Jean Vilar De la tradition théâtrale : sa vie, son œuvre Compte-rendu de l’émission du 14 Juin sur France Culture (prise de notes par Gaëlle Cabau) Jean Vilar, qui aurait eu cent ans cette année, fut l’homme d’un idéal : celui d’un théâtre mis à la portée de tous et aussi indispensable à la société que « l’eau, le gaz et l’électricité » ; celui d’un spectacle « populaire » qui soit, dans l’exigence artistique, un moment de ferveur et de réflexion collective. Porté par cette aspiration, Vilar a transformé durablement le paysage théâtral français, tant au Festival d’Avignon, qu’il créa en 1947 et dirigea jusqu’à sa mort, qu’au Théatre National Populaire de Chaillot où il modifia profondément les tarifs et les conditions d’accueil du public, tout en proposant les grands classiques dans des mises en scène dépouillées. Au TNP comme à Avignon, il sut réunir autour de lui, malgré des moyens souvent modestes, les meilleurs acteurs de son temps qui le suivaient dans son aventure. Avec la participation de l’écrivain René de Obaldia, des metteurs en scène et directeurs de théâtre Lucien Attoun, et Olivier Py, des comédiens Michel Bouquet et Christiane Minazzoli, et de Jacques Tephany, directeur de la maison Jean Vilar et de la publication des Cahiers Jean Vilar. Acteur, metteur en scène mais aussi inventeur : qu’en est-il réellement ? Sa vie a d’abord été une aventure artistique. Accepter les incidents dans la mise en scène. Entêtement silencieux qui est une force inépuisable. Créateur et directeur du festival d’Avignon, patron du théâtre de Chaillot où il inventa le Théâtre Populaire. - Rêve insensé de réunir tous les publics autour de mises en scène exigeantes des œuvres du répertoire. - Ramener le théâtre au cœur de la cité. - Service public - Extrême attention au temps présent Sentiment de difficulté à reconstituer sa personnalité - Pas vocation - Mais rencontre avec Charles Dullin en 32-33 : devient un maître, assez peu théoricien, vie à contre-courant, a su concilier avec presque rien, a réussi à faire à la fois un divertissement et une leçon - Eternel étudiant à la Tchekhov - Idée qu’il faut faire quelque chose de sa vie - « J’ai compris que c’était mon métier » : de l’ordre du coup de foudre. Pense que c’est une voie pour réaliser son destin 1 - Nécessité intellectuelle Au départ c’est d’abord un auteur - On le pousse à jouer et le goût de jouer lui prend - Mais d’abord il est auteur - A la fin de sa vie, reprend ses pièces en espérant les monter - Publier : fierté d’appartenir à une élite, mais en même temps n’aime cette classe. Ne veut pas trahir ses origines, petite boutique dans laquelle il a appris à tenir un budget. Brechtien car ne trahit pas ses origines. Défis - « Artistique ou culturelle une entreprise qui ne s’aventure pas est une entreprise inutile ». - « La culture est une arme qui vaut ce que valent les mains qui la tiennent. » - « Il faut avoir une morale sociale utopique » - « Cette société est triste et sans esprit car on ne lui donne qu’à penser fric » Question de son positionnement politique - Vilar n’a jamais oublié d’où il vient : milieu modeste. - Profondément un homme de gauche car veut s’adresser au plus grand nombre : pas comme Coupeau Lettres à son épouse « Ce travail exige une attention extraordinaire » - « L’homme mûr seul peut arriver à un bon résultat » - « Ne pas faire et présenter à autrui ce que je ne juge pas excellent » - Goethe : « Il n’y a que l’exceptionnel qui ait quelque intérêt en ce monde » - « Il me faudra refuser des offres et des tentations parce que ma conscience d’artiste l’exige » 1943 - crée sa propre Compagnie La danse des morts, de Strindberg Meurtre dans la cathédrale : joué 150 fois à Paris René Char invite Vilar à Avignon. Révolution car on va présenter des œuvres contemporaines + ce spectacle. Vilar refuse et propose une autre idée : celle du festival d’Avignon. Ne veut pas réinterpréter un succès parisien mais vient avec trois créations. Festival d’Avignon - Théâtre dans la ville : la ville a beaucoup souffert de la guerre et le maire cherche à reconstruire la ville en passant par la culture. - Les comédiens ont joué le jeu en étant peu payés - Michel Bouquet fait partie de cette première aventure. - 1er festival monté avec très peu d’argent - Monte Richard II, de Shakespeare, dans la cour du Palais des papes : volonté de faire rassembler les gens sur des bancs + théâtre en plein air + climat de Kermesse (Cf Claudel dans la préface du Soulier de Satin) - Au départ, Vilar n’aime pas le goût du peuple pour le théâtre, en disant que c’est un art de sélection, presque hermétique. Il a été frappé par Avignon qui lui a apporté un démenti : a vu tous ces gens se recueillir et applaudir aux mêmes endroits. Jean Vilar se voit proposer la direction du théâtre de Chaillot - Immense théâtre : 3000 places 2 - - Lui rend son nom de Théâtre National Populaire : rencontre avec un public qu’il a su susciter Nommé par Jeanne Laurent Au départ doit donner un opéra par an mais n’a pas l’argent pour cela. Vilar va passer son temps à travailler dans des conditions frugales : d’où un plateau nu, des costumes simples. Crée ainsi un style. S’entoure de peintres, travaille avec un éclairagiste : dessine une esthétique. Il se passe quelque chose. Esthétique de Vilar - Esthétique militante de Vilar : donner à entendre le texte grâce au corps - La voix est une chose très importante : cf Jeanne Moreau - Le corps se découpe dans l’espace - Esthétique dépouillée : l’essentiel est que le message passe - Grand plateau donc difficulté de mettre les décors à dimension car auraient écrasé les comédiens. Donc jeu dans des rideaux noirs. - Costumes très colorés - Espace suggéré par un éclairage (Souvent par tâches de lumière + la rampe est supprimée pour le contact se fasse mieux avec les comédiens) + un ou deux accessoires + costume - Esthétique épurée - La musique habillait beaucoup la pièce Avec les comédiens - Interdit de parler politique dans l’enceinte du théâtre - Exigeait rigueur aux répétitions - Contraintes en tournée avec réceptions pour les ambassades - Ne préparait pas la mise en scène par écrit. Faisait sa mise en scène par rapport aux comédiens. Travaillait avec les comédiens comme un peintre travaille avec sa palette. - Il laissait l’acteur très libre - Donnait une chronologie du rythme qui éclairait la pièce - Regard de tendresse qu’il avait pour ses acteurs : gentillesse, loyauté… fait la poésie de sa compagnie - Demandait beaucoup de concentration et un apport selon cet apport, il découvrait la pièce avec ses comédiens. - Il conduisait ses comédiens, avec nouvel éclairage, découvrait le ton, la respiration de l’œuvre : gros travail sur le rythme… avec toujours une tension dans le rythme. Le rapport au public - Le public devait recevoir la pièce dans sa plus grande simplicité, sa plus grande pureté : le public était son point d’appui. Tout devait parvenir au public le plus clairement du monde. - « Le monstre sacré ce n’est pas la vedette, c’est celui qui qui est de l’autre côté de la rampe. Qui vient ? Pourquoi ? » - Vous ne devez pas effrayer ceux qui viennent au théâtre pour la première fois. - « Il faut éclairer une œuvre, surtout en choisissant des œuvres riches et parfois obscures. » - Se rend compte de sa qualité d’explicateur, d’homme du public qui doit venir nombreux communier dans cette réflexion partagée. - Ce n’est pas la classe ouvrière qui est invitée mais la classe populaire. - Aller les chercher par les réseaux d’association, le milieu lycéen étudiant… 3 - Vestiaire gratuit, pas de pourboire, avancée des horaires pour pouvoir se coucher tôt… vente également des textes (1million). Invente un théâtre qui rompt avec le théâtre bourgeois - Invente une sphère de liberté - Avant Vilar, théâtre uniquement parisien, avec répertoire qui est assez étriqué Vilar - et les autres Barrault : le cérémonial n’est pas le même Vilar ramène le théâtre dans la cité : partage autour de l’idée de culture Vilar impose une rupture « Le TNP est un service public tout comme l’eau, le gaz et l’électricité » « Théâtre populaire signifie apprendre, et apprendre, libérer l’homme.» Humaniste A voulu se battre pour une certaine idée de la société. On lui a fait le procès d’un théâtre trop politique quand il programme Brecht. Programmait en fonction de la situation politique générale du pays : La guerre de Troie n’aura pas lieu. - L’œuvre devenait nécessaire aux gens qui la voyaient. Attendait le moment idéal pour monter les pièces. - Paradoxe : a cherché toute sa vie les auteurs contemporains, qui lui ont échappé. Refuse Beckett et Giraudoux. Son drame a été de rechercher un auteur qu’il n’a pas trouvé. Donc n’a pas pu voir les auteurs de sa génération, à la différence de Barrault qui a monté Duras… - Pourquoi si peu de théâtre contemporain ? • Il fallait que les textes modernes passent le cap des 3000 places • Il ne fallait pas déconcerter le public • A ouvert le Théâtre Récamier où il a créé beaucoup de pièces modernes, sorte de TNP pour des jeunes auteurs : Boris Vian, Obaldia… Le festival d’Avignon : comment a-t-il su porter ce festival vers ce qu’il est ? - Comprend que ça ne peut pas être seulement la cour d’honneur - Ouvre le Festival aux autres arts : la danse, le cinéma, la musique - Répertoire qui nourrit Chaillot - Un grand patron car délègue : Lucien Attoun pour le théâtre contemporain Quitte le TNP - Car n’est pas soutenu par Malraux - Pense avoir fait le tour - Tout allait bien, alors ça lui a fait peur, la peu de se répéter - Charge qui lui pesait car aimait la rêverie - Abandonne la mise en scène et la comédie. Il interprètera des rôles mais de façon occasionnelle. Ne s’intéresse plus qu’à la scène et se consacre entièrement à son rôle de directeur du Festival d’Avignon • Inaugure des rencontres avec des politiques • On s’interroge sur les nécessités • Vision périphérique des questionnements sociétaux : le festival devient un dialogue avec la société Le Théâtre populaire 4 - Pas une élite du moins pas financière Si les salles sont pleines, c’est avec les citoyens Il ne faut pas confondre le théâtre populaire et le théâtre prolétaire : idée d’un théâtre qui va transcender les clivages sociaux, objet profondément républicain. 5