cahiers jean vilar
cahiers jean vilar
CAHIERSJEANVILARN°1 1 1 MARS2 0 1 1
la culture est une arme*
Philippe Avron nous a quittés après un dernier
tour de piste à la fois magnifique et tragique.
Nous garderons le souvenir de ces specta-
teurs en larmes, conscients dassister à ses
adieux à la scène, à Avignon, à la vie. Dans le
jardin du Théâtre des Halles quil a tant aimé,
sous ces frondaisons où lon se souvenait
des combats dun certain saumon, il nous a
donné, lété dernier, une leçon dhumanité
et de courage, et aussi de désintéressement
et dhumilité. Son sourire ne cesse de nous
habiter, empreint dune infinie tristesse en
ces derniers instants de son séjour à nos
côtés, mais sourire toujours juvénile, malin,
pétillant, rêveur, indulgent, insolent, amical,
ravageur..., tout cela à la fois et plus encore.
Et puis il y avait la distinction de toute sa
personne, et encore celle de sa diction, rapide,
précise, nous offrant à foison des gerbes
dintelligence familière et dune si parfaite
élégance. Philippe Avron avait des élans
de mémoire comme on a des élans du cœur.
Cœur et mémoire étaient chez lui immenses...
De même que Vilar se contentait de se dire
élève de Charles Dullin, Avron na cessé de se
connaître comme élève de Jacques Lecocq,
animateur et formateur discret dune né-
ration non seulement dacteurs dexception
mais dartistes au service de la cité, leçon
dont Ariane Mnouchkine reste aujourdhui la
principale incarnation. Mais lautre leçon
essentielle de Philippe Avron, cest le plaisir
de plaire, non pas de complaire, de toucher
par le sourire et le rire parfois percé de gravité,
car il excellait dans lart de la rupture dans
le ton, disposition très rare qui appartient
aux grands interprètes.
Pour notre part, nous lavons rencontré pour
la première fois dans les années 70 sur les
routes champenoises en compagnie de son
ami Claude Evrard, autre élève de Jacques
Lecocq. Ensemble, nous allions animer
(réanimer parfois...) les villages les plus retirés
dans des salles des fêtes improbables.
Après le numéro Avron-Evrard, nous avions
un débat avec le public - nombreux en général,
car il ny avait à cette époque ni télévision
ni ordinateurs dans les foyers - auquel nous
offrions, pour terminer, la projection dun
film de ciné-club. Heureux temps où laction
culturelle nétait pas pensée comme un
échec mais une remise en cause quotidienne
de notre destin dartistes et danimateurs !
Philippe nous donnait lallure poétique chère
à Montaigne (un autre de ses maîtres),
et de son aveu même, le fameux à sauts et
à gambadesaurait pu servir de devise à
son blason.
Philippe Avron incarnait une histoire à travers
des personnages dexception (le prince
Mychkine dans LIdiotde Dostoïevski, Hamlet,
Sganarelle et Dom Juan, le juge Azdak
du Cercle de craie caucasien...) avec une
formidable sympathie : on ne pouvait pas
ne pas laimer ! Philippe Avron nous laisse
limpression davoir été notre Prospéro,
consacrant deux pensées sur trois à la mort
sur le ton dune sagesse détachée mais
inquiète : sil na pas joué ce grand rôle, il laura
du moins vécu.
De même que Tolstoï disait quil avait aimé
aimer Tchékhov, nous aurons aimé aimer
Philippe Avron. Il nous reste à être dignes
de lui, à retenir sa leçon : se tenir droit et, si
possible, souriants face aux pires moments
de notre condition. Cest peu dire quil fut un
ami impeccable.
Nous lui dédions ce numéro des Cahiers
Jean Vilar.
Jacques Téphany
et léquipe de lAssociation Jean Vilar
Salut àPhilippe Avron
Salut àPhilippe Avron
Asauts et à gambades
Association Jean Vilar
Montée Paul Puaux - 8 rue de Mons 84000 Avignon Tél. 04 90 86 59 64
contact@maisonjeanvilar.org http://maisonjeanvilar.org
La culture est une arme
qui vaut ce que valent
les mains qui la tiennent.
Jean Vilar
n°111 ISSN0294-3417
*
photo Emile Zeizig
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Jean Vilar, 1956. Photo Richard Lusby.
Couverture : conception graphique www.genevievegleize.fr
Une maison pour Jean Vilar par Jacques Téphany 2
Vilar, cousin, vous avez dit Vilar ? par Jacques Lassalle 8
Le Fonds Jean Vilar : un trésor
Les maquettes de costumes 12
Les costumes 26
Les affi ches 30
Naissance du Fonds Jean Vilar par Armand Delcampe 32
Promenade sentimentale dans le Fonds Jean Vilar par Rodolphe Fouano 35
Deux inventaires pour le Fonds Jean Vilar par Marie-Claude Billard 62
L’héritage Vilar
Vilartiste par Jean-Pierre Vincent 66
Besoin de Vilar ? par Denis Guénoun 69
L’utopie Vilarienne, enquête de Rodolphe Fouano : 74
témoignages de Coline Serreau, Jean-Marie Hordé, Nicolas Roméas,
Guy-Pierre Couleau, Robert Cantarella, Christophe Barbier,
Frédéric Franck, Manuel Valls, Anne Hidalgo, Stuart Seide,
Alain Timar, Gérard Gelas, Jack Ralite, Martine Aubry, Daniel Bougnoux,
Bernard Faivre d’Arcier, Gérard Bonal, Stanislas Nordey,
François Hollande, Vincent Josse, Robert Abirached, Christian Gonon,
Renaud Donnedieu de Vabres, Laurent Fleury.
Les Très riches heures de la Maison Jean Vilar
Les expositions 96
Evénements, lectures et rencontres publiques 100
Activités pédagogiques 110
Les Cahiers de la Maison Jean Vilar 112
Les publications de l’Association Jean Vilar 117
Archives audiovisuelles 121
La vidéothèque, nouvelle mémoire du spectacle vivant 122
La bibliothèque des arts du spectacle (BnF) par Lenka Bokova 123
Quiz par Rodolphe Fouano 125
Soutenez la Maison Jean Vilar ! 128
Sommaire
LES CAHIERS JEAN VILAR – N° 111
LES CAHIERS JEAN VILAR – N° 111 2
Une Maison pour Jean Vilar
par Jacques Téphany
Le passé n’est que le lieu des formes sans forces ;
c’est à nous de le fournir de vie et de nécessité,
et de lui supposer nos passions et nos valeurs.
Paul Valéry
Introduction au livre de Gustave Cohen
Essai d’explication du Cimetière marin, Gallimard (1946)
L’intrigue est à la fois complexe et simplette […]
C’est de la grande fresque, du populisme lyrique,
du communisme avec une âme, coquin donc, vivant.
Céline
Voyage au bout de la nuit (préface)
La Maison Jean Vilar est un roman singulier dont on ne voit
pas beaucoup d’équivalent dans le monde des « centres
ressources ». Il s’agit d’une émotion autant que d’une idée,
et tout la question est : poursuivre l’effort sensible de ce
foyer de rencontres, avoir la sensibilité du fonds Jean Vilar,
sachant que nul ne peut se prévaloir d’incarner la pensée
de Jean Vilar. Tant pis si on nous fait reproche de cette
affi rmation : cette sensibilité, nous croyons l’avoir et nous
sentons qu’elle n’est pas donnée à tout le monde. Nous
n’ignorons pas non plus qu’elle s’affaiblira, inéluctablement
vaincue par la force des choses et du temps : un jour, le fonds
Jean Vilar, forme et pensée, échappera à ses légitimités
originelles pour se dissoudre dans l’immensité patrimoniale.
Mais ce jour n’est pas encore arrivé.
Qu’est-ce que le fonds Jean Vilar ? D’abord un vaste
ensemble de près de deux mille maquettes de costumes
dessinées par les peintres-décorateurs de Vilar (Gischia,
Pignon, Prassinos, Singier, Lagrange…), accompagnées
de leurs réalisations originales telles que les spectateurs
d’Avignon et du TNP ont pu les admirer, entre 1947 et 1963,
sur les épaules des Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Maria
Casarès, Daniel Sorano, Philippe Noiret, Georges Wilson,
Charles Denner…
Ensuite, un fonds très important de manuscrits autographes
car Vilar écrivait beaucoup, et même énormément : on sait
que la première intention du jeune homme « monté » de
Sète à Paris était d’être écrivain. Vocation ratée à demi
car on lit souvent sous sa plume des éclats dignes d’un
véritable écrivain qui n’aurait pas su, sinon maladroitement
dans sa Chronique romanesque nale, franchir le pas de la
construction littéraire.
À côté de ce trésor fondateur, se trouvent des fonds confi és
par les ayants-droit de certains compagnons de route, et
tout particulièrement le legs de Jean Rouvet, l’administrateur
exceptionnel qui a largement contribué à bâtir l’entreprise
TNP comme l’explicitent Armand Delcampe (page 34)
et Laurent Fleury (page 95). Si le fonds Jean Vilar offre
aujourd’hui de telles richesses, c’est grâce à la vigilance de
ce collaborateur passionné qui a su, dès l’origine d’Avignon
et de Chaillot, organiser l’archive d’une aventure en marche.
On lira également plus loin, sous la plume de Marie-Claude
Billard, conservateur de la Bibliothèque nationale de France
à la Maison Jean Vilar, les grandes lignes de l’inventaire
qu’elle vient d’achever avant de prendre sa retraite.
Propriétaire de cet ensemble essentiel pour l’histoire de
notre théâtre, l’Association Jean Vilar n’a pas seulement
pour vocation sa conservation, dont la responsabilité
scientifi que est déléguée à la Bibliothèque nationale de
France. Si elle se contentait de ce destin, elle ne serait que
ce « lieu de formes sans forces » défi ni par Paul Valéry. Nous
l’écrivions en commençant : cette Maison s’est bâtie autour
d’une émotion, celle de Paul Puaux pour son maître et ami
Jean Vilar.
Il est diffi cile, pour ceux qui n’ont pas connu ce moment,
d’imaginer le silence qui s’est abattu, en mai 1971, sur la cité
des papes. De concevoir l’intensité de l’émotion partagée
lorsque Maïa Plissetskaïa a dansé La Mort du Cygne « en
mémoire de Jean Vilar » dans la cour d’honneur, l’été suivant,
admirable performance suivie d’un long
Dominique Paturel et Philippe Avron
dans L'Alcade de Zalaméa de Calderon,
régie de Jean Vilar, 1961. Photo Mario Atzinger.
V
Un ensemble essentiel
pour l’histoire du théâtre
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