Le rôle du juge administratif dans le redéploiement du

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Le rôle du juge administratif dans le redéploiement du système local
décentralisé. (1)
L'un des problèmes irréductibles du système décentralisé marocain est le
manque de précision au niveau des attributions des instances décentralisées. La
distinction d'ordre vertical entre « affaires locales » et compétences du pouvoir central,
ou d'ordre horizontal entre les attributions du pouvoir exécutif élu et celles du
représentant du pouvoir central se dilue à plusieurs égards pour être acculée à une
subjectivité notoire, renforcée le plus souvent par le décalage de nature sociologique et
en matière de potentiels financier et économique entre les communes (communes
rurales — communes urbaines ou décalage au sein même de l'une ou l'autre de ces
catégories).
Or, il revient naturellement au juge administratif en tant que juge de la légalité
d’endiguer cette ambiguïté et par là même de procéder au redéploiement du système
local décentralisé, en le refondant sur des bases rationnelles (d’ordre purement
juridique), alors que les rapports subjectifs entre les responsables élues et leur
environnement administratif (les autorités de tutelle en particulier) constituent une
partie non négligeable la trame de fond de ce système. Mais la question qui se pose est
de savoir si le juge est en mesure de transcender la globalité des décisions des organes
locaux. C'est-à-dire quel est le rôle du juge en présence d'un contrôle préalable de la
légalité et surtout de l'opportunité des actes des instances décentralisées ?
Lorsqu'on se représente la fonction fondamentale du juge s'agissant de
l'interprétation des actes, en particulier la mise au point des compétences des organes
décentralisés, de la consistance du contrôle de tutelle, parmi d'autres dimensions,
l’observateur averti sera aisément persuadé de l'insuffisance du rôle attribué au juge à
cet égard. Ce qui constitue un facteur dysfonctionnel qui pèse lourd sur l'articulation
du système décentralisé et sur son rendement en général. On comprend aisément aussi
que c'est un choix politique. C'est le fait du législateur.
Dans cette étude, il sera question de déterminer l'attitude du juge administratif
vis-à-vis des actes des décideurs locaux, avant de mesurer l'impact évolutif de la
jurisprudence sur la pratique de la décentralisation, surtout à la suite de la mise en
1- Article publié dans la Revue Marocaine d’Administration Locale et de Développement, n° 60, janvier-février 2005, page : 33.
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oeuvre des tribunaux administratifs et de la dynamique qui en a écoulé. L'approche
adoptée ne s'inscrit que partiellement dans le registre normatif, parce que le cadre
purement juridique ne permet pas une perception globale de l'interactivité entre le
fonctionnement du système centralisé et la position du juge administratif.
I- la dimension fonctionnelle de l'annulation pour excès de pouvoir :
modélisation des décisions des acteurs locaux du système décentralisé.
À l'origine, « réclamation d'incompétence des corps administratifs » (2), ou un
« procès fait à un acte de l'administration » (3), le recours pour excès de pouvoir
s’affirme en tant que fondement du principe de légalité, qui constitue d'essence une
obligation faite à l'administration a fin de respecter aussi bien les règles de droit qui lui
sont extérieures que celles qui émanent d'elle-même.
L'étude des moyens d'annulation pour excès de pouvoir adoptés par le juge
administratif à l'égard des acteurs locaux de la décentralisation nous est parue
nécessaire dans la mesure où le recours pour excès de pouvoir, à caractère
fondamentalement objectif, est un facteur régulateur de la règle du droit, surtout
lorsque que celle-ci est muette ou peu explicite tel que c'est le cas concernant les
contours de la sphère de compétences des organes élus de la commune, notamment au
niveau de la définition de la notion d'« affaires locales », au niveau de la répartition
des compétences entre l'institution exécutive élue et le représentant du pouvoir central,
de la détermination de la nature juridique de certains actes du président et du conseil
communal, du fonctionnement interne du conseil communal, de la manière dont le
président perçoit sa fonction par rapport à d'autres services de la commune. L'examen
quasi statistique des moyens retenus par le juge (4) qui justifient soit le rejet des
requêtes soit l'annulation des actes attaqués de la fréquence des recours dans certaines
de ces matières par rapport à d'autres, nous est apparue comme un moyen opératoire
pour appréhender l'intensité du rôle du juge administratif en tant qu'acteur d'un essor
nouveau du processus décentralisateur marocain.
I-1- La violation de la loi.
La violation de la loi est le moyen d'ouverture du recours pour excès de pouvoir
plus usuel qui est opposé aux actes attaqués. Il faudra souligner que l'expression
« violation de la loi » ne doit pas être perçue à travers le sens restreint du terme « loi ».
Les instances communales se trouvent en bas de la hiérarchie organique. Leurs actes
sont soumis à la conformité aux actes supérieurs (constitution, lois, règlements, actes
ministériels, règlements de l’autorité gubernatoriale...)
A cet égard, les responsables communaux ne font pas exception aux autres
organes publics soumis au contrôle du juge administratif. Mais la spécificité du
2- Article 5 de la loi (française) des 7-14 octobre 1790.
3- E. Laferrière, « Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux », cité par R. Chapus, « droit du contentieux
administratif », 4e édition, Montchrestien, Paris, 1993, page : 147.
4- L'échantillon de base de cette étude correspond aux jugements de plusieurs tribunaux administratifs consignés dans les archives du
T.A de Fès.
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contentieux des actes des collectivités communales réside dans la violation de règles
de base telles que le droit de propriété ou les garanties statutaires de la fonction
publique... En somme, c'est un cumul de dysfonctionnements qui contribuent à
alourdir la gestion des services communaux et à fonder les relations hiérarchiques au
sein des services communaux et celle de la commune avec son environnement
sociologique sur des bases souvent conflictuelles et peu adaptées aux principes
élémentaires de bonne gouvernance.
a- violation de la constitution.
Le juge décide l'annulation d'un acte implicite du président du conseil
communal en matière de police administrative en évoquant un moyen tiré de la nonconformité de l'acte à l'article 15 de la constitution : « considérant que conformément à
l'article 15 de la constitution du Royaume, le droit de propriété est garanti et que seule
une loi peut en déterminer les limites et l'usage, l'expropriation ne peut être décidée
par l’administration que dans les situations et selon les mesures prévues par la loi, ce
qui implique que l'administration, même par acte réglementaire, ne peut porter limite
au droit de propriété » (5).
Le juge administratif procède également à l'annulation d'un acte pris par l'agent
d'autorité en matière de police administrative. Le moyen tiré de l'incompétence de
celui-ci aurait été suffisant à cet effet. Mais le juge, pour le rappeler, n'hésite pas à
déclarer l'acte mis en cause portant « atteinte au droit de propriété garantie par la
constitution ». (6)
b- violation de la loi proprement dite
Le juge administratif ne cesse de sommer le président du conseil communal de
se tenir au respect des garanties statutaires de la fonction publique au niveau de la
gestion des ressources humaines de la commune, notamment le droit de défense en
tant que principe général du droit administratif, pourtant bafoué à volonté par les
décideurs élus (7).
Le wali, dans l'exercice de son pouvoir de tutelle sur les personnes des
conseillers, ne peut fonder sa décision de démission du président d'une commune
rurale de son commandement sur une interprétation erronée d'un facteur d'inéligibilité
et, par conséquent, l'application erronée du dahir nº 1-92-90. (8)
Le juge administratif annule aussi une décision du président du conseil
communal concernant le fonctionnement interne du conseil, prise sur demande de
l'agent d'autorité, mais non conforme à la loi (9). Le juge administratif soutient aussi
5- T. A. Agadir, 21-03-96, Nait Ouali, n°14/96, (archives du tribunal administratif de Fes),
6- T. A. Rabat, 19-03-1998, El Omrani, n° 339.
7- T. A. Agadir, 14-04-1995, Dibi, n° 33/95 ; T. A. Meknès, 23-03-2000, Alaoui, n° 23/2000 ; 30-03-2000, Gmira, n° 1/2000 ; T. A.
Meknès, 28-10-1999, Zehti, n°98/99, cf. REMARC n°1, 2004, page : 157.
8- T. A. Meknes, 08-06-1998, El Fakir, n°20/95.
9- T. A. Oujda, 29-09-1999, Choho, n°111/99.
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que l'ordre donné par le gouverneur dans le cadre d'une tutelle informelle, à propos
d'une matière faisant partie des attributions du président du conseil communal, ne doit
pas faire autorité sur celui-ci, d'autant que cet ordre implique une décision contraire à
la loi (retrait d'un permis de construire conforme à la législation en vigueur). (10)
Le ministre de l'Intérieur, se prévalant d'une demande visant à « déclarer
démissionnaire » un conseiller communal, se heurte à l'annulation de sa décision par le
juge administratif au motif de la violation de l'article 24 de la charte communale du 30
septembre 1976. Le juge relève parallèlement que la demande de démission du
conseiller, adressée par le président du conseil communal à l'autorité centrale de
tutelle, est elle-même entachée d’irrégularité. (11)
Le juge administratif soumet aussi les actes des autorités administratives locales
à l'épreuve de l'erreur de droit, considérée comme « un vice de raisonnement » à la
différence de la « violation objective de la hiérarchie des règles juridiques » (12). Il
annule une décision du président du conseil communal en matière de police
administrative prise en application du dahir du 30 juillet 1952 qui a été abrogé par la
loi nº 12-90, qui, en outre, transfère l'objet de la décision attaquée (démolition d'une
construction non conforme aux dispositions du texte précité) à la sphère de
compétences du gouverneur (13) ; et aussi une décision du président du conseil
municipal basée sur un texte du 25 août 1924 en matière de police administrative
abrogée par l'article 44 de la charte communale de 1976 (14).
L'erreur de fait peut être opposée aux décisions des autorités administratives
locales. Le juge procède à vérifier que « les faits allégués comme motifs de la décision
existent réellement » (15). Le juge soutient qu’« il est affirmé par la doctrine et par la
jurisprudence que chaque décision administrative doit être fondée sur un motif,
notamment des faits objectifs qui la justifient. L'administration doit prouver les motifs
qui déterminent ses actes. Dans le cas contraire, sa décision serait entachée d'excès de
pouvoir ». (16)
I-2- Le détournement de pouvoir.
Le contact direct et intense entre les deux autorités administratives locales (le
présent du conseil communal et le Caïd, agent d’autorité) et les citoyens ainsi que la
nature des exigences et demandes formulées à ceux-ci attribuent à la notion de
« détournement de pouvoir » un sens particulier. Or « il s'est avéré dangereux de doter
10- T. A. Marrakech, 30-06-1999, Naouiss, n° 86.
11 - T. A. Fes, 20-06-2000, Alaoui Kobbi, n° 447. En matière de finances locales, voir T. A. Rabat, 26-07-2001, Bouzoubaa, n°688,
Revue marocaine d’administration locale et de développement, n° 42. janvier-février 2002, page : 97.
12- C. Debbasch, « institutions et droit administratifs», tome 2, collection Thémis, droit, Presses Universitaires de France, Pais, 1978,
page : 507.
13- T. A. Rabat, 04-05-1995, Ben Sahraoui, n° 132.
14- T. A. Fès, 01-04-1997, Oulkadi, n° 351/96. Le juge considère que cette décision souffre aussi d'un vice de procédure, voir infra,
note 26.
15- M. Rousset, « contentieux administratif », éditions La Porte, Rabat, 1992, page : 143.
16- T. A. Oujda, 21-12-1994, Sanoussi, n°29/94 ; 01-02-1995, Zerkti, n° 5/94 ; T. A. Rabat, 19-01-1995, Akami, n° 12 ; T. A. Agadir,
16-07-1998, Abbou, n°19/98.
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le président du pouvoir de maintien de l'ordre et de la sécurité publique au lieu et place
de l'agent d'autorité. Un tel transfert de pouvoirs de police générale peut courir le
risque d'être utilisé à des fins personnelles ou partisanes. » (17)
Le risque de détournement de pouvoir est réel donc en matière de police
générale. Il est potentiel se rapportant aux autres prérogatives de puissance publique
attribuées au président du conseil communal. Pour réduire ce risque, le juge
administratif s’attellera à vérifier l'intention des autorités locales qui a déterminé un
acte auquel est fait grief de détournement de pouvoir. Il procède à une confrontation
entre l'intention de l'autorité administrative locale c'est-à-dire le but poursuivi par
celle-ci en faisant usage d'un pouvoir et celle du législateur, c'est-à-dire le but assigné
par la loi à l'exercice de ce pouvoir. (18)
De la sorte, le juge administratif a annulé pour excès de pouvoir une décision du
président du conseil communal portant refus d'autorisation d’un projet immobilier
pour raison d'intérêt général, le responsable communal soutenait que le terrain objet du
litige fut affecté par le conseil communal à des équipements collectifs, mais le juge lui
a reproché de ne pas avoir procédé à une procédure d'expropriation pour cause d'utilité
publique. (19)
Le juge administratif conclut aussi sans ambiguïté au détournement de pouvoir
pour raison d'intérêt particulier du président. Réalisant l'économie de la confrontation
entre l'intention de l'autorité administrative et celle du législateur, dans une espèce
assez curieuse, le juge administratif met en demeure l'administration de porter la
contrepreuve des motifs invoqués par le requérant et justifier par conséquent le mobile
d'intérêt général de sa décision. (20)
Plus simple encore apparaît le rôle du juge administratif à prouver le
détournement de pouvoir dans un intérêt particulier en raison de l'erreur grossière
commise par l'administration dans l'exercice d'un pouvoir d'appréciation qui lui est
reconnue par la loi : « considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le requérant a
présenté un recours contre le président du conseil communal pour injure publique
devant le procureur du Roi près le Tribunal de première instance. Considérant que le
président du conseil communal a affecté le requérant au service d'assainissement peu
de temps après la présentation dudit recours et l'ouverture de poursuites à son égard.
Considérant que le président du conseil communal, en édictant cette décision
poursuivait un motif totalement étranger à l'intérêt général. Et considérant que le
responsable administratif, en usant de son pouvoir, poursuivait un intérêt purement
personnel, sa décision est manifestement entachée de détournement de pouvoir ». (21)
17- Lami E. , « l'expérience actuelle de la police administrative communale (de 1976 à 1986) » , in « l'Etat et les collectivités locales
au Maroc », ouvrage collectif, presse de l'Institut d'Etudes Politiques de Toulouse, Sochepress, Imprimerie Najah el Jadida,
Casablanca, 1989, page : 75.
18- Ch. Debbasch, op. cit, page: 501.
19- T. A. Rabat, 23-02-1995, Lemrabet, n° 90/94.
20- T. A. Oujda, 12-07-1995, Nhari, n°76/95.
21- T. A. Oujda, 06-10-1999, Kailouli, n°123/99.
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I-3- Le vice de forme.
La compétence d'attribution du président du conseil communal implique que
les actes sanctionnés par le juge administratif sur griefs de vice de forme s'inscrivent
presque exclusivement dans des attributions en matière de fonction publique et de
police administrative. La fréquence des annulations à cet égard met en relief une
certaine conception que le responsable élu se fait de sa fonction : l'arbitraire fait
souvent partie des règles de gestion des services communaux, et n’a d’égal que
l'assurance des requérants et la détermination du juge administratif.
En matière de fonction publique locale, l'autorité administrative entache ses
décisions de vice de procédure en transgressant le principe de défense qui est un
principe général de droit (22). « Considérant que le président de la municipalité..., en
mettant fin aux fonctions du requérant au sein des services de la commune et en
suspendant son salaire sans se conformer à la procédure détaillée dans la circulaire du
premier ministre (du 29 avril 1986), il enfreint les dispositions relatives au
détachement et expose sa décision à l'annulation. » (23)
Le chef hiérarchique du personnel communal (24) fait état à certains égards
d'erreur grossière, portant atteinte à des formalités substantielles dont dépend la
régularité de ses actes et méconnaissant les règles élémentaires de la gestion d'un
personnel bénéficiant de la protection statutaire de la fonction publique. Cette attitude
est évidement fustigée par le juge administratif « considérant que, d'après ce qui a été
exposé, le conseil disciplinaire ne s'est réuni qu’après la date de la décision
disciplinaire attaquée, et c'est la une violation de la procédure prévue par le législateur
en matière de sanction disciplinaire. Considérant que le manquement à la procédure
disciplinaire tel qu'il a été exposé constitue une atteinte au droit de défense et implique
que l'acte qui en découle est nul et non avenu. (25)
Il en est de même en matière de police administrative. En face des erreurs
grossières des autorités administratives locales, le juge administratif procède à une
véritable épreuve d'interprétation des dispositions de l'article 46 de la charte
communale du 30 septembre 1976 (26) et du décret pris pour son application (décret
nº 2-78-157 du 26-5-1980). Le propos franchement abjuratoire du juge administratif
est sans ambiguïté : « Considérant que le président du conseil communal, on édictant
l'acte attaqué sans se conformer à la procédure prévue par les articles 2-3-5 et 6 du
décret nº 2-78-157 du 26-5-1980 relatif aux conditions d'exécution des mesures de
maintien de l'ordre et de la sécurité publique et les mesures ayant pour objet d'assurer
22- M. Rousset, « contentieux administratif », op. cit., page : 138.
23- T. A. Fes, 17-07-1996, Elghout, n° 304/96.
24- Article 54 de Dahir n° 1-02-297 du 3 octobre 2002, portant promulgation de la loi n° 78-00 portant charte communale. BO n° 5058
du 21 -11- 2002
25- T. A. Agadir, 14-04-1995, Dibi, n° 19/94.
26- Article 52 de la loi nº 78-00, op. cit.
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la sûreté et la commodité des passages, la tranquillité, la salubrité et l'hygiène
publiques, sa décision est entachée d'excès de pouvoir et doit être annulée. » (27)
le juge administratif ajoute dans une espèce assez proche, mais en des termes à
connotation franchement pédagogique « considérant que par déduction du décret
précité relatif aux conditions d'exécution des mesures de maintien de l'ordre et de la
tranquillité publique et les mesures ayant pour objet d'assurer la sûreté et la
commodité des passages, la tranquillité, la salubrité et l'hygiène publiques, il est clair
que le législateur confère en premier lieu au président du conseil communal l'autorité
de faire exécuter d'office, aux frais et dépens des intéressés, toute mesure ayant pour
objet d'assurer -entre autres- la salubrité et l'hygiène publiques. Mais toute mesure à
cet égard doit être précédée par un avertissement adressé à la personne concernée sur
la base d'un rapport écrit réalisé par le service municipal hygiène lui enjoignant
d'exécuter les mesures nécessaires qui lui sont prescrites dans un délai déterminé pour
mettre fin au manquement à l'hygiène publique… Ces mesures doivent être
convenablement assorties à l’infraction relevée ou à la menace qui en découle.... Mais
dans le cas où le contrevenant ne prend pas acte de l’injonction qui lui a été adressée
dans un délai de quatre jours, les mesures prises à son égard seront reconsidérées à la
lumière d'un rapport d'expert, sur quoi le président doit édicter sa décision
définitive... » (28)
I-4- L’incompétence.
« La compétence est l'aptitude légale d'une autorité ou d'un agent à prendre
certains actes. » (29) Sur le plan local, cette aptitude est précisée par une répartition
exacte des sphères d'intervention entre le président du conseil communal et le
représentant du pouvoir central.
Le caractère obscur des textes qui implique
l'ambiguïté de la répartition des compétences au niveau de la commune est considéré
comme un « argument fallacieux. » (30) Pourtant, les sentences d'annulation
prononcées par le juge administratif et tirées de l'incompétence des acteurs du pouvoir
local met en exergue des cas d'interférences grossières de pouvoirs. Ce sont des
inerties institutionnelles incarnées plus particulièrement par des actes émanant
d'agents d'autorité, agissant en matière de police administrative, l'une de leurs vieilles
sphères de compétences, attribuées à l'autorité administrative élue par l'article 44 de la
charte communale du 30-09-1976. D'ailleurs, le juge administratif y répond d’un ton
résolument péremptoire : « considérant que le pouvoir d'autorisation de façon générale
fait partie des compétences des présidents des conseils communaux en application de
l'article 44 de la charte communale du 30 septembre 1976 relative à l'organisation
27- T. A. Oujda, 25-12-1996, Benamrou, n° 896/96.
28- T. A. Fes, 01-04-1997, Oulkadi, n° 351/96.
29- Ch. Debbasch, « science administrative », collection « Précis Dalloz », 3e édition, Dalloz, Paris, 1976, page : 499.
30- Le point de vue est de M. Rousset, « compte rendu des tables rondes tenues à la Faculté des Sciences Juridiques Economiques et
Sociales de Casablanca et à l'Institut d'Etudes Politiques de Toulouse, les 17 novembre 1987 et 5 avril 1988, in « l'Etat et les
collectivités locales au Maroc », op., cit., page : 112.
H. Laafou, « Le vice de détournement de pouvoir », Revue marocaine d’administration locale et de développement, n° 41, novembredécembre 2001, pp : 47-65.
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communale. Considérant que cet article confère aux agents d'autorité une compétence
liée et aux présidents des conseils communaux une compétence générale en matière
d’autorisation, d’injonction ou d’interdiction. Considérant que l'exercice d'une
autorisation d'ouverture de salle de fête ne fait pas partie des compétences attribuées à
l'agent d'autorité par l'article 44 précité, la compétence de celui-ci en matière de
professions libérales ne peut être appliquée..., parce qu'il ne s'agit pas d'une profession
libérale selon la notion juridique du terme, mais d'une activité commerciale qui
suppose une autorisation préalable dans un but d'hygiène et de tranquillité publiques.
Considérant que l'usage consacré au Maroc vise à renforcer la démocratie, notamment
par l'élargissement des attributions des autorités locales élues et la restriction de
l'autorité du représentant du pouvoir central... L'acte attaqué, sans tenir compte de la
légalité de la décision d'autorisation, tant qu’elle n'a pas été mise en cause, est entaché
d'incompétence... Et s'expose à l'annulation ». (31)
Mais le conflit de compétences ne concerne pas exclusivement le pouvoir de
police administrative. L'agent d'autorité peut aussi empiéter sur les compétences
attribuées au président du conseil communal en matière de fiscalité locale :
« considérant que l'acte en question est une décision prise en vue du recouvrement de
parts fiscales au profit de la commune. Considérant que l'article 23 du décret du 3009-1976 portant règlement de la comptabilité des collectivités locales et de leur
regroupement dispose que la perception de toutes les créances autres que celles
comprises dans les rôles d'impôts d'État s'effectue en vertu d'ordres de recettes
collectives ou individuelles établies et rendues exécutoires par les ordonnateurs qui en
assurent la publication de la date de mises en recouvrement... L'article 16 du même
décret précise que le président du conseil communal est l'ordonnateur de droit pour les
communes urbaines et rurales. Considérant que l'article précité n'implique aucunement
l'agent d'autorité... Considérant que l'acte mis en cause est édicté part l'agent d'autorité,
incompétent en la matière par la force de la loi, il s'expose à l'annulation ». (32)
D’autre part, de président, conforté dans son rôle d'autorité locale par l'article 44
de la charte communale du 30 septembre 1976 et par les dispositions du décret de la
même date, en fait à certains égards large interprétation, de façon à confondre entre
mesure de sûreté, de commodité des passages et de tranquillité, et mesure visant à
trancher un litige entre citoyens ; et, par conséquent, empiéter sur le rôle du juge
judiciaire : « considérant que... conformément aux dispositions de l'article 44 du dahir
du 30-9-1976, il n'appartient pas au président de décider la fermeture d'un local
commercial pour défaut de preuve de bail à loyer... c'est une compétence qui échoit au
juge de droit commun. Considérant que la décision de fermeture du local commercial
est entachée d'incompétence parce que l'autorité qui l'a édictée n'a pas fait état des
limites distinguant l'acte administratif de l'acte judiciaire et par conséquent l’a exposée
à l'annulation. » (33)
31- T.A, Oujda, 13-12-1995, Melloul n° 18/95; 27-05-1999, Akkar, n° 75/99.
32- T.A, Oujda, 22-01-1997, Boughaleb, n° 18/97; T. A. Rabat, 07-01-1999, El Faiteh, n°11.
33- T.A, Oujda, 12-05-1999, Ajbari, n°66/99; T. A. Meknès, 28-01-1999, Nassiri, n° 12/99.
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II- l’attitude du juge de la légalité : redéfinition des fondements de la
compétence des autorités administratives locales.
L'intervention du juge administratif, que ce soit en matière de contentieux de
l'annulation ou de contentieux de pleine juridiction, ne peut être réduite à la simple
fonction de répression de l'arbitraire administratif et à l'assujettissement de
l'administration au respect de la légalité (34). Le juge, en ce qui nous concerne dans
cette étude, remplit une fonction fondamentale, notamment la relecture des textes
selon les exigences du contexte politique (35), économique et social... Le caractère
peu évolué de la jurisprudence en matière de contentieux des collectivités locales
jusqu'à la mise en oeuvre des tribunaux administratifs implique que le rôle du juge
administratif à cet égard doit être entièrement reconstitué.
II-1- les caractéristiques de l'acte communal soumis au contrôle du juge
administratif.
Les actes édictés par les instances communales sont soumis au contrôle de
tutelle à deux niveaux : contrôle de légalité et contrôle de l'opportunité. C'est une
surveillance à double cran destinée à subordonner les responsables communaux au
respect de la légalité et de la notion d'intérêt général, assez ambiguë en matière de
décentralisation (36). Il en ressort que la quasi-totalité des actes pris par le président
conformément aux délibérations du conseil communal est soumise au filtrage
pointilleux des agents du pouvoir de tutelle. Par conséquent, seule une proportion des
décisions du président, notamment en sa qualité de supérieur hiérarchique des services
communaux, compétence qui lui est dévolue de plein droit, et en matière de police
administrative, dont le pouvoir qui lui est attribué est exercé sous le contrôle de
l'administration supérieure sous l'égide de la charte communale de 1976, constituent sa
sphère de compétences exclusive. La loi nº 78-00 a rectifié cette distorsion en
attribuant au président l'exercice de plein droit de ces deux compétences. (37) La
masse des décisions examinées dans le cadre de cette étude, en particulier les
décisions annulées par le juge administratif pour excès de pouvoir, c'est-à-dire, celles
qui sont supposées avoir échappé au contrôle de tutelle, relèvent presque
exclusivement de ces deux attributions fondamentales du président. On notera par
exemple la quasi-inexistence de griefs portés devant le juge administratif contre les
décisions du président du conseil communal en matière d'état civil alors que c'est une
compétence aussi fondamentale du président du conseil et qui, en outre, concerne une
large frange de la population communale. En effet, cette attribution du président est
34- M. J Laferrière, préface à R. Monier, « le contentieux administratif au Maroc », Librairie du Recueil Sirey, Paris, 1935, page : X.
35- Voir supra, page : 4.
36- Voir article 59 de la loi 78-00.
37- L’article 49 de la charte communale du 3 octobre 2002 dispose : « Les présidents des conseils communaux exercent, de plein droit,
les attributions de police administrative communale et les fonctions spéciales reconnues par la législation et la réglementation en
vigueur aux pachas et caïds », à l'exclusion des matières déterminées par ce même article, qui demeurent de la compétence de l'agent
d'autorité.
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soumise à un contrôle étroit du service correspondant au sein de la préfecture ou
province de rattachement.
L’affermissement considérable et la mise au point des compétences du conseil
et celle du président, conformément à la loi nº 78-00, pour intégrer des dimensions
aussi importantes que la protection de l'environnement, la protection du patrimoine
culturel, historique et touristique, l'animation active de la vie économique, l'action
socioculturelle, la répression des fraudes en matière alimentaire, la réglementation de
l'usage du feu, la protection des plantations et végétaux..., ainsi que l'ensemble des
compétences transférées au conseil conformément à l'article 43 de la nouvelle charte
communale, entraînera certainement une plus grande palette de situations dans
lesquelles le juge administratif sera plus sollicité. Ainsi contribuera-t-il à fixer avec
une plus grande précision les contours de l'acte du conseil communal et de celui du
président.
Il est certain que l’élargissement du rôle du juge administratif est le corollaire de
la propension politique au renforcement du processus décentralisateur. En témoigne
clairement, à titre d'exemple, le rôle dévolu aux Cours régionales des comptes, qui
peuvent être saisies par l'autorité de tutelle, en application de l'article 71 de la loi 7800, d'un compte administratif litigieux qui a été rejeté par le conseil communal après
un nouvel examen demandé par cette même autorité. (38)
Mais le rôle du juge administratif trouve sa limite dans le contrôle de
l'opportunité qui n'a pas perdu de sa virulence de principe. Or c'est là où doit évoluer
en filigrane une nouvelle perspective du rôle du juge administratif : mener de front une
jurisprudence éclairée et audacieuse visant à assouplir, voire à soumettre
techniquement le contrôle de l'opportunité dans l'attente de la consécration de la libre
administration des collectivités territoriales.
D'autre part, cette faiblesse du rôle du juge administratif est aggravée par des
facteurs extra- juridiques notamment le dysfonctionnement de l'institution communale
en milieu rural et la représentation que se fait le citoyen du recours à la justice en
général et à l'encontre de l'administration plus particulièrement.
II-2- Définition de l'acte proprement dit de l'autorité administrative élue.
Il ressort des développements précédents que le profil type de l'acte
administratif pris par l'autorité élue est en réalité déterminé par le pouvoir de tutelle.
Le contrôle purement administratif et donc naturellement trop empreint de
subjectivité-opportunité recouvre le champ normatif sur le plan local. Le juge
administratif ne contrôle qu'un aspect résiduel des différents compartiments de
l'institution communale, notamment les arrêtés réglementaires et les actes individuels
édictés par le président dans le cadre de son pouvoir propre ou pour exécuter les
décisions du conseil communal.
38- S'inscrit dans cette même logique l'assouplissement de la procédure de saisine du juge administratif d'un acte d'une collectivité
communale dans une matière autre que le recours en annulation pour excès de pouvoir au terme de l'article 43, alinéa 2 la loi 78-00.
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Ce constat ne peut être nuancé par une approche purement quantitative rendant
compte de l'importance numérique des actes du président pris indépendamment du
conseil communal par rapport à l'ensemble des actes des instances communales. Ce
serait une approche insidieuse qui impliquerait inéluctablement à un faux débat.
Le juge administratif ne remplit qu'une fonction réduite au niveau de la
définition de la consistance de l'acte de l'autorité administrative élue. En effet, peu
nombreuses sont les décisions qui donnent au juge l'occasion d'apprécier la nature de
l'acte du président du conseil communal en dehors du cadre normatif préétabli. À titre
d'exemple, le juge a affirmé sa compétence pour connaître d'un litige opposant un
conseiller communal et le président au sujet du compte administratif. Il précise que ce
document est un « acte administratif » proprement dit, parce qu'il constitue une
manifestation de la volonté de l'administration débouchant sur une action bien précise
(39). Dans une autre espèce, il a rejeté l'allégation d'incompétence qui lui a été
opposée par la partie défenderesse, tout en lui donnant raison d'ailleurs sur l'objet de la
requête, à propos de l'autorité du président à désigner un rapporteur général du budget
en accord avec les membres du conseil. Le juge estime là aussi qu'il ne s'agit pas d'un
pouvoir discrétionnaire du président, mais d'un « acte administratif » susceptible de
contrôle. (40)
Par contre, le juge estime que l'ordre du jour d'une réunion du conseil
communal, établi par le président « ne constitue ni un acte administratif exécutoire ni
un procès-verbal d'un acte…, mais une simple mesure préparatoire... et par conséquent
non susceptible de recours... » (41)
II-3- Le contrôle du juge administratif sur l'acte de tutelle.
En principe, « toutes les décisions de l'autorité de tutelle peuvent faire l'objet
d'un recours en annulation pour excès de pouvoir puisqu'elle constitue des décisions
des autorités administratives... Le recours est dispensé de l'approbation de l'autorité de
tutelle ». (42)
Mais ce principe ne reçoit que partiellement application pour plusieurs raisons :
— À propos des attributions du conseil communal et s'agissant du contrôle de
l'opportunité, dans la plupart des cas, les actes non approuvés trouvent leur limite dans
l'insuffisance des moyens financiers ou logistiques de la commune. Ce phénomène est
plus particulier aux communes rurales. Or, c'est une aberration que d'intenter un
recours pour excès de pouvoir contre l'administration de tutelle au sujet d'une décision
que la commune ne peut mettre à exécution par ses propres moyens.
39- Concernant la clôture de l'exercice budgétaire, T. A. Meknès, 24-04-1996, Massine,n°14-96,Revue marocaine d’administration
locale et de développement nº 16, page : 158
40- T. A. Fès, 12-06-1999, Chabbi, n° 140/96.
41- T. A. Agadir, 05-04-2001, Daoudi, n°32-2001, Revue marocaine d’administration locale et de développement, n° 42, janvierfévrier 2002, p: 165.
42- D. BASRI, « la décentralisation au Maroc. De la commune à la région », collection « Edification d'un État moderne », éditions
Nathan, Paris, 1994, page : 46.
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— L’insuffisance des moyens financiers de la commune est également un
facteur dissuasif du recours en annulation contre une décision de tutelle défavorable.
Dans la majeure partie des cas, les responsables communaux garnissent copieusement
la rubrique de recettes « subventions et fonds de concours » et s'attendent quasi
automatiquement au versement des fonds prévus. Dans cet état des choses, il est peu
probable que le président du conseil communal puisse sérieusement envisager de
« s'attaquer » à l'administration de tutelle qui d'ailleurs ne tarit pas de moyens afin de
motiver solidement son rejet.
— la plupart des responsables communaux ne disposent pas d'une culture
juridique suffisante, particulièrement en milieu rural, les prédisposant à concevoir la
possibilité du recours pour excès de pouvoir contre l'administration de tutelle. Cette
attitude est renforcée par le conformisme des notables locaux et leur attitude trop
complaisante voire de subordination inconsciente ou consciente vis-à-vis des rouages
administratifs déconcentrés.
Le contrôle du juge administratif se limite ainsi à quelques actes de tutelle sur
les personnes. Ainsi, contrôlant la mise en oeuvre par l'agent autorité de l'article 49 de
la charte communale de 1976, le juge administratif approuve la substitution de celui-ci
au président du conseil pour convoquer une session extraordinaire litigieuse, parce
qu’ayant pour objet de destituer le président de ses fonctions, tant que le représentant
du pouvoir central n'empiète pas sur les dispositions de l'article 2 de la charte
communale. En effet, le juge administratif a établi une jurisprudence constante à
propos de la mise en oeuvre de cet article : le rôle de l'agent autorité se limite à la
convocation des conseillers pour la réunion dans laquelle sera tenue l'élection du
président et du bureau ou leur destitution. La présidence de la réunion revient au plus
âgé des membres. La simple présence de l'agent autorité au cours de cette séance
suffira pour justifier l'annulation du résultat du vote. (43)
D'autre part, toute injonction faite par l'agent autorité ou par le gouverneur au
président ou au conseil communal dans le cadre d'une tutelle informelle est
sévèrement sanctionnée par le juge administratif, notamment lorsqu’elle débouche sur
un acte administratif contrôlable, et bien entendu soumis à l'appréciation du juge, qui
souffre d'une forme quelconque d'illégalité. (44)
43- T. A. Marrakech, 28-11-1995, El Akroud, nº 120, Revue marocaine d’administration locale et de développement, nº 16, juilletseptembre 1996, page : 118.
44- T. A. Marrakech, 30-06-1999, Naouiss, n° 86; T. A. Oujda, 29-09-1999, Choho, n° 111/99, cf. supra notes 7 et 8.
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