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MERGENCE DU NEUROMARKETING
:
APPORTS ET PERSPECTIVES
POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS
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Olivier Droulers
Professeur des Universités
CREM UMR CNRS C 6211
Université de Bretagne Sud
e-mail :
Bernard Roullet
Maître de Conférences
PRISM
Université de Paris 1 Panthéon – Sorbonne
e-mail :
Bernard.Roullet@univ-paris1.fr
à paraître dans Décisions Marketing
* Les auteurs ont contribué de façon équivalente à cet article.
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MERGENCE DU NEUROMARKETING
:
APPORTS ET PERSPECTIVES
POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS
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RESUME : Les progrès accomplis récemment par les neurosciences ont permis une
révision complète de la compréhension du fonctionnement cérébral. Une révolution est
en marche, bouleversant les paradigmes établis en sciences humaines. Le marketing,
après avoir assimilé successivement les concepts de psychologie générale puis de
psychologie cognitive, doit aujourd’hui s’approprier les notions et concepts des
neurosciences pour garder sa place au sein des sciences sociales et humaines.
MOTS-CLES : neurosciences, neuromarketing, imagerie cérébrale, épistémologie.
ABSTRACT: Recent breakthroughs in neuroscience entailed a complete revision of
our understanding of brain functioning. A revolution is under way, reshuffling
established paradigms and tenets in social sciences. After having integrated successive
concepts in general and cognitive psychology, marketing research must embrace notions
and concepts of cognitive and affective neuroscience, so as to maintain its position and
stance in social sciences.
KEY WORDS: neuroscience, neuromarketing, brain imaging, epistemology.
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MERGENCE DU NEUROMARKETING
:
APPORTS ET PERSPECTIVES
POUR LES PRATICIENS ET LES CHERCHEURS
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L’objectif de ce travail est de faire le point sur une pratique émergente en marketing : le
neuromarketing. Les auteurs proposent une définition, puis présentent les méthodes
d’imagerie cérébrale. En s’appuyant sur les premiers travaux scientifiques réalisés, les
premières applications managériales sont envisagées après examen des critères éthiques,
méthodologiques, financiers et consuméristes nécessaires à leur implémentation.
Introduction
En 2004, la plupart des grands quotidiens ou hebdomadaires américains se sont fait
l’écho d’une étude réalisée par l’équipe du Pr. Montague (15), parue dans Neuron, un
journal scientifique renommé. L’information devait être ensuite relayée par quelques
quotidiens français. La teneur générale des articles oscillait entre une vague curiosité et
une hostilité affichée. La publication en question démontrait à l’aide de techniques
d’imagerie cérébrale fonctionnelle que la notoriété et l’image d’une marque de cola
influaient fortement sur l’appréciation de la perception gustative réelle. Pour la première
fois, on pouvait objectivement montrer grâce à des techniques médicales et
neuroscientifiques2, l’influence du capital de marque sur les jugements de préférence,
une problématique purement marketing. Rapidement, des cabinets conseils spécialisés
parfois émanant de départements universitaires ont été créés afin de proposer leurs
services aux grands groupes mondiaux (Cf. Tableau 1). Tout aussi rapidement, des
associations consuméristes américaines se sont emparées de cette information pour
lancer un signal d’alarme public et même exiger une enquête sénatoriale sur les
pratiques du neuromarketing et sur ses dangers présumés.
Dans l’ouvrage intitulé « Le cerveau en action », Stanislas Dehaene se demandait en
1997 « s’il sera possible à un grand laboratoire, dans 10 ou 20 ans, de pratiquer la
1 Les auteurs tiennent à remercier les lecteurs anonymes ainsi que les rédacteurs en chef pour leurs
remarques et suggestions qui ont contribué à l’amélioration de l’article.
2 Les neurosciences cognitives intègrent les champs d’étude relatifs à la mémoire, l’attention, la
perception, l’émotion et au langage. Les neurosciences affectives s’intéressent spécifiquement aux
émotions, à leurs précurseurs et à leurs effets. La neuro-imagerie étudie chacun de ces thèmes qui ont
naturellement une résonance en marketing.
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psychologie sans avoir accès aux méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle » (5). Le
nombre chaque année croissant de publications mobilisant ces méthodes (plus de 6.600
études IRM recensées à juillet 2006 ; voir Schéma 1) indique la réponse. Les chercheurs
marketing seront bientôt confrontés à une question similaire : pourra-t-on étudier le
consommateur sans avoir accès aux méthodes d’imagerie ?
« Insérer Tableau 1 ici »
« Insérer Schéma 1 ici »
Définition du neuromarketing
Devançant les gestionnaires de quelques années dans l’expérimentation
neuroscientifique (13), les économistes ont été les premiers à avancer le terme (et créer
le champ disciplinaire) de « neuroéconomie », dont la raison d’être était de mieux
comprendre les processus de décision des agents économiques à l’aide des approches de
la psychologie cognitive et des neurosciences. L’économie étant moins suspecte de
« sombres desseins mercantiles » que le marketing, la « neuroéconomie » apparaît alors
plus respectable dans les milieux de l’information. Une définition avancée par Zak est la
suivante : « La neuroéconomie est un champ interdisciplinaire émergent, qui recourt
aux techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associés aux
décisions économiques » (22).
On pourrait facilement transposer le propos dans un contexte marketing, en posant que
« le neuromarketing est un champ interdisciplinaire émergent, qui recourt aux
techniques de neuro-imagerie pour identifier les substrats neuraux associés aux
décisions et aux comportements du consommateur ». Il s’agirait donc d’un nouvel outil
destiné à éclairer de manière plus objective les processus cognitifs et intentionnels du
consommateur face à des offres marchandes. Cependant, remarquant le caractère
réducteur de cette approche nous préconisons une autre définition :
« Le neuromarketing est l’étude des processus mentaux, explicites et
implicites, et des comportements du consommateur, dans divers
contextes marketing concernant aussi bien des activités d’évaluation,
de prise de décision, de mémorisation ou de consommation, qui
s’appuie sur les paradigmes et les connaissances des neurosciences ».
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Cela signifie que nous ne souscrivons pas à une version réductrice du neuromarketing
qui consisterait en une simple appropriation de méthodologies et de techniques
objectives visant à quantifier et visualiser des phénomènes cognitifs, mais bien au
contraire, nous adhérons à une version paradigmatique, selon laquelle c’est le cadre de
pensée des neurosciences qui devrait s’appliquer à des contextes particuliers et
circonscrits de l’activité humaine, objets d’étude du marketing. En ce sens, le
neuromarketing contribuerait in fine à l’instar de la neuropsychologie cognitive ou de
la sociobiologie à l’élargissement et à l’accumulation des connaissances relatives aux
relations esprit / cerveau, tout en conservant parallèlement une finalité pratique dans la
vie des affaires. Pour simplifier, nous serions enclin à dire : les chercheurs en
comportement du consommateur ne doivent pas seulement emprunter sporadiquement
des techniques d’imagerie, mais se convertir en ‘neuropsychologues de la
consommation’, passant incidemment d’une vision comportementaliste à une vision
cognitiviste. Pour ce faire, la connaissance sinon la maîtrise des nouvelles techniques
d’études neuroscientifiques apparaît nécessaire. Dans la section suivante, nous
énumérerons succinctement les principales techniques mobilisées.
Encadré 1 : Glossaire
Amygdales cérébrales : noyaux du lobe temporal interne faisant partie du système limbique ; ses
fonctions principales concernent les activités végétatives, émotionnelles et sexuelles.
Cartographie EEG : le traitement mathématique du signal EEG, permet de tracer un spectre de
puissance qui précise la puissance de chacune des fréquences composant ce spectre. La représentation de
la distribution topographique de ces puissances sur le scalp est appelée cartographie EEG.
Cortex préfrontal (dorsolatéral ventromédian, orbitofrontal) : région corticale du lobe frontal située en
avant des aires corticales motrices ; il intervient dans la planification des comportements cognitifs
complexes ainsi que dans l’expression de la personnalité et des comportements sociaux adaptés.
Cortex : substance grise des hémisphères cérébraux et du cervelet comprenant la majeure partie des
neurones de l’encéphale.
Cyclotron : accélérateur de particules circulaire permettant la production de radioéléments tels que
l’oxygène 15 (15O), le carbone 11 (11C), ou le Fluor 18 (18F).
Electromyographie (EMG) : technique d'exploration des muscles basée sur l'étude et le recueil
(électromyogramme) des potentiels électriques de repos et d'action.
Gyrus fusiforme (ou gyrus occipito-temporal) : circonvolution médiane du lobe temporal qui est activée
lors des traitements visuels de la couleur, de la reconnaissance des visages et du traitement visuel d’objets
d’expertise.
Hémisphère : les hémisphères cérébraux sont les parties droite et gauche du cerveau, reliées par le corps
calleux.
Hippocampe : structure corticale bilatérale et symétrique, repliée sur elle-même, située dans la face
médiane du lobe temporal et faisant partie du système limbique. Il joue un rôle dans la mémoire spatiale
ainsi que dans la consolidation de la mémoire.
Imagerie cérébrale fonctionnelle : s’oppose à imagerie structurale. Cette dernière donne des images
statiques, fixes ; la première donne des images dynamiques (voir neuro-imagerie).
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