manifestement déraisonnable». 44. Syndicat des travailleuses et travailleurs d’épiciers unis Métro-Richelieu c. Lefebvre [1996] R.J.Q. 1509, 1530 ( juge LeBel). 45. Southam, supra note 12, aux paragraphes 56 et 57 du jugement, les italiques sont de nous. Cette ligne de démarcation apparaît toutefois plus facile à tracer en théorie qu’en pratique. Sur le sens des mots «manifestement» et «déraisonnable», voir aussi P.G. du Canada c. Alliance de la Fonction publique, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964, (juge Cory) et Syndicat des travailleuses et travailleurs d’épiciers unis Métro-Richelieu c. Lefebvre, [1996] R.J.Q. 1509, 1528 s. (C.A. juge LeBel). 134 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Cette 3e norme, observe le juge Iacobucci, se rapproche en outre du critère de la décision manifestement erronée46 (vu plus haut) qui a été déclaré applicable au contrôle des conclusions de fait des juges de première instance47 et, parce qu’il «est bien connu des juges au Canada, il peut leur servir de guide dans l’application de la norme de la décision raisonnable simpliciter». Selon ce critère, on s’en rappellera, il ne suffit pas que les conclusions de fait soient erronées aux yeux de la cour; pour pouvoir intervenir, cette cour doit les juger irrationnelles, sans fondement48. En définitive, résume la Cour, «la norme de la décision raisonnable ne fait que dire aux cours chargées de contrôler les décisions des tribunaux administratifs d’accorder un poids considérable aux vues exprimées par ces tribunaux sur les questions à l’égard desquelles ceux-ci possèdent une grande expertise. Même si le respect d’une politique de retenue en faveur de l’expertise peut se traduire par une norme de contrôle particulière, au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts»49. 2.4 Quelques précisions sur les contextes dans lesquels la Cour suprême a jugé cette 3e norme applicable Il importe, à ce stade-ci, d’identifier les critères sur lesquels s’est appuyée la Cour suprême pour imposer un devoir de retenue aux cours exerçant une fonction d’appel, de façon à être en mesure d’identifier, par analogie, d’autres situations où un organisme est susceptible de bénéficier de cette déférence. 46. Ou «erreur manifeste et déterminante». 47. Supra note 12, aux paragraphes 59 et 60 du jugement. 48. Id., paragraphe 60 du jugement, le juge explique ainsi le lien entre ces deux critères: «Même d’un point de vue sémantique, le rapport étroit entre le critère de la décision «manifestement erronée» et la norme de la décision raisonnable simpliciter est évident. Il est vrai que bien des choses erronées ne sont pas pour autant déraisonnables; mais quand le mot «manifestement» est accolé au mot «erroné», ce dernier mot prend un sens beaucoup plus proche de celui du mot «déraisonnable». Par conséquent, le critère de la décision manifestement erronée marque un déplacement, du critère de la décision correcte vers un critère exigeant l’application de retenue. Cependant, le critère de la décision manifestement erronée ne va pas aussi loin que la norme du caractère manifestement déraisonnable. Car s’il existe bien des choses qui sont erronées sans être déraisonnables, il y a également bien des choses qui sont manifestement erronées sans pour autant être manifestement déraisonnables. Il s’ensuit donc que le critère de la décision manifestement erronée, tout comme la norme de la décision raisonnable simpliciter, s’inscrit sur le continuum, entre la norme de la décision correcte et celle du caractère manifestement déraisonnable.» 49. Id., paragraphe 62 du jugement. 135 Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999 Tel qu’indiqué plus haut, l’application de cette nouvelle norme à une cour saisie en appel d’une décision d’un tribunal administratif se fonde essentiellement sur l’expertise supérieure du tribunal administratif relativement à la question soulevée. Le degré relatif d’expertise du tribunal et de la cour étant déterminé par cette dernière, en tenant compte de multiples facteurs, dont le libellé de la loi constitutive, l’objet de la loi, la nature du problème dont est saisi le tribunal, sa composition, les connaissances spécialisées de ses membres, son domaine d’intervention, sa procédure particulière etc.50. À titre d’exemple, dans Southam, la Cour suprême a conclu à l’expertise supérieure du Tribunal de la concurrence et non de la Cour fédérale d’appel, en s’appuyant sur les considérations suivantes: – «les objectifs visés par la Loi fédérale sur la concurrence qui est appliquée par le Tribunal de la concurrence sont davantage économiques que strictement juridiques»51. – l’expertise du Tribunal de la concurrence porte sur des questions économiques et commerciales ce «qui en l’espèce se confond avec l’objet de la loi appliquée par le tribunal»52. – la composition du tribunal reflète ces préoccupations, puisque seulement 4 des 12 membres sont juges, les autres sont plutôt versés dans les affaires économiques et commerciales53 et – la nature du litige qui, en l’espèce, soulevait deux questions mixtes de fait et de droit54 jugées relever nettement de l’expertise du Tribunal en matière économique et commerciale,(à savoir «la définition du marché pertinent pour ce qui est d’un produit» et l’appréciation de la preuve indirecte sur l’interchangeabilité fonctionnelle des quotidiens de Southam et des journaux communautaires)55. Puis, appliquant la 3e norme, la Cour a jugé que la Cour fédérale avait erré en intervenant puisque le tribunal n’avait pas agi 50. Ces critères ont été récemment repris par le juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982. 51. Supra note 12, au paragraphe 48. 52. Id., paragraphes 50-51. 53. Id., paragraphes 51, paragr. 12-13. 54. Sur la qualification de la nature de la question voir paragraphes 40-44. On notera que s’il s’était agi d’une question pure de droit, la norme aurait pu être différente car en vertu de la loi, ces dernières sont tranchées uniquement par les juges du tribunal (paragraphe 53). 55. Id., paragraphe 69 s. 136 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 déraisonnablement56. Le juge admet, par ailleurs, que certaines conclusions du Tribunal sont difficiles à accepter, mais étant le fruit d’une analyse fouillée et n’étant pas sans fondement, elles ne sont pas déraisonnables, donc, pas révisables57. Les cours d’appel, observe le juge Iacobucci, doivent résister à la tentation d’intervenir lors d’un simple désaccord; «(La) retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.»58. De même, dans Pezim, une affaire analogue et antérieure à Southam, il a été décidé que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique saisie, aux termes du Securities Act, d’un appel d’une décision d’une Commission des valeurs mobilières, avait un devoir de retenue sur une question de droit59 tranchée par cette dernière. Le litige portait, en l’occurrence, sur l’interprétation donnée par la Commission des valeurs mobilières à certaines dispositions de sa loi constitutive, plus particulièrement à la notion de «changement important» lequel, aux termes du Securities Act, devait être divulgué «dès que possible». Après avoir examiné les dispositions législatives et pris en compte les facteurs pertinents (notamment: la 56. Id., paragraphe 68. 57. Voir à ce propos les paragraphes 76-79 où le juge observe que la conclusion du Tribunal à l’effet que les journaux n’étaient pas fonctionnellement interchangeables a été prise après une étude en profondeur de la question et sa conclusion est motivée. Le Tribunal n’a pas «fait abstraction» de la preuve concernant la concurrence interindustrielle générale. Il a simplement estimé que cette preuve n’était pas décisive, sa conclusion n’est pas déraisonnable. 58. Id., paragraphes 79, 80. 59. Selon les explications fournies plus tard par le juge Iacobucci, dans l’arrêt Southam au paragraphe 36, la question soulevée dans Pezim, concernant «le type de renseignements qui, au sens de la loi, étaient un «changement important» dans les affaires d’une société – a été qualifiée de question de droit «en partie parce que les mots en cause se trouvaient dans une disposition législative et que les questions d’interprétation des lois sont généralement des questions de droit, mais aussi parce que le point litigieux était susceptible de se présenter à nouveau dans bon nombre de cas dans le futur: le débat concernait les types de renseignements et non simplement les renseignements particuliers visés par l’instance. La règle sur laquelle la British Columbia Securities Commission semblait s’être appuyée – le fait que de nouveaux renseignements sur la valeur d’éléments d’actif peuvent constituer un changement important – était une question de droit, parce qu’elle était susceptible de s’appliquer à un grand nombre de cas». Comme le laisse voir le jugement, cette référence à la généralité de la question visait essentiellement à fournir un éclairage sur la difficile distinction entre question de fait et de droit. Ce n’avait pas empêché le juge d’imposer à la Cour d’appel un devoir de retenue sur une question de droit. Dans Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragr. 43, le juge Bastarache reprend à son compte cette idée de généralité (au sens défini plus haut), qu’il interprète comme étant un facteur devant inciter une cour d’appel à moins de retenue. Nous reviendrons sur ce point. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 137 nature de l’industrie des valeurs mobilières, le caractère spécialisé des fonctions de la commission, son rôle en matière d’établissement de politiques et la nature du litige), la Cour retient qu’«il y a lieu de faire preuve en l’espèce d’une grande retenue malgré le droit d’appel prévu par la loi et l’absence d’une clause privative»60. Par contre, dans Dell Holdings Ltd c. Régie des transports en commun de Toronto61, la Cour suprême, par une majorité de 6/1, a décidé que la Cour d’appel n’avait à faire preuve d’aucune retenue particulière puisque la décision dont est appel ne mettait en jeu aucune expertise particulière de l’organisme en cause, la Commission des affaires municipales de l’Ontario. Cependant, comme la majorité était d’avis, qu’en l’espèce, la décision de la Commission était correcte, elle n’a pas jugé nécessaire d’analyser pourquoi elle lui niait le statut d’expert62. L’insistance de la haute juridiction sur l’expertise particulière du Tribunal, par rapport à la question soulevée, confirme qu’il s’agit-là du facteur le plus important pour déterminer la norme applicable et, peut-être même, d’un prérequis, pour que la cour, exerçant une fonction d’appel, soit tenue à un devoir de déférence à l’égard des conclusions juridiques ou mixtes de fait et de droit de l’organisme. Cette impression est confirmée par le juge Iacobucci lorsqu’il souligne, dans Southam, qu’«au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts»63. Il s’ensuit que si la décision dont est appel se situe en dehors du domaine d’expertise de l’organisme, il n’y a pas lieu de faire preuve de retenue particulière. La norme applicable au 60. Id., p. 599. Dans Southam l’on apprenait que la norme de contrôle correspondant à cette obligation de grande retenue de la part d’une cour exerçant une fonction d’appel est la norme de la décision raisonnable simpliciter. Au paragr. 58 du jugement, le juge Iacobucci précise: «La norme de la décision raisonnable simpliciter est celle-là même qui a été appliquée dans Pezim, et à juste titre: les parallèles entre cet arrêt et le présent pourvoi sont évidents.» 61. [1997] 1 R.C.S. 32, paragraphes 47, 48. Le litige portait en l’occurrence sur l’interprétation de la notion «troubles de jouissance» qui, aux termes de la Loi sur l’expropriation, étaient susceptibles de donner lieu à une indemnité. Plus précisément, il s’agissait de déterminer si les dommages subis par Dell, par suite du retard mis par l’intimée à acquérir l’emplacement, étaient indemnisables en vertu de cette loi. 62. La lecture du jugement suggère qu’en matière d’expropriation, la Cour estime qu’il relève ultimement de l’expertise supérieure des cours de justice (et non de la Commission) d’interpréter, à la lumière de principes de common law, des dispositions ambigües concernant le droit à l’indemnisation. On notera que la dissidence du juge Iacobucci dans cette affaire ne porte pas sur la norme de contrôle applicable. Cette question n’est nullement abordée dans son opinion. 63. Supra note 12, paragraphe 62. 138 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 contrôle des questions de droit et mixtes de fait et de droit tranchées par l’organisme est alors celle de la décision correcte. On notera en outre que les organismes à l’égard desquels la Cour suprême a imposé, aux cours d’appel, un devoir de retenue, avaient pour mandat de résoudre les conflits résultant de l’application de régimes réglementaires complexes, à vocation davantage économique que strictement juridique et ce faisant, étaient appelés à jouer un rôle actif dans l’élaboration de politiques. SECTION 3: IMPACT DE CETTE ÉVOLUTION JURISPRUDENTIELLE SUR LA COMPÉTENCE D’APPEL QU’EXERCE LA COUR DU QUÉBEC À L’ÉGARD DE DÉCISIONS RENDUES PAR DES ORGANISMES OU TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS Comme on l’a vu plus tôt, même avant l’émergence du principe de la spécialisation des tâches, les juridictions d’appel, dont la Cour du Québec, étaient hésitantes à intervenir dans les conclusions de fait et dans les questions relevant directement de l’expertise ou de la discrétion d’un organisme spécialisé64. Le principe de spécialisation des tâches développé par la Cour suprême retient les motifs antérieurs de retenue mais comme une composante d’une théorie plus globale sur les rôles respectifs des cours de justice et des tribunaux administratifs, dans l’interprétation et l’application des lois «dites» spécialisées. Cette approche intégrée permet de protéger l’autonomie décisionnelle des tribunaux spécialisés à la fois – sur les questions de fait, les questions de droit ou mixtes de fait et de droit – qui relèvent de leur expertise. Son extension subséquente à une cour siégeant en appel est mue par une volonté d’avoir un système cohérent de contrôle judiciaire. Un système qui, comme le suggèrent les jugements étudiés, respecte le principe de la spécialisation des tâches, quel que soit le recours, et dont la justification repose sur une conviction profonde que plusieurs questions soumises aux tribunaux administratifs le sont en raison de leur expertise particulière dans des domaines où les cours, voire les juristes, sont moins aptes qu’eux à donner effet à la loi. 64. Supra section 1, texte et notes 18 à 34. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 139 Dans quelle mesure ces orientations s’appliquent-elles à la compétence d’appel qu’exerce la Cour du Québec à l’égard de décisions rendues par des organismes ou tribunaux administratifs? Autrement dit, quels sont (ou quels devraient être) les rôles respectifs de la Cour du Québec et de ces organismes dans l’interprétation et l’application des lois qui leurs sont confiées? La Cour du Québec a-t-elle un devoir de retenue à l’égard des conclusions juridiques ou mixtes de fait et de droit de la Commission d’accès à l’information, du Comité de déontologie policière, de la section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (qui a remplacé le Bref), des Comités de discipline des Ordres professionnels, de la section du territoire et de l’environnement du TAQ, de la Régie du logement, etc.? En principe, comme on l’a vu, l’approche conduisant au choix de la norme applicable dans le cadre d’un appel statutaire d’une décision d’un tribunal est très souple et se fait cas par cas, en tenant compte d’une pluralité de facteurs, notamment la nature du problème , les dispositions législatives applicables, l’objet de la loi qui crée le tribunal, le rôle et la fonction du tribunal et, principalement, de l’expertise du tribunal par rapport au problème soulevé. Lorsqu’on en étudie les applications pratiques on constate, par ailleurs, que la Cour du Québec applique largement la norme de l’arrêt Southam. En effet, en dépit du fait que plusieurs des organismes assujettis à sa compétence d’appel œuvrent dans des domaines bien connus des juristes (notamment, la déontologie policière, la déontologie professionnelle et l’accès à l’information), la tendance qui se dégage de la jurisprudence est de les considérer comme des spécialistes dans l’application des lois qu’ils ont à appliquer et, sous réserve de rares cas, d’exiger, pour intervenir, la démonstration d’une erreur déraisonnable. Cette approche est parfois confirmée, parfois même imposée par les tribunaux supérieurs65. Pour illustrer cette tendance, nous évoquerons quelques jugements rendus en matière de déontologie policière et de déontologie professionnelle, puis, nous nous attarderons au domaine de l’évaluation foncière où règne une controverse quant à la norme de contrôle applicable à un certain type de questions. 65. Le choix de cette norme de retenue ou la nature de la question à laquelle elle est jugée applicable (i.e. question de droit ou mixte) ne sont cependant pas toujours très motivés, les cours se contentant souvent de référer à l’arrêt Southam et d’indiquer qu’il s’agit de la norme de contrôle que doivent dorénavant appliquer les cours lorsqu’elles siègent en appel des décisions rendues par des organismes administratifs. 140 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 3.1 Appels en matière de déontologie policière Dans Chamard c. Racicot66, la Cour du Québec a jugé qu’elle devait appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter aux décisions du Comité de déontologie policière – composé d’un avocat, d’un policier et d’un membre du public – et chargé, aux termes de la la Loi sur l’organisation policière67, de connaître et de disposer de toute citation en matière de déontologie policière. S’appuyant sur l’arrêt Southam, la Cour fonde l’obligation de réserve qui lui incombe sur le caractère spécialisé du domaine de la déontologie policière. Cette approche a été confirmée par la Cour supérieure dans Foisy et Rouillard c. Côté et Cour du Québec où la juge Julie Dutil affirme: La Cour du Québec siégeant en appel de décisions rendues par un tribunal spécialisé, le Comité de déontologie policière, doit appliquer la norme de la décision raisonnable simpliciter et non celle de la décision correcte.68 De même, dans Toussaint, Cloutier c. Côté69, après avoir passé en revue les dispositions pertinentes, le juge Sheehan écrit ce qui suit sur la norme applicable: En résumé, les mécanismes prévus à la loi démontrent l’objectif du législateur de consacrer le caractère spécialisé des institutions déontologiques policières et le vaste pouvoir discrétionnaire du Comité sur la détermination de ce qui constitue un acte dérogatoire au Code de déontologie et le cas échéant, l’imposition d’une sanction appropriée. [...] Saisi d’une question de droit ou de droit et de fait, le tribunal judiciaire appelé à instruire un appel prévu par un texte de loi doit prendre en considération plusieurs facteurs pour déterminer les limites à observer dans l’exercice de sa juridiction d’appel. Parce que les tribunaux administratifs possèdent généralement une cer- 66. C.Q. Québec, no 200-02-012040-962, 1997-12-09. Il s’agissait, en l’occurrence, d’un policier cité en discipline pour recours à la force injustifiée envers un citoyen. 67. L.R.Q. c. O-8.1, art. 89. 68. Foisy et Rouillard c. Côté, C.S. Québec, no 200-05-007829-976, 1997-11-03 p. 16 du jugement. Voir aussi Lavoie c. Commissaire à la déontologie policière, C.S. (Québec), 20 mars 1997. 69. C.Q., no 200-02-002489-955, le 23 octobre 1997. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 141 taine expertise et sont saisis de problèmes difficiles et complexes, il est nécessaire d’appliquer à leurs décisions une norme appelant à plus de retenue que la décision correcte sans aller jusqu’à la décision manifestement déraisonnable. La norme applicable ici est la décision raisonnable.70 La perception exprimée dans cette citation, selon laquelle les tribunaux administratifs possèdent généralement une certaine expertise et sont saisis de problèmes difficiles et complexes qui commandent la retenue traduit bien la tendance de la Cour du Québec, lorsqu’elle exerce sa compétence d’appel sur les décisions du comité et des autres organismes administratifs71. Outre l’expertise, certains jugements étudiés72 insistent aussi, pour justifier l’application d’une norme de retenue, sur l’importance de respecter le choix du législateur de faire décider ces affaires majoritairement par des non juristes. On notera que cette considération ne tient toutefois plus car depuis les amendements apportés à la Loi sur l’organisation policière, en 1997, le comité est dorénavant composé exclusivement de juristes qui siègent seuls73. 3.2 Appels en matière de déontologie professionnelle Au même effet, il a été jugé que l’erreur déraisonnable était la norme que devait appliquer le Tribunal des professions lorsqu’il est saisi d’un appel portant sur la déclaration de culpabilité d’un professionnel. Dans l’arrêt Péloquin c. Trifiro74, le Tribunal souligne à ce propos: Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Southam, la règle d’intervention des tribunaux d’appel est quelque peu modifiée. Aussi, le Tribunal a-t-il adopté depuis d’autres règles d’intervention lorsqu’il est saisi d’appel de décisions de comités de discipline concernant la culpabilité d’un professionnel.75 70. Id., p. 15 du jugement. 71. En ce sens voir aussi les affaires Isabelle c. Commissaire à la déontologie policière, [1998] A.Q. 3134 (C.Q.) paragraphe 6 s. et Ferland c. Commissaire à la déontologie policière, C.Q. [1999] J.Q. no 390 paragraphes 12, 13. 72. Notamment les arrêts Chamard c Racicot et Lavoie c. Commissaire à la déontologie policière, C.S. (Québec), supra. 73. Art. 94 et 107.1 Loi sur l’organisation policière, supra. 74. [1999] J.Q., no 1130, JEL/1999-0505, no 500-07-000208-987. 75. Id., paragraphe 7. 142 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Ces nouvelles règles sont essentiellement que le tribunal d’appel doit faire preuve de retenue à l’égard des décisions des tribunaux spécialisés portant sur des questions de droit et de fait et que la norme alors applicable est celle de la décision déraisonnable76. Cette position a été suivie dans plusieurs autres causes, notamment les affaires Farhat c. Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec77 Ordre professionnel des comptables en management accrédités du Québec c. Roger78; Richer c. Claveau79; Latulippe c. Richer80; Forté c. Notaires81; Laporte c. Médecins (Ordre professionnel des)82; Gesse c. Posman83 et Mandron c. Barreau du Québec84. Et, bien que les raisons n’en soient pas fréquemment expliquées, le devoir de retenue semble ici aussi reposer sur une volonté de respecter le choix du législateur de confier à un comité majoritairement composé de pairs, donc des gens qui ont une connaissance particulière du milieu, le pouvoir de juger la conduite d’un professionnel85. 3.3 Appels en matière d’évaluation foncière En ce qui concerne la norme de contrôle applicable en matière d’évaluation foncière, il faut cependant, semble-t-il, distinguer deux types de cas: 1. les cas où l’appel porte sur l’évaluation proprement dite des immeubles, i.e. sur les méthodes de calcul et méthodes d’évaluation, permettant de fixer la valeur qui doit être portée au rôle d’évaluation foncière; et 76. Ibid. 77. [1999] J.Q., no 505 JEL/1999-0306, no 500-07-000195-986. Sur cette question voir aussi J.C. HÉBERT, «L’appel d’une décision déraisonnable», (1997) 57:1 R. du B. 145. 78. [1999] J.Q., no 1128 JEL/1999-0512, no 500-07-000227-987. (Le litige portait notamment sur l’interprétation d’une norme déontologique, plus particulièrement, le sens à donner à l’expression «exercer en pratique privée» au sens de l’art. 37 du Code des professions). 79. T.P. (Chicoutimi), no 150-07-000002-962, 19 août 1997. 80. T.P. (Trois-Rivières), no 400-07-000003-969, 22 janvier 1999. 81. T.P. (Montréal), no 500-07-000213-987, 15 février 1999, paragraphe 8. 82. [1997] D.D.O.P. 271. 83. [1999] J.Q. no 235 JEL/1999-0247 no 500-07-000207-989, Tribunal des professions du Québec. 84. [1998] A.Q. 346. 85. Supra, Farhat note 77, au paragraphe 16 du jugement. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 143 2. les cas où l’appel porte sur la question de savoir si un immeuble doit ou non être porté au rôle en fonction de son utilisation ou, encore, s’il bénéficie d’une exemption. Dans le premier type de cas, la jurisprudence – antérieure et postérieure à l’arrêt Southam – est claire. Le choix de la méthode d’évaluation et son application sont des questions techniques qui relèvent directement ou parfaitement du champ d’expertise de l’organisme. Par conséquent, même s’il s’agit de questions mixtes de fait et de droit, la Cour du Québec ou la Cour d’appel (qui exerce le second pallier d’appel en la matière) ne doivent intervenir que si la décision est déraisonnable. Dans Vigi Santé ltée c. Montréal (Ville)86 la Cour d’appel, sous la plume du juge Robert, affirmait à ce propos: [...] la spécialisation du BREF porte sur l’évaluation proprement dite des immeubles i.e. les méthodes de calcul et méthodes d’évaluation, permettant de fixer la valeur qui doit être portée au rôle d’évaluation foncière. Lorsque l’appel porte sur l’une de ces questions, il touche alors à une matière qui relève directement ou parfaitement du champ d’expertise du BREF, pour paraphraser la Cour suprême dans les arrêts Bell, Pezim, et B.C. Téléphone, précités. Dans ces cas, il y a lieu de faire preuve d’une certaine retenue judiciaire à l’égard de la décision du BREF, même s’il s’agit de questions mixtes de faits et de droit, et la Cour du Québec ou la Cour d’appel ne doivent intervenir que si la décision est déraisonnable. Lorsque transposée dans le contexte de l’évaluation foncière, cette norme n’est pas différente de celle, bien connue et depuis longtemps appliquée en cette matière, qu’avait à l’origine énoncée notre collègue le juge LeBel dans l’arrêt célèbre Steinberg’s Properties c. Ville de Montréal et C.U.M.87 La jurisprudence de toutes les instances, incluant la Cour suprême, est constante et abondante sur ce point: les juridictions d’appel ont, à l’égard des questions d’évaluation proprement dites, 86. J.E. 99-476. 87. Ibid. Dans l’arrêt Steinberg, [1987] R.J.Q. 1975, 1981 (C.A.), le juge Lebel affirmait: «La Cour provinciale (maintenant la Cour du Québec) assume son rôle propre qui ne lui permet pas de se substituer au Bureau de révision de l’évaluation foncière et de reprendre à la base dans le détail le calcul des évaluations. Il lui appartient plutôt de contrôler les erreurs graves de faits et les mauvaises applications des principes légaux qui auraient pu dénaturer la procédure d’évaluation et les règles la gouvernant, notamment celle de l’évaluation à la valeur réelle qui constitue la règle d’or du régime d’évaluation immobilière.» 144 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 un devoir de retenue88. Dans Anstalt c. Communauté Urbaine de Montréal89, un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec, on apprenait d’ailleurs que ce devoir pourrait même aller jusqu’à restreindre les possibilités du juge d’appel d’intervenir pour harmoniser les décisions rendues par les différents bancs de l’organisme. Dans le second type de cas, – i.e. lorsque le différend porte sur la qualification aux fins de savoir si un immeuble doit ou non être porté au rôle en fonction de son utilisation ou, encore, s’il bénéficie d’une exemption – la détermination de la norme de contrôle applicable est plus controversée et la jurisprudence récente de la Cour d’appel du Québec est partagée sur la question. Dans l’arrêt Charny (Municipalité de la Ville de) c. Alex Couture Inc.90, il a été jugé qu’il fallait appliquer la norme de la décision correcte. Selon le juge Brossard, qui rédige pour la Cour d’appel, la question de savoir si un immeuble doit ou non être porté au rôle en fonction de son utilisation ne relève pas strictement du domaine de spécialisation du BREF «mais bien d’une appréciation juridique d’une question mixte de fait et de droit» que les tribunaux judiciaires appelés à se prononcer en appel peuvent tout 88. Voir notamment Montréal (Communauté Urbaine) c. Société immobilière du Québec, [1999] JQ 1030 (C.A.); Charny (Municipalité de la Ville de) c. Alex Couture Inc., C.A.Québec 20-09-000772-969, le 27 mars 1998; Montréal (Communauté Urbaine de) c. Hydro Québec, [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe). Atlantic Construction Inc. c. Montréal (Communauté Urbaine), [1998] A.Q. 2917 (C.A.); Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Adélaïde Capital, [1998] J.Q. 3951 (QL); Hilton Place Québec Ltée c. Québec (Communauté Urbaine), [1998] A.Q. 2482 (CQ). Voir au même effet, C.U.Q. c. Atlific Inc., [1994] R.D.J. 1 (C.A.). Ville de St-laurent c. Canadair, [1978] 2 R.C.S. 79; Eskay Investments inc. c. Ville de Montréal, C.A.M., no 500-09-000870-741; Bronfman c. City de Westmount, [1980] C.A. 421; Communauté Urbaine de Québec c. Quality inns Canada Ltd., [1982] C.A. 107; Guy Towers inc. c. Cité de Montréal, [1968] B.R. 277. John Hancock Mutual Life Insurance Co. c. C.U.M., C.A.Montréal, no 500-09-000355-917, le 22 août 1997 (J.E. 97-1712); C.U.Q. c. Hudson’s Bay Company, C.A.Québec, no 200-09-000403-946, le 26 janvier 1996, perm. d’appel à C.S.C. refusée le 10 octobre 1996 no 25232; Dominion Textile Inc. c. Ville de Montréal-Est et C.U.M., C.A.Montréal, no 500-09-001159-920, le 2 novembre 1995 (J.E. 95-2131); Hippodrome Blue Bonnets Inc. et Campeau Corporation c. Ville de Montréal et C.U.M., J.E. 93-577 (C.A.); C.U.Q. c. Développement Pasteur Inc., C.A.Québec, no 200-09-000557-873, le 23 mai 1991; Les Pipelines Montréal c. Ste-Julie, [1988] R.L. 342 (C.A.); Place St-Eustache c. St-Eustache, [1975] C.A. 131. 89. Anstalt c. Communauté Urbaine de Montréal (C.A. Montréal no 500-09-000230953), 26 avril 1999. 90. C.A.Québec, no 20-09-000772-969, le 27 mars 1998 (jj. Brossard, Forget et Zerbisias). Permission d’appeler à la Cour suprême refusée le 21 janvier 1999, [1998] C.S.C.R. no 259 dans la base de données CSCR (QL). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 145 aussi bien faire91. Dans ce contexte, conclut-il, la cour n’a à faire preuve d’aucune retenue particulière; «(L)a question en litige, qui en est une de droit ou tout au moins mixte de fait et de droit, commande un redressement s’il s’avère qu’il y a erreur, que celle-ci soit ou non manifeste»92. Cette position est reprise par la Cour d’appel dans Ministère des Affaires Municipales c. Communauté urbaine de Québec93 et par la Cour du Québec dans Montréal (Communauté urbaine de) c. Hydro Québec94. Par contre, dans Vigi Santé ltée c. Montréal (Ville)95, un autre banc de la Cour d’appel a décidé que la norme applicable aux questions d’exemption était celle du caractère déraisonnable. Tout en se disant d’accord avec les propos du juge Brossard (à l’effet que la question à savoir si un immeuble doit ou non bénéficier d’une exemption n’était pas au cœur de la compétence spécialisée du BREF), la Cour, sous la plume du juge Robert, estime tout de même qu’il y a lieu, en l’espèce, de faire preuve d’une certaine retenue. Et ce, en raison principalement de la nature de la question – une question mixte de fait et de droit 96- et, du fait que les dispositions à interpréter se retrouvent dans la loi que le BREF est chargé d’administrer. Ce qui, selon l’arrêt Pezim, rappelle le 91. Id., paragraphe 66 s. 92. Id., paragraphe 69. 93. No 200-09-001338-976 (C.A.) 26 mai 1999. En l’espèce, le litige reposait essentiellement «sur le sens à donner au mot «immeuble» de l’article 1 de la Loi, et surtout sur celui de l’expression de «objet mobilier attaché à perpétuelle demeure» (p. 10). Estimant qu’il s’agissait, en l’occurence, d’interpréter des notions de droit civil ne tombant pas dans le champ particulier d’expertise du BREF, la Cour d’appel confirme que le juge de la Cour du Québec était parfaitement justifié d’intervenir pour corriger les erreurs du BREF et qu’il n’avait, à cet égard, aucun devoir de retenue. Voir p. 8-9 et 16 du jugement. 94. [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe) jugement porté en appel à la C.A. du Québec (C.A.M., no 500-09-007332-984). 95. J.E. 99-476 (jj. Deschamps, Robert et Biron (ad hoc). 96. S’appuyant en cela sur un passage du juge Bastarache, dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (M.C.I.) [1998] 1 R.C.S. 982, p. 1003 et s., le juge Robert affirme à ce propos: «Une pure question de droit de portée générale commandera généralement un degré moindre de retenue judiciaire alors qu’une pure question de fait ou une question mixte de droit et de fait fera davantage appel à la spécialisation de l’instance administrative.» (paragraphe 36 du jugement). Et, en l’espèce, il conclut que la question en litige – à savoir si l’activité pratiquée dans les «centres hospitaliers de soins de longue durée» (CHSLD) consiste à «fournir à autrui un immeuble résidentiel» ou «un service connexe» aux personnes qui y résident – constitue une question mixte de fait et de droit que le BREF était appelé à trancher et à l’égard de laquelle la Cour du Québec ou la Cour d’appel ne doivent intervenir que si l’erreur est déraisonnable. (paragraphe 37 du jugement). 146 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 juge, milite en faveur d’une certaine retenue judiciaire97. Au même effet, dans Aluminerie Alouette inc. c. Sept-Iles (Ville)98, la Cour réserve l’application de la norme de la décision correcte aux questions de droit pures99, alors que la qualification, à savoir si les faits satisfont au critère juridique, est plutôt considérée une question mixte de fait et de droit, révisable par la Cour du Québec seulement en cas d’ erreur déraisonnable100. Enfin, dans Amos c. Centre chrétien d’Amos inc.101, un autre banc a conclu cette fois, à la majorité, que la question – à savoir si, selon la preuve, l’unité d’évaluation était utilisée à des fins religieuses aux fins d’exemption de taxe- devait être examinée selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante. Exceptionnellement, cette norme a ici été appliquée à la décision de la Cour du Québec. Le juge Dussault, qui souscrit à l’opinion du juge Letarte, motive brièvement le choix de cette norme par le fait que la preuve avait été apportée par procès de novo (conformément à l’art. 167 de la Loi sur la fiscalité municipale)102. Ce qui suggère qu’il qualifie la question en litige comme en étant essentiellement une de fait. Le juge Gendreau, dissident, estimant pour sa part que la preuve soumise devant la Cour du Québec était essentiellement la même que celle qui avait été présentée devant le BREF, conclut que la norme applicable à la décision du BREF, en l’espèce, est celle de l’erreur déraisonnable. Ce dernier, soutient-il, est un tri- 97. 98. 99. 100. 101. 102. Supra note 96, paragraphe 34. J.E. 99-475 (jj. Proulx et Robert et Philippon (ad hoc). C’est-à-dire des questions d’interprétation des critères juridiques applicables, comme par exemple, l’interprétation à donner à l’expression «matériel roulant» de l’article 65(2) LFM ou aux mots «utilisés principalement à des fins de production industrielle» contenus à l’article 65(1) LFM). Il s’agissait, en l’occurence, de savoir si les éléments d’actifs désignés étaient, au sens de la loi, «utilisés principalement à des fins de production industrielle». J.E. 98-2010 (jj. Gendreau, Dussault et Letarte (ad hoc). Id., au paragraphe 30 de l’opinion. À cette considération, le juge Letarte en ajoute une deuxième, selon laquelle cette norme serait applicable au jugement final de la Cour du Québec faisant l’objet du présent pourvoi parce que cette dernière n’est pas un tribunal spécialisé. À ce propos, le juge Letarte s’exprime ainsi aux paragraphes 47 et 48: «Or, c’est précisément ce jugement final de la Cour du Québec qui, en vertu de l’article 170 de la même loi fait l’objet du présent pourvoi. Comme il ne s’agit pas là d’un tribunal spécialisé, je suis d’avis que le critère applicable à la décision de la Cour du Québec dans le cas sous espèce doit être jugé en fonction du critère de l’erreur manifeste et déterminante et non de l’erreur déraisonnable simpliciter.» Cette insistance sur la distinction entre les deux normes étonne étant donné le fort rapprochement que le juge Iacobucci fait, justement, entre les deux dans l’arrêt Southam. Elle n’est certes pas de nature à simplifier la compréhension du rôle du juge d’appel. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 147 bunal spécialisé103 qui, comme le Tribunal de la concurrence, «se confond avec l’objet de la loi»104. Au-delà des différences dues aux particularités des dossiers, la jurisprudence relative à la norme applicable lorsque le différend porte sur l’inscription au rôle ou le droit à une exemption de taxe demeure irréconciliable. Il importe aussi de réaliser que si le problème sous-jacent à cette controverse s’est surtout posé dans un contexte d’évaluation foncière, il n’est sans doute pas exclusif à ce domaine. Faut-il, comme le suggère l’arrêt Southam, limiter l’application du devoir de retenue aux questions qui relèvent directement de l’expertise de l’organisme (i.e. l’évaluation proprement dite), ou faut-il aussi, comme le soutient le juge Robert dans l’arrêt Vigi Santé, en permettre l’application à certaines questions périphériques à la spécialité de l’organisme, notamment des questions de qualification (mixtes de fait et de droit) que celui-ci est appelé à trancher dans l’exercice de sa compétence? Il y a des arguments à faire valoir en faveur de chacune de ces positions et il n’est pas étonnant que la question soit controversée. Il reste à voir dans quel sens les principes dégagés dans Southam évolueront. Comme on le sait, les décisions de la Cour du Québec, en cette matière, sont dorénavant finales et sans appel105. Mais la suppression du droit d’appel à la Cour d’appel n’aura sans doute que peu ou pas d’incidence sur l’issue de la controverse, puisqu’une erreur dans la détermination de la norme de contrôle applicable donne, de toute façon, ouverture au pouvoir de surveillance et de contrôle des tri103. 105. Id., paragraphe 9 du jugement: «En même temps, la loi a créé un tribunal spécial chargé de son administration en disposant de l’ensemble des plaintes formulées à l’occasion des décisions administratives. C’est le Bureau de révision de l’évaluation foncière (BREF). Il est partie intégrante de ce système général de fiscalité municipale et son expertise, à mon avis, comme celui du Tribunal de la concurrence «se confond avec l’objet de la loi» qu’il applique pour paraphraser le juge Iacobucci. En somme, il doit définir les immeubles qui doivent être inclus au rôle d’évaluation, leur valeur, leur exemption du paiement de la taxe et toutes autres questions de cette nature. Les décisions du BREF si elles doivent porter sur des questions de droit sont rendues par un avocat. Enfin, la Cour du Québec a compétence générale pour entendre des appels des ordonnances du Bureau qui n’est protégé par aucune clause privative. Le droit d’appel est général et inconditionnel comme celui conféré à la Cour d’appel fédérale vis-à-vis le Tribunal de la concurrence. En somme, le Bureau de révision de l’évaluation foncière est un tribunal administratif spécialisé comme notre Cour l’a déjà décidé. À mon avis, il est, à sa manière, comparable au Tribunal de la concurrence.» Puis, après avoir révisé le dossier, il statue qu’en l’espèce, il n’y avait pas lieu d’intervenir, jugeant la décision du BREF non seulement raisonnable, mais correcte. Art. 164 Loi sur la justice administrative, supra note 5. 148 Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999 104. bunaux suprérieurs106. De sorte que, même en l’absence d’un droit d’appel statuaire, il reviendra ultimement à la Cour d’appel, peut-être même à la Cour suprême, de trancher cette délicate question. Outre la controverse évoquée plus haut et l’incertitude qu’elle génère quant à la portée du devoir de retenue, la jurisprudence étudiée illustre bien la complexité de l’approche, les difficultés d’application qu’elle présente et, bien sûr, les graves conséquences d’une erreur dans le choix de la norme de contrôle appliquée lors de l’appel. Car, faut-il le rappeler, le fait pour la Cour siégeant en appel de ne pas appliquer la norme de contrôle appropriée (tant aux conclusions de fait qu’aux conclusions de droit) est considéré être un excès de juridiction107. En effet, «même si on a pu soutenir qu’«au fond, la question qui se pose est celle du poids qui doit être accordé aux opinions des experts»108, concrètement, le respect de la politique de retenue en faveur de l’expertise s’est traduit par une norme de contrôle particulière et un devoir de la respecter. Mais peut-être en a-t-on étendu indûment la portée... CONCLUSION En reconnaissant un droit d’appel de décisions prises par un tribunal administratif à une cour de justice composée de juges non spécialisés, le législateur poursuit des logiques qui ne sont pas toujours facilement réconciliables. Devant ce louvoiement, on peut certes comprendre que la haute juridiction ait présumé, dans les arrêts Pezim et Southam, 106. 107. 108. De plus, notons qu’il reste à tout le moins une cause pendante, l’affaire C.U.M. c. Hydro Québec [1998] R.J.Q. 3310 (C.Q. juge Barbe) C.A.M. ,no 500-09-007332984., dans laquelle la Cour d’appel, aura prochainement l’occasion de se prononcer sur la question. Par exemple dans les arrêts Pezim et Southam la Cour suprême a renversé les décisions des cours d’appel au motif qu’elles avaient manqué à leur devoir de retenue. Au même effet, dans Bau-Val inc. c. La Cour du Québec, [1996] R.J.Q. 1109 (C.S.), la Cour Supérieure estime que la Cour du Québec a excédé sa compétence en n’appliquant pas le principe de retenue développé dans Pezim. Voir aussi Côté c. Rouleau, J.E. 96-839, où la Cour supérieure a conclu que la Cour du Québec avait commis une erreur en intervenant dans les conclusions de fait du Comité alors qu’il n’y avait pas erreur manifeste et déterminante. Également, dans Petit c. Guimont supra note 29, la Cour supérieure a jugé que le fait pour le tribunal des professions d’appliquer une norme incorrecte dans l’évaluation de faits nouveaux constituait une erreur manifestement déraisonnable, révisable judiciairement. Southam, supra note 12 au paragraphe 62. Revue du Barreau/Tome 59/Automne 1999 149 qu’il était de l’intention du législateur de laisser au Tribunal de la concurrence de même qu’à la Commission des valeurs mobilières, la responsabilité de donner un sens à des textes législatifs techniques, (souvent susceptibles de plus d’une interprétation), pourvu, bien sûr, que l’interprétation donnée soit raisonnable. En effet, ces deux cas soulevaient des questions techniques, reliées à l’application de régimes réglementaires complexes par des organismes spécialisés, composés de membres ayant une formation particulière dans ces questions plus économiques que strictement juridiques. Cependant, il ne s’ensuit pas que cette déférence s’impose à l’ensemble, ni même à la plupart, des tribunaux administratifs qui exercent, en première instance, des fonctions d’adjudication. L’exercice, par un tribunal administratif, d’une compétence limitée, ne confère pas, en soi, une expertise qui commande la retenue. Il faut faire des distinctions. Ce n’est décidément pas la même chose de décider si un policier a, par son comportement, commis un acte dérogatoire au Code de déontologie, que de décider de questions touchant l’interchangeabilité fonctionnelle de quotidiens et de journaux communautaires. Il y a expert et expert... Les arrêts Pezim et Southam, semble-t-il, ne les visent pas tous et leur portée ne devrait pas être étendue indûment. À la lumière de la jurisprudence étudiée, nous estimons qu’il y a lieu de remettre en question la facilité avec laquelle les juges ont parfois tendance à conclure à l’expertise supérieure du tribunal. La reconnaissance du statut d’expert – et conséquemment, l’imposition d’un devoir de retenue judiciaire – sur la base d’un critère essentiellement organique est incohérente à la fois avec l’attribution d’un droit d’appel et avec les principes dégagés dans Pezim, Southam et Dell Holding. Comme le suggèrent ces derniers, la détermination de la norme de contrôle applicable par une cour exerçant une fonction d’appel ne peut se faire que sur une base de cas par cas et en tenant compte d’une pluralité de facteurs, dont la nature des fonctions exercées par le tribunal administratif, le caractère spécialisé des questions en litige et l’expertise particulière des membres du tribunal sur ces questions. Et, comme le révèle l’application qu’en a faite la Haute cour: en dehors des cas où la complexité des questions soulevées et la nature du régime législatif mettent en jeu l’expertise technique du tribunal, la Cour exerçant une fonction d’appel n’a à faire preuve d’aucune retenue particulière, sauf à l’égard des conclusions de fait. 150 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Si, au cours des années 1970, la jurisprudence a pu être justifiée d’imposer un devoir de retenue pour éviter que les juges ne transforment leur pouvoir de surveillance en un appel déguisé, nous croyons qu’il importe maintenant de corriger les excès et d’éviter de rendre l’appel assimilable au pouvoir de surveillance. À moins d’en restreindre la portée, l’imposition d’un devoir de retenue à une cour siégeant en appel, sur des questions d’interprétation statutaire, complique exagérément l’exercice de la fonction d’appel et remet en cause l’utilité même de ce recours. À quoi sert-il de multiplier les recours visant, en principe, à protéger les droits des justiciables, s’ils ont, à toutes fins utiles, la même vocation109? La marge d’intervention entre ce qui est déraisonnable et ce qui l’est manifestement justifie-t-elle l’octroi d’un recours additionnel ? 109. Sur ce point voir aussi doctrine citée, supra note 38 ainsi que les commentaires très éclairants du Professeur Yves Ouellette dans son remarquable ouvrage «Les Tribunaux administratifs canadiens», supra note 1, p. 375-377. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 151 ANNEXE Liste des arrêts de la Cour suprême du Canada portant sur le contrôle judiciaire de l’interprétation que font les tribunaux administratifs des lois qu’ils ont à appliquer: Par ordre chronologique Syndicat canadien de la fonction publique c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Yellow Cab Ltée c. Board of Industrial Relations, [1980] 2 R.C.S. 761; Syndicat des employés de production du Québec c. Conseil canadien des relations de travail, [1984] 2 R.C.S. 412; Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 471; Syndicat des professeurs c. CEGEP Lévis-Lauzon, [1985] 1 R.C.S. 596; Union des employés de service, local 298, c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1088; Bell Canada c. Canada (C.R.T.C.), [1989] 1 R.C.S. 1722; CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd, [1989] 2 R.C.S. 983; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330; National Corn Growers assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324; Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie section local 740, [1990] 3 R.C.S. 644; Canada (P.G.) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; Alberta Union of Provincial Employees c. University Hospital Board, [1991] 2 R.C.S. 201; Zurich Insurance Co. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [1992] 2 R.C.S. 321; Chrysler Canada Ltd. c. Canada (Tribunal de la concurrence), [1992] 2 R.C.S. 394; Dickason c. Université de l’Alberta, [1992] 2 R.C.S. 1103; 152 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471; Canada (P.G.) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554; Canada (P.G.) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941; Dayco (Canada) Ltd. c. TCA-Canada, [1993] 2 R.C.S. 230; Fraternité Unie des Charpentiers et Menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd, [1993] 2 R.C.S. 316; Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 R.C.S. 353; Canada (P.G.) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689; Domtar inc. c. Québec (C.A.L.P.), [1993] 2 R.C.S. 756; Lignes aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Association canadienne des pilotes de lignes aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; Pezim c. C.B. (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557; Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des Relations du Travail), [1995] 1 R.C.S. 157; British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739; Royal Oaks Mines Inc. c. Canada (Conseil des relations du travail), [1996] 1 R.C.S. 369; Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571; Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825; Newfoundland Association of Public employees c. Terre-Neuve (Green Bay Health Care Center), [1996] 2 R.C.S. 3; Centre communautaire juridique de l’Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84; Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 855; Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 153 Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015; Conseil de l’éducation de la Cité de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O. district 15, [1997] 1 R.C.S. 487; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793; Pasiechnyk c. Saskatchewan (Worker’s Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; J.M. Asbestos inc. c. Québec (CALP), [1998] 1 R.C.S. 315; Canada Safeway Ltd c. Syndicat des détaillantsgrossistes et magasins à rayons, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Battleford and District Co-operative Limited c. Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 544, [1998] 1 R.C.S. 1118. 154 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 La migration des contaminants et la responsabilité de droit pénal ou administratif Robert DAIGNEAULT Résumé Le ministère de l’Environnement du Québec, dans ses interventions auprès de propriétaires de terrains contaminés, tend de plus en plus à assimiler la migration de contaminants dans le sol à une infraction de pollution et à voir le sol en cause comme une «source de contamination» au sens de la Loi sur la qualité de l’environnement (L.R.Q., c. Q-2, «la L.Q.E.» ). Cette position aurait l’avantage, pour l’Administration, d’engager la responsabilité du simple propriétaire, sans qu’il soit nécessaire de s’en prendre au pollueur du site. Après avoir décrit le phénomène de migration des contaminants et ce qui le distingue de la véritable pollution, l’auteur s’interroge sur l’opportunité et la justesse d’une telle interprétation des dispositions de la Loirelatives à la pollution et aux sources de contamination. Devant l’absence de décision judiciaire au Québec ayant abordé spécialement cette question et devant la convergence évidente des législations environnementales dans les pays industrialisés, une incursion dans diverses juridictions (principalement l’Ontario et la Colombie-Britannique au Canada, de même que les États-Unis, la France et l’Allemagne) permet de voir comment le problème s’est posé ailleurs et comment les tribunaux et les législatures ont tenté de le résoudre. Des enseignements peuvent en être tirés, en tenant compte des fins recherchées par le législateur pour prévenir ou stopper les atteintes à l’environnement. Sur cette base, l’auteur revoit toutes les dispositions utiles de la L.Q.E. et conclut que l’infraction de pollution ne peut aller aussi loin que de mettre en cause celui qui est en fait la victime d’une pollution accomplie. Pour mettre en cause le propriétaire, le législateur doit le dire clairement. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 155 La migration des contaminants et la responsabilité de droit pénal ou administratif Robert DAIGNEAULT* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161 1. LE PHÉNOMÈNE DE LA MIGRATION . . . . . . . . . 166 1.1 Mouvement dans l’environnement . . . . . . . . . 168 1.2 Les facteurs extrinsèques et leurs incidences. . . . 173 2. PROBLÈME JURIDIQUE POSÉ . . . . . . . . . . . . . 176 2.1 Infraction de pollution ou non? . . . . . . . . . . . 177 2.2 Moment de commission . . . . . . . . . . . . . . . 178 2.2.1 Le dépôt dans un contenant contre l’introduction dans l’environnement . . . . 180 2.2.2 Le rejet indirect dans l’environnement . . . 181 2.3 Responsabilité continue ou ponctuelle? . . . . . . . 183 2.4 Quelle est la «source de contamination»? . . . . . . 185 2.4.1 * La propriété source de contamination . . . 187 Avocat, administrateur agréé, biologiste. L’auteur remercie les personnes suivantes. Pour leurs travaux de recherche: M. Christopher Hamacher, juriste, diplômé de l’Université de Montréal (1995) et Me Lorraine Chardigny, membre du Barreau de Paris, diplômée de l’Institut de droit public des affaires de l’École du Barreau de Paris (1998); pour la traduction: outre M. Hamacher, Mme Heidi Gschwendtner; pour le travail de saisie et de correction: Mmes Paulette MénardFavreau et Ghislaine Chavarie; pour son soutien financier à la recherche: la Fondation du Barreau du Québec. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 157 2.4.2 La zone contaminée en tant que source . . . 188 2.4.3 Le sol sous-jacent au point d’entrée des contaminants . . . . . . . . . . . . . . . . . 189 2.5 Migration contre simple présence . . . . . . . . . . 190 3. L’INFRACTION DE POLLUTION . . . . . . . . . . . . 192 3.1 Pénétration contre propagation . . . . . . . . . . . 193 3.2 N’est-ce pas le propre d’un contaminant de se propager? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 3.3 Le problème des condamnations multiples . . . . . 199 3.4 La culpabilisation de la victime . . . . . . . . . . . 201 3.5 L’imprescriptibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 3.6 Une lecture indûment complexifiée . . . . . . . . . 209 3.7 La gravité objective . . . . . . . . . . . . . . . . . 210 4. LA RECHERCHE DE L’ACTE RÉPRÉHENSIBLE . . . 211 4.1 L’existence d’un acte positif . . . . . . . . . . . . . 213 4.1.1 L’activation de la migration . . . . . . . . . 213 4.1.2 La migration subséquente à l’introduction des contaminants dans l’environnement . . 217 4.2 L’absence d’acte positif. . . . . . . . . . . . . . . . 219 4.2.1 Le propriétaire du sol . . . . . . . . . . . . 219 4.2.2 La garde et le contrôle . . . . . . . . . . . . 223 5. COMMENT DIVERSES JURIDICTIONS ABORDENT LE PROBLÈME LÉGISLATIF ET JUDICIAIRE . . . . 225 5.1 États-Unis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 158 5.1.1 Les grands concepts . . . . . . . . . . . . . 228 5.1.2 Commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 235 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 5.2 Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236 5.2.1 Ontario . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238 5.2.2 Colombie-Britannique . . . . . . . . . . . . 244 5.2.3 Autres juridictions provinciales . . . . . . . 246 5.3 France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247 5.4 Allemagne . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250 6. APPLICATIONS EN DROIT QUÉBÉCOIS . . . . . . . 253 6.1 Législatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255 6.1.1 Les dispositions associées à la libération de contaminants . . . . . . . . . . . . . . . . . 257 6.1.2 Les dispositions associées au statut juridique de la personne en cause . . . . . . . . . . . 268 6.2 Judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274 6.2.1 L’affaire Tricots Canada U.S. . . . . . . . . 274 6.2.2 Le jugement Laidlaw . . . . . . . . . . . . 274 6.2.3 L’affaire Levy . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 6.2.4 L’arrêt Thibault Démolition . . . . . . . . . 276 6.2.5 L’affaire Granicor . . . . . . . . . . . . . . 276 6.2.6 Les affaires Pelchat et Eldorado . . . . . . 277 6.3 Commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278 6.3.1 La source dite «secondaire» . . . . . . . . . 280 6.3.2 L’émission du contaminant . . . . . . . . . 282 7. CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283 7.1 Ne pas pousser trop loin le sens des mots. . . . . . 284 7.2 Respecter les choix du législateur . . . . . . . . . . 286 7.3 Rechercher l’«avertissement raisonnable» . . . . . 287 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 159 INTRODUCTION En 1998, le ministre de l’Environnement et de la Faune lançait la nouvelle politique de son ministère sur les sols contaminés1. Elle témoigne de la préoccupation actuelle de notre société quant au problème environnemental que posent les terrains contaminés. Associés à la révolution industrielle et à un développement économique qui ne tenait pas compte des conséquences de l’activité humaine sur l’environnement, ces terrains sont aujourd’hui perçus à la fois comme un inconvénient et comme une menace. Voici comment l’exprime la nouvelle politique du Québec: Contaminer un sol, c’est lui faire perdre, à un degré plus ou moins prononcé, une ou plusieurs de ses fonctions. La contamination de cette ressource constitue un handicap social et environnemental de même qu’un frein économique certain. Les impacts sur la santé humaine, la dégradation de l’environnement, la perte d’usage de terrains et de nappes d’eaux souterraines de même que l’incertitude des investisseurs sont autant de conséquences directes de la présence de contamination dans les sols.2 Il n’y a guère que quelques solutions: le traitement ou le confinement des sols sur place, ou encore leur excavation et leur transport hors du site. Chacune a ses désavantages. Le traitement est généralement le plus coûteux et pose souvent des difficultés techniques considérables. Le confinement maintient les sols en place et peut soustraire le site à des usages futurs. L’excavation suppose la disponibilité de sols de remplacement et entraîne le report du problème, les sols excavés devant être ultimement soit traités, soit confinés, ailleurs. La réhabilitation requiert des investissements3. Devant l’insolvabilité ou la disparition du véritable pollueur, les États con1. Ministère de l’Environnement et de la Faune, «Politique de protection des sols et de réhabilitation des terrains contaminés», dans Politiques et directives de l’environnement au Québec, Farnham, Publications CCH, 1995 (éd. rév.), ¶¶ 2 505 et s. (ci-après la «Politique de protection et de réhabilitation»). 2. Politique de protection et de réhabilitation, art. 3, supra, note 1, ¶ 2 515. 3. C’est ainsi qu’on parle des «coûts généralement faramineux auxquels s’élève le moindre scénario de décontamination»: Martin PAQUET, «Les prohibitions de l’article 20», dans Robert DAIGNEAULT et Martin PAQUET, L’environnement au Québec, Farnham, CCH, 1994 (éd. rév.), ¶ 10 100; des cas précis font état de coûts de restauration de 3 millions et même de 17 millions de dollars: Robert L. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 161 frontés au problème recherchent un autre responsable4 et le propriétaire du terrain se retrouve dans la mire de l’Administration. Mais de mettre en cause le propriétaire, de par son seul statut de propriétaire, est plus facile à dire qu’à faire. En effet, les coûts élevés de la décontamination font en sorte que peu d’entre eux en ont les moyens. Même l’Administration publique, ellemême propriétaire de nombreux sites contaminés (mines désaffectées, propriétés saisies, immeubles sans maître etc.) s’est montrée hésitante à y investir. Par ailleurs, les propriétaires qui n’ont rien à voir avec la cause de la contamination ne voient pas pourquoi il leur incomberait d’en assumer les frais. Leur mise en cause se bute aussi au principe du pollueur-payeur, qui se fonde lui-même sur un autre principe, l’équité. «Le principe d’équité sous-tend [sic] que la réhabilitation d’un terrain contaminé doit être assurée en premier lieu par ceux qui profitent ou ont profité de sa non-protection»5. Le simple propriétaire ne serait-il pas plutôt une victime qu’un pollueur? Sa seule erreur, s’il en est, ne serait-elle pas d’avoir acquis un terrain sans se soucier de son état? Pourtant, ce n’est que récemment en Amérique du Nord que l’évaluation environnementale de site6 est devenue pratique courante avant l’acquisition d’un terrain7. Faut-il s’en prendre à l’ignorance de ces propriétaires? Si leur faute est d’avoir négligé de vérifier l’état du site, est-ce une faute suffisamment condamnable pour justifier d’être responsable de la décontamination? Et que dire de l’État qui s’évite lui-même ce genre d’exigences, en qualifiant de sites orphelins les sites abandonnés devant lui revenir selon le droit commun8. 4. 5. 6. 7. 8. RIVEST et Marie-Andrée THOMAS, «Le recours en injonction en vertu de la L.Q.E.», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 25-62, p. 26; ou encore 66 millions $: Donald McCARTY, «La responsabilité environnementale des prêteurs, quels sont les risques réels?» dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1997), Cowansville, Yvon Blais, 1997, 299-342, p. 320. RIVEST et THOMAS, supra, note 3, écrivent: «De fait, la notion de «pollueur-payeur» largement véhiculée lors de certains amendements législatifs semble constituer un bien mince moyen «de facto» de récupérer quelque somme d’argent auprès des personnes responsables lorsque ces dernières ont cessé leurs activités». Politique de protection et de réhabilitation, art. 3, supra, note 1, ¶ 2 515. Telle que définie dans: Association canadienne de normalisation, Évaluation environnementale de site, phase I, norme CAN/CSA Z768-94, Rexdale, Acnor, 1994. G. MATTNEY COLE, Assessment and Remediation of Petroleum Contaminated Sites, Boca Raton (Florida), Lewis Publishers, 1994, p. 105. Art. 936 du Code civil du Québec (ci-après: «C.c.Q.»): «Les immeubles sans maître appartiennent à l’État. [...]»; toutefois, l’art. 126 L.Q.E. soustrait l’État à certai- 162 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Quoi qu’il en soit, le propriétaire demeure une cible de choix. D’abord, il est le plus souvent retraçable. Ensuite, il a un lien de droit avec le terrain en cause. Enfin, dans la mesure où le terrain a un usage ou que sa décontamination reste moins coûteuse que sa valeur nette, son propriétaire possède un actif, et donc une capacité financière théorique d’intervenir. Certains ont ajouté que c’est le propriétaire qui profitera économiquement de la remise en état du terrain et qu’en conséquence, c’est lui qui devrait injecter les fonds nécessaires. Il y a un hic. Il ne suffit pas de décider administrativement de le mettre en cause. Pour le contraindre à agir, encore faut-il de véritables pouvoirs. Il faut trouver dans la législation des ancrages auxquels accrocher une telle responsabilité. Aux États-Unis, dès 1980, le législateur affirmait explicitement son intention de viser les propriétaires9. Au Québec, peu de dispositions visent expressément le simple propriétaire, mais à l’aube des années quatre-vingt-dix, on a vu apparaître au Canada quelques lois en ce sens10. Déjà cependant, depuis 1986, la loi américaine pourtant réputée pour sa sévérité ménageait une porte de sortie au propriétaire innocent11. On a vu se dessiner au Québec une position voulant qu’un terrain contaminé soit lui-même juridiquement considéré comme une source de pollution12. En effet, si le terrain est réputé tel, il nes dispositions, les articles 31.46 à 31.51 (non en vigueur cependant), concernant la responsabilité du propriétaire d’un sol contaminé. 9. Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act, 42 U.S.C. §§ 9601 et s., ci-après «CERCLA», désigné souvent sous le nom de Superfund. 10. Il y a eu notamment, en 1990, le Spills Bill en Ontario et la Loi du pollueurpayeur au Québec, de même qu’en 1993, le Contaminated Sites Legislation en Colombie-Britannique (pour plus de détails sur ces lois, voir les chapitres 5 et 6). 11. Robert L. BRONSTON, «The Case Against Intermediate Owner Liability Under CERCLA for Passive Migration of Hazardous Waste», (1994) 93 Michigan L. R. 609, p. 627: «This “innocent landowner exemption”, which appears in a modification to the definitional section of CERCLA, provides that purchasers are liable for the land they acquire unless they can show, inter alia, that “the real property on which the facility concerned is located was acquired by the defendant after the disposal or placement of the hazardous substance on, in, or at the facility.”»; les rédacteurs de la norme CSA/Z968-94 sur l’évaluation environnementale de site («EES», supra, note 6), elle-même fondée en grande partie sur la norme américaine ASTM E 1527, nous rappellent «qu’aux ÉtatsUnis, le processus d’établissement de la norme sur l’EES avait pour but de permettre à l’utilisateur de remplir les conditions requises de la «Défense du propriétaire innocent» en vertu de la Comprehensive, Environmental Response, Compensation and Liability Act (CERCLA)». 12. Même si la L.Q.E. contient une définition de pollution qui la distingue d’une simple contamination, nous assimilons les deux termes, dans ce texte, pour les fins de notre analyse. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 163 devient facile de considérer son propriétaire comme responsable de cette pollution. On a aussi avancé que ce propriétaire du terrain était par le fait même le propriétaire des contaminants du sol, ou en avait tout au moins la garde ou le contrôle. Du coup, voilà aplanis les obstacles dont celui, de taille, que pose le principe du pollueur-payeur. Le propriétaire victime de la pollution devient ipso facto pollueur. On peut désormais le pointer du doigt sans que cela ne suscite de problèmes d’ordre éthique13. Cette orientation vient modifier considérablement la lecture qui se faisait traditionnellement du droit au Québec. Elle semble vouloir se maintenir, à en juger par le texte de la nouvelle politique du ministère de l’Environnement et de la Faune. Malgré qu’on y reconnaisse le principe du pollueur-payeur, il reste qu’on vise systématiquement les propriétaires14. Cette politique n’a pas force de loi15, mais elle est conçue de manière à faire jouer les lois du marché16. Les enjeux financiers sont considérables. Les enjeux juridiques également. L’implication du propriétaire en tant que pollueur repose sur un phénomène en apparence propre aux terrains contaminés, la migration des contaminants. Bien souvent, les contaminants du sol sont portés à se déplacer, se diffuser, se propager. Cette contamination migrante a pour effet de transférer les contaminants d’un site à un autre, d’un médium à l’autre (c’est-à-dire du sol à l’eau ou à l’air, par exemple). Ce transfert est perçu comme un phénomène de pollution. Cette orientation résiste cependant mal à l’analyse. En effet, au même titre que le propriétaire est, dans les faits, une victime et non un pollueur, le sol contaminé est une conséquence, non une cause de la pollution. Ou alors, il faut considérer une pollution de second niveau, une pollution «secon13. Observation de Me Michèle-Laure RASSAT sur l’arrêt Ferrier, en France (P.G. Besançon c. Ferrier (28 avril 1977), Recueil Dalloz Sirey, Jurisprudence, 1978, p. 149.), p. 151: «On ne peut plus guère la soutenir aujourd’hui [l’absence de blâme social] alors que des campagnes de toute nature, qui n’ont en commun que leur manque de mesure, ont tellement ébranlé l’opinion publique que la pollution est aujourd’hui rendue responsable de tous les maux de l’humanité et les pollueurs considérés comme les agents humains de l’apocalypse». 14. Voir notre commentaire dans Robert DAIGNEAULT, «Nouvel encadrement des interventions sur les sols contaminés», (1998) 17-18 L’environnement au Québec 6-8, p. 8. 15. Par analogie, sur la politique de 1988: Denys-Claude LAMONTAGNE, «Les droits du propriétaire dans le sol et le sous-sol», (1989) 3 C.P. du N. 141, p. 184; Odette NADON et Paul GRANDA, «Qui doit assumer la responsabilité des sols contaminés?», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1997), Cowansville, Yvon Blais, 1997, 183-238, p. 186. 16. C’est ce qu’indique le ministère de l’Environnement et de la Faune, dans le texte même de la politique, art. 4, supra, note 1, ¶ 2 520. 164 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 daire»17. Le débat est récent au Québec. Il n’y a pas, à notre connaissance, de jugement qui se soit penché sur cette question particulière. La célèbre décision Laidlaw18, rendue par la Cour d’appel du Québec, a suscité des commentaires intéressants, mais elle n’a pas véritablement abordé ce problème. Quelques années plus tôt, cependant, la Cour d’appel de l’Ontario rendait un jugement19 qui semble avoir exclu la contamination migrante de la notion de pollution, telle qu’elle pourrait être sanctionnée en vertu de la Loi sur la protection de l’environnement de l’Ontario20. Cette décision s’inscrit à l’encontre d’une série de décisions des tribunaux ontariens qui, au contraire, ont semblé mettre sur le même pied la migration de contaminants dans l’environnement et leur introduction première dans ce milieu21. La question se pose sous deux rapports: la sanction pénale et la sanction administrative. Si ces sanctions procèdent de régimes distincts, leurs effets se rejoignent. Dès le moment où nos tribunaux ont distingué l’infraction criminelle de l’infraction réglementaire, ils ont fait se rapprocher la sanction de cette dernière de la sanction administrative. Leurs conséquences à toutes deux sont avant tout financières et aucune ne porte le stigmate de la criminalité. Enfin, les infractions prévoyant l’emprisonnement sont rares22. Il serait donc périlleux, à notre avis, de s’autoriser 17. NADON et GRANDA, supra, note 15, p. 220: «Il n’est donc pas suffisant pour ce faire de tarir la première source de contamination, soit un réservoir qui coule, un sol imbibé de contaminants ou une nappe liquide flottante d’hydrocarbures, par exemple. Il faudra tarir toutes les sources secondaires de contamination, c’est-à-dire non seulement briser la chaîne de transport des contaminants, mais détruire également les maillons de la chaîne.» 18. P.G. du Québec c. Services environnementaux Laidlaw (Mercier) Ltée, [1995] R.J.Q. 377 (C.A.) (ci-après «Laidlaw»); au moment d’écrire ces lignes, la décision Compagnie pétrolière Impériale n’était pas encore rendue (Compagnie pétrolière Impériale Ltée c. Ministre de l’Environnement et de la Faune (2 juin 1999), T.A.Q.., no STE-Q-47000-9804). 19. Canadian National Railway Co. v. Ontario (Director appointed under the Environmental Protection Act) (1992), 8 C.E.L.R. (N.S.) 1 (C.A. Ont.). 20. L.R.O. 1990, c. E.19, ci-après la «L.P.E.O.». 21. Dianne SAXE, Environmental Protection Act, annotated, Aurora, Canada Law Book, 1990 (éd. rév.), p. II-35 et II-36: «These cases [...] are also very difficult to reconcile with the decision of the Ontario Court of Appeal in R. v. Canadian National and Northern Wood Preservers [...], where the court took considerable pains to emphasize that a “discharge” occurs only the first time that a contaminant is released into the natural environment, and that there is no “discharge” when contaminants subsequently move from one part of the environment to another. To date, none of the cases has successfully reconciled these divergent lines of argument.» 22. Dans la L.Q.E., par exemple, seuls la contravention à l’article 20 et le refus ou l’omission d’obtempérer à une ordonnance ou de s’acquitter de certaines obliga- Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 165 d’un pouvoir administratif pour donner aux lois de nature réglementaire une portée plus grande que ce qu’autorise le droit pénal. S’il n’y a que peu de sources juridiques utiles en droit québécois, les sources étrangères abondent où les pouvoirs législatifs et judiciaires ont tenté d’apporter des solutions, chacun avec son originalité propre. Des enseignements utiles peuvent en être tirés. Il y a une intéressante convergence dans la façon dont ces questions ont été abordées. Leur traitement est fortement marqué par les particularités de la migration des contaminants et la difficulté d’apporter des solutions juridiques simples à un problème qui n’a manifestement pas été prévu à l’origine par les diverses législatures lorsque furent sanctionnées les premières lois environnementales. Nous nous inspirerons de cette réflexion étrangère pour proposer une solution dans notre droit. 1. LE PHÉNOMÈNE DE LA MIGRATION Le droit de l’environnement jongle avec des concepts nouveaux23. On a défini les notions d’environnement, de contaminant, de pollution, de source de contamination. Des infractions ont été créées, rendant passibles de sanctions pénales des gestes qui auparavant n’étaient tout au plus que des fautes civiles. Ce flottement autour de la notion de pollution n’est donc pas étonnant. La migration de contaminant n’est pas en soi une constatation récente. Il est de l’essence même du contaminant de se propager. C’est de là d’ailleurs que découlent ses principaux effets. Il se propage dans les eaux de surface ou dans les eaux souterraines, il voyage dans l’air, il entre à l’intérieur des organismes vivants et remonte progressivement la chaîne alimentaire24. Si, en matière de sols contaminés, on attache une importance particulière à cette migration et que l’on en cherche le responsable éventuel, c’est que le sol, au contraire de l’eau et de l’air, est vu traditionnellement comme quelque chose d’immuable. Il constitue d’ailleurs, en droit tions précises rendent passible d’emprisonnement; dans le cas d’une personne morale, la question ne se pose pas. 23. Yvon DUPLESSIS, Jean HÉTU et Jean PIETTE, La protection juridique de l’environnement au Québec, Montréal, Thémis, 1982, p. 49: «L’une des innovations les plus intéressantes contenues dans la Loi [sur la qualité de l’environnement] est sans doute d’avoir considéré l’environnement comme objet de législation en tant que tel [...]» (repris dans Texaco Canada Inc. c. C.U.M. (22 juillet 1994), Montréal 500-02-023766-913, M. le juge J. Barbe, J.E. 94-1242, p. 47). 24. NADON et GRANDA écrivent, supra, note 15, p. 214: «[U]ne contamination est presque toujours susceptible de migrer, la captivité étant la très rare exception». 166 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 des biens, le contraire même de l’eau et de l’air, qui sont eux intrinsèquement res communes25. Le sol étant fixe et les contaminants mobiles, il est facile de le visualiser comme «émettant» ou «dégageant» des contaminants et, partant, de le considérer comme une source de contamination. Cette prétendue source a le plus souvent un propriétaire ou un occupant, ou encore un gardien et, de là, on en vient à leur attribuer la responsabilité de la migration. Bien entendu, cette conception suppose un clivage artificiel de ce qui constitue l’environnement. Le sol est alors vu comme une cause de contamination... du sol, ou encore de l’eau ou de l’air, qui pourtant sont intimement mêlés à celui-ci au point d’en faire partie (eau et air interstitiels, par exemple). Il est révélateur que, dans la Loi sur la qualité de l’environnement du Québec26, il n’y ait eu à l’origine aucune disposition concernant spécialement la contamination des sols, alors que des sections entières de la loi portaient sur l’eau et l’air. La protection des sols se trouvait dissimulée derrière les dispositions concernant la gestion des déchets, hormis un article isolé, l’article 2327. La migration des contaminants dans le sol est un phénomène complexe, qui varie en fonction de plusieurs facteurs qui peuvent influencer sa sanction juridique éventuelle: mouvements spontanés de contaminants déjà introduits dans l’environnement, produit qui se répand dans le milieu ambiant depuis une structure qui fuit, écoulement constant (phénomène de la pollution continue). Autant de déplacements qui se distinguent par le lieu et la manière. Ce sont des nuances capitales dont il résulte une applica25. Art. 913 C.c.Q.; Anne-Marie SHEEHAN, «Le nouveau Code civil du Québec et l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1994), Cowansville, Yvon Blais, 1994, 1-28, p. 12; Charlotte LEMIEUX, «La protection de l’eau en vertu de l’article 982 C.c.Q.: problèmes d’interprétation», (1992) 23 R.D.U.S. 192, p. 196-198; voir cependant: Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1995, ¶ 257. 26. L.R.Q., c. Q-2 (ci-après: «L.Q.E.»). 27. Art. 23 L.Q.E.: «Dans le cas d’une demande d’autorisation relative à certaines catégories de projets, activités ou industries susceptibles de porter atteinte ou de détruire la surface du sol et déterminées par règlement du gouvernement, le requérant doit soumettre un plan de réaménagement du terrain de même que toute garantie exigible, le tout conformément aux normes et modalités prévues par règlement du gouvernement»; les seuls cas prévus par règlement sont ceux des carrières et sablières (Règlement sur les carrières et sablières, R.R.Q. 1981, c. Q-2, r. 2, art. 3k)), et les mines à ciel ouvert (Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, [Q-2, r. 1.001], art. 7(9)d)); cela démontre que les atteintes au sol, pour le législateur, se bornaient à des atteintes physiques et non chimiques. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 167 tion pour le moins inusitée de règles qui, au départ, n’apparaissent pas avoir été conçues pour en tenir compte, vraisemblablement parce qu’elles n’ont pas été écrites pour couvrir la migration des contaminants28. 1.1 Mouvement dans l’environnement Lorsque la source de la contamination est tarie mais que l’environnement demeure contaminé, on a une situation de migration pure, c’est-à-dire d’un mouvement autonome de contaminants à l’intérieur même de l’environnement. Deux effets peuvent alors se produire: la concentration des contaminants peut aller en diminuant, par un effet de dégradation29, de dilution ou de dispersion; sans ces facteurs, elle restera constante. Si l’on exclut l’action humaine, les vecteurs de déplacement sont essentiellement, d’une part, la dissolution dans l’eau et le mouvement subséquent du contaminant avec cette eau et, d’autre part, la vaporisation du contaminant dans l’air et son mouvement dans ce médium à l’état de vapeur. S’y ajoute le phénomène d’écoulement ou d’épanchement, lorsque le contaminant est lui-même mobile, généralement un liquide ou un gaz. La propension intrinsèque du contaminant à se déplacer dépend de ses propriétés physiques et chimiques, et de la nature de l’environnement où il se trouve. Henning30 donne l’exemple d’un contaminant dense qui aura tendance à traverser les couches d’eau souterraine pour s’enfouir profondément dans le sol, par rapport au contaminant plus léger, qui restera au-dessus de la nappe phréatique. Il donne aussi l’exemple d’un produit très volatil qui s’évaporera facilement dans l’atmosphère. Quant aux caractéristiques du milieu influençant la mobilité des contaminants, il pourra s’agir du type de sol, du climat, de la localisation du sol, de la présence ou non d’eau souterraine, de l’activité humaine environnante. Cole31 rappelle pour sa part que la viscosité d’un produit pétrolier et la porosité du 28. Les observations et descriptions qui suivent s’inspirent principalement de l’ouvrage de Boulding (infra, note 32), mais aussi de l’expérience de l’auteur (qui possède aussi une formation scientifique) dans de nombreux dossiers mettant en cause des terrains contaminés. 29. C’est ce qui est relaté entre autres dans l’affaire Birch Foundation v. Nevada Investment Holdings, Inc., U.S. App. LEXIS 14923 (9th Cir. 1998); voir aussi P. G. du Québec c. Ultramar Canada Inc. (26 janvier 1998), Roberval 155-61000859-979 (C.Q.), M. le juge J.-Y. Tremblay, p. 18 «la nature pouvait corriger la situation à la longue». 30. Dr. Frank HENNING, «Sources of contamination», in Toxic Real Estate, Vancouver, Continuing Legal Education, 1990, p. 4.1.03 et 4.1.04. 31. Supra, note 7, p. 84. 168 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 sol influencent la vitesse de migration de ce produit. De façon générale, un très grand nombre de facteurs jouent sur la mobilité et la toxicité des contaminants dans le sol32. Vaporisation et dissolution signifient que le contaminant passe de la phase solide du sol à un médium gazeux ou liquide, à savoir les eaux ou l’air interstitiels du sol, pour éventuellement ne plus être dans le sol lui-même, du moins mélangé ou adhérant à sa phase ou à ses constituants solides, mais dans une nappe d’eau souterraine, dans une eau de surface ou dans l’atmosphère. Le phénomène peut être intermittent. La dissolution peut se produire lors d’une remontée ou d’une infiltration des eaux33. Elle s’interrompt en période de sécheresse ou de gel. Dès l’entrée des contaminants dans le sol, les conditions naturelles commencent à agir et, dès ce moment, le phénomène peut se produire. Il s’atténue souvent progressivement, avec la raréfaction consécutive des contaminants au point d’entrée34. Déjà, ce processus soulève des questions juridiques. Ce changement de médium constitue-t-il un 32. J. RUSSELL BOULDING, Practical Handbook of Soil, Vadose Zone, and Ground-Water Contamination: Assessment, Prevention, and Remediation, Boca Raton (Florida), Lewis Publishers, 1995, p. 146: «The mobility and toxicity of contaminants in the subsurface may be affected by a number of important chemical properties and characteristics of humic substances: • High sorption capacity for metals and organic pollutants • Ability to readily form complexes with heavy metals • Ability to incorporate organic pollutants with similar structures to the building blocks of humus (such as chlorinated phenols, naphtholic compounds and halogenated anilines) when humus forms • Ability to solubilize organic compounds that are otherwise water insoluble • Ability to increase hydrolysis reactions as a catalyst or, conversely, to slow the rate of hydrolysis reactions by sorption • Ability to affect the rate and pathways of oxidation-reduction reactions». 33. Id., p. 179: «Infiltration is probably the most common ground-water contamination mechanism. A portion of the water that falls to the earth as precipitation slowly infiltrates the soil through the pore spaces in the soil matrix. As the water moves downward under the influence of gravity, it dissolves materials with which it comes into contact. Water percolating downward through a contaminated zone can dissolve contaminants, forming leachate that may contain inorganic and organic constituents. The leachate will continue to migrate downward under the influence of gravity until it reaches the saturated zone. In the saturated zone, contaminants in the leachate will spread horizontally in the direction of ground-water flow, and vertically due to gravity. [...] this process can occur beneath any surface or near-surface contaminant source exposed to the weather and the effects of infiltrating water.» 34. COLE, supra, note 7, p. 80: «Typically at the highest level of saturation, the water table is not a static boundary, but fluctuates in cyclical manner as the water table rises and falls. In the vapor phase hydrocarbon vapor exists in the vadose zone in interstitial spaces that are not already occupied by water or bulk liquid hydrocarbons.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 169 nouvel événement? un phénomène nouveau de pollution? Donne-t-il ouverture à une sanction? Le changement de médium amène la question de la divisibilité de l’environnement. Cet actus novus interveniens pourrait peut-être constituer un événement en soi, la pénétration d’un contaminant non pas d’une manière générale dans l’environnement, mais dans l’une de ses composantes, eau, air ou sol. De là à soutenir que cet actus, combiné avec le laisser-faire, équivaudrait à l’actus reus nécessaire, toute la question est là. Dans plusieurs décisions, les faits impliquent un changement de médium35. Tant dans l’application de sanctions administratives (ordonnances) ou de sanctions pénales, la propriété a été au cœur de plusieurs litiges, sous diverses juridictions36. Le changement de propriété sous-entend aussi un passage. Le contaminant franchit les limites d’un terrain. Il peut franchir plus d’une ligne de lot. Il peut aussi être introduit sur la propriété publique (sédiments contaminés des cours d’eau navigables, tréfonds d’anciens sites miniers). Cet état de chose a été facilement sanctionné par le droit commun des nuisances. C’est ainsi qu’une municipalité peut invoquer avec succès la L.Q.E. contre le propriétaire d’un immeuble envahi par des émanations provenant du terrain sous-jacent contaminé37, même si la cause de la contamination peut se situer 35. En Ontario: Canadian National Railway Co. v. Ontario (Director appointed under the environmental protection Act) (1991), 6 C.E.L.R. (N.S.) 211 (Ont. Div. Ct.), 223., conf. supra, note 19; R. v. Bata Industries Ltd. (1992), 7 C.E.L.R. (N.S.) 245, 256; R. v. Power Tank Lines Ltd. (1975) 23 C.C.C. (2d) 464; Aux États-Unis: Emhart Industries Inc. v. Duracell International Inc., 665 F.Sup. 549 (M.D. Tenn. 1987); The Fertilizer Institute v. U.S.E.P.A., 935 F. 2d 1303 (D.C. Cir. 1991); Joslyn Manufacturing Co. v. T.L. James & Co., Lexis 12343 (W.D. La. 1993), Reichhold Chemicals Inc. v. Textron Inc., 888 F.Sup. 1116 (N.D. Fla. 1995); U.S. v. Shell Oil Co., 841 F.Sup. 962 (C.D. Cal. 1993); En France: Ferrier, supra, note 13 (Rev. jur. env. 1982, p. 156, obs. M.-J. Littmann-Martin); voir aussi: Cas. crim., 25 oct. 1995; Dr. pénal 1996, comm. 66. 36. En Ontario: Rockcliffe Park Realty Ltd. v. Ontario (Director, Ministry of the Environment (1975), 10 O.R. (2d) 1 (C.A.); Canadian National Railway, supra, note 35; En Colombie-Britannique: R. v. Rivtow Straits Ltd. (1992), 8 C.E.L.R. (N.S.) 16 (C.S. C.-B.), conf. (1993), 12 C.E.L.R. (N.S.) 153 (Loi sur les pêches fédérale); Aux États-Unis: Lincoln Properties Ltd. v. Higgins, 823 F.Sup. 1528 (E.D. Cal. 1992); Reichhold Chemicals, supra, note 35; Westfarm Associates Limited Partnership v. Washington Suburban Sanitary Commission, 66 F.3d 669 (4th Cir. 1995); Hill v. Whitemarsh Township Authority, 199 B.R. 298; 1996 Bankr. LEXIS 848 (E.D. Pa. 1996). En Grande-Bretagne: Price v. Cromack, [1975] 2 All ER 113. 37. Art. 80 à 82 L.Q.E.: Ville de Sept-Îles c. 2736-4140 Québec Inc. (30 mai 1997), Mingan 650-05-000156-977 (C.S.), M. le juge A. Carrier. 170 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 ailleurs que dans ce terrain38. Il faut cependant distinguer ce contexte civil particulier de l’infraction de pollution. Nous y reviendrons. Le mouvement de contaminants dans l’environnement peut se faire d’un bloc ou par l’expansion progressive. Dans le premier cas, une seule masse de contaminants se déplace et l’ensemble s’éloigne progressivement du point d’origine. Dans le second, c’est la zone contaminée qui s’agrandit sans qu’il y ait coupure depuis le point d’origine. Dans l’un, l’endroit où était initialement le contaminant en est pratiquement débarrassé; l’impact apparaît maintenant ailleurs. On peut imaginer une nappe de brut poussée par les courants sur un plan d’eau, ou encore un nuage toxique poussé par les vents dans l’atmosphère. De la même manière, les contaminants du sol sont peu à peu remplacés par de l’eau ou de l’air interstitiels non contaminés. Par contre, dans l’autre cas, le point de départ de la migration reste souillé. La zone s’amplifie en étendue, mais la contamination diminue inévitablement en intensité39. S’il y a déplacement en bloc, à supposer que le terrain d’où provenaient les contaminants pouvait être vu comme leur source, alors, cette source est désormais tarie. Elle n’«émet» plus. Les contaminants n’y sont plus. La question est alors de savoir si chacun des autres lieux où se sont répandus les contaminants, en aval, devient provisoirement la source d’où émanera une nouvelle contamination. Autre particularité, à moins d’une dilution ou d’une dispersion progressive des contaminants, ceux-ci conserveront en théorie la même concentration qu’au départ. S’il y a plutôt épanchement, la situation est différente. On a d’un côté un milieu de départ qui demeure contaminé, puisque c’est la zone qui s’agrandit, mais la concentration en contaminants y diminue progressivement. De l’autre, on a un milieu aval où il y a augmentation de la présence de contaminants là où la zone progresse. Par ailleurs, plus l’intensité de la zone de départ s’atténue, plus la propagation ralentit, les contaminants les plus labiles se déplaçant en premier. Peut-on considérer qu’il y a pollution lors d’un tel épanchement, ou n’est-ce pas là plutôt sa conséquence? Quoi qu’il en soit, l’effet des contaminants, contrairement au premier cas, ira constamment en s’atténuant. 38. Ville de Mont-Laurier c. Paquette (19 mai 1978), Labelle 560-05-000119-78 (C.S.), M. le juge C. B. Major (reproduit dans Duplessis, Hétu et Piette, supra, note 23, p. 441). 39. «[Chemicals’] levels diminish as they extend»: Bata Industries, supra, note 35, p. 296; voir aussi, supra, note 29. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 171 La migration peut se faire par volatilisation dans l’atmosphère. Un réservoir à ciel ouvert d’un produit qui s’évapore entraîne son dégagement dans l’environnement. Tant et aussi longtemps qu’il demeure dans le réservoir, même s’il est déjà à l’air libre, on serait fondé de considérer que le produit ne s’est pas encore répandu, comme une fosse à purin qui dégage des odeurs nauséabondes. La fosse étant conçue pour recevoir le produit, son contenu ne serait pas encore un dépôt dans l’environnement40. Ce sont les émanations qui constitueraient le dégagement. Qu’en est-il d’une nappe de contaminants qui, plutôt que d’être ainsi retenue, est déjà dans l’environnement? Le déversement initial est clairement une infraction de pollution, sous réserve des défenses possibles. Mais si le produit répandu s’évapore ensuite, s’agitil d’une nouvelle infraction? Le problème est ici comparable au changement de médium, mais à la différence que c’est la forme du contaminant qui est modifiée, non le médium. Une eau peut se détériorer en traversant une zone où elle lessivera d’autres substances, comme les eaux de lixiviation d’un lieu d’enfouissement sanitaire (sans compter l’eau contenue dans les déchets eux-mêmes et qui se mélange à l’eau de pluie)41. Dans un tel cas, la cause de la pollution se situerait dans l’environnement. Du moins à première vue42. Dans les faits cependant, les cellules du lieu d’enfouissement ne constituent pas physiquement l’environnement naturel, mais un espace extérieur à celui-ci, un volume isolé et identifiable distinct du sol environnant. Soit, les déchets peuvent être plus ou moins bien isolés des agents extérieurs. La réglementation actuelle prend même pour acquis que les eaux contaminées se propagent43. Il n’en demeure 40. Par analogie, voir R. v. Enso Forest Products Ltd. (1993) 12 C.E.L.R. (N.S.) 221 (B.C. C.A.): un ouvrage conçu pour recevoir un déversement, à savoir un simple fossé, n’a pas été considéré comme l’environnement; voir aussi l’arrêt Piette c. Texaco Canada ltée (30 août 1982), Montréal 500-27-012042-802 (C.S.), M. le juge J. Ducros, et comparer avec P. G. du Québec c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan ltée (Sécal) (26 septembre 1997), Chicoutimi 150-61-002111-958 (C.Q.), Mme la juge M. Paradis, p. 17-18, qui applique les principes de l’arrêt Enso. 41. P.G. du Québec c. Duchesne [1973] C.S. 942: «La décomposition des déchets produit un jus appelé «leachate»». 42. «À partir du moment où l’on considère que les déchets sont absorbés par la terre, ils ne sauraient évidemment être considérés comme des «res derelictae» puisque la terre est nécessairement appropriée.»: Pascale STEICHEN, Les sites contaminés et le droit, Paris, L.G.D.J., 1996, p. 38. 43. «L’enfouissement sanitaire des déchets solides doit s’effectuer sur un terrain où les conditions hydrogéologiques sont telles que les eaux de lixiviation s’infiltrent dans le sol et que le temps de migration des eaux est supérieur à 5 ans 172 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 pas moins que les eaux pénètrent dans la masse des déchets et en extraient des substances44, comme dans l’affaire Laidlaw45. Entraînés ainsi par l’eau les contaminants sont rejetés dans l’environnement. A-t-on un phénomène analogue, cependant, si les eaux entraînent des substances naturelles? Prenons le cas des précipitations acides. En abaissant le pH du sol, elles mettent en solution des métaux lourds qui peuvent pourtant être naturels46. La personne qui ne protège pas son sol des eaux de précipitations acides (en le recouvrant, par exemple) commet-elle une infraction par omission? Son sol n’est-il pas, selon certaine thèse, une source de contamination? Le phénomène est pourtant très semblable chimiquement au lessivage des déchets. Que dire enfin des cas de gaz radon, un gaz radioactif présent naturellement dans certains sols et qui envahit les sous-sols47? Le terrain est-il une source de contamination? Peut-on même considérer contaminé un environnement qui se manifeste dans ses caractéristiques éminemment naturelles? 1.2 Les facteurs extrinsèques et leurs incidences Au-delà du simple mouvement autonome des contaminants dans l’environnement, il existe des facteurs extérieurs qui pourraient avoir une incidence sur la qualification juridique éventuelle de ce phénomène autonome. Il s’agit en fait de situations où l’action humaine joue un rôle contributif. Lorsque les contaminants sont déjà dans le sol, leurs divers modes de propagation autonome ont été décrits plus haut, mais une fois le contaminant introduit, si une personne intervient pour en causer la propagation, peut-on sanctionner ce geste? En vertu du CERCLA, la dispersion engendrée par une personne a été traitée différemment de celle qui se produit de façon naturelle. Ainsi, l’entrepreneur qui a éparpillé la contamination en faisant des travaux d’excavation et de nivellement dans des sols contaminés a été vu comme ayant déposé des substances dangereuses sur un site et a été jugé res- 44. 45. 46. 47. avant de parcourir 300 mètres [...]»: Règlement sur les déchets solides, [Q-2, r. 3.2], art. 29, al. 1. Voir la définition d’«eau de lixiviation» dans le Règlement sur les déchets solides, [Q-2, r. 3.2], art. 1g). Supra, note 18. LAMONTAGNE, «Les droits du propriétaire dans le sol et le sous-sol», supra, note 15, p. 165 (à la note 32). Michel BÉLANGER, La responsabilité de l’État et de ses sociétés en environnement, Cowansville, Yvon Blais, 1994, p. 82 (à la note 241). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 173 ponsible party48. Cette conclusion s’est fondée sur la définition de «disposal» dans la loi américaine49. La plupart du temps toutefois, l’action humaine ne fait qu’accélérer ou accentuer un processus qui, de toute manière, se produira. L’excavation de sols contaminés avec des produits volatils peut laisser ces produits se propager dans l’atmosphère50. Or, ces produits se propageront de toute façon puisque le sol contient des vides interstitiels. L’eau souterraine, par ses fluctuations verticales, refoule cet air vers l’atmosphère lorsqu’elle s’élève. Accélérer la décharge de contaminants lorsqu’elle se produit de toute façon, mais sans aucun ajout de contaminants, peut-il être le même genre d’infraction que leur libération pure et simple dans l’environnement? Qu’en est-il si la migration est provoquée non pas par un éparpillement des contaminants dû à une personne en amont, mais à un appel d’eau causé en aval51? Y a-t-il transfert de responsabilité vers l’agent en aval? Dans le cas de structures enfouies ou à même le sol, l’action des agents naturels s’observe avant tout au niveau de la structure elle-même. Il s’agit en quelque sorte d’un phénomène qui précède la libération des contaminants. Une fois le contenant percé, son contenu s’écoule la plupart du temps de lui-même. Il s’agit alors d’une fuite52. Dans le cas de lagunes ou de cellules d’enfouis48. Ganton Technologies, Inc. v. Quadion Corp., 834, F.Sup. 1018 (N.D. Ill. 1993); Kaiser Aluminum & Chemical Corp. v. Catellus Development Corp., 976 F.2d 1338 (9th Cir. 1992); voir cependant HRW Systems, Inc. v. Washington Gas Light Co., 823 F.Sup. 318 (D. Md. 1993), où l’ignorance de l’état des lieux a permis au promoteur de se prévaloir de la défense d’innocent owner, laissant par là entendre que le déplacement de la substance serait davantage un «release» qu’un «disposal» (pour la définition de «disposal», v. infra, note 49; pour la définition de «release», v. infra, note 89). 49. Il s’agit en fait de la définition apparaissant dans le Resource Conservation and Recovery Act («RCRA»), 42 U.S.C. §§ 6901-6987. La définition se retrouve à 42 U.S.C. § 6903: «The term “disposal” means the discharge, deposit, injection, dumping, spilling, leaking, or placing of any solid waste or hazardous waste into or on any land or water so that such solid waste or hazardous waste or any constituent thereof may enter the environment or be emitted into the air or discharged into any waters, including ground waters». 50. Voir notamment: ministère de l’Environnement et de la Faune, Lignes directrices d’intervention pour l’enlèvement de réservoirs souterrains ayant contenu des produits pétroliers, Québec, Gouvernement du Québec, 1994, p. 72. 51. À Mercier, il a fallu restreindre l’utilisation de puits pour éviter la propagation d’une nappe contaminée: Règlement relatif à la protection des eaux souterraines dans la région de ville de Mercier, [Q-2, r. 18.1]; les personnes qui, par le pompage, provoquent la migration sont-elles responsables de ce qu’elles causent? 52. Causes impliquant des contenants enfouis: Laidlaw, supra, note 18, R. v. Blackbird Holdings Ltd. (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 119 (Ont. Prov. Off. Ct.); Emhart Industries, supra, note 35. 174 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 sement, il s’agit ordinairement d’une véritable percolation53. Une migration de contaminants vers l’environnement peut se produire dans des conditions très similaires à une migration dans l’environnement, dans le cas de la percolation. Le cas le plus patent est celui des fameuses lagunes de Mercier, à l’origine d’un des plus sérieux cas de contamination souterraine qu’ait connu le Québec. Il existe toutefois d’importantes différences. Ainsi, lors d’une fuite, le phénomène, plutôt que d’aller en s’atténuant, peut souvent prendre de l’ampleur. Plus la structure sera détériorée par les agents naturels, plus celle-ci laissera échapper son contenu, jusqu’à ce qu’elle se vide. Par ailleurs, il s’agit davantage d’une introduction de contaminants dans l’environnement que de leur seule migration. C’est ce phénomène que nous décrit la Cour d’appel dans l’affaire Laidlaw54. Un produit peut s’écouler sans arrêt d’un récipient. Cet écoulement se prolonge et se continue le plus souvent sur une certaine distance vers l’aval. Il peut se continuer sous terre, puis apparaître en aval sur les berges et à la surface d’un plan d’eau. Si l’écoulement hors du réservoir représente un rejet dans l’environnement, peut-on y assimiler la propagation du même produit, doublement continu, c’est-à-dire créé par l’apport constant de produit en quelque point que l’on soit sur son trajet, de même que par sa progression constante vers l’aval? Si la progression qui se continue au-delà de la source elle-même est tout autant un phénomène de pollution (contrairement à ce que la Cour supérieure a laissé entendre dans l’affaire Tricots Canada U.S.55), le responsable n’aurait rien réglé en stoppant l’écoulement du réservoir, s’il ne stoppait également la progression du produit échappé56. En 53. Causes impliquant des lagunes ou cellules d’enfouissement: Duchesne, supra, note 41; R. v. Amoco Fabrics and Fibers Ltd. (1992) 9 O.R. (3d) 306; Shell Oil, supra, note 35. 54. Supra, note 18, p. 379: «Lorsqu’ils furent enfouis, les contenants étaient plus ou moins étanches et, par l’effet de la corrosion, ils allaient le devenir de moins en moins. En conséquence, ils allaient laisser écouler leurs contaminants. On peut donc dire que les contenants enfouis constituaient autant de sources éventuelles de pollution et que l’émission des contaminants allait être continue durant plusieurs décennies.» (italiques ajoutés) 55. Tricots Canada U.S. Inc. c. La Prudentielle Compagnie d’assurance Ltée, [1990] R.J.Q. 1412 (C.S.), désistement en appel. 56. Id., p. 1416: la Cour a estimé que les seules obligations du demandeur, lorsque la fuite est apparue, «étaient d’avertir le ministre sans délai (art. 21) et de colmater la fuite (art. 20)». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 175 Ontario, les opinions sont partagées à ce sujet57, surtout que les tribunaux semblent l’être tout autant. Dans certains cas, les contaminants proviennent directement de l’environnement. Parfois, c’est une composante de l’environnement lui-même qui devient un contaminant, comme les sédiments soulevés du fond d’un plan d’eau58, de la poussière emportée de la surface d’un sol dégarni de sa végétation59, de la terre ou même du sable déposé dans l’eau60. Dans ces cas, l’environnement n’est pas une source. La matière n’est pas au départ un contaminant lorsqu’elle est dans l’environnement, elle en est une caractéristique. Elle n’en altère pas la qualité, elle est une composante même de cette qualité. Elle peut être mue par divers agents, dont les forces de la nature. Par l’action humaine, de la machinerie manipulée dans le lit d’un cours d’eau pourra aussi remettre en suspension les sédiments. De la même manière, le va-et-vient de véhicules sur la terre battue soulèvera de la poussière qui se répandra. Par rapport aux phénomènes naturels, la différence est la cause du mouvement. Dans un cas, elle est la manifestation des forces naturelles. Dans l’autre, le phénomène ne se serait pas produit sans l’intervention humaine. En quelque sorte, l’activité humaine a transformé ce qui au départ faisait d’une chose une partie de l’environnement pour la particulariser et la rendre étrangère à ce même environnement. Cela n’est pas sans rappeler la migration de contaminants activée par une intervention humaine. La question est alors de déterminer si cette dernière s’assimile ou non au déplacement de substances naturellement présentes dans l’environnement. 2. PROBLÈME JURIDIQUE POSÉ La responsabilité attachée à la migration de contaminants peut être d’ordre civil, pénal ou administratif: au plan civil, il 57. Voir Stanley DAVID BERGER, The Prosecution and Defence of Environmental Offences, Toronto, Emond Montgomery Publications, 1997, ¶ 2.270; voir cependant Rick F. COBURN, «The Due Diligence Defence and Continuing Discharges: R. v. Amoco Fabrics & Fibers Ltd. – Case Comment», (1992) 3 J.E.L.P. 121. 58. P. G. du Québec c. New Brunswick International Paper Co. (4 juillet 1980), Bonaventure 105-27-000670-76 (C.S.P.), M. le juge S. Cloutier. 59. R. v. Glen Leven Properties Ltd. (1997), 34 C.C.C. (2d) 349 (H.C.J. Ont.). 60. P.G. du Québec c. Tanguay-Moreau (26 septembre 1983), Beauce 350-05000389-815 (C.S.), M. le juge V. Masson, J.E. 83-955, conf. (14 septembre 1984), Québec 200-09-000869-831 (C.A.); dans R. c. Lippé (1er septembre 1983), Québec 200-27-002762-838 (C.S.P.), J.E. 83-871, le juge M.-A. Drouin s’était refusé à voir dans le sable naturel un contaminant, considérant que «le dérangement humain doit avoir un certain poids» (p. 5). 176 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 s’agit de la responsabilité face aux tiers touchés par la migration; au plan pénal, il s’agit de la sanction de ce qui est perçu comme un comportement répréhensible relié à la migration; au plan administratif, il s’agit de l’application des larges pouvoirs d’intervention de l’Administration. Les aspects de droit pénal se rapprochent beaucoup de ceux de droit administratif, notamment parce qu’en matière de sols contaminés, on a assisté à l’émergence de puissants recours administratifs principalement fondés sur le principe du pollueur-payeur, au Québec du moins61. Examinons, dans un premier temps, l’acte qui intervient lorsque se produit une migration de contaminants afin de dégager ce qui serait l’actus reus de l’infraction alléguée ou la cause de l’intervention gouvernementale. Gardant à l’esprit les nombreuses formes du phénomène et les circonstances très variées où il se manifeste, il est nécessaire de le décomposer afin d’y reconnaître les éléments potentiellement générateurs d’infraction ou de responsabilité administrative du prétendu pollueur. 2.1 Infraction de pollution ou non? La première question concerne les conséquences de l’acte. Si une chose est passible de sanction, c’est que ses conséquences sont jugées inacceptables. L’aspect incontournable est celui de la pollution. Dans presque tous les cas de migration, il n’y a pas de contribution humaine. S’agit-il alors de pollution par négligence ou de la conséquence de la pollution? Le mot pollution, que Le Robert assimile à dégradation, qui renvoie lui-même à détérioration, peut servir autant à désigner l’action que son résultat. Il y a le fait de polluer, il y a le fait d’être pollué. Dans la recherche de l’acte susceptible de responsabilité, c’est sur la forme active de l’expression qu’il faut se rabattre. Il y a une nette différence entre la contamination d’un sol en train de se produire, et l’état accompli de sa contamination. Nous en avons déjà fait état62. Un sol contaminé (acte accompli) pose un problème parce que les contaminants qui s’y trouvent sont appelés à se propager (conséquence appréhendée de l’acte). 61. La L.Q.E., à l’article 106.1, sanctionne aussi sévèrement le non-respect d’une ordonnance administrative que l’acte de pollution lui-même, c’est-à-dire par les amendes les plus fortes que contienne la Loi et même par l’emprisonnement. 62. Robert DAIGNEAULT, «Les sols contaminés», dans La législation environnementale au Québec, Actes de conférence, Toronto, Institut canadien, 1995, section VIII, p. 8: «Il y a donc une distinction à faire entre la contamination en tant qu’action et la contamination en tant que résultat de cette action. En matière de sols contaminés, on se situe davantage au niveau du résultat». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 177 Quoi qu’il en soit, si la migration équivaut à pollution (au sens de l’acte plutôt que de son résultat), alors cette pollution prendrait deux aspects très différents. Le premier est celui de la migration vue comme immédiatement consécutive à l’entrée d’un contaminant dans l’environnement. Dans ce cas, il est clair que la migration peut être reliée aux agissements concrets d’une personne. Quelqu’un a activement libéré le contaminant ou permis qu’il le soit activement, ou quelqu’un a créé une situation de fait telle que, par son omission de prévenir une libération éventuelle du contaminant, celui-ci aura finalement été introduit dans l’environnement. Sous le deuxième aspect, aucun cas n’est fait de l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement, ni du responsable de cette introduction. On ne considère pas alors d’actus reus proprement dit63, il est intentionnellement ignoré, écarté. Il ne s’agit pas, comme dans l’affaire Laidlaw, d’avoir posé le geste d’enfouir des barils puis d’avoir ensuite omis de prendre des mesures pour éviter qu’ils ne fuient. Le comportement en cause en est strictement un d’omission de la part de la personne aux prises avec le terrain contaminé, sans aucun acte contributif quelconque de cette personne. Se pose alors inévitablement la question de savoir à quel moment la responsabilité pourrait entrer en jeu64. 2.2 Moment de commission En suivant le raisonnement de la Cour d’appel dans Laidlaw, la transaction d’émettre un contaminant dans l’environnement commence dès le moment où des gestes sont posés qui aboutiront invariablement à sa libération et se prolonge jusqu’à ce que la libération ait lieu65. Si la fuite est continue, alors la pollution est continue. Si la migration ultérieure du contaminant était assimilée à la pollution au même titre que la fuite initiale, alors, en suivant un raisonnement identique, c’est la même transaction qui se prolongerait66. Dans un tel cas, le comportement du contami63. «[L]’ actus reus d’une infraction réside dans le comportement extériorisé de ses mouvements physiques et dont le comportement est prévu et sanctionné par la loi pénale»: Gisèle CÔTÉ-HARPER, Antoine D. MANGANAS et Jean TURGEON, Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 268. 64. Étant entendu qu’une concentration donnée de contaminants dans le sol ne signifie pas que c’est cette quantité qui, au jour de l’infraction, a effectivement migré. 65. C’est ce qui ressort du passage cité à la note 54, supra. 66. Par analogie, «l’action des barils qui se vident dans le sol peut être imputée directement à l’auteur de l’enfouissement comme constituant le prolongement 178 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 nant dans le sol complique quelque peu la détermination du moment de la commission de l’éventuelle infraction. Si le simple mouvement du contaminant dans le sol est une infraction, serait-ce le cas chaque fois que le contaminant se déplace, même s’il ne fait qu’osciller entre les mêmes deux points dans l’espace, par les fluctuations du niveau d’eau? Et si le contaminant se déplace de façon unidirectionnelle plutôt qu’alternative, à quel moment l’infraction de pollution surviendrait-elle? Dès les premiers mouvements du contaminant? dès que celui-ci aura franchi une distance considérée plus que négligeable67? au moment où il aura franchi la limite de propriété? au moment de changer de médium? Serait-ce plutôt une question de vitesse de propagation? Du moment que la migration constituerait un phénomène de pollution, toutes ces hypothèses seraient valables. On a parfois laissé entendre que le moment de l’infraction se situerait après l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement68. Ce fut la thèse, semble-t-il de la Cour de l’Ontario, Division provinciale, dans Bata69, une affaire pénale. Cette décision précède cependant de deux semaines celle de la Cour d’appel de l’Ontario, en matière d’ordonnance, dans l’affaire communément appelée Northern Wood Preservers ou NWP70, qui citait avec approbation le juge de première instance: It would be an undue and improper strain upon the interpretation of the definition of a natural environment in s. 1(1)(k) to read it as being disjunctive, and to cover natural movements of contaminant from one part of the natural environment to another.71 En droit américain, les tribunaux ont été plutôt divisés sur cette question72, bien que plusieurs décisions récentes se refusent à voir dans la migration de contaminants un phénomène pouvant être sanctionné par le Superfund ou CERCLA73. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. de son acte personnel d’émettre.»: Paule HALLEY, «L’infraction de pollution continue: L’entreposage et l’enfouissement de contaminants à la lumière de l’affaire Laidlaw – Case Comment», (1994) 5 J.E.L.P. 77, p. 84. C’est la Cour suprême qui a avancé ce critère du «plus que négligeable», Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1031, p. 1081, repris dans P.G. du Québec c. Ultramar, supra, note 29. Rick F. COBURN, supra, note 57, p. 125. Bata Industries, supra, note 35, p. 256: «The material continues to discharge, if not from the drums, from the soil to the groundwater. It continues to discharge as it moves with the groundwater. It discharges into the natural environment, i.e., the air by foaming and releasing odour.» (italiques ajoutés) Sub nomine Canadian National Railway, supra, note 19. Canadian National Railway, supra, note 35, p. 223. Bronston, supra, note 11, p. 610. V. infra, section 5.1. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 179 If a person merely controlled a site on which hazardous chemicals have spread without that person’s fault, that person is not a polluter and is not one upon whom CERCLA aims to impose liability.74 (italiques ajoutés) Cette loi sera examinée plus en détail. Il y a en effet un parallèle manifeste entre ses dispositions et certaines sanctions administratives de la L.Q.E.75. 2.2.1 Le dépôt dans un contenant contre l’introduction dans l’environnement Dans l’affaire Laidlaw, c’est le passage des contaminants de l’intérieur des barils vers l’environnement qui constituait la pollution76. La Cour a considéré comme une seule et même transaction le fait qu’on ait initialement enfoui les barils sans précautions, qu’on les ait laissé se détériorer et qu’enfin, leur contenu se soit échappé. Le moment véritable de l’accomplissement de l’infraction restait celui où les substances s’échappaient des barils enfouis. Le retour au dépôt initial des barils dans le sol n’a en fait servi qu’à mettre en cause l’inculpée, en établissant un lien de causalité avec elle (ou son prédécesseur). C’était en fait le début de l’acte d’introduction des contaminants dans l’environnement, acte qui n’a été complété qu’au moment de la fuite. En Ontario, la Provincial Offence Court en était arrivée à une conclusion tout à fait comparable, quelques années plus tôt77, distinguant, quant au moment de l’infraction, des barils enfouis et en train de se vider et 74. ABB Industrial Systems v. Prime Technology Inc., 120 F. 3d 351 (2nd Cir. 1997). 75. Nous avons fait ce parallèle dans Robert DAIGNEAULT, «La portée de la nouvelle loi dite «du pollueur-payeur»», (1991) 36 R.D. McGill 1027, p. 1035-1041. 76. Laidlaw, supra, note 18, p. 378: «Il ne peut être raisonnablement contesté que, le ou vers le 10 mai 1991, le sous-sol où ces contenants avaient été enfouis était imbibé d’une partie des contaminants provenant de certains de ces contenants que certains de ceux-ci fuyaient et que la pollution de l’environnement par les contaminants qui s’échappaient des contenants continuait.». 77. Blackbird Holdings, supra, note 52, p. 133: «This case is quite different from the cases cited by the defence counsel. These drums were carrying industrial waste when they were buried, and the court really doesn’t need expert testimony to satisfy it that drums left in the ground as long as these were will certainly have deteriorated, and the video confirmed this. [...] I am satisfied that having seen the video and the liquid spewing from the bottom of the drums that had not been damaged by the retrieval procedures, that on that day alone there was a discharge into the natural environment, and it was obvious the water table was affected because it was visibly present when the discharge took place. As well, I am prepared to conclude that there was a discharge continuously from June the 28th, 1988 until the drums were all finally taken from the soil.» (italiques ajoutés). 180 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 des contaminants déversés soudainement pour ensuite se propager, en s’inspirant d’une certaine affaire R. v. Texaco78. Le droit pénal français, de son côté, s’intéresse à l’effet nocif d’une substance dans le milieu réglementé. Ce peut être lorsque, par exemple, du mazout atteint une rivière après avoir migré dans le sol depuis une canalisation, ou lors d’infiltrations de produits nocifs par perméabilité des contenants79. Une cour a même considéré que la contamination de l’eau douce, puis de l’eau salée, lors d’un même incident, pouvait constituer deux infractions. Ces milieux étaient réglementés par deux textes distincts, à savoir l’article L. 232-2 du Code rural (pour l’eau douce) et l’article 6-13o du décret-loi du 9 janvier 1852 (pour l’eau salée)80. 2.2.2 Le rejet indirect dans l’environnement L’enfouissement de barils, le passage à travers des canalisations souterraines et autres rejets indirects à travers une structure intermédiaire ont toujours posé le problème du moment de l’infraction. L’affaire Power Tank Lines, remontant à la première décennie d’application de la L.P.E.O., envisageait deux infractions, soient le déversement et la migration subséquente du contaminant81. Par contre, dans l’affaire Enso, en Colombie-Britannique82, on a fait une distinction très nette entre le déversement 78. «In the one Texaco case cited by the defence the inadvertence of an employee let a contaminant flow into the environment for quite some time before it was discovered, and the company was charged on the 14th and 15th of the month. The Court found that the actual discharge took place on the 14th and dismissed any wrongdoing on the 15th even though the contaminant was still present in the stream that it had created;» (italiques ajoutés); il s’agit de l’affaire R. v. Texaco Canada Inc. (1986), 1 C.E.L.R. (N.S.) 100 (Ont. Dist. Ct.). 79. Marie-José LITTMANN-MARTIN, «Répression de la pollution des eaux», Fasc. 626, Juris-Classeur, 1996, ¶ 13. 80. Cas. crim., 25 octobre 1995; Dr pénal 1996, comm. 66; LITTMANN-MARTIN, supra, note 79. 81. Supra, note 35, respectivement aux p. 467 et 471: «The accused company took no action to inhibit the passage of the oil either from the tanker to the sewer, from the sewer to the creek, or ultimately, from the creek to the lake. (italiques ajoutés) [...] «In the instant case the company was responsible for the oil in passage and also it did not take the appropriate steps to clean up the spill and there will be a conviction on both counts one [article 14(1)(a) de la L.P.E.O. de 1971 – d’avoir, le 14 janvier 1974, rejeté ou permis le rejet d’un contaminant dans l’environnement naturel] and three [article 32(1) de l’Ontario Water Resources Commission Act, 1970 – d’avoir, entre le 14 janvier 1971 (sic) et le 1er février 1974, rejeté ou permis le rejet de matière dans l’eau].» 82. Supra, note 40; cependant, dans une autre affaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est écartée de l’arrêt Enso, insistant sur une analyse Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 181 en un lieu qui, bien qu’à l’extérieur d’une structure, était destiné à recevoir des contaminants et à les contenir, et un déversement directement dans l’environnement. Un fossé destiné à recevoir des eaux de drainage pour les diriger vers le système de traitement d’un lieu d’enfouissement n’a pas été considéré comme l’environnement, au sens du Waste Management Act83. Au Québec, un rejet de BPC dans une rivière a entraîné une condamnation malgré qu’ils aient été déversés d’abord dans un caniveau84. En droit anglais, l’exploitant d’un réseau d’égout a été responsable des substances qu’il recueillait dans son réseau et qu’il n’était pas en mesure de traiter, lorsqu’elles causaient ensuite de la pollution85. En droit français, au sujet de l’article L. 232-2 du Code rural, on a conclu qu’«il n’importe donc que les substances aient été déversées, non dans la rivière elle-même, mais dans un chenal ou une rigole communiquant avec celle-ci»86. Le dépôt de contaminants dans des lagunes semble, pour sa part, avoir soulevé quelques questions d’interprétation, vu qu’une lagune n’est guère plus qu’une excavation dans le sol. Dans ce cas, il semble qu’on ait été tenté, en Ontario du moins, de considérer le dépôt initial comme un rejet dans l’environnement, quitte à voir l’infiltration subséquente comme un second rejet. «[I]t would appear that a continuing discharge contains two pollution “events” which may give rise to penal liability»87. Dans l’affaire Amoco, le tribunal a cependant considéré que l’acte pollueur n’était pas le dépôt initial dans des lagunes, mais l’infiltration subséquente dans l’environnement. D’une manière analogue, une décision de la Chambre des Lords, au Royaume-Uni a fait une nette distinc- 83. 84. 85. 86. 87. 182 qui tienne compte du but recherché par le législateur: British Columbia (Minister of Environment, Lands & Parks) v. Alpha Manufacturing Inc. (1997), 150 D.L.R. (4th) 193 (B.C. C.A.), p. 203. Aujourd’hui, R.S.B.C. 1996, c. 482; malgré son nom, il s’agit du texte législatif principal en matière de protection de l’environnement, en Colombie-Britannique; l’affaire Enso est à comparer avec deux affaires au Québec (supra, note 40) où des déversements à l’intérieur des digues entourant un réservoir ou à l’intérieur de la cour fermée d’une usine ont été considérés comme des déversements dans l’environnement, mais sans entraîner de responsabilité pénale cependant, pour d’autres raisons. P.G. du Québec c. Consolidated Bathurst Inc. (10 août 1990), 410-27-000896898 (C.P.S.), M. le juge R. Lefrançois (l’infraction visait en fait le fait de n’avoir pas averti les autorités du déversement selon l’article 21 L.Q.E.). National Rivers Authority v. Yorkshire Water Services Ltd. [1995] 1 All ER 225. Code de l’environnement, 5e éd., Dalloz, 1994: Crim. 14 nov. 1963, D. 1964. Somm. 39. COBURN, supra, note 57, p. 125, commentant l’affaire Amoco, supra, note 53 (italiques de l’auteur). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tion entre la fuite de produit à travers les parois endommagées d’une lagune et son infiltration à travers le sol sous-jacent jusqu’à un cours d’eau88. La Cour de district de Californie a considéré comme un «release» au sens du CERCLA89 le fait que des substances déposées dans une lagune aient percolé. Qu’elles aient ensuite refait surface pour s’échapper dans l’atmosphère a aussi été vu comme un «release»90 (sans se prononcer catégoriquement, la Cour avait laissé planer l’idée que d’avoir déposé initialement les produits dans les lagunes aurait aussi constitué un «release»). Par contre, une Cour d’appel de circuit avait invalidé quelques années plus tôt, l’opinion que «the placement of a hazardous substance into any unenclosed containment structure wherein the hazardous substance is exposed to the environment» était un «release». L’Environmental Protection Agency (E.P.A.) était d’avis que de tels cas obligeaient à donner l’avis prévu par la loi en cas de «release»91. Pour leur part, les commentateurs allemands, dans leurs analyses, considèrent sans difficulté que l’infraction de pollution de l’eau («Gewässerverunreinigung»)92 peut se faire indirectement à travers un réseau d’égout, le déversement dans un fossé, la fuite d’un véhicule, la percolation jusqu’à la nappe phréatique93. 2.3 Responsabilité continue ou ponctuelle? Dans le cas de phénomènes continus, le moment où l’infraction est accomplie a des conséquences extrêmement lourdes pour le contrevenant, chaque jour où se prolonge le phénomène 88. Price v. Cromack, supra, note 36. 89. 42 U.S.C. § 9601(22): «The term “release” means any spilling, leaking, pumping, pouring, emitting, emptying, discharging, injecting, escaping, leaching, dumping, or disposing into the environment (including the abandonment or discarding of barrels, containers and other closed receptacles containing any hazardous substance or pollutant or contaminant) [...]». 90. U.S. v. Shell Oil Co., supra, note 35. 91. The Fertilizer Institute, supra, note 35; la Cour a révisé la décision de l’E.P.A. en ces termes: «When these in pari materia provisions of CERCLA are read together, it becomes clear that CERCLA requires reporting whenever a hazardous substance is released from a facility, such as a tank or a lagoon, into the environment, such as the ground or the air.» 92. Article 324 du Strafgesetzbuch («Code pénal») allemand. 93. Adolf SCHRÖDER, Strafgesetzbuch – Kommentar, 23e éd, München, C.H. Beck, 1988, §324 ¶ 10; Hans-Joachim RUDOLPHI et Eckhard HORN, SK-StGB Systematischer Kommentar zum Strafgesetzbuch, Frankfurt am Main, Luchterhand, 1991, feuilles mobiles, § 324, ¶ 10; Regina MICHALKE, Umweltstrafsachen, Heidelberg, Éditions juridiques C.F. Müller, 1991, § 324, ¶ 28; Volker MEINBERG, Manfred MÖHRENSCHLAGER, R.A. Wolfgang LINK, Umweltstrafrecht, Düsseldorf, Werner, 1989, p. 38. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 183 pouvant entraîner sa culpabilité94. Compte tenu des processus en cause dans la migration, il est difficilement concevable qu’elle se fasse d’un seul coup. Dans ce cas, l’infraction devient-elle intrinsèquement continue? Jusqu’ici, dans notre droit, ce qu’il advient du contaminant lorsqu’il a franchi les parois du contenant n’est pas entré en ligne de compte pour apprécier la continuité d’une infraction. C’est la continuité du passage de l’intérieur du contenant vers l’extérieur qui a été prise en considération. On ne s’est pas soucié, au Québec, du chemin parcouru par le contaminant échappé, si ce n’est pour établir qu’il s’était bel et bien écoulé dans l’environnement95. En Ontario, commentant l’affaire Imperial Oil96, où un déversement accidentel d’environ 15 000 litres d’essence dans les égouts avait entraîné l’évacuation de 5 000 personnes, l’arrêt de l’usine d’épuration des eaux municipales et le rejet consécutif d’eaux usées non traitées dans un cours d’eau, de même que des explosions et des incendies dans six résidences, dont deux complètement détruites, Berger97 constate que: The Courts have been careful to regard discharges as continuing offences, past the contaminant’s initial entry into any portion of the environment, when the contaminant continues to migrate and pose a risk to the environment. Aux États-Unis, dans certaines décisions, la continuité de la propagation subséquente du contaminant a été parfois perçue comme le prolongement de l’acte de pollution. The statutory language does not suggest that the release of a substance occurs only once if the substance is migrating, or that liability is limited to the owner or operator that introduced the substance initially or was the source of the substance, or that a “passive” owner or operator is exempted from the Act.98 While it may seem inequitable, the mere migration of contaminants from adjacent land constitutes disposal for the purposes of CERCLA, and passive downstream landowners are liable for the cleanup costs from their neighbours’ activities.99 (italiques ajoutés) 94. Voir notamment l’article 110 L.Q.E. 95. C’est notamment ce qui se dégage de la décision Tricots Canada U.S., supra, note 55. 96. R. v. Imperial Oil Ltd. (1990), 5 C.E.L.R. (N.S.) 81 (C.S. Ont., Appel). 97. Stan BERGER, «The Demise of Multiple Charges for Multiple Environmental Effects Arising out of a Single Incident – Case Comment, R. v. Imperial Oil Ltd.», (1990) 5 C.E.L.R. (N.S.) 93, 96. 98. Lincoln Properties, supra, note 36. 99. Reichhold Chemicals, Inc., supra, note 35. 184 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 En droit allemand, l’infraction de pollution de l’eau n’est pas considérée continue, quant aux effets subséquents à l’introduction première du contaminant dans l’environnement. «[D]ie Vorschrift beschreibt kein Dauerdelikt»100. Cette analyse dans la doctrine s’étend, avec une certaine réserve, à la pollution du sol101 et au dépôt illégal de déchets, lorsque les effets peuvent se faire sentir ultérieurement102. Il faut se rappeler que fuite et propagation sont deux phénomènes différents. Dans l’un, il y a apport constant à l’environnement. Dans l’autre, c’est un simple déplacement de l’apport initial. La quantité totale de contaminants dans l’environnement demeure inchangée. Vu sous cet angle, la migration est un concept tout à fait distinct de ce que vise normalement l’infraction de pollution. Ce n’est plus l’apport, mais le transport, encore que ce mot suppose un acte et un agent. L’infraction devient alors nécessairement continue et ne peut jamais être ponctuelle, sauf si un événement soudain cause le déplacement brusque des contaminants. Et encore, ce ne sera vraisemblablement dans ce cas que l’accélération d’une propagation déjà amorcée. 2.4 Quelle est la «source de contamination»? Si celui qui a l’obligation d’agir doit s’en prendre à la source, il lui faut la localiser. Il faut identifier ce sur quoi cette personne doit agir. La notion juridique de source de contamination n’est toutefois pas liée, en droit québécois, à l’infraction de pollution. Elle n’est utilisée que pour certaines dispositions administratives de la L.Q.E. Nous utilisons donc le mot «source» dans son sens commun, c’est-à-dire, selon Le Robert, «ce qui crée, produit quelque chose». L’obligation de droit, comme en fait foi le jugement Laidlaw, est 100. 101. 102. «La disposition [l’article 324 sur la pollution de l’eau] ne crée aucune infraction continue», RUDOLPHI et HORN, supra, note 93 (voir aussi SCHÖNKE et SCHRÖDER). L’Allemagne fédérale s’est dotée d’un article de loi portant spécialement sur la pollution du sol («Bodenverunreinigung»), l’article 324a du Code pénal: c. infra, note 382. SCHÖNKE et SCHRÖDER, supra, note 93, § 324a,¶ 4, § 326, ¶ 23; voir le commentaire du Dr. K. LAUBENTHAL sur la décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989 – 1 StR 372/89 (BGHSt. 36, 255) Juristische Rundschau 1990, p. 512 (accusation d’avoir illégalement déposé de la boue de manganèse dans un fossé, en contravention à l’article 326 (1) du Code pénal allemand); de leur côté (supra, note 193), MICHALKE, § 326 Abs. 1, ¶ 130, ainsi que MEINBERG, MÖHRENSCHLAGER et LINK, expriment des réserves. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 185 celle de tarir la source103. L’affaire Tricots Canada U.S.104 est au même effet. Or, pour agir sur la source, il faut la reconnaître, la localiser, la délimiter. Si elle est extérieure à l’environnement, il est toujours possible de la circonscrire. Il s’agit alors d’un ou de plusieurs points d’où des contaminants sont libérés et pénètrent dans l’environnement. Sous ce rapport, il n’y a que rarement des sources de contamination diffuse. Il y a toujours quelque part un point d’entrée, même en agriculture, où l’on utilise souvent ce qualificatif. Ce qui est diffus, c’est l’effet, la conséquence. Les sources, quoique nombreuses et difficiles à contrôler individuellement, restent néanmoins identifiables105. Mais lorsque les contaminants sont déjà libérés, on oublie le point d’entrée. Comment alors caractériser la source? Peut-on avancer l’idée que cette source devienne le terrain d’où migrent les contaminants106? 103. 104. 105. 106. 186 Supra, note 18, p. 379. Supra, note 55. Le Clean Water Act américain, 33 U.S.C. §§ 1311 et s., par exemple, s’applique expressément aux sources ponctuelles («point sources»), c’est-à-dire «any discernible, confined and discrete conveyance [...]» (33 U.S.C. § 1362 (14)), ce qui n’a pas empêché son application en agriculture: «...the manure spreading vehicles themselves were point sources. The collection of liquid manure into tankers and their discharge on fields from which the manure directly flows into navigable waters are point source discharges under the case law.»: Bly v. Southview Farm, 34 F.3d 114; 1994 U.S. Ap. LEXIS 24248 (2nd Cir.), U.S.S.C. (requête en certiorari rejetée); «The discharges forming the basis of the indictment resulted from spraying an overabundance of waste water onto the surface of the irrigation fields, which in turn ran off into a nearby stream through a break in the berm around those fields. Thus I cannot conclude that these discharges are nonpoint source discharges as a matter of law.»: United States of America v. Oxford Royal Mushroom Products, Inc., 487 F.Sup. 852; 1980 U.S. Dist. LEXIS 10663 (E.D. Pa.); et, en matière d’enfouissement sanitaire: «The discharges here from, inter alia, (1) overflowing ponds, (2) collection-tank bypasses, (3) collection-tank cracks and defects, (4) gullies, trenches, and ditches, (5) broken dirt berms, all constitute point source discharges.»: O’Leary v. Moyer’s Landfill, Inc., 523 F.Sup. 642; 1981 U.S. Dist. LEXIS 17266 (E.D. Pa.); «Since the city’s landfill caused pollutants to enter Beaver Pond, and since these pollutants were then conveyed into the rest of the Intervale by the railroad culvert, the district court’s conclusion that the city discharged pollutants into navigable waters from a point source properly applied the statute to findings that were not clearly erroneous.»: Dague v. Bessette, 935 F.2d 1343; 1991 U.S. Ap. LEXIS 11997 (2nd Cir.). Dans P.G. du Québec c. Duchesne, supra, note 41, un terrain où des déchets avaient été enfouis avait été décrit par la Cour comme la source de contamination de la rivière l’Assomption; dans Gaz métropolitain Inc. c. Ville LaSalle [1988-89] B.R.E.F. 238, on relate l’émission d’une ordonnance en vertu de l’article 25 L.Q.E. contre un propriétaire de terrain contaminé, en sa qualité de responsable d’une source de contamination (mais la source était des déchets); McCARTY, supra, note 3, entérine cette position, quoique l’arrêt Eldorado qu’il cite fait état «que l’appelante était responsable d’une source de contamination Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Lorsque l’on cherche à faire du terrain une source, le terrain peut se délimiter 1) par sa tenure et c’est alors la limite de propriété qui circonscrirait la source; 2) par la zone contaminée, c’est-à-dire toute cette partie du terrain où l’on retrouve les contaminants répandus; enfin, 3) par cette seule partie du terrain où était le point d’entrée des contaminants, comme la tranchée d’un réservoir souterrain, par exemple. Chacun de ces cas présente des difficultés et aura des conséquences différentes, quant à l’identité du responsable allégué, quant à ce sur quoi on prétend qu’il aurait dû intervenir. Aucune n’est par ailleurs comparable au déplacement de sédiments ou d’autres contaminants provenant directement de l’environnement. Dans ce dernier cas, si les contaminants sont répandus par une intervention humaine, la source de contamination a plutôt été identifiée à l’activité elle-même plutôt qu’au lieu d’où les substances provenaient avant de devenir des contaminants. C’est ainsi que la machinerie à l’origine du déplacement de sédiments (ou même les hélices de remorqueurs ayant eu le même effet) a été assimilée à un «point source» en vertu du CWA américain107 et à une activité susceptible de libérer des contaminants dans l’environnement en vertu de la L.Q.E.108. 2.4.1 La propriété source de contamination Lorsque la limite de propriété représente le point de passage entre la source et l’environnement, il s’agit alors d’un concept tout à fait artificiel, défendable peut-être en droit civil, mais sans justification environnementale. Par exemple, le propriétaire du terrain source pourrait acquérir le terrain voisin et faire disparaître du coup la limite de propriété. Dans un immense terrain dont seule une petite partie est contaminée, si la propagation de contaminants met des années avant d’atteindre une autre propriété, le propriétaire est-il à l’abri de poursuites durant toute cette période? Un phénomène de pollution attribué au seul fait qu’un contaminant ait franchi une ligne de propriété bouscule un principe fondamental. La notion d’environnement transcende la notion de propriété. «[U]ne infraction à l’article 20 [L.Q.E.] n’a 107. 108. active et, entre autres, un réservoir fuyait» (P.G. du Québec c. Mines d’or Eldorado Inc. (16 février 1992), Abitibi 605-36-000005/6/7/8-89/2/0/8/6 (C.Q.) M. le juge J. Viens, p. 7); NADON et GRANDA sont également d’avis qu’un terrain peut être une source de contamination, supra, note 15, p. 220. Avoyelles Sportmen’s League, Inc. v. Marsh, 715 F. 2d 897 (5th Cir. 1983); United States v. M.C.C. of Florida, Inc., 772 F.2d 1501(11th Cir. 1985), nouvelle audition refusée: 778 F.2d 793. New Brunswick International Paper, supra, note 58. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 187 rien à voir avec la qualité de propriétaire, locataire, usufruitier ou preneur à bail emphytéotique du sol ou le rejet est effectué»109. C’est d’ailleurs l’une des principales innovations de la L.Q.E., à une époque où le droit à la libre disposition de ses biens autorisait un propriétaire, sous réserve du droit des nuisances, à souiller impunément son terrain110. Ajoutons qu’une telle délimitation de la source de contamination ignore la migration verticale là où le tréfonds est du domaine privé. Elle ignore aussi la migration attribuable aux mouvements de l’eau souterraine lorsque cette eau non puisée n’est pas encore appropriée. D’autre part, si une migration hors d’une propriété a eu un effet dommageable, il ne s’agit alors pas tant d’une libération de contaminants dans l’environnement que de leur migration vers un lieu hors de l’environnement. Ainsi, le contaminant qui se propage dans un sous-sol sort de l’environnement pour entrer dans un espace construit, tout comme un produit qui s’infiltre dans une conduite d’égout, ou même celui qui s’infiltre dans un puits. C’est le phénomène inverse de ce qui est généralement perçu comme la pollution de l’environnement. Le libellé de l’article 20 L.Q.E., que nous abordons plus loin, comme celui de l’article 14 L.P.E.O., fait des dommages aux biens l’un des effets appréhendés pouvant résulter d’un acte de pollution, et non pouvant créer celui-ci. 2.4.2 La zone contaminée en tant que source Si la source se définit comme la zone contaminée, alors se pose la difficulté de déterminer de quelle manière se produit la libération de contaminants depuis cette source. Imaginons un terrain de 10 000 mètres carrés où la zone contaminée en compte mille. Assimiler cette zone à la source signifierait que le propriétaire doit agir sur ces 1 000 mètres carrés. L’avoir constatée un an plus tôt, la prétendue source aurait peut-être été de 750 mètres carrés ou 1 250 un an plus tard. L’étendue de la source et sa 109. 110. 188 Piette c. Lasnier (9 août 1989), Iberville 755-27-001292-814 (C.S.P.), M. le juge J. Frédérick; DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 50: «[L]es droits de propriété ne constituent pas un cadre approprié pour définir une politique globale de gestion qualitative de l’environnement»; Tanguay-Moreau, supra, note 60: «il importe peu de savoir si les faits et gestes reprochés aux défendeurs ont été posés sur leur propriété, mais bien plutôt de savoir si de tels faits et gestes sont susceptibles de causer un dommage à l’environnement»: voir aussi Texaco Canada Inc. c. C.U.M., supra, note 23, p. 46. «Le droit de propriété est absolu» et comporte le droit de détruire le bien: LAMONTAGNE, supra, note 26, respectivement aux ¶¶ 207 et 206. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 localisation dépendent donc, selon cette approche, du moment où l’observation est faite. Et s’il s’agit, peu importe l’étendue de la zone contaminée, de la source, alors, il faut conclure que les contaminants, où qu’ils soient dans cette zone, ne l’ont pas encore quittée. Comment alors prétendre qu’il y aurait «émission» ou «dégagement» depuis cette source? Ne l’oublions pas, il s’agit de déterminer ce sur quoi doit agir la personne à qui on reproche l’infraction. Si les contaminants sont distribués partout, la source l’est-elle également? À l’intérieur de cette zone, y a-t-il un point donné représentant conceptuellement la source, le reste constituant l’environnement dégradé par cette source? Si c’est le cas, la source est-elle encore active? Comment la qualifier d’active? Le fait de trouver des contaminants dans le sol et de constater que cette contamination est étendue permet-il d’établir qu’à un moment précis, au moment de l’infraction alléguée, il y a migration? Qui plus est, dans la mesure où le déplacement est constant, la source de la contamination en un point donné n’est-elle pas l’endroit d’où provenaient les contaminants tout juste auparavant? Un environnement contaminé qui en contamine un autre, qui à son tour en contamine un autre, puis celui-là un autre, ne constituerait-il pas un ensemble de sources de contamination en cascades les unes par rapport aux autres111? Et que dire d’une zone contaminée s’étendant sur plus d’un terrain et qui progresse? Faut-il alors localiser le terrain où la progression a commencé? Cela nous ramènerait alors à la première approche commentée plus haut. 2.4.3 Le sol sous-jacent au point d’entrée des contaminants La solution réside-t-elle dans la troisième voie, celle visant cette portion du sol jouxtant immédiatement le point d’entrée des contaminants dans l’environnement? Si on pouvait fixer sur bande vidéo le mouvement progressif des contaminants, depuis le sol, il suffirait de rembobiner cette bande pour remonter jusqu’au point de rejet initial. Cette remontée aux sources soulève néanmoins son lot de questions. Se pose notamment le problème de délimiter l’étendue de la source, sans revenir au concept de zone contaminée dont on vient justement de se distancer. La source sur laquelle le prétendu contrevenant aurait l’obligation d’intervenir doit donc nécessairement constituer une portion seulement de 111. C’est justement l’un des résultats possibles qui a fait réagir le tribunal, dans l’affaire NWP, supra, note 35. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 189 cette zone contaminée, dans le voisinage du point d’entrée des contaminants, ce qui, à n’en point douter, devient quelque peu arbitraire. Cette démarche suppose aussi une incontournable abstraction, celle de refaire en sens inverse le chemin parcouru par le contaminant, mais en s’arrêtant avant d’atteindre le but ultime, la véritable source, c’est-à-dire là d’où le contaminant a été introduit dans l’environnement. On exclut d’emblée l’acte initial de pollution. On l’ignore. L’aboutissement ne demeure que la première des sources dites secondaires, la source secondaire la plus en amont, alors qu’il n’y a aucune raison, si l’on passe outre à tous les points intermédiaires, à tous les «environnements» traversés par les contaminants, si l’on s’abstient de les voir comme des sources, de déroger ultimement à cette règle et d’affirmer péremptoirement que le premier environnement traversé par les contaminants soit lui-même exceptionnellement une source. La loi ne fait pas ces distinctions. Pour prétendre atteindre la source, il faut obligatoirement remonter plus haut. Il faut remonter là où les contaminants étaient avant qu’ils ne pénètrent dans l’environnement. Nous verrons plus loin que tous ces choix intermédiaires apparaissent davantage, à toutes fins utiles, comme des accommodements devant un système de droit qui n’a pas été conçu au départ pour disposer du problème112. Cette détermination à voir dans le sol une source de contamination, sans s’interroger sur la nature du phénomène ni sur ses conséquences, entraîne aussi une autre anomalie. De la sorte, en effet, le sol ne se trouve pas traité comme peuvent l’être l’eau ou l’air. La rivière polluée qui charrie son lot d’immondices et les dépose à l’occasion sur ses berges n’est jamais vue comme une source de contamination du sol. Le lac eutrophisé saturé d’algues et dégageant des odeurs douteuses peut-il être vu comme une source de contamination de l’atmosphère? Notre droit n’a pas reconnu de tels effets113. 2.5 Migration contre simple présence Le problème juridique soulevé par la migration ne se pose toutefois pas seulement en opposition à leur introduction initiale dans l’environnement, mais aussi à leur simple présence. L’existence même des contaminants crée-t-elle une obligation? Les 112. 113. 190 Ce point est très bien illustré par Steichen, qui note qu’il y a «absence de formalisation juridique unifiée de la question des sites contaminés dans les différents systèmes juridiques»: supra, note 42, p. 39. Dans l’affaire Champs c. Corporation municipale de Labelle, [1991] R.J.Q. 2313, par exemple, ce sont les auteurs d’un rejet d’égout à la rivière qui ont été jugés responsables de la perte d’usage de l’eau polluée. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 études de caractérisation de sols révèlent leur présence mais n’en indiquent pas nécessairement le mouvement. Il est cependant techniquement possible de le déterminer. Le phénomène est complexe et peut varier dans le temps114. Tout au plus, ce problème ne serait que celui de la preuve de la prétendue infraction. Il reste que si c’est la migration tolérée qui représente l’infraction, alors la preuve de l’élément matériel passe par la preuve de cette migration aux dates visées par les chefs d’accusation. Rappelons que la Cour du Québec a approuvé la position du ministère de l’Environnement et de la Faune voulant que les critères de contamination des sols lui servaient à «calibrer» l’application du troisième volet de l’article 20 L.Q.E.115. Faut-il y voir une opinion que le dépassement de ces critères laisserait présumer une infraction? Ce serait à notre avis confondre l’action et le résultat116 et nous ne croyons pas que ce soit là la lecture qu’il faille faire de ce jugement. L’article 20 interdit de libérer ou de permettre la libération de contaminants dans l’environnement dans certaines circonstances, notamment en contravention des normes réglementaires. Il n’interdit pas leur simple présence. Ce que la Cour a envisagé, à notre avis, c’est vraisemblablement le rôle des critères dans les cas où il n’y a pas de règlements fixant des normes d’émission ou de rejet. Dans ce cas, pour qualifier le geste initial introduisant les contaminants dans l’environnement, il faut se rabattre sur le résultat, sur la conséquence, et déterminer si, selon les termes mêmes de 20, la présence des contaminants libérés «est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer 114. 115. 116. BOULDING, supra, note 32, fait le commentaire suivant, p. 60: «Ground water is the most difficult part of the hydrological cycle to study because it is hidden from view and occurs in a complex environment of soil and geologic materials. The movement of water in the atmosphere and surface water can be directly observed, and boundary conditions (air-ground, air-surface water, and surface water-ground) are readily defined. Inferences concerning the movement of ground water rely largely on indirect observations supplemented by a limited number of direct observations (monitoring wells). Even data from direct observations may have large margins of error as a result of variability in the materials through which the ground water is flowing». Mais il ajoute: «Hydrogeology is not an exact science, but the fundamental principles of ground-water flow are well enough understood that a reasonably good characterisation of a particular system is possible». Texaco Canada Ltée c. C.U.M., supra, note 23. C’est ce qui semble s’être pourtant produit en Ontario dans l’affaire R. v. Hill (24 mai 1988), D.C.O.M. No. 263/87 (C. Dist. Ont.), inédit, résumé à 5 W.C.B. (2d) 28 (conf. en appel), où des contaminants rejetés dans le sol à la suite d’un débordement ont engendré une responsabilité pénale quotidienne, tant qu’ils n’ont pas été retirés du sol; voir aussi SAXE, supra, note 21. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 191 du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens»117. Les critères ne sont alors pas en soi une norme de rejet mais pourraient à la rigueur avoir une utilité dans l’appréciation des risques associés à cette présence118, quoiqu’il ne pourrait s’agir tout au plus que d’une indication, d’un guide. La possibilité de recourir à une évaluation du risque le démontre119, et les règlements qui permettraient d’établir qu’au-delà de certaines normes, l’environnement est contaminé120 aux fins d’en forcer la remise en état, n’ont pas encore été adoptés121. S’ils l’étaient, l’environnement serait réputé contaminé. Ce qui est toutefois en cause ici, c’est un fait accompli. Soit, il implique un acte antérieur de pollution. Il est en effet pratiquement impossible d’envisager que des contaminants se retrouvent dans le sol sans qu’ils aient, ipso facto, été émis dans l’environnement122. Mais l’article 20 ne traite de cette présence que pour qualifier les conséquences de l’acte sanctionné: la libération des contaminants. 3. L’INFRACTION DE POLLUTION Ces considérations nous amènent invariablement à circonscrire les abus que le législateur cherche à enrayer pour déterminer si l’une ou l’autre des situations décrites plus haut peut être visée par l’infraction de pollution. Comme la pollution est un problème universel, l’infraction devait nécessairement correspondre à un concept précis dans l’esprit du législateur lorsqu’il l’a codifiée avec ses sanctions administratives et pénales. Selon la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Sault Ste-Marie, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une question complexe123. Dans cette affaire, la Cour 117. 118. 119. 120. 121. 122. 123. 192 C’est ce que l’on appelle le «troisième volet» de l’article 20: Alex Couture Inc. c. Piette [1990] R.J.Q. 1262 (C.A.). Politique de protection et de réhabilitation, § 6.1.2.2, «Estimation des impacts et du risque» supra, note 1, ¶ 2 535. Ibid. Art. 31.52 L.Q.E.: «Le gouvernement peut adopter des règlements pour: a) établir, pour l’application des articles 31.42, 31.43 et 31.46, les quantités ou les concentrations de contaminants au-delà desquelles tout élément qui compose l’environnement, et qui en contient dans une quantité ou une concentration supérieure, est contaminé». NADON et GRANDA, supra, note 15, p. 186; McCARTY, supra, note 3, p. 325. Northwestern Mutual Life Insurance Co. v. Atlantic Research Corp., 847 F.Sup. 89 (E.D. Va. 1994); U.S.A. v. Northernaire Plating Co., 670 F. Suppl. 742 (W.D. Mich. 1987). R. c. Ville de Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, p. 1038: «Telle est l’essence de l’accusation et le mal que vise l’infraction. Un seul acte du même genre est l’objet de l’interdiction. Une seule infraction générique a été imputée, en essence «la pollution», et cette infraction peut être commise d’une ou de plusieurs manières.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 suprême s’est intéressée à l’infraction de pollution elle-même. La cause, en effet, portait sur l’article 32(1) de l’Ontario Water Resources Commission Act124. Le juge Dickson (qu’il vaut la peine de citer ici dans la langue du jugement) s’est exprimé en des termes d’une simplicité désarmante: I am satisfied that the Legislature did not intend to create different offences for polluting, dependent upon whether one deposited or caused to be deposited, or permitted to be deposited. The legislature is aimed at one class of offender only, those who pollute.125 (italiques ajoutés) Il n’y a qu’une catégorie de coupables: «ceux qui polluent». Mais comme le rappelle la Cour suprême, et comme l’a souligné la Cour d’appel du Québec126, il n’est pas nécessaire de commettre l’acte positif du moment que l’on permette à la pollution de se produire. Toutefois, dans l’une et l’autre cause, il y avait au départ une transaction coupable à l’origine de la pollution, qui par la suite s’est produite sans le concours actif du contrevenant. Lorsque seule la migration de contaminants est visée, il n’y a personne qui réunit de la sorte cet ensemble de facteurs à l’origine de la pollution. 3.1 Pénétration contre propagation Face à l’infraction de pollution, il est stérile, à notre avis, de tenter de distinguer les divers modes de migration. L’infraction peut être commise de plus d’une manière. Tout au plus, ces diverses manifestations pourraient-elles illustrer les nombreuses façons dont une personne peut engager sa responsabilité, si responsabilité il y a. Le débat, en réalité, doit porter sur un tout autre élément, celui du facteur déterminant. La Cour suprême a analysé à quelques reprises les lois environnementales adoptées par les diverses provinces canadiennes. Ces analyses illustrent très clairement, à notre avis, quelle a été l’intention du législateur, en 124. 125. 126. Ontario Water Resources Commission Act, R.S.O. 1970, ch. 332, art. 32(1): «[TRADUCTION] Est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration sommaire de culpabilité, d’une amende d’au plus 5 000 $ pour la première condamnation et d’une amende d’au plus 10 000 $ pour chacune des suivantes, ou d’un emprisonnement d’au plus un an, ou de l’amende et de l’emprisonnement, toute municipalité ou personne qui décharge, dépose ou fait décharger ou déposer ou permet de décharger ou de déposer dans un puits, un lac, une rivière, un étang, une source, un ruisseau, un réservoir ou autre étendue d’eau ou cours d’eau ou sur une de leurs rives, ou en tout endroit, des matières de quelque nature que ce soit qui risquent d’en altérer la qualité de l’eau.» Supra, note 123, p. 1309. Laidlaw, supra, note 18. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 193 créant l’infraction de pollution. Ce qu’il a cherché à contrôler, ce sont les activités susceptibles de porter atteinte à l’environnement, les activités au sens large, c’est-à-dire tout ce qui est le fait de l’homme, que ce soit un état qu’il a d’abord créé et qui présente un risque qui se matérialisera ensuite par sa négligence ou son omission d’agir, que ce soit des agissements concrets et actuels présentant le même risque. La notion d’activité est omniprésente. Commentant la L.P.E.O., le juge Gonthier précise que «[s]i le terme «usage» n’y figurait pas, l’al. 13(1)(a) engloberait une gamme beaucoup plus vaste d’activités polluantes»127 (italiques ajoutés, ci-contre et ci-après). Dans l’arrêt Sault Ste-Marie, il est clair, dans les propos du juge Dickson, que ce sont des activités qui sont vues comme sources de pollution. Il est vital qu’il y ait un élément de contrôle, particulièrement dans les mains de ceux qui ont la responsabilité d’activités commerciales qui peuvent mettre le public en danger, pour promouvoir l’observation de règlements conçus pour éviter ce danger.128 Le critère est un critère de fait, fondé sur une évaluation de la situation du défendeur relativement à l’activité qu’il entreprend et qui cause la pollution. S’il est en mesure de contrôler l’activité là où la pollution se produit, il en est responsable.129 L’arrêt britannique Sweet v. Parsley fait également allusion à des activités: «...where the subject matter of a statute is the regulation of a particular activity involving potential danger to public health, safety, or morals»130. C’est aussi ce que l’on nous rappelle, lorsque les auteurs Duplessis, Hétu et Piette écrivent que la L.Q.E. vise à «faire de la protection de l’environnement une préoccupation importante pour tous ceux qui mènent des activités susceptibles de modifier la qualité de l’environnement»131. Me Odette Nadon écrit également: «lorsque l’on s’adonne à des activités à risques comportant la manipulation, l’entreposage ou la fabrication de substances toxiques, l’extrême prudence est la règle et la réglementation encadre ces types d’activités, justement pour prévenir la survenance de faits dommageables»132. Enfin, la Commission 127. 128. 129. 130. 131. 132. Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1080. Supra, note 123, p. 1321. Id., p. 1329. (1970) A.C. 132, 163. DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 49. Odette NADON, «La responsabilité du pollueur et l’évolution de la notion de faute», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1996), Cowansville, Yvon Blais, 1996, 141185, p. 151. 194 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de réforme du droit au Canada s’en tient elle aussi à l’exercice d’activités133. Le concept d’infraction de pollution est donc relié, conceptuellement, aux conséquences de l’exercice d’une activité, c’est-à-dire à tout le moins d’une cause matérielle humaine, même si l’effet de cette cause peut se manifester passivement, et le responsable interpellé pour son omission d’agir devant ce qu’il a permis de se produire. Par exemple, une personne qui accumule des produits toxiques dans un réservoir et les y abandonnent a réuni un ensemble de facteurs qui causeront la pollution134. Il en est de même de celui qui enfouit des récipients renfermant des substances dangereuses. Quiconque se livre à des activités dangereuses qui comportent des risques ou qui s’engage dans des situations qui exigent le respect d’obligations légales et sociales, se voit soumis à une norme minimale de diligence raisonnable établie en fonction de la conduite d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.135 Par contre, sanctionner la migration de contaminants dans le sol sans égard à ce qui a, au départ, causé ou permis l’introduction des contaminants dans l’environnement, c’est aller au-delà de la «sphère de risque» dont parle le juge Gonthier dans l’arrêt Canadien Pacifique. Lorsqu’un tribunal est appelé à analyser une prétention d’imprécision, il doit d’abord circonscrire tout le contexte interprétatif entourant la disposition attaquée. Il doit procéder ainsi parce qu’il lui faut déterminer si la disposition fournit un fondement suffisant pour établir une distinction entre une conduite permise et une conduite prohibée, ou pour délimiter une «sphère de risque».136 133. 134. 135. 136. Les crimes contre l’environnement (1985), Document de travail 44, p. 54 (cité dans Canadien Pacifique, supra, note 67, p.1073): «Pour être efficaces, les dispositions du Code [criminel] interdisant la pollution devraient pouvoir embrasser un vaste éventail d’activités. Après tout, l’environnement et, partant, la vie et la santé humaines, peuvent être endommagés ou mis en danger soit par des actes directs, soit au cours de nombreuses activités. Les principaux dommages et dangers que peuvent causer une grande variété de produits, de déchets et de contaminants dangereux peuvent survenir au cours de leur fabrication, de leur transport, de leur utilisation, de leur stockage et de leur élimination. Par souci d’exhaustivité autant que de précision, toutes ces activités qui peuvent, dans certaines conditions, engager la responsabilité pénale, devraient être visées par la formulation du texte d’incrimination.» (italiques ajoutés). L’abandon est d’ailleurs déjà réputé un «rejet», au sens de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, L.R.C. 1985, c. C-15.3, art. 3 (v. infra, p. 236) et un «release», dans la définition de ce mot, dans le CERCLA: supra, note 89. CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 537. Supra, note 67, p. 1069. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 195 Une disposition générale peut être attaquée (comme en l’espèce) parce qu’elle ne fournirait pas aux citoyens un avertissement adéquat de la conduite prohibée.137 (italiques ajoutés) Citant l’arrêt Nova Scotia Pharmaceutical Society138, il rappelle qu’une disposition est enrichie par le reste du texte dans lequel elle se situe139. Or, si l’on prend exemple de la L.Q.E., on voit que le législateur veut véritablement contrôler des activités dans lesquelles des personnes peuvent s’engager. L’infraction de pollution vise, à notre avis, ce qui a pour effet d’introduire des contaminants dans l’environnement. Parallèlement et conséquemment, la responsabilité administrative attribuée à l’auteur de la contamination concerne celui dont les gestes ou la négligence ont contribué à introduire ces contaminants. Un autre argument illustre que l’infraction de pollution ne peut comprendre la migration lorsque l’infraction n’est exprimée qu’en termes génériques. Prenons un complexe résidentiel construit sur un terrain fortement contaminé. Les occupants qui y ont acquis de bonne foi une résidence font certes partie de ces personnes que l’on cherche à protéger par le biais des lois environnementales. Une loi telle que la L.Q.E. n’a-t-elle justement pas pour objectif, entre autres: [...] de doter le Québec d’un code de normes réglementaires conçues pour protéger le milieu ambiant, notamment en ce qui concerne les multiples formes de contamination qui assaillent l’homme contemporain.140 Comme le rappelle le juge Cory dans l’arrêt Wholesale Travel: [l]es lois de nature réglementaire sont essentielles au fonctionnement de notre société industrielle complexe; elles jouent un rôle crucial et légitime dans la protection des citoyens qui sont les plus vulnérables et qui sont les moins capables de se protéger euxmêmes.141 À présent, ajoutons à notre exemple que les contaminants dans le sol migrent depuis la propriété vers l’extérieur. En sanctionnant la migration et en en faisant porter la responsabilité 137. 138. 139. 140. 141. 196 Id., p. 1074. R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1081. DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 49. R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154, p. 227. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 pénale ou administrative par ceux qui ont prétendument le contrôle de la situation, c’est-à-dire qui auraient le pouvoir d’intervenir pour stopper la migration, on vient de changer complètement la donne. Les personnes vulnérables censées être protégées sont devenues des pollueurs. Pire encore: si le seul mouvement des contaminants suffisait à créer l’infraction, il ne serait jamais nécessaire, pour sévir, de retracer la personne qui a permis aux contaminants de pénétrer dans l’environnement. Il suffirait d’observer que des contaminants se déplacent et de ne s’en prendre qu’à la personne qui a la garde ou la propriété du lieu où le déplacement a été observé. À l’inverse, si le terrain, en l’absence de tout déplacement de contaminants, ne constituait pas dans les faits ce que d’aucuns appelleraient une source de contamination, mais serait simplement pollué, il faudrait alors remonter la chaîne des événements pour trouver un responsable. Le seul à pouvoir en rendre compte serait alors celui qui, au départ, aurait introduit le contaminant dans l’environnement. On aurait ici un autre résultat aberrant: alors qu’une contamination mobile est a priori plus dommageable qu’une contamination fixe142, c’est paradoxalement dans ce cas plus grave, que le pollueur pourrait se cacher derrière la victime. Pour éviter ces curieux résultats, il n’y a d’autre choix que de se rabattre sur ce qui caractérise vraiment la pollution, au sens de l’acte de polluer et non de l’état de pollué, c’est-à-dire, cette entrée du contaminant dans l’environnement. Il ne s’agit pas d’un mouvement depuis une source prise in abstracto. C’est un mouvement d’un point précis à un autre, d’un point hors de l’environnement à un point dans l’environnement, une situation éminemment simple et facile à circonscrire. Peu importe si ces points ne sont distants que de quelques millimètres, comme l’épaisseur des parois d’un réservoir. Il importe peu que le mouvement se fasse d’un seul coup ni que la vitesse de passage soit grande ou non. Ce qui est déterminant, c’est qu’avant l’infraction, le produit n’était pas dans l’environnement. Après, il y est. Dans le cas d’une substance naturelle, notons qu’elle doit d’abord être extraite de son milieu pour devenir un contaminant là où elle sera ensuite réintroduite. Voilà deux situations qui nous apparaissent clairement 142. «...a small amount of [toxic] wastes, or a highly mobile waste, may cost more to clean up, dispose, or treat than less toxic or relatively immobile wastes.»: United States of America v. Pesses, 1994 U.S. Dist. LEXIS 18684; 39 E.R.C. (BNA) 1951 (W.D. Pa. 1994). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 197 à l’intérieur de la «sphère de risque» dans laquelle doit évoluer le citoyen. Avant que le problème des sols contaminés ne prenne de l’ampleur, personne ne songeait à lire les lois environnementales de manière à faire de la propagation de contaminants déjà introduits dans l’environnement un phénomène de pollution passible de sanction. Encore aujourd’hui, aucun jugement, au Québec, n’a adopté telle ligne de pensée. Si cette thèse avait été envisageable, la Cour d’appel, dans l’affaire Laidlaw par exemple, n’aurait pas eu à prendre en considération que les barils fuyaient au moment de leur découverte. L’enfouissement des barils n’aurait même pas été pertinent, puisque du seul fait d’être propriétaire d’un terrain où migrent des contaminants aurait suffit à relier la compagnie à l’infraction. Or, pas un seul passage du jugement de la Cour d’appel n’ouvre la porte à pareille interprétation. Du reste, opter pour cette solution aurait un effet pour le moins incongru. Les corps publics deviendraient les plus exposés à l’infraction de pollution, par l’ensemble des friches industrielles, des mines désaffectées143, des sédiments pollués et autres prétendues «sources de contamination» dites «orphelines», mais néanmoins sous la garde, sinon la propriété, de l’État ou des municipalités144. 3.2 N’est-ce pas le propre d’un contaminant de se propager? Mettre en cause le phénomène de propagation des contaminants entraîne une autre incongruité. On confond la cause et l’effet. N’est-ce pas le propre d’un contaminant de se propager? La L.Q.E. définit comme «contaminant» les solides, liquides et gaz, les micro-organismes, les sons, vibrations, rayonnements, chaleur, odeurs, etc., toutes choses susceptibles de se propager dans l’environnement. Cette propagation n’est certes pas étrangère à ce qui fait de ces facteurs autant de contaminants qui 143. 144. 198 «La Loi sur les mines [LRQ c. M-13.1] consacre la théorie de la domanialité du tréfonds: en principe, le droit aux substances minérales du tréfonds et aux réservoirs souterrains fait partie du domaine public.»: LAMONTAGNE, supra, note 15, p. 167. Rappelant que le résultat prohibé par la loi, à savoir l’élimination non conforme de déchets, est déjà accompli, RUDOLPHI et HORN, supra, note 93, précisent: «Für die Verbesserung desolater Zustände, also z. B. die Rekultivierung einer stillgelegten Deponie, hat allein die Abfallverwaltung zu sorgen.» («Pour l’amélioration de cette situation, c’est-à-dire pour le réaménagement d’un site d’enfouissement abandonné par exemple, seule l’Administration publique se trouve responsable»). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 peuvent entrer dans la chaîne alimentaire, détériorer la qualité d’une eau de surface ou souterraine, incommoder des gens, des animaux, des poissons, des plantes. Si les lois environnementales prohibent la libération de contaminants susceptibles d’effets nuisibles, c’est précisément parce qu’ils ont cette particularité de pouvoir se déplacer et d’être disponibles. Si les contaminants d’un sol y étaient fixés à demeure, s’ils n’avaient pas la faculté de se propager, alors il faudrait rattacher la responsabilité des propriétaires ou des gardiens à la seule présence des contaminants. Lorsqu’une eau souterraine en mouvement contient un contaminant en quantité suffisante pour être susceptible d’effets nuisibles, est-on en train d’assister à la décharge de cette eau contaminée vers l’environnement aval ou à sa contamination par l’environnement amont? En effet, la présence de contaminants dans une eau souterraine n’est avant tout qu’un indice qu’elle a été contaminée. Le sens de l’écoulement peut servir à repérer la provenance de cette contamination. Si l’eau est captive et que l’on n’observe pas de gradient hydraulique, on aura une présence d’eau contaminée sans pouvoir établir une contamination active. En d’autres termes, dans de tels cas, le mouvement est nécessaire pour établir le phénomène prétendument polluant, ce qui signifie que la cause se confond avec sa conséquence. Il n’y a en effet aucun barème, aucun critère permettant de tracer une ligne en amont de laquelle le mouvement de contaminant est la cause et, en aval, l’effet, sauf au point d’entrée dans l’environnement. 3.3 Le problème des condamnations multiples L’introduction du contaminant dans l’environnement est facile à circonscrire. Nous ne disons pas «facile à prouver», mais le lieu et le moment peuvent être appréhendés conceptuellement et constatés ensuite matériellement. Le lieu, c’est le ou les points par lesquels le contaminant entre dans l’environnement. Le moment, c’est celui où ce passage se produit. La question de la migration ultérieure, on l’a vu, est autrement plus complexe et sa sanction pénale se buterait constamment au problème de la multiplicité des chefs d’accusation145. La responsabilité associée à la migration présente en effet l’inconvénient de multiplier à l’infini la survenance des actes de pollution. S’il faut intervenir à chacun des maillons de la chaîne, on doit conclure qu’il existerait un premier acte de pollution dès le moment de l’introduction initiale du con145. R. c. Kienapple, [1975] 1 R.C.S. 729. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 199 taminant dans l’environnement, d’où résulterait une seconde infraction. Sa pénétration dans les eaux souterraines serait un événement distinct du premier. Si c’est le franchissement d’une limite de propriété qui est le critère déclencheur, alors, le fait d’avoir causé dans un premier temps la contamination de la propriété d’X est-elle une infraction distincte de celle de causer, ensuite, celle de la propriété d’Y, en aval de la première? Le contrevenant pourrait-il enfin avoir nettoyé son site et se retrouver néanmoins coupable de la migration des contaminants qui ne s’y trouvaient déjà plus et qu’il n’a pu ainsi récupérer? Dans le cas de l’expansion d’un panache de contamination, la migration reste observable jour après jour aux environs immédiats du point d’introduction des contaminants dans l’environnement, comme elle est observable jour après jour en tout point où le panache continue sa progression. La personne condamnée pour avoir laissé, à une date x, un contaminant se propager, serait-elle assurée de ne pas être recherchée pour une infraction commise plus tard, quand le même contaminant est observé plus loin en aval? Dans l’hypothèse où l’infraction a lieu au moment du changement de médium, imaginons un réservoir hors terre qui fuit et dont le produit se répand d’abord à l’air libre (première infraction alléguée) avant de pénétrer dans le sol (deuxième infraction) et d’ensuite atteindre la nappe phréatique (troisième infraction). Il ne suffirait pas alors au gardien du réservoir de stopper l’écoulement. Il demeurerait passible de poursuites pour le produit échappé s’il ne prenait pas les mesures nécessaires pour éviter que le produit ne pénètre dans le sol. Et s’il le faisait, mais sans intervenir sur la partie du produit qui se trouve dans le sol, il resterait responsable de sa progression dans la nappe phréatique. Généralement, la protection accordée au contrevenant contre les condamnations multiples s’applique aux infractions qui, «bien qu’abstraitement différentes à la lecture des textes d’incrimination, comportent des éléments déterminants qui se recoupent et visent de facto des comportements essentiellement identiques»146. Ici, c’est un peu le contraire. Il y a une seule infraction créée par le législateur, mais on cherche à la décomposer pour sanctionner à la fois l’acte initial, ses effets et le défaut d’enrayer ses effets. Il ne s’agit plus alors de diverses manières de commettre une infraction. On crée plutôt une nouvelle infraction, sans le concours du 146. Pierre BÉLIVEAU et Martin VAUCLAIR, Principes de preuve et de procédure pénales, 4e éd., Montréal, Thémis, 1997, p. 712. 200 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 législateur, pour des choses foncièrement différentes les unes des autres. Si la question clé est «de savoir si les deux accusations sont fondées sur la même cause, la même chose ou le même délit»147, alors en prétendant qu’il s’agit de délits distincts, on contourne indûment la règle. Pourtant, même dans les cas où le législateur a prévu plus d’une infraction mettant en cause une action et ses effets appréhendés d’une part et l’accomplissement de ces mêmes effets, d’autre part, les tribunaux se sont refusés à imposer plus d’une condamnation. C’est ainsi que la Loi sur les pêches, qui crée une infraction pour avoir soit déversé une substance nocive dans l’eau, soit pour l’avoir placée en un endroit d’où elle risque d’atteindre l’eau148, ne permet pas d’obtenir une double condamnation, l’une pour avoir placé la substance dans un lieu interdit, l’autre parce que la substance s’est ensuite répandue dans l’eau149. Si l’accusation vise les deux événements, une seule condamnation sera possible150. Alors que la L.P.E.O. énumère divers effets appréhendés d’une libération de contaminants dans l’environnement, la survenance de chacun de ces effets n’a pas pour effet de créer autant d’infractions différentes151. 3.4 La culpabilisation de la victime La sanction de la migration des contaminants suppose une fragmentation et une extension de l’acte pollueur, fragmentation puisque l’on examine séparément l’entrée du contaminant dans l’environnement et son comportement subséquent, extension parce que l’infraction n’apparaît pas terminée du simple fait de l’introduction du contaminant dans l’environnement. Le danger de cette démarche est de créer un nouvel acte punissable, attribué à une personne qui n’est absolument pas reliée à l’acte d’origine. Prenons le cas classique d’un propriétaire qui découvre un produit toxique clandestin sur sa propriété. Si son terrain est devenu une source de contamination, alors il sera responsable de la contamination de l’environnement «aussi longtemps qu’il ne fait pas tarir cette source»152. Pourtant, il n’est pas celui qui, au départ, a 147. 148. 149. 150. 151. 152. R. c. Prince, [1986] 2 R.C.S. 480, p. 502. L.R.C. 1985, c. F-14, art. 36(3); pour le texte de la disposition, v. infra, p. 237. Paule HALLEY, «La Loi fédérale sur les pêches et son régime pénal de protection environnementale», (1992) 3 C. de D. 769, p. 790. Northwest Falling Contractors Ltd. v. R., [1980] 2 R.C.S. 292, p. 302. R. v. Imperial Oil, supra, note 96. Laidlaw, supra, note 18, p. 379. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 201 contaminé cette portion de l’environnement. Et qu’en serait-il du produit qui, par l’effet des eaux souterraines et de la gravité, se retrouvait dans le sol d’une propriété voisine, d’où il referait surface au creux d’un fossé pour se répandre ensuite dans les eaux superficielles? Le voisin deviendrait-il de la sorte responsable de cette autre contamination153? On le voit, cette position a pour effet de culpabiliser la victime. Dans le cas où le terrain passe entre les mains d’un tiers, ce dernier n’a peut-être pas davantage les moyens ou l’intention de le remettre en état. Pourtant, si la migration engendre sa responsabilité, il peut se retrouver dans l’étrange situation d’être dans l’incapacité matérielle d’agir et de ne pas trouver preneur pour son terrain (et donc ne pas pouvoir se départir de la garde de celui-ci autrement qu’en l’abandonnant). L’État, de son côté, ne pourra se déclarer propriétaire du terrain ainsi abandonné, en vertu de l’article 936 C.C.Q., qu’à moins d’en prendre la responsabilité, au risque, s’il n’agit pas ensuite sans délai, d’être lui-même en infraction. Le défaut de prendre immédiatement les mesures nécessaires dès que possible pour corriger une situation non réglementaire et des mesures insuffisantes pour éviter l’infraction ne donnent pas ouverture à la défense de diligence raisonnable.154 Si l’État refuse, par ailleurs, de se porter acquéreur d’un bien immobilier sans maître, sous prétexte que le site est contaminé et que les contaminants se répandent, dans le but exprès de ne pas en devenir responsable, n’est-il tout simplement pas en train d’abdiquer ses responsabilités environnementales? Curieux effet que celui d’une loi qui inciterait l’État à renoncer à agir là où, au 153. 154. Poussé à l’extrême, ce raisonnement a des effets surprenants. Dans le cas du CERCLA, sans doute la plus puissante des armes législatives relatives aux sols contaminés, une régie municipale a été jugée responsable d’une fuite de substances dangereuses à travers ses égouts, mais provenant des installations d’un tiers (Westfarm Associates, supra, note 36). De même, dans le cas d’un propriétaire de centre commercial, pour le perchloroéthylène échappé à travers ses égouts à partir d’un commerce de nettoyage à sec: «The statutory language does not suggest that the release of a substance occurs only once if the subtance is migrating, or that liability is limited to the owner or operator that introduced the substance initially or was the source of the substance, or that a «passive» owner or operator is exempted from the Act» (Lincoln Properties, supra, note 36); enfin, le propriétaire qui a reçu des résidus d’un terrain en amont entraînés par les eaux de ruissellement a dû en assumer la responsabilité: «While it may seem inequitable, the mere migration of contaminants from adjacent land constitutes disposal for the purposes of CERCLA, and passive downstream landowners are liable for the cleanup costs from their neighbors’ activities» (Reichhold Chemicals, supra, note 35). CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 608. 202 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 contraire, il devrait plutôt intervenir, ou qui le placerait automatiquement en infraction dès le moment où il assumerait la garde ou le contrôle des sites «orphelins» contaminés. Il est difficile pour l’État, en effet, de prétendre ne pas avoir les moyens d’agir. D’autre part, la victime considérée pollueuse est dans une situation extrêmement précaire par rapport au pollueur initial. La décontamination est très onéreuse. Or, le propriétaire fait face à une situation beaucoup plus difficile à appréhender et, partant, à gérer. Ne serait-ce que pour déterminer s’il doit ou non intervenir, des études coûteuses sont nécessaires pour évaluer la nature, l’étendue et le comportement de la contamination. Il ne pourrait en principe s’abstenir de faire au moins cette vérification, s’il a des soupçons155. Pourtant, le fait que le site soit la propriété d’un autre ou soit ultérieurement acquis par un tiers ne devrait pas être un actus novus interveniens venant rompre le lien de causalité entre les agissements de la première personne (celle qui a causé l’introduction des contaminants dans l’environnement) et les conséquences matérielles prétendument illégales qui ont résulté de cet acte. Pour quelle raison, désormais, cette pollution, parce que migrante, relèverait-elle d’un tiers qui n’a en rien contribué au problème? La personne qui a exercé l’activité à l’origine de l’introduction du contaminant dans l’environnement, ou créé une situation ayant ensuite causé cette introduction, est censée connaître ses installations, ses procédés, ses produits. Advenant qu’elle n’ait pu prévenir la pollution, elle reste néanmoins en position d’intervenir rapidement pour stopper un déversement accidentel. Le propriétaire subséquent, ou le voisin chez qui les produits ont pu se répandre, n’ont ni la possibilité d’empêcher l’apparition du phénomène de migration (ils ne peuvent intervenir qu’en aval, après le fait, pour la stopper, l’enrayer), ni la connaissance que le pollueur pouvait avoir de la situation dont il a été l’auteur. Une défense fondée sur l’impossibilité financière lui seraitelle reconnue? Dans l’affaire M.R.C. d’Abitibi, la Cour d’appel a refusé l’argument du fardeau financier. Il s’agissait d’une affaire 155. COTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 394: «La connaissance imputée consiste à attribuer à un individu la connaissance d’un fait ou d’une circonstance lorsque, suite à la preuve d’un fait par la poursuite, on peut inférer qu’un homme raisonnable aurait eu connaissance de ce fait». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 203 de zonage156. Les considérations financières ne sont habituellement pas admises en défense, en droit pénal157. Cette règle vient du principe qu’une personne qui choisit délibérément d’exercer une activité doit en assumer l’entière responsabilité158. Si elle a les moyens d’exploiter une usine, elle doit avoir les moyens de prévenir la pollution pouvant émaner de cette usine. Lord Diplock, dans Sweet v. Parsley159 rappelle ainsi cette règle: ...where the subject matter of a statute is the regulation of a particular activity involving potential danger to public health, safety, or morals, in which citizens have a choice as to whether they participate or not, the court may feel driven to infer an intention of Parliament to impose, by penal sentences, a higher duty of care on those who choose to participate and to place on them an obligation to take 156. 157. 158. 159. 204 M.R.C. d’Abitibi c. Ibitiba Ltée [1993] R.J.Q. 1061 (C.A.), aux p. 1068 et 1069: «Certes, pour le propriétaire, le fait de se conformer à une réglementation visant à protéger l’environnement est une charge supplémentaire et lui occasionne des tracas et des dépenses additionnelles. C’est là simplement la rançon que tout propriétaire individuel doit payer pour la protection générale et collective de la nature. [mais la Cour ajoute: ] nous ne sommes pas devant une situation où la réglementation réduit tellement l’exercice du droit de propriété qu’elle en rend un usage impossible ou a pour effet de supprimer totalement l’achalandage d’une entreprise tout en lui laissant ses biens. [...] On ne peut plus admettre désormais que des individus ignorent systématiquement, en ne leur accordant aucune importance, les règles de la protection de l’environnement, puis, ayant placé la collectivité devant une situation de fait [il s’agissait ici de la construction d’une route trop près d’un plan d’eau], viennent ensuite se plaindre des inconvénients financiers et économiques qui peuvent leur résulter d’une exécution forcée et en nature des prescriptions de la loi et de la remise en état des lieux pour les générations actuelles et futures.» DUPLESSIS, HÉTU et PIETTE, supra, note 23, p. 28; P.G. du Québec c. Novi Pêche (1987) Inc. (30 novembre 1989), Bonaventure 105-27-001514-884 (C.S.P.) M. le juge J. Bécu; P.G. du Québec c. Simard (23 septembre 1994), Alma 160-61-000108-948 (C.Q.), M. le juge J.-Y. Tremblay, J.E. 94-1563. Wholesale Travel, supra, note 141, p. 227: «Le concept de l’acceptation des conditions repose sur la théorie que ceux qui choisissent de se livrer à des activités réglementées ont, en agissant ainsi, établi un rapport de responsabilité à l’égard du public en général et doivent assumer les conséquences de cette responsabilité. C’est pourquoi on devrait considérer, dit-on, que ceux qui se livrent à une activité réglementée ont accepté, dans le cadre de la conduite responsable qu’ils doivent assumer en raison de leur participation au domaine réglementé, certaines conditions applicables aux personnes qui agissent dans la sphère réglementée.»; Fabien exprime l’avis que cet argument est également applicable aux lois environnementales: Marc-André FABIEN, «Développements récents en droit pénal de l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 63-99, p. 96 Supra, note 130 (ce passage est cité dans Canada Tungsten Mining Corporation v. The Queen (5 mars 1976), résumé à [1976] W.W.R. 104, [1976-1977] F.P.R. 78 (Cour suprême des Territoires-du-Nord-Ouest, en application de la Loi sur les pêches, supra, note 158). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 whatever measures may be necessary to prevent the prohibited act, without regard to those considerations of cost or business practicability which play a part in the determination of what would be required of them in order to fulfil the ordinary Common law duty of care. (italiques ajoutés) S’il est impossible d’obtenir les crédits nécessaires pour décontaminer son site, le propriétaire est-il condamné à une infraction continue? Devra-t-il se départir de son bien? Et s’il ne trouve pas d’acheteur, devra-t-il le remettre à la municipalité ou à l’État? «[L’]attente de la vente d’un immeuble n’exonère pas le propriétaire de ses obligations légales»160. Par ailleurs, l’abandon d’un immeuble ne relève pas nécessairement le propriétaire des obligations personnelles auxquelles il était tenu161. Si on a fait état plus haut de situations où, en droit civil, le propriétaire d’un immeuble contaminé pourrait avoir à rendre compte de la contamination répandue ailleurs, on ne peut assimiler toutefois les recours civils et les recours pénaux. La situation n’est aucunement comparable162. Les recours civils seront possibles même si le terrain contaminé n’est pas le point d’entrée des contaminants dans l’environnement. En d’autres termes, le propriétaire d’un terrain traversé par des contaminants venus d’un autre terrain, et non pas seulement d’une source située sur son terrain, pourrait être, selon les circonstances, recherché en justice pour dommages civils163. Un recours pénal contre cette personne serait difficilement concevable et éminemment contraire à la Charte canadienne des droits et libertés164, en rendant une personne coupable des 160. 161. 162. 163. 164. Paule HALLEY, «Les recours pénaux», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 50 830 (citant P.G. du Québec c. St-Pierre (22 février 1996), Hull 550-61- 007396-951 (C.Q.), M. le juge R.R. Lapointe). On peut rester responsable des dommages déjà causés par le bien qu’on abandonne (LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 14); c’est un peu ce qu’a sanctionné, en 1990, la «Loi du pollueur-payeur», L.Q. 1990, c. 26, introduisant les articles 31.42 à 31.52 dans la L.Q.E. quant aux contaminants laissés sur un ancien site. Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1998, p. 36: «L’ordre pénal énumère les conduites jugées antisociales, en dresse une liste limitative [nullum crimen sine lege] et les assortit de peines spécifiquement prévues [nulla poena sine lege], dont la sévérité dépend non du préjudice réel effectivement subi, mais de la gravité sociale de l’acte reproché. Au contraire, le droit civil se contente d’un principe général de responsabilité, faisant peu cas du caractère antisocial de la conduite de l’auteur du dommage ou de la gravité de la faute commise. Seuls entrent en ligne de compte le préjudice subi par la victime et le lien entre ce préjudice et la faute.» Pelchat c. Canadian Tire Corporation Ltd. (16 mars 1995), Québec 200-05003512-949 (C.S.), M. le juge L. Rochette, J.E. 95-1006, p. 4 et 5. Loi constitutionnelle de 1982, art. 7 et 9; une «loi qui permet de déclarer coupable une personne qui n’a véritablement rien fait de mal viole les principes de la justice fondamentale et, si elle prévoit une peine d’emprisonnement, une telle loi Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 205 agissements d’un autre sur lequel elle n’a aucun contrôle165. Pour reprendre les termes de la juge Huddart de la Cour suprême de Colombie-Britannique, dont le jugement a été confirmé en appel: To allow a conviction in such circumstances would be to find the accused guilty of the acts of another, and, to use the language of Devlin J. (supra, at p. 21) [dans Reynolds v. G.H. Austin & Sons Ltd., [1951] 2 K.B. 135, à la p. 149], it would be “pouncing on the most convenient victim”. If the legislature wishes to place a positive duty on a neighbour in such circumstances, it can do so in clear language.166 Au civil, l’infortuné voisin dispose tout de même d’un recours contre la personne à l’origine de la contamination167. «Il serait responsable des dommages susceptibles de découler de l’état de son terrain, à charge pour lui, s’il le désire, de retrouver le véritable responsable...»168. Même dans le CERCLA, où la conduite d’une personne n’est pas pertinente quant à sa responsabilité sous cette loi169 (il ne s’agit pas d’une responsabilité pénale, mais d’une responsabilité administrative ou d’ordre civil), on a prévu ce qui a été appelé le «third-party defence». La contamination qui est entièrement due aux agissements d’un tiers exonère la partie autrement déclarée responsable, sans compter que cette loi donne aux personnes ayant encouru des frais de décontamination le pouvoir d’intenter une poursuite contre les véritables pollueurs170. En matière pénale, il n’y a pas de tel recours en garantie. Il y a plutôt acquittement, si la preuve démontre que l’infraction a été commise par une tierce personne, sans participation de l’accusé. Rechercher la culpabilité du propriétaire innocent apparaît donc injustifié dans ces circonstances. Une autre conséquence est de rendre coupable la personne qui a agi légalement. Par exemple, une personne peut avoir exercé une activité à une époque où les considérations environnementales n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Son activité peut 165. 166. 167. 168. 169. 170. 206 viole le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés»: Renvoi sur le Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, 492. CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 275. Rivtow Straits, supra, note 36, p. 22. Pelchat, supra, note 163. Michel BÉLANGER, «Le droit de l’environnement et la pratique notariale à l’égard des terrains contaminés», (1988) C.P. du N. 375, 416. «The legislation is designed to impose strict liability on a variety of actors, including past and present owners, irrespective of their culpability»: HydroManufacturing, Inc. v. Kayser-Roth Corp., 903 F.Sup. 273 (D. R.I. 1995). À titre d’exemple, voir: American Color & Chemical Corporation v. Tenneco Polymers, Inc., 918 F.Sup. 945; 1995 U.S. Dist. LEXIS 20357 (D. S.Car. 1995). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 être antérieure à l’entrée en vigueur de la L.Q.E., qui même n’interdit pas de contaminer l’environnement171. Elle prescrit seulement que cela doit se faire dans le respect des balises prévues172. On peut fort bien imaginer une situation où un terrain s’est retrouvé contaminé par la simple accumulation, avec les années, des contaminants que l’entreprise était légalement autorisée à rejeter. Admettre que la migration qui s’ensuit des contaminants constitue une infraction serait en quelque sorte punir cette personne pour les conséquences normales et prévisibles du geste légal qu’elle posait. On aurait en quelque sorte autorisé cette personne à constituer avec le temps une prétendue source de contamination distincte de l’établissement qu’elle exploitait173. On l’aurait incitée à se piéger elle-même. 3.5 L’imprescriptibilité L’extension de l’acte de pollution a un autre effet pernicieux. Elle abolit la prescription. En effet, dès que le contaminant est lâché dans l’environnement, les chemins qu’il peut emprunter sont multiples et nul ne sait à quel moment ni en quel lieu le produit peut réapparaître, ou encore passer dans un nouveau médium comme l’air ou l’eau. En transposant les principes de l’arrêt Laidlaw à cette situation, la personne qui à l’origine a introduit le contaminant dans l’environnement serait imputable de ce que, bien plus tard, malgré qu’elle en ait tari la source, le contaminant continue de se propager. Un riverain industriel du canal de Lachine serait responsable de ce qu’aujourd’hui des contaminants renfermés dans les sédiments du canal migreraient dans les eaux. Il n’y aurait pas de raison d’exclure ici l’élément de continuité qui avait permis à la Cour d’appel, dans Laidlaw, de relier à la personne qui les avait enfouis, en 1973, les barils de produits toxiques qui, en 1991, laissaient échapper leur contenu. L’affaire Amoco174 posait un problème de prescription analogue à celui de l’affaire Laidlaw. La compagnie contrevenante 171. 172. 173. 174. Michel YERGEAU, Loi sur la qualité de l’environnement, texte annoté, Montréal, SOQUIJ, 1988, p. 105. Art. 24 (alinéa 1) L.Q.E.: «Le ministre doit, avant de donner son approbation à une demande faite en vertu de l’article 22, s’assurer que l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants dans l’environnement sera conforme à la loi et aux règlements. Il peut, à cette fin exiger toute modification du plan ou du projet soumis.» «Une société conséquente ne peut à la fois tolérer, organiser voire susciter une activité susceptible de causer des dommages et punir ceux qui occasionnent les troubles en question dans l’exercice normal de cette activité»: LITTMANNMARTIN, supra, note 79, p. 151 Supra, note 53. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 207 avait déposé des déchets dangereux dans des lagunes causant une infiltration continue dans le sol. Après une intervention des autorités, Amoco avait entrepris d’enrayer la contamination. Si la contravention avait été le dépôt initial Amoco perdait sa défense de diligence raisonnable, vu qu’il était délibéré, mais l’infraction aurait été prescrite. La Cour a plutôt retenu la thèse de l’infraction continue reliée à l’infiltration dans le sol et l’eau souterraine à partir de la lagune, évitant ainsi la prescription175. Ici, l’acte pollueur n’était pas le dépôt initial, mais uniquement l’infiltration, contrairement aux conclusions de l’affaire Laidlaw, où le dépôt initial blâmable faisait partie de la transaction fautive. La solution d’Amoco au problème de prescription rappelle une autre affaire en Ontario176: The accumulation of all dumping is the deposit and the deposit remains, that is, it is a continuing or continuous matter. I find that Mr. Liverance created a risk which continued and became an established fact and that he had a duty to remove it. The duty continued with the risk. As the duty and the omission to act under that duty were continuous, the limitation period commenced on the discovery of that breach of duty or in 1983. En fait, sanctionner l’inaction face à la migration de contaminants rend l’omission perpétuelle. Plusieurs refusent cette conséquence177. Par exemple: Because CERCLA conditions the innocent owner defence on the defendant’s having purchased the property “after the disposal” of hazardous waste at the property, “disposal” cannot constitute the allegedly constant spreading of contaminants. Otherwise, the defence would almost never apply, as there would generally be no point “after disposal.”178 (italiques ajoutés) Wer giftige Abwässer in einen Fluß abläßt oder Schadstoffe durch Verbrennen beseitigt, hat einen irreversiblen Gefährdungszustand geschaffen.179 175. 176. 177. 178. 179. 208 Si Amoco n’a pu alors profiter de la prescription, elle a néanmoins eu droit à une défense de diligence raisonnable, ayant pris des mesures à cette époque pour enrayer la contamination qui s’échappait de la lagune. R. v. Liverance (1986), 1 C.E.L.R. (N.S.) 97 (Ont. Prov. Ct., Cr. Div.). La prescription doit se calculer depuis le moment du déversement: U.S. v. Telluride Co., 884 F.Sup. 404 (D. Col. 1995). U.S. v. CDMG Realty Co., 96 F.3d 706 (3rd Circ. 1996). Décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989, supra, note 102: «Celui qui laisse écouler des eaux usées contaminées dans une rivière ou qui élimine des déchets dangereux en les brûlant, a créé un danger irréversible». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Dans une affaire civile, la Cour suprême de Californie a avancé une solution intéressante. Les coûts prohibitifs rendent les dommages permanents et non continus180. Par contre, on trouve aussi des décisions qui font de l’acte accompli un acte continu. En droit anglais, le défaut de recouvrir les déchets d’un lieu d’enfouissement a créé, par le seul maintien des déchets dans cet état, une infraction continue de dépôt illégal181. En Ontario, une personne en défaut d’avertir les autorités d’un déversement s’est vue condamnée pour une infraction continue parce que les contaminants répandus étaient demeurés dans l’environnement182. Au Québec, le mot «rejet» utilisé à l’article 20 L.Q.E. a déjà été lu comme incluant aussi bien l’action que son résultat accompli et continu183. 3.6 Une lecture indûment complexifiée Étendre et fragmenter l’introduction d’un contaminant dans l’environnement complexifie la lecture de dispositions autrement simples et limpides. Fonder la responsabilité sur une prohibition générale de polluer, ou attribuer une responsabilité d’ordre administratif sur cette base provoque des résultats inusités dans les cas de migration. Les tribunaux qui se sont interrogés sur la distinction entre l’introduction initiale du contaminant et sa propagation subséquente se sont longuement et systématiquement intéressés à la terminologie employée. En Ontario, les définitions de la L.P.E.O. ont été scrutées par le tribunal184. Aux États-Unis, on a distingué les mots «disposal» et «release»185. On a relevé ce genre de conflit dans l’interprétation des dispositions en cause: 180. 181. 182. 183. 184. 185. Une nuisance n’est plus continue mais devient permanente, si elle ne peut être enrayée à un coût raisonnable: Mangini v. Aerojet-General Corporation (1996), 12 Cal. 4th 1087 (Cal. S. Ct.) (avec dissidence). «A continuing state of affairs is in my judgment capable of being embraced within the meaning of the word “deposit”»: Thames Waste Management Ltd v. Surrey County Council (1er novembre 1996), CO/1026/96 (Q.B.). «As long as a contaminant remains in the natural environment and the potential for “pollution” continues the offence continues»: R. v. Hill, supra, note 116. «Le mot «rejet» vise aussi bien l’action de rejeter que son résultat. Restreindre la portée des mots «a rejeté ou permis le rejet» à l’action délimitée dans le temps et l’espace ferait perdre de vue l’objectif de la législation, qui est de prévenir et d’empêcher un résultat.»: P.G. du Québec c. Scierie Mont-Laurier Inc. (9 mai 1994), Labelle 560-27-003438-922 (C.Q.), M. le juge F. Beaudoin, inf. en partie: (30 mars 1995), Labelle 560-36-000003-944 (C.S.), M. le juge L.-P. Landry, appel accueilli: (7 janvier 1997), Montréal 500-10-000184-950 (C.A. ), MM. les juges P.-A. Gendreau, M.J. Fish et A. Biron (ad hoc), J.E. 97-254 (l’aspect continu ou non de l’infraction n’a cependant pas été soulevé en appel). Canadian National Railway, supra, note 35. ABB Industrial Systems, supra, note 74; Ecodyne Corp. v. Shah, 718 F.Sup. 1454 (N.D. Cal. 1989); The Reading Co. v. City of Philadelphia, 155 Bankr. 890 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 209 If the spreading of contaminants is constant, as HMAT would have us assume, characterising liable parties as “any person who at the time of disposal... owned or operated any facility,” 42 U.S.C. § 9607(a)(2), would be a rather complicated way of making liable all people who owned or operated a facility after the introduction of waste into the facility... We will not impute to Congress an intent to set up a simple liability scheme through a convoluted methodology.186 Assuming that any hazardous waste may migrate long after it has been introduced into the environment, the corporate successor’s sweeping interpretation of the term disposal would effectively impose cleanup liability on any owner in a chain of title187. En France, c’est encore le vocabulaire («jeté, déversé ou laissé écouler») qui a été analysé188. En Allemagne, on s’est refusé à voir une infraction continue là où le législateur ne l’a pas exprimé explicitement189. Il n’y a pas eu pareille exégèse par nos tribunaux, tout simplement parce que le cas ne s’est pas présenté. Le législateur n’a pas non plus mis en vigueur les dispositions de la L.Q.E. visant expressément les propriétaires de terrains190. Clairement, si le principe du pollueur-payeur est bien codifié, il est loin d’en être autant du principe de la «victime-payeuse» ou du «propriétaire-payeur». 3.7 La gravité objective Dans la L.Q.E., l’infraction de pollution représente l’infraction la plus grave que la loi contienne, passible d’emprisonnement. Pourtant, dans la migration, rien ne concourt à rendre le prétendu contrevenant passible de peines aussi lourdes. D’abord, l’élément mental de l’infraction ne s’y trouve pas, élément présumé, puisque les infractions aux lois environnementales sont réputées de responsabilité stricte191. Le prétendu contrevenant, rappelons-le, est avant tout une victime. La gravité plus importante de l’acte initial de rejet est illustrée par une décision ontarienne en matière d’application de pesticides. Le geste initial 191. (E.D. Penn. 1993); Snediker Developers Ltd. Partnership v. Evans, 773 F.Sup. 984 (E.D. Mich. 1991).; CDMG Realty, supra, note 178. CDMG Realty, supra, note 178. Snediker, supra, note 185. RASSAT, supra, note 13. S CH Ö NK E e t S CH R Ö D E R ; R U D O L P H I e t H O R N ; ME I N B E R G , MÖHRENSCHLAGER et LINK; supra, note 93. Supra, note 161 (les articles 31.46 à 31.51 que cette loi a introduits dans la L.Q.E. ne sont pas en vigueur). HALLEY, supra, note 160, ¶ 50 780. 210 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 186. 187. 188. 189. 190. d’application excessive et négligente du pesticide a été considéré beaucoup plus grave que l’omission ultérieure de stopper son évaporation dans une habitation (les accusations portaient par ailleurs sur deux dispositions distinctes de la loi)192. La tolérance passive de la propagation ne peut se comparer à l’acte initial d’introduction. Le législateur imposerait autrement les pires peines à celui qui n’est pas à l’origine du problème et qui a davantage à faire pour s’en sortir que le vrai responsable. 4. LA RECHERCHE DE L’ACTE RÉPRÉHENSIBLE La migration sous l’angle pénal pose avant tout le problème de l’identification de l’acte répréhensible, et donc des éléments de l’actus reus de l’infraction de pollution. Il peut s’agir, comme on l’a vu, d’agissements que l’on veut réprimer, comme il peut s’agir de conditions qu’une personne a d’abord réunies et qu’elle a ensuite négligé de contrôler. L’actus reus peut donc être analysé sous l’angle de l’acte positif ou de l’omission. L’identification de cet acte est essentielle car il est au cœur de l’infraction réglementaire193. L’acte positif peut être celui qui cause la migration. Il peut s’agir alors de l’acte à l’origine de l’introduction du contaminant dans le sol comme il pourrait aussi s’agir de l’acte à l’origine d’une propagation des contaminants déjà introduits. Dans les deux cas, la migration apparaît comme une conséquence du geste posé, un peu comme dans Laidlaw, où les fuites prolongeaient le geste initial, l’enfouissement des barils. Sous l’angle de l’acte positif, la Cour d’appel a vu une seule et même transaction194, et sans l’étendre à la migration des contaminants une fois sortis des barils. Mais la comparaison s’arrête là. Il ne s’agit pas ici d’incriminer l’acte à l’origine de la présence du contaminant dans l’environnement, 192. 193. 194. R. v. Burton’s Sanitation Limited (10 juillet 1986), Ont. Prov. Ct., Cr. Div., Gananoque (inédit): «There is a different degree of culpability that attaches in this particular case to the continuing part of the offence, from the original offence. The original offence is an action, the continuing part of the offence is passive. It’s a failure to do something that perhaps they should have done. But it is certainly less wilful and callous than knowing they should have done it and deliberately failing to do it.» CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 271: «cette preuve hors de tout doute raisonnable de l’actus reus devient particulièrement importante en matière d’infractions réglementaires car la poursuite n’a pas à prouver la mens rea de l’accusé, celle-ci se déduisant de la simple preuve de l’actus reus. L’accusé ne pouvant se disculper par l’absence de mens rea, il peut lui devenir nécessaire pour éviter une condamnation, surtout en matière d’infractions de responsabilité absolue, de démontrer qu’il n’a pas commis l’actus reus de l’infraction.» HALLEY, supra, note 66. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 211 mais un phénomène subséquent. Il faut que ce phénomène soit vu comme un acte de pollution, au sens de «disposal» dans le RCRA américain195, au sens de «jeter, déverser ou laisser écouler» du Code rural français196, d’«ajouter, de déposer, de perdre ou d’émettre» de la L.P.E.O.197, de «verunreinigen» ou d’«einbringen» du Code pénal allemand198, au sens d’«émettre, déposer, dégager ou rejeter» de la L.Q.E.199. Cette hypothèse étant posée, qu’en est-il du phénomène? Devient-il un acte en soi? Est-il alors passible de sanction? Dans ce cas, devrait-on distinguer la propagation de cause humaine et la propagation spontanée? Bien souvent, il n’y a pas d’intervention humaine dans la migration, ni de volonté agissant sur le contaminant et entraînant son mouvement. Cette absence d’intervention et de volonté rend difficile le rattachement à l’actus reus d’une infraction. «Le caractère volontaire d’un acte est un impératif constitutionnel. [L’]acte matériel interdit doit être accompli sous le contrôle conscient de son auteur»200. Appliquée au seul déplacement de contaminants, cette position excède la «sphère de risque» que mentionne la Cour suprême. Le citoyen qui découvre une contamination qui se propage n’a posé jusqu’ici aucun geste le situant à l’intérieur de cette sphère de risque. Il exerçait un droit tout à fait légitime, celui de posséder. La découverte de l’état de son terrain n’affecte certes pas ce droit ou ne le rend pas moins légitime et, en ce sens, on ne peut rattacher sa responsabilité à une quelconque infraction de possession201. On observe d’ailleurs des hésitations à relier des phénomènes naturels et la responsabilité: Au Québec: Il me paraît évident que l’effet des phénomènes naturels ne saurait constituer un novus actus brisant le lien de causalité entre la pollution et la conduite blâmable de Laidlaw. 202 En Colombie-Britannique (loi fédérale): Put simply, providing the opportunity for pollution to continue by not doing anything about a neighbour’s activities is not enough to 195. 196. 197. 198. 199. 200. 201. 202. 42 U.S.C. § 6903(3). Art. L. 232-2. Supra, note 20, art. 1.(1). Strafgesetzbuch, §§ 324 et 324a. L.R.Q., c. Q-2, art. 20. CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 275 et 281. «Au départ, l’acte de propriété est utile en soi et accompli sans intention malicieuse»: LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 236. Laidlaw, supra, note 18. 212 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 constitute the actus reus of s. 36(3) [of the Fisheries Act] in view of the principles set down by the Supreme Court of Canada in Sault Ste. Marie.203 Aux États-Unis: Those who owned previously contaminated property where waste spread without their aid cannot reasonably be characterised as “polluters”; excluding them from liability will not let those who cause the pollution off the hook.204 En Grande-Bretagne: I cannot myself find it possible to say that a causing of the entry of the polluting matter occurs merely because the landowner stands by and watches the polluting matter cross his land into the stream, even if he has committed himself by contract to allowing the adjoining owner so to act.205 4.1 L’existence d’un acte positif La situation est différente s’il y a une conduite qui, selon les circonstances, pourra être qualifiée de blâmable. Encore là, il faut distinguer l’acte qui introduit le contaminant de celui qui met en cause des contaminants déjà présents. Dans le premier cas, il y a pollution et le problème est celui de la qualification du phénomène subséquent de propagation. Nous reviendrons sur ce point. Dans le second cas, la propagation de contaminants déjà présents est activée par une personne, avec l’amplification d’une migration en cours, ou la mise en mouvement de contaminants qui ne migraient pas. 4.1.1 L’activation de la migration Avant d’attribuer une conséquence pénale à cette activation, il ne faut pas oublier qu’une fois les contaminants introduits, la quantité qui est susceptible de se répandre est une quantité finie. Entre l’évaporation laissée à elle-même, par exemple, et l’évaporation accélérée par l’excavation du sol, la seule différence sera le facteur temps, non la quantité. Si la personne qui laisse un contaminant du sol s’évaporer durant un mois était un pollueur, elle le serait pendant un mois. Pose-t-elle un geste différent si l’évaporation se produit plus rapidement? Paradoxalement, la première 203. 204. 205. Rivtow Straits, supra, note 36. CDMG Realty, supra, note 178. Price v. Cromack, supra, note 36. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 213 serait coupable de trente infractions quotidiennes, passibles de 2 000 $ d’amende minimale par jour, dans le cas de l’article 20 L.Q.E. La seconde n’aurait commis qu’une seule infraction. Cela est fort différent de la pollution classique. Une usine qui dégage pendant un mois un kilogramme à l’heure d’anhydride sulfurique aura certes pollué davantage que la même usine ayant dégagé ce contaminant au même rythme mais pendant une semaine seulement. Par l’amplification d’un phénomène de migration, une personne ne déclenche pas en soi la migration mais l’accentue ou l’accélère. Les substances volatiles contenues dans un sol se propagent progressivement par évaporation dans l’air interstitiel puis à l’air libre, à un rythme qui dépend entre autres de la porosité du sol et de la volatilité des substances206. Par de simples travaux d’excavation, une personne peut exposer ces substances à l’air libre et en accélérer la migration dans l’atmosphère. Cette personne pose-t-elle alors un acte distinct de pollution207? Il ne s’agit pas ici de discuter si, dans les faits, la personne aura causé ou non une aggravation d’un phénomène, qui est une question de preuve. Du reste, cette libération accélérée n’est pas nécessairement une aggravation, puisqu’elle peut améliorer l’action de dégradation des agents naturels. La question est qu’il y a aggravation possible. Constituerait-elle un acte de pollution? Cela soulève d’importantes difficultés. L’aggravation ne semble pas, dans les textes examinés, être considérée comme une source de responsabilité pénale. Le geste de pollution s’apprécie par rapport à une norme ou, à défaut, à des conséquences simplement appréhendées (comme c’est le cas pour le «troisième volet» de l’article 20 L.Q.E.). Il y a pollution si des contaminants sont libérés en excès des quantités maximum permises ou si des contaminants sont libérés et que cette libération est susceptible de conséquences négatives. L’aggravation signifierait plutôt que si deux usines déversent chacune des contaminants dans un même cours d’eau, c’est la plus récente qui sera en cause. De la même manière, ce sont les véhicules les plus récemment ajoutés au parc automobile qui aggraveront le niveau d’émissions atmosphériques. Semblablement, si un sol laisse migrer des contaminants dans l’environnement, sanctionner l’aggravation signifierait que c’est l’activité supplémentaire, et non plus la migration elle-même, qui est en cause. Si c’est ce geste sup206. 207. BOULDING, supra, note 32. C’est pourtant la position du ministère de l’Environnement du Québec, selon les Lignes directrices d’intervention, supra, note 50, p. 72. 214 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 plémentaire qui devient la conduite blâmable, on entre dans des distinctions que ne font pas les lois pénales. En effet, l’infraction de pollution est toujours prise dans son absolu, c’est-à-dire abstraction faite des conséquences observées. Ce sont les conséquences appréhendées qui entrent en ligne de compte, conséquences présumées, dans le cas d’un dépassement de norme réglementaire ou d’une prohibition totale, ou conséquences dont la possibilité doit être prouvée208 (nous disons bien la «possibilité», non le résultat observé209) lorsqu’il n’y a pas de norme. L’aggravation, au contraire, suppose une conséquence observable. Elle ajoute à l’infraction de pollution une dimension qu’elle n’a pas. Il faudrait en outre, pour que l’infraction soit constituée de l’aggravation, admettre que la migration en soi n’est pas sanctionnée, quelle qu’en soit l’intensité. Dans ces conditions, l’aggravation ne peut l’être, si elle repose sur les mêmes textes. Il y a contradiction. Enfin, sanctionner l’aggravation signifierait que l’état initial de l’environnement conditionne l’existence ou non de l’infraction, alors que, dans notre droit du moins, mais aussi sous d’autres juridictions, il y aura infraction de pollution même si la libération des contaminants se fait dans un milieu déjà dégradé210. La migration qui ne serait pas survenue sans intervention humaine peut-elle être traitée différemment? Bien que rare (elle suppose au départ l’absence de mouvement, même ténu, des contaminants), elle reste néanmoins possible. Ce peut être une nappe souterraine que des contaminants ont gagné par des puits creusés postérieurement à la contamination et qui ont traversé l’argile qui les gardait captifs. Ce n’est pas hypothétique. Aux États-Unis, on a cherché à mettre en cause, mais sans succès, une firme qui avait foré des puits pour caractériser une contamination et avait de la sorte mis des contaminants en contact avec une nappe profonde211. Il faut, au départ, que les contaminants aient été fixes, autrement le phénomène en est nécessairement un d’aggravation. 208. 209. 210. 211. «[C]’est à lui [le demandeur] qu’incombe le fardeau de la preuve justifiant sa demande», Duval c. Plancher Beauceville Flooring Inc. (27 décembre 1974), Beauce 350-05-000505-74 (C.S.), M. le juge Bédard; «[i]l suffit donc à la poursuite d’établir la potentialité de la contamination et non nécessairement sa réalité», Piette c. Excavation A. Lachapelle Inc. (30 janvier 1985), Arthabaska 415-36-000001-838 (C.S.), M. le juge G. Desjardins, J.E. 85-312, conf. (13 septembre 1990), Québec 200-10-000026-851 (C.A.), MM. les juges R. Dussault et M. Beauregard et Mme la juge C.Tourigny. «Il suffit de démontrer que la contamination était telle qu’elle portait la capacité latente de provoquer tel résultat», P.G. du Québec c. Granicor Inc. (6 avril 1995), Québec 200-27-018236-926 (C.Q.), M. le juge Dubé, conf. en appel. Ville de Saint-Luc c. Clément, [1992] R.J.Q. 2167 (C.S.). CDMG Realty, supra, note 178. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 215 On serait tenté de comparer le déplacement de contaminants par quelqu’un d’un lieu à un autre avec un semblable déplacement de substances faisant partie de l’environnement lui-même, comme des sédiments soulevés par de la machinerie dans le cours d’eau. Cependant, là où elles étaient au départ, ces matières n’étaient pas contaminantes. Il n’y avait à cet endroit ni contaminant ni source de contamination. C’est l’intervention humaine qui a transformé les substances naturelles en contaminants et qui a causé leur réintroduction212. C’est dans ce sens que l’on peut parler de libération de contaminants et c’est l’intervention, en tant qu’activité, qui en est la source. Dans le cas des contaminants présents dans un sol ou une eau souterraine contaminés, l’intervention humaine n’a pas pour effet de les transformer en contaminants, de les créer. Ils le sont déjà. L’action de les introduire dans l’environnement est accomplie. La différence est donc très nette. On pourrait avancer que le fait de transporter des sols dans un endroit sain représente un nouvel événement de pollution. On pourrait aussi soutenir que, si ce n’est le transport, alors ce serait la migration qui suit le dépôt qui pourrait être qualifiée de pollution nouvelle. C’est un point de vue intéressant. Il permet d’associer une dégradation possible de l’environnement à un acte positif et intentionnel. Cependant, on oublie de tenir compte de la migration qui se produisait déjà au point d’origine. Ce raisonnement fait nécessairement une distinction que ne fait pas la loi entre la migration au point d’origine et la migration au point de dépôt. D’avoir déplacé les sols ne change rien à l’infraction alléguée, si ce n’est le locus delicti commissi. Le prétendu contrevenant libérerait le contaminant en un lieu y plutôt qu’un lieu x. Il n’y aurait donc pas, à proprement parler, de nouvelle infraction, mais une infraction commise ailleurs. Amplification ou déclenchement de la migration par l’action d’une personne présentent l’inconvénient de n’avoir aucun lien avec la propriété ou la garde des contaminants. La responsabilité serait essentiellement reliée à l’acte posé (celui qui aurait causé l’amplification ou le déclenchement) alors que le geste actif d’une personne qui accentue un phénomène de migration ou le provoque n’est pas l’argument sous-tendant une responsabilité associée à la garde ou à la propriété de terrains contaminés. Cette question n’est donc d’aucune utilité dans la recherche d’une responsabilité 212. «C’est la mise en mouvement par une intervention humaine qui semble caractéristique des termes employés [...].»; Dominique GUIHAL, Droit répressif de l’environnement, Paris, Économica, 1996, ¶ 2872. 216 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 visant le propriétaire ou le gardien. C’est par cette seule garde ou propriété que l’on souhaite voir engagée la responsabilité. On pourrait arguer que le déplacement des sols causera la dégradation d’un milieu qui n’était pas encore atteint. En laissant des sols contaminés dans un milieu déjà dégradé, la migration qui s’y produit s’étend à d’autres sols contaminés, plutôt qu’à des sols intacts. Mais l’infraction de pollution ne permet pas de faire cette distinction. Que le milieu soit ou non dégradé ne change rien213. De plus, sanctionner la migration dans le nouveau milieu récepteur, mais sans la sanctionner au point d’origine, signifierait que la migration en tant que telle n’est tout simplement pas une infraction. D’autre part, si aucune nouvelle contamination n’est causée par le transport d’un fragment d’environnement dégradé (par exemple, le sol), il n’y a pas d’autre conséquence que sa nouvelle localisation. Lorsque d’une masse de sol ne coule aucun contaminant, qu’un amoncellement se trouve en un lieu plutôt qu’un autre, il n’y a rien qui puisse faire partie de l’actus reus d’une quelconque infraction. Les contaminants restent entourés ou enveloppés des mêmes particules de sol, ou dissous dans la même eau interstitielle. L’acte positif de déplacement des sols n’est donc pas un acte générateur d’infraction du seul fait qu’ils soient contaminés, que la migration soit ou non une infraction. Si elle l’est, l’acte positif n’a entraîné que le déplacement du lieu de commission de la prétendue infraction. Le déplacement n’est donc pas déterminant de l’actus reus. Il permet seulement de relier la migration, là où elle se produit désormais, à la même personne qui en aurait été responsable là où les sols étaient au départ. Si, au contraire, la migration ne crée pas d’infraction, qu’elle se produise en un lieu x ou en un lieu y, est sans conséquence pénale. L’épanchement atteindra invariablement et progressivement des zones intactes, que les sols soient dans leur lieu d’origine ou là où on les a déposés. Ce phénomène d’épanchement, en un lieu ou en un autre, est identique. S’il n’engendre pas de responsabilité dans l’un, il n’en engendrera pas dans l’autre. S’il y en a une quant au second site, c’est qu’il y en a une quant au premier. 4.1.2 La migration subséquente à l’introduction des contaminants dans l’environnement Lorsque l’introduction première des contaminants dans l’environnement est prise en considération, la situation factuelle 213. Ville de Saint-Luc, supra, note 210; voir aussi, par analogie, en droit civil: Champs, supra, note 113, p. 2324. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 217 reste identique quant à la migration. En effet, hormis les cas de substances naturelles qui se répandent spontanément, comme le cas du radon ou de la radioactivité de l’uranium minéral, et hormis les cas où la cause humaine est indirecte, comme le lessivage par les précipitations acides, la migration de contaminants est toujours consécutive à leur introduction première214. C’est donc forcément in abstracto que l’on examine la migration elle-même. Si la migration est imputée au pollueur initial, dans la continuité du geste initial, alors nécessairement se pose le problème de sa qualification par rapport à ce geste. Le responsable d’un réservoir pétrolier observe une fuite et la colmate, mais le produit échappé continue de se propager. Chaque jour où il se répand constitue-t-il une infraction si la fuite est colmatée? Si la personne néglige même de tarir la source première, de colmater la fuite, les deux phénomènes se produiraient simultanément, fuite et propagation. À l’abri d’infractions multiples, ce second pollueur ne serait condamné que pour une seule série d’infractions continues215. Paradoxalement, celui qui a colmaté la fuite serait dans la même situation, au plan pénal, que celui qui ne l’aurait pas fait. Autant de chefs d’accusation contre l’un que contre l’autre, puisque l’une et l’autre infraction, à cause de la pérennité du phénomène, serait pratiquement imprescriptible. Le second ne devrait pas en principe écoper d’amendes plus lourdes du fait du cumul des phénomènes car, autrement, il se verrait condamné deux fois pour une même transaction, malgré ce qu’empêche la protection contre les accusations multiples216. Si la migration est une infraction, il s’agit simplement du prolongement d’une seule et même transaction, selon l’arrêt Laidlaw. Seule la négligence devant la fuite pourrait alourdir la peine. Cette thèse entraînerait un autre résultat inéquitable. Alors que la migration serait une infraction imprescriptible lors même que la source serait tarie, un écoulement continu verrait la prescription courir une fois le contenant complètement vidé. Encore là, 214. 215. 216. 218 «À moins d’être confronté à un problème de contamination naturelle, comme par exemple l’émission de radon, la plupart des sources de contamination résultent inévitablement du fait de l’homme.»: BÉLANGER, supra, note 47, p. 82. Northwest Falling Contractors, supra, note 150. Dans l’affaire Imperial Oil, supra, note 96, malgré la tentative de la Couronne de multiplier les chefs d’accusation en se fondant sur l’ancien article 13 L.P.E.O. et les nombreuses conséquences du déversement, non seulement des chefs ont-ils été rejetés par application de la règle res judicata, mais les amendes sur les chefs retenus ont même été réduites: R. v. Imperial Oil (17 mars 1988), Ont. Prov. Ct., Crim. Div., juge Grossi (résumé à 5 W.C.B. (2d) 373). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 la fuite des contaminants jouirait d’un traitement plus favorable que le fait accompli, qui continue simplement d’avoir des effets par lui-même. Le premier se prescrirait, même sans aucun geste préventif de l’auteur, l’autre non. Par contre, si l’on fait abstraction de la migration pour caractériser l’infraction, et qu’on la situe au niveau des conséquences du geste, elle peut alors entrer en ligne de compte pour évaluer la gravité du geste initial. La collaboration du contrevenant après le fait devient un facteur d’atténuation de la peine, non une défense à une infraction subséquente217. Il ne s’agit alors pas d’efforts pour prévenir l’infraction, mais pour en diminuer les effets, ce qui ne peut être que si l’infraction est commise, un peu comme dans Bata218. De plus, on ramène l’infraction à l’intérieur de ses véritables balises plutôt que de transformer ses conséquences en infraction219. 4.2 L’absence d’acte positif Contrairement à ce qui s’est produit dans Laidlaw, la migration qui serait source de responsabilité par sa seule existence fait abstraction de quelque intervention humaine. Il n’y a pas de conduite blâmable autre que de rester passif devant un fait accompli et ses conséquences, là où, au départ, il y aurait une obligation d’agir. Quelle serait cette obligation? 4.2.1 Le propriétaire du sol Le problème est strictement lié à un état de l’environnement et à l’obligation d’agir devant cet état au point où l’omission constituerait une faute punissable ou une source de responsabilité administrative. Les commentateurs ont avancé l’hypothèse que ce serait le propriétaire du terrain contaminé qui serait investi de cette obligation, parce qu’il en «contrôlerait» les contaminants. L’article 20 L.Q.E. utilise le mot «permettre». On ne peut permettre que si l’on contrôle220. Cependant, si le contrôle peut 217. 218. 219. 220. On évite alors un résultat comme celui qui a entraîné l’acquittement dans l’affaire Amoco, supra, note 53. Supra, note 35. «L’article 20 interdit le rejet d’un contaminant en raison des conséquences qu’aura cet acte sur l’environnement»: Texaco Canada, supra, note 23, p. 51. «...pour causer ou permettre un rejet, une personne doit exercer un degré suffisant de contrôle sur les facteurs sous-jacents qui ont mené au rejet, avoir été en mesure de l’empêcher et ne pas avoir exercé son contrôle de façon à l’empêcher»: Monique LUSSIER et Larry COBB, «Certains aspects de droit de l’environnement comparé entre le Québec et l’Ontario à l’aube de l’an 2000», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 271-356, p. 299 (citant Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 219 s’inférer de la propriété, il peut y avoir propriété sans contrôle et inversement221. Or, dès que l’on rattache une responsabilité environnementale au contrôle, alors ce ne sont pas seulement les sols contaminés qui peuvent engendrer une responsabilité. Il peut en être de même de l’eau polluée qui traverse un héritage. Il pourrait à la rigueur en être de même de l’atmosphère. Ne voir, dans la notion de contrôle, qu’un facteur propre à engager la responsabilité du propriétaire ou de l’occupant d’un sol, sans se soucier des phénomènes comparables dans l’air ou l’eau, c’est faire une distinction que la loi ne fait pas. Si ce ne sont que des considérations de faisabilité technique, ce sont des défenses à une infraction. Hormis les hautes couches de l’atmosphère, il y a partout quelqu’un, dans ces conditions, qui a le contrôle d’un environnement dégradé causant des effets nuisibles du fait de cette dégradation. Était-ce l’intention du législateur de rendre toutes ces personnes responsables au plan pénal? L’argument de la propriété a aussi été utilisé pour les contaminants eux-mêmes. Leur propriétaire en serait responsable. Là encore, on peut distinguer la propriété d’une part et la garde et le contrôle d’autre part. Mais les contaminants sont-ils la propriété ou sous le contrôle de celui à qui appartient le sol? La propriété suppose une démarche volontaire d’acquisition ou de possession, hormis les quelques cas d’accession naturelle du Code civil. Comment devient-on propriétaire, au point d’en devenir responsable, de contaminants qui se trouvent dans sa propriété contre sa volonté? L’accession a déjà été avancée. Le fait de déverser des substances sur le sol afin d’en augmenter la fertilité provoque ainsi purement et simplement la disparition des engrais qui, une fois intégrés dans la terre, deviennent comme elle des immeubles par nature. Si l’on suit ce raisonnement, rien ne semble faire obstacle à ce que l’on continue à qualifier d’immeuble une terre ayant subi le phénomène inverse, c’est-à-dire ayant été altérée par des produits toxiques portant atteinte à la fertilité des sols.222 222. Re 724597 Ontario Ltd. (1994), 13 C.E.L.R. (N.S.) 257 (O.E.A.B.)); «l’omission est sanctionnée dans le sens où quelqu’un a causé ou permis quelque chose en ne l’empêchant pas»: CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 291. «La notion de propriété n’implique pas irréfragablement celle de garde ou de soin»: P.G. du Québec c. Gagné (2 décembre 1998), Arthabaska 415-36-000019947 (C.S.), M. le juge G. Desjardins; voir aussi, en Ontario, R. v. Lopes (1996), 18 C.E.L.R. (N.S.) 299 (C.J. Ont., Div. Prov.) où le propriétaire d’un terrain n’a pas été réputé en contrôle d’opérations illégales survenant sur ce terrain. STEICHEN, supra, note 42. 220 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 221. Cette thèse est malheureusement incompatible avec la migration. Des contaminants en mouvement sont indiscutablement des meubles. Des fertilisants intimement incorporés au sol en deviendraient partie intégrante, mais l’excès qui n’a pas été retenu par ce sol, entraîné par les eaux, ne peut certes pas faire partie de l’immeuble, ni être revendiqué par le propriétaire du sol d’où il provient contre celui du sol où il s’est répandu. Le contaminant qui migre dans le sol n’est immeuble ni par nature ni par accession. Il s’agit d’un bien meuble sans maître223. Les meubles sans maître appartiennent à la personne qui se les approprie par occupation. Les meubles abandonnés que personne ne s’approprie appartiennent aux municipalités qui les recueillent sur leur territoire ou à l’État.224 Les meubles qui sont perdus ou oubliés entre les mains d’un tiers ou en un lieu public continuent d’appartenir à leur propriétaire. Ces biens ne peuvent s’acquérir par occupation, mais ils peuvent, de même que le prix qui leur est subrogé, être prescrits par celui qui les détient.225 Pour attribuer une responsabilité pénale à la propriété des contaminants qui se répandent, encore faut-il qu’ils aient un propriétaire. Or, la propriété ne s’impose pas226. Rien ne permet en droit civil d’empêcher quelqu’un d’abandonner la propriété d’un bien227. Une loi pénale qui, au surplus ne contient aucune disposition à cet effet, ne modifie pas les règles de droit civil relatives à la propriété. La lire autrement serait un moyen détourné de rechercher en responsabilité une personne qui ne serait pas autrement visée. Si les contaminants, du seul fait qu’ils soient 223. 224. 225. 226. 227. L’article 934 du Code civil du Québec précise en effet que «[s]ont sans maître les biens qui n’ont pas de propriétaire, tels les animaux sauvages en liberté, ceux qui, capturés, ont recouvré leur liberté, la faune aquatique, ainsi que les biens qui ont été abandonnés par leur propriétaire» (italiques ajoutés). Art. 935 C.c.Q. Art. 939 C.c.Q. Banque Laurentienne du Canada c. 200 Lansdowne Condominium Association, [1996] R.J.Q. 148 (C.S.), [1996] R.D.I. 99 (C.S.); voir cependant SHEEHAN, supra, note 25, p. 10. «La faculté d’abandon peut être invoquée par le titulaire d’un droit réel principal [...] qui désire se soustraire unilatéralement à ses engagements»: LAMONTAGNE, supra, note 25, ¶ 118 («L’abandon a essentiellement une finalité libératoire.»: Ibid.); voir aussi Martin PAQUET, «La Loi canadienne sur la protection de l’environnement», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 65 550: «le fait d’abandonner une chose apparaît comme l’expression d’une volonté arrêtée, définitive: celle de ne plus en vouloir, de cesser de l’employer.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 221 enfouis, ne pouvaient être considérés comme des biens sans maître, comment qualifier la notion de trésor228? Si c’est l’individualité propre que conserve le trésor229 qui permet de le considérer sans maître, alors il n’y aurait pas de raison de traiter différemment le contaminant flottant en phase libre sur l’eau souterraine ou dissous dans celle-ci et d’en attribuer la propriété au propriétaire du fonds si celui-ci n’en veut pas. Si l’on peut volontairement abandonner un bien, on peut certainement refuser d’en acquérir la propriété. Déclarer que le propriétaire d’un sol devient propriétaire des contaminants qui s’y trouvent à l’état mobile, c’est lui prêter un statut qu’il n’a pas et que le droit ne crée pas, à moins d’un geste intentionnel de sa part. «Il n’y a aucun texte ou principe de droit qui crée une obligation du propriétaire à l’égard d’une chose laissée contre son gré sur son terrain par un tiers»230. Quant aux contaminants fixés au sol, ils ne rendent responsables que dans la mesure où leur seule présence dans l’environnement engage une responsabilité, puisqu’ils sont fixes. Il n’y a alors pas de migration. Mais, même fixés au sol, les contaminants n’en deviennent pas nécessairement immeubles231. Une chose fait partie intégrante d’une autre lorsqu’elle contribue à l’intégrité du tout, sans en constituer l’essence. Cette chose, incorporée à l’autre, entre donc comme partie dans un tout et perd alors son individualité. Sa fonction est d’assurer l’utilité de l’immeuble et d’en faciliter l’usage. Cette notion d’utilité est déterminante pour juger de l’incorporation d’un meuble à un immeuble. 232 Une substance qui contamine un héritage ne répond certes pas au critère d’utilité. Voilà un autre facteur qui nous éloigne de l’analogie concernant les fertilisants incorporés au sol233. Du reste, si les lois environnementales attribuaient une responsabilité pénale à la seule présence d’un contaminant, elles auraient alors pour effet de déposséder le justiciable de son bien, car il 228. 229. 230. 233. Art. 938, C.c.Q. Voir Boivin c. Procureur général du Québec, [1997] R.J.Q. 1936 (C.S.). Clément c. Curé et marguilliers de la paroisse de Notre-Dame de Montréal (1936) 42 R.L. 95 (C.S.), p. 98; cette affirmation doit être nuancée à la lumière de dispositions expresses telles que l’article 134 du Règlement sur les déchets solides [Q-2, r. 3.2], qui oblige une personne à laisser libre de déchets un terrain dont elle a la garde. Art. 901 C.c.Q.: «Font partie intégrante d’un immeuble les meubles qui sont incorporés à l’immeuble, perdent leur individualité et assurent l’utilité de l’immeuble.» Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, Code civil du Québec, tome 1, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 529. Voir le passage cité de STEICHEN, supra, p. 220. 222 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 231. 232. devrait, pour éviter une sanction, retirer de son héritage une partie de celui-ci. Il peut cependant ne pas y avoir eu abandon, lors d’un déversement accidentel par exemple. Ici, le propriétaire du bien répandu ne l’a pas à première vue abandonné, mais un bien détérioré laissé en un lieu public, y compris la voie publique, est réputé abandonné234. Un chargement de légumes répandu sur la voie publique lors d’un accident serait incontestablement devenu irrécupérable. À défaut pour le propriétaire de les reprendre, si la chaussée est par la suite nettoyée par les services de voirie, on ne peut certes pas leur reprocher d’avoir détruit le bien d’autrui. On voit que si la propriété du sol est facile à démontrer, la propriété des contaminants qui s’y trouvent procède davantage d’une fiction juridique. 4.2.2 La garde et le contrôle Si le propriétaire du sol n’est pas propriétaire des contaminants, ceux-ci peuvent être soit restés la propriété d’un tiers avant leur perte, soit devenus res derelictae. Laissés à eux-mêmes, leur état est-il différent de celui des animaux sauvages qui ne sont sous la garde de personne, quelque dommage qu’ils causent235? La garde d’un bien suppose un pouvoir de direction ou de contrôle236. Si le sol est susceptible de contrôle ou de direction, est-il possible de soutenir que le propriétaire du sol sera responsable de la migration s’il n’intervient pas? Il ne peut y avoir qu’une source à la contamination, c’est-à-dire le point amont d’où celle-ci provient. S’arrêter au sol sans remonter plus haut est un choix purement arbitraire. Il faut admettre l’existence de sources secondaires, et alors tout point de migration devient la source du point aval, dans une cascade sans fin qui multiplie à l’infini les responsables. Il n’y a plus de victimes, il n’y a que des responsables. Une personne peut transférer la possession d’un bien et en conserver la direction et le contrôle. Le transfert du contrôle ne se décide donc pas dans l’abstrait et le contrôle ne peut s’attribuer arbitrairement à la personne jugée la cible la plus convenable par l’Administration. Personne ne dirige ou ne contrôle le comportement du contaminant répandu dans l’environnement. Soit, une 234. 235. 236. Le deuxième alinéa de l’article 934 du Code civil du Québec stipule que «[s]ont réputés abandonnés les meubles de peu de valeur ou très détériorés qui sont laissés en des lieux publics, y compris sur la voie publique [...]». BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 871. Id., ¶ 790. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 223 personne a toujours la faculté d’agir237, mais «l’omission qui peut se décrire comme étant quelque chose qu’une personne aurait pu faire si elle l’avait voulu ou s’y était préparée, est rarement punie par la Common law»238. Il en résulte que l’obligation d’agir doit être ouvertement exprimée ou se déduire clairement des textes de loi pour être susceptible de sanction. De plus, la personne ne doit pas être piégée en se retrouvant dans une situation qui ne lui laisse aucune échappatoire. L’infraction ne doit pas priver le prévenu d’une défense de diligence raisonnable239. Lorsqu’il y a migration, c’est la passivité et rien d’autre qui engendre une responsabilité. Or, cette passivité empêche toute défense, sinon l’ignorance de bonne foi des faits (l’aveuglement volontaire et le défaut de se renseigner adéquatement peuvent faire perdre cette défense) et la défense d’impossibilité (qui doit être absolue et sans égard aux considérations financières)240. Le propriétaire d’un sol n’aurait à peu près aucune porte de sortie, sinon que de faire immédiatement le nécessaire pour que cesse la migration. La sanction de son omission d’agir: 2 000 $ d’amende quotidienne en vertu de la L.Q.E. et même l’emprisonnement. «Comme l’on peut présumer que le législateur ne cherche pas à créer par ses lois des résultats injustes ou inéquitables, il faut adopter les interprétations judiciaires qui permettent d’éviter de tels résultats»241. Le propriétaire ou l’occupant d’un sol, de son seul état, ne pose ni n’a posé aucun geste répréhensible. Au contraire, il exerce l’un des attributs fondamentaux de la personne, celui de posséder242. La propriété ou l’occupation d’un sol n’est pas 237. 242. «[L]a pollution n’est pas véritablement imprévisible et inévitable si l’accusé savait ou aurait dû savoir que sa conduite risquait d’entraîner une situation incontrôlable.»: Paule HALLEY, Instituer la prudence environnementale: le régime pénal québécois de lutte contre la pollution, doctorat, Université de Montréal, 1994, p. 203 (citée dans CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 1292). CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 281. Sault Ste-Marie, supra, note 123, p. 1323-1324. CÔTÉ-HARPER, MANGANAS et TURGEON, supra, note 63, p. 613: «Le fait de demeurer passif devant les risques potentiels ou de procéder à une action risquée sans vérification des conséquences ferme la porte à une défense de diligence raisonnable car l’accusé n’a pas pris les précautions requises pour éviter de perpétrer l’infraction. L’absence de prévention devient alors synonyme de négligence. Le caractère raisonnable d’un comportement diligent est fonction de l’activité réglementée et est proportionnel à la gravité du risque que le législateur désire éviter.» Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1082; sur l’emprisonnement en matière d’environnement, voir R. v. Crow (1995), 20 C.E.L.R. (N.S.) 235 (C.J. Ont., Div. gén.). V. supra, note 201. 224 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 238. 239. 240. 241. l’exercice d’une activité à risque dont le contrôle peut se justifier par des sanctions. En effet, avec ou sans gardien, avec ou sans propriétaire, la migration se produira. Lorsqu’abstraction est faite de la personne à l’origine de l’introduction du contaminant dans le sol, personne n’a accompli ou omis d’accomplir quelque geste dont le résultat est la migration des contaminants. Le propriétaire ou l’occupant d’un sol est frappé d’une responsabilité pénale alors qu’il n’a absolument rien fait, sans avoir voulu quoi que ce soit de ce qui se produise, sans l’avoir causé directement ou indirectement et sans avoir fait au départ quoi que ce soit qui aurait pu éventuellement le causer. 5. COMMENT DIVERSES JURIDICTIONS ABORDENT LE PROBLÈME LÉGISLATIF ET JUDICIAIRE Il n’est pas étonnant de constater l’hésitation manifestée par les cours de justice de toutes juridictions lorsqu’elles ont été appelées à se prononcer sur la responsabilité du simple propriétaire d’un site contaminé, même lorsque la loi vise expressément le statut de propriétaire, comme dans le CERCLA américain. Qu’il s’agisse de cas de responsabilité administrative ou de cas de responsabilité pénale, la problématique semble être la même. Il s’agit en fait de déterminer si le propriétaire doit rendre compte devant les autorités de l’état de son terrain, en lieu et place de celui qui a été la cause de cet état. 5.1 États-Unis Aux États-Unis, la pollution des eaux fédérales est régie par le Clean Water Act243, tandis que la pollution du sol ou plus généralement de l’environnement est régie par le RCRA244 qui en fait, régit l’élimination des déchets245. Le RCRA a établi une série de prohibitions en termes très larges, tant dans la notion d’élimination («disposal»)246 que de déchets («solid waste» et «hazardous waste»)247. Il prohibe l’enfouissement de déchets liquides non 243. 244. 245. 246. 247. Aussi désigné sous le nom de Federal Water Pollution Control Act, 33 U.S.C. §§ 1251-65. Supra, note 49, que les Américains appellent familièrement le «Reecra» ou «Reccra». «RCRA primarily regulates ongoing disposal of hazardous waste.»: BRONSTON, supra, note 11, p. 622. Supra, note 49. 42 U.S.C. § 6903(5) et (27): «The term “hazardous waste” means a solid waste, or combination of solid wastes, which because of its quantity, concentration, or physical, chemical, or infectious characteristics may: Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 225 dangereux et de certains déchets dangereux, sauf autorisation expresse de l’Administration, laquelle ne peut être accordée à moins que le risque ne soit convenablement circonscrit. La loi édicte ainsi que «the land disposal of the hazardous wastes referred to in paragraph (2) is prohibited unless the Administrator determines the prohibition on one or more methods of land disposal of such waste is not required in order to protect human health and the environment for as long as the waste remains hazardous [...]»248. La contamination du sol et de l’eau souterraine apparaissent comme un souci évident du législateur lorsqu’il impose à l’Administrateur de s’assurer qu’il n’y a pas de risque de contamination d’une source souterraine d’eau potable249 ou qu’il n’y aura pas de migration des composés dangereux des déchets250. Le RCRA ne permet pas de recouvrer les frais de décontamination d’un site, comme la Cour d’appel du Ninth Circuit le confirmait récemment251, mais l’ampleur des problèmes causés par les lieux d’élimination a poussé les tribunaux américains à l’interpréter de manière à en étendre la portée au plan de la responsabilité252. En 1980, le Congrès adoptait cependant le CERCLA, dont l’objectif premier a été d’imposer la responsabilité 252. (A) cause, or significantly contribute to an increase in mortality or an increase in serious irreversible, or incapacitating reversible, illness; or (B) pose a substantial present or potential hazard to human health or the environment when improperly treated, stored, transported, or disposed of, or otherwise managed.» «The term “solid waste” means any garbage, refuse, sludge from a waste treatment plant, water supply treatment plant, or air pollution control facility and other discarded material, including solid, liquid, semisolid, or contained gaseous material resulting from industrial, commercial, mining, and agricultural operations, and from community irrigation return flows or industrial discharges which are point sources subject to permits under section 402 of the Federal Water Pollution Control Act, as amended (86 Stat. 880) [33 U.S.C. § 1342], or source, special nuclear, or by-product material as defined by the Atomic Energy Act of 1954, as amended 968 Stat. 923.» 42 U.S.C. § 6924(d)(1). 42 U.S.C. § 6924(c)(3)(B). 42 U.S.C. § 6924(d)(1), alinéa 2; l’Administrateur ne peut déterminer que la santé publique ou l’environnement sont protégés que s’il conclut qu’il n’y aura pas de migration: Hazardous Waste Treatment Council v. U.S. E.P.A., 1990 910 F.2d 947, 285 U.S. Ap. D.C. 474. The Birch Foundation, supra, note 29: «RCRA is not principally designed to effectuate the cleanup of toxic waste sites or to compensate those who have attended to the remediation of environmental hazards. RCRA’s primary purpose, rather, is to reduce the generation of hazardous waste and to ensure the proper treatment, storage, and disposal of that waste which is nonetheless generated, “so as to minimise the present and future threat to human health and the environment”.» BRONSTON, supra, note 11, p. 622-623. 226 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 248. 249. 250. 251. de la décontamination aux personnes à l’origine du problème, plutôt que d’en faire porter les coûts par les contribuables. Expenses can be borne by two sources: the entities which had a specific role in the production or continuation of the hazardous condition, or the taxpayers through federal funds. CERCLA leaves no doubt that Congress intended the burden to fall on the latter only when the responsible parties lacked the wherewithal to meet their obligations.253 CERCLA is a comprehensive environmental legislation which is directed to cleaning up the environment with consequential beneficial effects on the health and welfare of the citizens of the United States. CERCLA in essence requires that all parties who at any time caused an environmental hazard to exist whether by affirmative act or failure to take action, be responsible in damages for “response costs”.254 Le CERCLA crée avant tout une responsabilité administrative, non pénale. Les personnes potentiellement responsables sont expressément désignées dans la Loi. Sommairement, ce sont: 1) le propriétaire ou exploitant actuel d’un site où se produit un «release»; 2) le propriétaire ou l’exploitant du site à l’époque où a eu lieu le «disposal»; 3) celui qui a pris des arrangements pour un traitement ou un «disposal» sur le site; et 4) celui qui a effectué le transport vers le site255. La responsabilité est enclenchée non par le «disposal», mais par le «release» ou le «threatened release»256. S’il s’agit du fait d’un tiers sans lien contractuel (y compris par la vente du site) avec la personne potentiellement responsable, cette dernière sera exonérée, mais seulement si elle a prudemment géré les substances et tenu compte des agissements prévisibles du tiers257. Le propriétaire sera aussi exonéré s’il a acquis le site sans en connaître l’état, sans avoir eu de raison d’en douter après avoir fait les vérifications nécessaires258. La portée de la vérification à faire est précisée dans la Loi259. Les anciens propriétaires seront 253. 254. 255. 256. 257. 258. 259. United States of America v. Distler, 741 F.Sup. 637; 1990 U.S. Dist. LEXIS 3717 (W.D. Ky. 1990). The State of New York v. SCA Services, Inc., 785 F.Sup. 1154; 1992 U.S. Dist. LEXIS 3066 (S.D. N.Y. 1992). 42 U.S.C. § 9607(a); Ecodyne, supra, note 185; BRONSTON, supra, note 11, p. 609-610. 42 U.S.C. § 9604 (intervention) et § 9606 (ordonnance); sur ces distinctions, lire DAIGNEAULT, supra, note 75, p. 1037-1038. 42 U.S.C. § 9607(b)(3): c’est ce qui a été appelé le «third-party defence»; la loi accorde aussi une défense de force majeure («act of God» et «act of war»). 42 U.S.C. § 9601(35)(a): c’est ce qui a été appelé l’«innocent landowner exemption». 42 U.S.C. § 9601(35)(b): «...the court shall take into account any specialised knowledge or experience on the part of the defendant, the relationship of the pur- Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 227 responsables s’ils ont eu connaissance de l’état du site mais ne l’ont pas dévoilé à l’acquéreur subséquent. Ils perdent ainsi le «third-party defence»260. Ces vendeurs de mauvaise foi se trouvent en quelque sorte punis pour leur comportement261. 5.1.1 Les grands concepts Les tribunaux se sont bien évidemment penchés sur la terminologie particulière de la loi américaine. On n’y trouve pas l’équivalent anglais du mot «émettre» que la L.Q.E. utilise dans la définition de «source de contamination»262. Bien que n’étant pas sémantiquement un choix heureux en français, il n’en comporte pas moins l’idée de «faire sortir» quelque chose hors d’une source précise. On peut cependant retracer trois termes, dans la législation fédérale américaine, pouvant s’apparenter à la notion d’émission, chacun devant bien sûr se lire dans le contexte de la loi où il se trouve. 5.1.1.1 «Discharge» C’est le CWA qui définit «discharge of pollutants»: «Any addition of any pollutant to navigable waters from any point source». Nous avons vu la définition de «point source»263. Cette expression utilisée dans l’autre définition a contribué à rattacher un «discharge» à des conditions créées par l’activité humaine264. L’action des agents naturels n’a cependant pas été exclue. Le ruissellement superficiel a été considéré comme un «point source» du moment qu’il a été recueilli et canalisé, vu que la loi le prévoit expressément265. La définition de «point source» n’a toutefois pas 265. chase price to the value of the property if uncontaminated, commonly known or reasonably ascertainable information about the property, the obviousness of the presence or likely presence of contamination at the property, and the ability to detect such contamination by appropriate inspection.» 42 U.S.C. § 9601(35)(c). D’où l’appellation «guilty landowner provision»: BRONSTON, supra, note 11, p. 634. Art. 1 L.Q.E.; le fait que la définition n’utilise que ce terme, sans les autres mots retrouvés à l’article 20 L.Q.E. donne peut-être un sens plus général au mot «émettre», c’est-à-dire incluant «dégager», «déposer» et «rejeter»; nous y reviendrons. Supra, note 105. United States v. Plaza Health Laboratories, 3 F.3d 643 (2nd Cir. 1993): «Although by its terms the definition of “point source” is nonexclusive, the words used to define the term and the examples given (“pipe”, “ditch”, ... etc.) evoke images of physical structures and instrumentalities that systematically act as means of conveying pollutants from an industrial source to navigable waters.»; comparer avec les affaires Enso, Texaco et Sécal, supra, note 40. O’Leary, supra, note 105. 228 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 260. 261. 262. 263. 264. permis de qualifier de la sorte un édifice où coulait de l’eau de pluie pour se déverser ensuite dans un cours d’eau. L’absence de structure destinée à diriger l’eau vers la rivière («conveyance») ne constituait pas un «point source», «as any discharge of material would not be deliberate or systematic»266. Ces définitions ont été interprétées plutôt littéralement par les tribunaux, quoique ceux-ci aient tout de même réussi à leur donner une grande portée. La définition de «pollutants»267, par exemple, a amené les tribunaux à inclure des substances qui existent naturellement dans l’environnement, et jusqu’à l’eau ellemême! Comme cette définition inclut spécialement le «dredged spoil», les tribunaux ont conclu que le rejet de sédiments était un «discharge of pollutants»268. L’allusion au dragage a amené une cour d’appel à considérer qu’il n’était pas nécessaire que les polluants proviennent de l’extérieur de l’environnement269. L’entraînement, par l’exploitation d’un barrage, et la mise en solution dans l’eau de gaz naturellement présents dans l’atmosphère a constitué un «discharge of pollutants» à cause d’une sursaturation fatale à la vie aquatique270. Il en fut de même du transfert de l’eau d’un plan d’eau à un autre271. Quant à la contamination de l’eau souterraine, elle n’a été visée que si les polluants finissaient par atteindre une eau de surface272. Le mot «addition» a cependant entraîné une lecture restrictive de «discharge», de sorte que n’ont pas été incriminés l’érosion et la réduction du taux d’oxygène 266. 267. 268. 269. 270. 271. 272. Hudson Riverkeeper Fund, Inc. v. Fucci, 917 F.Sup. 251, 1996 U.S. Dist. LEXIS 2652 (S.D. N.Y., 1996). 33 U.S.C. § 1362(6): «The term “pollutant” means dredged spoil, solid waste, incinerator residue, sewage, garbage, servage sludge, munitions, chemical wastes, biological materials, radioactive materials, heat wrecked or discarded equipment, rock, sand, cellar dirt and industrial, municipal and agricultural waste discharged into water. [...]» Weiszmann v. District Engineer, U.S. Army Corps of Engineers, 526 F.2d 1302 (5th Cir. 1976); au même effet, voir M.C.C. of Florida, Inc., supra, note 107, où le fait que des sédiments aient été soulevés par les hélices de bateaux et redéposés dans l’eau a été considéré comme un «discharge of pollutants». Avoyelles Sportsmen’s League, supra, note 107. National Wildlife Federation v. Gorsuch, 530 F.Sup. 1291 (D.C.D.C. 1982), inf. pour d’autres motifs, 693 F.2d 156, 224 U.S.Ap.D.C. 211. Dubois v. United States Department of Agriculture, 102 F.3d 1273 (1st Cir. 1996), 43 Envt. Rep. Cas. 1824; contra: Bettis v. Town of Ontario, N.Y., 800 F.Sup. 1113 (W.D.N.Y. 1992); Orleans Audubon Society v. Lee, 742 F.2d 90 (5th Cir. 1984), nouvelle audition refusée, 750 F.2d 69 (5th Cir. 1984). Sierra Club v. Colorado Refining Co., 838 F.Sup. 1428 (D. Colo. 1993); United States v. GAF Corp., 389 F.Sup. 1379 (S.D. Tex. 1975), inf. 602 F.2d 1123, 53 ALR Fed. 469 (3rd Cir. 1979), certiorari refusé (1980) 44 U.S. 1074, 62 L.Ed. 2d 756, 100 S. Ct. 1020. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 229 causées par l’exploitation d’un barrage273, la destruction de poissons à travers les turbines d’une centrale et leur rejet subséquent dans le cours d’eau274, l’augmentation de la quantité de polluants s’écoulant par des canalisations pluviales275, les polluants déjà présents dans l’eau et passant dans une usine avant d’être retournés au cours d’eau276. 5.1.1.2 «Disposal» C’est avant tout le mot «disposal» qui, dans le droit fédéral américain, est déclencheur de la responsabilité rétroactive. Par cette définition277, Bronston laisse entendre que le législateur ne visait pas la migration passive de contaminants278. À l’époque, les tribunaux américains étaient divisés sur le sens du mot. Bronston relatait alors que l’interprétation restrictive était surtout le lot des cours de district ou de faillite. Une opinion majoritaire, adoptée par la cour du Ninth Circuit (une cour d’appel) supportait une interprétation large qui incluait la migration279. Mais la position favorisée par Bronston a continué de faire des adeptes au niveau des cours de circuit. 273. 274. 275. 276. 277. 278. 279. 230 State of Missouri v. Department of the Army, Corps of Engineers, 672 F. 2d 1297 (8th Cir. 1982); voir cependant PUD No. 1 of Jefferson county v. Washington Department of Ecology, 511 U.S. 700 (U.S.S.C. 1994). National Wildlife Federation v. Consumers Power Co., 862 F.2d 580 (6th Cir. 1988). Pedersen v. Washington State Dept. of Transp., 1980, 611 F.2d 1293, 25 Wash. Ap. 781. Appalachian Power Co. v. Train, 545 F.2d 1351 (4th Cir. 1976). Supra, note 49. BRONSTON, supra, note 11, p. 618: «In the first stage, the polluter “disposes” of the waste, such as by burying barrels at a waste site. This disposal renders the toxins capable of entering the environment – that is to say, it creates the risk of eventual contamination. In the second stage, the hazardous pollution actually leaches or migrates into the environment. These two stages may occur simultaneously – the risk may actualise instantly – as would be the case if a landowner poured a barrel of hazardous waste into a pound on the property. Such an action undoubtedly constitutes a disposal. The language quoted above [la définition de disposal], however, suggests that the second phase alone cannot be considered a disposal. The actor must have created the risk of environmental contamination to have disposed of the waste. The definition’s structure is essentially equivalent to defining disposal as the creation of an environmental risk “so that” such risk may materialise.» Ce fut aussi la position de la Cour d’appel du 11th Circuit, en 1996, dans Redwing Carriers, Inc. v. Saraland Appartments, 94 F.3d 1489 (11th Cir. 1996): «CERCLA’s definition of “disposal” should be read broadly to include the subsequent movement and dispersal of hazardous substances within a facility.»; voir aussi Reichhold Chemicals, supra, note 35 (décision d’une cour de district rendue en 1995). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 But we need not address this question in the broad terms of whether disposal always requires active human conduct. Even if it does not, we conclude that the passive migration at issue in this case cannot constitute disposal. While “leaking” and “spilling” may not require affirmative human conduct, neither word denotes the gradual spreading of contamination alleged here. A common definition of “leak” – and the one most favourable to HMAT – is “to enter or escape through a hole, crevice, or other opening...” This definition requires that a substance “leak” from some opening. For example, the definition would encompass the escape of waste through a hole in a drum280. [Le jugement compare ici les faits avec ceux de l’affaire Nurad281, où des réservoirs souterrains abandonnés avaient fui à la longue, et précise qu’il ne se prononce pas sur l’écoulement continu depuis une perforation dans un baril, vu que la question n’est pas en cause.] L’affaire CDMG a étoffé l’analyse du terme «disposal» d’un examen de certaines incohérences que peut entraîner une lecture trop large du mot282, mais Bronston avait déjà exprimé cet avis 283. Par ailleurs, le RCRA, dans lequel le mot est défini, indique clairement que le législateur faisait la nuance entre le «disposal» et la contamination subséquente ou la migration des contaminants. Le mot comprend le fait de placer («placement») des déchets en un lieu donné et, dans le cas des déchets liquides non dangereux, nous avons vu que le RCRA en permettait l’enfouissement si l’Administration déterminait que: 280. 281. 282. 283. CDMG Realty, supra, note 178; la position de la Cour du 3rd Circuit dans CDMG a été reprise en 1997 par la Cour du 2nd Circuit: ABB Industrial Systems, supra, note 74 (dans cette affaire, la Cour a refusé de voir en la migration de trichloroéthylène et de trichloroéthane une infraction au RCRA). Nurad, Inc. v. William E. Hooper & Sons Co., 966 F. 2d 837 (4th Cir. 1992); l’affaire Nurad a été suivie dans Northwestern Mutual Life, supra, note 122, quant à l’opinion que le terme «disposal» n’exige pas de conduite humaine active, mais dans une autre affaire, Joslyn Manufacturing, supra, note 35, on a pris soin de préciser que Nurad visait des réservoirs qui coulaient. CDMG Realty, supra, note 178, passage cité, supra, p. 208. Supra, note 11, p. 627-628, citant United States v. Petersen Sand & Gravel, 806 F.Sup.1346 (N.D. Ill. 1992): «Congress clearly intended the above provision to exempt from liability purchasers who acquired the land after the relevant polluting activity had taken place. Congress expressed this intention, however, by requiring that the exemption apply only to innocent purchasers who receive the land after “disposal” of the hazardous waste. If disposal incorporates passive migration, virtually no one could qualify for this defence because the passive migration could well occur or continue to occur during the innocent purchaser’s ownership. As one court has noted, only purchasers fortunate enough to purchase land where the buried waste was contained in concrete – and thus incapable of migration – could assert the defence if courts adopted the passive definition of disposal». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 231 [...] to place in such owner or operator’s landfill will not present a risk of contamination of any underground source of drinking water.284 (italiques ajoutés) De même, l’enfouissement de certains déchets dangereux («land disposal») ne pourrait pas être considéré sûr [...] [...] unless, upon application by an interested person, it has been demonstrated to the Administrator, to a reasonable degree of certainty, that there will be no migration of hazardous constituents from the disposal unit or injection zone for as long as the waste remains hazardous.285 (italiques ajoutés) 5.1.1.3 «Release» C’est par la définition de «release» que le CERCLA permet de saisir la véritable portée de la définition de «disposal» dans le RCRA. Bien que les deux définitions soient assez semblables, elles comportent des différences clés qui ont amené des distinctions intéressantes286. Les deux définitions ont l’avantage de confirmer le fait que deux phénomènes différents sont susceptibles de se produire en matière de pollution: le geste prohibé et sa conséquence287. Le «release» est le phénomène déclencheur de l’intervention gouvernementale, en vertu du CERCLA. Le «disposal» est le facteur attributif de responsabilité288. The active reading of disposal ensures that liability under section 107(a)(2) rests squarely where it belongs: on the environmental polluters who created the risk that hazardous waste would enter the environment and who received the economic benefits of doing so, and on those who discovered the contamination but refused to take action to remedy the problem.289 Causation is a peripheral issue under CERCLA... The plaintiff is not required to link the defendant’s conduct or the defendant’s waste firmly to the release or threat of release. The release or threat of release need only have emanated from a facility which [defendant] owned.290 Le terme «disposal» désigne les opérations dont l’aboutissement est l’introduction d’une substance dangereuse dans l’envi284. 285. 286. 287. 288. 289. 290. Supra, note 249. Supra, note 250. La définition de «release» est donnée à la note 89. Voir le commentaire de BRONSTON, supra, note 11. CDMG Realty, supra, note 178: «Yet Congress made prior owners liable only if they owned land at the time of “disposal”, not at the time of “release”». BRONSTON, supra, note 11, p. 637. Reichhold Chemicals, supra, note 35. 232 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 ronnement. Le «release» est directement relié à la conséquence ou au risque de conséquence («threatened release») environnementale. L’abandon d’un réservoir souterrain alors qu’il renferme toujours des substances dangereuses est un «disposal». Les fuites qui en résulteront seront des «releases». Une Cour d’appel s’est dite d’avis qu’en rédigeant le CERCLA, le législateur savait comment décrire la migration des contaminants. La définition de «release» inclut notamment le «leaching» («lixiviation» ou «lessivage»). Le lessivage est une importante cause du mouvement des contaminants et la cause prédominante de contamination de l’eau souterraine dans les lieux d’enfouissement. Le mot «leaching» est couramment utilisé dans le domaine de l’environnement pour décrire cette migration291. Puisqu’il s’agit de l’élément déclencheur de l’intervention gouvernementale et non l’élément attributif de responsabilité, les tribunaux ont été très généreux dans leur lecture de la définition de «release», sans compter que même la menace d’un «release», c’est-à-dire un «threatened release» suffit à justifier une intervention292. A notamment été considéré comme un «release», le fait que du perchloroéthylène écoulé dans les égouts a ensuite migré dans l’eau souterraine et le sol par des fuites dans les canalisations293. Il faut dire que dans le cas de polluants ou de contaminants, l’Administration ne peut intervenir directement que si le «release» ou le «threatened release» constitue un danger imminent et substantiel pour la santé ou le bien-être publics, sauf s’il s’agit de substances dangereuses nommément désignées294. Les ordonnances ne sont possibles que s’il y a un danger du même ordre295. La définition de «disposal» fait allusion à des conséquences appréhendées: «so that such solid waste or hazardous waste or any constituent thereof may enter the environment or be emitted into the air or discharged into any waters, including ground waters». Cette terminologie a amené Bronston à distinguer deux 291. 292. 293. 294. 295. CDMG Realty, supra, note 178: «Congress’ use of the term “leaching” in the definition of “release” demonstrates that it was aware of the concept of passive migration in landfills and that it knew how to explicitly refer to that concept.» Shell Oil, supra, note 35: «The fact that the sludge was dumped into unlined pits, the shown tendency of the sludge to migrate through strata of soil, and the detection of volatile substances known to be present in the sludge in groundwater are sufficient to establish at least a threatened release of hazardous substances into the groundwater.» Lincoln Properties, supra, note 36. 42 U.S.C. 9604(a)(1)(A) et (B). 42 U.S.C. 9606(a). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 233 phases296 dans le processus de contamination, mais la terminologie du CERCLA et l’interprétation qu’en ont fait les tribunaux montrent que la deuxième phase rassemble deux autres phénomènes: 1) l’entrée de la substance dans l’environnement (d’où le mot «into» utilisé tant dans la définition de «disposal», quant à la conséquence appréhendée, que dans celle de «release», quant à la conséquence réalisée) et 2) sa propagation subséquente. La langue française ne rend pas les nuances que la préposition anglaise «into» peut rendre par rapport à la préposition «in». Voici ce que nous en dit le dictionnaire Oxford: “Into” A preposition signifying to the inside of; within. It expresses entrance, or a passage from the outside of a thing to its interior, and follows verbs expressing motions. It has been held equivalent to, or synonymous with, “at”, “inside of”, and “to”, and has been distinguished from the words “from” and “through” (italiques ajoutés). “In” [preposition] expressing relation of presence, existence, situation, inclusion, action, etc.; inclosed or surrounded by limits, as in a room; also meaning for, in and about, on, within etc.; and is synonymous with expressions “in regard to”, “respecting”, “with respect to”, and “as is”. Comme le «release» n’est pas à lui seul attributif de responsabilité, même pour le propriétaire ou l’exploitant des lieux au moment où le «release» s’est produit s’il n’y a pas contribué297, on constate que la responsabilité est nécessairement reliée au geste initial du «disposal». C’est vraisemblablement ce qui fait que la jurisprudence a eu tendance à responsabiliser seulement la migration «active», c’est-à-dire lorsqu’il y a eu intervention humaine298. Cette distinction fondée sur les différences dans les définitions a été faite dans le but d’éviter de punir des innocents299. En vertu du CERCLA toutefois, on a rendu responsables ceux qui, n’étant pas à l’origine de la contamination sur leurs propriétés, ont empiré la situation en effectuant du remblayage, des forages, etc.300. D’autres décisions ont par contre accepté de responsabiliser la «contamination passive», c’est-à-dire sans 296. 297. 298. 299. 300. 234 Supra, note 11, p. 618. American Color, supra, note 170. Voir à ce sujet la nuance apportée dans The Reading Co., supra, note 185. Voir Snediker, supra, note 185; ABB Industrial Systems, supra, note 74; Ecodyne, supra, note 186; Emhart Industries, supra, note 35; HRW Systems, supra, note 48; Bronston, supra, note 11. Tanglewood East Homeowners Association v. Charles-Thomas, Inc., 849 F.2d 1568 (5th Cir. 1988); Redwing Carriers, supra, note 279; Kaiser Aluminium et Ganton, supra, note 48. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 aucune intervention humaine. La distinction n’est cependant pas toujours claire entre les deux termes, parce que ce que l’on a qualifié de contamination migrante a été en fait une première émission dans l’environnement301. Enfin, il y a un courant, semble-t-il minoritaire, qui a expressément rendu des propriétaires innocents responsables de la pollution reçue de tiers, malgré l’iniquité évidente qui en a résulté302. 5.1.2 Commentaire Le législateur américain distingue très clairement deux phases à la contamination de l’environnement, ayant chacune un effet juridique propre. En appliquant la loi américaine à l’affaire Laidlaw, on conclurait que l’ancêtre de la compagnie poursuivie aurait été «any person who at the time of disposal of any hazardous substance owned or operated any facility at which such hazardous substances were disposed of». Il aurait alors été un «potentially responsible party». Quant à la compagnie poursuivie, Services environnementaux Laidlaw (Mercier) ltée, elle aurait été visée à titre de «owner or operator of a facility», au moment de la propagation des contaminants, c’est-à-dire d’un «release» (la définition de ce mot comprend l’abandon des contenants enfouis). Cette deuxième compagnie, ayant succédé à l’auteur originaire du «disposal», aurait également été considérée responsable à titre de propriétaire ou d’exploitant au moment du «disposal»303. Sous ce rapport, les conclusions en droit auraient rejoint celles de la Cour d’appel du Québec en ce que le geste blâmable d’origine serait entré en ligne de compte. Cependant, il faut comprendre que l’application du CERCLA à l’affaire Laidlaw n’aurait été possible que par le choix délibéré du législateur américain visant expressément le propriétaire d’une installation où se produit le «release», et cela sans égard à la culpabilité. Malgré tout, un courant jurisprudentiel tend à s’affirmer, voulant que la seule migration ne rende pas le propriétaire responsable de ce «release» du seul fait de ne pas l’empêcher. Il n’y aurait pas de «third-party defence» possible, si le propriétaire était réputé contribuer au «release» par sa seule omission d’agir. L’effet du CERCLA n’est pas de culpabiliser la personne ayant la propriété, la garde ou le contrôle de contaminants en 301. 302. 303. Westfarm Associates, supra, note 36; The Reading Co., supra, note 185. Reichhold Chemicals, supra, note 35; Lincoln Properties, supra, note 36. B.F. Goodrich v. Betkoski, 99 F.3d 505 (2nd Cir. 1996). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 235 train de se déplacer dans le sol ni d’obliger sans recours cette personne. Elle peut se rabattre sur les véritables auteurs. L’État se décharge du fardeau de retracer les responsables, mais fournit au «potentially responsible party» les moyens de se faire dédommager. En quelque sorte, le principe du pollueur-payeur devient une affaire privée. Il ne met pas l’État en opposition avec le pollueur. Il place les personnes aux prises avec le problème dans la situation de devoir départager leur véritable responsabilité. Le souci de mettre à l’abri la personne qui n’a rien fait de répréhensible, même si elle a le contrôle d’un site contaminé actif, se reflète dans les défenses permises par le CERCLA. On le voit aussi dans la législation adoptée au niveau des États eux-mêmes. Par exemple, le California Expedited Remedial Action Reform Act of 1994304 crée une présomption de non-responsabilité réfragable en faveur du petit propriétaire privé305. La Loi exempte aussi le prêteur qui ne participe pas à la gestion de la propriété306. Autrement, on ne peut que constater que les dispositions habituelles prohibant la pollution ne sont pas vraiment efficaces contre la pollution migrante, que ce soit en vertu du CWA ou du RCRA. L’insistance du législateur sur les «point sources» et la distinction qu’il fait entre le «disposal» du RCRA et le «release» du CERCLA le montrent bien. Quant aux sanctions administratives, là encore le législateur a exprimé en termes clairs son choix. 5.2 Canada Il n’y a pas au Canada de législation fédérale comparable au CERCLA ni, à notre connaissance, de décisions relatives à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement307 susceptibles d’apporter un éclairage utile quant à l’infraction associée à la migration. Toutefois, la terminologie employée peut nous fournir quelques indices, comme la définition de «rejet», qui s’entend de toute forme de déversement ou d’émission, notamment par écoulement, jet, injection, inoculation, dépôt, vidange ou vaporisation. Est assimilé au rejet l’abandon.308 Le mot «écoulement» pourrait élargir ici la notion de rejet, mais le législateur est resté conséquent avec l’acception générale 304. 305. 306. 307. 308. 236 H.S.C.C. §§ 25396 et s. H.S.C.C. § 253660.2. H.S.C.C. §§ 25548 et s. Supra, note 134. Id., art. 3. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de la notion de pollution, avec les mots «rejet initial». Les autres personnes touchées par le rejet n’ont que l’obligation d’en faire rapport309. Quant à la Loi sur les pêches310, elle a permis aux tribunaux d’aborder la question du mouvement des contaminants dans le sol ou dans l’eau. Elle prohibe la pollution en ces termes: Sous réserve du paragraphe (4) [c’est-à-dire les cas permis par règlement], il est interdit d’immerger ou de rejeter une substance nocive – ou d’en permettre l’immersion ou le rejet – dans des eaux où vivent des poissons, ou en quelque autre lieu si le risque existe que la substance ou toute autre substance nocive provenant de son immersion ou rejet pénètre dans ces eaux. Le législateur a envisagé la possibilité de migration, puisqu’il prohibe le rejet de substances nocives là d’où elles pourraient atteindre les eaux, au même titre que le rejet directement dans ces eaux. Les tribunaux n’y ont pas vu deux infractions distinctes. Une personne ne peut à la fois être condamnée pour avoir rejeté une substance en un lieu amont et à la fois parce que la substance se serait ensuite retrouvée dans l’eau. La Cour suprême du Canada, dans Northwest Falling Contractors311, a reconnu la validité du paragraphe 33(2) de l’ancienne Loi sur les pêcheries312 (aujourd’hui le paragraphe 36(3) de la Loi sur les pêches) et a fait un parallèle avec l’affaire Sault Ste-Marie. Le dépôt dans une eau poissonneuse et le dépôt en amont sont deux manières de commettre la même infraction. Deux décisions de Colombie-Britannique sont particulièrement intéressantes pour la qualification juridique de la contamination migrante. Dans Rivtow Straits313, un propriétaire a été poursuivi parce que de l’huile provenant d’installations de son locataire s’écoulait dans un ruisseau à travers sa propriété pour rejoindre une eau poissonneuse. La Cour d’appel a refusé de considérer que le propriétaire avait commis l’actus reus de l’infraction. Dans une affaire plus ancienne314, la même cour s’était fondée sur le caractère mouvant de l’eau pour condamner une compagnie en vertu de la Loi sur les pêcheries de l’époque. Le 309. 310. 311. 312. 313. 314. Id., art. 36(2) et 36(3); voir PAQUET, supra, note 226: «Considérant l’ampleur donnée au mot «rejet» par sa définition et que des biens touchés par un rejet initial peuvent résulter des rejets successifs, l’emploi du qualificatif «initial» circonscrit l’application du paragraphe 36(1) aux personnes qui sont à la source du rejet». Supra, note 148. Supra, note 150, p. 301-302. S.R.C. 1970, c. F-14. Supra, note 36. R. v. MacMillan Bloedel (Alberni) Ltd. (1979), 12 B.C.L.R. 29, (C.A. C.-B.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 237 dépôt avait été fait dans les eaux d’un port. Il n’y avait pas de preuve que la rade était fréquentée par le poisson, mais il était établi que le bras de mer l’était. La Cour a rejeté les prétentions de l’accusée à l’effet qu’il n’y avait pas eu de dépôt dans une eau poissonneuse: «To restrict the word “water” to the few cubic feet into which the oil was poured would be to disregard the fact that both water and fish move»315. Dans l’esprit du législateur, le dépôt et le déplacement subséquent sont deux choses distinctes et il sanctionne l’acte initial d’introduction de la substance nocive dans l’eau, ou dans un autre lieu en référence au fait que la substance peut atteindre l’eau. Malgré ces deux éventualités, les deux prohibitions, bien que distinctes quant au lieu, n’autorisent qu’une seule condamnation316. 5.2.1 Ontario On a dit de la législation ontarienne relative à la restauration de l’environnement qu’elle est très proche de celle des États-Unis317. Nous nous intéresserons ici à la définition de l’infraction de pollution et à la responsabilité des personnes reliées à la contamination de l’environnement. L’équivalent de l’article 20 L.Q.E. se trouve aux articles 6 et 14 L.P.E.O. Le premier s’applique «lorsque la quantité, la concentration ou l’intensité du contaminant excèdent celles que les règlements prescrivent». Il correspond aux premier et deuxième volets de l’article 20 L.Q.E. Le troisième volet trouve son pendant au premier alinéa de l’article 14318, qui doit se lire avec les définitions de «contaminant», «d’environnement naturel» et de «conséquence préjudiciable»319. Nous examinerons principalement trois jugements 315. 316. 317. 318. 319. 238 Id., p. 32. HALLEY, supra, note 149, p. 765, 789-790. «[T]he similarities between the two regimes are more striking than the differences»: United States v. Ivey (1995), 18 C.E.L.R. (N.S.) 157 (C.J. Ont, Div. gén.), p. 178. «Malgré toute autre disposition de la présente loi et des règlements, nul de doit rejeter un contaminant dans l’environnement naturel ou permettre ou faire en sorte que cela se fasse lorsqu’un tel acte cause ou causera vraisemblablement une conséquence préjudiciable.» Art. 1.(1) L.P.E.O.: «Contaminant: Solide, liquide, gaz, son, odeur, chaleur, vibration, radiation ou combinaison de ces éléments qui proviennent, directement ou indirectement, des activités humaines et qui peuvent avoir une conséquence préjudiciable.» «Environnement naturel: Air, terrain et eau ou toute combinaison ou partie de ces éléments qui sont compris dans la province de l’Ontario [air, terrain et eau sont définis à peu près de la même manière que les mots «atmosphère», «sol» et «eau» dans la L.Q.E.]» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 ontariens relatifs à l’article 14 L.P.E.O. qui nous éclairent sur les nuances entre l’acte de pollution et ses effets subséquents. 5.2.1.1 L’affaire Imperial Oil L’affaire Imperial Oil320 a rappelé ce que la Cour suprême du Canada avait déjà affirmé relativement à l’infraction de pollution. Elle peut se produire de plusieurs manières, mais demeure une infraction générique321. L’affaire concernait l’article 13(1) de la L.P.E.O. de 1980322. Amendé en 1983, il ressemblait à l’actuel article 14, mais les conséquences préjudiciables étaient énumérées à l’intérieur même de l’article plutôt que dans une définition323. Nous avons vu qu’un déversement d’essence, dans cette affaire, avait eu plusieurs conséquences catastrophiques324. La fuite avait été stoppée en moins de deux heures et le nettoyage complété à la satisfaction des autorités. Le débat a plutôt porté sur la possibilité ou non, pour la poursuite, d’obtenir une condamnation pour chacune des conséquences préjudiciables survenues en aval. La Cour s’est inspirée d’une autre décision, non rapportée325, où l’on concluait que l’article 13 créait une seule infraction et en énumérait les diverses conséquences. La Cour d’appel a rappelé que l’article 13 était une disposition pénale et devait être «construed as they construed it»326. Elle a souligné que la Loi contenait des dispositions pour remettre les lieux en état, pour dédommager les victimes et, finalement, sanctionner l’acte prohibé. Quant aux conséquences, elles relevaient de la détermination de la peine. Les poursuites et les peines n’interviennent qu’après le fait, les vastes 320. 321. 322. 323. 324. 325. 326. «Conséquence préjudiciable: l’une ou plusieurs des conséquences suivantes: a) la dégradation de la qualité de l’environnement naturel relativement à tout usage qui peut en être fait; b) le tort ou les dommages causés à des biens, des végétaux ou des animaux; c) la nuisance ou les malaises sensibles causés à quiconque; d) l’altération de la santé de quiconque; e) l’atteinte à la sécurité de quiconque; f) le fait de rendre des biens, des végétaux ou des animaux impropres à l’usage des êtres humains; g) la perte de jouissance de l’usage normal d’un bien; h) le fait d’entraver la marche normale des affaires.» Supra, note 96. Sault Ste-Marie, supra, note 123, p. 1308. L.R.O. 1980, c. 141. La Cour suprême de l’Ontario (Division d’appel) a fait sienne l’opinion des deux parties au litige à l’effet que l’amendement législatif n’avait pas changé la portée de l’infraction. Supra, p. 184. R. v. Maple Leaf Mills Ltd. (24 juin 1986), juge Payne (C. Prov. Ont.). R. v. Imperial Oil, supra, note 96, p. 91. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 239 pouvoirs attribués à l’Administration en cas de déversement étant le véritable facteur dissuasif327. L’Imperial Oil était aussi poursuivie pour le rejet d’essence dans une rivière en vertu de l’Ontario Water Resources Act328. La plainte logée en vertu de la deuxième loi a été rejetée, en application des principes de l’arrêt Kienapple329. 5.2.1.2 L’arrêt Bata L’arrêt Kienapple a aussi été suivi dans Bata330. La compagnie était poursuivie en vertu des mêmes lois. Cette fois, l’accusation a été maintenue quant à la deuxième loi et les procédures arrêtées quant à la première331. Dans l’affaire Bata, le moment de la commission de l’infraction était l’une des questions du débat. L’accusée a tenté de mettre en doute qu’il y aurait eu déversement durant la période visée par l’une des infractions, soit entre le 15 août 1988 et le 31 août 1989 (l’accusation ne comportait qu’un seul chef). Une première inspection avait révélé, le 1er août 1989, la présence de plusieurs contenants à l’extérieur de l’usine. Plusieurs étaient découverts et exposés aux intempéries. Plusieurs étaient rouillés. Les barils ont été échantillonnés le 11 et le 22 août 1989, mais ce n’est qu’en octobre 1991 que des analyses de l’eau souterraine ont été faites. Les barils n’y étaient plus, mais les analyses montraient la présence de produits identiques. Aux yeux du tribunal, il y avait bel et bien eu rejet, au sens de l’article 16 de la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario de 1980. Le juge est cependant allé plus loin. Citant Liverance332 et Blackbird Holdings333, il s’est dit d’avis que le dépôt, un terme de la définition de «rejet», continuait avec le risque334. Cette opinion laisse entendre qu’une fois le produit déversé, son mouvement subséquent serait un rejet. Toutefois, cette conclusion n’était pas essentielle à la déclaration de culpabilité, vu les 327. 332. 333. 334. Ce sont les actuels articles 91 à 123 (partie X) de la L.P.E.O.; à ce sujet, lire Moira L. McCONNELL et Erika C. GERLOCK, Environmental Spills: Emergency Reporting Clean Up and Liability, Scarborough, Carswell, 1993 (éd. rév.), chapitre 6. L.R.O. 1980, c. 361 (Loi sur les ressources en eau de l’Ontario, aujourd’hui L.R.O. 1990, c. O.40). Supra, note 145. Supra, note 35. La même situation s’est présentée dans l’arrêt R. v. Petro Canada Inc. (1995), 16 C.E.L.R. (N.S.) 140 (C. Prov. Ont.). Supra, note 176. Supra, note 52. Bata Industries, supra, note 35, à la p. 256. 240 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 328. 329. 330. 331. fuites, et vu que la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario ne prohibait pas seulement le rejet dans les eaux, mais aussi en un lieu où les substances pouvaient affecter les eaux. De plus, les faits relatés, notamment les faits postérieurs à l’incident et considérés pour la sentence, montrent que le panache de contamination était toujours présent lors du procès et qu’il était en expansion335. Pourtant, le tribunal a souligné que l’accusée avait collaboré pleinement avec les autorités après leur intervention, même si ses travaux se sont limités à l’enlèvement des barils et à un nettoyage en surface. Enfin, soulignons que le jugement Bata a été rendu quelques semaines avant le jugement NWP336. 5.2.1.3 Le jugement NWP La Cour d’appel de l’Ontario a endossé la position du juge de première instance, dans l’affaire NWP, qui s’était refusé à voir dans un sol contaminé une source de contamination337. Ce premier jugement s’est appuyé sur les définitions de «contaminants» et d’«environnement naturel»338, et sur celle de «source de contamination», définie comme «[t]out ce qui rejette un contaminant quelconque dans l’environnement naturel»339. Bien que rendu en matière administrative (il s’agissait de la contestation d’une ordonnance), le jugement ne s’est pas moins penché sur des dispositions créatrices d’infraction, notamment l’article 5 de la L.P.E.O. de 1980 (aujourd’hui l’article 6)340. Quoi qu’on ait pu dire, rien dans le jugement n’indique que la Cour ait lu de façon indûment restrictive ou littérale la L.P.E.O. Elle s’est interrogée sur cette conception voulant qu’une partie de l’environnement puisse être juridiquement la source de la contamination d’une autre partie, de manière à mettre en cause la personne responsable de cette source. Se refusant à un tel effet juridique, elle a conclu que la définition d’environnement n’est pas disjonctive, de sorte à couvrir les mouvements naturels d’un contaminant d’un point à un autre. Le juge a fait allusion aux définitions mentionnées plus haut et aux deux infractions de pollution de la L.P.E.O., les articles 5 et 13 de l’époque, et a suggéré une lecture qui évite le résultat dénoncé. On trouve en effet, dans la décision, 335. 336. 337. 338. 339. 340. Id., p. 297. Canadian National Railway (Cour d’appel de l’Ontario), supra, note 19. Canadian National Railway (Cour de justice de l’Ontario, Div. gén.), supra, note 35. Supra, p. 85. Art. 1.(1), L.P.E.O. À la p. 223 du jugement de première instance. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 241 des expressions comme «on a proper reading of the Act», ou encore «[i]t would be an undue and improper strain upon the interpretation of the definition [d’environnement]». Le raisonnement n’est pas dû au fait que les définitions de la L.P.E.O. soient restrictives. La définition de «contaminant» dit bien qu’ils «proviennent, directement ou indirectement, des activités humaines». Cette définition aurait bien pu s’appliquer aux contaminants présents dans un sol contaminé. D’autre part, la définition d’«environnement naturel» ne vient ni appuyer ni infirmer la thèse que la source doive nécessairement être à l’extérieur de l’environnement. Dans NWP, les contaminants se répandaient dans l’environnement naturel, les sédiments du port de Thunder Bay. Quant à l’article 5 de l’époque (l’actuel article 6), il ne s’appliquait pas qu’aux «sources de contamination». Un simple propriétaire aurait donc pu être considéré comme pollueur, n’eût été de l’analyse du juge, qui n’a manifestement pas ignoré l’article 17 L.P.E.O. (aujourd’hui l’article 18), qu’il cite textuellement et auquel il renvoie tout au long du jugement. Or, cet article vise notamment le «propriétaire d’une entreprise ou d’une propriété» au sujet de contaminants rejetés «dans l’environnement naturel à partir de l’entreprise ou de la propriété ou sur cette dernière» (italiques ajoutés). En d’autres termes, le fait pour le tribunal de considérer qu’une source de contamination soit nécessairement extérieure à l’environnement n’était qu’une lecture compatible avec l’économie générale de la loi: «[B]efore s. 6 or s. 7 (or, for that matter, s. 17) can be invoked, it must be shown that a person has been responsible for the dicharge into the natural environment in that the contaminant entered the natural environment from the equipment or spillings from the operation on the site»341. La lettre de la définition n’excluait pas la lecture opposée (soulignons que certaines dispositions ont été amendées en 1990342; elles auraient pu influencer la cause, mais uniquement quant au rôle historique des divers acteurs). 5.2.1.4 Autres décisions L’affaire NWP reste discordante avec d’autres décisions relatives à l’infraction de pollution voulant notamment que la pollution continue tant et aussi longtemps qu’un produit demeure dans 341. 342. 242 Canadian National Railway, supra, note 35, p. 224, citant l’arrêt Rockcliffe Park Realty, supra, note 36, p. 15. Nous avons déjà discuté de ces changements: DAIGNEAULT, supra, note 75, p. 1054-1055. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 le sol. Dans l’affaire Hill343, une personne a été trouvée coupable d’une infraction continue d’avoir omis d’aviser les autorités lors d’une fuite. Prévenir un rejet aurait comporté l’obligation de récupérer les contaminants. La pollution était par conséquent continue et l’obligation d’aviser également. L’affaire Amoco344 a fait de la percolation depuis une lagune (en fait, une excavation) une infraction continue, alors que la percolation depuis un terrain contaminé n’a pas été jugée telle dans NWP, comme s’il existait dans le premier cas une frontière discernable entre le contaminant et l’environnement, tandis que pour l’autre, il aurait fallu tracer une limite artificielle. Ces décisions illustrent le débat, en Ontario, sur la portée de l’infraction de pollution et de la responsabilité rattachée aux sources de contamination. Il n’est pas clos345 mais, par les amendements de 1990, l’Ontario vise maintenant davantage de parties potentiellement responsables. L’article 7 L.P.E.O. (auparavant l’article 6, au caractère réparateur346) permet de prendre un arrêté d’intervention [«control order»] adressé, selon le cas: au propriétaire ou au propriétaire précédent de la source de contamination; a) à la personne qui occupe ou qui occupait la source de contamination; b) à la personne qui assume ou qui assumait la responsabilité, la gestion ou le contrôle de la source de contamination. L’article 8, qui permet de prendre des «arrêtés de suspension immédiate» («stop orders») en cas de danger immédiat, vise exactement les mêmes personnes. Le législateur s’est expressément écarté de la seule notion de responsabilité, qui était le seul facteur d’exposition dans le texte de l’ancien article 6347, pour viser le simple statut des personnes en cause. Comme aux États-Unis, le législateur a voulu imposer des mesures réparatrices indépendamment de toute culpabilité et l’a exprimé clairement. La notion 343. 344. 345. 346. 347. Hill, supra, note 116. Supra, note 53. SAXE, supra, note 21. Canadian National Railway, supra, note 19, p. 5: «[section 6] is remedial in nature». Sur les anciennes dispositions, voir DAIGNEAULT, supra, note 75, p. 1054. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 243 de source de contamination reste cependant déterminante et l’arrêt NWP soulève des questions analogues à ce qui a été observé aux États-Unis, concernant la simple migration. Il y a lieu, en terminant, de citer l’arrêt Glen Leven Properties, au sujet du mouvement de contaminants issus de l’environnement lui-même. Dans une sablière, le vent soufflait du sable sur la propriété voisine. Le propriétaire du site avait été acquitté, vu la définition de la L.P.E.O. de 1971 qui, comme aujourd’hui, faisait allusion aux activités humaines. «[T]he sand, being a natural substance the existence of which did not result from the activities of man, was not a “contaminant”...» Toutefois, en appel348, la Cour s’est dit d’avis que ce n’est pas tant le «sable» qui est un contaminant, mais le «sable exposé à l’air» par le fait de l’homme 349. 5.2.2 Colombie-Britannique En Colombie-Britannique, par un amendement de 1993 au Waste Management Act350 (qui comporte une définition extrêmement large de «waste»351), on trouve au Canada la législation probablement la plus claire concernant la responsabilité associée aux terrains contaminés, en vigueur depuis le 1er avril 1997352. 348. 352. Glen Leven Properties, supra, note 59: «A substance, even a natural substance, may constitute a contaminant within the meaning of s. 1(1)(c) of the Environment Protection Act, 1971 whenever man, by changing the natural state of that substance, causes it to be a substance which may impair the quality of the natural environment or have any of the prohibited characteristics in s. 1(1)(c). Accordingly, when sand, which in its natural state would remain stationary, is exposed and made subject to movement by winds, as in this case, it falls within the definition of contaminant. “Solid” within s. 1(1)(c) should be applied to mean “exposed sand” and not merely “sand” and since the “exposed sand” was the result of the activities of man, it came within the definition of “contaminant”.» BERGER, supra, note 57, ¶ 2.12: «A contaminant becomes a contaminant if it is stationary in its natural state but is moved by a person, by a blasting operation, or is exposed and made subject to the winds through the removal of protective soddy and top soil lays.» Maintenant R.S.B.C. 1996, c. 482. Id., art. 1:«"waste" includes: (a) air contaminants, (b) litter, (c) effluent, (d) refuse, (e) biomedical waste, (f) special waste, and (g) any other substance designated by the Lieutenant Governor in Council.» McCONNELL et GERLOCK, supra, note 327, p. 2-7. 244 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 349. 350. 351. Comme le CERCLA et la L.P.E.O., elle énumère une série de responsables. Comme le CERCLA, elle permet à ces personnes de départager entre elles les frais de restauration353. Ces responsables (avec plusieurs exceptions354) comprennent: (a) a current owner or operator at the site; (b) a previous owner or operator at the site; (c) a person who (i) produced a substance, and (ii) by contract, agreement or otherwise caused the substance to be disposed of, handled or treated in a manner that, in whole or in part, caused the site to become a contaminated site; (d) a person who (i) transported or arranged for transport of a substance, and (ii) by contract, agreement or otherwise caused the substance to be disposed of, handled or treated in a manner that, in whole or in part, caused the site to become a contaminated site; (e) a person who is in a class designated in the regulations as responsible for remediation.355 Une innovation, par rapport au CERCLA, est d’avoir prévu la migration. Le propriétaire ou l’occupant d’un terrain contaminé uniquement par la migration est complètement exonéré, s’il n’est pas également propriétaire ou occupant du terrain d’où émanent les contaminants356. Les responsables de la restauration sont plutôt ceux qui sont responsables, aux termes de la Loi, du terrain en amont357. Il est trop tôt pour dire comment les tribunaux interpréteront ces nouvelles dispositions qui apportent plusieurs solutions juridiques au problème des sols contaminés. D’abord, on s’affranchit de la notion de pollueur. La notion d’acte répréhen- 353. 354. 355. 356. 357. Supra, note 350, art. 27(1) et 27(5); art. 34 et 35 du Contaminated Sites Regulation, B.C. Reg. 375/96. Id., art. 26.6; voir aussi les articles 19 à 23 du Contaminated Sites Regulation, supra, note 353. Supra, note 350, art. 26.5(1). Id., art. 26.5(2). Id., art. 26.6(1)(i). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 245 sible est écartée358. Ce n’est pas le but. L’État peut intervenir du moment qu’une personne a un intérêt dans le terrain. De nombreuses exceptions écartent cependant ceux qui sont les plus éloignés du problème, comme celui qui n’était plus propriétaire du site lors de sa contamination359, à charge pour lui de le prouver par prépondérance360. Si la Loi ne s’en prend pas qu’au pollueur, elle ne rend pas le simple propriétaire entièrement responsable. Il peut recouvrer ses frais des autres parties. Comme avec le CERCLA, l’État se décharge du fardeau de régler lui-même le problème et d’en recouvrer les coûts. Il est en quelque sorte remis entre les mains d’un ou plusieurs responsables potentiels, que la loi ne laisse toutefois pas sans ressources. 5.2.3 Autres juridictions provinciales Les provinces canadiennes, dans le cadre général que traçait la Cour suprême du Canada pour l’infraction de pollution, ont été très créatives dans leur rédaction législative. On peut mentionner notamment que la Saskatchewan, dans la définition de «pollution» de l’«Environmental Management and Protection Act»361, inclut l’enlèvement («removal») d’une substance, de sorte que la prohibition de polluer362 comprend celle d’enlever des substances. Le Nouveau-Brunswick, pour sa part, a adopté des définitions qui peuvent clarifier également la responsabilité rattachée à la migration 363 . L’Environmental Law Dictionary 364 souligne qu’avec une définition de «source de contamination» dans la L.P.E.O. analogue à celle du Nouveau-Brunswick365 où on men358. 359. 360. 361. 362. 363. 364. 365. 246 Id., art. 27(3): «Liability under this Part applies (a) even though the introduction of a substance into the environment is or was not prohibited by any legislation if the introduction contributed in whole or in part to the site becoming a contaminated site [...].» Supra, note 350, art. 26.6(1)(e). Id., art. 26.6(4). S.S. 1983-84, c. E-10.2. Id., art. 34.1. Loi sur l’assainissement de l’environnement, L.R. N.-B., c. C-6, art. 1. Miller Thomson’s Environmental Law Dictionary, Toronto, Carswell, 1995 (éd. rév.), p. S-73. Supra, note 363: une «source de pollution» est définie comme: «toute activité ou tout bien réel ou personnel qui cause ou pourrait causer le déversement d’un polluant dans ou sur l’environnement ou une partie de l’environnement et comprend tout risque de pollution.» tandis qu’un «déversement»: «s’entend également de l’émission, de l’abandon, du dépôt ou du rejet du polluant, des matières usées ou d’autres matières ou de l’accomplissement ou du non-accomplissement de tout autre activité à l’égard du polluant, des matières usées ou d’autres matières, avec le résultat direct ou indirect que le polluant, les matières usées ou les autres matières entrent dans Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tionne «tout bien réel» («any real property»), on aurait pu avoir un tout autre résultat que celui de l’affaire NWP. L’Île-du-PrinceÉdouard a une définition analogue366. 5.3 France Le parallèle entre les lois nord-américaines et françaises relatives à la pollution n’est pas facile, vu qu’en France, elles sont disséminées dans plusieurs textes. Me Pascale Steichen a mis en relief la difficulté posée par la législation française lorsqu’on l’applique aux sols contaminés367. La disposition la plus importante créant l’infraction de pollution est l’article L. 232-2 du Code rural368 (on remarquera la parenté avec l’article 36(3) de la Loi sur les pêches canadienne369). Voici ce que nous en disent les commentateurs français: 366. 367. 368. 369. l’environnement ou dans une partie de l’environnement, que le polluant, les matières usées ou les autres matières se trouvaient ou non antérieurement dans l’environnement ou dans la partie de l’environnement.» Enfin, un «polluant» est: «tout solide, liquide, gaz, micro-organisme, odeur, chaleur, son, vibration, radiation ou combinaison de ces éléments, présent dans l’environnement, a) qui est étranger aux éléments naturels de l’environnement ou s’y trouve en excès, b) qui affecte les caractéristiques naturelles, physiques, chimiques ou biologiques de l’environnement ou sa composition, c) qui compromet la santé, la sécurité ou le bien-être d’une personne ou la santé de la vie animale, qui cause du dommage aux biens ou aux végétaux ou qui gène la visibilité, les conditions normales de transport, la marche normale des affaires ou la jouissance normale de la vie ou des biens, ou d) que le règlement prescrit comme polluant, et comprend un pesticide.» Art. 1b)i) de l’Environmental Protection Act, R.S.P.E.I., c. E-9. Supra, note 42, p. 39: «En premier lieu, la réglementation ne vise jamais directement les sites contaminés. Cela l’empêche d’avoir une vision éclairée des incidences sociales, économiques et éthiques liées à la seule question des sites. En effet, les problèmes qui sont générés par les sites contaminés ne sauraient se confondre avec ceux qui émanent du fonctionnement des installations classées ou bien encore avec ceux qui résultent du traitement des déchets. La seconde difficulté provient de la nature des sources [de droit] dans lesquelles [sic] les sites contaminés sont susceptibles d’apparaître. Nous l’avons dit, il s’agit de sources à l’efficacité douteuse et à la portée juridique incertaine.» (italiques ajoutés) «Quiconque a jeté, déversé ou laissé écouler dans les eaux mentionnées à l’article L. 231-3, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire, sera puni d’une amende de 120 000 F et d’un emprisonnement de deux ans ou de l’une de ces deux peines seulement. Le tribunal peut, en outre, ordonner la publication d’un extrait du jugement aux frais de l’auteur de l’infraction, dans deux journaux ou plus.» Supra, p. 84, lorsque cet article est lu avec la définition de «substance nocive» à l’article 34. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 247 La clarté des termes ne stimule pas le commentaire, d’autant que leur application ne soulève pas de réelles difficultés. On notera pourtant que le comportement répréhensible se réalisera, soit par une action, le jet, le déversement, telle l’installation d’un collecteur de substances résiduaires ou d’eaux usées, soit par une abstention consistant dans le fait de laisser écouler des substances polluantes. En visant ce comportement d’omission, le législateur permet une large extension du domaine d’application de l’article L. 232-2 du Code rural.370 S’il est évident, en effet, que le rejet ou le déversement de substances toxiques prévus tout d’abord, étant des actions positives, ne peuvent être qu’intentionnels, le fait de «laisser s’écouler» lesdites substances est indiscutablement moins caractérisé. Une saine analyse grammaticale ne nous en paraît pas moins exiger la preuve d’une faute. Le fait de «laisser» s’écouler quelque chose paraît bien postuler une certaine intervention de l’intéressé et non un simple «comportement personnel de la chose» . Il paraît conforme au sens habituel des mots de ne pouvoir reprocher à quelqu’un de laisser s’écouler quelque chose qu’autant qu’il a, soit eu connaissance de l’écoulement qu’il a consciemment laissé s’accomplir (faute d’abstention intentionnelle), soit eu l’obligation de se préoccuper de savoir si, compte tenu des circonstances, aucun écoulement nocif ne se produisait (faute d’abstention d’imprudence).371 Quant à la migration, deux phénomènes distincts ont notamment été examinés par les tribunaux: le déplacement d’une eau polluée et la percolation de contaminants dans le sol. Sur ce dernier point, l’arrêt Ferrier372 a retenu l’attention. Les faits rappellent ceux de l’affaire Tricots Canada U.S. au Québec373. Une rivière a été polluée par du mazout provenant d’une canalisation souterraine corrodée. Le défendeur a localisé et colmaté la fuite mais la rivière a continué d’être polluée par infiltration: «le mazout qui s’était répandu dans le sol, après la découverte de la fuite, a continué à polluer la rivière en raison de la nature du terrain et du régime des pluies.». La source tarie une fois la fuite localisée, l’infraction continuait. Toutefois, l’article L. 232-2 vise les rejets dans l’eau et, contrairement à la Loi sur les pêches du Canada, le rejet d’une substance en un lieu d’où elle pourrait atteindre l’eau n’est pas une infraction. Tant que le mazout n’avait pas atteint la rivière, il n’y avait pas encore d’infraction, ce qui peut expliquer que l’écoulement jusqu’à la rivière, une ou deux 370. 371. 372. 373. 248 LITTMANN-MARTIN, supra, note 79, ¶ 13. RASSAT, supra, note 13, p. 151. Supra, note 13. Supra, note 55. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 années plus tard ait constitué l’infraction. La responsabilité est néanmoins restée attachée aux installations, non pas au sol qui n’a pas été vu comme la source. Un peu comme dans Laidlaw374, la transaction fautive se continuerait depuis la source (la canalisation) jusqu’au point d’entrée dans l’eau, qui est le milieu réglementé en vertu du Code rural. Outre l’arrêt Ferrier, Me Littmann-Martin relève plusieurs situations ayant donné ouverture à l’application de l’article L. 232-2 (ou les dispositions qui l’ont précédé)375. Toujours sur cet article, la jurisprudence a donné lieu à un curieux débat sur la sanction des rejets de matières déjà présentes dans l’eau et le droit ne semble pas fixé. Dans l’arrêt Cravero376, des boues mêlées de débris végétaux lors de la vidange d’un réservoir hydraulique ont été vues comme des produits naturels du cours d’eau et, de ce fait, n’étaient pas visées par l’article 434-1 (devenu L. 232-2) du Code rural. D’autres décisions sont à l’effet contraire, notamment l’arrêt Berry377, où une compagnie avait vidé un bassin alimentant des turbines. Les vases du bassin avaient détruit de nombreux poissons. La compagnie a été condamnée même si la vase, produit naturel, ne pouvait être un rejet industriel. Enfin, la législation française vise très distinctement les rejets à la mer et dans un cours d’eau, en vertu de textes différents, de sorte qu’on peut sanctionner un même rejet dans ces deux milieux378. Néanmoins, le premier milieu n’est pas vu comme la source du second. La cause reste chaque fois la source véritable en amont. 374. 375. 376. 377. 378. Supra, note 18. Supra, note 79, ¶13: «[L’article L. 232-2 du Code rural] assure la répression de pollution résultant des eaux de pluie (Cas. crim., 5 oct. 1982: D. 1982, inf. rap. P. 231; Rev. sc. crim. 1984, p. 766, obs. J.-H. Robert. – CA Nîmes, 19 nov. 1980 et 22 fév. 1983: Rev. sc. crim. 1985, p. 845, obs. J.-H. Robert), du ruissellement des eaux utilisées par des pompiers pour maîtriser un incendie lorsqu’il entraîne des substances toxiques (hypothèse de la pollution du Rhin lors de l’incendie de l’usine Sandoz, cf. A. Kiss, «Tchernobâle» ou la pollution accidentelle du Rhin par des produits chimiques: AFDI 1987, p. 719. – J.G. Polakiewicz, La responsabilité de l’État en matière de pollution des eaux fluviales ou souterraines internationales: JDI 1991, p. 325 s. [...]). Les débordements de polluants de bassins de rétention seront aussi des écoulements au sens de l’article L. 232-2 du Code rural, et même, les infiltrations de produits nocifs par perméabilité des réceptacles ou du sol (Cas. crim., 11 fév. 1953: D. 1954, p. 403).» (italiques ajoutés) Lyon, 4e Ch. correct., 22 juin 1983; Cravero. II. – Jurisprudence (1984), # 20194. (Dans La Semaine juridique, Ed. G., 1984); cet arrêt a été vivement critiqué: GUIHAL, supra, note 212, ¶¶ 2872 et s. Berry et Soc. laitière métropolitaine c. P.G. Rouen, Cour de cassation (Ch. crim.), 18 décembre 1952, 11 février 1953 et 5 mai 1953. V. supra, note 80. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 249 Ainsi, lorsque le législateur vise, comme dans le cas de la Loi sur les pêches canadienne, la protection d’un milieu particulier (l’eau, ici), on conçoit que l’infraction ne soit vraiment accomplie que lorsqu’il est atteint. Elle peut donc survenir après une lente migration. Toutefois, ce n’est pas la migration qui crée l’infraction, mais l’entrée de la substance dans le milieu réglementé et le sol traversé n’est pas une source. D’ailleurs, quant à la loi canadienne, il faut nécessairement retracer le parcours du rejet et remonter à sa source, pour pouvoir incriminer le contrevenant379. Pour ce qui est des substances naturellement présentes dans l’environnement, le débat en France tourne autour de la possibilité qu’elles puissent être juridiquement considérées nuisibles, vu qu’elles font partie du milieu. Dans les causes favorisant la sanction du rejet, c’est l’intervention humaine qui est l’élément déterminant380. Ces décisions ne s’écartent d’aucune manière du principe voulant que ce soit l’activité ou l’installation qui soit la source véritable, même si l’omission peut constituer une infraction quand une installation, par son fait autonome, souille l’environnement. Le rattachement à l’activité est également clair lorsque ce sont des contaminants d’origine naturelle qui sont en cause, comme le relargage de sédiments381. 5.4 Allemagne En Allemagne, l’infraction de pollution se trouve dans le Code pénal382. Par rapport au droit français, il offre davantage de parallèles avec notre droit et le débat entourant leur application à la migration est particulièrement intéressant. D’abord, ce code contient des dispositions visant séparément la contamination des sols et de l’eau. Pour les sols, c’est l’article 324a qui y pourvoit383. 379. 380. 381. 382. 383. 250 «La poursuite devra toutefois démontrer la trajectoire suivie par la substance pour atteindre ces eaux.»: HALLEY, supra, note 149, p. 793. GUIHAL, supra, note 212, ¶ 2872. Ibid. Strafgesetzbuch fédéral. «§ 324a. Bodenverunreinigung. (1) Wer unter Verletzung verwaltungsrechtlicher Pflichten Stoffe in den Boden einbringt, einbringen läßt oder freisetzt und diesen dadurch 1. in einer Weise, die geeignet ist, die Gesundheit eines anderen, Tiere, Pflanzen oder andere Sachen von bedeutendem Wert oder ein Gewässer zu schädigen, oder 2. in bedeutendem Umfang verunreinigt oder sonst nachteilig verändert, wird mit Freiheitsstrafe bis zu fünf Jahren oder mit Geldstrafe bestraft. (2) Der Versuch ist strafbar. (3) Handelt der Täter fahrlässig, so ist die Strafe Freiheitsstrafe bis zu drei Jahren oder Geldstrafe.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 La disposition utilise le mot «introduire» («einbringen»), qui en soi concorde avec l’idée que l’infraction de pollution vise fondamentalement le fait d’ajouter un contaminant à l’environnement. Comme en France, pour l’eau, et en Amérique du Nord, pour la pollution en général, la disposition sanctionne l’omission384. Elle est complétée par l’article 326, qui régit le dépôt de déchets et vise donc, dans une certaine mesure, la pollution du sol. On a vu que certains se refusent à y voir une infraction continue, une fois le contaminant dans l’environnement385. Toutefois, le droit allemand ne semble pas fixé, à en croire le commentaire suivant qui touche l’article 326 sur le dépôt des déchets: [TRADUCTION] Il y a en effet ici deux courants de pensée: les uns qualifieraient l’art. 326 (1) StGB comme infraction continue, c.-à-d. que même si l’action est complète avec l’enfouissement de déchets, elle n’est toujours pas terminée tant que la source potentielle de risque existe. Les autres voient au contraire dans l’article une infraction ponctuelle qui est non seulement complète mais aussi terminée avec le dépôt des déchets, puisque même si l’auteur a créé cette situation illégale (condition préalable pour une infraction continue), il ne la maintient toutefois pas intentionnellement. C’est donc seulement selon la première conception que les «Altlasten» [= sites orphelins] engendreraient une quelconque responsabilité pénale, parce que selon la deuxième, lorsqu’on découvre le site, la prescription est normalement depuis longtemps acquise. L’art. 324, entre autres, reste toutefois pertinent dans de telles situations, dans la mesure où le lixiviat ou d’autres contaminants provenant des déchets continuent d’être entraînés jusqu’à l’eau ou la nappe phréatique même des années plus tard.386 384. 385. 386. «[TRADUCTION] 324a. Pollution du sol (1) Quiconque introduit des substances dans le sol, les laisse introduire, ou les dépose, en violation d’une obligation du droit administratif, et ce faisant le pollue ou l’influence d’une manière défavorable 1. d’une manière apte à endommager la santé d’autres personnes, des animaux, des plantes, des eaux ou d’autres choses d’une valeur importante, ou 2. d’une manière importante est punissable d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement ou d’une amende. (2) La tentative est punissable. (3) Si l’auteur a agi par négligence, la peine maximale sera de 3 ans d’emprisonnement ou une amende.» RUDOLPHI et HORN, supra, note 93, §324a: «Mit dem Einbringenlassen erfaßt das Gesetz das Unterlassen der Abwendung einer drohenden Fremdstoffkontamination mit dem Boden seitens des Beschützergaranten (für Mensch oder Umwelt) oder des Hütergaranten (für den Fremdstoff).» («Avec l’expression «laisser entrer», le législateur vise par ailleurs l’omission de prévenir une contamination imminente du sol, de la part soit du garant de la santé des humains ou de l’environnement en question, soit du gardien du contaminant»). Supra, note 102. MEINBERG, MÖHRENSCHLAGER et LINK, supra, note 93, p. 77: «Im Zusammenhang mit den sog. Altlasten erlangt die Frage nach der Beendigung Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 251 Ce commentaire aborde la question du moment où l’infraction est accomplie et celle du changement de médium. Dans le premier cas, le débat ressemble fort au nôtre et un jugement allemand a considéré comme accomplie, et donc prescrite, une infraction à l’article 326: «[TRADUCTION] Ce type d’infraction est accompli avec la perpétration de l’acte et le risque en résultant, non pas avec la réalisation possible de dommages futurs. Même si ce risque dure longtemps, il ne s’ensuit pas que le commencement de la prescription soit pour autant retardé»387. Dans le second cas, la solution allemande se rapproche de la française, à savoir la réglementation par milieu touché. On laisse entendre ici que, si les substances dont le dépôt illégal serait prescrit percolaient dans le sol pour atteindre une nappe phréatique, il y aurait alors infraction à l’article 324 du Code portant sur les eaux de surface et souterraines, dont on a dit qu’il ne crée pas d’infraction continue388. Il ne semble pas que cette solution puisse être retenue chez nous, d’abord parce que notre infraction de pollution est générique, ensuite parce que, même là où le législateur a prévu plus d’une possibilité, on y a vu une seule infraction389. Dans Tricots Canada U.S.390, l’apparition de produits pétroliers dans la 389. 390. des Delikts und damit dem Verjährungsbeginn (vgl. § 78a StGB) bei § 326 Abs. 1 StGB große praktische Bedeutung. Im wesentlichen werden hierzu zwei Meinungen vertreten: Die einen qualifizieren § 326 Abs. 1 StGB als Dauerdelikt, das mit der Ablagerung des Abfalls zwar vollendet sei, bei dem aber Tat-Beendigung nicht eintrete, solange das Gefährdungspotential des unerlaubt abgelagerten Abfalls noch vorhanden sei. Die anderen sehen die Vorschrift dagegen als Zustandsdelikt an, weshalb mit der Abfallentsorgung nicht nur Vollendung, sondern auch Beendigung eintrete, da der Täter bei § 326 StGB den von ihm geschaffenen rechtswidrigen Zustand, was für das Dauerdelikt aber Voraussetzung sei, nicht willentlich aufrechterhalte. Auf die Altlastenproblematik angewandt, würde man nur nach der ersten Auffassung zu einer Strafbarkeit gelangen, während nach der anderen Meinung regelmäßig (sofern die Ablagerungen nur drei Jahre zurückliegen, vgl. § 78 Abs. 3 Nr. 5 StGB) im Zeitpunkt der Entdeckung der Altlast bereits Verjährung eingetreten sein dürfte. Verfolgbar bliebe ein solches Verhalten danach u. U. jedoch nach § 324 StGB, sofern flüssige Abfallstoffe oder Ausschwemmungen fester Stoffe über das Deponieabwasser noch Jahre hindurch in Gewässer oder das Grundwasser gelangen.» Décision de la Cour suprême allemande du 3 octobre 1989, supra, note 102, p. 512: «Bei diesen Delikten tritt mit der Begehung zugleich der Erfolg der Tat ein, der in der eingetretenen Gefährdung, nicht in einer aus der Gefährdung möglicherweise später erwachsenden Verletzung besteht. Auch wenn sich die Gefährdung lange hinzieht, führt sie als ein durch die Tat verursachter Zustand nicht zu einer Verzögerung des Verjährungsbeginns über das Ende der diesen Zustand herbeiführenden Handlung hinaus.» V. supra, p. 185. Il est à noter, cependant, que ces commentaires visent l’article 326 (dépôt illégal de déchets). V. supra, p. 218. Supra, note 55. 252 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 387. 388. rivière n’a pas été vue comme une nouvelle infraction. La source, celle sur laquelle le responsable devait agir, était la conduite souterraine. Enfin, dans l’infraction à l’article 324 du Code pénal allemand, relatif à l’eau, qui peut être subséquente à une infraction à l’article 326, relatif aux déchets, il n’y a rien qui soit incompatible, par exemple, avec l’affaire Laidlaw391. Le déchet peut libérer des contaminants parce qu’il peut en contenir et en être la source392. En terminant, ajoutons que le droit allemand distingue, d’une part, l’infraction pénale de causer une contamination et, d’autre part, la responsabilité de nettoyer un site. Fondamentalement, on exige de «fermer le robinet» et de prévenir une pollution imminente. Pour les déchets, seul le responsable de l’enfouissement initial commet une infraction, les possesseurs subséquents n’entrant pas en ligne de compte, même si les risques augmentent avec le temps. «[TRADUCTION] Considérer l’enfouissement de déchets comme étant une infraction continue aurait pour conséquence, en pratique, l’annulation de la prescription dans de tels cas»393. 6. APPLICATIONS EN DROIT QUÉBÉCOIS Ce survol confirme deux importantes règles: le choix des termes et le contexte de la loi restent indéniablement déterminants pour juger si la migration est assimilée à la pollution; ensuite, le souci d’éviter des conséquences aberrantes oriente les décisions des tribunaux, qui s’appuient alors sur les fins recherchées par le législateur. Les lois se lisent dans le contexte de leur économie générale, en respectant leur finalité, leur cohérence et leur harmonie394. Assimiler migration et pollution aurait plusieurs conséquences douteuses. La contamination en provenance de tout site orphelin passé dans le domaine public en rendrait l’État responsable. Les municipalités aux prises avec des friches industrielles seraient dans la même situation et les administrations publiques se retrouveraient ipso facto parmi les plus importants pollueurs 391. 392. 393. 394. Supra, note 18. Duchesne, supra, note 41. LAUBENTHAL, supra, note 102, p. 515: «Interpretierte man auch die Begehungsmodalität des Ablagerns der Abfälle als Dauerdelikte, würde dies in solchen Fällen letzlich zu einem faktischen Verjährungsausschluß führen.» Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 1990, p. 290, 302, 370. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 253 au Québec395. Il y aurait à n’en point douter matière à l’un des plus retentissants recours collectifs de l’histoire de la Province396! Il est difficile d’envisager que la branche législative de l’État ait voulu pareil scénario. Autre exemple, l’acquéreur d’une résidence découvre une fuite ancienne de mazout, qui atteint les eaux souterraines. Le voilà pollueur. Son obligation n’est plus de stopper la contamination des eaux, mais de stopper aussi la migration des eaux. «À l’impossible nul n’est tenu»397, mais l’argument financier n’est hélas pas une défense acceptable en matière pénale, si par ailleurs la solution existe. Dès lors, pour se soustraire à sa responsabilité pénale, s’il n’a pas les moyens financiers d’intervenir, le propriétaire doit-il se défaire de son bien? C’est une dépossession en bonne et due forme. Une autre conséquence redoutable est l’abolition de la prescription. Même si le propriétaire stoppe la migration, une partie des contaminants a pu continuer sa progression sans que le geste du prétendu contrevenant n’ait quelque effet sur cette progression en aval398. Est-il alors perpétuellement responsable? La responsabilité passe-t-elle entre les mains des voisins en aval? Que dire des municipalités dont les conduites souterraines servent de chemin préférentiel à la propagation? Le législateur a-t-il voulu un tel résultat? A-t-il voulu frapper d’une responsabilité pénale, du reste la plus sévère que contienne la L.Q.E., une personne placée bien malgré elle dans cette situation? Nous parlons de celui dont on affirme qu’il omet de tarir une source de contamination qu’il aurait sous son contrôle ou sa garde et qui commettrait ainsi par omission l’infraction de pollution, imprescriptible dans ce cas, passible d’emprisonnement ou de lourdes amendes pour chaque jour où elle se continue. C’est là donner une portée excessive, voire abusive aux mots émettre, déposer, dégager ou rejeter. Dans toutes les juridictions consultées, assimiler migration et infraction de pollution est loin d’être admis. On observe soit un 395. 396. 397. 398. 254 La L.Q.E., par l’effet de l’article 126, s’applique en effet au gouvernement, à ses ministères et à ses organismes. Pour une autorisation d’exercer un recours collectif en relation avec l’émission souterraine d’un contaminant (en l’occurrence des biogaz) sous la garde de l’intimé, voir Roberge c. Ville de Sherbrooke (8 octobre 1998), St-François 450-06-000001-986 (C.S.), M. le juge T. Toth, R.E.J.B. 98-8753 (il s’agit ici d’un cas où des déchets constituent la source de l’émission d’un contaminant; il ne s’agit pas d’un cas de terrain contaminé au sens strict). Martin PAQUET rappelle «l’impossibilité relative devant laquelle ces personnes peuvent se retrouver, selon les circonstances», supra, note 3. C’est le phénomène qui a notamment été observé dans l’affaire Bata, après que les barils aient été enlevés et la surface du site ait été nettoyée, supra, note 35. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 refus d’assimiler les deux phénomènes, soit une grande hésitation à le faire. Cette hésitation repose sur plusieurs facteurs importants, et tous recevables sous nos lois: la responsabilisation de la victime, l’imprescriptibilité de l’infraction et la multiplication des causes d’infraction, sans compter les résultats incohérents qu’une portée excessive des dispositions peut entraîner. Là où le propriétaire d’un sol a été jugé responsable, le législateur en avait fait explicitement le choix. Les décisions québécoises n’ont pas poussé l’analyse aussi loin, l’État n’ayant pas soumis aux tribunaux des cas patents de contamination migrante avec l’intention d’en faire répondre un simple propriétaire ou gardien. Cela ne veut pas dire que nos tribunaux n’aient jamais été confrontés à des situations mettant en cause des contaminants en migration. Si aucune responsabilité n’a été attribuée à la migration, les décisions ne permettent pas de trancher de façon définitive la question. Elles n’en ont pas traité. Il est révélateur toutefois que la question ne se soit pas posée quand elle aurait pu être un moyen commode de contourner les difficultés soulevées, comme dans Laidlaw399. De plus, les décisions sont compatibles avec le refus de rendre responsable le simple propriétaire ou gardien. Quelques auteurs ont abordé la question, notamment pour distinguer L.P.E.O. et L.Q.E.400. Les différences, bien que souvent ténues, sont réelles et chaque système de droit conserve son originalité et ses particularités dans ses solutions à ce problème. 6.1 Législatif L’essentiel des dispositions touchant la contamination de l’environnement se trouve dans la L.Q.E., mais quelques autres se trouvent dans sa réglementation, et aussi dans des dispositions réglementaires relevant d’autres lois401. Nous nous en tiendrons à la L.Q.E. Ses dispositions sont attributives de responsabilité pénale ou d’une responsabilité que nous avons qualifiée d’administrative, découlant directement de l’effet de la loi, indépendamment de toute infraction. Elle peut résulter d’un acte officiel, généralement une ordonnance, ou de l’effet de la loi seule. Elle est créatrice d’obligation, dont le défaut d’exécution expose à sanction 399. 400. 401. Supra, note 18. NADON et GRANDA, supra, note 15; McCARTY, supra, note 3; LUSSIER et COBB, supra, note 220. Voir, par exemple, la Loi sur les pesticides, L.R.Q. c. P-9.3, ou encore l’ancien article 130 du Règlement sur les produits pétroliers, [U-1.1, r. 1]. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 255 pénale ou civile402. Si l’on ne s’en tient qu’à la seule lecture de la L.Q.E., on recense plusieurs expressions qui pourraient hypothétiquement mettre en cause le propriétaire, le gardien403 ou l’occupant d’un sol contaminé tant au plan pénal qu’administratif: 1) la personne qui émet, dépose, dégage ou rejette des contaminants dans l’environnement404; 2) celle qui le permet405; 3) la personne responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants406; 4) la personne responsable d’une source de contamination407; 5) la personne qui avait la garde ou le contrôle des contaminants408; 6) le propriétaire de contaminants déversés, émis, dégagés ou rejetés409; 7) le propriétaire d’un sol où se trouvent des contaminants410; 8) le propriétaire ou l’occupant d’un sol qui tolère qu’on y émette, dépose, dégage ou rejette des contaminants411. Le législateur choisit ses cibles avec force nuances et s’abstient de viser une catégorie trop générale de personnes. La Loi les atteint en les reliant à l’acte de pollution ou à leur statut juridique par rapport aux contaminants ou au sol. La L.Q.E. doit se lire en 402. 404. 405. 406. 407. 408. 409. 410. 411. La sanction pénale est celle du défaut d’agir, dans la mesure où l’omission constitue une infraction (c’est le cas de l’omission de se conformer à une ordonnance: art. 106.1, L.Q.E.); la sanction civile est généralement l’obligation aux frais encourus par le ministre, lorsqu’il a dû agir en lieu et place du contrevenant. On parle souvent des personnes ayant soit la garde, soit le contrôle de contaminants. Nous utiliserons ici le mot «gardien» pour désigner indistinctement ces personnes, d’autant plus que la garde sous-entend un contrôle (sur ce dernier point, voir BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162). Art. 20, 31.42 et 31.43. Art. 20. Art. 115.1. Art. 25 à 27, 31a), b), d) et g.1), 49, 49.1, 116.2 et 116.3. Art. 114.1 et 115.1. Art. 114.1. Art. 31.49. Art. 106.1, alinéa 2. 256 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 403. permettant à ces dispositions de se compléter les unes les autres et aussi en évitant des incohérences412. Hormis les cas du propriétaire des contaminants, de celui qui en avait la garde ou le contrôle, ou du propriétaire d’un sol contaminé, toutes les autres dispositions sont intimement liées à la libération413 des contaminants, même dans le cas d’une source de contamination, dont la définition sous-entend une libération de contaminants. Nous allons donc aborder séparément les dispositions qui impliquent un phénomène de libération de contaminants et celles qui concernent plutôt le statut juridique d’une personne. 6.1.1 Les dispositions associées à la libération de contaminants Si la désignation d’éventuels responsables est variée dans la L.Q.E. («responsable d’une source de contamination», «personne ou municipalité qui avait la garde ou le contrôle» etc.), la nomenclature est rigoureusement uniforme pour la libération des contaminants. Dans ce cas, sauf exceptions414, on retrouve ensemble les mots «émettre, déposer, dégager ou rejeter» ou leurs substantifs. «[C]haque terme ne devrait avoir qu’un seul et même sens où qu’il apparaisse dans la loi»415, sous réserve, ajoutons-nous, que les dispositions pourraient peut-être justifier un écart par rapport à cette lecture ailleurs où on retrouve ces termes. 6.1.1.1 L’article 20 L.Q.E. C’est dans l’acte énoncé à l’article 20 L.Q.E. que la libération de contaminants apparaît dans son contexte le plus large. On vise l’acte posé directement ou, par le mot «permettre», indirectement. L’affaire Laidlaw a aussi montré que l’omission de tarir une source était une pollution causée directement. L’article 20 interdit de polluer tandis que 106.1 crée l’infraction et prévoit des sanctions. Les articles 66 et 108 les complètent. Des dispositions telles 412. 413. 414. 415. CÔTÉ, supra, note 394, p. 287. Par «libération», nous entendons indistinctement, au sens de la L.Q.E., «émission, dépôt, dégagement ou rejet». Un seul de ces mots apparaît à l’article 66 (déposer), ce qui semble relié à la nature d’un déchet et aux dispositions particulières de la section VII du chapitre I de la L.Q.E. Un seul, également, se trouve dans la définition de «source de contamination» (émettre). Cette dernière exception est plus difficile à expliquer. L’article 114.1 substitue au mot «déposer», le mot «déverser», vu les circonstances particulières visées par cet article. CÔTÉ, supra, note 394, p. 84. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 257 que l’article 8 du Règlement sur les matières dangereuses416 ou l’article 55 du Règlement sur les déchets solides417 créent une responsabilité analogue, encore que les matières qu’ils visent ne soient pas automatiquement assimilables à des contaminants418. Tant à l’article 20 qu’à l’article 106.1, le législateur a choisi les mots émettre, déposer, dégager et rejeter ou leurs substantifs419. Les mêmes apparaissent aux articles 25 à 27, 31 c) et d), 31.42 et 31.43, 117, créateurs d’une responsabilité administrative, et à des articles tels que 22 et 31.11 (certificats et attestations). On notera la parenté, mais non l’identité, des termes avec ceux utilisés par d’autres juridictions, comme dans le CERCLA, le Code rural français ou la L.P.E.O. Tant en droit ontarien qu’américain, les tribunaux ont remarqué que les termes utilisés faisaient allusion à un phénomène actif qui sous-entendait la contribution humaine. Cette prémisse est également présente là où on a semblé rendre la migration passible de sanctions. Ces cas mettaient tous en cause quelqu’un à l’origine de l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement, tout comme dans Laidlaw d’ailleurs. La sanction de la contamination migrante est apparue davantage comme une volonté de faire échec à la prescription420. Si, aux articles 20 et 106.1, ce sont le rejet, le dégagement, l’émission ou le dépôt d’un contaminant qui sont en cause, peut-on lire ces mots sans faire violence aux choix terminologiques du législateur, sans compromettre ses objectifs et sans entraîner de 416. 417. 418. 420. [Q-2, r. 15.2]. [Q-2, r. 3.2]; v. infra, Thibault Démolition, note 424. Sur la différence entre déchet et contaminant, voir de l’auteur, «La gestion des déchets», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 40 140 et, de l’auteur également, sur la différence entre matière dangereuse et contaminant, «Les dédales de la nouvelle réglementation sur les matières dangereuses», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1998), Cowansville, Yvon Blais, 1998, 231-270, p. 248. Art. 20 L.Q.E.: «Nul ne doit émettre, déposer, dégager ou rejeter ni permettre l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet dans l’environnement d’un contaminant au-delà de la quantité ou de la concentration prévue par règlement du gouvernement. La même prohibition s’applique à l’émission, au dépôt, au dégagement ou au rejet de tout contaminant, dont la présence dans l’environnement est prohibée par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens.» Art. 106.1 (2e alinéa) L.Q.E.: «Commet également une infraction qui le rend passible des mêmes peines, le propriétaire ou l’occupant d’un sol qui a connaissance de l’émission, du dépôt, du rejet ou du dégagement d’un contaminant visé à l’article 20 dans un sol dont il est propriétaire ou qu’il occupe et qui tolère cette émission, ce dépôt, ce rejet ou ce dégagement.» SAXE, supra, note 21. 258 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 419. résultats excessifs? En anglais, la L.Q.E. nous éclaire déjà un peu sur ce qui est visé. On ne trouve la préposition «in», ni à l’article 20, ni à 106.1. Elle aurait pu inclure un phénomène se produisant entièrement à l’intérieur de l’environnement, aussi bien que depuis l’extérieur vers l’intérieur421. À l’article 20, on trouve «into»422, indiquant que les mots émettre, déposer, dégager et rejeter visent l’introduction initiale du contaminant, non son déplacement ultérieur. À 106.1, le mot «on» («sur») rend le mot français «dans», ce qui nous éloigne davantage de l’idée d’une migration à l’intérieur même du sol423. Le législateur exprime un mouvement de quelque chose vers autre chose, et non à l’intérieur d’une même chose. Les définitions que nous donne Le Robert dénotent toutes cette même idée424: Émettre: Produire au-dehors, mettre en circulation, offrir au public. Faire sortir de soi (un son). Projeter spontanément hors de soi, par rayonnement (des radiations, des ondes). Déposer: Poser (une chose que l’on portait). Dégager: Laisser échapper (un fluide, une émanation). Rejeter: Jeter425, porter ou mettre ailleurs. (En ôtant d’un lieu). Ne plus vouloir de –. Il faudrait voir le sol comme un contenant, comme une masse isolée dont quelque chose peut ensuite sortir, pour lire les termes émettre, déposer, dégager ou rejeter comme visant le mouvement hors de cette masse. Mais, le sol n’est pas une masse isolée. Il n’y a 421. 422. 423. 424. 425. V. supra, p. 234. Art. 20 L.Q.E.: «No one may emit, deposit, issue or discharge or allow the emission, deposit, issuance or discharge into the environment of a contaminant in a greater quantity or concentration than that provided for by regulation of the Government. (italiques ajoutés) The same prohibition applies to the emission, deposit, issuance or discharge of any contaminant the presence of which in the environment is prohibited by regulation of the Government or is likely to affect the life, health, safety, welfare or comfort of human beings, or to cause damage to or otherwise impair the quality of the soil, vegetation, wildlife or property.» Art. 106.1 (2e alinéa): «The owner or occupant of land who has knowledge of and tolerates the emission, deposit, discharge or ejection of a contaminant referred to in section 20 on land he owns or occupies is also guilty of an offence and is liable to the same penalties.» (italiques ajoutés) Analysant le sens du mot «déposer», la Cour supérieure a confirmé «l’intention du législateur de s’en remettre au sens courant des termes.»: P.G. du Québec c. Thibault Démolition ltée (23 novembre 1994), Hull 550-36-000024-941 (C.S.), M. le juge J.-P. Plouffe. Jeter signifie notamment «abandonner, rejeter comme encombrant et inutile». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 259 pas d’entités théoriques de sol se contaminant l’une l’autre. On ne peut sans limites abstraites circonscrire dans le sol le lieu précis d’où émanent des contaminants. Si un sol libère des contaminants, ce n’est que par une fiction le transformant en un contenant. Si par ailleurs le sol peut être un tel lieu, alors une rivière ou une masse d’air polluée en est un autre. L’interprétation littérale des mots «émettre, déposer, dégager ou rejeter» ne pose des difficultés que si l’on assimile ainsi le sol à un contenant ou à une source. Il faut donc confronter le sens de ces mots avec les autres dispositions pour en déduire la portée véritable. «Toute disposition d’une loi, qu’elle soit interprétative, prohibitive ou pénale, est réputée avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage», nous rappelle le législateur426. Encore faut-il rester cohérent avec les autres dispositions de la loi utilisant les mêmes termes et distinguer les termes différents qu’on y trouve. Fort heureusement, la grande uniformité terminologique décrivant la libération de contaminants permet une analyse beaucoup plus précise que si ces termes n’apparaissaient que dans un ou deux articles. Pour des termes au sens très général, l’exercice est particulièrement utile et instructif427. 6.1.1.2 Les articles 114.1 et 115.1 La L.Q.E. distingue les contaminants déversés, émis, dégagés ou rejetés de ceux qui se répandent ou se propagent. Ce choix n’est pas anodin et est étonnamment cohérent et conséquent. C’est l’article 114.1 qui fait cette distinction428, article que nous avons comparé aux dispositions du CERCLA429. Des termes différents signifient généralement des choses différentes430. Les décisions 426. 427. 429. 430. Loi d’interprétation, L.R.Q. c. I-16, art. 41. CÔTÉ, supra, note 394, p. 291: «Les expressions générales sont particulièrement sensibles à l’influence de leur environnement légal. Premièrement, quelque généraux que soient les termes employés par le législateur, les exigences de cohérence et d’harmonie interne du texte pourront justifier la restriction de la portée de ces expressions.» Art. 114.1 L.Q.E.: «Lorsqu’il estime qu’il y a urgence, le ministre peut ordonner à toute personne ou municipalité qui est propriétaire de certains contaminants ou qui en avait la garde ou le contrôle, de ramasser ou d’enlever tout contaminant déversé, émis, dégagé ou rejeté dans l’eau ou sur le sol, accidentellement ou contrairement aux dispositions de la présente loi ou des règlements du gouvernement et de prendre les mesures requises pour nettoyer l’eau et le sol et pour que ces contaminants cessent de se répandre ou de se propager dans l’environnement.» (italiques ajoutés) DAIGNEAULT, supra, note 75. CÔTÉ, supra, note 394, p. 313. 260 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 428. américaines, face à une terminologie analogue mais non identique, ont constaté que des termes différents servaient à distinguer les phénomènes en cause. Dans le CERCLA, la lixiviation («leaching») n’apparaît pas dans la longue énumération de «disposal», mais plutôt dans celle de «release»431, le phénomène lié à la présence de substances dangereuses dans l’environnement. Le législateur sait par quel terme désigner la propagation des contaminants, et ne l’utilise pas pour décrire le «disposal». Sur ce plan, 114.1 est très révélateur. Le premier groupe de termes, dans cet article, vise les contaminants introduits dans l’environnement à la suite d’un «disposal», les seconds ceux qui migrent à l’occasion d’un «release»432. La libération des contaminants y est présentée comme un fait accompli. Les mots sont au passé. Pourtant, du même souffle, le législateur parle de mesures requises pour que ces contaminants «cessent» au présent de se propager. Il ne s’agit pas d’éviter une propagation, mais de la faire cesser. On s’intéresse au phénomène au moment où il a cours, montrant que le législateur conçoit très bien qu’un contaminant puisse avoir été libéré (fait accompli, utilisation du participe passé) et néanmoins continuer de se déplacer (fait continu, utilisation de l’infinitif présent). Le déplacement subséquent est distinct de la libération même du contaminant. Assimiler ces notions créerait au contraire une incohérence. Par exemple, l’article 26433: si 114.1 s’applique quand le ministre estime qu’il y a urgence, 26 s’applique s’il perçoit un danger immédiat. Le ministre peut alors ordonner que cesse la libération de contaminants, comme 114.1 lui permet de faire cesser leur propagation. Or, 26 est susceptible d’appel, et non 114.1. L’article 26 ne vaut que pour 30 jours, l’autre n’a pas cette limite. Si le gardien ou propriétaire d’un terrain était gardien des contaminants qui migrent, les deux dispositions auraient des objets identiques, mais l’une offrirait un recours à la personne visée et l’autre non, l’une aurait une durée limitée, l’autre indéterminée. 431. 432. 433. Supra, notes 49 et 89. Supra, note 75, p. 1038-1040. Art. 26 (1er alinéa): «Toutefois, le ministre peut, sans préavis mais pour une période d’au plus 30 jours, ordonner au responsable d’une source de contamination, de cesser ou de diminuer dans la mesure qu’il détermine, l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet d’un contaminant lorsqu’à son avis il en résulte un danger immédiat pour la vie ou la santé des personnes ou un danger de dommage sérieux ou irréparable aux biens.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 261 Un autre article, 115.1434, aussi comparé au CERCLA, parle au passé des contaminants «émis, déposés, dégagés ou rejetés». Il autorise le ministre à prendre des mesures pour «éviter ou diminuer un risque de dommage». Sans doute, les contaminants qui se meuvent sont plus problématiques que ceux qui sont stables435. Si donc l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants visaient leur simple mouvement, on comprendrait mal pourquoi la Loi les désigne au passé. L’examen de l’article 114.1 révèle une distinction entre le contaminant qu’on libère et celui qui se répand ou se propage et 115.1 la confirme. Dans le même article, on autorise le ministre à prendre des mesures pour «contenir» des contaminants libérés et pour «prévenir» qu’ils ne le soient. Si migration vaut libération, alors «contenir» et «prévenir» sont pure redondance. Prévenir une propagation, c’est la contenir. Par contre, si libérer des contaminants consiste à les introduire, on évite cette redondance L’expression «responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet [des contaminants]» à 115.1 vise la même personne qu’à l’article 20. Ces articles utilisent les mêmes termes et la responsabilité peut émaner des divers modes de commission de l’acte répréhensible, à savoir le geste positif, l’omission telle que décrite dans Laidlaw, et la permission, telle qu’expressément prévue à l’article 20. L’article 115.1 ne va donc pas au-delà de l’article 20. Nos commentaires sur ce dernier concernent tout aussi bien 115.1. En d’autres termes, pour que le ministre puisse réclamer ses frais, il doit établir qu’une personne a elle-même introduit les contaminants dans l’environnement, ou qu’elle a omis d’en prévenir l’introduction alors qu’elle en avait le devoir et le pouvoir. L’introduction en cause est nécessairement la libération décrite au premier alinéa de 115.1, puisque c’est cette libération actuelle ou éventuelle, associée aux dommages ou aux 434. 435. Art. 115.1 L.Q.E.: «Le ministre est autorisé à prendre toutes les mesures qu’il indique pour nettoyer, recueillir ou contenir des contaminants émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement ou susceptibles de l’être ou pour prévenir qu’ils ne soient émis, déposés, dégagés ou rejetés dans l’environnement lorsque, à son avis, ces mesures sont requises pour éviter ou diminuer un risque de dommage à des biens publics ou privés, à l’homme, à la faune, à la végétation ou à l’environnement en général. Le ministre peut, en la manière de toute dette due au gouvernement, réclamer les frais directs et indirects afférents à ces mesures de toute personne ou municipalité qui avait la garde ou le contrôle de ces contaminants et de toute personne ou municipalité responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants, selon le cas, que celle-ci ait été ou non poursuivie pour infraction à la présente loi. La responsabilité est solidaire lorsqu’il y a une pluralité de débiteurs.» (italiques ajoutés) United States of America v. Pesses, supra, note 142. 262 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 risques qui en résulteront, qui permet au ministre d’intervenir. Il s’agit d’une introduction dans l’environnement, et la version anglaise de l’article 115.1, comme pour l’article 20, utilise la préposition «into». 6.1.1.3 Les articles 31.42 et 31.43 Élargir le sens des termes émettre, déposer, dégager et rejeter ferait aussi échec au principe du pollueur-payeur lancé en 1990436. Codifié aux articles 31.42 à 31.45 L.Q.E., il vise celui qui est à l’origine de la présence des contaminants dans l’environnement, celui qui les y a émis, déposés, dégagés ou rejetés. En visant tout autant la migration que l’introduction initiale du contaminant, les articles 31.42 et s.437 ne distingueraient plus le pollueur originaire 436. 437. Supra, note 161; l’article 115, qui existe dans la L.Q.E. depuis 1972, est aussi, à sa façon, une expression du principe du pollueur-payeur: «Dans tous les cas où un contrevenant a été déclaré coupable d’une infraction à la présente loi, le ministre peut, aux frais du contrevenant, prendre les mesures nécessaires pour remettre les choses dans l’état où elles étaient avant que la cause de l’infraction ne se produise.» L’inconvénient de cet article est d’être limité aux conséquences de l’acte pour lequel une personne est jugée coupable. Si l’infraction ne vise qu’une journée, les mesures ne devraient alors viser que les conséquences de la pollution causée ce jour-là. Plus récemment, l’article 109.1.1 a été introduit pour permettre à un juge d’un tribunal pénal d’imposer au contrevenant la remise en état des lieux. Il comporte la même limite d’application que l’article 115. Art. 31.42 L.Q.E.: «Le ministre peut, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’un contaminant est présent dans l’environnement dans une quantité ou une concentration supérieure à celle établie par règlement adopté en vertu du paragraphe a) de l’article 31.52, ordonner à quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990, de lui fournir une étude de caractérisation de l’environnement, un programme de décontamination ou de restauration de l’environnement décrivant les travaux visant à décontaminer ou à restaurer l’environnement et un échéancier de la réalisation de ces travaux. Le ministre peut également, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’est présent dans l’environnement un contaminant dont la présence y est prohibée par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l’être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens, rendre une ordonnance au même effet à l’égard de quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990. L’ordonnance contient l’énoncé des motifs du ministre et le délai dans lequel doivent lui être fournis les documents. Elle prend effet le seizième jour qui suit celui de sa notification ou à toute date ultérieure que le ministre y indique. Dans les soixante jours de la réception des documents, le ministre approuve, avec ou sans modification, les travaux de décontamination ou de restauration projetés et l’échéancier de leur réalisation. Le responsable visé dans l’ordonnance doit, à la demande du ministre, lui fournir dans le délai qu’il fixe tout renseignement, toute recherche ou toute étude dont il estime avoir besoin pour accorder son approbation. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 263 du propriétaire actuel. Faire de la victime un pollueur dès qu’elle fait face à la migration des contaminants438 et la «Loi du pollueur-payeur» n’est plus que la «Loi de la victime-payeuse». Dès lors que les contaminants migrent à peu près toujours, il n’y aurait plus de différence entre l’auteur d’une pollution primaire et de la «pollution secondaire» qui en découle (encore qu’«auteur» est pour le moins inapproprié dans ce cas). Vu les conclusions de l’affaire Laidlaw, où omission équivaut à commission lorsqu’une personne ne tarit pas la source sous sa garde439, alors le propriétaire du terrain contaminé serait réputé libérer lui-même les contaminants au sens des articles 31.42 et 31.43 L.Q.E. Celui qui aurait appliqué des mesures de confinement pour «tarir» la prétendue source pourrait malgré tout se voir obligé quant aux terrains voisins en tant que pollueur de ces terrains. Par ordonnance, il serait requis d’exécuter un programme de décontamination de l’«environnement» voisin contaminé par son terrain. Paradoxalement, il ne pourrait pas être tenu de décontaminer le sien parce que, dans cet exemple, il n’en serait pas lui-même le pollueur. Nouveau résultat aberrant: la prétendue source resterait hors d’atteinte. Seules ses conséquences accomplies seraient visées. 6.1.1.4 Le responsable de la source de contamination La notion de source de contamination selon la L.Q.E. reste concordante avec la distinction faite entre l’introduction du contaminant et sa migration. La définition utilise un seul verbe, 439. Le responsable visé dans l’ordonnance doit alors exécuter ces travaux conformément à l’échéancier, tels qu’ils ont été approuvés.» (italiques ajoutés). Art. 31.43 (1er alinéa) L.Q.E.: «Le ministre peut, lorsqu’il constate la présence d’un contaminant dans l’environnement dans une quantité ou une concentration supérieure à celle établie par règlement adopté en vertu du paragraphe a) de l’article 31.52, ordonner à quiconque y a émis, déposé, dégagé ou rejeté le contaminant, en tout ou en partie, et ce, même avant le 22 juin 1990, de le ramasser, de l’enlever, de le recueillir ou de le neutraliser et de prendre toutes les mesures qu’il lui indique pour décontaminer ou restaurer l’environnement.» (italiques ajoutés) C’est exactement le cas des propriétaires de terrains résidentiels dans le voisinage immédiat d’une compagnie qui recyclait des accumulateurs au plomb, à Saint-Jean-sur-Richelieu; la contamination du voisinage par le plomb avait provoqué des cas de saturnisme chez de jeunes enfants; ces propriétaires victimes auraient tous, selon l’interprétation large, permis la libération de contaminants dans l’environnement à partir de leurs propres terrains où s’étaient d’abord déposés les contaminants, qui ont ensuite été absorbés par les enfants; si la compagnie était responsable de la contamination initiale, les propriétaires du voisinage devenaient responsables de la contamination secondaire selon la même interprétation. Supra, note 18. 264 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 438. «émettre». L’absence des autres, déposer, dégager ou rejeter, n’empêche pas ici d’y voir le même type de phénomène qu’à l’article 20. Par l’article 25 en effet440, le responsable d’une source de contamination441 peut être contraint de limiter ou cesser non seulement l’émission, mais aussi le dépôt, le dégagement ou le rejet de contaminants. Même si seul émettre est utilisé dans la définition, on ne peut ici le lire comme excluant les autres termes de la série habituelle. Le mot aurait alors une connotation plus large. On peut en tirer une conclusion encore une fois concordante avec l’idée d’introduction des contaminants dans l’environnement. Plus que les autres termes, émettre suppose un mouvement hors d’une chose vers une autre: «produire au dehors, faire sortir de soi, projeter hors de soi»442. Il y a émission lorsqu’un contaminant sort d’un état de chose ou s’il est produit par une activité, et elle se fait vers l’environnement lorsque le contaminant s’échappe ensuite vers le milieu récepteur. Et l’état de chose ou l’activité en constitue la source. Dans ces conditions, si l’article 20 vise l’introduction du contaminant, alors, in pari materia, la «source» de contamination est «toute activité ou tout état de chose» qui introduit un contaminant dans l’environnement, en parfait concordance avec l’arrêt Laidlaw. L’économie générale de la L.Q.E. et les interrelations entre ses dispositions confirment qu’une source de contamination est extérieure à l’environnement. La L.Q.E. contient des dispositions préventives, curatives et prohibitives. Les dispositions curatives expriment au passé la libération de contaminants. La disposition prohibitive par excellence, quant à cette même libération, est l’article 20. Les mesures préventives concernent les sources actives ou potentielles de contamination (les articles 22, 25, 26, 27 et 31.11 et s.). Elles concordent avec une source vue comme extérieure à l’environnement. De même, l’article 70.1 prévoit que c’est l’activité exercée relative aux matières dangereuses qui peut être une source de contamination (la virgule qui suit les mots «matière 440. 441. 442. Art. 25 (1er alinéa) L.Q.E.: «Lorsqu’il constate la présence dans l’environnement d’un contaminant visé à l’article 20, le ministre peut ordonner au responsable de la source de contamination de cesser définitivement ou temporairement ou de limiter, selon les conditions qu’il impose, l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet de ce contaminant.» (italiques ajoutés) «[L]e terme «responsable» pourrait être interprété comme incluant, aux fins du pouvoir d’ordonnance de l’article 25, celui qui a «permis» le rejet d’un contaminant au sens de l’article 20 de la L.Q.E.»: LUSSIER et COBB, supra, note 220, p. 308 (note 54). V. supra, p. 259. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 265 dangereuse» le montre bien)443. Si un sol contenant une matière dangereuse pouvait être, aux yeux du législateur, une source de contamination, l’article 70.1 en aurait tenu compte et aurait été rédigé autrement. Parmi les mesures préventives, l’article 22 est instructif. Mesure préventive par excellence, il assure le contrôle des sources potentielles de contamination. C’est «le pendant nécessaire de l’article 20 de la loi»444. Il vise le fait: • d’ériger une construction; • de la modifier; • d’entreprendre: – l’exploitation d’une industrie quelconque; – l’exercice d’une activité; – l’utilisation d’un procédé industriel; • d’augmenter la production d’un bien ou d’un service; lorsque peut en résulter la libération de contaminants ou une modification à la qualité de l’environnement. Il illustre on ne peut plus clairement ce que veut prévenir le législateur: la pollution causée par ceux qui posent des actes ou créent des situations à risque. Il se donne deux moyens fondamentaux, l’un préventif, 22, l’autre prohibitif, 20445. Voilà les sources de contamination, dans son esprit, et d’autres dispositions le confirment. Tout comme le CWA américain vise les «point sources», le législateur québécois a démontré que la libération d’un contaminant se fait depuis un point, un endroit précis. Ainsi, le demandeur d’un certificat d’autorisation doit indiquer les «points d’émission, de rejet, de déga443. 444. 445. 266 Art. 70.1 (2e alinéa): «L’ordonnance peut consister notamment à faire cesser, temporairement ou définitivement, l’exercice d’une activité relativement à une matière dangereuse, susceptible d’être une source de contamination.» (italiques ajoutés) Martin PAQUET, «Les contrôles de l’administration», dans DAIGNEAULT et PAQUET, supra, note 3, ¶ 45 120. Granicor, supra, note 209: «[L]a loi tend à exercer un contrôle sur l’esprit humain, sur son libre arbitre et sur son activité industrieuse et raisonnée. [...] Si on lit l’article 20 en tenant compte de l’article 22, il est permis d’affirmer que les interdictions et les prohibitions y contenues touchent ce qui découle d’une activité, d’une industrie, d’une opération, d’un exercice quelconque. Tout texte législatif doit s’évaluer à la lumière de la raison et du bon sens.» (italiques ajoutés) Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 gement ou de dépôt dans l’environnement»446 (italiques ajoutés), tout comme la demande d’attestation d’assainissement447. Le contenu d’une attestation est au même effet. Du reste, une lecture complète du régime des attestations d’assainissement, tant dans la L.Q.E. que dans la réglementation, n’est cohérente qu’avec la notion de source extérieure à l’environnement. Par exemple, si 31.16 L.Q.E. permet au ministre d’ordonner que cesse la libération de contaminants, l’article 31.11, qui en prohibe la libération, ne vise que ceux qui proviennent «de l’exploitation d’un établissement industriel» (italiques ajoutés). Clairement, l’introduction de contaminants se fait, dans l’esprit du législateur, à partir de points précis, nécessairement des installations ou des activités d’où s’échappent les contaminants, exactement comme dans la définition américaine de «point source»448. Prétendre que l’environnement lui-même est une source est inconciliable avec ces dispositions à caractère préventif touchant justement les sources. De plus, l’article 25 rendrait redevables toutes les personnes responsables des «environnements» à travers lesquels se propagent des contaminants, résultat particulièrement injuste, surtout par la gravité de la peine imposée, sans compter qu’on multiplie ainsi les infractions là où, si elles avaient été le lot d’un seul et même «auteur», il n’y en aurait eu qu’une seule. De plus, même dans son sens ordinaire, le mot «source» ne peut s’interpréter de la sorte. Soulignons enfin qu’avec ce raisonnement, par un simple confinement, un terrain ne serait plus une source tandis que les terrains non protégés tout autour et contaminés par le premier continueraient vraisemblablement à propager plus loin leurs contaminants. S’agirait-il désormais d’autant de sources secondaires? De nouvelles mesures de confinement ne feraient que reporter plus loin le problème, créant à l’extrême un territoire où les sols seraient tous isolés dans des membranes. Plus de source mais un environnement exactement dans le même état. L’article 25, visant le responsable d’une source de contamination, se prête très mal aux terrains contaminés, tout simplement parce qu’il n’a pas été conçu pour cela449. 446. 447. 448. 449. Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, [Q-2, r. 1.001], art. (8). En vertu des articles 31.16 et 31.17 L.Q.E. V. supra, note 105. «[Ê]tre propriétaire d’un sol sans avoir participé directement ou indirectement ne suffit pas.»: LUSSIER et COBB, supra, note 220, p. 308 (note 54). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 267 6.1.2 Les dispositions associées au statut juridique de la personne en cause S’il n’est pas allé aussi loin que les juridictions voisines, le législateur québécois s’est écarté un peu du cadre strict visant le pollueur pour désigner nommément certaines personnes selon leur statut juridique à l’égard du sol ou des contaminants. Essentiellement, ces statuts sont la garde ou le contrôle de contaminants (114.1 et 115.1), la propriété des contaminants (114.1), ainsi que la propriété (31.46 à 31.50, 106.1 al.2) ou l’occupation d’un sol (106.1 al.2). La propriété et l’occupation du sol ne posent pas de problème. Par contre, la propriété des contaminants ne s’établit pas aussi facilement. Il en est de même de leur garde ou contrôle. 6.1.2.1 La propriété du sol, son occupation Les articles 31.46 à 31.50 et 106.1, alinéa 2, identifient nettement leur cible. Le cas le plus simple est celui des articles 31.46 et ss. Ils visent le propriétaire d’un sol où des contaminants sont présents en concentrations excédant des normes réglementaires. Le texte est clair. Bien que non en vigueur, ces dispositions n’en sont pas moins révélatrices. D’abord, contrairement aux articles 31.42 à 31.45, il n’est question que de sol, non de l’environnement au sens large. Le législateur nous montre, en choisissant le mot «sol» uniquement, sans parler de l’eau, qu’il ne se soucie pas tant du mouvement des contaminants que de leur présence. Ce n’est donc pas la migration qui est en cause ici. Un sol, un propriétaire, des contaminants excédant un seuil, voilà les ingrédients nécessaires, mais le propriétaire ne sera obligé que s’il entreprend certains travaux ou change l’usage du sol. Autrement, l’état peut perdurer. Cela contribue à illustrer l’incohérence d’une responsabilité associée à la migration. Avec le mouvement des contaminants, le propriétaire deviendrait responsable d’une prétendue source et pourrait être sujet à une ordonnance en vertu de 25 ou 26 L.Q.E., obligation qui se résumerait toutefois à limiter ou faire cesser la libération des contaminants, non de décontaminer450. En vertu des articles 31.46 et ss., la seule présence en excès des normes suffirait à forcer la décontamination lors des travaux ou du changement d’usage, alors que le mouvement des contami450. C’est ce qui s’est d’ailleurs produit dans le cas de la compagnie Balmet Canada Inc., où une ordonnance rendue en vertu de l’article 26 L.Q.E. exigeait, comme mesure d’urgence, que soit asphaltée la surface du terrain pour éviter que ne se répande la poussière chargée de plomb: Balmet Canada Inc. c. Ministre de l’Environnement (1989), 6 C.M.Q. 726. 268 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 nants n’entraînerait que l’obligation de le stopper. En d’autres termes, la situation la plus préoccupante entraînerait la mesure la moins radicale. Une lecture parallèle des articles 31.46 et ss. et d’un autre confirme la distinction. Le deuxième alinéa de l’article 126 soustrait l’État à ces articles, de sorte que le dépassement des seuils dans le sol d’une terre de l’État ne permettrait pas au ministre de l’Environnement d’inscrire un avis contre cette terre. Comme les articles 31.42 à 31.45 ne sont pas visés par 126, le dépassement des seuils dans les lots voisins contaminés par les terrains de l’État donnerait ouverture contre lui à une ordonnance de décontamination des lots voisins! Pas de décontamination forcée de la prétendue source, donc, à cause de 126, mais décontamination forcée des lots voisins. Encore une fois, cette interprétation aboutit à des résultats absurdes. Si la migration des contaminants n’est pas pertinente aux articles 31.46 et s., il en est tout autrement du deuxième alinéa de 106.1. Il fait partie de ce qu’on appelle «les amendements Laidlaw»451, commentés par divers auteurs, notamment au sujet de la question de la tolérance452. On a la même terminologie que pour l’infraction de pollution, mais cette disposition révèle encore une fois que la libération des contaminants se produit lors de leur introduction dans l’environnement depuis une source extérieure. Si 106.1 vise le même phénomène que l’article 20, le propriétaire ou l’occupant ne doivent pas tolérer, dès qu’ils en ont connaissance, que l’on introduise des contaminants dans ce sol. Même terminologie, mêmes concepts. On évite d’ailleurs des résultats qui seraient autrement pour le moins inéquitables. De stopper l’introduction d’un contaminant depuis une source extérieure est certainement accessible au propriétaire ou à l’occupant. Mais de stopper sa migration est une tout autre affaire. Présentée et adoptée dans les semaines suivant l’acquittement en première instance des Services environnementaux Laidlaw (Mercier) ltée453, la disposition s’interprète facilement à 451. 452. 453. Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement, L.Q. 1992, c. 56, art. 14. Jean PIETTE, «Les faits marquants de la jurisprudence de la dernière année en droit de l’environnement», dans Formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de l’environnement (1996), 219-238, p. 222; NADON et GRANDA, supra, note 15; PAQUET, supra, note 3. P.G. du Québec c. Services environnementaux Laidlaw (Mercier) Ltée (8 décembre 1992), Beauharnois 760-27-000085-920 (C.Q.), M. le juge M. Mercier, J.E. 93-105 (c’est cet acquittement, confirmé en Cour supérieure, qui a été infirmé par la Cour d’appel dans le jugement Laidlaw discuté tout au long de ce texte, supra, note 18); l’amendement législatif a fait partie du Projet de loi 61 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 269 la lumière des faits de la cause et la lecture qu’en avait alors faite la Cour du Québec: des barils avaient été enfouis à une date lointaine et Laidlaw semblait échapper à toute responsabilité, parce que l’infraction de dépôt était prescrite, ou que ce n’était pas Laidlaw elle-même qui les y avait enfouis, mais son prédécesseur. Bien que Laidlaw fut ensuite condamnée, ce que le législateur appréhendait peut encore se produire. Si des barils étaient découverts, mais sans que leur propriétaire ou l’auteur du dépôt ne puissent être identifiés, le propriétaire ou l’occupant des lieux, informé d’une fuite, aurait à en répondre s’il la tolérait pour l’avenir. Son obligation ne serait pas nécessairement de retirer les barils, quoique d’autres règles pourraient s’appliquer454, mais de stopper l’écoulement, de ne pas tolérer l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet des contaminants hors des barils vers le sol. Par contre, enrayer la progression du panache de contamination n’a aucune commune mesure. Le législateur a ici contourné la difficulté qui se présente lorsque des biens sans maître laissent échapper des contaminants. Il peut aussi contrer la libération de contaminants depuis une installation de surface. Si le responsable de l’installation néglige de le faire, le propriétaire du sol pourrait devoir en répondre. Cette interprétation, la seule à notre avis qui continue de donner un sens utile à la disposition depuis le renversement du jugement ayant acquitté Laidlaw, viendrait confirmer que le propriétaire ou l’occupant n’a pas la garde ou la propriété des res derelictae situées dans son sol et une disposition spéciale est nécessaire pour les rendre malgré tout responsables des dégâts d’une source clandestine. En incluant la migration, la situation se complexifie indûment. D’abord, le propriétaire ou l’occupant sont aux prises avec un fait accompli. Comment alors ne pas être réputés le tolérer? Ils sont dans la situation de la victime considérée pollueuse, avec les mêmes conséquences pénales. Pour les mêmes raisons que l’arti- 454. 270 (34e législature, 2e session), qui avait été présenté en chambre le 3 décembre 1992, c’est-à-dire cinq jours avant le jugement; des articles supplémentaires avaient alors été rapidement introduits au projet de loi, dont l’article 14, destiné à ajouter le second alinéa à l’article 106.1 L.Q.E. L’article 70.8 L.Q.E., par exemple, interdit d’avoir en sa possession une matière dangereuse pour plus de 12 mois sans une autorisation expresse. Les articles 144 et s. du Règlement sur les matières dangereuses, [Q-2, r. 15.2], imposent des mesures de remise en état de l’environnement, dans le cas des lieux de dépôt définitif de matières dangereuses qui, notamment, ont été fermés. L’article 134 du Règlement sur les déchets solides, [Q-2, r. 3.2], oblige celui qui a la garde de terrain de prendre les mesures nécessaires pour qu’il soit libre de déchets en tout temps. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 cle 20 ne peut avoir cette conséquence, le deuxième alinéa de l’article 106.1 ne le peut pas non plus. La lecture contraire entraînerait aussi un autre résultat douteux en culpabilisant le voisin du terrain en cause. En effet, si les contaminants migraient vers un terrain adjacent et que son propriétaire ou occupant en était informé, ce voisin serait alors réputé tolérer la libération des contaminants dans son sol455. L’article 106.1 rendrait coupables les victimes en aval du point d’introduction du contaminant dans l’environnement. Il est difficile d’imaginer plus grande injustice. Comme la Politique de protection et de réhabilitation exige d’un propriétaire qu’il informe son voisin dès que la contamination a atteint le terrain de ce dernier456, il y aurait là un effet particulièrement pervers en donnant au voisin la connaissance qui l’exposerait ensuite à l’article 106.1. Enfin, en refusant de considérer que 106.1 vise la migration, on reste concordant avec l’usage du mot «on» en anglais et avec les faits de l’affaire Laidlaw à l’origine de la disposition. Comme le révèle le jugement final, c’est un cas de pollution classique, non un cas de sol contaminé d’où ont migré des contaminants. 6.1.2.2 Propriété, garde ou contrôle des contaminants «En tant que propriétaire d’un terrain, vous devez assumer la garde des contaminants qui s’y trouvent». C’est la formule consacrée du ministère de l’Environnement dans ses instructions aux propriétaires de terrains contaminés. Si un contaminant est une chose susceptible de garde457, la question est plutôt de savoir comment s’acquiert la garde ou la propriété du contaminant répandu. Nous ne l’aborderons pas in abstracto. Deux dispositions, en effet, visent expressément le gardien de contaminants,114.1 et 115.1. Une seule vise leur propriétaire, 114.1. Les auteurs Baudouin et Deslauriers nous enseignent que la propriété fait présumer la garde458, mais que celle-ci peut aussi être transférée. Il ne s’agit pas ici de la propriété du sol, mais de celle du contaminant. Vu ce lien entre garde et propriété, nous allons examiner en premier lieu le cas du propriétaire. Selon le Code civil, la 455. 456. 457. 458. «With knowledge comes control»: John SWAIGEN, «Case Comment – R. v. Columbia Bitulithic Ltd. (8 C.E.L.R. (N.S.) 7) and R. v. Rivtow Straits Ltd. (8 C.E.L.R. (N.S.) 16)», (1992) 8 C.E.L.R. (N.S.) 23, p. 27. Supra, note 1, § 6.1.2.1 (¶ 2 534). Roberge, supra, note 396. BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 791; voir aussi Gagné, supra, note 221 et P.G. du Québec c. Lévy (16 mars 1994), Longueuil 50505-001693-909 (C.S.), M. le juge G. Mercure, J.E. 94-587. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 271 propriété se perd par l’abandon et celle des biens sans maître s’acquiert par l’occupation volontaire. Les contaminants qui migrent sont des meubles. Journaux ou autres détritus poussés sur la propriété d’une personne n’en deviennent pas pour autant sa propriété. La neige soufflée sur une propriété ne rend pas le propriétaire des lieux propriétaire du sel au printemps. Les règles du Code civil ne permettent pas d’imposer de la sorte la propriété et la L.Q.E. ne peut rendre responsables les victimes malgré elles. De la même façon, l’acquisition d’une propriété immobilière n’entraîne pas automatiquement l’acquisition des biens meubles qui s’y trouvent. L’acheteur pourrait forcer l’ancien propriétaire des lieux à les reprendre. À 114.1, le propriétaire de contaminants déversés qui doit les ramasser ne peut être que le propriétaire de ces contaminants avant le déversement. Le recours du ministre pourrait autrement être déjoué par l’abandon des biens. Pour éviter l’effet de l’article 934, alinéa 2, du Code civil459, 114.1 doit nécessairement viser le propriétaire des contaminants immédiatement avant l’incident. Ceci nous amène au gardien. Tant 114.1 que 115.1 utilisent l’imparfait de l’indicatif. Les responsables interpellés ne sont pas les gardiens actuels des contaminants, s’il en est, mais ceux qui en «avaient» la garde ou le contrôle. L’imparfait ne s’explique que si le législateur recherche ceux qu’il veut relier aux contaminants avant l’incident460. L’imparfait, («avait la garde ou le contrôle») laisse entendre, pour ces dispositions du moins, qu’on n’a pas la garde ou le contrôle d’un contaminant du seul fait qu’il se soit répandu chez soi. La garde ne se transfère pas lorsque les contaminants ont été introduits dans l’environnement. Les participes passés «déversé», «émis», «déposé», «dégagé» et «rejeté» montrent une chose terminée. Or, la migration n’est jamais terminée. Pourtant on vise ici des situations prioritaires (urgence dans le cas de 114.1 et risque réel ou appréhendé dans le cas de 115.1). Dans ces conditions, assimiler migration et émission, dépôt, dégagement, rejet ou déversement ferait en sorte que le législateur ne vise, dans ces cas pourtant prioritaires, que les contaminants qui ont cessé de migrer. La personne obligée d’intervenir ou tenue aux frais est donc la personne qui en «avait» la garde ou le contrôle, plutôt qu’un nouvel et hypothétique gardien. De plus, comme les 459. 460. Supra, notes 229 et 234. Voir, au sujet d’une disposition analogue, Shell Canada Products Ltd. v. British Columbia (Ministry of Environment, Lands and Parks), [1994] B.C.E.A. No. 7 (B.C. Environmental Appeal Board). 272 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 règles de droit civil ne voient qu’un gardien à la fois d’un bien, sauf exception461, l’État se retrouverait gardien de tout ce qui est déversé sur les terres publiques et c’est lui qui serait visé par ces dispositions. En lisant déversement, émission, dépôt, dégagement ou rejet comme autant de manières d’introduire un contaminant dans l’environnement, tout s’éclaire. Que les contaminants migrent ou non n’est pas pertinent. Il suffit que les contaminants aient été introduits dans l’environnement. L’acte déclencheur est accompli dès ce moment, ce qui concorde avec le but d’une mesure préventive. Il suffit, pour 114.1, qu’une intervention d’urgence soit nécessaire pour éviter la propagation. Il suffit, pour 115.1, que les contaminants, une fois introduits, présentent ou puissent présenter un risque462. On pourrait s’en remettre, par analogie, à la responsabilité du fait des animaux sauvages, lesquels se déplacent hors du contrôle de qui que ce soit463, si ce n’est que le contaminant libéré avait un propriétaire ou gardien avant sa libération. Certes, le propriétaire d’un terrain où gîte un animal sauvage a certainement la capacité physique de le contenir et de l’empêcher de nuire. Le droit civil, pourtant, ne lui impose aucune responsabilité. Il n’en est ni gardien, ni propriétaire. Pareillement, il n’y a pas de raison que les contaminants d’un sol qui demeurent mobiles soient sous la garde ou le contrôle, ou deviennent la propriété, d’une personne qui n’en a jamais voulu. Rien dans la L.Q.E. ne permet de modifier les règles d’acquisition de la garde ou de la propriété d’une res derelictae, fût-elle un contaminant. Bref, la L.Q.E. est complète, cohérente et conséquente et le législateur a paré aux éventualités en choisissant les diverses personnes qu’il voulait voir rendre compte d’une contamination. Le seul cas où le propriétaire d’un contaminant est visé est l’urgence, lors d’un accident ou d’une infraction, et il s’agit du propriétaire des contaminants avant leur libération. Quant au propriétaire d’un sol, advenant que les articles 31.46 et s. entrent en vigueur, il ne sera redevable qu’au moment de certains travaux ou de changer 461. 462. 463. BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 803: «il ne peut jamais y avoir qu’un seul gardien dont la responsabilité est engagée du fait des biens.» On peut consulter à ce sujet les faits de l’affaire Lévy, supra, note 458. BAUDOUIN et DESLAURIERS, supra, note 162, ¶ 871: «Certains animaux (dont la plupart des animaux sauvages et le gibier) n’appartiennent à personne et ne sont pas contrôlés par le propriétaire du terrain ou du fonds sur lequel ils gîtent. [citant l’article 934 C.c.Q. ] Lorsque le préjudice est causé par un animal considéré comme res nullius, il ne saurait y avoir de responsabilité, ce dernier n’ayant ni gardien, ni propriétaire.». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 273 l’usage du sol. Il ne semble faire de doute que le législateur, en adoptant les dispositions des articles 20 et 106.1 L.Q.E., ne pouvait viser la contamination migrante, tolérée ou non, causée ou non par quiconque. 6.2 Judiciaire Il y a peu de décisions judiciaires au Québec pouvant jeter un éclairage satisfaisant sur la contamination migrante, mais quelques-unes ne peuvent s’interpréter que dans le sens développé plus haut, ou d’une manière qui soit concordante avec ce développement. 6.2.1 L’affaire Tricots Canada U.S. La première est l’arrêt Tricots Canada U.S464. Une compagnie a voulu réclamer de son assureur les frais de plus de 100 000 $ de nettoyage d’une rivière où s’était propagé du mazout. Après un bris de conduite souterraine, le mazout s’était frayé un chemin dans le sol jusqu’à la rivière. La compagnie a averti les autorités et entrepris de recueillir le produit. La police d’assurance ne couvrait ces dépenses que si l’assuré y était légalement tenu. L’assureur a plaidé avec succès que la compagnie n’avait pas d’obligation légale de contenir ou recueillir le produit échappé. L’article 20 interdit de polluer et, donc, son obligation était de colmater la fuite. Assimiler la progression subséquente du produit à une infraction aurait alors obligé la compagnie à intervenir en aval ou lorsque le produit aurait fait résurgence dans la rivière. La Cour a jugé que l’obligation ne s’étendait pas jusque là et a rejeté la réclamation. 6.2.2 Le jugement Laidlaw Nous avons abondamment parlé du jugement Laidlaw car il a établi clairement que l’omission d’agir pour stopper la libération d’un contaminant, lorsqu’une obligation existe, équivaut à libérer le contaminant dans l’environnement. L’arrêt appuie le principe que la migration d’un contaminant ne suffit pas à engager la responsabilité du propriétaire d’un sol. Cette responsabilité n’est pas entrée en ligne de compte, alors que c’eut été la façon la plus simple de faire condamner l’accusée. Au contraire, puisque la pollution provenait de barils enfouis et qu’elle se produisait au moment et là où les barils fuyaient, il a fallu relier l’accusée, non 464. 274 Supra, note 55. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 pas aux contaminants répandus, mais à leur source, c’est-à-dire les contenants. Tout au plus, cette affaire soulève-t-elle la question de l’abandon d’un bien et de sa garde. La Cour d’appel a-t-elle refusé de reconnaître la possibilité d’abandonner son bien? A-t-elle refusé implicitement cette éventualité parce que les barils se trouvaient sur la propriété même de Laidlaw? Il reste que la garde a précédé l’entrée des contaminants dans l’environnement, ce qui rejoint la lecture que nous avons faite des articles 114.1 et 115.1. 6.2.3 L’affaire Levy L’affaire Levy465 est reliée au tristement célèbre incendie d’un entrepôt de déchets dangereux, dont des BPC, à SaintBasile-le-Grand. Une vaste opération destinée à contrecarrer les effets appréhendés de l’incendie a entraîné des dépenses de 17 millions. L’État s’est prévalu de l’article 115.1 L.Q.E.466 et le recours a été dirigé contre Mark Levy, le propriétaire des lieux et des entreprises exploitant l’entrepôt. L’article 115.1 vise soit la personne qui avait la garde ou le contrôle des contaminants libérés, soit celle qui est responsable de leur libération dans l’environnement467. La Cour s’est appuyée sur la notion de garde et de contrôle pour juger Levy responsable. Elle a aussi relevé qu’il était propriétaire du site. On peut y voir une application de la présomption de garde, mais le jugement ne le dit pas expressément. Toutefois, le défendeur a été réputé en contrôle des contaminants par ses compagnies468. Cette décision maintient le débat à l’intérieur des balises exposées plus haut car, dans ce cas, il y a eu véritablement libération de contaminants depuis l’entrepôt. La cause n’est pas la migration de contaminants déjà libérés. Leur source demeure clairement l’entrepôt incendié. De plus, ils étaient incontestablement sous la garde et le contrôle de Levy avant leur libération dans l’environnement. Après, ils étaient plutôt hors de son contrôle, si l’on peut dire. 465. 466. 467. 468. Supra, note 458. V. supra, note 434. Lévy, supra, note 458, p. 13: «Il lui suffisait [au Procureur général] de démontrer que Levy avait la garde ou le contrôle des contaminants ou encore que Levy était «responsable de l’émission, du dépôt, du dégagement ou du rejet des contaminants» sans égard au fait qu’il ait été poursuivi ou non pour une infraction à la loi.» Id., p. 14: «La preuve, on l’a dit, a démontré que Levy était propriétaire du terrain, site de l’incendie, et qu’il avait, avec ses compagnies, le contrôle des contaminants.». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 275 6.2.4 L’arrêt Thibault Démolition L’arrêt Thibault Démolition469 illustre deux aspects commentés plus haut, à savoir l’interprétation des termes décrivant la libération de contaminants à l’article 20 L.Q.E. et la thèse de l’introduction initiale dans l’environnement quant à l’accomplissement de l’infraction. Il s’agissait d’une poursuite en vertu du «deuxième volet» de l’article 20470. Des déchets interdits se trouvaient sur le site d’un dépôt de matériaux secs. L’accusation visait l’émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet dans l’environnement des déchets prohibés. En première instance, l’acquittement a été fondé sur l’interprétation des mots «déposer» et «dépôt». Pour le premier juge, un dépôt prohibé devait être un enfouissement et non pas un simple empilement. Cette interprétation a été réformée par la Cour supérieure. C’était l’intention du législateur d’utiliser le mot «déposer» à l’article 20 dans son sens courant bien que la règle471 favorisant le sens courant ne soit pas absolue. L’enfouissement n’était pas nécessaire pour qu’il y ait dépôt. L’empilement à même le sol suffisait. L’article 20 se lit donc avec le sens courant des termes. Ce jugement nous éloigne davantage aussi de la thèse reliant l’article 20 au mouvement des contaminants après leur introduction dans l’environnement. Elle a repoussé d’un cran en amont le moment où l’infraction est accomplie, manifestant par là la volonté du législateur d’intervenir le plus tôt possible. L’utilisation du mot «susceptible» à l’article 20 n’aurait autrement presque plus d’utilité. La seule libération de contaminants sur le sol a été suffisante472. Ce qu’il en advenait ensuite n’était pas pertinent à l’infraction. 6.2.5 L’affaire Granicor Granicor inc. exploitait une usine de transformation du granit et projetait de la limaille et de l’eau durant le sciage473. Le certificat d’autorisation prévoyait que les eaux usées seraient rejetées dans un bassin, pour y sédimenter et être recyclées. Le pompage avait cependant fait défaut à cause d’un glissement des solides accumulés, paralysant les activités. Coincés, les dirigeants 469. 470. 473. Supra, note 424. La prohibition était créée dans ce cas-ci par l’article 55 du Règlement sur les déchets solides, [Q-2, r. 3.2]. Telle qu’énoncée par CÔTÉ, supra, note 394. Il y a ici coïncidence avec l’usage de la préposition «on» dans la version anglaise du second alinéa de l’article 106.1 L.Q.E., supra, note 423. Supra, note 209. 276 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 471. 472. de la compagnie ont fait éventrer le bassin. Environ 6 000 mètres cubes de résidus ont alors brusquement emprunté un fossé agricole pour atteindre une rivière. Avec la reprise des activités, les eaux usées ont suivi le même chemin jusqu’à ce que la digue soit réparée, deux jours plus tard. Le jour du déversement principal, une mare boueuse a envahi le terrain avant de s’engager dans le fossé agricole. L’eau de la rivière était blanchâtre sur 800 mètres en aval. Le tout était encore observable le lendemain, jour où les inspecteurs ont prélevé des échantillons, sans compter l’écoulement qui se continuait depuis l’usine. Des poursuites ont été intentées pour infraction aux articles 20 et 22 L.Q.E., pour les deux jours en question. Or, la continuation des effets du déversement massif le lendemain n’est pas entrée en ligne de compte pour déterminer la commission d’une infraction à l’article 20 le deuxième jour. Seule l’existence d’un écoulement moins considérable provenant de la poursuite des activités a été retenue. La preuve n’ayant pas établi hors de tout doute raisonnable que cet écoulement avait une ampleur suffisante pour constituer une infraction, la cour en a fait bénéficier les accusés. Pourtant, le déversement massif de la veille demeurait observable, notamment sa propagation dans la rivière (l’eau blanchâtre) et les effets potentiels du déversement massif avaient, eux, été prouvés. Si la propagation subséquente à un déversement avait été une source d’infraction, cette décision aurait vraisemblablement été différente. 6.2.6 Les affaires Pelchat et Eldorado Dans Pelchat474, la Cour supérieure a laissé entendre que l’article 20 L.Q.E. pouvait s’appliquer à la migration de contaminants provenant d’un terrain. Refusant un moyen préliminaire du défendeur, la Cour a estimé qu’il pouvait y avoir recours civil contre le propriétaire du terrain sur la base de cet article. «[L]’article 20 L.Q.E. interdit de permettre le dégagement dans l’environnement d’un contaminant au-delà de la concentration prévue par règlement», rappelle la Cour. Il s’agissait toutefois d’une décision préliminaire et la cause ne s’est pas rendue au fond. Dans l’affaire Mines d’or Eldorado475, la Cour a refusé de reconsidérer une ordonnance émise en vertu de l’article 25 L.Q.E. L’appelante alléguait qu’elle aurait dû être fondée sur l’article 31.43 puisqu’il n’y avait pas, selon elle, de contamination dynamique ou encore 474. 475. Supra, note 163. Supra, note 106. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 277 active. Toutefois, la Cour a souligné «que le sous-ministre avait «constaté» que l’appelante était responsable d’une source de contamination active et entre autres, un réservoir fuyait»476 (italiques ajoutés). Elle a aussi rejeté un argument fondé sur la multiplicité des chefs d’accusation, au motif qu’il y avait plusieurs sources de contamination, que les mesures auraient pu faire l’objet d’autant d’ordonnances distinctes et qu’il était donc possible d’enfreindre séparément les diverses dispositions de l’ordonnance émise. Les sources distinctes étaient notamment des barils de trioxyde d’arsenic et un réservoir. Sur la multiplicité des chefs, cette décision accrédite le principe d’une infraction de pollution pour chaque source de contamination. Dans ce cas, d’assimiler un sol contaminé à une source de contamination, en sus de la source initiale, autoriserait la multiplication des chefs, pour chaque source secondaire se succédant en aval du rejet initial. Or, les décisions rendues en application de la Loi sur les pêches477 et celles rendues en vertu de la Loi sur les ressources en eau de l’Ontario478 s’y opposent. Ces deux lois font une infraction du fait de rejeter des substances nocives dans l’eau, ou encore dans un endroit d’où elles peuvent atteindre cette eau. Deux situations différentes, mais les tribunaux ont obligé la poursuite à n’en choisir qu’une, a fortiori lorsqu’une seule situation est prévue (l’infraction générique de pollution). 6.3 Commentaire Le droit québécois, dans ses dispositions générales relatives à la pollution, tant au plan pénal qu’administratif, ne s’écarte pas des grands principes présidant à l’interprétation de telles dispositions, dans les systèmes juridiques passés en revue. Une lecture de l’article 20 L.Q.E., conséquente avec les autres dispositions visant les sources de contamination ou les cas où la contamination est accomplie, permet de faire échec à ce qui serait manifestement un effet inapproprié, par son iniquité notamment, sans compter les conflits et contradictions potentiels avec ces autres dispositions. Une chose est sûre, sanctionner l’introduction du contaminant dans l’environnement est compatible avec les objectifs de la L.Q.E. et, sans difficultés d’interprétation ni effort de conciliation des textes, rend concordantes toutes les dispositions pertinentes de la Loi et les rend compatibles avec le sens ordinaire des mots 476. 477. 478. 278 Id., p. 7. Supra, note 148. Supra, notes 124 (lois de 1970) et 328 (lois de 1980). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 utilisés à l’article 20. Elle permet d’éviter les conséquences que les commentateurs et tribunaux de plusieurs juridictions ont appréhendées. Elle met à l’abri la victime, elle évite de piéger l’accusé dans une situation imprescriptible de non-retour, elle ne multiplie pas à l’infini les possibilités d’accusations. Cette interprétation n’entraîne aucun vide juridique. Ce qui est prohibé, c’est de souiller initialement l’environnement, qu’il y ait ou non des conséquences observables. Leur seule possibilité suffit. Les personnes visées sont celles qui, par leurs activités ou par des installations dont elles ont la responsabilité, peuvent être auteurs de la libération de contaminants, par action, omission ou permission. Quant aux situations accomplies, en infraction ou non à la L.Q.E., le législateur s’est doté de divers moyens qui ne justifient pas d’étendre à outrance le sens des termes pour viser des cibles qu’il n’a pas jugé utile d’inclure. Les législatures qui ont des dispositions visant directement les terrains contaminés ont chaque fois identifié de façon précise les personnes qu’elles voulaient rendre responsables. Compte tenu des accrocs majeurs qu’une conclusion contraire pourrait causer à plusieurs principes fondamentaux de justice reconnus par notre droit, il faut conclure que le législateur a choisi ses cibles clairement. Les personnes responsables au-delà des règles du droit commun sont identifiées. Rien dans notre jurisprudence n’appuie la thèse voulant que la migration des contaminants puisse entraîner une contravention à l’article 20 L.Q.E. Au contraire, il y a toujours eu quelque part une source extérieure, dont quelqu’un a été jugé responsable. C’est en vain que l’on cherchera dans les décisions rapportées par les auteurs Duplessis, Hétu et Piette479, dans la jurisprudence inédite que les premiers ont également compilée480, dans les lois annotées publiées par les Yergeau481 et les Rivest et Thomas482, ou encore dans les centaines de jugements répertoriés dans L’environnement au Québec483, quelque arrêt faisant valoir autre chose qu’une approche fondée sur des sources ou des causes extérieures à l’environnement, des sources ou des causes artificielles et tangibles, attribuables à l’action humaine. Au contraire, toutes les décisions concordent 479. 480. 481. 482. 483. Supra, note 23. Yvon DUPLESSIS, Jean HÉTU et Lise VÉZINA, Jurisprudence inédite en droit de l’environnement, 1980-1992, Cowansville, Yvon Blais, 1994. Supra, note 171. Robert L. RIVEST et Marie-Andrée THOMAS, La Loi sur la qualité de l’environnement et sa réglementation annotées, Cowansville, Yvon Blais, 1995. Supra, note 3. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 279 avec cette approche. Faire abstraction des sources extérieures serait incontestablement du droit nouveau. Pour attribuer au propriétaire ou à l’occupant d’un sol la responsabilité de la migration, il faudrait assimiler la migration à la libération des contaminants, le sol à une source de contamination ou le propriétaire du sol au propriétaire ou au gardien des contaminants répandus. Or, que ce soit conceptuellement ou juridiquement, de telles analogies entraînent des incohérences et des aberrations qui, par le fait même, confirment que telle n’a pu être l’intention du législateur. Elles tiennent au fait que l’on étend au-delà de ce qu’admettent les concepts usuels reliés à la contamination de l’environnement et que l’on pousse dans un champ théorique et abstrait la portée de phénomènes qui ne peuvent être valablement appréhendés que dans le concret. 6.3.1 La source dite «secondaire» Une grande part du débat tourne autour de la notion de source de contamination qui contient celle de libération de contaminants. Si le sol était une source, il serait tout au plus une source dite «secondaire». Un sol contaminé de façon naturelle n’existe pas. Objectivement, l’environnement naturel est sans qualité. Il peut être hostile à l’humain, la faune ou la flore. Par exemple, un sol riche en minerai d’uranium sera radioactif. Ce sera sa propriété, mais il ne sera pas contaminé. La chaleur ou un rayonnement peuvent être des contaminants, mais un air excessivement chaud l’été n’est certes pas contaminé! La contamination est invariablement un phénomène artificiel. La source doit nécessairement être constituée de facteurs matériels extérieurs à l’environnement, dont l’activité humaine est la cause. Cela dit, rien n’exclut que la libération des contaminants se fasse de manière autonome, mais il ne faut pas confondre la libération autonome des contaminants avec le comportement autonome des contaminants une fois libérés. Tout n’est par la suite qu’une question de temps pour que la migration s’étende. La source dite «secondaire» suppose une abstraction. Prenons l’exemple d’un réservoir qui s’écoule peu à peu. Le mouvement s’amorce par la gravité et celle-ci continuera à agir à l’extérieur. Elle contribuera à la progression du contaminant. Selon les obstacles rencontrés, le mouvement sera plus ou moins lent. Il pourra parfois s’interrompre, mais il aura commencé le jour de la fuite. L’enlèvement subséquent de l’équipement aura tari la source, mais n’aura rien changé à la progression du produit. 280 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 C’est ici qu’intervient la première abstraction, celle de la source dite secondaire. Elle n’existe que par une remontée du temps interrompue là où l’observateur l’a décidé. Dans notre exemple, après un certain temps, on aura un filet ou un panache s’étendant sur une certaine distance. Il pourra progresser en surface du sol, ou sous la surface, mélangé ou non à l’eau souterraine. Si la fuite est continue, le produit aura peut-être parcouru plusieurs mètres au bout d’un an et le filet ou le panache pourra être ininterrompu depuis la source. Dans ce cas, autrement que par pure abstraction et d’une manière tout à fait arbitraire, on ne peut, au-delà de la source matérielle qu’est le réservoir, délimiter sur le parcours du produit ce qui serait une nouvelle source. Si le sol absorbe difficilement le produit, on pourra avoir une accumulation temporaire du produit près du point d’entrée, mais ce lieu d’accumulation n’est pas une source. Ce serait plutôt le contraire. Le phénomène ne cause pas une libération de contaminants (s’il s’agit même d’une libération), mais s’oppose à sa progression et en ralentit l’épanchement. Le sol est ici en train de freiner le produit. Peut-on qualifier de source ce qui bloque ou ralentit? Mais cet exemple n’est guère nécessaire, puisqu’il relève du sens commun que, tant et aussi longtemps qu’il y aura un réservoir qui fuit, ce sera le réservoir et rien d’autre qui constituera la source des contaminants, que l’on prenne ou non la L.Q.E. en considération. Ce dont il faudrait se convaincre, c’est qu’une fois le réservoir enlevé, la source serait conceptuellement déplacée en aval et le milieu récepteur (le terrain) deviendrait désormais la source, en substitution de la première. Du reste, de quelle contamination ce terrain serait-il la source, sinon du même terrain en périphérie, eau souterraine et sol confondus? Entité non délimitée au plan environnemental, il serait la source de la contamination d’un terrain, qui n’est pas davantage délimité et se confond avec le premier, si l’on ne tient pas compte de la tenure. Alors, il devient incontournable de fragmenter le tout pour tenter juridiquement de distinguer le prétendu terrain source, surtout si le panache de contamination est considérable. Si le jour où le réservoir est retiré des lieux, le panache couvre désormais des centaines de mètres carrés, en vertu de quels critères (conséquents avec l’application de la L.Q.E.) distinguera-t-on la source du reste du terrain pour identifier ensuite le responsable? Sera-t-elle l’ensemble de la zone contaminée? Devra-t-on conclure que la nouvelle source est l’étendue de la contamination au moment où la source première est tarie? Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 281 On pourrait disserter longtemps sur ces notions, mais elles portent en elles-mêmes les limites de leur application. La source secondaire, par exemple, est un paradoxe lorsqu’en aval de la première. Dès qu’une source est l’aval d’une autre, c’en n’est déjà plus une. Un milieu qui reçoit de l’amont une substance qui poursuit sa progression n’est pas une source, c’est un chemin emprunté par la substance, dans son inexorable avancée dans l’environnement. A-t-elle été un moment retenue par ce même milieu, parce que s’y trouvait une barrière naturelle? Cela ne peut suffire à transformer en source ce qui, dans les faits, n’est qu’un obstacle. 6.3.2 L’émission du contaminant Quant au phénomène d’émission, son application à un sol où des contaminants sont en mouvement défie logique et réalité. En lui attribuant son sens ordinaire, qui est plus qu’un simple mouvement, mais un déplacement qualifié en fonction d’une source, en fonction d’une entité dont quelque chose est en train de sortir, alors, le contaminant ne sort vraiment de l’environnement que lorsqu’il envahit une structure, un habitacle, une chose qui est elle-même hors de l’environnement. Pour que l’environnement émette quelque chose, il faut que cette chose en soit extraite. C’est ainsi qu’un gaz comme le radon, qui s’infiltre dans un sous-sol, peut être considéré comme émis par l’environnement lui-même. Mais comment le sol peut-il, à moins de déformer le sens des mots, s’émettre en lui-même quelque chose. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Lorsqu’il y a migration, l’environnement se «contamine» lui-même. On conçoit facilement qu’un système fermé n’émet rien tant que les substances qui s’y trouvent circulent d’une composante à l’autre sans en sortir. Par analogie, le contaminant exogène qui se trouve dans un système naturel n’a pas encore été émis, tant qu’il n’est pas sorti du système naturel. Lorsqu’il y a migration de contaminants, ces contaminants restent dans l’environnement. Cela est inhérent au concept même. Ils se déplacent, parfois dans une direction, parfois dans un va-et-vient alternant avec les fluctuations de l’eau souterraine. Appeler «émission» une migration est donc là aussi, un paradoxe. Alors que rien n’est produit au-dehors, on choisit une terminologie qui sous-entend le contraire. Dans la masse indifférenciée qu’est le sol ou l’eau souterraine, on crée artificiellement des divisions, des frontières, pour pouvoir affirmer, une fois ce postulat établi, qu’il y a passage d’une division à l’autre, qu’une frontière par ailleurs intangible, théorique, a été franchie. 282 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Source dite «secondaire» et migration assimilée à émission supposent donc deux postulats absolument nécessaires pour que ces mots puissent dire autre chose que ce qu’ils signifient au départ, pour leur permettre de s’appliquer à des choses ou des phénomènes qu’autrement, ils ne pourraient désigner. Entre la source et l’aval, on doit intercaler ce que l’on choisit délibérément de nommer source, mais en évitant d’en interposer d’autres, plus bas, et en faisant abstraction, nécessairement, de la source véritable. Dans le milieu que traverse un contaminant après y avoir été introduit par la source véritable et avoir séjourné plus ou moins longtemps à proximité du point d’introduction, il faut concevoir une zone, un point, un espace que l’on décrit comme émettant le contaminant. Mais des milieux ainsi traversés, on en trouvera de semblables tout au long de la progression du contaminant qui, à moins de ne pas poursuivre le raisonnement jusqu’au bout, sera constamment émis vers un autre point théorique qu’en conséquence, il n’atteindra jamais. Si l’Administration prétend à l’existence d’une source secondaire, il lui faut admettre qu’il y a des sources secondaires, en cascades, l’une étant la source de la suivante, à l’infini. L’infraction ne serait finalement jamais accomplie. 7. CONCLUSION On ne saurait rechercher en responsabilité pénale ou administrative la personne aux prises avec un terrain contaminé du seul fait que les contaminants présents s’y déplacent, sans forcer le sens et la portée des dispositions législatives pertinentes et, surtout, sans aboutir à des résultats qui font violence aux principes de l’équité et de la justice fondamentale. Généralement, lorsqu’en apparence une loi a un tel effet, c’est déjà une invitation à l’interprète de se montrer prudent. Dans la démarche voulant mettre en cause le propriétaire d’un terrain (ou encore son gardien ou son occupant), on voit déjà, éloquemment, bien des bémols posés par ceux-là mêmes qui réclament cette mise en cause: on ne saurait par exemple accepter que le petit propriétaire résidentiel assis malgré lui sur une soupe chimique en devienne lui-même le premier responsable, dès que le véritable pollueur est introuvable; l’État qui, par son ministre de l’Environnement, émet des ordonnances et, par le Procureur général, poursuit les pollueurs, ne se met pas en cause comme pollueur quant à ses propres sites qui, pourtant, sont légions, depuis les cours d’eau dont les sédiments ont été pollués jusqu’au tréfonds des anciens sites miniers, en passant par tous ces sites dits «orphelins». Comme l’a si bien dit Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 283 une cour de district américaine: «No one likes to clean up a mess, much less pay the cost of it...»484. La société est confrontée à un dilemme. D’une part, elle a toléré pendant des générations des atteintes massives à l’environnement, dont elle a collectivement profité. D’autre part, devant l’ampleur et, surtout, la pérennité des dégâts, elle souhaiterait faire marche arrière. Personne n’aime nettoyer des dégâts, la société est donc contrainte à chercher des responsables. Mais le temps a souvent fait disparaître les véritables auteurs, d’où les tentatives de mettre en cause des tiers ayant simplement le malheur d’avoir un lien quelconque avec le milieu détérioré, soit parce qu’ils le possèdent, soit parce qu’ils l’occupent, soit parce qu’ils s’en servent. 7.1 Ne pas pousser trop loin le sens des mots L’auteur Bronston nous rappelle la tentative américaine d’étendre la responsabilité créée par les lois environnementales485. Il relate comment le législateur, devant les limites inhérentes au concept traditionnel de pollution, a conçu le CERCLA pour viser un plus grand nombre de responsables. Il y a même eu au départ une véritable frénésie dans la recherche des responsables, acharnement qui semble maintenant temporisé par les plus récents jugements des cours de circuit. En Ontario, le frein a été appliqué en 1992 dans l’affaire NWP. Ce que ce jugement a rappelé, c’est que l’infraction de pollution demeure une infraction de pollution et que c’en est une lecture indûment généralisatrice que de l’appliquer à la migration. Le jugement de première instance ne résulte pas d’une exégèse de la loi, mais procède du bon sens. On s’en rend facilement compte lorsque l’on en suit le raisonnement486. C’est une mise en garde dans la lecture des textes rédigés inévitablement en termes très larges. On pourrait scruter et décortiquer à l’envi les dispositions pertinentes des lois environnementales. Il est assuré que l’on pourra trouver une manière de les lire qui desserve la cause de ceux qui souhaitent 484. 485. 486. 284 Hydro-Manufacturing, supra, note 169. Supra, note 11, p. 622-623: «Given the magnitude of the problem caused by hazardous waste disposal at abandoned sites, it should not be surprising that courts attempted to construe the disposal definition under RCRA so as to promote liability ». Canadian National Railway, supra, note 35, p. 223: «We are of the opinion that, on a proper reading of the Act, the source of contaminant must be some source outside the natural environment and not from a source that is part of the natural environment itself. Otherwise, contaminated lake water, changed by the Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 responsabiliser les propriétaires. Les lois environnementales sont nécessairement rédigées en termes généraux487, et généreux. Il est donc possible, mais risqué, de leur donner une portée extrêmement large. Citant Andrew S. Butler, la Cour suprême insiste sur la nécessité de lire les dispositions pertinentes dans leur contexte véritable488. C’est justement l’exercice qu’a fait la justice ontarienne dans l’arrêt NWP. Le jugement vient nous dire comment doivent être lues les dispositions de la L.P.E.O., parmi plus d’une lecture possible. Pour qui aura consulté la loi de l’époque, il est clair qu’on peut la lire de manière à rendre responsable le propriétaire d’un terrain où se produit une migration. Sa rédaction est suffisamment large. Mais la Cour a beaucoup insisté sur l’aberration qui en résulterait. Il ne faut pas imposer «an undue and improper strain upon the interpretation». C’est pourquoi, d’appliquer l’infraction de pollution à la seule migration des contaminants aboutit, dans la L.Q.E., à des résultats incohérents, lorsque toutes les dispositions apparentées sont juxtaposées et comparées et qu’une même interprétation est donnée à des termes identiques ou similaires. La L.Q.E., en effet, n’échappe pas à la règle établie par la Cour suprême. Comme ailleurs, le législateur a choisi une rédaction générale et englobante. Il s’attend à ce que les distinctions appropriées soient faites. 487. 488. natural water cycle to cloud and to rain upon land, then by seepage into the land or drainage to a river, and then to another lake, would make that latter lake water and all the intervening moisture, whether it be cloud, rain, soil or river, all sources of contaminant for which persons would be responsible. It would make persons responsible even if they had no knowledge of there being a contaminant or, if they did, where it came from, because they were the owner, occupant or in charge of the land or river or the other lake. The same analogy could apply to a situation where a person owns land located between a farm and a lake. If the farmer uses excessive fertiliser, it could become a contaminant that seeps through the farm soil or runs into the abutting land or seeps into the soil of the abutting land, and through it into the lake. The intervening property owner would have no knowledge, either of the contaminant or its location. The contaminant entered the natural environment on the farm, and the owner of the in-between lands could not be said to be the owner of the source of contaminant. It would be an undue and improper strain upon the interpretation of the definition of a natural environment in s. 1(1)(k) to read it as being disjunctive, and to cover natural movements of contaminant from one part of the natural environment to another.» Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1073-1074. «A Presumption of Statutory Conformity with the Charter» (1993), 19 Queen’s L. J. 209, p. 222; cité dans Canadien Pacifique, supra, note 67, p. 1071: «In such instances, however, the expectation of legislators will invariably be that courts will flesh-out the generality of the provisions through interpretation based upon experience.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 285 7.2 Respecter les choix du législateur Le problème n’est pas sans solution. D’autres législatures en ont fait la démonstration. S’il faut rendre responsable le propriétaire, il est tout à fait possible de le dire clairement. C’est ce que les États-Unis ont fait, la Colombie-Britannique aussi, de même que, dans une certaine mesure, l’Ontario. Toutefois, et cela se lit sans équivoque dans le CERCLA américain et le Waste Management Act de Colombie-Britannique, ce que le législateur a prévu, ce n’est pas tant d’imposer au propriétaire le fardeau d’assumer seul la décontamination, mais plutôt de lui transférer le rôle de cotiser l’ensemble des responsables. Commentant le CERCLA, une cour américaine a rappelé que l’État pourrait assumer cette responsabilité et se mettre ensuite à chercher des responsables489. On a choisi de faire jouer ce rôle au premier intéressé, celui qui aujourd’hui a en sa possession ou sous sa garde un site contaminé. Mais même sous une loi d’aussi grande portée, existe néanmoins la défense de l’innocent owner, qui ne pourrait pas trouver d’application si la migration était assimilée à la pollution. Ce débat était vraisemblablement connu de la Colombie-Britannique. Les nouvelles dispositions du Waste Management Act, en effet, ont abordé la migration. Elles n’en ont pas fait une infraction de pollution, mais elles ont néanmoins inclus, parmi la liste des personnes potentiellement responsables, celles qui exploitent ou possèdent le site d’où migrent les contaminants. Lorsqu’un terrain a été contaminé par migration, son propriétaire n’a donc pas à en rendre compte. Ces lois ne font pas du propriétaire un pollueur et elles laissent intact le régime pénal et administratif couvrant l’infraction de pollution. Elles créent un régime de responsabilité sui generis, clair, précis. La victime n’est pas taxée de pollueur ni exposée aux rigueurs des dispositions pénales qui sanctionnent la pollution. Elle peut mettre en cause les personnes ayant provoqué la contamination et se faire dédommager. Lorsqu’on la taxe de pollueur, tous ces avantages s’écroulent car elle devient alors pleinement responsable. C’est elle qui est réputée en infraction, c’est elle qui doit répondre de l’acte dont on l’accuse. Elle ne peut se tourner vers un tiers responsable, sauf pour démontrer qu’ellemême n’a pas commis l’acte. Cependant, pour le propriétaire d’un terrain d’où migrent des contaminants, lorsque l’infraction reprochée vise cette migration, cette défense est impossible. Associer 489. 286 V. supra, p. 227, le passage cité de l’arrêt Distler, note 253. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 migration tolérée et pollution par omission, en vertu de la L.Q.E., aurait pour effet de culpabiliser la victime, de l’exposer à une lourde obligation, de la priver pratiquement de toute défense utile, de créer une contravention virtuellement imprescriptible, d’entraîner ni plus ni moins que sa dépossession et de l’affliger des pires peines prévues par la Loi. Ce scénario ne peut être voulu par le législateur à l’égard d’une personne qui n’aurait rien fait d’autre que d’exercer l’acte légitime de posséder un immeuble; non pas une installation, une structure ou un équipement qui pourrait à la rigueur justifier une responsabilité de gardien, mais un sol, une composante de l’environnement, le plus souvent dégradé par un tiers de surcroît, une situation où la pollution a déjà fait son œuvre. Les règles d’interprétation suivantes, tirées de la décision Canadien Pacifique490 ne permettent pas d’arriver à pareille conclusion: Lorsqu’une disposition se prête à plus d’une interprétation, le principe de l’absurdité peut permettre de rejeter les interprétations qui entraînent des conséquences négatives, puisqu’on peut présumer que le législateur ne voulait pas de telles conséquences. Les tribunaux ont donc pour rôle d’interpréter et de clarifier le langage d’une disposition législative et, partant, de déterminer la sphère de risque. Lorsqu’une partie prétend qu’une loi a une portée excessive ou qu’une peine est cruelle et inusitée, le tribunal doit procéder à une analyse de la proportionnalité. 7.3 Rechercher l’«avertissement raisonnable» Une telle conséquence juridique n’est pas un «avertissement raisonnable»491. Cela vaut tant pour la migration simplement tolérée, que pour celle qui fait suite à un acte de pollution au sens strict. Autrement, on appliquerait à des phénomènes similaires, quant à leur manifestation et leurs conséquences, des solutions différentes. L’infraction sanctionne l’introduction initiale du contaminant dans l’environnement sans égard aux conséquences observables. C’est le choix qu’a fait le législateur. Cela ne laisse cependant pas l’Administration sans ressources. La L.Q.E. contient déjà des dispositions pour faire face aux conséquences elles490. 491. Supra, note 67, respectivement aux pages 1082, 1088 et 1091. Nova Scotia Pharmaceutical Society, supra, note 138, p. 634: «Du point de vue du fond, l’avertissement raisonnable réside donc dans la conscience subjective de l’illégalité d’une conduite, fondée sur les valeurs qui forment le substrat du texte d’incrimination et sur le rôle que joue le texte d’incrimination dans la vie de la société.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 287 mêmes. Comme elles n’offrent pas de recours au propriétaire contre les personnes à l’origine de la contamination, contrairement aux lois d’autres juridictions, il y aurait sûrement lieu pour le législateur québécois de s’inspirer de régimes comme celui établi par la Colombie-Britannique, afin d’assurer aux justiciables un traitement plus juste et plus équitable. L’environnement est un tout. Le voir autrement menacerait les objectifs de la L.Q.E. Ses composantes s’entremêlent. Il y a de l’eau dans l’air, des particules de sol dans l’eau et le sol contient et de l’eau et de l’air. Les parties solides, liquides et gazeuses de l’environnement ne se distinguent que par leurs propriétés qui entraînent leur séparation en fonction de leur densité respective. Chacun de ces milieux est une masse sans limites physiques apparentes. Dans chacun de ces milieux et entre eux, donc, les contaminants évoluent à l’intérieur de la même masse globale. Dans ces milieux, le contaminant ne fait que poursuivre la course qu’il a amorcée au moment où il a été libéré dans l’environnement. Tout ce qui se passera en aval sera tributaire du moment choisi pour l’observer. Au-delà de la frontière évidente et indiscutable que représente le point de franchissement entre l’extérieur et l’intérieur de l’environnement, on se perd nécessairement en nuances et en distinctions arbitraires pour arriver à isoler ce qui pourrait constituer une source de pollution. L’acte de pollution apparaît comme un concept en soi et il existe une convergence dans la façon dont il est perçu sous diverses juridictions. Le pollueur est le pollueur. C’est ce qu’a exprimé en termes clairs et simples le juge Dickson dans Sault-Ste-Marie. La règle est précise, la sphère de risque bien circonscrite et la salubrité de l’environnement protégée en amont, là où elle doit l’être. Cela n’empêche pas le législateur d’envisager d’autres mesures pour assurer la remise en état de l’environnement, lorsque celui-ci a été dégradé. Comme l’ont exprimé certaines cours américaines, le Congrès des États-Unis a choisi de faire porter par l’entreprise privée les coûts de la restauration, quitte à ce que ce responsable expressément désigné se retourne contre le véritable pollueur ou contre le responsable de la source de contamination à l’époque où celle-ci contaminait l’environnement. Sur ce plan, le législateur jouit d’une grande liberté de choix, ses seules contraintes étant la Constitution et les conséquences politiques de ses choix. Laissons-le nous le dire clairement. 288 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 CHRONIQUES DROIT COMMERCIAL Joy GOODMAN* Stipulations de restriction d’usage, clauses de non-concurrence, d’exclusivité et de «rayon» INTRODUCTION Il existe différentes situations où une entreprise peut chercher par contrat à se mettre à l’abri de la concurrence: contrat d’emploi ou contrat de vente d’entreprise contenant une clause de nonconcurrence1, clauses d’exclusivité ou de «rayon2» se trouvant dans un bail, ainsi que la stipulation de restriction d’usage d’un immeuble, que les parties qualifient de «servitude réelle». La forme la plus connue de ce dernier type de clause est sans doute la «servitude non alimentaire» dont la regrettée chaîne d’alimentation Steinberg fut le pionnier. Le but du présent article est de présenter un cadre d’analyse pour les clauses de restriction d’usage ayant trait aux immeubles, d’en examiner la qualification juridique à titre de servitude réelle, de servitude personnelle ou d’obligation personnelle, et d’en considérer les critères de validité et d’opposabilité à titre d’obligation personnelle. L’utilité de la servitude réelle réside dans le fait qu’elle soit un droit réel, en principe perpétuel, et qu’à ce titre elle grève le fonds servant (donc n’est pas affectée par l’aliénation de l’immeuble servant) et est au bénéfice du fonds dominant (ce qui implique que c’est le propriétaire actuel du fonds dominant qui en bénéficie). La servitude personnelle constitue également un droit réel qui suit le fonds servant, mais au bénéfice d’une personne plutôt qu’un fonds de terrain. Étant plus aléatoire que la servitude réelle, selon certains auteurs, elle a obligatoirement une durée limitée. L’obligation personnelle ne confère pas de droit de suite. Elle reste soumise à la règle * Joy Goodman, Loto-Québec. L’auteure remercie Me Manon Jolicœur. 1. Les clauses de non-concurrence stipulées dans les contrats d’emploi sont régies par l’article 2089 C.c.Q. 2. Il existe deux types de clauses dites de «rayon». Dans le premier type, le locateur s’engage, pendant la durée du bail, à ne pas permettre l’utilisation pour des fins qui font l’objet de l’exclusivité du locataire, de tout immeuble lui appartenant dans un territoire défini en termes de distance à partir du centre commercial (c’est-à-dire dans un rayon de x km. du centre commercial). Dans le second type de clause de rayon, le locataire s’engage, en cours du bail, à ne pas exercer un commerce similaire dans un territoire donné. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 289 de la relativité des contrats, et donc, en principe, ne peut être invoquée contre des tiers. Le bénéficiaire d’une restriction d’usage a tout intérêt à ce que la clause soit réputée être un droit réel, car c’est seulement de cette façon qu’il peut assurer que son droit ne sera pas affecté par une aliénation de l’immeuble par son cocontractant. LA SERVITUDE RÉELLE Aux termes de l’article 1177 C.c.Q., La servitude est une charge imposée sur un immeuble, le fonds servant, en faveur d’un autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent. Cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d’usage ou à s’abstenir lui-même d’exercer certains droits inhérents à la propriété. Pour sa part, l’article 499 C.c.B.-C. se lisait comme suit, La servitude réelle est une charge imposée sur un héritage pour l’utilité d’un autre héritage appartenant à un propriétaire différent. Lamontagne 3 observe que «les articles 1177 et s. C.c.Q modifient peu le droit antérieur en matière de servitude. Celle-ci demeure un démembrement du droit de propriété (911, 1119 C.c.Q., id., 405 C.c.B.-C.), qui permet d’augmenter l’utilité d’un bien en l’affectant à la disposition de plusieurs personnes, et ce dans le respect de l’ordre public (9 et 1373 C.c.Q., id., 545 C.c.B.-C.)». Selon les auteurs4, les conditions suivantes doivent être satisfaites pour qu’il y ait servitude réelle: • Deux immeubles désignés dans l’acte, soit le fonds servant et le fonds dominant. • Les immeubles appartiennent à des propriétaires différents. • Le droit est consenti en faveur du fonds dominant. • Le voisinage utile (mais pas nécessairement la contiguïté) entre les immeubles. Décary5 rappelle que la servitude, à titre de démembrement du droit de propriété, doit être interprétée restrictivement, qu’elle s’interprète «d’après le titre qui la constitue et l’intention des parties»; c’est «la substance de l’acte, et non le nom que les parties y ont donné, qui détermine s’il s’agit d’une servitude». Dans les jugements dans Segal c. Ross6 et Zigayer c. Ruby 3. Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 3e édition, 1998, Éditions Yvon Blais Inc., p. 329. 4. LAMONTAGNE, id., p. 330 et s.; MARLER’s Law of Real Property, Buroughs & Co., 1932, p. 250 et s.; Jean-Guy CARDINAL, «La propriété immobilière», (1965) 68 R. du N 99. 5. Robert DÉCARY, «De la validité d’une «servitude» de non-usage à des fins commerciales dans une zone commerciale», (1977) 80 R. du N. 63, 66 et s. 6. [1962] R.L. 385 (C.S.). 290 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Foo’s (Montreal) Ltd.7, la Cour supérieure avait vu dans la stipulation de restriction d’usage une servitude réelle. Les décisions dans Gestion Lepco c. Nard8 et Industries Bonneville c. Placements Paul Bernard Ltée9 sont allées dans le sens contraire. Dans Segal10, le juge Challies dit ceci: The Court is of the opinion that the right called a servitude complies with the requirements of Art. 499 c.c. as there is a charge imposed on one real estate for the benefit of another belonging to a different proprietor. As Mignault says (Droit civil, t. 3, p. 7): Elle consiste de la part du propriétaire du fonds asservi à souffrir ou à ne pas faire quelque chose; elle ne l’oblige point à faire. It is not necessary that the two properties be contiguous. Marler, No. 252, p. 103. The right in the deed is an obligation not to do something, namely not carry on certain trade and not to have a parking lot on the property on Bélanger Street in favour of another property on Hochelaga Street... While the question is doubtful, the Court is of the opinion that there was, in fact, a servitude created. Zigayer portait sur une interdiction de vendre de la nourriture 7. 8. 9. 10. 11. 12. et des boissons ou d’ériger un restaurant sur l’immeuble décrit comme le fonds servant. Le juge Trépanier décida que le seul critère permettant de distinguer entre l’obligation personnelle et la servitude réelle était l’indication se trouvant dans l’acte que la servitude était au bénéfice d’un immeuble et la description complète des fonds servant et dominant11. La majorité des auteurs se sont montrés hostiles à cette ligne de pensée. Déjà en 1962, Chait12 opinait qu’une clause restrictive d’usage n’était pas une servitude: The prohibition to carry on a certain type of business does not really benefit the dominant land. It benefits the person who occupies and carries on a certain type of activity on the dominant land. Should the owner of the dominant land cease to carry on this particular type of business, or change the nature of his business, the benefit ceases. Should the owner transfer his business to a location other than the dominant land, the benefit again would cease. The fundamental element of benefit to the dominant land is surely not present in such a provision. It is purely an attempt to secure a personal advantage by way of precluding or minimizing competition in business. Chait conclut en soulignant qu’en bien des cas, le fonds «dominant» est très loin du fonds «servant», ce qui enfreint évidemment [1976] C.S. 1362. [1992] R.D.I. 279 (C.S.). J.E. 93-1651 (C.S.). Op. cit., note 6, p. 404 et 407. Op. cit., note 7, p. 1363-1364. Samuel CHAIT, Contractual Land Use Control, 1962 Meredith Memorial Lectures, 52, p. 58. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 291 la règle de proximité ci-dessus mentionnée13. Décary14, après une revue exhaustive de la doctrine et de la jurisprudence, conclut que le droit français est unanime «dans [son] refus de considérer comme servitude une clause dont le but est de réduire la compétition entre un commerce exercé sur un fonds dominant et un commerce exercé sur un fonds servant». La même conclusion s’imposerait en droit québécois, mais la jurisprudence est beaucoup moins claire: Il était donc permis de conclure, en droit québécois, qu’avant la décision précitée du juge Trépanier, la question n’avait jamais été abordée directement, si ce n’est par Me Chait, et les tribunaux éprouvaient beaucoup de réticences et de difficultés à conférer le caractère de servitude à des clauses qui avaient pour but soit d’empêcher une quelconque concurrence soit de profiter davantage au propriétaire qu’au fonds.15 Lafond16 opine que malgré plusieurs arrêts de jurisprudence, la stipulation de non-concurrence ne constitue pas une servitude réelle, étant donné qu’ «aucun droit réel de jouissance n’est accordé sur le fonds servant», et qu’en plus la clause «sert davantage l’intérêt de ses occupants que le fonds luimême». Pour sa part, Lamontagne17 considère que la qualification juridique de la stipulation, à titre de servitude réelle, servitude personnelle ou obligation personnelle, dépend de sa rédaction (la présence ou absence d’un fonds servant et d’un fonds dominant): l’avantage pour le fonds dominant consiste à «maximaliser [son] exploitation ou le rendement du fonds dominant (terrain et bâtiments)». Très récem m ent , d a ns Léveillé et autres c. Coopérative Funéraire d’Autray18 et The Standard Life Assurance Company c. Centre Commercial Victoriaville Ltée19 la Cour supérieure s’est penchée directement sur la question sous étude. 13. Dans les servitudes en faveur de services publics (téléphone, hydro, etc.), le fonds dominant désigné dans l’acte est souvent le siège social du fournisseur du service. En raison de ce problème, la jurisprudence a parfois considéré les installations elles-mêmes comme fonds dominant, et certains auteurs ont vu dans la prétendue servitude un droit de superficie comportant accessoirement les servitudes nécessaires à son exercice: Voir, à ce sujet, LAMONTAGNE, op. cit., note 3, Jean-Guy CARDINAL, «Un cas singulier de servitude réelle», (1954-55) 57 R. du N. 478, 635. Les servitudes non alimentaires Steinberg sont, de façon constante, exprimées en faveur d’une certaine propriété appartenant à sa filiale de l’époque, Ivanhoé. Cet immeuble peut effectivement être très loin du fonds servant: voir CHAIT, op. cit., note 12, p. 59. 14. Op. cit., note 5, p. 80 et 153. 15. Id., p. 153. 16. Pierre-Claude LAFOND, Droit des biens, Thémis, 1991, p. 565 à 566. 17. Op. cit., note 3, p. 346 à 347. 18. [1998] R.D.I. 404 (C.S). Contrairement à la note inscrite sur le jugement rapporté, il y a eu désistement du jugement de première instance en appel (no 500-09-006690-986). 19. [1999] R.J.Q. 795 (C.S., le 8 février 1999; en appel: nos 500-09-007731-995 et 500-09-007739-998). 292 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Dans Léveillé, un opérateur de salon funéraire s’est porté acquéreur des actifs d’un concurrent situé à environ un kilomètre de son commerce. Quelques mois plus tard, il revend l’immeuble aux requérants Belley et Lacoursière, sujet à une restriction – décrite comme une servitude réelle grevant l’immeuble vendu au profit de l’immeuble où se trouve le commerce du vendeur – défendant l’utilisation de l’immeuble vendu à des fins de salon funéraire ou entreprise funéraire. À peine un an plus tard, le corequérant Léveillé fait une offre d’achat pour l’immeuble, conditionnellement à la possibilité qu’il puisse l’utiliser pour un salon funéraire. Les trois requérants – les deux propriétaires actuels et l’acquéreur potentiel – ont présenté une requête pour jugement déclaratoire, laquelle visait à déterminer «si la servitude prédécrite est purement personnelle à Belley et Lacoursière ou réelle et, par conséquent, liant Léveillé.» Le juge Denis, citant les au teu r s D éc ar y 2 0 , C a nt in Cumyn21 et Lafond22, ainsi que l’arrêt Gestion Lepco inc. c. Nard23, décida que la «servitude de nonconcurrence n’était pas une servitude réelle au sens de l’article 1177 C.c.Q. mais une obligation personnelle, car établie à l’avantage d’un propriétaire et d’un fonds de commerce plutôt qu’à l’avantage du fonds lui-même. Les faits dans l’arrêt Standard Life 24 sont intéressants. Standard Life était le créancier hypothécaire d’un centre commercial appartenant à Centre Commercial Victoriaville Ltée. Les Épiciers Unis Métro-Richelieu («Métro»), un locataire dans le centre commercial, décide de ne pas rester sur les lieux à la fin de son bail. Après des pourparlers entre Métro et son locateur, une entente est conclue qui vise l’acquisition d’un terrain avoisinant par une compagnie liée au locateur, l’aménagement à cet emplacement d’un magasin Super C (une bannière appartenant à Métro), et la signature d’un acte qualifié de servitude réelle prohibant, au bénéfice de l’immeuble récemment acquis, l’exploitation d’un supermarché dans le centre commercial. La durée de la servitude était limitée à la durée de l’exploitation d’un magasin d’alimentation par Métro sur le fonds «dominant». Environ deux ans plus tard, Standard Life signifie un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire, et le propriétaire délaisse volontairement l’immeuble. Après plusieurs tentatives infructueuses de louer l’ancien local de Métro, Standard Life signe avec la mise en cause une entente prévoyant la location d’un local pour exploiter un supermarché d’alimentation. Métro et le propriétaire du fonds «dominant» demandent l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire, d’une ordonnance de sauvegarde et d’une injonction permanente pour empêcher la contravention de la 20. Op. cit., note 5. 21. Madeleine CANTIN CUMYN, «De l’existence et du régime juridique des droits réels de jouissance innommés: essai sur l’énumération limitative des droits réels», (1986) 46 R. du B. 3, 36. 22. Op. cit., note 16, p. 566. 23. Op. cit., note 8 24. Op. cit., note 19. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 293 servitude. Une ordonnance interlocutoire a été émise. Dans l’audition au mérite, Standard Life plaida: • que la servitude a été consentie en fraude de ses droits; • que la création de la servitude a diminué la valeur du bien hypothéqué donnant ouverture à un recours en nullité; • que la charge imposée constitue uniquement une obligation personnelle qui lui est inopposable. Seul le troisième argument a été discuté dans le jugement de la Cour supérieure. La juge Courville était d’avis que la restriction d’usage ne possédait pas les attributs d’une servitude réelle, pour les raisons suivantes: • aucun droit réel de jouissance n’était accordé sur le fonds servant; • la clause profitait au locataire plutôt qu’au propriétaire de l’immeuble «dominant»; • l’utilité de la clause était liée à un usage particulier plutôt qu’à l’immeuble «dominant»; • il n’y avait pas de «rapport de nature» entre l’objet de la clause et l’usage ou l’utilité du fonds lui-même. Contrairement à la situation dans Standard Life, dans Léveillé c. Coopérative Funéraire d’Autray25, deux des requérants étaient parties au contrat contenant la restriction, tandis que le troisième requérant, l’acquéreur potentiel, n’avait pas encore acheté l’immeuble au moment de la présentation de la requête. Abstraction faite de l’exercice intellectuel de qualification de la restriction, le but véritable de la requête était de permettre aux deux requérants – les propriétaires actuels de l’immeuble – de se soustraire de leur obligation contractuelle en vendant l’immeuble libre de la restriction. De plus, la restriction d’usage était une considération essentielle pour le vendeur dont le but était, dès le départ, d’éliminer un concurrent situé à proximité de son commerce. Dans de telles circonstances, faire droit à la requête consistait à aider les deux corequérants à faire fi de leur engagement contractuel. À ce sujet, le juge Denis se contenta de souligner que la convention ne liait que les parties au contrat et donc n’était pas opposable à l’acquéreur subséquent. À notre avis, ce raisonnement n’est pas satisfaisant. Même si, à titre d’obligation purement personnelle, la restriction ne saurait lier un tiers, faut-il que la Cour supérieure vienne en aide à un bris de contrat? Est-ce que l’acheteur, en pleine connaissance de cause, peut l’ignorer? Une situation similaire fut présente dans 94298 Canada Ltd. c. Ville Jacques-Cartier Shopping Centre Inc. et al.26, dont les faits se 25. Op. cit., note 18. 26. No 505-05-003549-976, 22 octobre 1997 (C.S.); maintenu en appel no 500-09005822-978, 5 juin 1998 (C.A.). 294 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 résument comme suit. Entre 1987 et 1989 la requérante avait acquis de Ville Jacques-Cartier certains terrains situés à Longueuil. Les actes de vente intervenus entre les parties créaient une «servitude» de restriction d’usage contre les immeubles de la requérante en faveur de deux immeubles appartenant à l’intervenante, Ivanhoé, dont un à trois kilomètres et l’autre à 15 kilomètres des terrains vendus. Au départ, la restriction prohibait pratiquement tous les usages commerciaux, mais elle a été modifiée en 1995 afin de permettre toute utilisation commerciale, sauf l’utilisation pour fins d’un supermarché d’alimentation d’une superficie égale ou supérieure à 15 000 pi². La chaîne d’alimentation Sobey’s a fait une offre d’achat pour un terrain faisant partie des immeubles, conditionnelle à l’élimination de la servitude. La requérante s’adressa donc à la Cour supérieure par voie de requête pour jugement déclaratoire, dans le but de faire déclarer que les terrains n’étaient pas sujets «à une servitude réelle et perpétuelle empêchant leur utilisation pour fins de supermarché d’alimentation». Les intimées ont répondu par une requête en irrecevabilité alléguant que la requête pour jugement déclaratoire n’était pas un moyen approprié. La juge Richer donna droit aux prétentions des intimées pour deux raisons. D’abord, selon la juge, la requête visait non pas «la solution d’un problème réel» au sens de l’article 453 C.p.c., mais plutôt l’annulation d’une obligation contractuelle. Deuxièmement, l’action en annulation des servitudes serait un recours plus complet et plus efficace, car permettant de vider tout le litige, et notamment la question des droits découlant du contrat et d’une éventuelle annulation des servitudes. La Cour d’appel27 maintint le jugement de première instance. Toutefois, le tribunal se divisa quant au raisonnement utilisé par la juge de première instance. Le juge Biron considéra que la clause était claire et ne nécessitait aucune interprétation. Selon ce juge, la requête pour jugement déclaratoire n’est pas la procédure appropriée pour demander la nullité d’une clause contractuelle. Pour sa part, le juge Forget (dont l’opinion était partagée par le juge Beauregard), écarta ce motif, car selon lui, la requérante ne demandait pas la nullité de la clause, mais plutôt une déclaration à l’effet qu’elle ne constituait pas une servitude réelle. En ce qui a trait au deuxième motif du jugement de première instance, c’està-dire que le jugement sur requête pour jugement déclaratoire ne mettrait pas fin au litige, le juge Forget décida qu’il s’agissait d’un pouvoir discrétionnaire relevant du tribunal de première instance, tout en soulignant, sur la foi de Corporation Municipale de Contrecœur c. Soreli Inc.28, que «la possibilité de procédures futures ne constitue pas, en toutes circonstances, une fin de non-recevoir à toute requête en jugement déclaratoire29». À notre avis, il est implicite dans les jugements rendus dans 27. No 500-09-005822-978. 28. [1990] R.D.J. 313. 29. Op. cit., note 27, p. 7. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 295 l’affaire Ville Jacques-Cartier, tant en Cour supérieure qu’en Cour d’appel, que les juges étaient conscients du fait que, advenant un jugement favorable, la requérante avait l’intention de s’en servir comme une licence pour ignorer une obligation contractuelle. La validité de la restriction d’usage à titre d’obligation contractuelle n’avait pas été vidée dans le cadre de la requête, qui ne visait qu’à faire déterminer si oui ou non il s’agissait d’une servitude réelle. LA SERVITUDE PERSONNELLE La servitude personnelle, tout comme la servitude réelle, constitue un démembrement du droit de propriété imposé sur un immeuble. Contrairement à la servitude réelle, elle est stipulée en faveur d’une personne plutôt qu’un fonds. Même si le Code civil du Québec (comme le Code civil du Bas-Canada) n’en parle pas spécifiquement, les auteurs et la jurisprudence considèrent qu’elle existe30. Comme la servitude personnelle n’est pas stipulée au bénéfice d’un immeuble, les deux principales difficultés qui empêchent les tribunaux à considérer la restriction d’usage comme une servitude réelle, soit l’absence d’utilité et l’absence de proximité au «fonds dominant», sont éliminées. Selon certains auteurs, contrairement à la servitude réelle qui est en principe perpétuelle, la durée de la servitude personnelle est limitée. Lamontagne 31 lui applique la règle prévue à l’article 1123 C.c.Q. concernant l’usufruit : la durée de la servitude personnelle ne peut pas dépasser 100 ans; si aucun terme n’a été stipulé, elle prend fin au décès si elle est stipulée en faveur d’un individu ou à l’expiration de trente ans si en faveur d’une personne morale. Par contre, dans l’arrêt Boucher c. la Reine 32 le juge Marceau opine qu’exceptionnellement sa durée peut être perpétuelle. Est-ce que la clause de restriction d’usage peut être valide à titre de servitude personnelle? Cette question n’est abordée que de manière très indirecte dans Léveillé33 et Standard Life34, et pas du tout dans les autres arrêts 30. Voir, à ce sujet, LAMONTAGNE, op cit., note 3, p. 339-341; Camille CHARRON, «Ce droit réel méconnu: la servitude personnelle» (1982) 42 R. du B. 446; Madeleine CANTIN CUMYN, «De l’existence et du régime juridique des droits réels de jouissance innomés: essai sur l’énumération limitative des droits réels», (1986) R. du B. 3; Plourde c. Plante [1986] R.D.I. 299 (C.A.). 31. Op. cit., note 3, p. 341. 32. (1982) 22 R.P.R. 310, p. 315 (C.F.), citant Matamajaw Salmon Club c. Duchaîne, (1921) 59 D.L.R. 391 (Conseil privé). Voir également André COSSETTE, «Essai sur le droit de pêche dans les cours d’eau non navigables» (1997) 100 R. du N. 3; Procureur Général du Québec c. Club Appalaches Inc., [1998] R.J.Q. 2113 (C.S.), appel rejeté le 25 août 1999, J.E. 99-1697, retenu pour publication [1999] R.J.Q. 33. Op cit., note 18, p. 408. 34. Op cit., note 19, p. 804. À la toute fin de son jugement, la juge Courville dit ceci: «Est-il nécessaire de rappeler que le but recherché par les parties signataires de la convention, soit l’intérêt commercial de Métro-Richelieu, aurait pu être atteint en utilisant un autre véhicule juridique qui, lui, aurait pu lier les propriétaires successifs du lot?» Il est possible de voir dans cet obiter obscur une allusion à la servitude personnelle. 296 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 auxquels nous avons fait référence. Les auteurs sont divisés sur ce sujet. Cantin Cumyn35 est d’avis qu’une clause de restriction d’usage ne peut jamais constituer une servitude personnelle: La clause de non-concurrence n’est jamais susceptible de constituer une servitude personnelle. Le bénéficiaire de la stipulation peut s’en prévaloir comme droit de créance. Il ne peut prétendre l’exercer à titre de droit réel contre l’ayant cause de la personne obligée dont il aurait acquis l’immeuble à l’occasion duquel la stipulation a été faite. La clause de nonconcurrence ne donne à titre principal aucun droit direct de jouissance de la chose, sur lequel pourrait se greffer une obligation réelle de ne pas faire concurrence. Pour sa part, Charron36 croit qu’une clause de non-concurrence peut, dans certaines circonstances, se qualifier comme servitude personnelle: Il faut admettre aussi qu’il est plus facile de trouver servitude personnelle lorsqu’il s’agit d’un droit «positif» (c’est-à-dire un droit de passage, de puisage, de vue, de coupe de bois) que d’un d roit «négatif» (c o mm e la défense de construire, de faire commerce). Cela n’empêche pas les conventions de non-aedificandi ou de non-usage de pouvoir être rédigées pour consti- 35. 36. 37. 38. 39. tuer des servitudes, tant personnelles que réelles. Une clause de «non-concurrence» peut donc être plus qu’une obligation personnelle, pourvu qu’elle identifie le fonds servant et qu’elle ne transgresse pas l’ordre public en vertu de son caractère trop général ou de sa durée exagérée. Dans Léveillé37, le juge Denis réfère au passage de Cantin Cumyn ci-dessus mentionné, mais ne l’explore pas. À notre avis, il est difficile de voir dans la restriction d’usage un démembrement du droit de propriété, mais la même objection peut facilement être faite à l’égard des servitudes interdisant la construction ou limitant la hauteur d’un bâtiment. Pourtant, ces restrictions sont reconnues comme servitudes réelles, en ce qu’elles cont rib uent à l’a grém ent , à l’esthétique ou à l’urbanisme du fond s d om ina nt 3 8 , ou p a rce qu’elles en préservent la visibilité, l’accès ou les aires de stationnement. En fin de compte, la qualification juridique de la restriction dépend non seulement de l’intention des parties39 mais surtout de l’appréciation qu’en font les tribunaux, notamment leur volonté d’y voir un démembrement du droit de propriété. La question de la validité de la restriction à titre de servit ud e p ersonnelle, nous le soumettons, reste ouverte. Op. cit., note 21, p. 36. Op. cit., note 30, p. 450. Op. cit., note 18, p. 408. CARDINAL, op. cit., note 4, p. 105. Le bénéficiaire de la clause de restriction d’usage a toujours l’intention que celle-ci reste en vigueur, peu importe la vente de l’immeuble. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 297 L’OBLIGATION PERSONNELLE À moins qu’il ne soit contraire à l’ordre public, l’engagement qui constitue l’essence de la restriction d’utilisation d’un immeuble est valide et lie les parties au contrat. Il reste à déterminer à quelles conditions la restriction sera réputée être contraire à l’ordre public. Quelques auteurs se sont aventurés sur ce terrain. Ainsi, Chait opine que la clause «may even be invalid as a personal obligation, under certain circumstances, as being contrary to public order, and also in violation of the laws in respect of restraint of trade»40. Décary, pour sa part, est d’avis qu’une «servitude de nonconcurrence interdisant toute activité commerciale dans un secteur zoné commercial est contraire à l’ordre public, et ce de deux manières: d’une part elle vient en conflit avec un règlement de zonage édicté par le corps public dans l’intérêt public; d’autre part elle constitue un obstacle à la liberté de commerce, laquelle liberté est d’ordre public41. Contrairement à la situation envisagée par Décary, la clause qui nous intéresse n’interdit pas toute activité commerciale, mais seulement un type particulier d’utilisation. La stipulation ne vient donc pas en contradiction avec le règlement de zonage; elle ne fait que prohiber un usage qui autrement serait permis. Pouvons-nous l’invalider pour le motif que les parties auraient usurpé une fonc40. 41. 42. 43. 44. 298 tion confiée à la municipalité par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme42? À notre avis, la réponse à cette question est non. Une disposition contractuelle interdisant la construction afin de préserver la visibilité d’un bâtiment, là où la réglementation municipale permettrait autrement de construire; l’obligation contractuelle de maintenir un ratio de stationnement supérieur au minimum exigé par la Ville; une limitation contractuelle à la hauteur d’une bâtisse qui est inférieure à la hauteur maximale prévue par le règlement, ne sont pas contraires à l’ordre public. Il ressort que la stipulation contractuelle peut être plus contraignante que la réglementation municipale, sans pour autant la contrevenir, et sans être réputée contraire à l’ordre public. Considérons maintenant la clause comme une restriction à la liberté commerciale, laquelle est de l’ordre public. Comme le souligne Décary, toute restriction à cette liberté «doit être raisonnable eu égard aux intérêts des parties concernées et aux intérêts du public»43. Les principes régissant la validité des clauses de non-concurrence dans les contrats d’emploi et de vente d’entreprise sont bien connus. D’ailleurs, l’article 2089 C.c.Q. les codifie en ce qui a trait au contrat de travail. Dans un arrêt rendu le 4 décembre 1998 dans Copiscope Inc. c. TRM Copy Centers (Canada) Ltd.44, la Cour d’appel a eu l’occasion d’appliquer ces principes à une convention por- Op. cit., note 12, p. 58. Op. cit., note 5, p. 153 à 154. Voir l’article 113 alinéa 3 Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Op. cit. note 5, p. 157, citant M.M. Caravane Ltée c. Gagnon, [1973] C.S. 1020. REJB 1998-09660 (C.A. Montréal, no 500-09-006414-981, le 4 décembre 1998); voir également Burnac Corp. c. Entreprises Ludco Ltée, [1991] R.D.I. 304 (C.A.), Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tant sur la location et l’installation de photocopieuses dans des magasins exploitant d’autres types d’activités commerciales, tels que dépanneurs et pharmacies. Le contrat stipulait la possibilité pour l’exploitant d’y mettre fin sur avis de 30 jours, mais comportait une clause l’empêchant pendant une période d’un an à partir de la fin du contrat, «to carry on, engage in or be engaged or connected with or be interested in or advise any person in connection with the business of making Photocopy equipment available for use by the public or otherwise providing photocopy services to the public...» et ce, dans un rayon de 25 milles de son commerce. La Cour d’appel, sous la plume du juge Nuss, a déclaré in v alide la c lause de non-concurrence. The validity of the Noncompetition Covenant must be determined on the basis of well settled principles set out in the jurisprudence. 1. Undertakings in restraint of trade are generally against public order; 2. There may, within reasonable limits, be contractual restrictions on the freedom to conduct a specified commercial activity; 3. The validity of such restrictions is dependant on their being reasonable, particularly regarding the length of time that they are to apply and the territory where they are to be applicable; 4. Furthermore, it must be shown that the restrictions are necessary for the reasonable protection of the interests of the party in whose favor they are granted; 5. If the restrictions do not meet the test of reasonability they will be struck down as being contrary to public order45. En annulant la clause de non-concurrence, le tribunal a souligné sa rédaction très large et son vaste territoire (5 082 km²), ainsi que le fait qu’elle s’appliquait même si l’autre partie mettait fin au contrat. La stipulation de restriction d’usage ressemble à bien des égards à la clause d’exclusivité dont bénéficient les locataires de centres commerciaux. La clause d’exclusivité garantit au locataire, pendant la durée de son bail (ou pendant qu’il exploite activement son commerce dans les lieux loués), l’exclusivité dans le centre commercial relativement à la vente de certains biens ou services. L’exclusivité conférée peut être plus ou moins large, dépendant de la nature du centre commercial, le type d’activité du locataire et les rapports de force entre les parties. Les clauses d’exclusivité génèrent souvent des problèmes d’interprétation, et à ce titre ont fait l’objet de beaucoup de jurisprudence46. qui maintient la validité d’une clause de non-concurrence se trouvant dans une option d’achat. La clause interdisait l’achat de terrains dans un rayon de 20 milles de la ville de Rivière-du-Loup. 45. Id., p. 9 du jugement. 46. Voir, à titre d’exemple: 9008-3817 Québec Inc. c. Muffins Probec Inc., [1998] R.J.Q. 42 (C.A.); Ivanhoé III inc. c. Pique-Vite (Galeries Rive-Nord) inc., J.E. 98-1665 (C.S.); Marché du boulevard (1984) Inc. c. Hudon et Deaudelin Ltée, J.E. 93-1891 (C.A.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 299 Jamais, toutefois, à notre connaissance, n’a-t-on invalidé une clause d’exclusivité en raison d’atteinte au principe de la liberté commerciale47. La raison pour cela est fort simple. Les clauses d’exclusivité, si onéreuses qu’elles puissent être, sont par leur nature limitées: • dans le temps, à la durée du bail (ou à l’exploitation active du commerce dans les lieux loués, ce qui peut être de durée moindre); • dans l’espace, au centre commercial. De plus, les clauses d’exclusivité sont souvent la contrepartie des clauses d’usage par lesquelles le locateur limite le genre d’utilisation que le locataire peut faire des lieux loués, dans le but d’assurer une variété intéressante d’activités dans le centre commercial. Les tribunaux semblent reconnaître, du moins implicitement, la validité de ces restrictions de part et d’autre. Dans certains cas, le bail commercial prévoit l’extension de la restriction à l’extérieur du centre commercial, ce que l’industrie immobilière appelle une «clause de rayon». Lorsque la restriction est au bénéfice du locataire, le locateur ne peut, pendant la durée du bail, permettre une activité similaire dans un territoire défini comme étant un rayon de x kilomètres du centre commercial. Ce genre de clause n’est qu’une extension dans l’espace de l’exclusivité du locataire, et à ce titre ne vaut que pour des immeubles appartenant au locateur ou, dépendant de la rédaction de la clause, à une personne liée. C’est ainsi que l’efficacité de ce type de clause de rayon est relativement limitée, d’autant plus que, selon la jurisprudence, elle n’empêche pas le locateur de vendre un terrain situé dans l’aire couverte par la clause de rayon à quiconque sachant que l’acquéreur a l’intention de s’en servir pour une fin prohibée48. L’autre type de clause de rayon est au bénéfice du locateur et vise à empêcher le locataire, au cours du bail, d’exercer une activité similaire dans un territoire défini encore une fois en termes de rayon à partir du centre commercial. Cette clause a pour but de décourager le locataire de se relocaliser en cours du bail, ou encore protéger le loyer à pourcentage payable au locateur. Ce type de restriction fut l’objet de la décision de la Cour supérieure dans Place Lebourgneuf (1986) Inc. c. Gestion dentaire Dal-Veau Inc. et al.49. Le jugement applique le critère de rai- 47. Wal-Mart, dans l’arrêt Katiou inc. c. Rossdeutscher, J.E.-96-800, (appel réglé hors cour: no 500-09-002282-960) a cherché à faire déclarer invalide une clause d’exclusivité relativement à l’exploitation d’une pharmacie dans un centre commercial, au motif que la clause constituait une entrave à l’exercice de la profession de pharmacien, enfreignant la Loi sur la pharmacie, et donc, contraire à l’ordre public. Le tribunal était d’avis que le bail n’écartait pas les principes de la Loi sur la pharmacie. La clause ne faisait qu’assurer l’exclusivité de l’activité de pharmacie dans le centre commercial, et il s’agissait d’une clause de nonconcurrence ne contrevenant pas à cette loi. 48. Hudon et Deaudelin Ltée c. Aménagement Westcliff Ltée, [1997] R.J.Q. 372 (C.A.). Il s’agit toutefois d’une question d’interprétation du contrat. 49. J.E. 91-633 (C.S.). 300 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 sonnabilité, celle-ci étant appréciée à la fois du point de vue du public (qui risquait d’être privé d’un service) et du point de vue des défendeurs (qui risquaient d’être empêchés d’exercer leur profession dans un certain territoire). La clause en question défendait au locataire et à certaines personnes liées, dans un rayon de trois milles à partir du centre commercial, d’exercer, directement ou indirectement, un commerce semblable à celui exercé dans les lieux loués. Les défendeurs individuels – les dentistes actionnaires et administrateurs du locataire – ont quitté le centre commercial avant l’expiration du bail, pour exercer leur profession à un endroit situé à 1,8 kilomètre de distance, donc à l’intérieur du territoire prévu par la clause de rayon. Le locateur a intenté une action en injonction permanente. À l’encontre de l’action, les parties défenderesses ont plaidé que la clause allait au-delà de ce qui était raisonnablement nécessaire à la protection des intérêts de la demanderesse. Le tribunal n’était pas d’accord. Selon le juge Goodwin, la distance de trois milles de rayon du centre commercial était raisonnable «compte tenu de toutes les autres possibilités qu’a le public d’obtenir des soins dentaires et vu que les dentistes pourraient eux-mêmes exercer leur profession dans un milieu similaire50», et la durée de cinq ans, qui correspondait à la durée du bail, était également raisonnable. Le juge conclut en disant que les défendeurs avaient adhéré libr emen t au c on tr a t et ils devaient respecter leur engagement. Comment devrait-on appliquer le critère de raisonnabilité dans le contexte des stipulations de restriction d’usage? Même si l’intérêt social favorise la liberté commerciale, la tentative de se prémunir contre la concurrence en prohibant un type particulier d’activité sur un immeuble donné ne peut pas être illégale en soi, car, sinon, toutes les clauses d’exclusivité seraient invalides. De plus, contrairement à la situation que l’on retrouve en matière de clause de non-concurrence (notamment dans un contrat d’emploi), les parties à une stipulation de restriction d’usage traitent habituellement sur un pied d’égalité et personne ne risque d’être privé de la possibilité de gagner sa vie. Ceci étant dit, il ne faut quand même pas que la stipulation dépasse ce qui est raisonnablement nécessaire pour la protection des intérêts du bénéficiaire. Normalement, le territoire, qui est limité à un ou plusieurs immeubles spécifiques appartenant au cocontractant, ne pose pas de problème, mais la situation pourrait être l’inverse si le fonds «servant» est trop loin du commerce du bénéficiaire. Le critère de raisonnabilité s’apprécie également du point de vue du public. C’est ainsi que la stipulation ne devrait pas avoir pour effet d’obliger les consommateurs à parcourir de longues distances afin de trouver les biens ou services couverts par la restriction, ni limiter indûment la concurrence dans un marché donné. Le problème réside le plus souvent dans la durée de la prohibition, car, 50. Id., p. 8. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 301 dans leur volonté d’en faire une servitude réelle, les parties l’ont très souvent stipulée perpétuelle. À notre avis, une durée illimitée serait fatale à la validité de la stipulation. En l’absence totale de jurisprudence directement sur le point, il est peut-être osé de se prononcer sur une durée qui pourrait être vue comme raisonnable. À notre avis, la durée de la stipulation ne devrait pas excéder la durée de l’exploitation du commerce que l’on vise à protéger (car alors la stipulation dépasse ce qui est raisonnablemen t n éc essair e p our la protection des intérêts du bénéficiaire). De plus, il serait sûrement prudent d’indiquer une limite maximale, par exemple 30 ans. tion a tout intérêt d’assurer que celle-ci soit prise en charge par tout acheteur subséquent de l’immeuble. Il a également intérêt de pouvoir lui-même la céder à une personne qui achète son fonds de commerce. La transmission de la stipulation obéit aux règles générales en matière d’obligations. LA TRANSMISSIBILITÉ DE LA RESTRICTION D’USAGE À TITRE D’OBLIGATION PERSONNELLE ET SON OPPOSABILITÉ AUX TIERS Évidemment, la transmissibilité du bénéfice contractuel peut en pratique être rendue impossible par la rédaction même de la stipulation. Ainsi, une clause qui limite la durée de la restriction à la période au cours de laquelle le bénéficiaire opère son commerce sur le fonds «dominant» empêchera normalement un acquéreur subséquent du fonds de commerce d’en bénéficier. En dehors de cette circonstance, le bénéficiaire de la stipulation pourra la céder à l’acquéreur de son fonds de commerce, en autant que la clause prévoit la possibilité de la transférer à titre d’accessoire du fonds de commerce51. Si la restriction d’usage ne confère qu’un droit personnel, il demeure important de savoir si le bénéfice d’une part et l’obligation d’autre part peuvent être transmis. Le bénéficiaire de la stipula- Les parties peuvent prévoir que tout acquéreur subséquent de l’immeuble devra «assumer» l’engagement. Si l’acquéreur le prend en charge, un deuxième débiteur sera ajouté au débiteur original de 51. Art. 1442 C.c.Q. Voir J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, Cowansville, Yvon Blais Inc., 5e édition, 1998, no 465. Dans Les Huiles J. St-Pierre Inc. c. Les Huiles Montcalm Inc., [1985] C.A. 13, les appelants avaient vendu leur commerce à la compagnie Énergie 2000 Inc. Le contrat contenait une clause de non-concurrence en faveur de l’acheteur. Énergie 2000 a revendu le commerce à l’intimée. La Cour d’appel a refusé d’émettre une ordonnance d’injonction interlocutoire à la demande de l’intimée, étant donné que le contrat original ne prévoyait pas la transmissibilité de la clause de non-concurrence, et les appelants ne sont pas intervenus dans la vente subséquente pour consentir à son transfert. À la page 15 du jugement, le juge Chouinard dit ceci: «Que la clause de non-concurrence ait été l’accessoire de la clientèle vendue ou même davantage la garantie de l’existence de celle-ci, cela peut être contraire à la volonté exprimée des parties. Dans l’espèce sous étude, cette volonté n’est pas claire...» 302 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 l’obligation, par le mécanisme de la délégation de paiement simple52. Si, par contre, l’acquéreur subséquent n’assume pas la stipulation, le bénéficiaire pourra être limité à poursuivre son cocontractant, étant donné que l’acquéreur n’est pas partie au contrat. C’est ainsi qu’une fois qu’il a trouvé que la restriction d’usage n’était pas une servitude réelle, le juge Denis s’empresse à dire que la convention est inopposable à l’acquéreur subséquent de l’immeuble53. Il s’agit d’une application du principe de la relativité des contrats dont traite l’article 1440 C.c.Q.: Le contrat n’a d’effet qu’entre les parties contractantes; il n’en a point quant aux tiers, excepté dans les cas prévus par la loi. Est-ce que le fait que l’acheteur subséquent soit au courant de la clause (celle-ci ayant fait l’objet de publication contre l’immeuble dans le registre foncier) change la situation? L’article 2941 C.c.Q. rend les droits publiés opposables aux tiers. Les droits en question sont les droits réels, dont la loi requiert la publication, ainsi que les autres droits personnels dont la loi prescrit ou autorise la publication, tel qu’un bail54. L’article 2941 C.c.Q. ne s’applique pas aux simples obligations personnelles dont la loi ne permet pas la publication, et le fait que ces obligations se trouvent dans un acte publié ne les rend pas automatiquement opposables aux tiers. Dans Léveillé, non seulement l’acheteur potentiel avait l’intention de se servir de l’immeuble pour une fin prohibée par la stipulation, mais il en était parfaitement au courant, et savait que son vendeur était lié par la clause. Malgré ceci, le juge Denis trouva que la clause ne lui était pas opposable55. Il existe toute une série d’arrêts où les tribunaux ont traité de la question de l’opposabilité au tiers d’un engagement de nonconcurrence ou d’une clause d’exclusivité56. Dans certaines circonstances, les tribunaux sont prêts, sur la base des principes de la responsabilité délictuelle, à condamner le tiers au paiement de dommages-intérêts ou à émettre une ordonnance d’injonction contre lui pour faire cesser la situation prohibée. Baudouin et Jobin disent ceci: De plus, le champ de l’opposabilité des contrats s’est singulièrement développé en droit contemporain. En effet, dans l’appréciation de la portée de l’effet relatif des contrats, il ne faut pas confondre deux notions voisines et parfois difficiles à bien distinguer: l’effet de l’obligation et son opposabilité. Si l’obligation contractuelle est sans effet 52. Voir les arrêts La Confédération c. Traklin Holdings Inc., no 500-05-007130-923 et Morness Investment Inc. c. Chahbazi, no 500-05-013387-905, qui traitent de la qualification juridique de la prise en charge d’un prêt hypothécaire par l’acquéreur d’un immeuble. À notre avis, le principe devrait être le même pour la prise en charge d’une restriction d’usage. 53. Op. cit., note 18, p. 410. 54. Voir articles 2941 et 2938 C.c.Q. 55. Op. cit., note 18, p. 410. 56. Voir Howard KAMINSKY, «Landlord-Tenant. A breach of a restrictive covenant: Does an interlocutory injunction lie against a third party in good faith and without knowledge?», (1992) 22 R.D.U.S. 155. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 303 vis-à-vis des tiers, en ce sens qu’ils ne peuvent en devenir créanciers ou débiteurs au plan contractuel, il n’en reste pas moins qu’elle leur est opposable. Le fait qu’un tiers ne soit pas partie à un contrat ne lui donne pas le droit de l’ignorer. Ce contrat s’impose à lui comme tout fait juridique. Ainsi, l’employeur qui, en connaissance de cause, engage un individu qu’il sait lié à son concurrent, commet une faute délictuelle et peut être poursuivi en dommages. Le principe de l’effet relatif des contrats doit donc être réduit à sa vraie dimension qui est la suivante: le tiers n’a aucun droit de créance, ni aucune responsabilité obligationnelle en raison d’une convention à laquelle il n’est pas partie même s’il demeure tenu de respecter celle-ci.57 Kaminsky 58 commente le jugement non rapporté de la Cour supérieure dans Mercerie Bougrin Inc. c. Les Galeries des Monts Inc. 59 . Un locataire demandait l’émission d’une ordonnance d’injonction contre son locateur et un nouveau locataire pour faire cesser une utilisation qui portait atteinte à son exclusivité. Au moment de la signature de son bail et de son aménagement dans le centre commercial, le nouveau locataire ignorait l’existence de l’exclusivité. La Cour a refusé d’émettre l’ordonnance. La juge Deschamps commente la règle discutée par Baudouin dans les termes suivants: L’application des règles de la responsabilité délictuelle rend le fardeau des parties moins lourd, mais exige quand même la connaissance par le tiers des droits des parties. Il serait impensable de pouvoir opposer à un tiers non partie à un contrat, des droits dont il ignore tout. L’évolution jurisprudentielle est telle maintenant que la simple connaissance suffit par opposition à une participation à un contrat, mais cette évolution jurisprudentielle ne permet pas une contravention claire à la règle de la relativité des contrats.60 Kaminsky conclut en disant que la simple connaissance de la part du tiers de l’existence d’une clause d’exclusivité ne serait pas suffisante pour établir sa responsabilité délictuelle, s’il croyait sincèrement qu’il ne la violait pas. Si, toutefois, la conduite du tiers équivaut à la mauvaise foi (ce qui arrive lorsque le tiers est non seulement au courant, mais participe au bris du contrat), sa responsabilité délictuelle sera engagée. Appliquant ces principes au cas qui nous intéresse, il nous semble qu’abstraction faite de la possibilité que la stipulation soit jugée contraire à l’ordre public, un acquéreur potentiel d’un immeuble qui fait l’objet d’une stipulation de restriction d’usage engagerait sa responsabilité délictuelle s’il décidait d’ignorer la restriction, sachant que son vendeur commet un bris de contrat. De plus, une ordonnance d’injonction pourrait être émise à la fois contre le vendeur, partie au contrat contenant 57. Op. cit., note 51, no 457 58. Op. cit., note 56. Voir également, Pierre-G. JOBIN, «Sécurité et information de l’usager d’un produit», (1972) 13 C. de D. 453, p. 455 à 456. 59. No 500-05-011970-900, 14 novembre 1990. Voir, également, Boucherie Côté Inc. c. Fruitier d’Auteuil Inc., J.E. 99-707 (C.A.). 60. Mercerie Bougrin, note 59, p. 9 et 10. 304 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 la stipulation, et l’acquéreur potentiel qui s’apprête à acquérir l’immeuble, pour empêcher la contravention appréhendée de la restriction. Conclusion Nous avons vu que la doctrine, très majoritairement, ainsi que la plus récente jurisprudence, sont à l’effet qu’une stipulation de restriction d’usage d’un immeuble ne constitue pas une servitude réelle, et qu’il y a de forts doutes quant à sa validité à titre de servitude personnelle. Quant à la validité de la stipulation à titre d’obligation personnelle, celle-ci devrait être jugée selon le critère de raisonnabilité qui s’applique aux contrats de non-concurrence, que l’on adaptera au contexte particulier d’une restriction affectant un immeuble. Même si la stipulation n’est qu’une obligation personnelle, elle est transmissible, et à ce titre peut être invoquée contre l’acquéreur de l’immeuble qui la prend à sa charge. Si le principe énoncé par Baudouin et Jobin 61 est suivi, même un acquéreur subséquent q ui n’a va it pas a ssum é l’engagement ferait fi de la restriction à son péril. Finalement, nous soumettons que les tribunaux devraient faire preuve de prudence lorsqu’on leur demande de qualifier juridiquement la stipulation de restriction d’usage à titre de droit réel ou droit personnel. Dans bien des cas, le recours ne constitue en réalité qu’un moyen détourné pour contrevenir à une obligation contractuelle. Nous ne croyons pas que c’est le rôle de la Cour de venir en aide à de telles démarches. 61. Supra, note 57. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 305 DROIT DISCIPLINAIRE Marie Paré Droit disciplinaire: l’enquête du syndic Le Code des professions confie au syndic d’un ordre professionnel un rôle clef en matière de contrôle de l’exercice de la profession. Nous nous proposons ici de faire le point sur l’état actuel de la jurisprudence quant à l’étendue des pouvoirs d’enquête du syndic (1), l’obligation corrélative de collaboration imposée au professionnel (2) et les conséquences des vices affectant l’enquête eu égard à l’instance disciplinaire (3). Nous aborderons également, de façon très succincte, la question de l’imputabilité du syndic (4), sur laquelle les tribunaux se sont encore trop peu penchés. 1. L’étendue de l’enquête du syndic L’article 122 du Code des professions1 énonce que l’enquête du syndic doit être initiée «à la suite d’une information à l’effet qu’un professionnel a commis une infraction à l’article 116». L’enquête dont traite cette disposition n’a pas à revêtir un caractère formel, et l’in- formation portée à l’attention du syndic peut même lui permettre de procéder directement au dépôt d ’une p la int e d iscip lina ire. L’article 128 du Code a en effet été interprété comme autorisant le syndic à agir, sans enquête préalable, lorsqu’il a lui-même pris connaissance d’une infraction commise par un membre de l’Ordre2. À titre d’exemple, cette connaissance du syndic peut découler d’une réclame publicitaire antidéontologique3, ou d’un jugement rendu par un tribunal4. Qu’il agisse de sa propre initiative ou à la demande d’un tiers, et qu’il lui apparaisse ou non utile de procéder à une enquête préalable formelle, le syndic qui décide de porter plainte contre un membre doit fonder son intervention sur une quelconque «information» au sens de l’article 122. La lecture conjuguée des articles 122 et 128 du Code permet de conclure que la source de cette information est sans pertinence: 1. 122. Le syndic et les syndics adjoints peuvent, à la suite d’une information à l’effet qu’un professionnel a commis une infraction visée à l’article 116, faire une enquête à ce sujet et exiger qu’on leur fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. Ils ne peuvent refuser de faire enquête pour le seul motif que la demande d’enquête ne leur a pas été présentée au moyen du formulaire proposé [...] 2. Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), [1991] D.D.C.P. 190 (T.P.). 3. Ibid. 4. Parizeau c. Barreau du Québec, [1997] R.J.Q. 1701 (C.S.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 307 [...] l’article 122 du Code ne requiert pas qu’une demande d’enquête soit reçue par le syndic. En effet, l’article requiert simplement que le syndic agisse sur la foi d’une information. Une lecture rapide des articles 122, 122.2 et 123.3 du Code fait voir que le législateur distingue entre «information» et «demande d’enquête». Le bon sens commande que les remarques faites par un juge dans le corps de son jugement concernant le comportement d’un membre du Barreau, puisse être considéré comme une source d’information suffisante pour le syndic. [...]5 La jurisprudence retient donc clairement une interprétation libérale de l’article 122. Le Syndic doit être en mesure de mener son enquête selon ses «intuition, soupçon et information»6: ses pouvoirs d’enquête étendus ont pour objet de lui permettre de vérifier le bien-fondé des «suspicions» qu’il peut entretenir quant au comportement d’un ou plusieurs membres, lorsque d’une façon ou d’une autre leurs agissements ont été portés à son attention. Cela étant dit, dans l’arrêt Beaulne c. Kavanagh 7 la Cour d’appel a déclaré que le syndic n’a pas un pouvoir général et discrétionnaire de faire enquête, mais bien un pouvoir «spécifique et limité». L’enquête dont la légalité était remise en cause dans cette affaire concernait tous les membres de la profession et avait pour but d’identifier les optométristes qui pratiquaient en étroite collaboration avec des opticiens d’ordonnance. Le syndic précisait dans sa demande de renseignement que le défaut d’y répondre était susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires. L’intervention du syndic n’était donc pas individualisée, fondée sur une «information» au sens de l’article 122 du Code, et constituait en fait une «partie de pêche». Les limites imposées à cette occasion par la Cour d’appel au pouvoir du syndic d’initier et mener une enquête doivent cependant être appréciées à la lumière des faits particuliers de l’espèce8. La jurisprudence subséquente a en effet confirmé que le syndic n’est pas tenu de circonscrire son enquête aux fautes qui sont alléguées dans la dénonciation, lorsque une information en justifiant l’élargissement est portée à sa connaissance. À titre d’exemple, le syndic n’a pas à ignorer les infractions dont l’existence peut lui être révélée en cours d’enquête9, au motif que la dénonciation n’en faisait pas mention. Sou- 5. Id., p. 1711. 6. Id., p. 1709. Voir également Seyer c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 280 (T.P.), Laporte c. Médecins, [1997] D.D.O.P. 271 (T.P.), Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2, et Thibault c. Leduc, J.E. 98-416 (C.S.). 7. Beaulne c. Kavanagh, [1989] R.J.Q. 2343 (C.A.). 8. La portée limitée de ce jugement est d’ailleurs soulignée par la Cour supérieure dans Mailloux c. Beltrami, [1998] R.J.Q. 1228 (C.S.), appel rejeté 1999-02-19. 9. Seyer c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), précité, note 6; Laporte c. Médecins (Ordre professionnel des), précité, note 6, p. 287: «Quand le syndic enquête, il a le droit de constater ce qui est évident et qui l’amène à pousser son enquête.» 308 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 lignons également que le syndic peut, lorsqu’il interroge un professionnel dans le cadre d’une enquête portant sur un autre membre, découvrir des faits l’incitant à penser que ce professionnel a lui-même commis des fautes déontologiques: il a alors le pouvoir d’initier une enquête distincte10. En conséquence, si la teneur d’une dénonciation ou de l’information détenue par le syndic limite initialement la portée de son enquête et par le fait même la nature des renseignements ou documents qu’il peut exiger d’un professionnel, cette limite peut être repoussée lorsqu’une nouvelle information au sens de l’article 122 est obtenue en cours d’enquête. Contrairement à l’enquête devant le Comité de discipline, circonscrite par les termes de la plainte disciplinaire, celle du syndic est fonction de l’ensemble des informations portées à sa connaissance préalablement au dépôt de la plainte. 2. L’obligation du professionnel de fournir les renseignements et documents demandés par le syndic. dienne, et qu’il aurait dû obtenir un mandat de perquisition. Le Tribunal a très clairement rejeté ces arguments: seul le chapitre VII du Code des professions, intitulé «Dispositions pénales», requiert l’obtention du mandat de perquisition visé à l’article 190.1 C.P. D’autre part, la fouille ou saisie ne pouvait être qualifiée d’«abusive» puisque le syndic, contrairement au policier procédant à une perquisition, n’a pas besoin pour agir d’avoir des motifs «raisonnables et probables» de croire qu’une infraction a été commise, le seuil d’application des articles 114 et 122 C.P. étant beaucoup moins élevé: [...] Le syndic a donc le droit, dans le cadre d’une enquête sur une infraction commencée suite à une information, d’exiger la production de documents et qu’on lui donne tous les renseignements pertinents. [...] L’appelant estime que le Comité de discipline a faussement assimilé le rôle du syndic à celui d’un inspecteur effectuant une inspection administrative. L’arrêt de la Cour Suprême du Canada dans Comité paritaire de l’industrie de la chemise c. Potash, [[1994] 2 R.C.S. 406, 454] est instructif à ce sujet: La demande de renseignements et documents adressée au professionnel par le syndic constitue une «saisie» ou «fouille» aux sens donnés à ces termes par la jurisprudence. Dans l’affaire Laporte c. Médecins11, le professionnel appelant prétendait que le syndic avait procédé à une fouille abusive au sens de la Charte cana- [...] Il existe une distinction importante entre avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction a été commise et posséder une simple information, surtout si celle-ci est donnée de façon anonyme. Une inspection sera souvent nécessaire avant même qu’on puisse justifier l’existence de motifs rai- 10. Thibault c. Leduc, précité, note 6. 11. Laporte c. Médecins (Ordre professionnel des), précité, note 6. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 309 sonnables de croire qu’une infraction a été commise. Le rôle de l’inspecteur agissant en vertu d’une information, examinant registres et documents et recherchant une preuve inculpatoire nous semble bien similaire à celui du syndic. Dans les deux cas, on n’a pas de motifs raisonnables de croire à la commission d’une infraction, on n’a pas le droit de perquisitionner de force, la sanction de la personne refusant de fournir les documents ou renseignements étant la condamnation pour entrave, les documents dont la rédaction est exigée et qui sont susceptibles d’être examinés ne sont pas de nature personnelle et ne procurent aucune attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard de ceux qui ont le droit de les consulter et enfin, il y a possibilité de faire sanctionner les abus par contrôle judiciaire. Nous faisons nôtre la conclusion tirée par la Cour Suprême dans Potash, même si c’était dans un contexte législatif différent: Compte tenu de l’importance de l’objectif des lois réglementaires, de la nécessité des pouvoirs d’inspection et des attentes réduites en matière de vie privée, l’équilibrage des intérêts sociaux et des droits des particuliers ne commande pas l’imposition d’un système d’autorisation préalable en sus de l’aval législatif. Le Tribunal estime qu’elle peut s’appliquer au syndic. [...] S’il n’y a pas de consentement, il s’agit bien d’une saisie. Elle n’est cependant pas abusive. Le syndic faisait légalement enquête et a demandé des documents dont la Loi exige la tenue. La valeur sous-jacente à l’article 8 de la charte est la protection de la vie privée. Comme nous l’avons vu, l’appelant n’avait pas d’attente raisonnable de vie privée, dans le contexte de réglementation et de protection du public, à l’égard des documents demandés.12 (nos italiques) La Cour supérieure en arrive à des conclusions similaires dans la cause Mailloux c. Beltrami13. Dans cette affaire les requérants, des audioprothésistes, contestaient la validité des articles 114 et 122 du Code des professions, et demandaient à la Cour d’émettre une injonction enjoignant au syndic de cesser d’exiger d’eux des documents. Après avoir déclaré que la demande de production de documents constituait bien une saisie au sens de l’article 8 de la Charte canadienne, le juge Guertin a conclu que les dispositions en cause ne portaient pas atteinte aux articles 8 et 24.1 de la Charte, compte tenu du contexte dans lequel ce pouvoir est exercé. Les faits susceptibles de justifier l’exercice par le syndic de la plénitude de ses pouvoirs d’enquête n’ont donc pas à rencontrer des critères de fiabilité très exigeants. C’est plutôt au stade du dépôt de la plainte disciplinaire que le Code impose une obligation plus lourde au syndic: ce dernier doit en effet juger que «la plainte [...] paraît justifiée»14. Le syndic joue, eu égard au contrôle de la profession, le rôle d’enquêteur et, dans l’éventualité 12. Ibid. 13. Mailloux c. Beltrami, précité, note 8. 14. Art. 128 C.P. Soulignons que la plainte doit également être accompagnée de l’affidavit du plaignant (art. 127 C.P.). 310 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 du dépôt d’une plainte disciplinaire, celui de plaignant. Dans le premier volet de son intervention, ses obligations à l’égard du professionnel sont restreintes, dans la mesure où il agit sur la foi d’une information au sens de l’article 122 du Code des professions. Soulignons que le Code ne contient pas d’obligation stricte d’aviser formellement le professionnel qu’il est l’objet d’une enquête, et les propos tenus par la Cour supérieure dans le jugement Parizeau c. Barreau du Québec permettent de conclure que le syndic peut même agir à son insu15. Suite à la saisine du Comité de discipline, le syndic est partie à l’instance disciplinaire, et la conduite de l’affaire relève dès lors du Comité lui-même16. Il est toutefois important de noter que le syndic ne se trouve pas, malgré son statut de simple «partie», dans la même position que le professionnel intimé. D’une part, préalablement à l’audition le syndic17 a une large obligation de divulgation de la preuve, gouvernée par le critère de la pertinence18, alors que l’obligation de divulgation du professionnel se limite quant à elle à la preuve d’expert qu’il entend faire valoir en défense. Dans l’affaire Roy c. Médecins19, le professionnel en appelait d’une décision lui imposant la divulgation au syndic plaignant des noms et résumés des témoignages de ses témoins, experts ou autres, et des documents qu’il entendait produire. En mettant l’accent sur l’efficacité du processus disciplinaire, le Comité de discipline s’était en effet rendu aux arguments du syndic qui soutenait qu’il avait droit «à une pour- 15. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4, p. 1711: [...] La tenue d’une enquête concernant un membre du Barreau par un ou plusieurs syndics adjoints, à la connaissance du membre ou à son insu, ne constitue pas en soi un préjudice pour ce membre. L’obligation de discrétion du syndic et de ses assistants protège la réputation du membre enquêté. Certes, les enquêteurs posent des questions et rencontrent des gens, et un risque de fuite est toujours possible, mais cela ne saurait justifier l’absence d’enquête dont la finalité demeure toujours la protection du public. Voir également Farhat c. Lalonde, [1999] R.J.Q. 1699 (C.S.). 16. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4, p. 1708. Le syndic n’est pas un «organe décisionnel» de l’ordre professionnel, contrairement au Comité de discipline ou au Bureau, lorsque ce dernier exerce notamment les pouvoirs que lui confère l’article 55.1 C.P. Voir, sur la question du locus standi du Bureau devant le Tribunal des professions, le jugement récemment rendu dans Lessard c. Comité des requêtes du Barreau, T.P. Mtl., no 500-07-000240-980, 16 avril 1999, juges J. Biron, P. Bachand et G. Rouleau, où il a été décidé que le locus standi du Comité des requêtes du Barreau se limite aux questions de compétence. 17. Soulignons que tout plaignant, qu’il s’agisse du syndic ou d’une personne du public, est en fait soumis à cette obligation de divulgation, puisque c’est le droit de l’intimé à une défense pleine et entière (art. 144 C.P.) qui en est le fondement, et non pas le caractère public de la charge de syndic: voir Larocque c. Charette, [1996] D.D.O.P. 47 (C.D. Dent.) et Brunet c. Lebel, [1998] D.D.O.P. 203 (T.P.) (Rés.) D.D.E. 98D-44 (T.P.). 18. Voir notamment Notaires (Corp. professionnelle des) c. Delorme, [1994] D.D. C.P. 287 (T.P.) (requête en évocation rejetée, no 500-05-004517-940); Vernacchia c. Médecins (Ordre professionnel des), [1995] D.D.O.P. 265 (T.P.); Latulippe c. Tribunal des professions, J.E. 98-1367 (C.A.). 19. Roy c. Médecins (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 229 (T.P.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 311 su ite plein e et en ti ère». Le Tribunal des professions a en ces termes accueilli partie de l’appel: [...] Il n’y a pas lieu de s’engager dans une joute sémantique pour décider si l’expression «défense pleine et entière» a une sœur jumelle appelée «poursuite pleine et entière». Qu’il suffise de reconnaître, sans ambages, que les deux protagonistes ont le droit de faire valoir leurs points de vue respectifs, tant devant le comité de discipline qu’en appel. Reste à déterminer si l’obligation de divulgation doit être identique, compte tenu des pouvoirs conférés au syndic par le Code des professions, des règles de procédure et de preuve régissant l’audience disciplinaire, et de la nature et des conséquences d’une condamnation pour le professionnel. [...] Compte tenu des pouvoirs importants que possède le syndic, compte tenu de la charge de la preuve par prépondérance à laquelle il est astreint, compte tenu des conséquences parfois lourdes d’une déclaration de culpabilité, compte tenu de l’objectif de protection du public que vise à atteindre le droit disciplinaire, il y a lieu de réformer en partie la décision rendue par le Comité de discipline. L’obligation générale de communiquer les noms de tous les témoins et le résumé de leurs témoignages va trop loin. Sous l’angle de l’efficacité, elle se défend bien. [...] Cependant le droit disciplinaire n’est pas identique au droit civil. Les enjeux ne sont pas les mêmes. La position du professionnel se rapproche davantage de l’accusé en droit pénal que d’une partie à un litige civil. [...] Le syndic a suffisamment d’avantages au départ, il connaît suffisamment d’éléments du dossier du professionnel pour ne pas être en reste et ne pas se trouver dans une situation désavantageuse. La possibilité pour le professionnel de ne pas être contraint de dévoiler à l’ a va nc e l’ e ns e mb le de s a défense, rétablit une certaine forme d’équilibre entre les deux parties. Une exception s’impose toutefois au principe de la divulgation par la défense; elle se rapporte aux expertises. Voilà un domaine technique et objectif où la communication par le professionnel du nom, du curriculum vitæ, des textes de référence et du rapport de l’expert ou, s’il n’existe pas, du résumé de son témoignage, servirait adéquatement les fins de la justice.20 (nos italiques) D’autre part, le locus standi du syndic trouve sa source dans le Code des professions et il n’agit donc pas à titre privé, mais ès qualité. Son rôle ne consiste pas en principe à gagner une cause, mais bien à éclairer le Comité afin que les objectifs du droit disciplinaire, à savoir la protection du public, puissent être atteints. Bien que le respect de ces paramètres du rôle du syndic puisse parfois être difficile à apprécier, le Tribunal des professions n’a pas hésité, dans sa décision Hudon c. Médecins vétérinaires21, à souligner l’incohérence de la position défendue devant lui par le syndic, qui aurait tenu «un langage contradictoire susceptible 20. Id., p. 232. 21. Hudon c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), [1995] D.D.O.P. 283 (T.P.), p. 291. 312 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 d’être perçu comme une déviation de son rôle public de surveillant de l’ensemble de la profession»22. Le syndic, qu’il exerce son rôle d’enquêteur ou assume celui de partie devant le Comité de discipline, n’a pas à faire preuve d’impartialité vis-à-vis du professionnel intimé. Comme l’a souligné la Cour supérieure dans la cause Parizeau c. Barreau du Québec23, [...] le syndic et les syndics adjoints sont-ils tenus d’agir de manière indépendante et impartiale face à la requérante? Malgré plusieurs questions du Tribunal, la procureur de la requérante a été incapable de citer un article des Chartes qui répondrait affirmativement à cette question, car le syndic et les adjoints ne sont pas des tribunaux au sens des Chartes. [Des articles 121 et 124 et de l’annexe II du Code des professions] il apparaît clairement que le syndic et les adjoints doivent agir à distance par rapport au Barreau, à la requérante et à toute autre personne. Qui plus est, le Barreau a l’obligation de prendre les dispositions nécessaires pour préserver en tout temps leur indépendance dans l’exercice de leurs fonctions. De plus, le syndic, les syndics adjoints et les syndics correspondants sont tenus à un devoir de discrétion. Nulle part cependant ne leur est-il fait obligation d’être impartiaux face à la requérante. D’ailleurs, comment pourrait-il en être ainsi? En effet, à partir du moment où une personne, qu’elle soit policier ou syndic, reçoit une information concernant une personne et qu’elle décide de faire enquête, elle prend position par rapport à la personne qui fait l’objet de son enquête. Elle la soupçonne d’un manquement et de là, exerce ses pouvoirs d’enquête, souvent à l’insu de la personne objet d’enquête. Contrairement au comité de discipline qui a le pouvoir de sanctionner et qui doit agir de manière indépendante et impartiale, le syndic et ses assistants ne sont tenus d’exercer leurs pouvoirs d’enquête qu’indépendamment de toute pression externe (art. 121 du Code) et de bonne foi (art. 193 du Code).24 Enfin, la Cour d’appel a affirmé, dans l’arrêt Sylvestre c. Parizeau25, que le professionnel est informé de la plainte par la signification qui en est faite, et que le syndic n’a pas l’obligation de l’aviser préalablement qu’une procédure disciplinaire sera intentée contre lui. À la lumière de ce qui précède, on doit constater qu’au stade «pré-inculpatoire» le professionnel a en fait plus d’obligations que de droits. Cette situation est redevable au contexte particulier du droit disciplinaire qui, comme il a été maintes fois répété, «n’est ni le droit civil ni le droit criminel mais plutôt une branche du droit administratif qui puise sous certains rapports au premier et pour d’autres, au second»26. Les ordres professionnels visent la protection du 22. 23. 24. 25. Ibid. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4. Id., p. 1709. Sylvestre c. Parizeau, J.E. 98-585 (C.A.). Au même effet, voir Farhat c. Lalonde, précité, note 15. 26. Archambault c. Avocats (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 157 (T.P.), p. 164. Voir également Béchard c. Roy, [1974] C.S. 13, confirmé unanimement par Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 313 public, par le biais du contrôle non pas de l’ensemble des citoyens mais bien uniquement de leurs membres, lesquels se voient reconnaître le droit d’exercer une profession d’exercice exclusif ou à titre réservé27. Or ce droit n’existe pas dans l’absolu: les professionnels sont légalement tenus de respecter les règles édictées par le législateur et par l’ordre auquel ils appartiennent. Comme l’a souligné le juge Dalphond, de la Cour supérieure28: [...] Lorsque la nature des actes posés par certaines personnes et la latitude dont elles jouissent dans leur travail habituel sont telles que la protection du public exige que ces actes ne soient posés que par des personnes possédant la formation et les qualif ic a tio ns r e q uis e s , l’ É ta t intervient par la création d’un ordre professionnel [...] Une fois un ordre professionnel créé, toute personne y admise bénéficie du droit de faire en exclusivité à toute autre personne non membre de cet ordre, divers actes et de porter un titre. [...] (p. 18) [...] En contrepartie de ce monopole consenti, l’État exige des membres d’un ordre qu’ils rencontrent des normes élevées de compétence et d’éthique, toujours afin de protéger le public. La fonction première du Bar- la Cour d’appel, [1975] C.A. 509, et Béliveau c. Comité de discipline du Barreau du Québec, [1992] R.J.Q. 1822 (C.A.). Soulignons que le droit disciplinaire est généralement qualifié de droit sui generis, expression que certains auteurs considèrent, à juste titre à notre avis, «surannée et vide de sens», dans la mesure où les principes développés dans l’ensemble du droit administratif font appel à la fois au droit pénal et au droit civil (Voir Me Jean-Claude Hébert, «L’exclusion de la preuve en droit disciplinaire», Colloque sur le nouveau Code des professions, Institut Wilson & Lafleur, 23 novembre 1995). 27. Bien que ce droit ait pu être à l’occasion qualifié de simple «privilège», cette notion apparaît particulièrement désuète en droit administratif contemporain (Voir, notamment, le commentaire du juge Gonthier dans 2747-3174 Québec Inc. c. Régie des alcools du Québec, [1996] 3 R .C.S. 919, p. 947). La question de savoir si le droit d’exercer une profession est protégé par l’article 7 de la Charte canadienne fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire, le Tribunal des professions ayant pour sa part répété à plusieurs reprises que cette disposition n’est pas applicable (voir notamment Roy c. Avocats, [1998] D.D.O.P. 204 (T.P.), décision évoquée par la Cour supérieure pour d’autres motifs à REJB 98-10129 (C.S.); Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Coutu, [1998] D.D.O.P. 357 (T.P.), évocation rejetée à [1998] R.J.Q. 2824 (C.S.); voir également Windisch-Laroche c. Biron, [1992] R.J.Q. 1343 (C.S.), appel rejeté à J.E. 97-323 et autorisation de pourvoi devant la Cour suprême rejetée, no 25911). En tout état de cause, le droit d’exercer une profession ne dépend pas de la simple «volonté du Prince» ou, en l’occurrence, de celle de l’ordre professionnel (voir à titre d’exemple Ordre des audioprothésistes du Québec c. Chanteur, [1996] R.J.Q. 539 (C.A.), confirmant [1994] R.J.Q. 2341 (C.S.); Bandi c. Bernier, [1998] R.J.Q. 1590 (C.S.)), et il ne peut y être porté atteinte que dans le respect des règles de justice naturelle, sous-jacentes au droit à une défense pleine et entière garanti par le Code des professions. Le débat sur l’applicabilité de l’article 7 de la Charte semble sous certains aspects quelque peu immatériel, puisque les règles de justice naturelle, dont la reconnaissance a largement précédé l’adoption de la Charte, trouvent en droit administratif un terreau fort propice à leurs application et développement. 28. Parizeau c. Barreau du Québec, précité, note 4. 314 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 reau, comme de tout autre ordre professionnel, est donc de protéger le public (art. 27 du Code) en s’assurant des qualifications de ses membres, en adoptant un code de déontologie approprié et en mettant en place des infrastructures requises pour la formation des membres et le contrôle des services qu’ils fournissent au public.29 Le syndic a donc, dans l’exercice de ses pouvoirs d’enquête, une très large marge de manœuvre30. Ses obligations se limitent, comme il a été mentionné précédemment, à agir sur la foi d’une information au sens de l’article 122 C.P., avec l’indépendance31 et la confidentialité32 que lui impose le Code des professions. Ce n’est qu’après l’éventuel dépôt d’une plainte disciplinaire que prend naissance le droit du professionnel à une défense pleine et entière et au respect des principes de justice naturelle que celle-ci sous-tend. Ces deux étapes distinctes du processus disciplinaire, qui appellent l’application de règles également distinctes, ne sont pas pour autant hermétiques l’une à l’autre: des irrégularités commises dans le cadre de l’enquête peuvent en effet affecter la légalité et l’admissibilité de la preuve du syndic. 3. Les vices affectant l’enquête du syndic Il a été maintes fois répété que les comités de discipline et le Tribunal des professions n’ont pas le contrôle des agissements du syndic, et qu’une éventuelle illégalité commise par ce dernier dans le cadre de son enquête n’entraîne pas l’irrecevabilité de la plainte. La jurisprudence est à cet égard constante. Ce principe est notamment énoncé dans les affaires Fullum c. Psychologues (C orp . professionnelle des)33, Delisle c. Arpenteurs-géomètres34, Hakim c. Lalonde35, Pelletier c. Psychologues36, Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des)37 et Dulac c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des)38. Le rôle du Comité de discipline se limite à juger du bien-fondé de la plainte, selon la preuve qui lui est présentée, et de s’assurer que le professionnel bénéficie d’une défense pleine et entière. Si le fait que l’enquête du syndic ait été menée de façon abusive ou illégale n’entraîne pas 29. Id., p. 1708. 30. Soulignons cependant que le recours en injonction peut être un moyen approprié pour contrôler les abus par le syndic de ses pouvoirs d’enquête: voir Beaulne c. Kavanagh, précité, note 7, Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 172 (T.P.) et Mailloux c. Beltrami, précité, note 8. 31. Art. 121 C.P. 32. Pour une discussion sur l’obligation de confidentialité du syndic, voir notamment Bissonnette c. Médecins (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 247 (T.P.), p. 258-259 et Farhat c. Lalonde, précité, note 15, p. 1702-1703. 33. Fullum c. Psychologues (Corp. professionnelle des), [1991] D.D.C.P. 317 (T.P.). 34. Delisle c. Arpenteurs-géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2. 35. Hakim c. Lalonde, [1993] D.D.C.P. 252 (T.P.). 36. Pelletier c. Psychologues, J.E. 92D-25 (T.P.). 37. Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des), précité, note 30. 38. Dulac c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), [1996] D.D.O.P. 279 (T.P.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 315 l’invalidité de la plainte ellemême, cela ne signifie pas pour autant que les vices dont elle est affectée sont sans pertinence eu égard à l’issue de la procédure disciplinaire. Le Comité de discipline a en effet la faculté de rejeter les éléments de preuve obtenus illégalement 39. Dans l’affaire Archambault c. Avocats40, le Tribunal des professions a ainsi écarté un élément de preuve obtenu de façon illégale. Il s’agissait d’un enregistrement fait par les forces policières à l’insu de l’appelant Archambault, et dont le syndic avait obtenu copie. La Cour d’appel, dans le cadre des procédures pénales intentées contre l’appelant, en avait déjà constaté le caractère illégal en s’appuyant sur les articles 8 et 24 de la Charte canadienne. Après analyse des principes d’exclusion de la preuve applicables en droit pénal et en droit civil, le Tribunal des professions a ainsi formulé ceux qui devaient s’appliquer en matière disciplinaire: [...] indépendamment de l’article 24 de la charte canadienne et de son article 8 sur lesquels porte la décision de la Cour d’appel [...] et séparément de l’application de l’article 2858 du Code civil du Québec, il existe une troisième voie d’intervention visant à écarter ce qui serait inéquitable dans une instance disciplinaire. Ce devoir d’agir avec équité pour les membres des organes disciplinaires est distinct du droit d’exercer la profession qui, selon la jurisprudence, ne tombe pas sous l’article 7 d la charte cana- dienne à titre de droit garanti. Or, exerçant notre devoir de juger en discipline avec équité, nous estimons que l’appelant Archambault a droit minimalement à une protection de nature préventive contre les abus susceptibles de découler d’un enregistrement policier pratiqué à son insu alors qu’il est dans l’exercice de sa profession.41 Le Comité de discipline a ainsi le devoir d’exclure l’élément de preuve dont l’introduction est susceptible de porter atteinte à l’équité du processus disciplinaire. Ce principe, applicable lorsque l’illégalité invoquée est imputable à un tiers, comme c’était le cas dans l’affaire Archambault, s’impose nécessairement lorsque l’abus ou illégalité découle de la façon dont le syndic a mené son enquête. On doit cependant comprendre que ce n’est pas cet abus ou illégalité qui entraîne, per se, l’arrêt des procédures ou le rejet d’éléments de preuve: quelle qu’en soit la source, l’illégalité ne sera prise en considération que si elle porte atteinte au caractère équitable de l’audition. Comme nous l’avons précédemment souligné, les comités de discipline et le Tribunal des professions refusent en effet de contrôler les agissements du syndic. Ainsi, en l’état actuel de la jurisprudence, des gestes abusifs posés par le syndic dans le cadre de son enquête peuvent être sans conséquence eu égard à la procédure disciplinaire, dans la mesure où le Comité de discipline 39. Delisle c. Arpenteurs géomètres (Corp. professionnelle des), précité, note 2; Fullum c. Psychologues, précité, note 33; Pelletier c. Psychologues, précité, note 36. 40. Archambault c. Avocats (Ordre professionnel des), précité, note 26. 41. Id., p. 167. 316 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 est d’avis que le droit de l’intimé à une défense pleine et entière ne s’en trouve pas affecté. Le professionnel intimé peut pourtant avoir subi un préjudice directement provoqué par la façon dont l’enquête a été menée par le syndic. Les cas de harcèlement, de non-respect de la confidentialité de l’enquête ou d’absence d’indépendance du syndic ne sont malheureusement pas inconnus en droit disciplinaire. Le professionnel, que la loi oblige à collaborer à l’enquête et contraint à témoigner devant le Comité, a dans une telle situation bien peu de recours pour demander réparation. 4. L’imputabilité du syndic Le sy n dic bén é ficie d e l’immunité relative prévue à l’article 193 C.P.42: il ne peut être poursuivi en justice pour des actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions. Cette disposition le soustrait au régime de responsabilité pour faute simple. Dans une décision récente rendue par la Cour supérieure, Mc Cullock-Finney c. Barreau du Québec43, la demanderesse poursuivait en dommages le Barreau du Québec44 et l’Office des professions, au motif qu’ils auraient manqué à leur obligation de protection du public dans un processus disciplinaire concernant un avocat dont les agissements lui avaient causé préjudice. La de- manderesse réclamait des dommages matériels, compensatoires, moraux et punitifs. Le juge Jean Normand, de la Cour supérieure, décrit comme suit l’obligation de bonne foi prévue à l’article 193 C.P.: [...] Puisqu’il s’agit d’actes posés dans l’exercice des fonctions des défendeurs, étant donné l’immunité relative dont ils jouissent, leur responsabilité ne saurait être engagée que s’ils ont agi de mauvaise foi, ce qui serait le cas si les actes (ou omissions) ont été posés en violation intentionnelle des obligations qui leur sont imposées par la loi, s’ils ont agi par malice ou de façon gravement injuste. Le fardeau de preuve de la demanderesse se trouve alourdi du fait que la bonne foi se présume (2805 C.c.Q.). La notion de faute intentionnelle est bien décrite par Monsieur le juge Chevalier dans West Island Teachers’ Association c. Madeleine Nantel. Dans cette affaire, le juge Chevalier examinait cette notion du droit civil dans le cadre d’une réclamation pour dommages exemplaires pour violation d’un droit garanti par la Charte des droits et libertés de la personne. L’atteinte illicite à un des droits reconnus par la charte est un délit. Pour être intentionnel, il faut qu’il soit commis dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de causer le dom- 42. 193. Ne peuvent être poursuivis en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions: [...] 2º un syndic, un syndic adjoint ou correspondant ou un expert que le comité s’adjoint; [...] 43. Mc Cullock-Finney c. Barreau du Québec, J.E. 99-354 (C.S.) (en appel). 44. Le directeur général du Barreau, le syndic et un syndic adjoint étaient nommément désignés comme défendeurs. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 317 mage résultant de la violation. Cette volonté peut se manifester de plusieurs façons. Elle est susceptible d’apparaître par suite de la contestation que la faute commise est lourde ou grossière au point que l’esprit ne saurait s’imaginer que celui qui l’a commise ne pouvait pas ne pas se rendre compte au départ qu’elle produirait les conséquences préjudiciables qui en ont été la suite. La faute est également intentionnelle si elle provient d’une insouciance déréglée et téméraire du respect du droit d’autrui, en parfaite connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que son geste va causer à sa victime. Malheureus ement po ur la demanderesse, elle ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve.45 On constate donc, d’une façon générale, qu’une poursuite civile contre un syndic impose à la partie demanderesse un fardeau de preuve très difficile à rencontrer. Il est cependant important de souligner que dans cette affaire on reprochait en fait au syndic son absence de diligence or, après analyse des faits à la lumière des dispositions législatives pertinentes, le juge en est arrivé à la conclusion qu’aucune faute n’avait été commise dans le traitement du dossier. Le syndic ne pouvait se voir reprocher aucune violation intentionnelle de ses obligations légales. Les principes énoncés par le juge Normand doivent à notre avis être abordés différemment lorsque le syndic a posé des actes illégaux, ind ép end a m m ent d es conséquences de ceux-ci eu égard à la procédure disciplinaire. Un manquement manifeste à la loi devrait en effet, s’il a causé un préjudice au demandeur, être susceptible de générer la responsabilité civile du syndic et priver celui-ci du bénéfice de l’immunité relative que lui confère l’article 193 C.P.46 Un tel manquement doit constituer une faute lourde au sens de l’article 1474 C.c.Q.: il dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière. La jurisprudence portant sur l’immunité relative du syndic est particulièrement pauvre, et il y a lieu de se référer à celle concernant les substituts du procureur général, dont les fonctions présentent de nombreuses similarités avec celles du syndic. Dans l’arrrêt P.G. Québec c. Proulx47 le juge LeBel, dissident quant à l’issue de l’appel, procède à une analyse exhaustive des critères qui doivent être rencontrés pour que la faute d’un substitut puisse le priver de son immunité. Ses collègues Brossard et Beauregard ne remettent pas en cause les principes qu’il énonce, mais diffèrent d’opinion quant à leur application aux faits de l’espèce. Il ressort de cette décision que la seule faute professionnelle d’une personne bénéficiant de 45. Mc Cullock-Finney c. Barreau du Québec, précité, note 43, p. 31 et 32. 46. Voir, a contrario, Comeau’s Sea Foods Ltd c. Canada, [1997] 1 R.C.S. 12. 47. P.G. Québec c. Proulx, [1999] R.J.Q. 398 (C.A.). La Cour d’appel souligne à cette occasion que les principes posés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nelles c. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, font partie du droit public applicable au Québec. 318 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 l’immunité relative ne peut suffire à engager sa responsabilité civile, mais que la témérité («recklessness») de ses actes ou décisions peut le faire, et ce même en l’absence de mauvaise foi. Selon nous, la violation par le syndic de ses obligations légales, dans la mesure où celles-ci sont clairement définies48 par la loi ou par une jurisprudence constante, doit également engager sa responsabilité civile. Le public et les professionnels soumis au contrôle du syndic sont en effet en droit d’attendre de ce dernier qu’il connaisse non seulement l’étendue de ses pouvoirs mais également celle de ses obligations. Une violation claire et manifeste de celles-ci constitue un détournement des pouvoirs qu’il détient et devrait permettre d’inférer sa mauvaise foi49, sans qu’il soit besoin de prouver qu’il a agi avec «une volonté déterminée de causer le dommage résultant de la violation». Enfin, soulignons que l’article 193 C.P. confère au syndic une immunité relative contre les poursuites «en justice», mais rien dans le Code des professions ne le soustrait à la compétence disciplinaire de son ordre professionnel. Bien que les comités de discipline et le Tribunal des professions aient répété à maintes reprises qu’il ne leur revenait pas d’exercer un contrôle sur les agissements du syndic, cette question a cependant toujours été analysée dans le cadre d’une défense opposée par un professionnel pour attaquer la validité du processus disciplinaire. L’article 116 prévoit que «le comité est saisi de toute plainte formulée contre un professionnel pour une infraction au présent code, de la loi constituant l’ordre dont il est membre ou des règlements adoptés conformément au présent code à ladite loi». Dans la mesure où la compétence des comités de discipline s’étend à des actes qui n’ont parfois qu’un lien extrêmement ténu avec l’exercice d’une profession, tout particulièrement en matière d’actes dérogatoires, il nous apparaît qu’une procédure disciplinaire dirigée contre le syndic pourrait constituer une voie intéressante, restée à notre connaissance jusqu’ici inexplorée, pour rechercher la sanction des abus commis par celui-ci dans l’exercice de ses fonctions. 48. Dans P.G. Québec c. Proulx, précité, l’une des divergences entre l’opinion de la majorité et du juge LeBel portait sur l’application erronée par le substitut de l’article 24(2) de la Charte canadienne. Alors que le défaut du substitut de constater le caractère illégal de la preuve sur laquelle il avait fondé sa décision d’autoriser la dénonciation criminelle constitue aux yeux du juge LeBel «un détournement de la procédure pénale, de ses objectifs et de la violation des règles fondamentales qui lui sont imposées» (p. 430), le juge Beauregard la qualifie d’«erreur de droit» et «faute professionnelle» (p. 434). En s’inspirant de cette jurisprudence, on peut conclure que lorsque la portée ou nature de l’obligation du syndic prête à interprétation, la violation invoquée entraînera plus difficilement sa responsabilité civile. 49. Voir P.G. Québec c. Proulx, précité, p. 431. Voir également Forget c. Commission des valeurs mobilières, [1993] R.J.Q. 2145 (C.S.), p. 2152: «[...] En droit public canadien, la mauvaise foi ne se limite pas à la malhonnêteté intentionnelle de la part de l’autorité en question, mais englobe tout abus de pouvoir par un agent public». Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 319 Conclusion On ne peut nier l’importance de la mission des ordres professionnels en matière de contrôle de l’exercice de la profession par leurs membres et de protection du public. Or les larges pouvoirs d’enquête du syndic sont essentiels à l’atteinte de ces objectifs. La jurisprudence de ces dernières années a permis d’établir un certain équilibre entre les droits du professionnel et la protection du public, par l’énoncé de principes visant à assurer le respect du droit du professionnel à une défense pleine et entière, notamment en matière de divulgation ou d’exclusion de la preuve. Mais cette reconnaissance nécessaire des droits du professionnel se limite pour l’instant, sous réserve de quelques exceptions, au processus discipli- 320 naire enclenché par la saisine du Comité de discipline. Ainsi, la question des illégalités commises par le syndic dans le cadre de son enquête a surtout été abordée sous l’angle de la validité de la plainte ou de la recevabilité de la preuve. Les agissements abusifs du syndic restent donc largement, dans les faits, à l’abri de toute sanction directe. Le droit disciplinaire est cependant en constant développement, et la jurisprudence de cette dernière décennie nous a permis de constater qu’il ne suffit plus à un ordre professionnel, son Bureau ou son syndic, d’invoquer la notion de «protection du public» pour justifier ses actions et établir son bon droit. Cette situation peut laisser présager d’intéressants développements en matière d’imputabilité du syndic. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 DROIT DE LA FAILLITE Marc Lemieux La compensation dans un contexte de proposition et de faillite Les récentes décisions de la Cour d’appel dans les affaires Structal (1982) Inc. c. Fernand Gilbert Ltée1, St-Léonard (Ville de) c. 2945-2802 Québec Inc.2 et D’Auteuil (Syndic de)3 ne manqueront pas de retenir l’attention des praticiens dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilité. D an s l’ affair e S tructa l, Structal poursuivait Gilbert en paiement du solde dû aux termes d’un contrat de sous-traitance. Gilbert avait retenu ce solde après que des retards de Structal dans l’exécution de ses obligations lui eurent occasionné des dommages. Gilbert opposait à l’action de Structal une demande reconventionnelle, réclamant ces dommages. En cours d’instance, Structal déposa une proposition à ses créanciers en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité4. Il fut permis à Gilbert de continuer la demande reconventionnelle, malgré la proposition de Structal. Les créanciers de Structal acceptèrent cette proposition avant le jugement de la Cour supérieure sur l’action de Structal5. Ce jugement ordonna à Gilbert de payer le solde dû aux termes du contrat de soustraitance, accueillit la demande reconventionnelle de Gilbert et prononça la compensation entre les montants des deux condamnations malgré qu’au moment du dépôt de la proposition de Structal, la créance de Gilbert n’était pas liquide. La Cour d’appel a maintenu le jugement de la Cour supérieure, sauf pour réviser les montants des condamnations. Dans l’affaire St-Léonard, un propriétaire d’immeubles déposa une proposition à ses créanciers au mois de novembre 1990. À ce moment, il poursuivait la Ville de St-Léonard devant le Bureau de révision de l’évaluation foncière («Bref») pour obtenir, entre autres, un remboursement de taxes payées en trop pour les années 1989 et 1990. Le Bref rendit un jugement en faveur du propriétaire au mois de mai 1991, une semaine avant que les créanciers de celui-ci ne rejettent sa proposition, entraînant ainsi sa faillite6. 1. 2. 3. 4. 5. [1998] R.J.Q. 2686 (ci-après, l’affaire Structal). 500-09-001790-948, J.E. 98-2341 (ci-après l’affaire St-Léonard). 200-09-000822-962, J.E. 99-864 (ci-après l’affaire D’Auteuil). L.R.C. (1985), ch. B-3, telle qu’amendée (ci-après la LFI). Cette information n’apparaît pas du jugement rapporté et a été obtenue du bureau du syndic à la proposition. 6. Art. 57 LFI, tel qu’il était rédigé au moment des faits en litige dans cette affaire. À l’époque, et jusqu’en 1997, l’art. 57 faisait en sorte que la personne insolvable Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 321 La dette de la Ville résultant de cette décision du Bref n’est devenue exigible qu’au mois de juillet 1991, quelque temps après le rejet de la proposition du propriétaire, étant donné les dispositions de la Loi sur la fiscalité municipale. La Cour supérieure devait décider si la compensation légale s’était opérée entre cette dette de la Ville et la dette du propriétaire pour les taxes foncières de 1991, au moment où la dette de la Ville est devenue exigible. Elle a tranché que tel était le cas, ce que la Cour d’appel a confirmé. Enfin, dans l’affaire D’Auteuil, Motokov était créancière de D’Auteuil au moment où celui-ci déposa un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers. Après le dépôt de cet avis, D’Auteuil effectua des travaux sur des biens vendus par Motokov, pour un montant admis par les parties. Par la suite, les créanciers de D’Auteuil r ejetèr en t la pr oposit ion d e celui-ci, ce qui entraîna sa faillite. Le syndic à la faillite de D’Auteuil intenta une action contre Motokov en recouvrement du montant des travaux. La Cour supérieure rejeta l’action du syndic, au motif que la compensation s’était opérée entre la créance de Motokov et celle de D’Auteuil, malgré que la créance que le syndic réclamait à titre de succession de D’Auteuil ne soit née qu’après le dépôt de l’avis d’intention de D’Auteuil. La Cour d’appel confirma ce jugement. Ces trois décisions ont un fondement juridique commun, le paragraphe 97(3) LFI, qu’il convient de citer: Les règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif du failli, et aussi à toutes les actions intentées par le syndic pour le recouvrement des créances dues au failli, dans la même mesure que si le failli était demandeur ou défendeur, selon le cas, sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses. Cette disposition est complétée par le paragraphe 101.1(1) LFI, qui stipule que dans une proposition qui n’est pas une proposition de consommateurs, «les articles 91 à 101 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance, sauf disposition contraire de celle-ci». Le paragraphe 101.1(2) LFI précise que dans un tel cas «la mention, à ces articles, du failli vaut mention du débiteur à l’égard de qui la proposition visée au paragraphe (1) a été déposée». Le paragraphe 97(3) LFI se lirait donc ainsi, avec ces «adaptations de circonstance»7: Les règles de la compensation s’appliquent à toutes les réclamations produites contre l’actif était rétroactivement réputée avoir fait cession de ses biens en faillite au jour du dépôt de la proposition (ou de l’avis d’intention de faire une proposition qui, depuis 1992, pouvait précéder cette date). Depuis 1997, la faillite n’est présumée qu’à compter du jour du rejet de la proposition. 7. Il n’y a pas lieu pour le paragraphe 97(3) de préciser que la compensation, dans un contexte de proposition, s’applique dans la même mesure que si le débiteur était demandeur ou défendeur, selon le cas, car le dépôt d’une proposition n’entraîne pas le dessaisissement des actifs du débiteur. 322 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 du [débiteur], et aussi à toutes les actions intentées par le [débiteur] pour le recouvrement des créances [qui lui sont] dues [...], sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses. Les ar r êts Structa l, St-Léonard et D’Auteuil sont dignes d’intérêt pour plusieurs raisons. L’arrêt Structal introduit, inutilement à notre avis, la notion de compensation en «equity» dans le droit québécois de la faillite. La Cour d’appel a manqué une belle occasion, nous semble-t-il, de juger plus simplement que la compensation judiciaire peut avoir lieu après la date de la proposition ou de la faillite. Les arrêts St-Léonard et D’Auteuil se signalent surtout parce qu’ils permettent l’opération de la compensation légale après la date à laquelle la faillite rétroagissait à l’époque de ces litiges. Ils établissent aussi que l’opération de la compensation légale ne constitue pas un traitement préférentiel car elle s’opère, dans les circonstances de chacun de ces cas, entre deux dettes nées dans le cours normal des affaires de la personne insolvable. Avant d’étudier plus en détail les affair es Structa l, St-Léonard et D’Auteuil, il est utile de rappeler la raison d’être du paragraphe 97(3) LFI. I- L’EFFET D’UNE PROPOSITION ET D’UNE FAILLITE SUR LA COMPENSATION Trois caractéristiques de la faillite seraient susceptibles d’empêcher la compensation de jouer après la date de la faillite. Premièrement, la faillite d’un débiteur a pour effet de le déposséder de ses droits et de ses biens. À compter de la faillite, «un failli cesse d’être habile à céder ou autrement aliéner ses biens qui doivent [...] immédiatement passer et être dévolus au syndic [...]»8. En droit civil, la compensation s’analyse comme un double paiement entre créanciers réciproques. En l’absence du paragraphe 97(3), la faillite empêcherait la compensation, puisque le failli et son débiteur cessent d’être réciproquement créancier et débiteur l’un de l’autre et puisqu’il est juridiquement impossible pour le failli d’effectuer un paiement9. Deuxièmement, à compter de la faillite d’un débiteur, les créanciers ordinaires n’ont aucun «recours» contre celui-ci ou contre ses biens «et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite [...]» 10 . La faillite suspend les recours des créanciers ordinaires contre le failli. Ceux-ci ne dispo- 8. Art. 71(2) LFI. 9. J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOBIN, Les obligations, 5e éd., 1998, p. 775. 10. Art. 69.3 LFI. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 323 sent que du droit de partager le produit de réalisation des actifs du failli et ne peuvent exercer ce droit que s’ils déposent une preuve de réclamation. On pourrait croire qu’en l’absence du paragraphe 97(3), la faillite du débiteur aurait pour effet de suspendre l’opération de la compensation, comme elle suspend tous les autres recours des créanciers ordinaires contre le failli11. Troisièmement, la loi cherche à traiter tous les créanciers ordinaires sur un pied d’égalité, que leur débiteur commun soit solvable ou pas. Ils se paient avec les actifs du débiteur, chacun en proportion de sa créance12. C’est ainsi qu’un paiement fait par un débiteur insolvable ayant eu pour effet de conférer une préférence à un créancier peut être déclaré inopposable aux autres créanciers13. Il répugnerait à ce principe d’égalité de traitement que, par le truchement de la compensation, un créancier du failli reçoive le paiement entier de sa créance, alors que les autres créanciers doivent se contenter d’une fraction de la leur. Le contexte d’une proposition se présente de façon légèrement différente. Le dépôt d’un avis d’intention de faire une proposition et le dépôt d’une proposition ne pro- voquent pas le dessaisissement des actifs de la personne insolvable. Celle-ci continue d’être pleinement habile à disposer de ses droits et autres biens. En revanche, à l’instar de la faillite, le dépôt d’un avis d’intention ou d’une proposition a pour effet de suspendre les recours des créanciers ordinaires contre la personne insolvable14, justement pour permettre à celle-ci de tenter de redresser sa situation financière. Les créanciers déposent une preuve de réclamation faisant état de leur créance contre la personne insolvable au moment du dépôt de l’avis d’intention ou de la proposition. Ceci leur donne le droit de voter sur la proposition qui leur sera éventuellement offerte. Si la personne insolvable prépare et dépose sa proposition dans les délais statutaires, et si cette proposition est acceptée par les créanciers et hom ologuée p a r le tribunal, le créancier ne peut recouvrer que le montant prévu à la proposition à son égard. En revanche, si la personne insolvable fait défaut de déposer sa proposition dans les délais15 ou si cette proposition est rejetée par les créanciers, la personne insolvable est présumée avoir fait cession de ses biens en faillite. Il faut souligner ici que, jusqu’en 1997, cette faillite présumée était rétroactive à la date du dépôt 11. Dans Vachon c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1985] 2 R.C.S. 417, la Cour suprême a jugé que le mot «recours» a «un sens très large qui vise toute espèce de tentative de recouvrement, tant judiciaire qu’extra-judiciaire» (p. 423). Il s’agissait dans cette affaire du droit de la Commission de l’emploi et de l’immigration de retenir sur les prestations dues à un chômeur le montant dû par celui-ci à la Commission en remboursement d’un trop-perçu de prestations. Le paragraphe 97(3) LFI n’était toutefois pas en cause dans ce litige. 12. Art. 2644 et 2646 du Code civil du Québec et art. 136 et 141 LFI. 13. Art. 1631 du Code civil du Québec et art. 95 LFI. 14. Art. 69 et 69.1 LFI. 15. Art. 50.4(8) LFI. 324 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de l’avis d’intention (ou, à défaut d’un avis d’intention, la date du dépôt de la proposition). Depuis 1997, la faillite n’est présumée qu’à compter du jour de l’expiration des délais pour déposer la proposition ou du rejet de celle-ci par les créanciers16. Le paragraphe 97(3) LFI constitue une exception législative au principe d’égalité de traitement des créanciers 17 et vise à permettre à la compensation d’avoir lieu, malgré les caractéristiques de la proposition ou de la faillite qui en empêcheraient autrement l’opération. II- L’ARRÊT STRUCTAL Dans l’affaire Laviolette c. Mercure18, la Cour d’appel avait déjà permis l’opération de la compensation légale entre deux dettes dont une n’était pas exigible au moment de la faillite. Dans cette affaire, une caisse d’épargne fit cession de ses biens. Au moment de la faillite, un dénommé Laviolette était débiteur de la caisse pour le solde d’un prêt à terme qu’il remboursait à celle-ci au moyen de versements mensuels. Laviolette était aussi créancier de la caisse, pour le montant qu’il avait déposé dans un compte d’épargne tenu par celle-ci. Laviolette avait remis à la caisse des chèques post-datés pour effectuer les versements mensuels sur son prêt. Deux de ces chèques furent encaissés après la faillite, après quoi Laviolette contremanda le paiement des autres chèques et cessa d’effectuer ses versements. Le syndic à la faillite de la caisse intenta une action en remboursement du solde du prêt, devenu exigible suite à la cessation des paiements. Laviolette opposa une défense de compensation et prétendit que sa dette résultant du prêt était éteinte jusqu’à concurrence du montant du dépôt. En première instance, la Cour supérieure rejeta la défense de Laviolette, au motif que sa dette à l’égard de la caisse n’était pas exigible au moment de la faillite. La Cour d’appel accueillit l’appel et permit la compensation. Dans ses motifs, M. le juge en chef Tremblay justifia comme suit la décision de la Cour19: Il ne faut pas oublier que les deux dettes existaient et étaient dues lors de la faillite. Il ne s’agit pas d’une créance née ou acquise après la faillite La compensation légale n’a pu s’opérer avant la faillite, parce que l’une des deux dettes n’étaient pas exigibles. Mais, au fur et à mesure que les versements devenaient échus, ils s’éteignaient par compensation. Les auteurs qui refusent la compensation s’appuient sur le fait que le débiteur ne peut plus payer. C’est exact et leur argument aurait grand poids si nous n’avions pas le paragraphe (3) plus haut cité. C’est précisément pour obvier à cette difficulté que le législateur a précisé sa pensée. D’ailleurs, si cette disposition n’a pas l’effet de permettre que la compensation s’accomplisse 16. Art. 50.4(8) et 57 LFI. 17. Husky Oil Operations Ltd. c. M.R.N., [1995] 3 R.C.S. 453, p. 495-96 (ci-après l’affaire Husky Oil). 18. [1975] C.A. 157, infirmant [1973] C.S. 173 (ci-après l’affaire Laviolette). 19. Id., p. 3 et 4 des motifs de M. le juge en chef Tremblay. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 325 après la faillite, je me demande quelle est son utilité. Si la compensation a lieu avant la faillite, les dettes ont alors cessé d’exister et je ne vois pas comment l’on pourrait parler de «réclamation produites contre l’actif» ou d’«actions intentées par le syndic». [nos italiques] La même année, dans l’affaire Banque de Montréal c. Kwiat 20 , la Cour d’appel avait décidé que le jour où un client emprunteur fait cession de ses biens, la banque prêteuse peut considérer éteinte par compensation son obligation de rembourser au syndic les dépôts du client, jusqu’à concurrence du montant des avances faites par la banque à celui-ci. Dans son jugement, monsieur le juge Bernier avait noté que, «pourvu que les créances réciproques existaient à la date de la faillite, les dispositions du Code civil concernant la compensation s’appliqueront tout comme s’il n’y avait pas eu de faillite, comme si le syndic et le failli n’étaient qu’une seule et même personne»21. Plus récemment, dans l’affaire Goldstein c. Auerback22, la Cour d’appel s’est appuyée sur ses jugements rendus dans les affaires Laviolette et Kwiat pour constater l’opération de la compensation légale entre des montants avancés par des administrateurs à leur compagnie et le montant d’un prêt fait par la compagnie à ses actionnaires pour lequel les administrateurs furent tenus responsables en raison de l’article 95 de la Loi sur les compagnies. Dans les arrêts Kwiat et Auerbach, les dettes réciproques étaient exigibles au moment de la faillite23. Comme l’a souligné M. le juge en chef Tremblay dans l’affaire Laviolette, contrairement à la version française du paragraphe 73 de la Loi sur les liquidations24, le paragraphe 97(3) LFI ne restreint pas explicitement l’opération de la compensation aux seules créances «échues ou devenues exigibles à l’ouverture de la liquidation de la compagnie» 25 . Le paragraphe 97(3) ne fait pas non plus de distinction entre compensation légale, judiciaire ou conventionnelle. Dans l’affaire Kwiat, la Cour d’appel avait écrit à cet égard que le paragraphe 97(3) LFI (alors numéroté 75(3)) «fait que, pour les fins de l’établissement de l’actif et de la partie du passif formée par des réclamations prouvables, la compensation légale et même judiciaire s’applique [...]» [nos italiques]26. On pouvait ainsi penser que la solution retenue dans l’arrêt Laviolette à l’égard de la compensation légale prévaudrait également en matière de compensation 20. 21. 22. 23. [1975] C.A. 157 (ci-après l’affaire Kwiat). Id., p. 159. (1991) 51 Q.A.C. 292 (ci-après l’affaire Auerbach). Dans l’affaire Auerbach, pour conclure que la dette des administrateurs était exigible au moment de la faillite, la Cour a tranché que cette dette devient exigible dès que la compagnie effectue le prêt prohibé, et non à la date subséquente à laquelle un tribunal déclare le prêt contraire à l’article 95 de la Loi sur les compagnies. 24. L.R.C. (1985) ch. W-11. 25. Voir, en ce sens, Chagnon & Cie c. Hutchison, (1920) 31 B.R. 545 et comparer Crain c. Wade, (1917) 55 R.C.S. 208. 26. Supra, note 20, p. 159. 326 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 judiciaire. Toutefois, une controverse continuait d’entourer la question. Il n’était pas inusité qu’un syndic poursuive un débiteur du failli en s’opposant à ce que le débiteur invoque la compensation judiciaire pour des dommages que le failli lui aurait occasionnés, au motif que la compensation ne pouvait avoir lieu si une des dettes n’était pas liquide ou exigible en date de la faillite, ou que la compensation conférait une préférence à ce débiteur. La Cour supérieure s’est penchée sur cette question en 1997 dans l’affaire ASM Canada Ltd. c. Créalise Conditionnement Inc.27. Dans cette cause, ASM avait intenté une action contre Créalise en paiement des royautés prévues dans un contrat de services et Créalise avait intenté une autre action contre ASM en réparation des dommages causés par l’exécution fautive par celle-ci de ses engagements contractuels. Après le dépôt des procédures, ASM a fait cession de ses biens et le syndic a continué l’instance. Les deux actions ont été réunies pour une audition commune. La Cour supérieure a accueilli chacune de ces actions et a prononcé la compensation judiciaire entre les montants des deux condamnations, malgré que la créance de Créalise n’a été liquidée par le tribunal qu’après la date de faillite, et malgré la prétention du syndic que l’opération de la compensation constituerait une préférence frauduleuse28: La compensation, légale ou judiciaire, peut avoir pour effet d’accorder une certaine préférence à un créancier; elle n’en demeure pas moins valide si elle n’est pas frauduleuse. Dans le cas de la compensation judiciaire, l’intervention nécessaire du juge écarte toute possibilité de fraude. Finalement, comme la compensation judiciaire n’a pas d’effet rétroactif, elle ne peut être considérée comme un paiement frauduleux au sens de l’article 95 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, puisque pour être visé par cette disposition de la loi, tout tel paiement doit être fait dans les trois (3) mois précédents la faillite. L’arrêt Structal confirme la solution retenue dans l’affaire ASM en fondant toutefois son analyse sur la notion de compensation en «equity». Selon la Cour d’appel29: Le critère à retenir pour pouvoir appliquer la compensation en «equity» consiste à déterminer si les créances sont si étroitement reliées qu’il serait injuste d’exiger le paiement de l’une sans autoriser la compensation de l’autre. La reconnaissance en droit de la faillite de cette notion de common law étonne. Elle nous paraît ne pas avoir été nécessaire dans la mesure où les principes de la compensation judiciaire et le paragraphe 97(3) LFI auraient pu mener la Cour d’appel au même résultat. L’exigence que les créances soient «si étroitement reliées» ne rappelle-t-elle pas le critère de connexité imposé par l’article 172 du Code de procédure civile, applicable en matière de compensation 27. C.S.M. 500-05-012826-903, J.E. 97-1399 (ci-après l’affaire ASM). 28. Id., p. 17-18. 29. Structal, supra, note 1, p. 2694. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 327 judiciaire30? De plus, on peut se demander si le paragraphe 97(3) LFI renvoie, au Québec, aux règles de la compensation en vigueur dans d’autres provinces31. Pourquoi, en effet, les règles normalement applicables de la compensation devraient-elles être mises de côté et remplacées par de nouvelles règles, alors que la LFI n’impose pas cette solution? En ce qui concerne la prétention que l’opération de la compensation confère une préférence frauduleuse en faveur de Gilbert, la Cour d’appel répond que le paragraphe 97(3) LFI constitue une exception législative au principe n or malemen t applica b le d e l’ ég alité en tr e c r éanciers 3 2 . Comme nous le verrons ci-après, les décisions de la Cour d’appel dans les affaires St-Léonard et D’Auteuil répondent de façon plus complète à cette prétention. III- LES ARRÊTS ST-LÉONARD ET D’AUTEUIL Les affaires St-Léonard et D’Auteuil ont ceci de particulier qu’elles apportent une nuance à la jurisprudence posant comme condition de la compensation que les deux dettes réciproques existent au moment de la faillite. Dans l’affaire St-Léonard, selon le jugement de la Cour d’appel, au moment du dépôt de l’avis d’intention du propriétaire, la créance de la Ville pour les taxes de 1991 n’existe pas encore. Cette créance est née en 1991 et est devenue exigible en entier, pour des raisons propres à l’espèce, au mois d’avril 1991. La créance du propriétaire pour le remboursement du trop-perçu de taxes pour les années antérieures, toujours selon le jugement de la Cour d’appel dans cette affaire, n’est née qu’au moment de la décision du Bref au mois de mai 1991, une semaine avant le rejet de la proposition, et n’est devenue exigible, comme nous l’avons déjà indiqué, qu’au mois de juillet 1991. La Cour d’appel confirme dans son jugement que «sous les réserves prévues à l’article 97(3) lui-même, la compensation légale, même si elle crée une forme de garantie, trouvera application après la cession de bien si les dettes avaient la double qualité d’exister et d’être réciproques avant la faillite»33. De plus, la Cour est consciente que le rejet de la proposition fait rétroagir la faillite du propriétaire au jour du dépôt de son avis d’intention (étant donné les dispositions de la LFI en vigueur à l’époque de ce litige). Pourtant, la Cour constate que les créances réciproques du propriétaire de la Ville se sont éteintes par le jeu de la compensation, après la date du rejet de la proposition, lorsque la créance du propriétaire en remboursement du trop-perçu de taxe est devenu exigible34: Certes, à cette date [le 10 juillet 1991], Turenne était en déconfiture mais sa créance était née depuis le jugement du 1er mai, une époque où il n’était pas encore failli et où la créance de 30. Voir Banque Nationale du Canada c. Noël, [1996] R.J.Q. 109 (C.S.). 31. Voir BEAUDOIN et JOBIN, supra, note 9, p. 775. 32. Structal, supra, note 1, p. 2695, en se fondant sur l’arrêt Husky Oil, supra, note 17. 33. St-Léonard, supra, note 2, p. 14. 34. Id., p. 16-17. 328 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 St-Léonard pour les taxes de 1991 était liquide et exigible depuis le 1er avril. On pourrait peut-être prétendre que les deux dettes étaient postérieures à la date effective de la faillite, celle de la proposition. La dette de Turenne à l’endroit de St-Léonard et la créance acquise contre elle sont nées durant la période de la proposition, à une époque où Turenne était encore en affaires et sont relatives à la conduite de son entreprise immobilière. Dans cette situation, je vois mal comment on devrait ou pourrait rétroactivement annuler les actes faits dans le cours normal des affaires à moins que l’acte de proposition n’ait prévu quelques arrangements particuliers à cet égard, ce sur quoi nous n’avons pas un iota de preuve. La Cour a retenu une solution semblable dans l’affaire D’Auteuil. Ce n’est qu’après avoir déposé son avis d’intention que D’Auteuil exécuta des travaux sur les biens fournis par Motokov. La créance D’Auteuil pour le montant de ses travaux ne pouvait manifestement pas exister avant que ces travaux ne soient exécutés. En revanche, au moment où les créanciers rejetèrent la proposition D’Auteuil, les travaux étaient complétés et la créance de celui-ci existait. La Cour a rappelé l’exigence traditionnelle de l’existence réciproque des dettes avant la faillite. Pourtant, étant donné la rétroactivité de la faillite présumée dans cette affaire, décrétée par les dispositions de la LFI en vigueur à l’époque de ce litige, la dette de M otokov n ’ ex istait p a s à ce moment. Citant son propre jugement dans l’affaire St-Léonard, la Cour d’appel dans D’Auteuil a néanmoins constaté que la compensation légale s’était opérée35 : Si la compensation doit s’appliquer lorsque les dettes sont nées durant la période la proposition, je suis d’avis qu’elles doivent a fortiori s’appliquer lorsqu’elles sont nées dans la période séparant le dépôt de l’avis d’intention de la proposition. Ici, la créance de l’intimée existait avant la date effective de la faillite, le 1er novembre 1994, alors que celle du débiteur est née entre la date du dépôt de l’avis d’intention et celle de la proposition alors que ce dernier était toujours en affaires. Il s’agit donc de deux dettes réciproques simultanées, intimement liées à la conduite des affaires du débiteur, de sorte que leur compensation ne saurait être assimilée à un paiement préférentiel ou frauduleux; il s’agit en effet de réparations exécutées après le début de l’avis d’intention sur des biens qui avaient été vendus antérieurement. Si, comme le prévoit l’article 1673 C.c.Q., la compensation s’opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont certaines, liquides et exigibles, il est difficile d’imaginer que même si la loi lui confère une existence juridique rétroactive, la faillite du débiteur ait pour effet d’annuler une compensation qui s’est produite automatiquement par la seule coexistence des éléments requis par la loi. On aurait tort de penser que la Cour d’appel a mis de côté la condition que les dettes réciproques existent avant la date de faillite. Cette condition est expressément réaffirmée dans les arrêts 35. D’Auteuil, supra, note 3, p. 5-6. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 329 St-Léonard et D’Auteuil. Il nous semble plutôt que la Cour a voulu apporter une nuance à cette condition lorsque la faillite résulte de façon rétroactive du rejet d’une proposition. La condition devient alors que les dettes réciproques existent avant le vote des créanciers rejetant la proposition. Cette solution se justifie par l’absence dans la LFI de dispositions (autres que celles visant les paiements préférentiels ou frauduleux) permettant aux tribunaux de faire revivre deux dettes qui se seraient réciproquement éteintes par le jeu de la compensation légale. Cette nuance n’a sans doute qu’un intérêt temporaire, puisque dorénavant la faillite ne rétroagit plus au jour du dépôt de la proposition ou de l’avis d’intention. De plus, la Cour dans l’arrêt St-Léonard constate l’opération de la compensation légale même si l’une des dettes (en l’occurrence, la dette de la Ville) n’est devenue exigible qu’après le rejet de la proposition. Cette décision nous paraît parfaitement conforme à l’interprétation du paragraphe 97(3) LFI retenue dans l’affaire Laviolette. Il semble ainsi solidement établi que la compensation légale peut avoir lieu même si l’une des dettes ne devient exigible qu’après la date de la faillite. Enfin, on se rappellera que le paragraphe 97(3) LFI permet à la compensation de jouer «sauf en tant que toute réclamation pour compensation est atteinte par les dispositions de la présente loi concernant les fraudes ou préférences frauduleuses». On doit se demander quelle portée les tribunaux donnent à cette restriction à l’application des règles de la compensa t ion, ét a nt d onné surt out l’article 95 LFI, qui présume préférentiel tout paiement effectué par le failli dans la période de trois mois précédant l’ouverture de la faillite ou dans la période entre l’ouverture de la faillite et la date de la faillite36. On a déjà fait valoir que l’article 95 LFI ne vise pas la compensation légale, car celle-ci s’opère par le seul effet de la loi et ne résulte pas d’un acte posé par le débiteur insolvable37. On a aussi jugé que l’article 95 LFI ne vise pas la compensation judiciaire, car l’intervention du tribunal écarte toute possibilité de fraude et n’a généralement lieu qu’après la date de faillite, en dehors de la période visée par cette disposition38. Dans les arrêts St-Léonard et D’Auteuil, la Cour aborde la question d’une façon originale. Elle souligne dans St-Léonard que les dettes réciproques de la Ville et du propriétaire étaient nées durant la période de la proposition, à une époque où le pro- 36. Ces expressions sont définies aux art. 2(1) et 2.1 LFI. La date d’ouverture de faillite signifie la date du premier des événements suivants: le dépôt d’un avis d’intention, le dépôt d’une proposition, le dépôt d’une cession de biens et le dépôt d’une requête à l’égard de laquelle une ordonnance de séquestre est émise. La date de faillite signifie plutôt la date de l’ordonnance de séquestre, celle de la cession de biens ou celle de la survenance d’un fait qui entraîne une faillite présumée. 37. Canadian Imperial Bank of Commerce c. Zwaig, [1976] C.A. 682, p. 685 (motifs de M. le Juge Bernier). 38. ASM, supra, note 27, p. 18. 330 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 priétaire était encore en affaires et étaient relatives à la conduite de son entreprise immobilière. Elle souligne aussi dans D’Auteuil que la créance de D’Auteuil est née entre la date de l’avis d’intention et celle de la proposition, à une époque où celui-ci était encore en affaires, et que cette créance et celle de Motokov étaient intimement liées à la conduite des affaires de D’Auteuil. En somme, dans chaque cas, les dettes étaient nées dans le cours normal des affaires du débiteur insolvable. Ce résultat paraît conforme à une certaine jurisprudence qui repousse la présomption créée à l’article 95 LFI en présence d’un paiement fait dans le cours normal des affaires39. 39. Voir B. BOUCHER et J.-Y. FORTIN, Faillite et insolvabilité: perspectives québécoises de la jurisprudence canadienne, p. 2-731 et 2-732. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 331 DROIT DU LOGEMENT Pierre Gagnon L’équité contractuelle en droit du logement depuis 1994 et l’interdiction conventionnelle relative aux animaux favoris* AVANT-PROPOS En raison de son caractère résolument progressiste, le Code civil du Québec (C.c.Q.) a redonné vigueur à l’ensemble de notre droit privé. Au cours des cinq premières années d’application du Code, praticiens du droit et juges ont en quelque sorte veillé sur la petite enfance des nouvelles dispositions. Le colloque du Barreau «La réforme du Code civil, cinq ans plus tard», tenu à l’automne 1998, a dégagé un certain nombre de lignes directrices de cette évolution. C’est dans ce contexte qu’il nous a paru opportun de faire le point sur les solutions jurisprudentielles d’équité contractuelle, inspirées par le Code de 1994, qui ont infléchi le domaine du droit du logement, tantôt superficiellement, tantôt de manière fondamentale. A) INTRODUCTION 1. L’équité contractuelle Le contrat est l’émanation et l’expression de la volonté des par- ties: c’est cette caractéristique qui lui confère son autorité et sa force obligatoire. «Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites», édicte l’article 1134 du Code civil français. L’autonomie de la volonté1 est le principe fondamental du droit des contrats, en France comme au Québec. Cette doctrine n’est pas définie en toutes lettres dans le nouveau Code, mais on trouve l’énoncé de son proche corollaire, le consensualisme, à l’article 1385 C.c.Q.: «Le contrat se forme par le seul échange de consentement...». De plus, le principe de l’autonomie de la volonté est perceptible en filigrane dans l’ensemble des dispositions relatives aux obligations. Voici quelques exemples: l’énumération limitative des vices de consentement (1399 C.c.Q.), ainsi que le caractère obligatoire (1434 et 1458 C.c.Q.), l’irrévocabilité et l’immutabilité (1439C.c.Q.) de la convention et de ses suites. La fermeté de l’engagement contractuel constitue un gage de sécurité pour les parties. Il est loisible d’affirmer * Cet article traduit l’état du droit à la fin de septembre 1999. 1. François TERRÉ, Philippe SIMLER et Yves LEQUETTE, Droit civil – les Obligations, 5e éd., 1993, Paris, Dalloz, p.25. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 333 que la crédibilité des institutions d’un pays se mesure en grande partie à l’aune de la continuité des règles qui déterminent la formation et l’exécution du contrat2. Cependant, la complexité croissante du tissu social et des relations économiques ne permet plus l’application aveugle du consensualisme, doctrine héritée d’une période où prédominait le libéralisme intégral. D’une part, le souci de favoriser la justice contractuelle, malgré la force inégale des contractants, a suscité l’apparition d’un «formalisme de protection», selon la formule du ministre de la Justice3. C’est le cas notamment pour la forme et le contenu des contrats soumis à la Loi sur la protection du consommateur4. D’autre part, en vue de rétablir l’équilibre des prestations et ainsi favoriser une «nouvelle moralité contractuelle»5, le législateur québécois – surmontant sa réticence bien ancrée de civiliste à cet égard6 – a dû se résoudre à élargir la latitude d’analyse des juges. Dès 1964, il ajoutait au Code civil du Bas-Canada (C.c.B.-C.) une section intitulée De l’équité dans certains contrats 7 . En particulier, l’article 1040c prescrivait que le tribunal pouvait intervenir en vue de réduire ou même d’annuler les obligations monétaires découlant d’un prêt d’argent si le coût du prêt était excessif ou encore si l’opération dans son ensemble était «abusive et exorbitante». Le juge devait prendre sa décision «eu égard au risque et à toutes les circonstances». Le texte même de la modification invitait le décideur à analyser chaque clause dans le contexte des autres conditions de la convention, et même à tenir compte des facteurs extérieurs, tels les risques assumés par l’une ou l’autre des parties. Cet élargissement de la discrétion judiciaire a pris quelque peu à rebrousse-poil la magistrature de l’époque: tributaire d’un réflexe séculaire de prudence, elle a favorisé une interprétation restrictive de ses nouveaux pouvoirs8. La brèche était néanmoins pratiquée: sans remettre en cause la responsabilité des parties devant leurs engagements, le codificateur de 1994 exige désormais que l’équité contractuelle9 soit respectée à toutes les étapes de la convention. Il a d’ailleurs porté son propre jugement sur l’état du consensus 2. V. Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e éd., 1998, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 12. 3. Le Code civil du Québec – Commentaires du ministre de la Justice, 1993, Québec, Gouvernement du Québec, t. 1, art. 1385. 4. L.R.Q., c. P-40.1. 5. Précité, n. 2. 6. V.Gérard CORNU, Droit civil – Introduction. Les personnes. Les biens, 5e éd., 1991, Paris, Montchrestien, p. 72; selon cet auteur, «le pouvoir modérateur demeure, en droit français, exorbitant ». 7. L.Q. 1964, c. 67. 8. Roynat Ltée c. Restaurants de la Nouvelle-Orléans Inc. (les), [1978] 1 R.C.S. 969. 9. «L’équité est une donnée objective et universelle qui exige... au moins, qu’il n’y ait pas, dans le traitement de choses semblables, de différences excessives »: G. CORNU, précité, note 6, p. 69. 334 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 social en retirant aux tribunaux le pouvoir de déterminer la légalité de certaines stipulations. Voici l’éclairage du juge Jean-Louis Baudouin sur cette question: Le Code civil s’est attaché, dans toute une série de dispositions visant les règles de formation et d’exécution des contrats, à établir une équité contractuelle fondée sur la bonne foi. Plus interventionniste que le législateur de 1866, il n’hésite pas, dans un grand nombre de dispositions, à déclarer nulles, non écrites, ou sans effets certaines stipulations conventionnelles. Dans ces cas, mis à part d’éventuels problèmes de qualification ou d’interprétation de ces clauses et la constatation judiciaire de leur existence, le juge n’a qu’un pouvoir d’intervention limité qui consiste seulement à annuler la clause en question.10 2. La clause abusive À la fin du long processus de refonte mené par l’Office de révision du Code civil, le concept de clause abusive ne faisait plus hérisser l’hermine des magistrats. L’Office prévoyait d’ailleurs l’octroi au juge d’une discrétion plus poussée pour tous les types de contrats. Mais vu l’absence de consensus à cet égard, la disposition finalement adoptée (article 1437 C.c.Q.) s’applique seulement aux contrats d’adhésion et de consommation11. Malgré le champ d’application restreint, les critères d’appréciation du caractère abusif demeurent vagues à souhait. Qu’est-ce qui «désavantage le consommateur ou l’adhérent de façon excessive et déraisonnable»? Comment va-t-on «à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi»? Par quels critères peut-on identifier une clause qui «dénature» le contrat? Le libellé de l’article 1437 suspendait les juges dans un état inconfortable – et inaccoutumé – d’apesanteur normative. Pour le professeur Pierre-Gabriel Jobin, il s’agissait d’un «terrain semé d’embûches»12. L’absence de balises claires aurait pu occasionner des difficultés majeures d’interprétation. Au contraire, le premier quinquennat de l’article 1437 n’a pas provoqué de révolution jurisprudentielle; la disposition a été appliquée généralement avec prudence et circonspection, comme l’explique dans un élan d’optimisme le professeur Jean Pineau: «Cinq années, c’est encore peu, mais c’est déjà suffisant pour prétendre, contrairement à ceux qui prédisaient le pire, que la 10. J.-L. BAUDOUIN, Les obligations, 4e éd., 1993, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., p. 245. 11. V. Pierre-Gabriel JOBIN, Les clauses abusives, dans Congrès du Barreau du Québec 1996, Service de la formation permanente, p. 366-367. Cette restriction ne s’applique toutefois pas à la clause pénale abusive (articles 1622 et 1623 C.c.Q.). 12. Précité, n. 11, p. 367. Pour clarifier le débat, celui-ci propose néanmoins certains repères de classification. Une clause peut être abusive – soit en elle-même – soit à la lumière «des autres stipulations de la convention » – soit (à la lumière) «d’autres contrats ayant un lien avec (le contrat) et dont les répercussions peuvent rendre la clause abusive, ou au contraire rendre inacceptable une clause qui serait acceptable à première vue » (p. 382-383). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 335 moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. surprise, sans être divine, est plutôt agréable!13 3. La bonne foi Progressivement, mais surtout au cours du dernier quart de siècle, les tribunaux québécois en sont venus à évaluer non seulement la légalité stricte du contrat, mais également les circonstances de sa mise à effet14. «(Les conventions) doivent être exécutées de bonne foi» prescrit l’article 1134 in fine du Code civil français. La doctrine de l’abus de droit vise à supprimer les effets pervers de l’exécution malicieuse ou entachée de mauvaise foi15. Dans l’arrêt phare rendu en la matière par la Cour suprême du Canada, l’honorable juge Claire L’heureux-Dubé s’exprime ainsi sur la pertinence de cette théorie: Bien qu’elle puisse représenter un écart par rapport à la conception absolutiste des décennies antérieures , qu’il lus tr e la célèbre maxime «la volonté des parties fait loi», elle s’inscrit dans la tendance actuelle à concevoir les droits et obligations sous l’angle de la justice et de l’équité.16 L’exigence de la bonne foi (et la condamnation de l’abus de droit) est désormais codifiée aux articles 6, 7 et surtout à l’article 1375 C.c.Q.: La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au Les notions distinctes mais complémentaires de clause abusive et d’abus de droit font maintenant partie intégrante du droit positif: la codification de ces principes a eu pour effet de stimuler une analyse plus approfondie de la relation contractuelle, de façon que soient réalisées les attentes exprimées à l’époque par le ministre de la Justice: Si le Code civil maintient, quant à certaines normes ou notions, un flou relatif, il traduit aussi jusqu’à un certain point, les ambivalences et les intérêts diversifiés qui cohabitent dans la société. Il faut voir ces règles comme les pores par lesquels le code peut respirer, se vivifier et s’adapter par l’interprétation qui lui sera donnée suivant l’évolution de notre société.17 B) EN DROIT DU LOGEMENT 1. EN GÉNÉRAL Le bail résidentiel, à toutes les étapes de son existence, est assujetti de façon toute particulière à la règle de la bonne foi. En effet, ce contrat établit les conditions relatives à la satisfaction d’un besoin fondamental, l’habitation. Il comporte des obligations diversifiées qui sont, par surcroît, 13. Jean PINEAU, La discrétion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matière contractuelle?, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Barreau du Québec et Éditions Yvon Blais Inc., no 113, p. 178. 14. Pour connaître l’état du droit en la matière avant la refonte du Code, v. Pierre-Gabriel JOBIN, Grands pas et faux pas de l’abus de droit contractuel, (1991) 32 C. de D. 153. 15. «L’intention malveillante est le critère incontesté de l’abus de droit»: G. CORNU, précité, note 6, p. 58. 16. Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122, p. 145. 17. Précité, note 3, p. VII. 336 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 exécutées de façon successive. Impossible souvent de retrouver une preuve écrite fiable pour régler les conflits qui surviennent en cours d’exécution; le bail lui-même est verbal dans de nombreux cas. La bonne foi a l’insigne avantage d’être une notion simple et universellement acceptée: son sens est équivalent en droit et dans la vie courante. De plus en plus, elle constitue la clef de voûte pour la solution de litiges portant sur le droit du logement. À titre d’exemple, la Régie du logement a sanctionné l’abus de droit dans les domaines suivants: – recours excessifs et harcèlement par le locateur18; – location dans un but criminel19; – loyer frauduleusement bas20; – av is d’ au g men tati on irrégulier21. 1.1 Les clauses déclarées abusives Dans le cadre de la réforme majeure du droit du logement réalisée en 197322, le législateur a décrété qu’il était désormais interdit de déroger dans un contrat à la p lup a rt d es d isp osit ions d u C.c.B.-C. relatives au bail résidentiel. Cette interdiction est reprise à l’article 1893 du Code actuel par la formule «Est sans effet la clause...» Toute stipulation contraire est abusive et frappée de nullité, dès l’origine et sans décision judiciaire quant à son caractère. En vertu du p rincip e d e l’ordre p ub lic, l’Autorité fait une détermination préalable de la nature abusive d’un comportement et limite en conséquence l’autonomie de la volonté des parties23. Des cas précis sont prévus aux articles 1900 (limitation de la responsabilité et modification des droits), 1905 (déchéance du terme), 1906 (réajustement du loyer en cours de bail) et 1910 C.c.Q. (état du logement). 1.2 La clause abusive (art. 1901 C.c.Q.) L’article 1901 C.c.Q., qui porte sur la clause pénale abusive et sur la clause abusive en général, transpose dans le domaine du bail résidentiel la latitude considérable d’analyse qu’on constate à l’article 1437 C.c.Q. La faculté de statuer 18. Couture c. Fréchette, [1998] J.L.75. 19. Morin c. Bourgoin, [1995] J. L. 196 20. Caisse populaire Notre-Dame-de-la Merci de Montréal c. Diamant et al., [1997] J.L. 44. 21. Lussier c. Bouchard, [1999] J.L. 86. 22. L.Q. 1973, c. 75; ces modifications ont été reprises pour l’essentiel aux articles 1650 et suivants du C.c.B.-C. en 1979. 23. Le droit positif récent a quelque peu atténué la sévérité de cette notion. On établit désormais une distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de protection. L’ordre public de direction concerne les principes et les politiques de l’État: aucune dérogation n’est admise et la nullité est absolue (art. 1417 C.c.Q.). Au contraire, le bénéficiaire de l’ordre public de protection peut y renoncer, lorsque la mesure de protection est devenue actuelle. Dans ce cas, aux termes de l’article 1419 C.c.Q., la nullité est relative. V. Nicole ARCHAMBAULT, Droit des obligations du louage, dans La réforme du Code civil, textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, vol. 2: Obligations, contrats nommés, 1993, Ste-Foy, Presses de l’Université Laval, p. 650-651. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 337 sur la nature équitable d’une stipulation contractuelle, conférée lors de la réforme de 1973, n’est soumise à aucune contrainte spéciale: il s’agit en tous points d’un pouvoir discrétionnaire24. Appliquée plutôt timidement au cours des quelque vingt premières années de son existence, la disposition a pris du galon dans le contexte plus «contestataire» du nouveau C.c.Q. L’article 1901 traite en premier lieu de la clause pénale abusive, qui prescrit une pénalité excessive en cas d’inobservation d’une obligation. Depuis 1994, deux types principaux de clauses pénales ont été analysés par les tribunaux. Il y a d’abord la stipulation, formulée de multiples façons, qui prévoit un rabais de loyer ou autre prime si le locataire exécute fidèlement ses obligations. En cas de faute à cet égard, le locateur réclame le remboursement de l’avantage consenti, généralement de façon rétroactive. Le tribunal doit évaluer la sanction réclamée en regard du «préjudice réellement subi» 25. Voici une autre formulation de cette exigence: Nous concluons donc que, si à priori, les clauses abusives doivent être étudiées à la lumière des règles d’équité, nous croyons que dans les cas où la peine est démesurée par rapport au préjudice subi, elle doit être déclarée nulle ou réductible.26 Pour la majorité des régisseurs de la Régie du logement, la stipulation conditionnelle de rabais de loyer ou d’un autre avantage constitue une clause pénale au sens de l’ article 1622 C.c.Q. On juge en effet que, par une telle condition, les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts découlant de l’inexécution de l’obligation27. La citation suivante démontre le souci manifesté par les décideurs de cerner correctement la nature de la stipulation visée: La Régie examine ce type de clause avec beaucoup de prudence. Sans nécessairement conclure qu’il s’agit d’une clause pénale dans tous les cas, le soussigné considère que le locateur a le fardeau de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un moyen pour hausser artificiellement le coût du loyer ou d’attirer un locataire sous de fausses représentations. Il a le fardeau également de démontrer que la clause est claire et non équivoque, que le locataire y a consenti en toute connaissance de cause et finalement que son contenu est raison- 24. «Faculté acccordée à une personne appelée à prendre une décision, dans les limites de sa compétence, de choisir parmi les décisions possibles celle qui lui paraît la plus appropriée suivant les circonstances »: Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 1994, Montréal, Wilson et Lafleur Ltée, p. 434. 25. Bernier c. Burnett, [1996] J.L. 335. 26. Immeubles Yamiro Inc. c. Yvon Mola Brière, [1997] J.L. 131. 27. Le raisonnement contraire, bien que minoritaire, est tout à fait soutenable: «En droit québécois, la clause pénale (est) un engagement de payer une somme d’argent fixée à l’avance et en sus de l’obligation initiale ... la clause stipulant la révocation des mois gratuits si la locataire ne paie pas le loyer le premier jour du mois a, comme conséquence, que la locataire sera simplement tenue à son obligation initiale, c’est-à-dire, au paiement du loyer pendant toute la durée du bail»: Weldon c. Demers, [1994] J.L. 321. 338 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 nable au sens de l’article 1901 précité.28 Un second type de clause pénale fixe à l’avance les conséquences de divers événements qui peuvent survenir en cours de bail: par exemple, l’indemnité de cession de bail29, la peine pour retard du loyer ou les frais de chèque sans provision30. Dans de tels cas, il s’agit d’établir une stricte équivalence entre le préjudice subi et la sanction prévue. Quant à la clause abusive au sens large, qui confère au juge le pouvoir d’intervenir en matière d’«obligation... déraisonnable», le pouvoir discrétionnaire est limité seulement par le devoir de statuer «en tenant compte des circonstances». Le locataire peut demander une décision déclaratoire du tribunal à cet égard, à titre principal ou accessoire. Il peut également invoquer en défense la nature abusive d’une clause dont le locateur veut lui imposer l’observation. La jurisprudence est d’une utilité plutôt limitée sous ce rapport, puisqu’on est généralement en présence de cas d’espèce. Quelques illustrations néanmoins: le locataire se plaint d’être assujetti au coût des services publics31, de devoir installer des tapis à ses frais32, d’être responsable de la réparation des 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. appareils ménagers fournis avec le logement33, de ne pas pouvoir utiliser un lave-vaisselle dans son appartement34. 2. LA QUESTION DES ANIMAUX FAVORIS 2.1 Observations préliminaires La clause supplémentaire du bail qui provoque le plus de conflits est sans contredit celle qui régit la possession d’animaux favoris. Dans une minorité de cas, le bail précise le nombre, la taille ou l’espèce des bêtes qui auront accès aux lieux loués35. Ainsi, un chat sera toléré, mais non un chien36. Habituellement toutefois, c’est l’exclusion générale: aucune concession, même pour l’animal qui accompagne un visiteur37. La formule usuelle est succincte et lapidaire: «Pas d’animaux». Cette position radicale n’est pas sans fondement. Les habitations sont d’abord destinées aux êtres humains; les animaux qu’on y introduit se comportent fréquemment comme des intrus peu désirables, et leurs maîtres comme des gardiens peu soucieux d u b ien com m un. La coexistence des personnes et des animaux, particulièrement dans les immeubles à logements multiples ou dans les édifices en hau- Arquello c. Immeubles Yamiro Inc., [1995] J.L. 44. F.D.L. Compagnie Ltée c. Morin, [1996] J.L. 366. Foucault et a. c. Maurice, R.L. 28-960415-019G, 17 juillet 1996, r. D. Dumont. Lowry et a. c. Verlinden, R. L. 26-960424-004G, 21 novembre 1996, r. D. Laflamme. Athanassiadis c. Cormier, R.L. 35-931216-005G, 16 février 1994, r. J. Bisson. Campbell c. Diakite, R.L. 35-960423-025A, 6 septembre 1996, r. H. Chicoyne. Olivier c. Office municipal d’habitation (OMH) de Vanier, R.L. 18-970217-030G, 18 juin 1997, r. J. Cloutier. Delli Quadri c. Annecchini, R.L. 34-960411-001G, 17 juin 1996, r. J. Gagnon Trudel. Mondou c. Miller, C.Q. 500-02-020249-947, 2 juin 1995, j. R. Barbe. Giarciello c. Tremblay, R.L. 32-960322-005G, 31 mai 1996, r. G. Joly. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 339 teur, est une source inépuisable de différends de toutes sortes. Les voisins se plaignent au propriétaire des aboiements, de la malpropreté, des odeurs; ils sont allergiques au poil, ils redoutent la présence d’un molosse dans l’ascenseur. Le locateur, de son côté, subit des frais supplémentaires de conciergerie et d’extermination de parasites. Il assiste impuissant à la détérioration de sa propriété, grugée à coups de becs, de crocs, d’ergots ou de griffes. Il craint l’effet d’entraînement chez les autres locataires s’il manifeste la moindre tolérance à ce sujet. Sans tenir compte du temps perdu à intervenir dans les chicanes entre voisins ou à faire le pied de grue dans l’antichambre de la Régie du logement. La mise en œuvre d’une politique d’interdiction totale des animaux favoris comporte des avantages certains, à la fois pour l’ensemble des locataires et pour le propriétaire. C’est une mesure qui prévient les tensions entre voisins et réduit les coûts d’exploitation, entraînant la bonne entente et les loyers raisonnables. Ces objectifs fort respectables se heurtent cependant à un phénomène incontournable: la relation qui existe depuis l’aube des temps entre l’homme et les animaux qu’on dit «familiers»38. Au Québec, entre 45 et 58 % des ménages hébergent au moins un animal39. Leur popularité croissante s’explique en partie par le fractionnement, ou l’«atomisation» du tissu social: la personne seule ou handicapée, l’enfant unique, le vieillard isolé nouent des rapports étroits de substitution avec un animal de compagnie. En principe tout au moins, il est légitime pour quiconque est empêché d’acquérir ou de conserver un animal de se sentir lésé dans l’exercice de ses droits fondamentaux. Il faut également compter avec l’influence croissante de la zoothérapie. De nombreux médecins affirment que le contact avec un animal soulage ou même guérit les symptômes reliés aux maladies physiques ou psychologiques. Voici la définition de cette discipline proposée par la Société de zoothérapie de Drummondville: le terme général «zoothérapie» s’applique à toute activité impliquant l’utilisation d’un animal auprès de personnes, dans un but récréatif ou clinique. Cetteméthode favorise les liens naturels et bienfaisants existant entre les humains et les animaux, à des fins préventives et thérapeutiques.40 Ces divers facteurs illustrent le dilemme du décideur: doit-il favoriser l’application d’une clause légale et claire, ou plutôt se montrer ouvert aux nouvelles tendances, y compris à la zoothérapie? S’il cherche la réponse dans le texte législatif, l’article 1901 C.c.Q. lui fournit un seul critère, vague à souhait: la clause visée est-elle «déraisonnable»? Cette imprécision explique en grande partie les flottements de la jurisprudence québécoise. Avant d’approfondir l’état du droit positif québécois en 38. «Familier: qui est considéré comme faisant partie de la famille »: Nouveau Petit ROBERT, Édition 1995, p. 890. 39. Le Devoir, 22 décembre 1998, p. B1. 40. Site Internet www.zoothérapie.com. 340 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 la matière, il convient de faire un rapprochement sommaire avec certaines solutions élaborées à ce sujet en Ontario et aux États-Unis. 2.2 À l’extérieur du Québec La Loi sur la protection des locataires de l’Ontario, mise en vigueur le 16 juin 1997 4 1 , a refondu en un seul texte toute la législation portant sur le louage résidentiel. Concernant la possession d’animaux, le mérite principal de la position ontarienne est de dissiper tou te ambig u ï t é. Tout d’abord, à l’article 15, le principe: Est nulle la disposition de la convention de location interdisant la présence d’animaux dans l’ensemble d’habitation ou dans ses environs immédiats. Le législateur a donc tranché la controverse en faveur des locataires qui possèdent un ou des animaux. Il n’a pas pour autant dépouillé le locateur de tout recours. Aux termes des articles 64 et 65 de la Loi, ce dernier peut envoyer au locataire un avis de résiliation du bail fondé sur le préjudice découlant de la possession d’un animal. Le locataire peut alors, soit se départir de son animal dans un délai maximal de 7 à 10 jours, selon le manquement reproché, soit quitter le logement dans un délai maximal de 20 jours, soit attendre la décision du tribunal, que le locateur doit saisir par requête. L’article 74 précise que la résiliation du bail est accordée seu- lement si la présence de l’animal (ou d’un autre animal de cette race ou espèce) «a gêné de façon importante la jouissance raisonnable de l’ensemble d’habitation», «a provoqué... de graves allergies» ou encore «constitue en soi un danger pour la sécurité du locateur ou des autres locataires». Il y a donc une parenté certaine avec l’approche québécoise, qui subordonne la résiliation du bail à l’existence d’un préjudice sérieux. Par contre, le locateur n’est pas admis, comme au Québec, à demander une ordonnance d’exécution en nature. Cette distinction est explicitée ci-dessous, au paragraphe 2.3.2 (Les sanctions). Quant au droit des ÉtatsUnis en la matière, en voici un rapide survol42. D’abord, les clauses «no pets» sont généralement tenues pour valides et susceptibles d’exécution. Il existe toutefois de nombreuses exceptions, notamment en faveur des personnes âgées, des handicapés et des occupants de logements subventionnés. Le principe d’accommodement convenable («reasonable accommodation») – qui est également en pleine évolution au Québec43 – constitue un élément fondamental de la plupart des Codes des droits de la personne: le locateur est tenu de manifester une certaine indulgence à l’égard du locataire qui a besoin de son animal pour sa santé physique et mentale. L’esprit de tolérance est également à la source de l’estoppel, une doctrine de la common law 41. L.O. 1997, c. 24. 42. L’information relative au droit américain est tirée de Companion Animals in Rental Housing, Newark, N. J., Rutgers University Law School Animal Rights Center, Site internet www.animal-law.org/housing/. 43. V. notamment Whittom et al. c. Commission des droits de la personne du Québec, J.E. 97-1255. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 341 selon laquelle est réputé avoir renoncé à exercer son droit le créancier qui a omis d’agir en temps utile après avoir connu la violation d’une clause du contrat44. Dans la ville de New York par exemple, le délai d’action – très bref – est de trois mois. Généralement toutefois, il doit s’écouler un délai beaucoup plus long pour que l’on puisse conclure à l’acquiescement passif du locateur. De plus, l’estoppel ne peut plus être invoqué si le locataire renouvelle son bail. Comme la plupart des États ne reconnaissent pas le principe de la tacite reconduction, le droit acquis du locataire sous ce rapport s’éteint avec l’ancien bail. 2.3 Au Québec Prises isolément, les décisions rendues au Québec au cours des dernières années relativement aux clauses prohibitives paraissent souvent épouser des thèses diamétralement opposées. Certains décideurs semblent privilégier une application rigoureuse de la stipulation, alors que d’autres sont plutôt sensibles au préjudice subi par le possesseur de l’animal. Il est clair qu’il n’existe pas d’unanimité étanche à ce sujet. Mais serait-ce préférable? Au-delà des divergences de degré inévitables dans un contexte fortement émotif, une conclusion découle manifestement de la jurisprudence récente: le principe de l’autonomie de la volonté n’est nullement remis en cause dans l’en- semble des décisions rendues45. D’autre part, ce qui apparaît parfois comme un magma jurisprudentiel se compose en fait d’une multitude de cas d’espèce. Il convient donc de faire le point sur les principes relativement constants énoncés par les juges et régisseurs, ainsi que sur les nuances diverses révélées par la jurisprudence des dernières années. Nous nous penchons par la suite sur deux affaires qui ont quelque peu bouleversé l’échiquier des idées reçues en la matière. 2.3.1 Les principes a) La clause n’est pas déraisonnable L’interdiction de posséder un animal n’est pas considérée en soi comme une «obligation... déraisonnable» au sens de l’article 1901 C.c.Q. La formulation suivante est typique à cet égard: Une telle clause, d’application générale et d’intérêt commun, n’est pas déraisonnble ni abusive à sa face même... Selon la jurisprudence, une telle clause n’est pas injuste parce que, d’une part, tous les locataires et occupants de l’immeuble y sont assujettis et que, d’autre part, elle a été clairement énoncée au locataire qui y a adhéré librement.46 On insiste beaucoup dans les décisions sur le fait qu’il s’agit d’une «clause à laquelle la locataire a librement consenti»47. «Toute personne a l’obligation d’honorer 44. V. également la définition de H. REID, précité, note 24, p. 222. 45. Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) c. Halbot, R.L. 10960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé. 46. OMH de Sept-Îles c. Bouchard et al., C.Q. 650-02-000412-948, 27 octobre 1995, j. G. de Pokomandy. 47. Vigeant c. Tsatoumas, R.L.31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier. 342 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 les engagements qu’elle a contractés...», déclare péremptoirement l’article 1458 C.c.Q. C’est essentiellement le rappel qu’on fait au locataire fautif: [...] la locataire a acquis ce chien alors qu’elle était consciente qu’elle dérogeait ainsi aux conditions de son bail, sans préalablement l’accord de la locatrice [...]48 Ou encore, À la signature de son bail, la locataire savait pertinemment qu’elle ne pouvait garder d’animaux dans son logement. Malgré une telle interdiction, elle décide de procéder à l’acquisition de deux chiens [...]49 La position des tribunaux en cette matière est donc remarquablement ferme et concordante, tout au moins lorsqu’il y a eu négociation véritable des conditions du bail. b) La clause est conforme à la Charte Reconnaissant qu’ils ont enfreint une clause de leur bail, certains locataires plaident néanmoins que cette stipulation viole certains droits fondamentaux conférés par la Charte des droits et libertés de la personne du Qué- bec 5 0 . Invoquant notamment l’article 1 de la Charte, ils avancent qu’une telle restriction constitue une atteinte à leur liberté et à leur dignité. Cette prétention a généralement été rejetée, les décideurs étant d’avis qu’il n’y a pas de lien essentiel entre la liberté et la dignité d’un locataire et le droit ou non d’avoir un animal. On a également eu recours à l’article 10 de la Charte, qui interdit le comportement de nature discrim ina t oire. Une loca t a ire d’origine chinoise se disait victime de discrimination «fondée sur la race», parce qu’elle était la seule à s’être vu contester la présence de son chien, alors que les autres locataires (tous des Occidentaux) n’étaient pas incommodés51. Son moyen de défense n’a pas été retenu par la Régie, la locataire n’ayant pas pu fournir une preuve prépondérante de comportement raciste. Un autre locataire a fait valoir que son fils souffrait d’un «handicap» et que la présence de son animal de compagnie constituait «l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap»52. La question n’a pas été tranchée au fond dans cette décision, puisque le régisseur a décidé, après une étude exhaustive du sujet, que l’intéressé souffrait non pas d’un handicap, mais d’une maladie. 48. OMH de Longueuil c. Narbonne, R.L. 37-941028-008G, 16 janvier 1995, r. G. Joly. 49. Domiciles Pop Inc. c. Thibault, R.L. 06-960508-001G, 30 janvier 1997, r. M. Dubé. 50. L.R.Q., c. C-12. La Charte canadienne des droits et libertés (L.R.C. (1985), App. II, no 44, Ann. B) ne s’appliquerait pas en la matière, selon le juge Pokomandy (v. ci-dessus, note 46). 51. Résidence Lincoln c. Yang Uye Il, R. L. 31-961009-055G, 13 décembre 1996, r. R. Holden. 52. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 343 c) L’application de la clause ne constitue pas du harcèlement L’article 1902 C.c.Q., introduit par la réforme de 1994, interdit le comportement visant à restreindre le droit du locataire à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement. Cette interdiction vise non seulement les actes carrément illégaux, mais également «les manifestations permises par la loi mais exercées de façon abusive»53. Plaide-t-on que l’application sélective ou déraisonnable de la clause prohibitive équivaut à du harcèlement? Les décideurs sont peu sympathiques à cette thèse: Le tribunal ne saurait voir dans le comportement des locateurs à cet égard une quelconque forme de harcèlement, ceux-ci s’étant bornés à demander à la locataire de respecter la clause spécifique du bail interdisant la présence d’animaux dans le logement, les demandes répétées des locateurs n’étant aucunement empreintes de mauvaise foi [...]54 Dans une autre affaire, il a été jugé qu’un locataire poursuivi en résiliation de bail, après avoir été mis en demeure de se débarrasser de son chien, ne pouvait pas obtenir la résiliation du bail en sa faveur et des dommages-intérêts pour cause de harcèlement, même si la demande du locateur avait été rejetée pour d’autres motifs55. d) La tolérance n’équivaut pas à une renonciation La doctrine de l’estoppel n’a pas la faveur des décideurs, du moins lorsque la tolérance n’est que passive. On pourrait penser que le caractère obligatoire de la clause prohibitive s’atténue avec le temps. Il n’en est rien dans la plupart des cas. La renonciation à la clause doit être explicite: [...] le fait d’avoir toléré la présence d’animaux à l’encontre de la stipulation contenue dans les baux ne constitue pas en soi une renonciation à se prévaloir de cette clause. Or, la preuve ne révèle ni faits, ni paroles qui pourraient laisser croire à une modification du bail pour en retrancher la clause ou pour permettre aux appelants de croire que l’intimé renonçait à son application [...]56 Ce principe est énoncé, à quelques variantes près, dans maintes décisions de la Régie du logement57. Il est évoqué dans les situations les plus diverses. Quelques illustrations: – le propriétaire a toléré la présence d’un animal en particulier; il n’est pas obligé d’accepter celui qui le remplace58; 53. Pierre PRATTE, «Le harcèlement envers les locataires et l’article 1902 du Code civil du Québec», (1996) 43 R. du B. 3, p. 15. 54. Vigeant c. Tsatoumas, R.L. 31-960627-059G, 12 novembre 1996, r. H. Beaumier. 55. Lacroix, c. Moore, R.L. 31- 961015-055G, 5 février 1997, r. J.-P. Hurlet (Moore c. Lacroix, R.L. 31-960814-052G, 22 octobre 1996, r. J. Giroux). 56. OMH de Dégelis c. Lebrun et al., [1994] J.L. 127. 57. V. Héroux c. Leblanc, R.L. 16-940811-005G, 17 octobre 1994, r. G. Langlois; Habitations Atlantique c. Bernatchez, R.L. 08-940824-008G, 12 janvier 1995, r. M.Dubé; S. D. Gameroff Estate c. Parent, R.L. 34-960409-012G, 3 septembre 1996, r. D. Laflamme. 58. Chagnon c. Lainesse, C.Q. 750-02-000283-958, 29 septembre 1995, j. R. Denis. 344 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 – le locateur a soumis la bête à une période de probation, «pour permettre aux locataires de la dresser»; insatisfait du résultat, il a le droit d’exiger l’application de la clause prohibitive59; – l’ancien locateur était indulgent; le nouvel acquéreur de l’immeuble n’est pas tenu de l’imiter60; – le locateur est en train d’éliminer tous les animaux dans l’immeuble; la demande contre le locataire est une étape de ce processus61; – par sa taille, son comportement ou pour toute autre raison, l’animal du voisin ne provoque pas de plaintes62; – le locateur a toléré le caniche des locataires; les deux gros chiens du cessionnaire du bail constituent par contre un «motif sérieux» lui permettant de s’opposer à la cession en vertu de l’article 1871 C.c.Q.63. Qui plus est, l’iniquité du comportement du locateur n’est pas un élément pertinent du débat: le locataire n’est pas admis à invoquer le passe-droit en faveur d’un voisin64, ou même à l’égard du concierge qui possède lui-même un animal65: Il n’appartient pas au tribunal de connaître les motivations qui animent le locateur de permettre à certains de garder leur animal et de l’interdire à d’autres.66 Une réserve pourtant: la motivation du locateur sera prise en considération – à son avantage – s’il souhaite enrayer l’effet d’entraînement chez les autres locataires67. Même en l’absence de tout problème actuel, le locateur est justifié d’agir pour prévenir un préjudice éventuel. Voici un exemple de cette position: Concernant la clause, le Tribunal doit en venir à la conclusion que cette clause est parfaitement légale et que le locateur est en droit d’en exiger le respect même si antérieurement il a toléré la présence d’animaux. Le fait que l’animal n’ait pas causé de dommages ou qu’il n’y ait pas de preuve de préjudice ne peut e mpê c h e r l’ e xe r c ic e de la clause.68 En somme, «Le locateur a le droit d’exiger une certaine uniformité d’application de ses règlements...»69 59. Martin et al. c. Beaulieu, C.Q. 200-02-009585-961, 4 décembre 1996, j. G.-A. Gobeil. 60. Rheault et al. c. Fortin et al., R.L. 18-940805-008G, 20 septembre 1994, r. M. Bégin. 61. SCHL c. Halbot, R.L. 10-960913-002G, 18 octobre 1996, r. M. Dubé. 62. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny. 63. Tourangeau c. Thériault, [1997] J.L. 245. 64. Auclair c. OMH de Baie-Comeau, C.Q. 655-02-000222-932, 7 avril 1994, j. R. Boucher. 65. Immeubles S.M.G. enr. c. Schrenk, R.L. 31-960819-100G, 16 octobre 1996, r. M. Lackstone; confirmé par la C.Q.: [1997] J.L. 333. 66. Kilifis c. Mainville et al., R.L. 35-951023-023G, 20 mars 1996, r. L. Harvey. 67. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, R.L. [1997] J.L. 16. 68. OMH de Charlesbourg c. Labrecque, [1998] J.L. 65. 69. OMH de Longueuil c. Trottier, [1995] J.L. 159. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 345 2.3.2 Les sanctions L’article 1863 C.c.Q. prévoit deux recours pour la mise à effet de la clause prohibitive. Premièrement, le tribunal peut résilier le bail si l’inexécution de l’obligation du locataire cause au locateur ou aux autres occupants de l’immeuble un préjudice sérieux au sens de l’article 1863 C.c.Q. (si l’animal est une «cause sérieuse de nuisance»70, une «source sérieuse de tracasseries»71). Une fois le préjudice sérieux établi, l’article 1973 C.c.Q. permet accessoirement au décideur de rendre une ordonnance octroyant un délai au locataire pour exécuter la conclusion portant sur le respect de la clause. Si le locataire n’obtempère pas, le tribunal n’a plus le choix: il «doit» résilier le bail si demande lui en est faite. Ce sera également la solution retenue lorsque le locataire refuse séance tenante de se départir de son animal. On notera que la résiliation du bail obtenue par le locateur ne met pas fin aux obligations du locataire, notamment quant au versement d’une indemnité de relocation72. En second lieu, même si aucun préjudice n’a été prouvé, le tribunal peut rendre une ordonnance d’exécution en nature visant à forcer le locataire à respecter la clause prohibitive. Les réticences héritées de la common law relativement à l’injonction mandatoire se sont graduellement estompées au cours du dernier quart de siècle, au point où l’exécution en nature est couramment accordée dans les procédures judiciaires au Québec73. En droit du logement, la mise en application de la clause par une ordonnance d’exécution en nature est un des «cas qui le permettent», au sens de l’article 1863 C.c.Q.74. Ce sont surtout les circonstances de l’affaire qui déterminent le délai accordé au locataire pour se conformer à l’ordre du tribunal. On relève notamment des échéances de trente jours75, de deux mois76 et même, dans une espèce récente, d’un an77. La seule sanction prévue pour l’inobservation de l’ordonnance rendue en stricte application de la clause prohibitive est – plutôt étonnamment d’ailleurs – de nature pénale. L’article 112 de la Loi sur la Régie du logement78 (L.R.Q., c. R-8.1) prévoit en effet que le non-respect d’une ordonnance de ce type constitue un outrage au tribunal. La Régie n’a pas, du moins théoriquement, le 70. Faust c. Stelzer, R.L. 32-960314-012G, 19 septembre 1996, r. A. Simard. 71. Denis c. Lavallée, R.L. 18-940131-001G, 8 mars 1994, r. J. Cloutier. 72. Bouthillette c. Duchesneau, R.L. 32-960521-005; 31-960927-083G, 30 janvier 1997, r. A. Simard. 73. Pierre-Gabriel JOBIN, Les sanctions de l’inexécution du contrat, dans La réforme du Code civil, cinq ans plus tard, 1998, Cowansville, Barreau du Québec et Éditions Yvon Blais Inc. (no 113), p. 106 et s. 74. Tortorici c. Vargas et al., R.L. 31-931008-011G, 15 mars 1994, r. J.-C. Pothier. 75. Monast c. Charbonneau, R.L. 23-970206-001G, 24 mars 1997, r. F. Champigny. 76. OMH de Gaspé c. Jeannotte, R.L. 08-970417-001G, 26 novembre 1997, r. M. Dubé. 77. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256. 78. L.R.Q., c. R-8.1. 346 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 pouvoir de résilier le bail pour le seul motif que le locataire n’a pas obéi à son ordre. Le locateur doit donc s’adresser à la Cour supérieure pour faire valoir son droit79. Cette dernière se limitera à prononcer les sanctions prévues à l’article 51 du Code de procédure civile (amende ou emprisonnement). Ce recours peu commode est rarement exercé, puisque le tribunal de droit commun n’a pas le pouvoir de résilier le bail. Toutefois, en pratique, il est c ou r an t de libeller a insi la demande: «résiliation du bail ou, subsidiairement, ordonnance». Ainsi, dans un dossier où les deux conclusions étaient énoncées, le régisseur a prononcé l’ordonnance et réservé le droit à la résiliation si l’ordonnance n’était pas respectée80. Dans une autre affaire, seule l’exécution en nature avait été demandée: le régisseur a réservé au locateur le droit de faire résilier le bail en cas de non-respect de l’ordonnance 81. Dans ces espèces, on juge que l’inobservation de l’ordonnance cause en soi au locateur un préjudice suffisamment sérieux pour justifier la résiliation. 2.3.3 Les tempéraments Il ne faut pourtant pas conclure de ce qui précède que le droit est fixé défnitivement en cette matière. Ce n’est sûrement pas le cas: comme il s’agit d’un débat de société aux ramifications multiples, les données du problème et les modes de solution sont en constante évolution. L’application stricte de normes juridiques inflexibles s’avère carrément impossible. L’opinion suivante reflète bien cette réalité: Une société évoluée comme la nôtre reconnaît depuis plusieurs années l’importance de la solidarité sociale. Le domaine du logement résidentiel est régi, à cause de cela, par des normes plus élaborées que celles qui régissent le marché des immeubles commerciaux où l’on retrouve une plus grande liberté contractuelle.82 Dans ce contexte, il n’est pas rare que transparaisse un certain malaise chez le décideur qui doit mettre à effet une clause prohibitive83. Il s’ensuit qu’on exige le respect intégral des formalités requises pour l’application du droit. De plus en plus également, on scrute finement la preuve, pour déceler des éléments de renonciation effective à la clause, ou encore pour établir un manquement à l’obligation de bonne foi. Enfin, la notion de zoothérapie est quelquefois mise à contribution. a) Le respect des formalités Voici quelques exemples du formalisme exigé dans ce domaine. 79. Société en commandite 2275-2253 H.B. c. Pelchat, R.L 18-921209-018G, 4 février 1993, r. M. Bégin.; par contre, s’il s’agit d’une ordonnance rendue en appel par la Cour du Québec, ce tribunal punira lui-même la désobéissance: OMH de St-Léonard c. Meunier, [1996] J.L. 252. 80. Immeubles Boudreau enr. c. D’Astous, [1997] J.L. 16. 81. Laurendeau et Hachez c. Lasalle et al., R.L. 27-961219-002G (27-960820-003G), 11 février 1997, r. G. Bernard. 82. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier. 83. OMH de Trois-Rivières-Ouest c. Marchand, [1995] J.L. 342. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 347 Le locateur qui a demandé uniquement la résiliation du bail, mais n’a pas réussi à prouver le préjudice sérieux, est simplement débouté: le tribunal n’accorde pas l’ordonnance à titre subsidiaire, si la demande n’en est pas faite spécifiquement84. On pourra toutefois lui réserver ses autres recours85. Fréquemment, la clause d’interdiction n’est pas inscrite au corps même du bail, mais plutôt dans une annexe de clauses supplémentaires (ou règlement de l’immeuble) signée par le locataire. L’article 1894 C.c.Q. édicte que ce règlement doit être remis avant la conclusion du bail. Le défaut par le locateur de respecter cette condition l’empêche d’invoquer la clause 86 . Dans une espèce, la clause prohibitive a été déclarée inopposable à un locataire dont l’exemplaire du bail, contrairement à celui du locateur, ne contenait pas l’interdiction en toutes lettres87. La stipulation a également été jugée sans effet contre un sous-locataire qui n’avait pas été avisé de la restriction contenue au bail original88. Enfin, une simple résolution visant à interdire la présence d’animaux, adoptée par le Conseil d’administration d’un Office municipal d’habitation (OMH), n’a pas force exécutoire à l’égard du locataire89. Quand le bail ne contient aucune clause prohibitive, le locateur a théoriquement le droit de demander qu’une telle stipulation soit ajoutée aux conditions lors de son renouvellement, selon le mécanisme prévu aux articles 1942 et s. C.c.Q. Comme cette demande remet en cause un droit acquis du locataire, elle est généralement refusée90. On conseillera plutôt au locateur d’utiliser les recours usuels si un problème réel survient91. b) La bonne foi et la renonciation Même si la tolérance n’est habituellement pas considérée comme une justification valable en ce domaine, rien n’empêche le locataire de faire la preuve que le locateur a, dans les faits, renoncé au droit conféré par la clause prohibitive. La nuance entre tolérance et renonciation est ténue, mais réelle. Le point de convergence de ces positions apparemment contradictoires, c’est que le rôle du juge n’est pas uniquement d’appliquer normes et préceptes abstraits: saisi d’un litige concret, il doit également prendre en considération la valeur objective de la preuve et surtout, la bonne foi relative des parties (articles 6, 7, et 1375 C.c.Q). C’est ainsi que, dans une 84. Édifice 1175 Papineau Inc. c. Lanctôt et al., [1992] J.L. 129. 85. Immeubles Turret Inc. c. Zecevic-Nedic, R.L. 34-960424-002G, 27 juin 1996, r. J. Gagnon Trudel. 86. OMH de Sainte-Thérèse c. Goyer, 1994 [J.L. 219]; OMH de Sept-Îles c. Bouchard, [1995] J.L. 137. 87. Aubuchon c. Beaudoin, R.L. 31-980520-118G, 2 septembre 1998, r. P. Thérien. 88. Blanchette c. Collins, R.L. 15-940531-002G, 5 juillet 1994, r. G. Langlois. 89. OMH d’Ormstown c. D’Amour, R.L. 27-960618-002G, 23 août 1996, r. G. Bernard. 90. Kilifis c. Miskin et al., [1997] J.L. 200. 91. Immeubles Redmond Inc. c. Veilleux, R.L. 18-950403-009F, 14 septembre 1995, r. M. Bégin. 348 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 affaire où l’attitude du locateur était entachée de mauvaise foi, le régisseur a pris le contre-pied de l’opinion généralement acceptée en décidant que le simple écoulement du temps pouvait constituer une «renonciation tacite»92. Il arrive effectivement que la clause prohibitive demeure lettre morte pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que surgisse un différend, sur le prix du loyer ou l’état du logement, par exemple. Le locateur brandit alors son bail écorné par l’âge et exige impitoyablement réparation. Ce type de représailles reçoit généralement un accueil plutôt glacial. Voici l’analyse, assez typique, d’un régisseur à cet égard: De toute évidence, les parties sont en relation très conflictuelle... De toute évidence aussi, la locatrice introduit ce recours devant la Régie du logement pour exercer une certaine vengeance à l’endroit de la locataire.93 Dans l’affaire précitée, on a permis à la locataire de garder son animal jusqu’à la fin de son bail. D an s d’ au tr es déc isions, la demande du propriétaire est simplement rejetée94. On aura jugé, comme dans une espèce récente, que «la mésentente n’a finalement rien à voir avec le comportement de l’animal»95. Plus le sens donné à la notion de renonciation est large, plus on lim it e l’a d m issib ilit é d e la demande d’ordonnance fondée uniquement sur l’existence d’une clause prohibitive. Tantôt, le but visé par la stipulation est considéré comme hypothétique: (le) locateur admet qu’il tolère les animaux jusqu’à ce qu’il reçoive des plaintes et que la clause est inscrite au bail au cas où il aurait à s’en servir. Dès lors, le locateur ne peut plus se limiter à prouver la clause du bail interdisant les animaux... Il doit également faire la preuve d’un préjudice.96 Tantôt, on juge qu’il ne s’agit pas d’une véritable condition du bail: Malgré la clause du bail, le locateur a permis la présence des chats en autant qu’ils ne causent pas de préjudice aux autres locataires. Devant une telle clause, le Tribunal ne peut considérer qu’il s’agissait d’une exigence formelle de la part du locateur, soit le refus de tolérer la présence d’animaux dans le logement. Pour obtenir l’éviction de l’animal, le locateur doit maintenant prouver que l’animal lui cause un préjudice.97 Voici une illustration supplémentaire de cette position: De prime abord, les locataires enfreignent une clause à leur bail leur interdisant expressément de garder un animal dans le logement concerné. Cependant, il a été mis en preuve que 92. 93. 94. 95. Masse c. Valladont, R.L. 16-950517-002G, 11 juillet 1995, r. G. Langlois. Fortier c. Paquet, [1998] J.L. 256. Landry c. Létourneau, R.L. 18-950302-007G, 26 avril 1995, r. C. Courtemanche. Daoust c. Gracovetsky, R.L. 34-960411-009G; 34-960521-011G, 3 septembre 1996, r. D. Laflamme. 96. SEC 296 Bonneau c. Lambert, R. L. 25-961115-005G, 3 février 1997, r. G. Choinière. 97. Vigneault c. Houde, R.L. 16-980330-002G, 2 juin 1998, r. C. Courtemanche. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 349 tous les logements de cet immeuble contiennent une telle clause, mais que dans les faits, le locateur a toujours toléré la présence d’animaux dans l’immeuble.... Le tribunal doit donc conclure que la clause au bail des locataires est sans effet.98 Tout compte fait, en dépit des fluctuations jurisprudentielles et de l’inadmissibilité maintes fois réitérée de la théorie de l’estoppel, la tolérance d’une durée jugée suffisante est de plus en plus assimilée à une renonciation pure et simple. L’évolution de la jurisprudence tend à accréditer l’énoncé suivant: Lorsqu’il y a tolérance, malgré une clause du bail, il faut prouver un préjudice sérieux [...]99 c) La zoothérapie Nou s av on s fa it ét a t ci-dessus de l’influence grandissante de la zoothérapie. Malgré des réserves maintes fois exprimées sur la validité d’une telle justification, la jurisprudence québécoise admet désormais plus volontiers l’utilité thérapeutique de l’animal de compagnie. Cette attitude d’ouverture mène occasionnellement à la conclusion que la clause prohibitive est déraisonnable, lorsqu’une preuve médicale convaincante est versée en preuve. Une décision récente, tout en faisant droit à la demande du locateur, reconnaît 98. néanmoins que l’état de santé du locataire peut constituer, «exceptionnellement» 100 , une défense valable. Aux termes d’une décision rendue en 1998, la locataire est autorisée à garder son chien, son état de dépression chronique ayant été confirmé par son médecin101. Dans une autre affaire, s’écartant du cadre même de la preuve, un régisseur déclare avoir «connaissance judiciaire» que «...l’affection d’un maître envers son animal de compagnie représente dans bien des cas une présence et une source importante de réconfort»102. Par conséquent, «en présence d’un préjudice affectif et psychologique évident pour le locataire et sa famille», la demande d’ordonnance est rejetée. La position sympathique à la zoothérapie est bien schématisée dans l’extrait suivant: [...] le locataire ne pourra faire échec à cette clause que s’il rencontre les deux conditions suivantes: 1. La présence de l’animal ne cause aucun trouble de quelque nature et 2. La présence de l’animal est nécessaire pour la santé ou la sécurité du locataire. Ces critères sont en effet de plus en plus retenus par les tribunaux pour décider de la présence d’animaux en contravention à une clause du bail.»103 103. Archambault c. Roche et Daigle, R.L. 37-980903-018G, 25 janvier 1999, r. L. Harvey. Pavillon Montcalm c. Guillemette, R.L. 18-960509-015G, 22 août 1996, r. M. Bégin. OMH de Sullivan c. Lafontaine, R.L. 13-970704-002G, 10 septembre 1997, r. G. Allegra. Place Concorde Inc. c. Caron, R.L. 31-980121-033G, 20 mars 1998, r. G. Joly. OMH de Bécancour c. Marquant, R.L. 15-971008-002G, 25 mai 1998, r. J. Cloutier. Demers c. Rabouin, R.L. 37-950109-008G, 10 février 1995, r. G. Joly. 350 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 99. 100. 101. 102. 2.3.4 Les affaires COULOMBE et FRAM Incontestablement, les dossiers qui ont acquis le plus de relief sur cette question au cours des dernières années sont ceux qui ont opposé L’Office municipal d’habitation de Pointe-Claire à deux de ses locataires au sujet des chats de ces dernières. Dans chacun des cas, les locataires ont signé un bail dont une des clauses interdisait la possession d’un animal. Les observations formulées aux différents niveaux de juridiction dans ces affaires revêtent une importance considérable en raison du fait que les différends ont pris naissance dans un contexte de logements subventionnés, un milieu de vie où les enjeux de la question sont particulièrement problématiques. D’une part, le locataire n’a presque aucun pouvoir de négociation sur les conditions de son bail. D’autre part, les voisins incommodés par la présence d’un animal sont généralement des personnes démunies, âgées ou malades, qui ne sont pas en mesure de déménager lorsque leur tranquillité est perturbée par l’animal d’un voisin. Enfin, les administrateurs de ces logements veulent faire l’économie des tracasseries et chicanes additionnelles que leur tolérance à cet égard pourrait provoquer. a) OMH de Pointe-Claire c. Coulombe Ce dossier a jusqu’à ce jour été jugé à quatre niveaux: pre104. 105. 106. 107. mière instance par la Régie du logement104, appel par la Cour du Québec105, révision judiciaire par la Cour supérieure106 et pourvoi par la Cour d’Appel107. Dans un premier temps, le régisseur a fait droit à la demande d’ordonnance produite par le locateur. La décision est fondée surtout sur le principe de l’autonomie de la volonté, la locataire s’étant engagée en ce sens «volontairement et librement». L’interdiction attaquée n’est pas contraire aux Chartes. La clause n’est pas déraisonnable au sens de l’article 1901 C.c.Q. (ancien article 1664.11 C.c.B.-C.), notamment parce qu’elle est conforme à la volonté de la majorité des occupants du complexe résidentiel et parce qu’elle vise à favoriser l’intérêt commun. La preuve médicale soumise par la locataire pour justifier la présence de son chat n’a pas été jugée convaincante par le régisseur. En appel de novo devant la Cour du Québec, une preuve supplémentaire (témoignage de médecin spécialiste, rapport, autorités) est versée au dossier pour faire ressortir la valeur thérapeutique «véritable» de la présence de l’animal. Malgré ces nouveaux éléments, qu’il qualifie d’«impressionnants», le juge décide que le «droit à la vie» de la locataire, garanti par l’article 1 de la Charte québécoise, et ses autres droits fondamentaux ne sont pas compromis. Le juge confirme donc les principes et motifs du régisseur, exprimés selon lui «avec beaucoup de clarté et d’élégance». [1994] J.L. 79. C.Q. 500-02-031707-933, 11 avril 1995, j. J. Dionne. [1996] R.J.Q. 1902 (C.S.). C.A. 500-09-002386-963, 17 septembre 1999, j. Baudouin, Nuss et Denis (ad hoc). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 351 En revanche, le jugement rendu en juin 1996 par le juge Louis S. Tannenbaum, sur la requête en révision judiciaire du jugement de la Cour du Québec, remet fondamentalement en question des valeurs jusque alors pratiquement incontestées. Le juge de la Cour supérieure tire de la preuve les conclusions suivantes: 1. Lorsque le redressement visé par le recours est de nature comminatoire («injunctive relief»), comme c’est le cas en l’espèce (ordonnance de se départir), il ne suffit pas de se demander si le locataire a consenti à la clause visée. En écartant la notion de préjudice des motifs de sa décision, la Cour du Québec a fait défaut d’exercer sa compétence en la matière: Proof of prejudice is an important factor. 2. 3. 108. 109. 352 Selon le juge Tannenbaum, le «droit à la vie» de la locataire est effectivement mis en péril par la démarche judiciaire de l’OMH. Il reconnaît une crédibilité déterminante à la médecin-experte qui prévoit des conséquences négatives majeures sur la santé physique et émotive de la locataire si celle-ci est privée de son chat. Le juge rejette l’argument selon lequel une décision favorable à Mme Coulombe aurait un effet d’entraînement chez les autres locataires. Il conclut qu’il n’a pas à tenir compte de faits étran- gers à la cause dont il est saisi. Enfin, confirmation de la décision de première instance par la Cour d’appel. Dans un arrêt unanime et sans équivoque, les juges statuent que: 1. La Cour du Québec n’a fait qu’exercer sa compétence en donnant effet à la clause du bail de la locataire, «tout en manifestant de la symapthie pour... celle-ci». Il s’agit donc d’une «erreur manifeste» de la Cour supérieure. 2. La décision de la Régie du logement et le jugement de la Cour du Québec n’étaient pas «manifestement déraisonnables». Par conséquent, le juge de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire n’avait pas à «substituer sa propre analyse et ses propres conclusions». b) OMH de Pointe-Claire c. Fram En l’espèce, le régisseur donne raison à l’OMH essentiellement pour les mêmes raisons que dans Coulombe108. Il ajoute néanmoins la remarque que la présence d’animaux dans le complexe alourdit la tâche des employés. En effet, «les occupants sont pour la grande majorité des personnes âgées qui sont à divers degrés en perte d’autonomie ...» Le jugement de la Cour du Québec109 infirme la décision rendue en première instance. Le juge Gérard Rouleau, de la Cour du R.L. 35-940119-014G, 12 mars 1997, r. G.Bernard. J.E. 98-1402; ce jugement a fait l’objet d’une requête en révision judiciaire. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 Québec, décrit le cadre réglementaire très rigoureux qui régit l’attribution et l’administration des logements à loyer modique, un contexte qui «laisse place à peu sinon pas du tout de négociation entre l’administration de l’immeuble et un éventuel locataire». Il en conclut que le bail de Mme Fram est un contrat d’adhésion au sens de l’article 1379 C.c.Q. Il fait ensuite état du tort considérable qui serait occasionné à la locataire par l’application de la clause. De plus, relativement à un referendum tenu sur la question dans l’immeuble, il voit mal «comment l’opinion des autres locataires peut être pertinente sur la présence d’un chat à l’intérieur d’un appartement et qu’ils ne verront jamais». C’est sur l’article 1437 C.c.Q. que se fonde le juge Rouleau pour déclarer la clause abusive. Il est intéressant de noter qu’il ne fait aucune allusion à l’article 1901 C.c.Q., pourtant applicable spécifiquement au bail résidentiel. Le juge Rouleau formule deux propositions, à la fois simples et dignes de réflexion. D’abord, sur le libellé de la question référendaire, un rappel à la juste mesure: (Cette question) ne faisait aucune différence entre un chat qui ne sort jamais de l’appartement de son maître et un molosse de 35 kilos qui hanterait les espaces communs. Puis, sur la pertinence de la Charte des droits et libertés du Québec en ce domaine: Les aînés et les personnes handicapées... sont aussi aptes que quiconque à décider de leur vie, d’avoir ou non un animal, d’en être responsable et de répondre de leurs fautes si elles ne font pas face adéquatement à leur responsabilité à cet égard. Prendre pour acquis qu’à cause de leur âge ou de leur condition physique elles ne peuvent s’occuper adéquatement d’un animal est discriminatoire...» CONCLUSION À la suite de l’arrêt récent de la Cour d’appel dans le dossier Coulombe, on pourrait être tenté d’opiner que la cause a été entendue, et la question réglée de façon définitive. Il serait téméraire au présent stade de tirer une telle conclusion. En effet, les juges de la Cour d’appel ont pris bien soin de situer leur décision dans le contexte précis et exigu d’une requête en révision judiciaire présentée par la locataire. Soulignons que dans l’affaire Fram, le fardeau est renversé: le juge de la Cour du Québec, dans son jugement sur le fond, a déclaré la clause déraisonnable et c’est l’OMH qui s’adresse à la Cour supérieure. Il est donc loisible d’affirmer que le débat vient à peine de s’engager. Dans une perspective plus globale, le constat s’impose que l’équité contractuelle est une notion à forte connotation morale, dont le contenu varie considérablement selon les sociétés et les époques. Tout ce que peut espérer l’observateur, c’est de rendre compte le plus justement possible de l’état du droit à un moment donné. Tel est le modeste propos de cette chronique. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 353 CHRONIQUE DE DROIT PÉNAL Jean-C. Hébert L’exclusion de preuve en appel Ayant conclu – contrairement au magistrat de première instance – que les droits constitution n els d’ u n ac c u sé furent atteints par des agents de l’État, un tribunal d’appel peut-il procéder à l’exclusion de preuve comme le ferait normalement le juge du procès? Imaginons le scénario suivant. Un inculpé conteste l’admissibilité d’une preuve matérielle au motif que son obtention violait ses droits protégés par la Charte canadienne. Au terme de la première étape d’un voir-dire constitutionnel, le juge du procès conclut à l’absence de toute violation constitutionnelle. Aucune preuve ni arguments relatifs à la question de l’exclusion de preuve ne sont alors présentés au tribunal. L’instruction du mérite de l’inculpation suit son cours et une déclaration de culpabilité s’ensuit. Lors du pourvoi, l’appelant convainc le tribunal de révision que la saisie de la preuve matérielle incriminante fut effectuée en violation de l’un ou l’autre de ses droits constitutionnels. La cour d’appel de premier ou second niveau1 est-elle un «tribunal compétent» au sens de l’article 24 de la Charte canadienne? La compétence législative d’appel En matière criminelle, la compétence d’appel est exclusivement d’origine législative2. Or, la compétence et les pouvoirs d’une cour d’appel sont définis de façon exhaustive dans la partie XXI du Code criminel. Sauf circonstances exceptionnelles3, une cour d’appel 1. La Cour supérieure siège en appel des jugements rendus par les cours de poursuites sommaires; la Cour d’appel siège notamment en appel (sur permission, et à l’égard d’une question de droit seulement) des jugements d’appel de la Cour supérieure et des jugements au mérite de tous les tribunaux saisis de poursuites relatives à des actes criminels. 2. Dans l’arrêt R. c. Thomas, [1999] 3 R.C.S. 535, par.14, s’exprimant pour l’opinion majoritaire, le juge Lamer rappelait l’état du droit dans les termes suivants: «En matière criminelle, la compétence d’une cour d’appel est purement d’origine législative: art. 674 du Code criminel. Voir aussi Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, p. 69, et R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, p. 1773. À l’égard des appels ordinaires en matière criminelle, la compétence et les pouvoirs d’une cour d’appel sont définis de façon exhaustive dans la partie XXI du Code criminel. Il faut interpréter le pouvoir précis conféré par le par. 686(8) à la lumière de ce régime législatif. [...]» 3. L’al. 686(1)d) C.cr. dispose que la cour d’appel peut écarter une déclaration de culpabilité et déclarer l’appelant inapte à subir son procès ou non responsable criminellement pour cause de troubles mentaux et peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance que l’art. 672.45 accorde à celui-ci ou auxquels il fait renvoi, de façon qu’elle juge indiquée dans les circonstances. Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 355 ne peut exercer les pouvoirs d’un tribunal de première instance. Bref, la compétence législative d’une cour d’appel en est une de révision. Par conséquent, siégeant en appel, la Cour supérieure ne peut juger une affaire de novo4; la Cour d’appel ne le peut guère plus. Parce que le juge du procès, après avoir (erronément) conclu à l’absence de violation des droits constitutionnels de l’accusé, omet de procéder à la seconde étape d’un voir-dire constitutionnel, la cour d’appel n’a rien à réviser sur la question d’exclusion de preuve. Elle ne peut pas, au lieu et place du premier juge, exercer une compétence dévolue exclusivement au «tribunal compétent» par le par. 24(2) de la Charte canadienne, celui-ci s’étant par ailleurs abstenu de l’exercer. Le par. 24(2) de la Charte canadienne est une disposition réparatrice spéciale. Il énonce les conditions auxquelles l’exclusion d’éléments de preuve peut être accordée dans une demande de réparation aux termes du par. 24(1)5. Une demande de réparation ne peut être accordée que si l’accusé franchit la première étape consistant à démontrer de façon prépondérante que la preuve contestée fut obtenue «dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis» par la Constitution. L’article 24 de la Charte canadienne n’est pas attributif de compétence aux tribunaux d’appel, que ce soit en matière de réparation générale prévue au par. 16 ou de réparation spéciale selon le par. 2. Une cour d’appel n’est pas d’office un «tribunal compétent» au sens de l’article 24 de la Charte canadienne. Une fois acquise et prouvée au dossier la violation ou négation d’un droit constitutionnel, procédant à exercer sa compétence législative – limitée à l’examen d’une pure question de droit7 – , la cour d’appel ne peut que réviser l’application du droit aux conclusions 4. Dans l’arrêt R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, p. 458, le juge Dickson , dissident sur autre chose, fit l’analyse suivante: «L’al. 613(1)a) [actuel al. 686(1)a)] permet à un tribunal d’appel des déclarations sommaires de culpabilité d’accueillir un appel si le verdict est «déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve» ou si le juge de première instance a commis une erreur «sur une question de droit» (R. c. Ponsford (1978), 41 C.C.C. (2d) 433 (C.A. Alb.)) Ceci ne veut pas dire qu’un tribunal d’appel des déclarations sommaires de culpabilité est automatiquement autorisé à juger l’affaire de nouveau (R. c. Colbeck (1978), 42 C.C.C. (2d) 117 (C.A. Ont.))» (Nos italiques) 5. Dans l’arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, p. 1000, le juge Dickson exprima comme suit l’opinion majoritaire de la Cour suprême: «[...] Le paragraphe 24(2) est une disposition réparatrice spéciale. Il se distingue du par. 24(1) qui constitue la disposition réparatrice générale de la Charte. Le paragraphe 24(2) énonce les conditions auxquelles l’exclusion d’éléments de preuve peut être accordée dans une demande de réparation aux termes du par. 24(1). Dans les arrêts R. c. Therens et R. c. Collins, la Cour à la majorité a conclu que seul le par. 24(2) permet d’écarter des éléments de preuve; un élément de preuve ne peut être écarté en application du par. 24(1) seulement. [...].» 6. R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764. 7. Dans l’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S.615, p. 625, le juge Cory (pour la Cour) rappelait que: «La décision d’écarter un élément de preuve pour le motif qu’il est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice, conformément au par. 24(2) de la 356 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de fait tirées par le juge du procès8. Dans cette perspective, les juges d’appel peuvent donc réexaminer – plutôt qu’examiner – l’admissibilité des éléments de preuve contestés que si le juge du procès (après avoir reconnu une violation constitutionnelle) a commis une erreur de principe dans son appréciation et son application des principes juridiques pertinents au bon usage du par. 24(2) de la Charte canadienne9. Cet exercice de réexamen peut ultérieurement avoir un impact déterminant sur le mérite du pourvoi10. Outre l’erreur de principe (c.à.d. une erreur de droit) commise par le juge du procès lors d’un voir- dire constitutionnel, une conclusion de fait déraisonnable tirée par celui-ci peut justifier l’ingérence d’une cour d’appel dans le processus décisionnel lié au par. 24(2) de la Charte canadienne11. Il importe que l’accusé puisse faire analyser l’admissibilité de la preuve contestée pour atteinte à la Constitution en fonction des principes juridiques appropriés. En cette matière, l’analyse par le juge du procès de la norme d’exclusion est conditionnée par ses conclusions préliminaires quant à l’existence, la nature et l’importance d’une violation ou négation des droits constitutionnels de l’accusé. Face à une analyse erronée en droit ou à des conclusions de Charte, est une question de droit (voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.SA. 265, p. 275).» (Nos italiques) 8. La Cour suprême, à la majorité, fit l’observation suivante dans l’arrêt R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p. 98: «En l’espèce, le ministère public a admis dans toutes les cours qu’il y avait eu violation de l’art. 9 de la Charte canadienne des droits et libertés. La seule question à déterminer en cette Cour est de savoir si la preuve soumise doit être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte. Les juges formant la majorité de la Cour d’appel de l’Ontario n’ont formulé aucun principe ou règle de droit avec lequel nous ne soyons pas d’accord: (1985), 18 C.C.C. (3d) 289. Ils ont simplement appliqué le droit aux conclusions de fait du juge du procès, à l’égard desquelles ils ne s’estimaient pas justifiés d’intervenir.» (Nos italiques) 9. Dans l’arrêt R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, p. 651, le juge Cory fit l’observation suivante pour l’opinion majoritaire: «[...] Il appert donc que le juge du procès a commis une erreur dans son appréciation et son application des principes juridiques qui doivent être considérés en appliquant le par. 24(2), et que l’admissibilité des éléments de preuve contestés doit être réexaminée.» (Nos italiques) 10. Le passage pertinent du jugement unanime de la Cour suprême, dans l’affaire R. c. Genest, [1989] 1 R.C.S. 59, p. 81, se lit comme suit: «[...] Tout comme le juge LeBel, quand j’examine l’ensemble de la décision du juge Lamoureux, je crois qu’il a tenu compte des deux exigences du par. 24(2) avant de conclure à l’exclusion de la preuve. Ce n’est que s’il avait eu tort de décider de l’exclusion que la Cour d’appel pouvait à bon droit annuler l’acquittement. [...]» 11. L’arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, p. 626, rendu par le juge Cory pour la Cour suprême, comporte le passage pertinent suivant: «En l’espèce, le juge du procès ne semble pas avoir tiré une conclusion de fait déraisonnable ni commis une erreur de droit. Néanmoins, la Cour d’appel à la majorité a renversé sa décision. En toute déférence, je suis d’avis que la Cour d’appel à la majorité a commis une erreur à cet égard et s’est ingérée trop promptement dans les conclusions du juge du procès.» (Nos italiques) Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 357 fait déraisonnables (tant dans le premier que dans le second volet du voir-dire), une cour d’appel est justifiée de s’ingérer dans la bonne marche du procès pour réexaminer le processus d’exclusion effectué par le juge du procès – et –, par implication nécessaire, réviser également ses conclusions préliminaires à propos de la violation ou négation des droits constitutionnels alléguée par l’accusé12. Cette révision des conclusions préliminaires ne peut toutefois intervenir que si le juge du procès a procédé au second volet du voir-dire. Autrement, la cour d’appel ne peut que constater les erreurs commises à propos de la violation constitutionnelle, pour ensuite en évaluer l’effet selon les règles ordinaires en matière d’appel de déclaration de culpabilité. À cet égard, constitue une erreur de droit l’omission par le juge du procès de tirer des conclusions dans le cadre d’une décision préliminaire portant sur des questions mixtes de droit et de fait se rapportant à l’admissibilité d’éléments de preuve cruciaux. Le sous-al. 686(1)b)iii) C.cr. oblige la cour d’appel à examiner l’effet de cette erreur sur le cours du procès et sur le verdict. Dans l’hypothèse où le point préliminaire est purement une question de droit, il incombe à la cour d’appel d’en arriver à la bonne conclusion en droit. Dans l’hypothèse où le point préliminaire est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, la cour d’appel doit se demander si la question aurait inévitablement été tranchée en faveur de l’admissibilité; dans l’affirmative, l’erreur n’a pas d’incidence; dans la négative, l’erreur a pu influencer le verdict puisque l’élément de preuve aurait pu être écarté13. 12. L’extrait suivant de l’arrêt R. c. Borden, [1994] 3 R.C.S. 145, p. 167-168, rendu par le juge Iacobucci pour l’opinion majoritaire, confirme notre propos: «[...] Dans un arrêt où elle examinait l’application du par. 24(2) de la Charte par une cour d’appel provinciale, notre Cour a clairement indiqué qu’en l’absence d’une erreur quant aux principes juridiques qui devraient guider une décision fondée sur le par. 24(2), il n’appartient pas vraiment à notre Cour de réviser les conclusions des tribunaux d’instance inférieure et de substituer sa propre opinion en la matière à celle de la cour d’appel: R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, p. 98. De même, comme l’a souligné le juge Cory dans l’arrêt Mellenthin, précité, en l’absence d’une erreur de principe analogue, une cour d’appel provinciale ne devrait pas modifier les conclusions tirées par le juge du procès lors du voir-dire. Ce qui importe c’est que l’accusé ait fait analyser l’admissibilité de la preuve contestée en fonction des principes appropriés. En l’espèce, on ne saurait dire que la Cour d’appel a commis une erreur en ne suivant pas la décision du juge du procès et en procédant de nouveau à l’analyse fondée sur le par. 24(2). C’est parce qu’il a conclu qu’il n’y avait eu qu’une violation «technique» de l’art. 8 de la Charte et que les al. 10a) et b) n’avaient pas été violés que le juge du procès a abordé l’analyse fondée sur le par. 24(2) sous un angle fondamentalement différent.» 13. R. c. Rockey, [1996] 3 R.C.S. 829, p. 833-834, par. 1 à 7. Il convient de citer au texte le raisonnement articulé par le juge Sopinka pour l’opinion majoritaire de la Cour suprême: «Les points à l’égard desquels le juge du procès a fait erreur en omettant de tirer des conclusions concernaient une décision préliminaire portant sur des questions mixtes de droit et de fait se rapportant à l’admissibilité d’éléments de 358 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 L’argumentaire qui précède fait voir qu’un tribunal d’appel peut difficilement s’ingérer dans le processus d’exclusion de preuve prévu au par. 24(2) de la Charte canadienne dans l’hypothèse où le juge du procès s’est abstenu de tirer des conclusions de fait et d’examiner les facteurs pertinents au second volet du voir-dire. L’enseignement de la Cour suprême14 met en relief la connexité existant entre le constat d’une violation constitutionnelle par le juge du procès et l’appréciation qu’il peut en faire au second volet du processus de pondération des facteurs pertinents. C’est pourquoi, en l’absence de motifs justificatifs, toute conclusion subsidiaire par le juge du procès à l’effet de ne pas exclure une preuve contestée – fondée sur le postulat d’une violation constitutionnelle hypothétique – mérite peu de considération dans un processus de révision judiciaire15. preuve cruciaux. Ont été présentés, au voir-dire, des éléments de preuve à l’égard desquels des conclusions devaient être tirées. Bien que les conclusions sur ces points préliminaires auraient constitué des questions mixtes de droit et de fait, l’omission de tirer ces conclusions a constitué une erreur de droit. Dans un tel cas, le sous-al. 686(1)b)(iii) exige que la cour examine l’effet de l’erreur sur le cours du procès et sur le verdict. Si le point préliminaire est purement une question de droit sur laquelle le juge du procès a omis de statuer, la cour d’appel décide quelle est la bonne conclusion en droit. Si cette conclusion entraîne l’admissibilité d’éléments de preuve qui ont, de fait, été admis, alors l’erreur n’a eu aucun effet sur le verdict. La cour d’appel n’acceptera pas l’argument que des juges différents pourraient rendre une autre décision. Il n’y a qu’une seule réponse, celle donnée par la cour d’appel. Cependant, si le point préliminaire est une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, la décision n’est pas nécessairement inévitable. Dans notre système, en cas de différend sur des questions de fait, la règle générale est que l’appelant a droit à ce que ce soit le juge du procès qui tranche. Dans de telles circonstances, la cour d’appel a tort de simplement trancher la question. Le raisonnement qu’il faut faire consiste à se demander si la question de fait aurait inévitablement été tranchée en faveur de l’admissibilité. Si la réponse est oui, alors l’erreur n’a eu aucune incidence. Si la réponse est non, alors il est raisonnable de penser que l’erreur a pu influer sur le verdict étant donné que l’élément de preuve aurait pu être écarté. [...]» 14. Notamment dans l’arrêt Borden, précité, note 12. 15. Le juge Sopinka, pour l’opinion majoritaire, fit l’analyse suivante dans l’arrêt R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, p. 70: «Conclusion concernant le paragraphe 24(2) Je répète que je suis d’avis que les déclarations, les empreintes digitales, la chemise, les chaussures et l’argent sont inadmissibles en vertu du par. 24(2). L’intimée a souligné que notre Cour a déclaré que les cours d’appel doivent faire preuve de retenue envers les tribunaux d’instance inférieure sur la question de l’admissibilité de la preuve sous le régime du par. 24(2): voir, par exemple, l’arrêt Grant, précité. En l’espèce, le juge du procès et la Cour d’appel ont tous les deux conclu subsidiairement qu’ils admettraient la preuve en question même s’il y avait eu des violations de la Charte. À mon avis, ils ont tous les deux commis une erreur en tirant ces conclusions subsidiaires et il est difficile d’évaluer leur raisonnement étant donné que peu de propos ont été tenus à cet égard. Le juge du procès a simplement énuméré les facteurs énoncés dans l’arrêt Collins, précité, en tirant une brève conclusion sur chaque point. Il n’a pas rassemblé les points dans les trois grandes catégories de facteurs et il n’a pas Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 359 La suffisance du contexte factuel Les réparations fondées sur la Charte canadienne doivent être accordées dans le contexte normal des procédures dans lesquelles une question prend naissance16. Face à une violation constitutionnelle prouvée de façon prépondérante, le tribunal appelé à soupeser les trois catégories de facteurs façonnées par le droit prétorien doit disposer d’un contexte factuel suffisant pour lui permettre d’exercer judi- cieusement sa discrétion judiciaire. De façon générale, il est acquis que les décisions relatives à la Charte canadienne ne doivent pas être rendues dans un vide factuel17. Dans l’appréciation des facteurs pertinents au processus d’exclusion de preuve prévu au par. 24(2) de la Charte canadienne, l’équité procédurale revêt une importance capitale18. Or, lorsqu’un juge de première instance conclut (erronément) à l’absence motivé non plus chacune de ses conclusions. La Cour d’appel a énuméré les facteurs de l’arrêt Collins et formulé sa conclusion que, tout compte fait, il y avait lieu d’utiliser la preuve. À mon avis, on ne devrait faire preuve d’aucune retenue particulière à l’égard de l’un ou l’autre de ces jugements. Premièrement, ni le juge du procès ni la Cour d’appel n’ont conclu à l’existence d’une violation concernant la saisie des éléments de preuve en question, et cette erreur de droit a vraisemblablement influé sur leur conclusion subsidiaire que les violations, si tant est qu’elles aient existé, n’étaient pas graves. Deuxièmement, comme je l’ai déjà souligné, le juge du procès a conclu à tort que la police avait agi de bonne foi. Troisièmement, les motifs du juge du procès et de la Cour d’appel étaient si brefs et non étayés qu’il est difficile de dire si d’autres erreurs ont été commises. À mon avis, aux termes du par. 24(2), la chemise, les déclarations, les chaussures, les cigarettes, l’argent et les empreintes digitales n’auraient pas dû être admis en preuve.» 16. Dans l’arrêt Dagenais c. S.R.C., [1994] 3 R.C.S. 835, le juge Lamer rendait le jugement majoritaire de la Cour suprême. À la p. 867, le juge Lamer cite avec approbation le passage suivant des notes du juge La Forest dans l’arrêt Mills: «D’après ce qui précède, il doit être évident que je favorise le point de vue suivant lequel les réparations fondées sur la Charte doivent, d’une manière générale, être accordées dans le contexte normal des procédures dans lesquelles une question prend naissance. Je ne crois pas que l’art. 24 de la Charte exige que l’on invente de toutes pièces un système parallèle pour l’administration des droits conférés par celle-ci qui viendra s’ajouter aux mécanismes déjà existants d’administration de la justice.» (Nos italiques) 17. Mackay c. La Reine, [1989] 2 R.C.S. 357. Il convient de reproduire le passage suivant, p. 361-362, du jugement unanime de la Cour suprême écrit par le juge Cory: «Les décisions relatives à la Charte ne doivent pas être rendues dans un vide factuel. Essayer de le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées. La présentation des faits n’est pas, comme l’a dit l’intimée, une simple formalité; au contraire, elle est essentielle à un bon examen des questions relatives à la Charte. Un intimé ne peut pas, en consentant simplement à ce que l’on se passe de contexte factuel, attendre ni exiger d’un tribunal qu’il examine une question comme celle-ci dans un vide factuel. Les décisions relatives à la Charte ne peuvent pas être fondées sur des hypothèses non étayées qui ont été formulées par des avocats enthousiastes.» 18. Le juge La Forest, pour l’opinion majoritaire, s’est exprimé dans les termes suivants dans l’affaire R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, p. 59: 360 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 de violation constitutionnelle, l’accusé se trouve privé de l’opportunité de consigner au dossier la preuve et les arguments pertinents au processus d’exclusion de preuve. Lorsqu’un tribunal d’appel exerce sa compétence de révision, il est loisible à l’accusé d’attaquer le mérite du verdict de culpabilité en plaidant la violation de ses droits constitutionnels au regard de l’admissibilité de la preuve à charge. Encore faut-il que les juges d’appel disposent d’un contexte factuel suffisant permettant d’apprécier les questions litigieuses sans préjudicier les droits de parties19. Dans l’hypothèse où une cour d’appel serait compétente pour agir – hors le cadre juridictionnel prévu par l’article 686 C.cr – comme «tribunal compétent» au sens du par. 24(2) de la Charte canadienne, le même raisonnement devrait prévaloir à propos de l’étape suivante du processus de réparation. Il se peut qu’un appelant ne puisse convenablement éclairer le «tribunal compétent» sans lui présenter une preuve suffisante et des arguments pertinents quant à l’évaluation des facteurs issus de l’arrêt Collins. Selon le libellé même du par. 24(2) de la Charte canadienne, l’admissibilité de la preuve (ou son exclusion) doit être déterminée «eu égard aux circonstances». Par conséquent, s’agissant pour le tribunal compétent de déterminer si une preuve devrait être frappée d’exclusion, suite à la mise en preuve d’une violation ou négation constitutionnelle, le contexte factuel global est essentiel20. En général, le par. 24(2) de la Charte canadienne a pour objet d’empêcher que l’administration de la justice ne soit davantage déconsidérée par l’utilisation d’éléments de preuve dans un procès. Cette déconsidération additionnelle peut notamment découler de l’absolution judiciaire à l’égard d’une inconduite des organismes d’enquête de «Dans l’appréciation de ces facteurs, l’équité du processus et, en particulier, ses répercussions sur l’équité du procès revêtent une importance capitale.» (Nos italiques) 19. Dans l’arrêt R. c. Brown, [1993] 2 R.C.S. 918, p. 920, le juge Iacobucci approuve l’analyse du juge Harradence, dissident pour le tribunal d’appel. Or, ce dernier s’était exprimé comme suit, p. 488, [(1992) 73 C.C.C. (3d) 481]: «It is my view that these cases are a clear signal to appellate courts that the fact that the issue was not raised in the court of original jurisdiction is not an insurmontable barrier to the matter being considered for the first time at the appellate level. Where the court has a sufficient factual foundation to appraise the issue without prejudice to the parties and particularly where refusing to do so will result in unfairness, then in my view it is proper for the court to hear and determine the question put before it.» 20. Dans l’affaire R. c. Wong, [1990] 3 R.C.S. 36, p. 65, la juge Wilson, dans une opinion minoritaire (dissidente sur le dispositif du pourvoi), fit la remarque suivante en relation avec la règle de la retenue judiciaire: «Cette approche respectueuse à l’égard de l’examen des décisions des tribunaux inférieurs en vertu du par. 24(2) est appropriée précisément parce que la question de l’admissibilité est à ce point reliée aux faits. Je le répète, le contexte est essentiel en ce qui concerne la question de l’admissibilité et selon moi, le contexte en l’espèce est très différent de celui de l’arrêt Duarte. [...]» (Nos italiques) Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 361 l’État21. Or, en l’absence d’un lien causal, un lien temporel entre une perquisition ou fouille illégale et des tactiques d’enquête suffit pour soutenir la conclusion que des éléments de preuve furent obtenus dans des conditions portant atteinte aux droits constitutionnels d’un accusé et, ainsi, donner ouverture au recours prévu par le par. 24(2) de la Charte canadienne22. Lors d’une vaste opération policière, le lien temporel entre différents événements peut être probant. L’accusé se trouve alors justifié d’établir, dans le second volet du voir-dire, plusieurs violations ou négations de ses droits constitutionnels survenues en cascade et de façon contemporaine23. Procédant à évaluer la gravité de différentes violations ou négations des droits constitutionnels de l’accusé, le «tribunal compétent» devrait pouvoir, eu égard aux circonstances, évaluer notamment le caractère envahissant d’une fouille, l’attente raisonnable de l’accusé au respect de sa vie privée, l’endroit précis où la fouille eut lieu, l’existence de motifs raisonnables et probables et la bonne ou mauvaise foi policière24. 21. Dans l’arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, p. 784, le juge Lamer reprend, pour l’opinion majoritaire, une proposition de droit formulée antérieurement dans l’arrêt de principe Collins: «En général, l’article a pour objet d’empêcher que l’administration de la justice ne soit davantage déconsidérée par l’utilisation d’éléments de preuve dans une instance. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Collins, précité, p. 281, cette déconsidération additionnelle découlerait de l’utilisation des éléments de preuve qui priveraient l’accusé d’un procès équitable ou de l’absolution judiciaire d’une conduite inacceptable de la part des organismes d’enquête et de poursuite.» (Nos italiques) 22. Exprimant l’avis unanime de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, p. 255, le juge Sopinka aborde l’incidence du lien temporel comme suit: «En l’espèce, le lien temporel entre les perquisitions périphériques sans mandat et les éléments de preuve ultérieurement déposés au procès par le ministère public est suffisant pour justifier l’examen de l’exclusion de ces éléments de preuve. Quoiqu’elles n’aient peut-être pas un lien causal avec la preuve déposée, les perquisitions sans mandat font néanmoins partie intégrante d’une série de tactiques d’enquête qui ont abouti à la découverte des éléments de preuve en question. [...]» (Nos italiques) 23. Le raisonnement suivant fait, au nom de l’opinion majoritaire, par le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. Goldhart, [1996] 2 R.C.S. 463, p. 482, soutient notre proposition: «[...] Conformément à la directive voulant qu’on examine l’ensemble du rapport entre la violation et la preuve obtenue, il convient que la cour examine la force du rapport causal. Si le lien temporel et le lien causal sont ténus tous les deux, la cour peut très bien conclure que la preuve n’a pas été obtenue dans des conditions qui portent atteinte à un droit ou une liberté garantis par la Charte. Par contre, le lien temporel peut être fort à ce point que la violation de la Charte fait partie intégrante d’une seule et même opération. Dans un tel cas, la faiblesse ou même l’absence d’un lien causal sera sans importance. Un fois les principes de droit définis, la force du lien entre la preuve obtenue et la violation de la Charte est une question de fait. Par conséquent, la possibilité d’appliquer le par. 24(2) sera déterminée cas par cas, comme l’a proposé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Strachan.» (Nos italiques) 24. Dans l’arrêt R. c. Caslake, [1998] 1 R.C.S. 51, p. 69, le juge Lamer résume, pour la Cour, l’énumération de certains facteurs utiles pour évaluer la gravité d’une violation constitutionnelle: 362 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 La preuve nouvelle Un justiciable peut avoir grand intérêt à obtenir du tribunal d’appel un verdict d’acquittement plutôt qu’une ordonnance de nouveau procès. Exceptionnellement, la présentation d’une preuve nouvelle peut permettre à l’appelant de fournir au tribunal de révision un contexte factuel suffisant à la tenue d’un débat contradictoire sur la question d’exclusion de preuve. En matière criminelle, la diligence raisonnable n’est qu’un facteur parmi d’autres pour jauger l’admissibilité d’une preuve nouvelle. Si une preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, le défaut de satisfaire à cette exigence ne devrait pas entraîner l’inadmissibilité de la preuve nouvelle. Bref, le défaut de satisfaire à l’obligation 25. 26. 27. 28. de diligence raisonnable ne doit pas l’emporter sur la recherche d’un juste résultat25. La règle générale gouvernant l’admissibilité en appel d’une preuve nouvelle 26 souffre une exception lorsqu’elle porte sur l’équité du procès, plutôt que sur l’examen de la rectitude d’une décision rendue par le juge du procès27. Lorsque la détermination du pourvoi requiert l’examen de facteurs extrinsèques au dossier remettant en cause des questions vitales tranchées en première instance, il devient indispensable pour le tribunal d’appel de prendre ces faits en considération28. La production d’une preuve nouvelle portant sur l’équité du procès permet au tribunal d’appel de réviser les bases factuelles à partir desquelles le juge du procès a fondé son appréciation «La catégorie suivante est la gravité de la violation. En examinant cette question, la cour prend en considération quelques-uns ou l’ensemble des facteurs suivants: le caractère envahissant de la fouille, les attentes en matière de vie privée de la personne à l’endroit où l’on procède à la fouille, l’existence de motifs raisonnables et probables et la bonne foi policière.» Rédacteur de l’opinion majoritaire, le juge Major fit l’observation suivante dans l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 579, p. 707: «Il est souhaitable que la diligence raisonnable ne reste qu’un facteur parmi d’autres, et son absence, particulièrement en matière criminelle, devrait être appréciée en fonction d’autres circonstances. Si la preuve est convaincante et s’il est dans l’intérêt de la justice de l’admettre, alors le défaut de satisfaire à ce critère ne devrait pas être retenu pour en écarter l’admission.» L’arrêt R. c. Palmer, [1980] 1 R.C.S. 759, a défini les conditions d’admissibilité d’une preuve nouvelle. Dans l’arrêt R. c. W.(W.), (1995) 100 C.C.C. (3d) 225, le juge Doherty fit l’observation suivante, p. 232, pour la Cour d’appel d’Ontario: «The Palmer criteria do not, however, apply to all situations where fresh evidence is offered on appeal. Those criteria reflect the balancing of competing considerations relevant to the interests of justice when fresh evidence is offered to attack a determination made at trial. The same criteria cannot necessarily be applied where, as here, the fresh evidence is offered for a different purpose. The material sought to be admitted here is not directed at a finding made at trial, but instead challenges the very validity of the trial process. The nature of this material and the purpose for which it is offered places it outside the Palmer paradigm: R. v. McKellar (1994), 34 C.R. (4th) 28 at p. 31, 19 O.R. (3d) 796, 72 O.A.C. 398 (C.A.); R. v. Vottero (June 17, 1992, Ont. C.A., Court File No. C10945, unreported).» P.G. Canada c. Obadia, [1998] R.J.Q. 2581, p. 2584. (C.A. Qué.). Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 363 de la crédibilité des témoins29. Il y a certes atteinte à l’équité du procès lorsque l’accusé se trouve privé de l’opportunité de se faire entendre – par preuve et argumentation – sur le processus d’exclusion de preuve en raison d’un jugement interlocutoire erroné quant à l’existence d’une violation constitutionnelle liée à l’obtention d’une preuve. De façon générale, le principe de justice naturelle audi alteram partem – consacrant le droit d’être entendu – confère à toute partie le droit de présenter des éléments de preuve sur tous les points importants d’un litige30. L’appréciation d’une preuve nouvelle par un tribunal d’appel se répercute indubitablement sur la disposition du pourvoi. Plutôt que d’ordonner un nouveau procès, le tribunal de révision peut trancher l’affaire lui-même pourvu que la preuve consignée au dossier soit concluante31. Dans l’hypothèse où une cour d’appel conclut à l’exclusion de la preuve ayant entraîné le verdict de culpabilité, il devient possible de clore le dossier en substituant un verdict d’acquittement. Par contre, si le tribunal de révision n’arrive pas à trancher l’affaire en raison du caractère non concluant de la nouvelle preuve, une ordonnance de nouveau procès s’impose puisque l’accusé a droit de faire trancher la question d’exclusion de preuve par le juge du procès32. La loi ne prévoit pas la possibilité d’un renvoi de dossier, par le 29. R. c. R.(P.), (1999) 132 C.C.C. (3d) 72, p. 79-81, (C.A. Qué.) 30. Dans l’arrêt Porto Seguro c. Belcan S.A. , [1997] 3 R.C.S. 1278, p. 1293, par. 29, la juge McLachlin fit la remarque suivante en commentant la portée de la règle audi alteram partem: «Ce principe confère à toute partie à un litige le droit de présenter des éléments de preuve sur tous les points importants.» 31. Dans l’arrêt R. c. Warsing, [1998] 3 R.C.S. 3 R.C.S. 579, p. 597, par. 28, la juge L’Heureux-Dubé faisait l’observation suivante pour l’opinion minoritaire concordante: «J’ajouterais que cette approche est en accord avec les règles générales concernant l’admission d’une nouvelle preuve établies dans l’arrêt Stolar, précité, p. 492, où notre Cour a statué que, dès qu’une cour d’appel décide d’admettre la preuve, elle peut trancher l’affaire immédiatement si la preuve est concluante, ou, si elle ne l’est pas, ordonner un nouveau procès.» 32. Dans l’arrêt Asencios c. La Reine, [1987] R.J.Q. 540, p. 544-545, le juge Kaufman commentait au nom de la Cour d’appel du Québec l’importance de la seconde étape d’un voir-dire constitutionnel en matière d’exclusion de preuve: «[...] The issue was a serious one and appellant was entitled to have it determined at his trial. But in deciding that Sec. 8 was inapplicable to appellant, the trial judge did not address the issue as to whether or not evidence ought to have been excluded or admitted under Sec. 24 para. 2. [...] In the result, I conclude that appellant’s rights under Sec. 8 of the Charter were infringed and that he was therefore entitled to have the admissibility of the evidence under Sec. 24 para. 2 decided by the trial judge at his trial. [...] In coming to this conclusion, I have considered the alternative possibility that this Court might simply decide whether or not the admission of the evidence would bring the administration of justice into disrepute and decide the question of admissibility in consequence. I believe, however, that this is an issue that should be decided in the first instance by the Court of first instance. Sec. 24 364 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 tribunal d’appel au juge du procès, pour la tenue de la seconde étape du voir-dire constitutionnel33. Conclusion En général, dès que le mécanisme de pondération du par. 24(2) de la Charte canadienne soulève des questions d’appréciation de crédibilité et de bonne foi de la part des agents de l’État visés par une allégation de violation des droits constitutionnels de l’accusé et que les juges d’appel ne peuvent bénéficier des conclusions de fait du premier juge sur le sujet, l’ordonnance de nouveau procès s’impose34. Le même raisonnement s’applique a fortiori face à l’absence de conclusions de fait concernant les témoins qui auraient pu déposer pendant le voir-dire et qui n’ont pu le faire en raison d’une décision interlocutoire erronée du premier magistrat35. En somme, sauf les cas où le tribunal d’appel dispose de renseignements suffisants lui permettant de trancher para. 2 provided that this issue be decided “having regard to all the circumstances”. This involves an appreciation of the evidence on the issue and, in my view, that appreciation should first be made by the trial judge who has heard it.» (Nos italiques) 33. Ibid: «I have also considered the suggestion of the Crown, in its factum, that in the event that this Court should conclude that the trial judge erred in finding no breach of the Charter under Sec. 8, the case should be referred back to the trial court for a determination of the issue under Sec. 24 para. 2. I do not see any basis for making such an order: Gunn c. R., (1982) 66 C.C.C. (2d) 294.» 34. Dans l’arrêt R. c. Polashek, (1999) 134 C.C.C. (3d) 187, p. 202, le juge Rosenberg statua comme suit pour la Cour d’appel d’Ontario après avoir conclu à une violation du droit à l’avocat: «[...] On the other hand, the appellant did not testify on the voir dire, and therefore failed to provide any evidence that he would have acted differently. Because of his finding that there was no s. 10(b) violation, the trial judge made no findings of fact on this issue that would assist in determining the trial fairness question. In my view, this question can only be resolved on a new trial. If the trial judge were to find that this evidence would have affected the fairness of the trial, it would have to be excluded. This is particularly the case given the concerns about the effect of the exclusion on the repute of the administration of justice already expressed.» 35. Dans l’affaire R. c. Sinnathurai, [1994] A.Q. no 570, la Cour d’appel du Québec cita avec approbation l’extrait suivant du mémoire de l’intimé qui concéda le bien-fondé du pourvoi de la Couronne: «Toutefois, les parties conviennent également que la détermination du remède prévu au par. 24(2) de la Charte soulève des questions de crédibilité et de bonne foi de la part des policiers ayant obtenu le mandat de perquisition, et que cela nécessite que l’on ait vu et entendu les témoins pertinents.» Aux par. 9 et 10 du jugement, on peut lire ce qui suit: «Le moyen de droit étant fondé, il n’est pas opportun, en l’espèce, que l’application de l’article 24(2) de la Charte soit faite par la Cour d’appel. À l’instar de notre arrêt Manola Asencios c. Sa Majesté la Reine, [1987] R.J.Q. 540, p. 545, il y a lieu d’ordonner un nouveau procès.» Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999 365 l’affaire en excluant la preuve, il est de bonne politique judiciaire que les juges d’appel s’abstiennent d’exercer une fonction dévolue aux magistrats de première ligne36 et de jongler avec la règle de droit sur la base d’un raisonnement spéculatif. 36. Bien que dissident dans l’affaire R. c. Timm, (1999) 131 C.C.C. (3d) 306, p 326, l’observation suivante faite par le juge Fish de la Cour d’appel du Québec résume bien le besoin de retenue judiciaire d’un tribunal d’appel sur le sujet: «Applications for a Charter remedy should normally be left to the judge before whom the accused is to be tried (Unless it is for some reason inappropriate to do so, compare R. v. Mills, [1986] 1 S.C.R. 863 at p. 955, 966-7 and 971; and R. v. Rahey, [1987] 1 S.C.R. 588, particularly at p. 955). I believe that we should not, in the absence of any need to do so, discharge that function on appeal. Here, I have concluded that the judge’s ruling under s. 24(2) cannot stand and that a new trial is warranted on other grounds. It thus seems preferable to me that we reserve for the judge at that new trial the required de novo determination under s. 24(2) of the Charter.» Un avis d’appel de plein droit fut déposé au greffe de la Cour suprême par Timm le 30-11-98. 366 Revue du Barreau/Tome 59/Printemps 1999