Introduction
LA COMMUNICATION POLITIQUE
Cartographie d'un champ de recherche
et d'activités
La communication politique, comme domaine d'activités et champ de recherche, peut cer-
tainement faire l'objet de multiples découpages conceptuels afin d'en saisir les dimensions essen-
tielles. Une première façon commode d'en comprendre la cartographie théorique et empirique
consiste à y voir deux axes bipolaires : un premier axe horizontal qui va de l'action à la réception,
et un second axe, vertical, allant des arènes aux territoires. Une telle façon de voir et concevoir
notre champ de recherche permet non seulement de situer sommairement les contributions respec-
tives des collaborateurs de cet ouvrage, mais aussi d'élucider quelques voies possibles devant
mener, sinon vers une théorie de la communication politique, du moins vers une métathéorisation
de certains objets, modèles et schémas d'explication propres à la communication politique.
Figure 1
Quatre pôles de la communication politique
Arènes
Action Réception
Territoires
HERMÈS
17-18,
1995 17
André Gosselin
La communication politique se déploie d'abord sur ce que l'on peut nommer des territoires
(géographiques ou sectoriels), comme lorsqu'il est question de communication politique à
l'échelle locale, régionale, nationale ou internationale, ou encore lorsqu'il est question de la com-
munication politique des Etats, partis, groupes de pression, syndicats, mouvements sociaux et
entreprises. Les territoires de la communication politique sont alors relatifs aux facteurs organi-
sationnels, structurels, contextuels et événementiels qui définissent les frontières des contraintes
et des opportunités des acteurs de la communication politique, notamment au niveau de l'agir
téléologique. Si la plupart des contributions à cet ouvrage concernent la communication poli-
tique qui se manifeste à l'échelle d'un Etat national, certaines ont le mérite d'aborder les éche-
lons trop rarement analysés, tels le texte de F. Demers pour l'international et celui de
J.-F.
Têtu
pour le local. Les territoires de la communication politique peuvent aussi se concevoir sur un
mode plus sectoriel que spatial, comme lorsqu'il
s'agit
de la communication gouvernementale
(texte de A. Lavigne), de la communication totalitaire (texte de M. David-Biais), de la com-
munication présidentielle (texte de J. Mouchon) ou de la communication politique des entre-
prises (texte de M. Beauchamp).
Les arènes de la communication politique sont constituées par l'ensemble des dispositifs,
des formules, des cadres, des règles et des stratégies qui définissent les situations d'interaction où
les discours des acteurs politiques peuvent se confronter, se diffuser publiquement et s'évaluer.
C'est le domaine des activités politiques qui tendent vers l'agir communicationnel. Les débats
télévisés (textes de G. Gauthier et À.-J. Bélanger), les cours de justice et les procès politico-
médiatiques (texte de G. Leblanc), les émissions politiques à la télévision (textes de E. Neveu et
J. Mouchon), la presse d'opinion, la presse commerciale de masse, les médias audiovisuels de
masse et les relations publiques généralisées (texte de B. Miège), les conférences de presse (texte
de A.-J. Bélanger), les cérémonies politiques télévisées (texte de D. Dayan et E. Katz), voilà
autant d'arènes où la communication politique peut trouver son expression.
Bien que l'arrivée de la télévision ait sérieusement modifié les règles, la communication poli-
tique, comme le dit A.-J. Bélanger, a besoin d'évoluer dans des arènes, c'est-à-dire dans des lieux
sociaux où le jeu de la théâtralité (de l'agir dramaturgique dirions-nous) peut s'exprimer dans la
confrontation. Ces arènes s'imposent parfois de manière telle aux gouvernants qu'elles sont
devenues des institutions. Aux Etats-Unis par exemple, le président qui voudrait se soustraire au
jeu des conférences de presse ne saurait le faire sans grand risque. Même chose pour les débats
électoraux télévisés entre chefs des principales formations politiques qui deviennent, de plus en
plus,
un exercice obligatoire. Le texte de G. Gauthier montre que la seule analyse des messages
des débats télévisés se caractérise par une diversité d'approches (analyses linguistique, théma-
tique, de contenu, rhétorique, stratégique et argumentative) qui illustre la position privilégiée
qu'occupe cette arène dans la recherche actuelle. Il cherche plus particulièrement à mieux distin-
guer l'analyse rhétorique (étude des procédés discursifs qui donne éloquence au discours) de
l'analyse argumentative (étude des procédés énonciatifs et de la nature propositionnelle du
contenu des débats) et pose l'hypothèse que l'analyse argumentative constitue le point pivot d'un
double réseau qui unifie les différents types d'analyse du contenu des débats politiques télévisés.
18
La communication politique. Introduction
La communication politique peut même se déployer au sein d'arènes qui n'ont pas néces-
sairement pour finalité de diffuser les discours contradictoires des acteurs politiques. À regarder
l'arène judiciaire, le fait le plus marquant de la période actuelle, selon G. Leblanc, réside dans
l'augmentation du nombre d'affaires, surtout de corruption, où des hommes politiques sont
impliqués. Sans doute alors qu'on juge de plus en plus la politique sur ce que nous communique,
à son sujet et à l'aide des médias, la justice. Dans ce contexte, la télévision tend à devenir un par-
tenaire, sans collusion, de la justice et de la police
:
elle n'adopte plus alors la position de la
défense, ni celle de l'accusation, mais préfère se constituer en instance judiciaire qui intègre tous
les moments du procès, ce qui lui fournit des possibilités de scénarisation multiples, comme si les
médias avaient besoin du modèle judiciaire pour renforcer leur conception de l'information fon-
e sur l'infraction ou la rupture dans le cours normal des choses.
Les acteurs qui organisent leurs actions de communication politique pour un territoire
donné ou dans un champ d'activités donné peuvent évidemment rencontrer, dans une même
arène, des acteurs actifs et compétents sur d'autres territoires, comme il est possible que les
acteurs appartenant à un même territoire (autant sectoriel que spatial) s'ouvrent à plusieurs
formes d'arènes afin de débattre publiquement de leurs actions et décisions. En somme, un terri-
toire particulier de communication politique peut s'exprimer ou comporter plusieurs arènes
(depuis la simple conférence de presse jusqu'au débat parlementaire, en passant par les États
généraux, les colloques, les congrès des partis, les commissions d'enquête, les émissions poli-
tiques ou d'affaires publiques, les débats et toutes les formes médiatisées de rencontres et de
confrontations), tout comme une arène particulière (un journal, une émission télévisée, une cour
de justice, etc.) peut servir à confronter et publiciser la logique de communication politique
d'acteurs provenant de territoires distincts (ministres, maires, entrepreneurs, militants, etc.).
Les agirs de la communication politique
L'axe action/réception a été modélisé de multiples façons dans les sciences de la com-
munication. Curieusement, la typologie de l'action sociale de Max Weber n'a pas tellement ins-
piré les chercheurs de la communication, bien qu'elle offre un point de départ à une typologie
plus exhaustive qui mérite d'être exploitée pour mettre en relief quelques aspects fondamentaux
de la communication politique, dont ceux des territoires et des arènes. Une elucidation méta-
théorique de quelques concepts fondamentaux de la théorie de l'action nous permettra de mieux
faire ressortir les problèmes et objets auxquels les auteurs de cet ouvrage s'attaquent.
On peut donc se représenter la communication politique comme un champ où se défi-
nissent, se croisent et se mettent en œuvre six formes d'agir. Un agir téléologique d'abord, car la
communication politique procède par intention, calcul, stratégie et anticipation, notamment du
côté des acteurs publics de la politique. Un agir axiologique ensuite, puisque certains agents
19
André Gosselin
s'estiment guidés par des valeurs, des normes ou une quelconque éthique de conviction, ou
encore parce que la communication politique consiste parfois à vouloir faire naître de nouvelles
valeurs et règles dans le jeu de la confrontation des idées ou des idéologies par le biais des
médias. Plus rarement étudié, l'agir de type affectuel n'est tout de même pas en reste, notam-
ment du côté de la réception (manipulation des foules par la propagande ou par une mise en
scène de la politique insistant sur la personnalité, le « côté humain » et le « style » des hommes
politiques). Un type d'agir qui est de plus en plus présent (publicise) chez ceux qui débattent de
la politique, comme en témoigne par exemple le commentaire journalistique ou le jeu de la
caméra afin de mettre en relief et de saisir les rares « instants de vérité » où le comportement de
l'homme politique est à son naturel, c'est-à-dire lorsqu'il dévoile un peu de sa personne, de ses
attitudes profondes et de ses sentiments véritables.
Quatrième forme d'agir
:
l'agir par habitus, qu'on nommera ainsi plutôt que de parler,
comme Weber, de l'action de type traditionnel, pour bien souligner que du bord de la réception
comme de celui de l'action politique, des conduites non nécessairement irrationnelles s'installent
sans que l'acteur puisse fournir (ou sente le besoin de fournir) un effort réflexif permanent sur le
déroulement, le sens et les conséquences de son action. Avec les agirs de type dramaturgique et
de type communicationnel, nous sortons de la typologie classique de Weber pour entrer dans la
série de travaux inaugurée par Goffman (agir dramaturgique) et par Mead, Garfinkel et, plus
tard, Habermas (agir communicationnel). Le concept de l'agir dramaturgique peut être d'autant
plus intéressant en communication politique qu'il décrit l'action de ceux qui cherchent à se
mettre en scène et à faire naître auprès de leurs vis-à-vis une image qu'ils espèrent contrôler de
leur mieux, en sachant très bien que le public, lui, désire un accès plus direct à leurs intentions,
leurs pensées et leurs sentiments véritables. Enfin, le concept de l'agir communicationnel permet
de nous rendre intelligible la conduite de celui qui, dans une situation d'interaction et, surtout,
d'interdépendance, cherche à coordonner consensuellement ses plans d'action avec ceux des
autres, en visant une sorte d'intercompréhension afin de négocier avantageusement pour tous
des définitions communes des situations qu'ils partagent.
Un premier espace d'attributs, parmi d'autres possibles, nous permet de caractériser som-
mairement les divers types d'agir du champ de la communication politique (et sans doute de plu-
sieurs autres champs sociaux) et de les comparer les uns aux autres (voir figure 2). Ces attributs
sont relatifs aux catégories
a
priori suivantes qui, dans leur progression des plus simples aux plus
complexes, marquent la progression (ou la complexification) des types d'agir eux-mêmes : il
s'agit
donc des notions de moyen, fin, valeur, conséquence, autoprésentation et intersubjectivité.
La conception classique de ces notions, à savoir celle de Weber, est incontournable, mais il vaut
la peine de la compléter par la conception plus moderne de la théorie de l'action mise de l'avant,
entre autres, par Habermas. Notre tableau présente les différentes formes d'agir comme autant
de types qui s'emboîtent les uns dans les autres ou qui progressent en intégrant de plus en plus
d'attributs1.
20
La communication politique. Introduction
Figure
2
Attributs des différents types d'agir
dans la communication politique
Les types
d'agir
agir
communicationnel
agir
dramaturgique
agir
téléologique
agir
axiologique
agir
par habitus
agir
affectuel
moyen
+
+
+
+
+
+
fin
+
+
+
+
+
-
valeur
+
+
+
+
-
-
conséquence
+
+
+
-
-
-
autoprésentation
+
+
-
-
-
-
intercompréhension
+
-
-
-
-
-
L'agir affectuel pur, le plus primaire de tous les agirs, n'est rien d'autre ici qu'une conduite
qui mobilise des moyens sans visée réfléchie, une réaction spontanée à une situation où l'agent
agit sur le coup sans penser aux conséquences de son geste et aux valeurs auxquelles il adhère
habituellement. Bien qu'il y ait là une conduite qui intéresse davantage la psychologie expéri-
mentale ou la psychanalyse que la sociologie politique, nombreux sont les politologues qui sou-
tiennent que la médiatisation de la politique a contribué à mettre davantage en évidence les
mobiles affectifs, des gouvernants comme des gouvernés, sous-jacents au processus politique.
Par contre, A.-J. Bélanger rappelle à juste titre dans son texte comment aux Etats-Unis toute une
école de recherche en communication politique
s'est
appliquée à vanter la qualité médiatrice des
groupes primaires et associatifs en tant que nécessaire à la stabilité émotive de l'individu, et par
conséquent de la société elle-même, face aux manœuvres de propagande et de persuasion de
masse. Il rappelle également que les premières recherches sur l'opinion publique et la persuasion
portaient notamment sur l'affectivité du récepteur, sur ses attitudes et émotions de longue durée,
alors que les recherches plus récentes s'interrogent sur les capacités cognitives de l'individu à
traiter l'information plus ou moins dispersée et décontextualisée que lui fournissent les acteurs et
médiateurs de la politique.
L'agir par habitus franchit un niveau supérieur, puisqu'il
s'agit
d'une conduite où l'acteur a
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