MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE Cours 12 Économie générale Les conceptions du rôle de l’État Olivier Vandenkoornhuyse Professeur certifiée en sciences économiques et sociales 6-B421-TE-WB-00-12 *6023879* *6023879* Directeur de publication : Serge Bergamelli Septembre 2012 Ces cours sont strictement réservés à l’usage privé de leurs destinataires et ne sont pas destinés à une utilisation collective. Les personnes qui s’en serviraient à d’autres usages, qui en feraient une reproduction intégrale ou partielle, une traduction, sans le consentement du Centre n ­ ational d’enseignement à distance, s’exposeraient aux poursuites judiciaires et aux sanctions pénales prévues par la loi 92‑597 du 1er juillet 1992 relative au code de la propriété intellectuelle plus précisément en ce qui concerne les articles L 122-5 et L 335-2 et suivants. Sommaire Les conceptions du rôle de l’État Test de sensibilisation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Chapitre 1 77 Chapitre 6 19 La conception du rôle de l’État dans la pensée marxiste L’État : le pouvoir institutionnalisé Chapitre 7 Chapitre 2 8 Les contours de l’État : le secteur public 1. Les administrations publiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 2. Le secteur marchand. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Chapitre 3 1. 2. 3. 4. L’école de Lausanne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 L’école autrichienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20 L’école de Cambridge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Les justifications libérales de l’intervention de l’état. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Chapitre 8 1. L’émergence da la pensée économique . . . . . . . . . . . 11 2. Le courant espagnol. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 3. Le courant français. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 4. Le courant anglais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 13 La conception du rôle de l’État dans la pensée physiocrate Chapitre 5 La conception du rôle de l’État dans le courant néo-classique 11 La conception du rôle de l’État dans la pensée mercantiliste Chapitre 4 20 14 La conception du rôle de l’État dans l’école classique 1. Le rôle de l’État selon Adam Smith . . . . . . . . . . . . . . . 14 2. Le rôle de l’État selon Jean-Baptiste Say. . . . . . . . . . 15 3. Le rôle de l’État selon Thomas Robert Malthus . . . . . 16 4. Le rôle de l’État selon David Ricardo. . . . . . . . . . . . . . 17 5. Le rôle de l’État selon John Suart Mill. . . . . . . . . . . . . 18 01525 La conception keynésienne du rôle de l’État 1. La révolution keynésienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 2.L’État-Providence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 3. L’évolution des fonctions de l’État. . . . . . . . . . . . . . . . 26 Chapitre 9 27 La conception néolibérale du rôle de l’État 1. Le courant ultralibéral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 2. Le courant monétariste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 3. L’économie de l’offre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 Chapitre 10 29 Le renouvellement des théories 1. Du « moins d’État » au « mieux d’État » . . . . . . . . . . . 29 2. L’école du public choice. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 3. L’économie de l’information. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Exercices autocorrectifs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 3 B421-TE-12-12 Test de sensibilisation Affirmation Je sais Je crois savoir Je ne sais pas Vrai Faux 1.La SNCF est une administration publique 2. L es économistes libéraux prônent l’intervention de l’État 3.S elon les économistes classiques, le marché s’auto-régule 4. L’État-gendarme correspond à la conception marxis­te de l’État 5.Un immeuble locatif est un bien collectif 6.Keynes est favorable à la régulation du marché par l’État 7.Un monopole naturel résulte de la rareté des gise­ments de matières premières 8.L’État-Providence est entré en crise durant les an­nées 1970 9.Depuis les années 1980, la tendance est au désen­gagement économique de l’État 10.Les externalités sont les appels à la sous-traitance Correction Les bonnes réponses sont : 3. 7. 9. 10. Les réponses fausses sont : 1. (indicateur quantitatif, indicateur qualitatif), 2. (par l’IDH), 4. (Fonds monétaire international), 5. 6. (indicateur composite), 8. (réforme foncière). Si vous avez obtenu moins de 7 bonnes réponses, cela peut signifier que vous ne maîtrisez pas suffisamment ce thème, en conséquence nous vous conseillons d’accepter d’y consacrer un minimum d’investissement. 4 B421-TE-12-12 Introduction Les rôles de l’État, dans le cadre économique, ont fortement évolué. En effet, d’une conception minimale (État gendarme), la réflexion a invité durant le XXe siècle à un interventionnisme plus important de l’État. Cette logique s’inscrivait dans le cadre d’une logique de l’État Providence. À partir des années 1980, et devant certains échecs des politiques économiques menées par les États des pays développés à économie de marché, une remise en cause de l’État s’est développée. Avant de présenter dans une approche historique l’évolution des conceptions du rôle de l’État, il est nécessaire de s’interroger sur les fondements mêmes et les contours de cette institution. 5 B421-TE-12-12 Les notions Séquence du chapitre Principaux mots‑clefs Fondements et contours de l’État État, État-Nation, secteur public, service public, administrations publiques centrales, locales La pensée pré-classique Mercantilisme, protectionnisme, physiocratie La pensée classique Autorégulation, main invisible, État-gendarme, fonctions régaliennes, loi des débouchés, libre-échange La pensée marxiste Superstructure, infrastructure, plus-value, socialisme, communisme, planification La pensée néo-classique Concurrence pure et parfaite, équilibre général, nationalisation, optimum, efficience, défaillances du marché, monopole naturel, ren­dements croissants, biens collectifs, externalités, coût social La pensée keynésienne Plein-emploi, demande effective, État-Providence, Welfare state, protection sociale, redistribution, allocation, stabilisation, dépenses traditionnelles, dépenses nouvelles La pensée néo-libérale Justice sociale, déréglementation, rigidité, privatisation, monétarisme, économie de l’offre Renouvellement des théories Incitations, information asymétrique Les problématiques associées •• Quelles questions peut-on donc se poser sur le rôle joué par l’État aujourd’hui ? •• Quelles questions peut-on donc se poser sur le rôle joué par l’État aujourd’hui ? •• Quelles fonctions l’État moderne doit-il assurer aujourd’hui ? •• Quelles sont les marges de manœuvre de l’État aujourd’hui ? •• Dans quelles mesures l’État peut-il réguler les activités économiques ? •• Quels sont les fondements théoriques sur lesquels reposent les actions économiques de l’État ? Quelles sont aujourd’hui les « frontières » de l’État ? •• Les logiques de marché et interventionnistes sont-elles réellement incompatibles ? •• Comment aménager les structures de l’État aujourd’hui afin de rendre son action plus efficace ? •• Plus d’État ou moins d’État ? •• Un retrait étatique des activités économiques permet-il toujours de renouer avec la croissance ? Plus d’État ou mieux d’État ? 6 B421-TE-12-12 Chapitre 1 L’État : le pouvoir institutionnalisé D’un point de vue géographique, l’État est avant tout un territoire. L’État, c’est toutefois également un peu­ple, qui s’établit à l’intérieur de ses frontières. En ce sens, l’État est à rapprocher de la Nation. Néanmoins, l’État et la Nation ne coïncident pas mécaniquement. Il est des nations écartelées entre plusieurs États (nation Kurde), et des États qui englobent plusieurs nations (Irak par exemple). L’idéal démocratique de l’État-Nation ne s’est imposé qu’au XIXe siècle en Europe (« printemps des peuples »). Comme l’ont montré des historiens et anthropologues tels que Pierre Clastres, il existe des sociétés sans État, les sociétés primitives notoirement. L’État apparaît historiquement avec la construction d’un système de pouvoir institutionnalisé qui étend son autorité sur le peuple dans les limites du territoire. La définition sociologique de l’État repose donc sur l’émergence d’une classe d’individus qui revendique avec succès l’exercice du pouvoir (Max Weber, Le savant et le Politique). « L’État ne se laisse définir sociologiquement que par le moyen spécifique qui lui est propre, ainsi qu’à tout autre groupement politique, à savoir la violence physique. S’il n’existait que des structures sociales d’où toute violence serait absente, le concept d’État aurait alors disparu et il ne subsisterait que ce que l’on appelle, au sens propre du terme, l’anarchie. La violence n’est évidemment pas l’unique moyen spécifique. De nos jours la relation entre État et violence est tout particulièrement intime. Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime ». Max Weber, Le Savant et le Politique, Plon-1959 Ce groupe établit son autorité en instituant un appareil d’État qui lui permet de déléguer son pouvoir sous la forme d’une organisation administrative. 7 B421-TE-12-12 Chapitre 2 Les contours de l’État : le secteur public Le service public est l’ensemble des activités économiques d’intérêt général prises en charge par la collectivité (éducation, justice…). Le secteur public est, au sens large, constitué des administrations publiques et des entreprises publiques. 1. Les administrations publiques Les administrations publiques constituent l’ensemble des services étatiques, l’organisation dont dispose l’État afin d’exercer son pouvoir. Elles gèrent ses fonctions administratives : gestion des ressources matérielles et de ses personnels. Au sens de la Comptabilité nationale, les administrations publiques produisent des services non-marchands et effectuent des opérations de redistribution des revenus. On peut distinguer trois types d’administrations publiques : •• Les administrations centrales : sous l’autorité d’un ministère, ou des préfets lorsqu’elles ont été déconcen­trées ; •• Les administrations locales, décentralisées au niveau des communes, départements et régions : mairies, conseils généraux, conseils régionaux ; •• Les administrations de la sécurité sociale. 8 B421-TE-12-12 Les contours de l’État : le secteur public Chapitre 2 Source : Dictionnaire des sciences économiques et sociales, J. Brémond, A. Gélédan, Belin Au niveau de l’activité productive, le rôle des administrations publiques est par ailleurs indirectement de rendre disponibles les équipements collectifs et les infrastructures économiques et technologiques (recherche - développement notamment, cf. théorie de la croissance endogène). 9 B421-TE-12-12 Chapitre 2 Les contours de l’État : le secteur public 2. Le secteur marchand Le secteur marchand comprend les entreprises dont le capital appartient majoritairement à l’État ou à une collectivité locale (publique ou semi-publique). Les entreprises entièrement publiques et exerçant des missions de service public (fourniture d’électricité par EDF par exemple) sont désignées par l’appellation EPIC : établissement à caractère industriel et commercial. Les sociétés d’économie mixte (SEM) sont les entreprises dont l’État ou une collectivité locale ne détient qu’une partie du capital (ex : SNCF). Les entreprises produisant des services d’intérêt général sont en situation de monopole ou de quasi- monopole. Celles qui ne produisent pas de service d’intérêt général sont en situation de concurrence (ex : Renault). Ces dernières constituent le secteur public au sens restreint. 10 B421-TE-12-12 Chapitre 3 La conception du rôle de l’État dans la pensée mercantiliste 1. L’émergence de la pensée économique Sous l’antiquité, les philosophes grecs (Platon, Aristote) avaient déjà posé les bases de la réflexion politique, notamment en ce qui concerne l’exercice du pouvoir, la gestion et l’organisation de la cité. Ils ont ainsi estimé qu’un système de propriété privée s’avère plus efficace qu’un système collectiviste. Pour Platon, l’objectif de la politique est de déterminer un mode de vie en commun qui permette de maintenir la paix sociale, ceci en plaçant l’intérêt général au-dessus de l’intérêt particulier. Toutefois, c’est au XVIe siècle que la pensée économique émerge réellement en tant que telle. Elle se dissocie de la pensée philosophique et se constitue en réaction contre les analyses antérieures, issues d’une conception théologique de l’État conditionnée par des exigences morales. Le terme « économie » apparaît à cette époque ; plus tard, en 1615, Antoine de Montchrestien publie son Traité d’économie politique. La pensée économique de l’époque place l’État au centre de l’intérêt national, s’interroge sur les moyens d’affirmer sa puissance, et justifie ainsi son intervention dans les affaires économiques. Elle est le fruit de la réflexion d’auteurs d’origines diverses : parlementaires, magistrats, marchands… (mercanti = marchand en italien) et sera postérieurement caractérisée péjorativement de pensée « mercantile » par Adam Smith. Par extension, le mercantilisme cons­titue la doctrine économique des XVIe et XVIIe siècles, doctrine reposant sur un ensemble de pratiques de politiques économiques qui nécessitent l’intervention de l’État. Le mercantilisme correspond historiquement à l’établissement de régimes de monarchie absolue en Europe ainsi qu’à la colonisation du monde par les États européens. Les mesures interventionnistes ont connu des variantes selon les États européens dominants de l’époque ; on peut ainsi essentiellement distinguer un courant mercantiliste français, un courant anglais et un courant espagnol. 2. Le courant espagnol Le courant espagnol du XVIe siècle (école de Salamanque) fut le plus précoce. Il préconise l’enrichissement de l’État par l’accumulation de métaux précieux. À cette fin, l’Espagne s’est engagée avec véhémence dans la conquête de colonies, « les Amériques », sources potentielles de mines d’or et d’argent, pillées puis rapatriées. Cette pratique, caractérisée de « bullionisme » (bullion = lingot d’or), a été inspirée par des penseurs tels que Olivarès (Gaspar de Guzman, Comte Duc d’) ou encore Ortiz. Le mercantilisme espagnol est ainsi une doctrine qui justifie l’intervention de l’État dans le but d’assurer l’approvisionnement en métaux précieux nécessaires aux besoins de la nation, mais dont il faut en interdire la sortie qui serait consécutive à l’importation de mar­chandises étrangères. Cela justifie la mise en place d’un protectionnisme monétaire, ainsi qu’une obligation de rapatriement des avoirs espagnols à l’étranger. 11 B421-TE-12-12 Chapitre 3 La conception du rôle de l’État dans la pensée mercantile 3. Le courant français Les principaux représentants du courant français sont, hormis le susnommé Antoine de Montchrestiené, Jean Bodin, Jean Baptiste Colbert, Jacques Necker, ou encore Richard Cantillon début XVIIIe. Ce courant prône l’intervention directe de l’État par la création de manufactures royales. Pour Colbert (1619-1693), la puissance d’un État est proportionnelle à la quantité de métaux précieux qu’il recèle. Dans un contexte de quantité intangible de métaux précieux disponibles, seul le commerce peut permettre d’accroître la puissance de l’État, les exportations permettant de se procurer une partie du stock de métaux précieux détenus par les États voisins. La production assurée par les manufactures royales (draps, dentelles, tapisseries, miroirs, savons, armes…) doit donc permettre d’augmenter les encaisses en or de l’État. Si le mercantilisme encourage les exportations de produits manufacturés, il tolère également les importations de matières premières nécessaires à leur production. Mais il s’oppose violemment à l’importation de biens manufacturés dont l’effet serait de réduire la quantité de métaux précieux présents dans le royaume ; de telles importations réduiraient d’autant la puissance de l’État. Pour s’assurer de la compétitivité des manufactures nationales, Colbert a entouré leur activité d’une réglementation des métiers et d’un protectionnisme des industries nationales, notamment par le biais de l’instauration de droits de douane et de contingentements (limitation quantitative des importations). Le courant mercantiliste français peut donc être considéré comme un courant « étatiste », ou encore « industrialiste », stipulant que la seule véritable richesse émane du travail. 4. Le courant anglais Le mercantilisme anglais s’est développé au XVIIe siècle, sous l’égide de penseurs tels que John Locke, Thomas Mun, William Petty. Il peut quant à lui être considéré comme un mercantilisme « commercial », arguant en effet que seul le commerce permet de dégager une véritable richesse. Ainsi dans son England’s treasure by foreign trade publié en 1664, Thomas Mun, alors directeur de la Compagnie des Indes orientales, déclare que « le commerce extérieur est la richesse du souverain, l’honneur du royaume, la noble vocation des marchands, notre subsistance et l’emploi de nos pauvres, l’amélioration de nos terres, l’école de nos marins, le nerf de notre guerre, la terreur de nos ennemis ». L’activité marchande, et plus particulièrement maritime, est donc stimulée dans le but de faire affluer les capitaux sur le territoire. L’intervention de l’État se justifie par la nécessité de réglementer les échanges afin de maintenir le niveau des exportations supérieur à celui des importations. L’Acte de navigation est ainsi promulgué par Cromwell en 1651 : il stipule que le transport des marchandises entrant et sortant des ports britanniques ne peut être assuré que par des navires de la flotte anglaise. Les corn laws protégent par ailleurs les producteurs agricoles anglais en taxant les importations de céréales. 12 B421-TE-12-12 Chapitre 4 La conception du rôle de l’État dans la pensée physiocrate Si la pensée mercantiliste s’est matérialisée sous la forme d’un ensemble de mesures et de pratiques, elle demeure toutefois pauvre au niveau de la réflexion, et ne peut être considérée comme une véritable théorie économique. Il faut attendre l’émergence du courant physiocrate en France à partir du milieu du XVIIIe (François Quesnay, Pierre S. Dupont de Nemours, Turgot, Mirabeau) pour assister à la naissance de la science économique, courant qui entrouvre les portes de la pensée libérale en stigmatisant le mercantilisme. Selon les physiocrates, seule la terre, l’agriculture est source de richesses. Pour François Quesnay (1694-1774), chef de file de la physiocratie, le mercantilisme est un « système de commerçants », ces derniers étant considérés ainsi que les artisans et les manufacturiers comme une classe stérile à l’activité improductive. Quoique favorables à l’établissement d’une monarchie absolue, les physiocrates revendiquent la liberté individuelle en matière économique, et le respect du droit de propriété qu’ils considèrent comme un droit naturel. Dans son Tableau Économique, publié dans sa première version en 1758, Quesnay préfigure la pensée d’Adam Smith en présentant les mécanismes d’échanges comme résultant d’un « ordre naturel » qui doit orienter l’action de l’État (physis = nature ; cratos = gouvernement) : « Il suffit au gouvernement de veiller à l’accroissement des revenus des biens du royaume, de ne point gêner l’industrie, de laisser aux citoyens la facilité et le choix des dépenses ». L’école physiocrate s’oppose donc à l’interventionnisme étatique inhérent au mercantilisme, et notoirement aux pratiques protectionnistes en vigueur. En matière d’échanges commerciaux, c’est à Vincent de Gournay (1712-1759) que l’on doit la célèbre formule « Laissez faire, laissez passer » (1758, Considérations sur le commerce). La pensée politique des physiocrates fut appliquée par son disciple, Turgot, nommé Contrôleur général des finances de Louis XVI en 1774. Il entreprit une réforme de l’impôt sur la base de la pensée de Quesnay qui considérait que seule la classe des propriétaires fonciers générait une rente, et devait donc y être assujettie. L’opposition des physiocrates à l’augmentation des recettes fiscales explique leur volonté de réduction des dépenses étatiques, et, par delà, leur hostilité à l’égard de l’interventionnisme. Dans l’histoire de la pensée économique, le système physiocratique constitue une transition vers l’école de pensée classique. 13 B421-TE-12-12 Chapitre 5 La conception du rôle de l’État dans l’école classique 1. Le rôle de l’État selon Adam Smith Adam Smith (1723-790) est le fondateur de l’école classique anglaise, et par delà de la pensée libérale. Il peut être considéré comme étant par ailleurs le fondateur de l’économie politique moderne. Smith s’oppose avec virulence à l’interventionnisme étatique, et donc ainsi au mercantilisme, système qui selon lui entrave « le cours naturel des progrès de l’opulence » en détournant l’investissement des activités les plus productives. Pour lui l’État ne doit pas intervenir dans les relations commerciales : freiner les importations ne peut que freiner l’activité économique nationale. Il considère que l’économie de marché relève de l’ordre naturel, de la tendance naturelle de l’homme à pratiquer l’échange, et que de ce fait le marché s’autorégule. Nulle inter­vention extérieure dans le but d’équilibrer son fonctionnement n’est donc nécessaire, et ne pourrait qu’être source de déséquilibre : l’interventionnisme constitue à ses yeux une pratique inutile, et qui plus est, néfaste. En recherchant son intérêt individuel, une « main invisible » pousse chaque individu à agir inconsciemment dans le sens de l’intérêt général. Smith prône donc la liberté des acteurs économiques, notamment dans le cadre de l’utilisation du capital. « [...] puisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut, 1° d’employer son capital à faire valoir l’industrie nationale, et - 2° de diriger cette industrie de manière à lui faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la société. À la vérité, son intention, en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. [...] En cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler. [...] Quant à la question de savoir quelle est l’espèce d’industrie nationale que son capital peut mettre en œuvre, et de laquelle le produit promet de valoir davantage, il est évident que chaque individu, dans sa position particulière, est beaucoup mieux à même d’en juger qu’aucun homme d’État ou législateur ne pourra le faire pour lui. L’homme d’État qui chercherait à diriger les particuliers dans la route qu’ils ont à tenir pour l’emploi de leurs capitaux, non seulement s’embarrasserait du soin le plus inutile, mais encore il s’arrogerait une autorité qu’il ne serait pas sage de confier, je ne dis pas à un individu, mais à un conseil ou à un sénat, quel qu’il pût être ; [...] 14 B421-TE-12-12 La conception du rôle de l’État dans l’école classique Chapitre 5 Tout homme, tant qu’il n’enfreint pas les lois de la justice, demeure en pleine liberté de suivre la route que lui montre son intérêt, et de porter où, il lui plaît son industrie et son capital, concurremment avec ceux de toute autre classe d’hommes. Le souverain se trouve entièrement débarrassé d’une charge qu’il ne pourrait essayer de remplir sans s’exposer infailliblement à se voir sans cesse trompé de mille manières, et pour l’accomplissement convenable de laquelle il n’y a aucune sagesse humaine ni connaissance qui puissent suffire, la charge d’être le surintendant de l’industrie des particuliers, de la diriger vers les emplois les mieux assortis à l’intérêt général de la société ». A. Smith, La Richesse des nations. Livre IV, chapitres 2 et 9 (1776), Garnier - Flammarion. 1999 Dans le livre V de La recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations (1776), Smith développe sa conception du rôle de l’État, qu’il limite à un « État minimal », État qui se contente d’exercer ses fonctions régaliennes (qui relèvent de la royauté et de sa souveraineté) : •• Protéger la Nation des agressions extérieures (armée) ; •• Protéger les droits des citoyens (droit de propriété notamment), et protéger ces derniers des injustices et de l’oppression (justice et police) ; •• Prendre en charge la production des infrastructures (« le devoir d’ériger et d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions ») indispensables à l’expansion de l’activité économique mais qui ne sau­raient être assurées par des acteurs privés, du fait de leur non rentabilité inhérente à l’importance des coûts de production. La pensée libérale peut donc être associée à un « État-Gendarme ». Néanmoins, Adam Smith lui- même considère l’État comme le garant de l’intérêt général, et justifie ainsi son intervention fiscale afin d’assurer l’instruction du peuple nécessaire à l’expansion économique. Il stipule également une intervention de l’État afin de limiter les excès et dérives dues à l’égoïsme des individus qui pourraient compromettre la répartition efficace des richesses. Cette intervention prend alors la forme d’un encadrement des taux d’intérêt et d’une réglementation de l’activité bancaire. Intervention qu’il considère comme étant « une violation de la liberté naturelle », né­cessaire à la « sécurité de la société tout entière ». 2. Le rôle de l’État selon Jean-Baptiste Say Économiste français (1767-1832), disciple d’Adam Smith, Jean-Baptiste Say fait paraître en 1803 son Traité d’économie politique. Il s’oppose à l’action économique de l’État qu’il juge « improductive », du fait notam­ment de la réglementation administrative et de l’existence de monopoles d’État. Il stigmatise les « dépenses improductives du gouvernement », dépenses qui freinent l’activité économique en étant financées par l’impôt, ce dernier étant un facteur d’augmentation des prix des marchandises et donc de diminution de la consom­mation. Dans sa célèbre « loi des débouchés », il expose sa vision des mécanismes naturels du marché : « les produits s’échangent contre des produits », l’offre crée sa propre demande. 15 B421-TE-12-12 Chapitre 5 La conception du rôle de l’État dans l’école classique « Il est bon de remarquer qu’un produit créé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits ». Jean Baptiste Say, Traité d’économie politique, 1803, livre 1 Le marché ouvert au jeu de la concurrence ne nécessite donc pas l’intervention de l’État. Les crises de sur­production ne sont en effet pas concevables. Il faut donc libérer le marché des obstacles, des monopoles, des barrières douanières pour favoriser l’activité productive. Pour Say, l’acteur économique central n’est pas l’État mais l’entrepreneur. 3. Le rôle de l’État selon Thomas Robert Malthus Économiste anglais (1766-1834), professeur d’économie politique, Malthus s’appuie à son tour sur le mécanisme autorégulateur du marché pour dénoncer l’interventionnisme de l’État. Plus particulièrement, il s’oppose dans son Essai sur le principe de population (1798) aux lois d’assistance sur les pauvres qui ont été instaurées en Angleterre en 1795. « La tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée » explique que la population croisse plus rapidement que les subsistances. Le risque de surpopulation qui en résulte doit amener le peuple à s’appliquer une contrainte morale, à mener une vie emprunte de chasteté, sous peine que la nature ne rétablisse l’équilibre sous la forme de fléaux tels que les épidémies ou les famines. Selon Malthus, l’assistance aux pauvres les incite à procréer, conduit le peuple à l’oisiveté et au vice. Et à terme, remet en cause la loi naturelle qui s’applique à la population. Dans le but de réduire les misères individuelles, l’intervention de l’État n’aura pour effet que de réduire le niveau de richesse général de la société. « Un homme qui est né dans un monde déjà possédé, s’il ne peut obtenir de ses parents la sub­sistance qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la plus petite portion de nourriture et, en fait, il est de trop au banquet de la nature ; il n’a pas de couvert vacant pour lui. Elle lui recommande de s’en aller et elle mettra elle-même promptement ses ordres à exécution s’il ne peut recourir à la compassion de quelques-uns des convives du banquet. Si ces convives se serrent et lui font place, d’autres intrus se présentent immédiatement et demandent la même faveur. Le bruit qu’il existe des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux arrivants qui réclament. L’ordre et l’harmonie des invités sont troublés, l’abondance qui régnait auparavant se change en disette et le bonheur des convives est détruit par le spectacle de la misère et de la gêne qui règnent en toutes les parties de la salle et par la clameur importune de ceux qui sont justement furieux de ne pas trouver les aliments sur lesquels on leur avait appris à compter. Les convives reconnaissent trop tard l’erreur qu’ils ont commise en contrecarrant les ordres stricts à l’égard des intrus donnés par la grande maîtresse du banquet ». Thomas Robert MALTHUS, Essai sur le principe de population, 1803 16 B421-TE-12-12 La conception du rôle de l’État dans l’école classique Chapitre 5 Dans ses Principes d’économie politique (1820), Malthus réfute la loi des débouchés de Jean- Baptiste Say. Il préconise le développement du commerce pour prévenir l’apparition de crises de surproduction, et incite l’État à mener une politique de grands travaux afin d’élargir la demande de consommation. Il met ainsi en garde contre une utilisation improductive des dépenses publiques, lorsque celles-ci sont trop orientées vers l’épargne, qui affaiblit la consommation et de ce fait la croissance. 4. Le rôle de l’État selon David Ricardo David Ricardo, économiste anglais (1772-1823), présente dans son œuvre majeure Des principes de l’économie politique et de l’impôt (1817) des mesures de politique économique qui s’opposent à l’intervention législative de l’État dans le domaine des relations commerciales. « Dans un système d’entière liberté de commerce, chaque pays consacre son capital et son industrie à tel emploi qui lui paraît le plus utile. Les vues de l’intérêt individuel s’accordent parfaitement avec le bien universel de toute la société ». Il se montre particulièrement hostile aux corn laws (lois sur les blés) instaurées en 1815 dans le but de protéger les producteurs britanniques par des barrières douanières. Par producteurs, il faut entendre l’aristocratie foncière, majoritaire au Parlement, qui tirait l’essentiel de sa richesse de la production céréalière. Ces protections tarifaires, en restreignant la concurrence, ont pour effet pour Ricardo de maintenir à la hausse les prix intérieurs du blé, et de ce fait les salaires qui sont selon lui déterminés par les variations de prix des subsistances. Les barrières protectionnistes, en agissant sur les salaires, exercent donc un effet négatif sur l’ensemble des activités productives puisqu’il en résulte une tendance à la baisse du taux de profit. Ricardo se faisait ainsi le défenseur des industriels et des milieux d’affaires, la répartition des revenus entre les différentes classes sociales constituant un des éléments centraux de sa réflexion. « Puisque des primes d’exportation et des prohibitions à l’importation du blé en augmentent la demande, et forcent à livrer à la culture des terrains plus ingrats, elles occasionnent nécessaire­ment une augmentation des frais de production. Le seul effet qu’occasionne une prime accordée à l’exportation des objets manufacturés ou à celle du blé, est de porter une portion de capital vers un emploi qu’on n’aurait pas cherché sans cela. Il en résulte une distribution nuisible du capital national ; c’est un leurre qui séduit le manufacturier, et qui l’engage à commencer ou à continuer un genre de commerce comparativement moins profitable. C’est le plus mauvais des impôts ; car il ne rend pas aux étrangers tout ce qu’il ôte aux nationaux, la balance en perte étant supportée par une distribution moins avantageuse du capital national ». D. Ricardo, Principes de l’économie politique et de l’impôt, Calmann-Lévy, 1970 Seul le libre-échange peut donc permettre un cadre optimal de croissance, et pour Ricardo une nation ne doit pas hésiter à se procurer à l’étranger les biens qui sont vendus à un prix inférieur aux prix nationaux (cf. loi des avantages comparatifs). L’abolition des corn laws en 1846 marquera la victoire du libre-échange et, par delà, la fin du mercantilisme. Dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, Ricardo rejoint par ailleurs Malthus quant à l’inefficacité des politiques sociales : il considère que les lois d’assistance aux pauvres contribuent à faire augmenter les salaires et de ce fait à détourner le capital de son emploi le plus productif. 17 B421-TE-12-12 Chapitre 5 La conception du rôle de l’État dans l’école classique 5. Le rôle de l’État selon John Stuart Mill Économiste et philosophe anglais, John Stuart Mill (1806-1873) est considéré comme le dernier auteur de la pensée classique. Dans son œuvre Les principes de l’économie politique (1848), il expose sa conception du rôle de l’État dans la société. S’il considère la production comme relevant d’une loi naturelle, il la distingue des « lois de la distribution » qui nécessitent l’intervention de l’État. Il rejoint Malthus sur les effets pervers de l’assistance aux pauvres, mais pense néanmoins qu’il est souhaitable d’assurer un minimum vital aux travailleurs par la création de coopératives de production, et qu’il convient de légiférer sur les salaires. Sur la base de l’analyse de la rente foncière de Ricardo, il se prononce en faveur de l’établissement d’une taxe sur les revenus de ces dites rentes, un impôt spécifique sur les « surplus non gagnés ». Il conçoit également une intervention pédagogique de l’État afin de prendre en charge la formation (facteur de maîtrise de la fécondité dans le cadre de l’analyse malthusienne) et la santé. Mill ne condamne donc pas systématiquement l’intervention de l’État. Il se distingue donc sous cet angle de la pensée des autres auteurs classiques, considérant même qu’une restriction du droit de propriété pourrait s’avérer souhaitable. Cette singularité donne à l’œuvre de Mill une orientation qui se rapproche de la pensée socialiste. 18 B421-TE-12-12 Chapitre 6 La conception du rôle de l’État dans la pensée marxiste Le courant marxiste considère l’État moderne comme un instrument de domination de la classe ouvrière par la bourgeoisie. Pour Marx (1818-1883), il faut distinguer la superstructure de la société, constituée des institutions politiques et juridiques, mais aussi de la religion et de l’idéologie, de l’infrastructure économique qui désigne les rapports sociaux et les forces productives. L’infrastructure déterminant la superstructure, L’État agit donc au service de la classe dominante. « Les rapports juridiques, pas plus que les formes de l’État, ne peuvent s’expliquer ni par eux- mêmes, ni par la prétendue évolution générale de l’esprit humain ; bien plutôt, ils prennent leurs racines dans les conditions matérielles de la vie que Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du XVIIIe siècle, comprend dans leur ensemble sous le nom de « société civile » ; et c’est dans l’économie politique qu’il convient de chercher l’anatomie de la société civile. […] Dans la production sociale de leur existence, les hommes nouent des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique, et à quoi correspondent des formes déterminées de la conscience sociale. Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience ». KARL MARX, Critique de l’économie politique, 1859, Gallimard, 1977 Marx remet de ce fait en cause la capacité de l’État à agir dans le sens de l’intérêt général. L’interventionnisme étatique n’aurait pour but que de pallier les contradictions inhérentes au système capitaliste, contradictions qui doivent entraîner sa perte. Marx a mis en évidence la baisse tendantielle du taux de profit (Le capital, livre III, tome II, chap. XIII et XIV, 1867) qui expliquerait les crises récurrentes du mode de production capitaliste. Cette baisse tendantielle résulte, pour résumer, de l’augmentation de la « composition organique du capital », c’est- à-dire du remplacement de l’homme par les machines, rendu nécessaire par le développement continuel de la concurrence. Or le profit provient selon Marx de la plus-value extorquée au travailleur par l’entrepreneur capitaliste. D’où la contradiction. Pour enrayer cette baisse tendantielle du taux de profit, les marxistes considèrent que l’État prend des mesures visant à augmenter la plus-value relative, c’est-à-dire à augmenter l’intensité du travail (productivité) ou encore à étendre le capitalisme par la colonisation. Mais pour Marx, la lutte des classes doit amener le prolétariat à renverser le capitalisme. Apparaît alors le mode de production socialiste, dans lequel le rôle de l’État est d’imposer la dictature du prolétariat, celle-ci se justifiant par la nécessité de répartir les richesses disponibles entre les individus (« à chacun selon son travail »). Le socialisme n’est qu’une période de transition jusqu’à la réalisation du communisme, société dans laquelle l’abondance de richesse permet l’abolition des classes sociales (« à chacun selon ses besoins ») et rend progressivement inutile l’existence même de l’État. 19 B421-TE-12-12 Chapitre 7 La conception du rôle de l’État dans le courant néo-classique Le courant néo-classique s’est développé dans le dernier tiers du XIXe siècle (1870-1890). Cette école de pensée, qui a inspiré la pensée dominante actuelle, a formalisé la théorie économique : les néo-classiques considèrent que l’économie doit être traitée comme une science exacte, rationnelle, dont les mécanismes peuvent être mathématisés. 1. L’école de Lausanne Léon Walras, économiste français (1834-1910), professeur d’économie politique à l’école de Lausanne, a déve­loppé son modèle en raisonnant dans un contexte hypothétique de « libre concurrence absolue » qui détermine les conditions de la « concurrence pure et parfaite ». Cette situation conduit à l’établissement d’un « équilibre général », équilibre faisant la preuve de l’inutilité, voire de la nuisibilité de l’intervention de l’État. Il considère toutefois comme souhaitable la nationalisation des terres et des chemins de fer, ainsi que la création d’une banque coopérative. Vilfredo Pareto (1848-1923), qui lui succède à l’école de Lausanne, se montre particuliè­rement méfiant à l’égard de l’intervention étatique, qui conduit selon lui au développement de la centralisa­tion et de la bureaucratie. Pour Pareto, l’équilibre général constitue un optimum, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’accroître la satisfaction d’un individu sans réduire celle d’un autre. L’économie est la science de la maximisation des satisfactions, sous contrainte de la rareté des ressources disponibles. L’optimum de Pareto correspond à une situation d’utilisation efficiente des ressources, sans gaspillage, de telle sorte qu’on ne peut en concevoir un autre emploi qui serait jugé comme aussi satisfaisant par l’ensemble des agents économiques. Les seuls mécanismes du marché dans un cadre de concurrence pure et parfaite doivent permettre d’atteindre cet optimum, ce qui exclut l’intervention de l’État. Pareto conçoit toutefois parallèlement qu’une économie parfaitement planifiée pourrait permettre d’atteindre un tel optimum. 2. L’école autrichienne L’école autrichienne, encore appelée école viennoise, s’est distinguée de celle de Lausanne par une réfutation de la théorie de l’équilibre général, c’est-à-dire d’un équilibre résultant des seules lois du marché. Les travaux de Carl Menger (1840-1921) (Principes d’économie politique, 1871) et d’Eugen Von Böhm-Bawerk (1851-1914) montrent toutefois que seul le marché permet d’équilibrer les décisions individuelles des agents économiques. Il en résulte donc là encore une hostilité à l’égard de l’intervention de l’État. 20 B421-TE-12-12 La conception du rôle de l’État dans le courant néo-classique Chapitre 7 3. L’école de Cambridge Alfred Marshall (1842-1924), professeur d’économie politique, développe une approche méthodologique qui va progressivement exercer une influence dominante sur la pensée néo-classique. Les implications de ses travaux dans le domaine de la conception du rôle de l’État s’avéreront tout autant déterminantes. Marshall, fervent admirateur d’Adam Smith, reconnaît implicitement les limites du modèle d’autorégulation et évoque « les défaillances du marché ». Ce constat marque le point de départ des justifications libérales de l’intervention de l’État. 4. Les justifications libérales de l’intervention de l’État 4A. Le monopole naturel En premier lieu, l’intervention de l’État se justifie par l’existence de rendements croissants, c’est- à-dire de situations dans lesquelles la quantité produite croît plus rapidement que la quantité de facteurs de production utilisée (travail, capital). Ce mécanisme s’explique par l’importance des coûts fixes entrant dans la production d’activités nécessitant notamment des infrastructures matérielles importantes (énergie, transport ferroviaire, télécommunications…). Les rendements croissants induisent une baisse des coûts unitaires de production, ce qui permet au producteur de réaliser des « économies d’échelle ». Celui-ci peut alors réduire son prix de vente unitaire et de ce fait éliminer la concurrence. Les situations de rendements croissants conduisent donc à la création de monopoles « naturels », les conditions de la concurrence pure et parfaite n’étant plus respectées. Marshall préconise la nationalisation des entreprises qui atteignent une telle position dominante. Une situation de monopole permet au producteur de fixer un prix de vente supérieur au prix d’équilibre du marché en situation de concurrence. La quantité produite sera alors déterminée au niveau pour lequel le coût marginal égalise la recette marginale, ce qui conduit à une situation de sous-optimalité. Cahiers français n° 313, Concurrence et régulation des marchés 21 B421-TE-12-12 4B. Les biens collectifs En second lieu, l’intervention de l’État se justifie par l’existence de biens ou services collectifs indivisibles. L’utilisation de ces derniers est ouverte à la collectivité sans distinction individuelle. Il n’y a pas de rivalité entre les usagers, la consommation faite par un agent ne s’effectue pas au détriment de celle des autres. Le bien ou service produit bénéficie à l’ensemble des consommateurs. Ceci conduit à une situation d’équilibre sous-optimal du marché. Cahiers français n° 313, Concurrence et régulation des marchés Dans le cas des biens collectifs, les consommateurs peuvent adopter une stratégie de « passager clandestin », c’est-à-dire tenter de se soustraire à leur financement tout en profitant de leur production. C’est le cas de l’éclairage public par exemple. Le caractère collectif de ces biens et services induit donc l’impossibilité d’exclure les consommateurs par les prix, et exclut donc la possibilité de prise en charge de ces activités par des producteurs privés, peu enclins à produire dans un tel contexte. L’État doit donc s’y atteler, en assurant la production par le biais du service public notamment. 4C. Les externalités En troisième lieu, l’intervention de l’État se justifie par l’existence d’externalités, qui selon Marshall remettent en cause le mécanisme de la main invisible. Cette défaillance du marché provient donc d’effets externes, qui peuvent être positifs ou négatifs, et qui résultent de l’action individuelle. Ces effets, par nature involontaires, échappent de ce fait au mécanisme autorégulateur du marché. Ce qui nécessite une intervention régulatrice, car correctrice, de la part de l’État. Dans le cas d’effets externes positifs, l’action d’un agent économique pro­cure des avantages gratuits, en améliorant le bien-être d’un ou plusieurs autres agents, sans que ce premier n’en soit récompensé, c’est-à-dire rémunéré par le marché de façon monétaire. Ce qui l’incitera à réduire son activité, de telle sorte que l’optimum parétien ne peut être réalisé. À titre d’exemple élémentaire, la plantation d’une haie en bordure de 22 B421-TE-12-12 La conception du rôle de l’État dans le courant néo-classique Chapitre 7 mitoyenneté par un propriétaire améliore le bien-être de son voisin sans contribution de sa part. Comme l’avait déjà constaté Adam Smith dans La richesse des Nations, « les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir là où ils n’ont pas semé ». Dans le cas d’effets externes négatifs, l’action d’un agent est à l’origine de nuisances, de désagréments, de dommages causés sur un autre agent ou sur l’environnement (au sens socio-économique comme au sens écologique), sans que ce premier ne soit sanctionné monétairement par le marché. L’exemple par excellence sera celui de la pollution provoquée par l’activité d’une entreprise industrielle, le coût devant être pris en charge par la collectivité. Cahiers français n° 313, Concurrence et régulation des marchés Pour Arthur Cecil Pigou (1877-1959), disciple de Marshall, l’apparition d’un coût social, c’est-à-dire d’un coût imposé à la collectivité, suffit à légitimer l’intervention de l’État. Il convient alors de déterminer la valeur de ce coût , et de taxer d’autant le producteur (principe du pollueur-payeur), de manière à « internaliser les effets externes ». Le point d’équilibre de pollution, serait ainsi déterminé par le niveau auquel le coût marginal des dommages égaliserait le coût marginal de réparation (d’épuration dans le cas de la pollution d’une rivière). Au delà du cadre des effets externes, Pigou défend l’idée d’une intervention de l’État destinée à redistribuer les revenus. Une politique de transfert des richesses est selon lui nécessaire à l’établissement d’un état de bien-être maximal. L’amélioration du bien-être général ne provient pas nécessairement d’une amélioration du revenu total de la société, mais au minimum d’une diminution des inégalités de revenus. Le bien-être global précise-t-il toutefois ne s’améliore que si la diminution du bien-être d’un individu est inférieure à l’amélioration de celle d’un autre. 23 B421-TE-12-12 Chapitre 8 La conception keynésienne du rôle de l’État 1. La révolution keynésienne La pensée keynésienne marque une véritable rupture avec la pensée classique. Elle émerge parallèlement à la crise de 1929, et s’impose comme le modèle dominant en économie durant les Trente Glorieuses, orientant la plupart des politiques économiques de l’époque. C’est donc sous l’impulsion de l’économiste britannique John Maynard Keynes (1883-1946) que la pensée écono­mique va connaître une révolution, remettant en cause les fondements mêmes de la conception traditionnelle du rôle de l’État. Pourtant élève d’Alfred Marshall, Keynes s’oppose à la vision libérale de l’économie dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), réfutant la loi des débouchés de Say et la main invisible de Smith : « il est parfaitement infondé de déduire des principes de la science économique que l’intérêt privé sagement compris va toujours dans le sens de l’intérêt général ». Keynes montre que le marché ne permet pas de réguler les prix ni d’atteindre un équilibre de plein-emploi (« équilibre de sous-emploi dura­ble »), du fait d’une insuffisance de la demande effective, c’est à dire anticipée par les entrepreneurs, et que par ailleurs les salaires présentent une rigidité à la baisse. L’intervention de l’État se justifie par la nécessité de mettre en place une politique économique destinée à lutter efficacement contre la déflation et le chômage, en soutenant la demande. L‘État doit volontairement augmenter ses dépenses (grands travaux notamment) (cf. mécanisme du multiplicateur keynésien) afin d’injecter du pouvoir d’achat. C’est donc à l’État que revient le rôle de réguler l’ensemble du système économique. 2.L’État-Providence La pensée keynésienne condamne donc la vision libérale d’un État minimal, gendarme. Elle favorise l’émergence d’un État-Providence, qui intervient également dans le domaine social. Si l’expression a été utilisée la première fois par le ministre français Emile Olivier en 1860, sa mise en œuvre en revient essentiellement à Lord William Beveridge (1879-1963). Il établit en 1942 et 1944, sur la demande de Churchill soucieux des conséquences de la crise et de la guerre, des rapports sur le « Welfare State » (état du bien-être). S’inspirant de la pensée de Keynes, il jette les bases d’un État tutélaire qui garantie une protection contre les risques sociaux (santé, chômage, vieillesse,…) et qui assure l’accès à l’éducation et à la culture afin d’égaliser les chances de réussite sociale. L’État-Providence justifie donc le développement d’un système de protection sociale généralisée et d’une politique de redistribution des revenus. 24 B421-TE-12-12 La conception keynésienne du rôle de l’État Chapitre 8 3. L’évolution des fonctions de l’État Robert Musgrave, économiste américain, a défini dans sa Théorie des finances publiques (1959) une typologie des fonctions de l’État. Selon lui, l’État exerce 3 catégories de fonctions : •• Une fonction d’allocation par l’affectation de ressources aux administrations : le service public produit les consommations collectives ; •• Une fonction de redistribution : l’État répartit les ressources disponibles entre les agents économiques (transferts sociaux) ; •• Une fonction de stabilisation : l’État régule la politique économique afin de la faire tendre vers l’équilibre. Selon la loi émise dès la fin du XIXe siècle par l’économiste allemand Adolphe Wagner (1835-1917), les dépenses publiques augmentent plus rapidement que la production nationale, le développement économique nécessitant une augmentation des dépenses d’investissement mais aussi une intervention plus grande de l’État dans les domaines sociaux et judiciaires. Aux dépenses traditionnelles de l’État qui rejoignent ses fonctions régaliennes, on peut donc opposer les dépenses nouvelles qui correspondent au développement de l’État-Providence. L’élargissement des fonctions de l’État est considéré par Keynes comme une nécessité afin de maintenir le système capitaliste qui serait menacé par ses excès et imperfections, génératrices de tensions sociales, c’est là le « seul moyen d’éviter une complète destruction des institutions économiques actuelles ». Certains disciples de Keynes prôneront une intervention plus large encore de l’État dans la régulation de l’économie, ainsi de Joan Violet Robinson (1903-1983) pour qui l’équilibre de longue période est un état ima­ginaire et qui considère que « la main invisible agit par strangulation » en produisant un chômage durable et généralisé. Elle se prononce ainsi de ce fait en faveur d’un contrôle étatique de l’investissement, tout comme Michael Kalecki. Néanmoins, les keynésiens se prononceront majoritairement (notamment John Hicks qui remet en cause le modèle de Walras) en faveur d’une intervention modérée de l’État, qui ne se justifie que dans les cas de déséquilibres (des prix ou de l’emploi) et de récession. 25 B421-TE-12-12 Chapitre 9 La conception néolibérale du rôle de l’État 1. Le courant ultralibéral La fin des Trente Glorieuses annonce la remise en cause des politiques économiques d’inspiration keynésienne. L’aggravation du chômage et l’apparition d’une inflation galopante à la suite de la crise pétrolière de 1973 vont favoriser le retour de la pensée libérale, sous une forme plus radicale. Essentiellement sous l’impulsion de l’école autrichienne, qui trouve en Friedrich A. Von Hayek (1899- 1992) le chef de file d’une pensée qu’il convient d’appeler « ultralibérale ». Prix Nobel d’économie en 1974, Hayek, qui avait pris position contre le New Deal de Roosevelt, dénonçait la planification socialiste, mais aussi le keynésianisme dès les années 1950. S’il rejette le collectivisme marxiste, il n’en considère pas moins que l’État keynésien n’est rien d’autre qu’un « dictateur économique ». Selon lui, l’économie est trop complexe pour qu’elle puisse être régulée, ce qui discrédite par avance toute forme d’intervention étatique. Il critique la notion de « justice sociale » censée répartir équitablement les richesses par la fiscalité, la qualifiant de vaine et illusoire, car étant inconcevable dans un système garantissant les libertés individuelles. Dans sa Constitution de la liberté (1960), il préconise la déréglementation de l’économie afin de développer l’initiative individuelle, et la régulation par le marché. La réglementation (législation du travail, contrôle des prix…) est selon Hayek contreproductive, elle fait naître des rigidités (à l’embauche, à la concurrence…). Il préconise par ailleurs la privatisation du secteur public, y compris même des banques centrales pour soumettre la monnaie aux mécanismes du marché. Il se prononce également en faveur d’une réduction des dépenses sociales. 2. Le courant monétariste Parallèlement, le néo-libéralisme va se développer par le biais du courant monétariste, dont Milton Friedman, économiste américain né en 1912, prix Nobel d’économie en 1976, représente la figure de proue. Le moné­tarisme conteste l’efficacité des politiques keynésiennes. Friedman, qui redécouvre la théorie quantitative de la monnaie, considère qu’elles génèrent nécessairement de l’inflation : « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire et il n’y a pas, par conséquent, de lutte contre l’inflation sans politique monétaire restrictive ». L’inflation est ainsi perçue comme résultante de l’augmentation des dépenses publiques nécessaire au financement des politiques keynésiennes. D’où une augmentation incontrôlée de la masse monétaire ; « la cause de l’inflation est toujours et partout la même : un accroissement anormalement rapide de la quantité de monnaie par rapport au volume de production ». 26 B421-TE-12-12 La conception néolibérale du rôle de l’État Chapitre 9 3. L’économie de l’offre L’augmentation des dépenses publiques conduit à une politique de déficit budgétaire chronique, qui aboutit à un endettement croissant de l’État. Celui-ci se solde par un recours croissant aux prélèvements obligatoires, ce qui freine d’autant l’activité des agents économiques. C’est dans ce contexte que « l’économie de l’offre » s’est présentée comme une offensive contre les politiques keynésiennes. Elle prescrit un abaissement des taux d’imposition pour maximiser les recettes de l’État. Adam Smith avait déjà pressenti que « des impôts lourds, parfois en diminuant la consommation des produits taxés, parfois en encourageant la fraude, engendrent souvent des recettes fiscales plus faibles que celles qui auraient pu être obtenues avec des taux plus modestes » (Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776). Arthur Laffer se rend célèbre en 1978 en présentant cette idée sous la forme d’une courbe en cloche : il existe un seuil optimal d’imposition, au-delà duquel les recettes fiscales diminuent. La courbe de Laffer Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, C.D. Echaudemaison, Nathan, 2007 Selon la fameuse maxime, « trop d’impôt tue l’impôt », le courant libéral considère qu’au-delà d’un taux d’imposition limite, l’État exerce un effet dissuasif, décourageant le travail et l’épargne et favorisant l’évasion fiscale et le développement du secteur informel. Ces analyses vont largement orienter les politiques économiques des pays occidentaux dans les années 1970 et 1980. La pensée libérale triomphe ; on assiste à une vague néolibérale au Royaume- Uni (gouvernement de Margaret Thatcher) et aux États-Unis notamment (« Reaganomie »), mais aussi en France (gouvernement Chirac 1986-1988). Dénominateurs communs de ces politiques : une politique monétaire restrictive, une dimi­nution de la pression fiscale, une diminution du poids du secteur public (désengagement économique de l’État par les privatisations), et une réduction des budgets sociaux (désengagement de l’action sociale). La crise de l’État-Providence a pour effet d’associer l’État à un usurpateur… 27 B421-TE-12-12 Chapitre 10 Le renouvellement des théories 1. Du « moins d’État » au « mieux d’État » Le débat porte donc traditionnellement sur les fondements et la légitimité de l’intervention de l’État. À la logique des « défaillances du marché » s’oppose celle des « défaillances de l’État » ; le « plus d’État » contre les tenants du « moins d’État ». Si ces derniers incarnent la pensée dominante, force est de constater que le bilan des politiques néolibérales des années 1980 est pour le moins contrasté. À la fin de cette décennie, le débat se déplace progressivement vers un « mieux d’État ». Cette troisième voie considère l’État comme un acteur faillible, mais qui n’en constitue pas moins un acteur essentiel du jeu économique. L’État n’est plus un simple palliatif en cas de défaillance du marché, mais le garant de son bon fonctionnement. Le garant du droit de propriété, fonction à laquelle il était déjà dévolu par Smith. Mais éga­lement le garant des règles du jeu, notamment dans le cadre de l’appropriation des « surplus » monétaires (profits). L’État doit édicter des règles crédibles. La réglementation ainsi conçue est incitative. Mieux régle­menter devient l’objectif prioritaire de l’État moderne. Dans cette optique, l’analyse fait appel à la théorie microéconomique de l’information. 2. L’école du public choice L’école du « Public choice » (James Buchanan, Gordon Tullock) a développé au début des années soixante-dix une analyse critique de l’interventionnisme étatique, fondée sur une démarche micro- économique d’inspiration néo-classique qui interprète le comportement rationnel des acteurs en termes de coûts/avantages. Selon cette conception l’ensemble des acteurs concernés (politiques, fonctionnaires, bureaucrates, électeurs, groupes de pression) seraient motivés par la recherche d’intérêts particuliers et non de l’intérêt collectif. Les décideurs ne seraient alors pas libres d’effectuer les choix les plus rationnels, mais influencés par des groupes d’intérêt ou par la recherche d’avantages matériels ou symboliques, ce qui produit une tendance à la hausse des dépenses publiques, qui plus est mal orientées, et donc synonyme de gaspillage social. 3. L’économie de l’information L’État peut se tromper parce que l’information est imparfaite. L’asymétrie de l’information provient du fait que les agents ne dévoilent totalement leurs informations que s’ils y sont incités, qu’il s’agisse d’un chef d’entreprise ou d’un consommateur. Dans le cas contraire, les conditions de la concurrence pure et parfaite ne sont d’ailleurs plus respectées. L’agent qui détient un avantage informationnel peut manipuler l’information à son profit. L’État, le régulateur, doit donc collecter davantage d’informations. À la théorie des incitations s’ajoute celle des contrats. Ceux-ci sont destinés à lever les craintes 28 B421-TE-12-12 Le renouvellement des théories Chapitre 10 de l’agent, face notamment à des risques d’incertitude, afin de l’amener à dévoiler ses informations (résultats financiers, fonction de coût, productivité,…). Des circonstances imprévues empêchent les acteurs économiques d’anticiper avec certitude les résultats d’un accord de longue durée. Selon la théorie des contrats incomplets, le contrat permet de remédier à cette éventualité en intégrant les parts de risques respectives. Les contrats peuvent par ailleurs ne pas être écrits, il s’agit alors de contrats implicites. Ils peuvent prendre la forme de contrats à prix fixes ou à coûts remboursés. Ce qui signifie que l’État doit accepter une contrepartie monétaire aux informations qui lui sont nécessaires. Dans une certaine mesure, ces pistes de réflexion permettent de com­prendre pourquoi la théorie de l’équilibre générale présente des limites. Ce courant a ainsi par deux fois été récemment récompensé par l’obtention du prix Nobel d’économie : James Mirrlees et William Vickrey en 1996, George Akerlof, Joseph Stiglitz et Michael Spence et en 2001. 29 B421-TE-12-12 Exercices autocorrectifs Exercice 1 Classez les différentes mesures ci-dessous dans le tableau récapitulatif des trois grandes fonctions de l’État : •• Augmentation de 3 % des prestations sociales ; •• Construction d’un aéroport international près de la capitale financée par l’État ; •• Augmentation de 120 euros de l’allocation de rentrée scolaire ; •• Accroissement du nombre d’hôpitaux publics sur le territoire ; •• Politique de désinflation compétitive menée par l’État ; •• Création d’emplois jeunes. Fonction d’allocation de ressources Fonction de redistribution Fonction de stabilisation Fonction d’allocation de ressources Fonction de redistribution Fonction de stabilisation Construction d’un aéroport international près de la capitale financée par l’État Augmentation de 3 % des prestations sociales Politique de désinflation compétitive menée par l’État Création d’emplois jeunes Réponses Accroissement du nombre d’hôpitaux publics sur le territoire 30 Augmentation de 120 euros de l’allocation de rentrée scolaire B421-TE-12-12 Exercice 2 : Dissertation Sujet Plus d’État ou moins d’État ? Réponses Réflexions sur le sujet proposé Le sujet libellé sous cette forme invite le lecteur à s’interroger sur les deux grandes conceptions de l’État : l’État doit-il intervenir dans le cadre économique puisque le marché « naturellement » ne permet pas d’obtenir l’optimum. Il lui appartient donc de sortir de ses fonctions purement régaliennes et développer ses missions en terme de redistribution mais aussi celles s’inscrivant dans le cadre de la « régulation économique ». Ces hypothèses renvoient donc aux schémas théoriques proposés par l’école du capitalisme monopoliste d’État, celle de la régulation mais aussi et surtout aux idées keynésiennes. Par contre, la seconde acception s’interroge sur la pertinence de l’intervention de l’État dans le cadre économique et remet en doute l’efficacité des actions qu’il mène dans ce cadre. Par conséquent, les conceptions classiques, néo-classiques mais aussi monétaristes ainsi que le cadre explicatif des « économistes de l’offre » sont le soubassement de la critique relative à l’efficacité des interventions étatiques dans le cadre économique. La problématique centrale Elle s’articule autour des deux grandes conceptions de l’État : •• Une vision que l’on peut qualifier « d’étendue » de l’État. L’État doit intervenir puisque l’économie de marché fonctionne imparfaitement ; •• Une vision plus restrictive de l’État. Ses interventions provoquent des effets pervers et le marché permet de réguler les activités économiques et sociales. De ce fait, l’État doit donc spécifiquement assurer ses fonctions régaliennes. Introduction Quels sont donc les éléments qui ont permis de passer d’une vision dominante de l’État axée sur un interventionnisme plus important à une conception plus « minimaliste » de l’État ? C’est le contexte économique des années 1970-1980 et les échecs des politiques économiques menées et notamment celui des politiques d’inspiration keynésienne qui ont fourni les arguments aux détracteurs de la vision plus « élargie » du rôle de l’État dans le domaine économique. On peut donc formuler la problématique centrale de la manière suivante : une conception fondée sur un interventionnisme accru de l’État a laissé place à un regard critique sur ses interventions fondé sur une conception plus libérale. Ce passage d’une conception à l’autre s’explique par le tournant des années 1970- 1980 marquées par l’échec des mesures interventionnistes de l’État dans la sphère économique. 1. Une vision élargie du rôle de l’État étayée par un corpus théorique keynésien A. Une approche keynésienne de l’économie La mise en place de l’État Providence. Extension des fonctions autres que celles relatives à l’allocation de ressources (typologie de Musgrave). Les bienfaits de la croissance fordiste (production de masse et consommation de masse) qui permettent cette mise en place. Les indicateurs économiques très positifs jusqu’au début des années 1970 permettent en partie une vérification empirique de cette approche (taux de chômage, niveaux de vie, croissance économique). Transition Cet élan est stoppé à partir de la crise du début des années 1970 (hausse du prix des matières premières, inflation, chômage qui progresse, croissance ralentie et même crise). 31 B421-TE-12-12 B.Cette approche ne permet pas de surmonter les effets de ces chocs Une vérification empirique étaye l’hypothèse de l’inefficacité des remèdes keynésiens traditionnels. Les différentes politiques de relance sont remises en cause. Dès la fin des années 1970, une remise en cause du keynésianisme s’effectue dans les pays anglo-saxons (les arrivées de Margaret Thatcher au pouvoir au Royaume Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis). En France, la dernière politique de relance menée par le gouvernement se solde par un échec. Les effets pervers engendrés par ces politiques sont mis en avant: inflation générée par des politiques salariales (spirale prix- salaires), endettement des entreprises, étroitesse des marchés, système financier trop cloisonné, croissance ralentie et chômage ne cessant de progresser, etc. Transition Une réflexion sur l’efficacité de l’action de l’État mais aussi sur la pertinence de ses interventions est donc menée. On assiste alors au développement des idées « libérales » et à leurs applications concrètes dans l’économie. 2. Une vision libérale de l’État qui tend à s’imposer A. Dans le cadre de la pensée économique •• l’école monétariste ; •• la nouvelle économie de l’offre. B. Mais aussi dans le cadre des politiques économiques •• •• •• •• politiques budgétaires restrictives ; politiques monétaires restrictives ; politiques fiscales tendant à réduire l’impôt ; régulation des activités par le marché (déréglementation, décloisonnement, désintermédiation). Conclusion Le passage d’une conception « étendue » de l’État à une pensée plus critique des interventions étatiques s’est effectué au cours des deux dernières décennies du siècle dernier. Cette réflexion critique tend progressivement à s’imposer. Toutefois, il s’avère que dans les pays à tradition libérale les politiques économiques ont emprunté à différents courants théoriques : elles ont été qualifiées de « Policy mix ». Enfin, cette réflexion sur l’État doit aussi, et de plus en plus, s’inscrire dans le cadre international. En effet, la mondialisation et ses effets nécessitent une réflexion sur la régulation mondiale. Un nouveau débat s’organise donc autour des compétences respectives des États membres des différentes intégrations régionales et ces nouvelles structures économiques. 32 B421-TE-12-12