Service de la recherche
en éducation Pierre-Alain Wassmer
PROJET DE CADRE THEORIQUE POUR LE DEVELOPPEMENT
DE LECONOMIE DE LEDUCATION PAR LE SRED
INTRODUCTION
Le débat politique actuel sur l’utilisation des ressources publiques, rendu encore plus
aigu depuis le début des années 90 avec la crise budgétaire de l’Etat, pose de façon
lancinante le problème de la meilleure mise en œuvre possible du bien public en vue de
la réalisation des objectifs de la collectivité. Cette question qui est celle de l’efficience
des services publics en induit une autre, plus large, qui concerne le rôle de lEtat dans le
financement et dans la prise en charge des activités destinées à la collectivité.
Ces différentes questions relatives à l’ensemble de la sphère étatique touchent
directement de domaine de l’éducation qui, au travers des activités du DIP, mobilise de
l’ordre de 30 % du total des ressources financières de l’Etat. Cette part importante – qui
a même côtoyé les 40 % du budget vers 1980 – est consacrée essentiellement à la
rémunération des personnels qui travaillent au sein des administrations publiques, mais
aussi dans le domaine privé subventionné.
Ressources financières et ressources humaines sont ainsi apparues comme un domaine
d’intérêt pour la recherche en éducation et pour le Service de la recherche sociologique
en particulier dès la fin des années 80. Des tentatives avaient bien été entreprises en
1967-69 pour établir des prévisions de personnel enseignant, mais qui n’ont pas
débouché sur des résultats probants1. On peut situer l’origine des travaux actuels dans la
publication de Patricia Dumont, Dépenses en éducation dans le canton de Genève – Dépenses
globales et dépenses unitaires, publiée en 1990.
D’autres travaux ont suivi dans la perspective de mettre en valeur des informations sur
les dépenses d’éducation et dans le domaine des ressources humaines à Genève. A ce
propos on signalera la mise en place par Pascal-Eric Gaberel d’une exploitation des
données provenant de GIP et permettant la production de statistiques sur le personnel
et de contribuer à la statistique des enseignants au plan national.
1 Du Pasquier Jean-Noël (1967, 1968, 1969), Hutmacher Walo (1963, 1968), cités dans Jung (1999).
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Cette statistique, réalisée par l’OFS, est encore en plein développement avec
l’établissement de données sur les enseignants du secondaire professionnel.
Parallèlement à ces statistiques existe un relevé sur l’ensemble du pays effectué
directement par le SIUS auquel le SRS ou actuellement le SRED n’ont jamais participé.
A partir de ces données de base a pu se développer une réflexion plus large sur les
indicateurs de ressources de l’enseignement au plan genevois au travers du groupe GIR
et au plan national avec le dossier FiKoBi. Ce travail a débouché au début 1996 sur le
document Ressources humaines et financières du DIP (Edition 0) produit par Marc Major et
Alain Sauberli. C’est ce document qui, après plusieurs versions non publiées, a donné les
deux brochures réalisée en collaboration avec les Services administratifs et financiers du
DIP (SRED et SAFs, 1998, 1999). La particularité de ces documents, relevée par S.
Barro lors de son expertise genevoise en 1998, est de réunir des données financières
avec des données sur les ressources humaines.
Parallèlement à ce dossier, une contribution du SRED au document pour le projet de
budget du DIP a développé des éléments d’analyse à la fois sur les dépenses publiques
globales et sur les coûts unitaires d’éducation. De ce travail découlent deux autres
publications du SRED (Wassmer Pierre-Alain, 1999a, 1999b).
La phase actuelle, caractérisée par la consolidation des données empiriques, met en
évidence le besoin d’analyses plus approfondies dans le champ des ressources. C’est
cette nécessité qui appelle des développements théoriques, l’établissement d’un cadre
conceptuel spécifique à la situation genevoise mais prenant en compte plus
généralement les acquis de la recherche dans le domaine de l’économie de l’éducation.
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1. L’ECONOMIE DE LEDUCATION
L’économie de l’éducation, pour bien des personnes, pourrait être le fruit des amours
contre nature de la carpe et du lapin et ne serait en fin de compte que le fantasme de
théoriciens coupés du monde voulant réconcilier l’irréconciliable. Pour ces gens, les
contraintes de l’économie sont inapplicables au domaine de l’éducation2.
Et pourtant, de cette contradiction, de cette antinomie, qui surgit dans le
développement rationnel, nous pourrions dire, comme Edgar Morin, qu’elle nous
« signale les nappes profondes du réel »3. L’opposition entre économie et éducation est
un bon exemple du principe « ce qui permet notre connaissance limite notre
connaissance ». La réalité qui est observée dans un cas est la même dans l’autre et ce
sont les regards différents qui ne s’accordent pas.
Nous pourrions ainsi dire que la vocation de l’économie de l’éducation découle de ce
constat. Au cours de la tentative d’appliquer les principes de l’économie au domaine de
l’éducation apparaît la nécessité de créer un cadre spécifique, avec des concepts
novateurs, qui puisse rendre compte de manière effective des réalités de ce champ. Le
principal apport allant dans ce sens est l’établissement du concept et de la théorie du
capital humain. Cette dernière situe la production des connaissances au cœur même du
processus économique en même temps qu’elle permet de modéliser la demande
d’éducation en termes économiques.
Le concept de capital humain, depuis son apparition à la fin des années 504, a été à la base
de nombreux travaux très créatifs. Il est aussi un principe de valorisation des
connaissances dont la production ne relève plus simplement de la sphère des biens de
consommation mais davantage comme un investissement pour une production future
dont les bénéfices iront tant vers les individus que vers la collectivité.
2 Le domaine de l’éducation est considéré à la fois comme un champ d’activité (un secteur économique) et comme un
domaine de la connaissance (une discipline).
3 Mes démons, Stock, 1994, coll., « Points Essai », p. 251.
4 Mincer J., Investment in human capital and personal income distribution, Journal of Political Economy, 4, 1958.
« Mon délire prenait la forme de chiffres et
ces chiffres exprimaient des nombres aux
propriétés hostiles et malveillantes »
(Roland Travy, le narrateur d’Odile, p. 147)
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2. LE CHAMP
D’emblée l’éducation apparaît comme un champ d’investigation clair et bien délimité, si
on la considère comme un secteur économique d’activité. Il s’agirait ainsi d’appliquer les
principes de l’économie au secteur de l’éducation, avec quelques aménagements. En
réalité on peut voir deux difficultés majeures : d’une part l’éducation n’est pas seulement
un secteur d’activités économique, mais plus largement une activité spécifique dans le
processus économique.
Le statut de la formation continue au sein des entreprises est à cet égard parlant. Au même titre
que la recherche, elle constitue une partie conséquente des charges des firmes, en
particulier dans les secteurs de pointe, de haute valeur technologique. Ces charges sont
de la sorte intégrées aux coûts de production et interviennent dans le calcul de
rendement. Le capital humain peut être considéré comme un facteur de production au
même titre que le capital financier ou le travail salarié.
On ne peut donc pas restreindre l’éducation, ni même la formation au sens strict, à un
secteur économique défini, même si ce secteur existe par ailleurs. Les concepts et les
principes de l’économie de l’éducation doivent pouvoir être mis en œuvre y compris
dans les entreprises, c’est-à-dire partout où il y a formation de capital humain.
L’autre difficulté vient du fait que l’éducation est le champ d’étude des sciences de
l’éducation. Se pose alors la question pour l’économie de l’éducation de spécifier son
intervention et de préciser ses apports et ses rapport aux autres disciplines. L’économie
de l’éducation doit trouver sa place au sein des sciences de l’éducation et s’intégrer
comme discipline constitutive de celles-ci.
Dans ce chapitre on tentera de recenser les questions spécifiques de l’économie de
l’éducation ainsi que les différentes manières de diviser la matière et de l’organiser.
LES QUESTIONS DE LEMELIN
L’économie de l’éducation est basée sur le concept de rareté : l’éducation n’est qu’une
parmi différentes activités à laquelle sont rattachés des coûts et des bénéfices qu’il s’agit
d’identifier, distinguer, évaluer et comparer. Lemelin formule alors les trois questions de
base que voici5:
Combien produire ? Investir davantage ou moins ? Quel type d’enseignement
favoriser ? Quantité ou qualité ? A l’école ou en entreprise ?
Comment produire ? Quels sont les déterminants de l’apprentissage et de la réussite
scolaire ? Existe-t-il des possibilités de substitution entre les divers facteurs ? La
production est-elle obtenue au moindre coût ? L’organisation et les incitations en
place mènent-elles à l’efficience ?
5 Tiré d’un projet de communication de Lemelin, Université de Montréal. Voir aussi Lemelin Clément, 1988.
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Pour qui produire ? Qui profite le plus directement de l’activité ? Comment
s’effectue le financement et la répartition de la charge ? Quel est l’effet de l’éducation
sur la répartition du bien-être ?
On retrouve ces questions au centre du débat sur l’éducation, tant dans les milieux
politiques que parmi les professionnels de l’enseignement. Elles situent bien le niveau de
l’analyse économique en définissant l’éducation comme un processus mobilisant des
ressources de différentes natures dans la perspective de produire un bien à destination
de différents publics.
A ce stade, la nature de ce bien reste encore floue, puisqu’on peut l’envisager comme
produit de consommation – à destination d’un marché où se forme la demande
d’éducation – ou comme investissement dans le processus économique – dans lequel
elle intervient comme un facteur dans la production d’autres biens.
On ne sait pas non plus si on a affaire à un bien (la connaissance) ou à un service
(l’apprentissage) ce qui implique que la mesure de la production peut aussi bien être le
niveau atteint par l’élève que le niveau d’activité de l’enseignant. Nous retrouvons ici
deux acceptations du terme éducation : dans un cas c’est le processus (ou le cadre où se
réalise le processus, p. e. l’Education nationale) et dans l’autre le résultat de ce processus
(bien éduqué, avec une bonne éducation).
LE DECOUPAGE DE GRAVOT
L’ouvrage important de Gravot sur l’économie de l’éducation (Gravot 1993) présente
un découpage selon les catégories suivantes :
La demande en éducation : (la théorie du capital humain, les théories
complémentaires du signal, l’apport de la sociologie, les modèles plus larges relevant
de la théorie de l’insertion).
L’offre en éducation : (les produits et les facteurs de l’éducation, l’efficacité et le
financement du système éducatif).
L’impact de l’éducation : (la relation formation/emploi, effets sur la
consommation et l’environnement, effets macro-économiques).
La politique éducative : (les principes fondamentaux de la politique éducative et
leur mise en œuvre).
La claire séparation du champ d’étude entre l’offre et la demande se retrouve dans la
présentation de l’économie de l’éducation par Jarousse (1991). Vandenberghe (1999),
lui, voit la dualité du champ au travers de lopposition entre la théorie du capital humain,
qui concerne la demande d’éducation, et l’analyse de la fonction de production, qui s’attache à
l’offre éducative.
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