LA PHILOSOPHIE ET L`AFRICANITE :

publicité
LA PHILOSOPHIE
ET L'AFRICANITE
critique d'un intellectualisme
fermé
:
Collection Ouverture philosophique
dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions
qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y
confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle
est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils
soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines,
sociales ou naturelles, ou. .. polisseurs de verres de lunettes
astronomiques.
Dernières parutions
Mahamadé
SA V ADOGO,
Philosophie
et histoire, 2003.
Roland ERNOULD, Quatre approches de la magie, 2003.
Philippe MENGUE, Deleuze et la question de la démocratie, 2003.
Michel ZISMAN, Voyages, Aux confins de la démocratie,
mathématicien chez les politiques), 2003.
Xavier VERLEY, Carnap,le symboliqueet laphilosophie, 2003.
(Un
Monu M. UWODI
LA PHILOSOPHIE
ET L'AFRICANITE
critique d'un intellectualisme
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
FRANCE
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRffi
fermé
L'Harmattan Italia
Via Bava, 37
10214 Torino
ITALIE
:
(Ç)L'Harmattan, 2003
ISBN: 2-7475-4512-1
REMERCIEMENTS
Cet ouvrage a vu le jour grâce au soutien inestimable de
beaucoup de personnes auxquelles l'auteur veut exprimer son
immense gratitude. En commerçant par les professeurs qui
l'ont beaucoup aidé pendant ses études; il remercie
infiniment Monsieur le professeur émérite Bernard
BOURGEOIS, Madame le professeur Hélène POLITIS et
tous les autres professeurs et enseignants qui ont formé son
esprit critique. Leur présence tout au long de son parcours
académique fut importante et très appréciée.
Il aimerait remercier spécialement Madame Françoise
MAQUIGNY de l'avoir aidé à corriger le manuscrit final. Il
remercie quelques personnes qui lui tiennent profondément à
cœur; sa très chère petite princesse Althéa Ojoma, Tameka
Gavin et à tous les amis qui, d'une manière ou d'une autre, ont
contribué à l'aboutissement de cet ouvrage. Il remercie
chaleureusement ses parents, ainsi que ses frères et sœurs,
pour leur soutien dans la vie. Et à tous, une fois encore, Il
adresse un très vif MERCI!
INTRODUCTION GENERALE
Ce livre est un essai qui tente de porter un regard critique
sur quelques travaux déjà effectués dans le domaine de la
philosophie en Afrique. Nous louons profondément les efforts
considérables de tous les intellectuels africains et
sympathisants de l'Afrique dans ce domaine. Nous allons en
effectuer une lecture critique; bien que nous reconnaissions
leurs mérites inestimables, nous pensons que, pour aller
encore en avant, il nous faut encore davantage d'efforts
intellectuels pour dépasser ce qui existe déjà. Dans ce livre,
nous suivons une méthode critique, non pas parce que nous
nous sous-estimons les riches travaux intellectuels qui ont été
effectués par nos aînés, mais nous voulons reconnaître cette
initiative louable et nous comptons sur eux pour faire encore
mieux, et, ils en ont incontestablement la capacité. Ce livre
n'est pas, non plus, une louange d'une quelconque
particularité culturelle africaine. Nous pensons que la
philosophie n'est pas une science de la louange culturelle,
mais une science critique du savoir humain. Aussi, dès le
départ, nous essayons de faire dans cette œuvre une réflexion
philosophique.
Dans le monde technico-scientifique moderne qui
caractérise les pays occidentaux, beaucoup de personnes se
demandent si le rationalisme philosophique est encore
nécessaire pour comprendre la réalité quotidienne de
l'homme. Cette question s'explique, principalement dans le
monde occidental dominé par l'avancée considérable de la
science et de la technologie, et où le rationalisme est accusé
«de soutenir une pensée rétrograde». Cette accusation est
fondée sur le fait que la philosophie, après avoir contribué à
la naissance de la science, semble maintenant dépassée par
les événements scientifiques de l'époque moderne.
Cependant, il ne faut pas oublier le rôle extraordinaire
que le rationalisme philosophique a joué dans le
développement de la science et de la technologie. Comme
Jacques Lemaire et ses collègues se le demandaient
justement, dans une publication faisant suite à un colloque
sur le rationalisme qui s'est tenu en 1991 à Bruxelles1 : où
serait la science moderne sans le rationalisme?
Nous
soulignons ici que l'interrogation qui se porte sur l'importance
du rationalisme
philosophique
dans notre monde
d'aujourd'hui ne doit en aucun cas perturber notre idée du
rationalisme, ou nous en faire perdre le fondement. Le
rationalisme, qu'il soit philosophique ou scientifique ou
économico-politique ou artistique ou religieux, demeure le
chemin incontournable de la science et de la connaissance
tout entière. La science moderne ne peut pas nier ce fait.
Grâce au rationalisme philosophique, les pays développés
réalisent
aujourd'hui
d'inestimables
merveilles
technologiques. Si l'effet du rationalisme se concrétise ainsi,
il est donc très important que les pays «non encore»
développés (les pays du tiers-monde, donc les pays africains
qui comptent parmi les premiers d'entre eux) empruntent cette
voie qui mène à la connaissance. C'est dans cette perspective
que nous souhaitons
comprendre
le rationalisme
philosophique. Aussi, dans ce livre, le rationalisme est-il
considéré dans son étendue la plus large possible. Le
rationalisme sous-entend ici la libre action de la raison
humaine dans son activité pour comprendre l'essence des
choses.
1 Dossier édité par Jacques LEMAIRE, Le rationalisme est-il en
crise?, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, collection "La
pensée et les hommes", 1991.
8
Dans ce livre, l'Africanité est comprise comme « un outil
conceptuel qui permet d'appréhender ce qui est commun aux
différentes civilisations africaines ».2 L'Africanité est donc
l'essence de la' particularité culturelle africaine. Nous
aimerions souligner que l'Afrique connaît, depuis toujours,
des crises multiples. La question de la crise en Afrique est
d'une évidence éclatante. Il ne s'agira pas, pour nous, de
considérer les crises africaines dans leur multiplicité, mais
plutôt dans ce qui est au fond même de toutes ces crises.
La situation socio-politique de l'Afrique actuelle incite
des chercheurs à orienter leurs investigations vers le
fondement de ces crises. Tidiane Diakité, par exemple, a fait
un bilan du développement politico-économique
en
Afrique; il est parvenu à la conclusion que les crises
africaines trouvent les trois quarts de leur raison d'être, à
l'intérieur du continent. Il explique que, quoique l'Afrique
possède d'énormes richesses naturelles et humaines, elle subit
une énorme crise socio-politique. Pourquoi? A la recherche
d'une réponse, Diakité énumère le potentiel économique
extraordinaire de l'Afrique au Sud du Sahara. Il dit, par
exemple, que «l'Afrique noire représente 70 % de la
production mondiale de cacao, 50% de celle d'huile de palme,
30 % de la production de café. Elle renferme 97 % des
ressources mondiales de platine, 65 % de celles de cuivre »,3
et, par ailleurs:
2 Jacques MAQUET, Africanité traditionnelle et moderne, Paris,
Présence Africaine, 1967, pp. 10-15, cité dans Patrick TORT et Paul
DESALMAND, Sciences humaines et philosophie en Afrique: la
différence culturelle, Paris, Editions Hatier, 1978, p. 19.
3 Source des chiffres: Publications de l'Institut Universitaire de
Hautes Etudes de Genève, cité dans Tidiane DIAKITE, L'Afrique malade
9
«l'Afrique noire recèle d'importants gisements de pétrole le long du
littoral de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale. Le fer est présent
partout dans la cuirasse latéritique. Le Katanga (ancien Zaïre) et la
Zambie fournissent 22 % du cuivre mondial. L'Afrique possède d'énormes
quantités de plomb, de zinc et elle est très riche en métaux d'alliage: le
Gabon, l'Angola, la République sud-africaine fournissent 43 % de la
production mondiale. Le Zimbabwé et l'Afrique du Sud fournissent 41 %
de la production mondiale de chrome. L'Afrique noire fournit également
une grande partie de l'uranium et 60 % de l'or mondial, la plus grande part
des diamants, de la pierre de joaillerie ou industrielle. (00')Dans le secteur
industriel également, le potentiel économique de l'Afrique est assez
impressionnant».4
A toutes ces ressources naturelles s'ajoutent d'énormes
ressources humaines. Selon Diakité, « la population africaine
se caractérise en effet par sa jeunesse: plus de 50 % de cette
population. a moins de vingt ans. Quelle somme d'énergie et
d'espérance! ».5 Malgré ces ressources, l'Afrique se noie dans
des crises socio-politiques et économiques. On doit alors se
demander où se trouve le fondement réel des crises africaines.
Pour sa part, Jacques Giri tente d'être encore plus
réaliste, en constatant qu'il y a partout en Afrique «échecs
des agricultures, dégradation du milieu naturel, crise du
développement industriel, déclin des mines, problème de
l'énergie ». Il annonce que «l'Afrique va disparaître de la
carte du commerce mondial» parce qu'«elle s'est tellement
endettée qu'elle est acculée à la faillite». Il se demande,
comme beaucoup d'autres, où se situe le fondement de ces
crises:
«est-ce la faute des conditions naturelles? De
d'elle-même, Paris, EdÜions Karthala, 1986, p. 15. ( ces chjffres sont
toujours d'actualités)
4 Etude de la Banque Mondiale, 1980, citée par Diakité (1986), p.
16.
5 Ibid, p. 18.
10
l'environnement international? De politiques incohérentes
conçues par des gouvernants incompétents? Ou la crise
trouve-t-elle ses racines dans les sociétés africaines ellesmêmes
?». 6
Les recherches intellectuelles entreprises par quelques
africanistes tentent jusqu'à présent de limiter cette
problématique africaine à la relation Europe-Afrique. Par
exemple, Waltey Rodney voit dans la civilisation occidentale
la source de cette crise. Son ouvrage a bouleversé le monde
noir et il a beaucoup intrigué les élites africaines. Depuis lors,
tout problème africain se voit défini, d'une manière ou d'une
autre, par rapport à l'Europe. L'origine de tout problème
africain est automatiquement renvoyée à la relation EuropeAfrique, et surtout au colonialisme. Le politologue nigérian
Okwudiba Nnoli tient même Je colonialisme pour responsable
de la politique ethnocentrique au Nigeria et en Afrique en
général. Quelques grandes personnalités africaines sont allées
jusqu'à réclamer de l'Occident une réparation. Par exemple,
un grand homme d'affaires et supposant gagnant de l'élection
présidentielle du 1992 au Nigeria, Monsieur Moshod K.O.
Abiola, a fait des efforts considérables grâce au soutien de
Monsieur Dudley Thompson, l'ancien Ambassadeur de la
Jamaïque au Nigeria, pour promouvoir cette idée de
réparation; ceci a conduit l'Organisation de l'Unité Africaine
(O.U.A. maintenant l'Union Africaine; U.A.) à former un
Comité International de Réparation (C.I.R.).7 Ce Comité
avait pour but d'amener l'Europe à prendre conscience du mal
que le colonialisme (et surtout la traite des esclaves) a fait en
6 Jacques GIRl, L'Afrique en panne,.
vingt-cinq ans de
"Développement", Karthala, 1986, page de couverture.
7 R. MaRDI, "Africans Fight Back" in The African Guardian, 17
mai 1993, p. 3 I.
11
Afrique, afin de tenter de réparer ce mal. La plupart des
recherches faites jusqu'à maintenant, donnent l'impression
que leur premier but était de trouver des boucs émissaires
extérieurs aux crises africaines, ce qui est étonnant. Nous
avons la conviction que la présente recherche nous aidera à
saisir l'essence
de cette problématique,
et nous
comprendrons, ainsi, que les crises en Afrique trouvent peutêtre leurs sources à l'intérieur même de la culture
africaine; probablement, nous découvrirons qu'aucun facteur
extérieur n'en est directement responsable.
Beaucoup de chercheurs, surtout dans le domaine des
sciences humaines, passent leur temps à creuser dans le passé
africain afin de retrouver une identité originelle qui soit
authentiquement africaine. Pour un grand nombre de
chercheurs africanistes, la société africaine d'aujourd'hui est
une déformation occasionnée par le colonialisme. Le passé
africain pré-colonial recèle donc, selon eux, la véritable
authenticité africaine. Sous l' œil sympathisant de l'Occident,
tous les chercheurs (étudiants et professeurs) ont été
encouragés à effectuer leurs recherches sur le passé africain.
On espérait trouver un tondement concret à partir duquel une
société africaine nouvelle pourrait être construite. Au début,
les encouragements venant de l'Occident visaient à inciter les
Africains à comprendre leur situation particulière, afin qu'ils
parviennent à découvrir une issue possible à l'impasse sociopolitique dans laquelle se trouve ]a société africaine.
Malheureusement, ce mouvement a abouti à la constitution
d'un critère par lequel les intellectuels africains distinguent
les Africains authentiques des Euro-Africains. Les EuroAfricains sont ceux qui ont subi une sorte de «lavage de
cerveau» de la part de la civilisation européenne et qui
n'arrivent pas à s'en détacher. C'est ainsi que tous les
Africains ont été contraints de défendre la thèse d'une
12
originalité africaine, dans n'importe quel domaine d'étude.
Pour ces africanistes, la société traditionnelle africaine, si elle
n'avait pas eu la malchance de connaître l'expérience
coloniale, avait tout ce qu'il lui fallait pour être une société
économiquement, politiquement, moralement, et même
scientifiquement, développée.
La philosophie en Afrique n'a pas pu échapper à ce
malentendu. La plupart des philosophes professoraux, assez
nombreux en Afrique aujourd'hui, pensent que la philosophie
est une révélation culturelle. Ils pensent ainsi qu'une étude
minutieuse de la culture africaine peut donner une
philosophie authentiquement africaine. Mais la principale
question est de savoir dans quel domaine nous pouvons
inscrire la philosophie populaire fondée sur la croyance
populaire et culturelle d'un peuple comme une étude
scientifiquement philosophique? La volonté d'affirmer une
rationalité culturelle originelle pousse les chercheurs africains
à rejeter l'objectivité de la connaissance en tant que telle, et à
ne plus voir la spécificité intellectuelle des disciplines
universitaires. Il nous semble qu'un rejet se produit chaque
fois qu'il y a questionnement sur l'africanité intellectuelle.
Les intellectuels africains pensent qu'il faut retrouver
l'Afrique authentique dans sa propre culture, afin de pouvoir
proposer des solutions africaines aux problèmes africains.
N'est-il pas pensable que la volonté de rejeter l'autre pour
affirmer le soi, soit inversement la volonté de rejeter le soi
pour affirmer l'autre? Jusqu'où peut-on rejeter l'autre pour
s'affirmer soi-même? N'est-il pas vrai qu'un rejet catégorique
de l'autre peut empêcher une affirmation authentique de soi?
L'Afrique pense pouvoir affirmer son originalité culturelle en
niant le colonialisme et le néocolonialisme. Mais ne se
méconnaît-elle pas dans ce rejet catégorique de l'autre
s'exprimant dans le colonialisme?
13
Cette négation radicale de l'autre fut une méthode
employée pour lutter contre la domination de l'impérialisme
occidental et le résultat immédiat fut l'indépendance politique
des pays africains. Malgré la liberté politique acquise par
l'Afrique lors de l'indépendance, le continent s'enfonce de
plus en plus dans un abîme de décadence socio-politique et
économique. Il est donc temps de se demander s'il n'y aurait
pas, pour le monde d'aujourd'hui, quelque chose à changer
dans cette méthode. La liberté dont l'Afrique avait vraiment
besoin était-elle essentiellement et seulement cette liberation
de la politique coloniale ou était-elle quelque chose de plus?
La philosophie devrait aider l'Afrique à se comprendre pour
saisir l'essence de sa situation actuelle, mais, la volonté
d'affirmer une originalité culturelle a malheureusement vidé
la philosophie en Afrique de sa substance objective et
universelle. Nous pensons fortement qu'il est temps que la
philosophie en Afrique se libère de l'emprise de la
considération culturelle, afin de passer cette culture, ellemême, au crible de la critique intellectuelle. Nous voulons
savoir dans quelle perspective la culture africaine permet à
l'intelligence humaine de s'interroger pour avoir accès à
l'objectivité des phénomènes. Autrement dit, la liberté
rationnelle existe-t-elle dans la culture traditionnelle
africaine? Dans quelle perspective une culture fondée sur la
croyance religieuse permet-elle la liberté rationnelle pouvant
questionner le fondement
de son être? Sans la liberté
rationnelle peut-il y avoir une philosophie? La liberté que
l'Afrique
cherche,
depuis
toujours,
s'inscrit-elle
nécessairement dans l'affirmation de la particularité de sa
culture traditionnelle ou bien s'inscrit-elle dans l'objectivité
de son être en tant que tel? La liberté authentique dont
l'Afrique a besoin pour son bien-être, n'est-elle pas dans la
connaissance d'elle-même comme particularité par laquelle
14
l'universel se dévoile?
Comment peut-elle comprendre
l'essence de sa particularité dans une réalité culturelle
marquée par la croyance mythique? La croyance peut-elle
permettre à l'homme africain d'accéder à l'universel afin de
comprendre et de réaliser son être comme étant libre en soi et
pour soi?
Nous limiterons notre étude de l'Afrique à la partie du
continent qui se situe au Sud du Sahara, c'est-à-dire l'Afrique
noire. La réalité vitale que nous traitons par rapport à la crise
socio-politique et intellectuelle se situe principalement dans
cette partie du continent. Du fait de ses rapports continuels
avec l'Occident et l'Orient depuis toujours, l'Afrique du Nord
ne nous offre pas la même image que l'Afrique au Sud du
Sahara. Il est évident que les mêmes phénomènes se
répandent partout en Afrique, au Nord comme au Sud, et que
le Nord a eu beaucoup d'influence sur le Sud. Nous
continuerons de souligner que, malgré ces influences dont
nous ne sous-estimons pas l'ampleur, l'Afrique au Sud du
Sahara véhicule l'image des crises qui nous intéressent. Une
autre justification de cette délimitation réside dans le fait que
l'Afrique du Nord est très influencée par une religion
monothéiste: l'Islam. Une analyse de cette culture nous
détournerait du fond du problème. Par exemple, si nous
cherchons à savoir si la culture traditionnelle africaine
permettrait l'expression de la notion de liberté rationnelle
(autrement dit: la raison trouverait-elle une libre expression
dans cette culture ?), il nous faudrait connaître d'abord ce qui
constitue la culture traditionnelle islamique. Cela nous
entraînerait obligatoirement à l'origine de l'islamisme et
impliquerait d'étudier l'histoire d'un autre pays, d'un autre
continent. Ce détour n'est pas d'une nécessité absolue quant à
la problématique de notre étude. Nous sommes convaincus
que cette délimitation ne nous empêchera pas d'effectuer des
15
analyses générales concernant l'Afrique, puisque nous faisons
une étude philosophique, c'est-à-dire l'étude de l'universel.
Pour bien situer la problématique de notre étude, nous
allons proposer, dans un premier temps, une étude critique de
la réalité culturelle et historique de l'Afrique. Ceci est
indispensable pour comprendre, en premier lieu, que les
crises africaines ne sont pas nées avec l'humanité africaine,
mais que ces crises se sont développées avec le temps. Nous
allons essayer de montrer que le fondement de ces crises
africaines se trouve dans un repli sur soi de la culture
africaine, repli auquel la croyance a grandement contribué.
Nous verrons que ce caractère de repli sur soi a occasionné un
retard dans l'évolution historique de l'Afrique. Ensuite, quel
rôle les intellectuels africains ont-ils joué dans l'historicité
culturelle africaine? Comment les élites africaines ont-elles
compris cette problématique de la crise africaine, soit dans sa
dimension sociale et politique, soit dans sa dimension
purement intellectuelle?
Dans un second temps, nous tenterons de saisir l'essence
même des crises à la lumière de l'objectivité rationnelle.
Comment la philosophie rationaliste peut-elle aider rAfrique
à trouver des solutions convenables à ses nombreuses
crises? La philosophie rationaliste doit faire naître l'homme
en tant que tel, c'est-à-dire ayant conscience qu'il est un être
fondamentalement rationnel, libre en soi et pour soi. Il faut
que l'homme en Afrique soit libéré de l'emprise culturelle, de
la croyance mythique et de la pensée religieuse qui ne tolèrent
aucune contradiction ni opposition d'idées. C'est seulement
dans l'expression de la liberté rationnelle que la philosophie
trouve sa véritable essence. Comment la philosophie pourraitelle trouver son essence dans le continent africain
d'aujourd'hui?
16
PREMIERE PARTIE
ETUDE CRITIQUE DE LA REALITE
HISTORIQUE ET CULTURELLE
AFRICAINE
INTRODUCTION
Les découvertes archéologiques nous ont appris que
l'Afrique est probablement le berceau de l'humanité. Même si
la vérité de cette affirmation est encore contestée, nous
continuerons de la soutenir jusqu'à preuve du contraire. Le
propos central de cette étude ne nous conduira pas à entrer
très profondément dans cette contestation, néanmoins, il nous
suffit de mentionner ce qui a été mis en exergue par R. Oliver
et J.D. Fage concernant cette contestation qui se trouve
formulée chez les théologiens et quelques paléontologues. Ils
soulignent que les théologiens n'admettent, comme origine de
l'homme, que l'idée d'une création divine et les
paléontologues n'ont eux que très récemment les preuves de
cette affirmation. En effet, ce fut après les découvertes de
squelettes et d'outils par R.A. Dart (le premier en 1924) dans
la grotte de Taung (Lesotho, Afrique australe), et après celles
faites par L. Leakey dans la fameuse gorge d'Oldowai en
Tanzanie, qu'on obtint des informations sur le plus vieux
squelette de l'homme. Il est intéressant de souligner en
passant que d'autres squelettes encore plus vieux viennent
d'être découverts dans des sites archéologiques au Tchad et en
Afrique du Sud. A l'époque de la préhistoire, dont l'équivalent
se trouvait en Occident ou ailleurs, différentes civilisations se
sont succédées sur le continent africain.
La question est donc la suivante: pourquoi les vestiges
culturels de ces civilisations n'ont-ils pas pu résister au
temps? Dans cette partie de notre travail, nous allons
examiner au plus près la situation historique de l'Afrique et
d'étudier comment cette situation l'a aidée à former sa
personnalité culturelle.
19
Téléchargement