DEUXIÈME SUJET LES PARTICULARITÉS PHILOSOPHIQUES DE CETTE PÉRIODE O brave new world O splendide Nouveau Monde William Shakespeare (1564 - 1616) La tempête, 1611 I PRÉSENTATION 1 - Philosophes classiques du 17ème pour nous versus philosophes classiques pour le 17ème 2 - La cœxistence de deux milieux philosophiques : entre les modernes et les classiques 3 - Une philosophie face à la répression des autorités et de la religion 4 - Unité de la philosophie, pluralité des philosophies II LES STRUCTURES DE LA PHILOSOPHIE DU 17ÈME 1 - Les traits du philosophe à cette époque changent, il n’est plus l’enseignant 2 - Le philosophe s’assimile de plus en plus au savant et non plus à l’érudit ou à l’humaniste 3 - Des personnages aux prises avec des tâches concrètes et pratiques 4 - L'adoption des langues nationales et non plus du latin 5 - La nationalisation des traditions et thématiques philosophiques 6 - Un changement de public, qui s'élargit dans la société civile 7 - De nouveaux lieux pour la philosophie : Académies contre Universités 8 - L'internationalisation de la philosophie 9 - Le rôle croissant des lettres et des publications périodiques (Journal des savants de 1665) 10 - Le renouveau des débats philosophiques contradictoires et critiques 11 - L’individuation croissante de la philosophie, autre rupture par rapport au passé III LES PRINCIPAUX THÈMES PHILOSOPHIQUES 1 - Le dépassement de l’humanisme renaissant par le développement de la science 2 - L’opposition avec le classicisme philosophique, un anti-aristotélicisme généralisé 3 - Mais paradoxalement un retour aux principes aristotéliciens du philosopher ! 4 - L’indistinction entre philosophie et science, la philosophie est la physique 5 - La rationalisation de la philosophie entraîne désormais l’opposition avec les tendances ésotériques et occultes 6 - Les principales querelles scientifiques à connotations philosophiques A - L’optique et la lumière B - Les débats sur le vide, la querelle du vide C - Le mouvement, de Galilée à Newton D - Anatomie et circulation du sang E - Mathématiques 7 - Les principaux débats philosophiques (philosophie théoriétique hypothétique) A - Les questions sur la pensée 1 - Je pense ou ça pense ? La question de l’ego 2 - Comment la pensée s’articule avec le corps ? 3 - La pensée : substance de l’âme ou substance du corps ? 4 - Les idées innées 5 - Le siège des pensées se corporalise, l'immanentisation des idées B - Les animaux-machines C - Comment fonder une connaissance sûre ? 8 - La question de la méthode, remplaçant progressivement l'importance de la logique 9 - Deux tendances philosophiques en émergeront : Empirisme versus Rationalisme 10 - Le temps de nouveaux grands systèmes philosophiques, le monde comme objet de réflexion Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 49 11 - Une nouvelle compréhension du monde : cosmicisation et mécanisation du monde 12 - Une évolution au prorata de la question de dieu et de la religion A - La question de dieu plus que de la religion B - La philosophisation de dieu, une reconceptualisation philosophique de dieu C - Dieu, élément central de tous les systèmes philosophiques de cette époque D - Mais Dieu est désormais pensé à partir du monde ! E - Les disputes théologiques invitent à deux scepticismes divergents, religieux et scientifiques 13 - La naissance de la philosophie politique moderne : l'émergence de la notion de contrat social IV LES PRINCIPAUX PHILOSOPHES DE CETTE PERIODE 1 - Francis Bacon (1561-1626) 2 - Tommaso Campanella (1568-1639) 3 - Grotius (1583-1645) 4 - Lucilio Vanini (1585-1619) 5 - Thomas Hobbes (1588-1679) 6 - Marcin Mersenne (1588-1648) 7 - La Mothe Le vayer (1588-1672) 8 - Pierre Gassendi (1592-1655) 9 - René Descartes (1596-1650) 10 - Henricus Regius (1598-1679) 11 - Gabriel Naudé (1600-1653) 12 - James Harrington (1611-1677), l’Ocean (1656) 13 - Antoine Arnauld (1612-1694), un des chefs de file du jansénisme 13 - Saint-Evremond (1616-1703) 14 - Blaise Pascal (1623-1662) 15 - Baruch Spinoza (1632-1677) 16 - Samuel Pufendorf (1632-1694) 17 - John Locke (1632-1704) 18 - Malebranche (1638-1715) 19 - Leibniz (1646-1716) 20 - Pierre Bayle (1647-1706) 21 - Jean Meslier (1664-1729) V CONCLUSION 1 - La scientifisation de la philosophie, l’inversion du principe antique 2 - La rupture désormais consommée entre autorités religieuses et philosophie-science ORA ET LABORA Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 50 Document 1 : Liste des principaux philosophes du 17ème siècle. TABLEAU SYNTHÉTIQUE DE PRÉSENTATION DES PRINCIPAUX PHILOSOPHES NOM Dates Nationalité religion d'origine religion d'appartenance langue PHILOSOPHES MORTS AU 17ÈME SIÈCLE MAIS PLUTÔT RATTACHÉS A LA RENAISSANCE - Francisco Suárez - Cesare Cremonini (1548-1617) (1550-1631) espagnol italien catholique catholique catholique latin aristotélicien padouan latin PHILOSOPHES DU 17ÈME SIÈCLE - Francis Bacon - Thommaso Campanella - Grotius - Lucilio Vanini - Thomas Hobbes - Marin Mersenne - La Mothe Le vayer - Théophile de viau - Pierre Gassendi - René Descartes - Henricus Regius - Gabriel Naudé - James Harrington - Antoine Arnauld - Henry More - Saint-Evremond - Ralph Cudworth - Blaise Pascal - Baruch Spinoza - Samuel Pufendorf - John Locke - Nicolas Malebranche - Gottfried Leibniz - Pierre Bayle - Jean Meslier (1561-1626) (1568-1639) (1583-1645) (1585-1619) (1588-1679) (1588-1648) (1588-1672) (1590-1626) (1592-1655) (1596-1650) (1598-1679) (1600-1653) (1611-1677) (1612-1694) (1614-1687) (1616-1703) (1617-1688) (1623-1662) (1632-1677) (1632-1694) (1632-1704) (1638-1715) (1646-1716) (1647-1706) (1664-1729) anglais italien hollandais italien anglais français français français français français hollandais français anglais français anglais français anglais français hollandais allemand anglais français allemand français français anglican anglican anglais catholique catholique latin luthérien luthérien latin catholique aristotélicien padouan latin anglican A. hétérodoxe anglais/latin catholique catholique latin/français catholique sceptique français catholique sceptique français catholique atomiste latin catholique catholique latin/français catholique catholique (?) latin catholique sceptique latin/français anglican (?) puritain anglais catholique janséniste français anglican Anglican anglais catholique sceptique français anglican anglisan anglais catholique janséniste français juif spinoziste latin luthérien luthérien allemand anglican anglican anglais catholique catholique français luthérien luthéranisme allemand calviniste calviniste français catholique athée français PHILOSOPHES NÉS AU 17ÈME SIÈCLE MAIS PLUTÔT RATTACHÉS AUX LUMIÈRES - Christian Thomasius - Fontenelle - Giambattista Vico - Shaftesbury - Christian Wolff - George Berkeley - Montesquieu - Hutcheson - Voltaire (1655-1728) (1657-1757) (1668-1744) (1671-1713) (1679-1754) (1685-1753) (1689-1755) (1694-1746) (1694-1778) Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 51 Document 2 : CHRONOLOGIE PHILOSOPHIQUE 1600 Giordano Bruno est condamné et brûlé pour hérésie ; liée à la métaphysique, sa conception d'un univers infini annonce la pensée moderne. 1604 Mare liberum de Grotius, traité sur la liberté des mers. 1616 L'Église met Copernic à l'Index, malgré l'intervention de Galilée et l'opinion de nombreux savants dont des religieux. 1619 Exécution de Vanini à Toulouse sur le bucher de l’inquisition à Toulouse. 1625 Du droit de la guerre et de la paix, de Grotius. 1633 Second procès de Galilée, il est condamné et doit abjurer sa théorie héliocentrique de l’univers ; elle accentue le repli de l'Église sur sa propre tradition doctrinale. 1635 Mare clausum de John Selden, traité contre la liberté des mers, opposé au Mare liberum de Grotius 1637 Discours de la méthode de Descartes, publié avec ses traités scientifiques. 1640 Publication de l’Augustinus, principal ouvrage du janséniste Cornélius Jansen, théologien hollandais La Mothe Le Vayer : Quatre dialogues... 1641 Les Méditations, de Descartes, avec ses réponses aux objections de Hobbes et Gassendi notamment. 1644 Parution en Angleterre de l'Areopagitica : pour la liberté d'imprimer sans autorisation ni censure du poète John Milton, proche du parti du Parlement. 1649 Les Passions de l'âme, dernier traité de Descartes. 1650 Mort de Descartes. 1651 Parution en Angleterre du Léviathan de Thomas Hobbes, réflexion sur “l'état de nature”, l'institution de la société et le pouvoir politique. 1656 Antoine Arnauld jugé en Sorbonne pour ses positions jansénistes. 1ère des Provinciales de Pascal, brillante défense du jansénisme contre les jésuites. Spinoza, déjà connu pour ses tendances rationalistes, est excommunié (herem) par les rabbins d'Amsterdam. 1657 Pascal commence à rédiger des notes pour les Pensées (1669). 1662 Première édition de la Logique de Port-Royal (Arnauld et Nicole), traité majeur de la pensée classique lié à la théorie du langage. Mort du philosophe et mathématicien français BIaise Pascal (1623-1662). 1663 Descartes est mis à l'index. Spinoza rédige les Principes de la philosophie de Descartes. 1669 Pensées de Pascal (1623-1662) 1670 Traité théologico-politique de Spinoza, une des premières manifestations de la critique textuelle de la Bible, qui triomphera au XIXe après avoir été rudement combattue. Publication des Pensées de Pascal. 1672 Publication du Droit de la nature et des gens de Pufendorf. 1676 Leibniz, esprit conciliant et artisan de l'unité des Églises chrétiennes, rend visite à Spinoza à la Haye, alors suspect d'athéisme. 1677 Publication posthume de l'Éthique et du Traité politique de Spinoza. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 52 1682 Isaac Newton établit les lois de la gravitation universelle Bayle : Pensées diverses sur la comète. 1683 Malebranche : Traité de morale ; Médiations chrétiennes et métaphysiques. 1686 Parution des Entretiens sur la pluralité des mondes de Fontenelle, ouvrage de vulgarisation scientifique qui annonce la philosophie des Lumières. 1687 Querelle des Anciens et des Modernes. 1689 Locke : Lettre sur la tolérance. 1690 Parution en Angleterre des deux Traités du gouvernement civil de John Locke. 1690 Publication de l’Essai sur l'entendement humain de John Locke, approche empiriste de la connaissance qui va marquer la philosophie du langage et de la pensée rationnelle. Publication des Deux traités du gouvernement civil de Locke. 1694 Première parution du Dictionnaire de l'Académie française. 1696 Bible de Mons, traduction de la Bible en français par Lemaistre de Saci. 1697 Première parution du Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, qui inspirera les grands libéraux du XIXe siècle. 1698 La Mothe Le Vayer : Cinq dialogues faits à l’imitation des anciens. Malebranche : Traité de l’amour de Dieu. 1700 Fondation à Berlin de la Société des sciences à l'initiative de Leibniz, qui en sera le premier président. 1704 Swift : Le conte du tonneau. 1710 Leibniz : La Monadologie. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 53 Document 3 : L’humanisme de la Renaissance n’a pas été oublié dans un pays comme la Hollande. Il a grandement pénétré la culture hollandaise du 17ème siècle On peut considérer qu’une partie de l’esprit de tolérance lui est redevable. À tel point qu’en 1618, à la demande de la municipalité de Rotterdam, l’architecte et sculpteur Hendrick de Keyser réalisa une des premières statues non-religieuse des Pays-Bas, celle d'Érasme à Rotterdam. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 54 Document 4 : Exemple de l’indistinction entre philosophie et science que l’on peut trouver au 17ème, la physique est encore une sous-partie de la philosophie. Mais dans la pensée de Descartes, la représentation est encore médiévale : elle commence par la métaphysique. Puis, lorsqu’il s’est acquis quelque habitude à trouver la vérité en ces questions (1), il doit commencer tout de bon à s’appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance, entre lesquels est l’explication des principaux attributs de Dieu, de l’immatérialité de nos âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, en laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment tout l’univers est composé ; puis en particulier quelle est la nature de cette terre et de tous les corps qui se trouvent le plus communément autour d’elle, comme de l’air, de l’eau, du feu, de l’aimant et des autres minéraux. En suite de quoi il est besoin aussi d’examiner en particulier la nature des plantes, celle des animaux, et surtout celle de l’homme, afin qu’on soit capable par après de trouver les autres sciences qui lui sont utiles. Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. René Descartes Principes de la Philosophie, 1647 1. Il s’agit de la morale et de la logique. En effet, le programme que l’on doit suivre pour devenir philosophe commence par l’adoption d’une morale (provisoire) et l’étude de la logique. Document 5 : Un des aspects de la philosophie du 17ème siècle est que, dans le même temps qu’émerge cette extraordinaire novation philosophique et scientifique, les milieux universitaires et médicaux restent profondément attachés à l’esprit scolastique, à l’autorité d’Aristote, de Galien ou d’Hippocrate, au nom desquels sont repoussées la plupart des découvertes récentes. Le texte suivant de Boileau exagère à peine l’attitude de l’université de Paris en 1676. Vu par la Cour la requête présentée par les régents, maîtres ès arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maître Aristote [...], contenant que depuis quelques années, une inconnue nommée la Raison aurait entrepris d'entrer par la force dans les écoles de ladite Université [...] ; qu'elle aurait changé et innové plusieurs choses en et au dedans de la nature, ayant ôté au cœur la prérogative d'être le principe des nerfs et laquelle elle aurait cédée et transportée au cerveau ; et ensuite par une procédure nulle de toute nullité, aurait attribué audit cœur la charge de recevoir le chyle, appartenant ci-devant au foie, comme aussi de faire voiturer le sang par tout le corps, avec plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et les artères ; n'ayant d'autre droit ni titre pour faire lesdites vexations que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles [...] ; plus, par un attentat et voie de fait énorme contre la Faculté de Médecine, se serait ingérée de guérir, et aurait réellement et de fait guéri quantité de fièvres intermittentes avec vin pur, poudre, écorce de quinquina et autres drogues inconnues audit Aristote et à Hippocrate, son devancier, et ce, sans saignée, purgations, ni évacuations précédentes [...] Boileau Arrêt Burlesque, 1675 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 55 Document 6 : L'étonnant paradoxe de la philosophie du 17ème : plus elle rejette l’aristotélicisme scolastique et physique, plus elle revient à l’esprit premier de la philosophie selon le même Aristote. C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l'esprit ; puis, s'avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l'Univers. Or apercevoir une difficulté et s'étonner, c'est reconnaître sa propre ignorance (c'est pourquoi même l'amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l'ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c'est qu'évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s'est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n'avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n'existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin. Aristote (384-322 av. J.-C.) La Métaphysique A, 2, 982 b 10 trad. J. Tricot Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 56 Document 7 : Le Journal des sçavans est le plus ancien périodique littéraire et scientifique d'Europe. Le premier numéro parut à Paris le 5 janvier 1665 sous forme d’un bulletin de douze pages annonçant son objectif de faire connaître «ce qui se passe de nouveau dans la République des lettres». Dans l'avertissement du premier numéro, il était précisé qu'il s'agissait de rendre compte des principaux ouvrages paraissant en Europe, de publier des notices nécrologiques sur les hommes célèbres, de faire connaître les nouvelles découvertes dans les arts et les sciences, y compris la physique et la chimie, les inventions mécaniques et mathématiques, les observations célestes et météorologiques et les découvertes anatomiques, d'examiner les décisions juridiques des tribunaux laïcs, ecclésiastiques et universitaires, et enfin de rapporter tout ce qui était susceptible d'intéresser les gens de lettres ou les «sçavans», autrement dit toutes les personnes cultivées. Parmi les dix articles publiés dans ce premier numéro, on pouvait lire un rapport sur la naissance d'un monstre à Oxford, une note sur les nouveaux télescopes de Giuseppe Campani, un commentaire sur la nouvelle édition du traité de Descartes, De l'homme, et un compte rendu des dernières parutions sur l'histoire de l'Église d'Afrique. Trois mois plus tard, le 6 mars 1665, un journal similaire mais consacré plus spécialement à la science fut lancé par Henry Oldenburg sous le titre Philosophical Transactions (The Philosophical Transactions of the Royal Society). Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 57 Document 8 : Le philosophe en méditation de Rembrandt n’est pas le symbole de la pensée du 17ème siècle, mais bien son anti-symbole. Si ce tableau symbolise une période philosophique, ce serait plutôt la période médiévale. Maître du clair-obscur, Rembrandt s’était spécialisé dans les portraits de ceux qui n’étaient à l’époque que rarement représentés par la peinture, les mendiants, les travailleurs, ceux que les peintres méprisaient volontiers. Son sujet est souvent moins dans le personnage peint que dans la manière de le faire apparaître. Dans ce tableau, Rembrandt met en scène l’image classique du philosophe, on y retrouve tous les éléments classiques de cette figure : l’âge, l’austérité du lieu de vie, le calme, le détachement par rapport aux tâches domestiques (on attise le feu pour lui !). Il ne semble pas avoir d’occupation particulière, il n’écrit pas, il médite. On a donc une image très conventionnelle du philosophe, immobile, dans l’ataraxie et la contemplation platonicienne, laissant presque deviner un dualisme entre matière et esprit, entre contemplation et action, entre clarté et obscurité. Tous ces principes sont à l’opposé de la philosophie du 17ème siècle : elle est réflexion et non pas contemplation, elle est tournée vers le monde et non vers l’intériorité, elle est production de savoirs et de connaissances, elle est tournée vers l’action et le monde matériel. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 58 Document 9 : La leçon d’anatomie du docteur Tulp de Rembrandt, datée de 1632, est très révélatrice de la dynamique intellectuelle des philosophes du 17ème siècle qui s’intéresseront à l’anatomie non plus pour louer la beauté du corps humain mais pour comprendre comment il fonctionne, comment l’âme agit-elle sur le corps, comment cette connaissance peut nous soigner, etc. Leur démarche même, de type empirique et progressiste a rompu avec les traditions médiévales et hippocratiques. De manière discrète, le tableau renvoie l’historien de la philosophie à ce qui agite alors le monde des savants et des philosophes : le mouvement. Mouvement de l'âme (Descartes alors vivant en Hollande est donc en quelque sorte bien présent dans cette leçon d'anatomie) ; mouvement des planètes (Galilée est en procès au même moment en Italie), mais aussi mouvement du corps, à une période où la dissection n'est admise encore qu'à titre exceptionnel : celle du professeur Tulp a lieu une seule fois par an, et en hiver pour une meilleure conservation des cadavres. Le tableau montre une leçon d'anatomie avec un groupe de chirurgiens auprès du docteur Nicolaes Tulp (1593-1674). C'est le premier portrait de groupe peint par Rembrandt alors âgé de 26 ans. À Amsterdam, il y avait autrefois, au Waag, un théâtre d'anatomie où a été fait ce tableau. La leçon d'anatomie eut lieu le 16 janvier 1632. La corporation des chirurgiens d'Amsterdam dont Tulp faisait partie n'autorisait par an qu'une dissection publique ; le corps qu'on utilisait devait être celui d'un criminel exécuté. En l'occurrence il s'agit d'Aris Kindt (Adriaan Adriaanszoon), âgé de 41 ans. Le jour même il avait été pendu pour vol à main armée. Ce tableau du jeune Rembrandt est un tableau commandé par la puissante guilde des chirurgiens dont Tulp est un représentant éminent. Outre Nicolaes Tulp sont représentés également les chirurgiens Jacob Blok, Hartman Hartmanszoon, Adraen Slabran, Jacob de Witt, Mathijs Kalkoen, Jacob Koolvelt et Frans van Loenen. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 59 Document 10 : Daté de 1668, l'Astronome de Vermeer (1632-1675) a, au cours de son histoire, porté des titres divers : Philosophe, Géomètre, Astrologue et ... Géographe, comme son prétendu pendant conservé à Francfort (musée Städel de Francfort). Ces deux tableaux sont à considérer comme des symboles de la philosophie dix-septièmiste. Du point de vue artistique, les portraits de scientifique étaient un sujet très prisé dans la peinture hollandaise du 17ème siècle. L'homme représenté semble être le même que dans Le Géographe, tableau très similaire et peint à la même époque (voir document suivant). Il pourrait s'agir du savant Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), ami du peintre résidant à Delft et inventeur du microscope ou bien, peut-être d’un autoportrait. La profession du personnage est symbolisée à gauche par le globe céleste de Jodocus Hondius (1563-1612), célèbre graveur et cartographe hollandais connu pour ses cartes du Nouveau monde, de l'Europe et pour avoir fait connaître les travaux de Gerardus Mercator ; et sur la table le livre intitulé Institutiones Astronomicae Geographicae ou Manuel de Metius (1571-1635), symboliquement ouvert au chapitre III, où “l’inspiration de Dieu” est recommandée pour la recherche astronomique avec la connaissance de la géométrie et l'aide d'instruments mécaniques. Enfin, le tableau accroché au mur est intitulé Actes des Apôtres, Moïse y est décrit comme ayant appris la sagesse de l'Égypte, Moïse représente là la connaissance et les sciences. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 60 Document 11 : Détail de l’Astronome, le geste lui-même symbolise l’aspiration de la philosophie du 17ème siècle à se rendre “maître et possesseur de la nature”, formulé par Descartes mais que l’on retrouve aussi chez Francis Bacon et chez bon nombre de ses contemporains. Évidemment, cette volonté doit se comprendre par rapport à l’état de notre rapport avec la nature au 17ème siècle (les maladies, le froid, les intempéries, la faim, etc.) autant que par rapport aux conceptions bibliques usuelles où Dieu accorde dans la genèse aux hommes la possession de la nature. Sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu’à présent, j’ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu’il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu’au lieu de cette philosophie spéculative, qu’on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. Descartes, Discours de la méthode (1637), 6e partie, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1966, p. 168. Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 61 Document 12 : Le géographe de Vermeer de 1669 (conservé au Städelsches Kunstinstitut à Francfort-surle-Main) peut être considéré lui aussi comme un symbole de la philosophie du 17ème siècle. Il évoque la Hollande, la société civile, le commerce maritime mondial, la science, la cartographie, l’astronomie, la méthode, un savoir concret, la réflexion sur le monde, sur l’univers, etc. Ce que j’entends par méthode, c’est un ensemble de règles certaines et faciles, par l’observation exacte desquelles on sera certain de ne prendre jamais le faux pour le vrai, et, sans dépenser inutilement les forces de son esprit, mais en accroissant son savoir par un progrès continu, de parvenir à la connaissance vraie de tout ce dont on sera capable. René Descartes Règles pour la direction de l’esprit Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 62 Document 13 : Autre symbole de cette période philosophique : la dissociation entre science et autorités religieuses, incarnée par le procès de Galilée de 1633. La dynamique intellectuelle du 17ème siècle creusa entre savants et autorités religieuses un fossé de plus en plus profond. La condamnation de Galilée, par l'Église en 1633 illustre bien les dernières tentatives menées par le pouvoir religieux pour réfuter des conclusions non plus fondées sur des hypothèses métaphysiques, mais sur une méthode expérimentale. Mais ce tableau n’est malheureusement pas d’époque, il a été peint par Joseph-Nicolas Robert-Fleury en 1847 (Musée du Louvre). Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 63 POUR APPROFONDIR CE SUJET, NOUS VOUS CONSEILLONS Livres sur ces questions - Galilée et képler, philosophie, cosmologie et la théologie à l’époque de la contre-réforme, Massimo Bucciantini, Les belles lettres, 2008 - Les lumières Radicales - La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité (1650-1750), Jonathan I. Israel, Éditions Amsterdam, 2005 - La science au temps des mousquetaires, M. Blay, Les génies de la science, N°22, février 2005 - Du monde clos à l'univers infini, Alexandre Koyré, Gallimard, Coll. «Tel», 2003 - Du vide et de la création, Michel Cassé, Odile Jacob, 2001 - Histoire de la philosophie, II, tome 1, sous la direction d'Yvon Belal, Folio Essai, 1999 - La science classique, XVI-XVIIIème siècle, Dictionnaire critique sous la direction de Michel Blay et Robert Halleux, Flammarion, 1999 Conférences sur des philosophes de cette période - Le procès de Giordano Bruno - Vanini, philosophe méconnu, méprisé, diabolisé, Matthias Klemm - Descartes et la méthode ? Mickaël Dubost - Spinoza et le bonheur, Mickaël Dubost - La théorie du pacte social chez Thomas Hobbes, Vincent Gray - Leibniz et la question du mal, Mickaël Dubost 1000-298 1000-234 1000-137 1000-138 1000-279 1000-139 Association ALDÉRAN © - cycle de cours “La philosophie du 17ème siècle” - Code 4311 - 09/01/2012 - page 64