Revue Campus N°8 2
epuis quelques mois, de nombreuses voix
nous avertissent que la fin des saisons est
proche et que le ciel va un jour nous tomber
sur la tête. Prévoyance pour certains et
marketing de la peur pour d’autres.
Apparemment, il va falloir s’habituer à
la simultanéité des tempêtes et des
canicules n’importe quand et
n’importe où. Le rôle de l’homme dans
ces changements est, bien sûr,
prépondérant. Même la traditionnelle
cérémonie des prix Nobel de la paix
est passée, cette année, d’une logique
de désarmement et des droits de l’homme à une
logique de la cause pour l’environnement. Pendant
longtemps, une grande figure scientifique, James
Lovelock, le théoricien de Gaïa, affirmait que notre
planète n'est pas une simple juxtaposition de
roches, d'eau et d'air, évoluant indépendamment les
uns des autres, mais un système
où tout est imbriqué et qui se
régule automatiquement, chaque
fois qu'il arrive une catastrophe,
pour maintenir les conditions
favorables à la vie. Aujourd’hui,
le même chercheur publie un livre
où il dit qu’il ne croit pas que, cette fois-ci, la terre
soit capable de s'en sortir facilement. A moins de
réviser radicalement nos modes de vie.
Malgré cela, ceux qui détiennent les leviers de
commande d’un monde très changeant
n’écoutent personne et nous expliquent
que l’heure est à la vitesse, la
performance, la compétitivité, c'est-à-
dire plus, toujours plus, et encore plus.
Sur un autre plan, parallèle celui-là, la
violence planétaire, parfois même
entretenue, gagne du terrain. Une partie
du monde, minoritaire, veut se maintenir
au sommet pendant que l’autre fait tout
pour ne pas finir broyée en utilisant les
maigres moyens du bord. Je me souviens de ce pays
africain qui a doublé l’importation de tabac au
moment même où des pays européens interdisaient de
fumer dans les lieux publics. Quand un journaliste
voulait en savoir plus, un haut
responsable de ce pays expliquait à la
télévision que, chez lui, la première cause
de décès n’était pas le tabac. L’Afrique est
un continent riche avec une population
pauvre. La « logique » qui régit
aujourd’hui les univers économiques,
celle du « deux poids, deux mesures »
que Bourdieu appelle « logique du double
standard » contribue considérablement
au développement des inégalités et de la violence.
Alors, deux questions pertinentes se posent, « quel
monde allons-nous laisser à nos enfants ? » mais
aussi« à quels enfants allons-nous laisser ce
monde ? ». Il suffit de jeter un coup d’œil autour de
nous pour nous rendre compte que la jeunesse n’est
absorbée que par la techno-gadget avec, en plus, une
valise dans la tête. Même le langage quotidien a
changé. Par exemple, on ne dit plus « à demain »
mais « a2m1 ». Alors, l’orthographe….? Le code
remplace l’expression. Ce qui fait que la lecture et
l’écriture ne semblent plus attirer grand
monde. Même à l’université qui est le
carrefour de la connaissance par excellence,
écrire juste pour transmettre son savoir
intéresse bien peu de personnes. Beaucoup
de chercheurs, bien silencieux chez nous, ne
sont prolixes que lorsqu’ils traversent la
méditerranée. L’engouement d’une jeunesse
à vouloir bénéficier de l’expérience des aînés pour
mieux préparer l’avenir n’est pas perçu comme une
nécessité. Pourtant, partout ailleurs, jamais la science
n’a autant sollicité les universitaires, les philosophes et
les écrivains comme elle le fait maintenant pour dire et
comprendre le monde. La réflexion s’organise partout,
souvent à l’occasion de la sortie d’un ou
plusieurs livres autour desquels des
débats sont menés. Une chose est sûre,
la littérature sera toujours le meilleur
antidote contre l’immobilisme et la
passivité car elle permet de défaire les
crampes mentales. En effet, c’est dans la
sérénité qu’on peut intégrer des créneaux d’avenir
comme la recherche et l’innovation. Avec du sens et de
la mesure, on peut sûrement éviter le bas de la
muraille. Entre-temps et heureusement d’ailleurs, les
saisons sont encore là. L’automne touche à
sa fin et l’hiver pointe son nez. Les feuilles
mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs
et les regrets aussi, dirait Prévert. Pendant
cet hiver, le manteau neigeux servira encore
d’accessoire vestimentaire à nos montagnes
qui narguent les nuages. Cela nous rappelle
la belle phrase Eluardienne reprise plus tard
par Mimouni et Djaout qui affirme que « la
terre est bleue comme une orange ». Notre
planète, aux trois quarts recouverte d'eau
nous apparaît bleue mais illuminée du rayonnement
orange du soleil. Mais, l’eau qui représente une source
d’espoir est devenue aujourd’hui une source
d’inquiétude.
En définitive, on peut dire comme
Nietzsche que nous ne devenons que ce
que nous sommes. Nous devons peut-être
réfléchir sur les savoirs et les intégrer
pour remplacer toute méfiance stérile par
un vrai dynamisme efficace. On doit
sarcler nos pensées pour réaliser l’unité
de l’être et du paraître. Sinon, c’est la
sinistrose qui s’imposera en mode de vie.
Faut-il alors se plaindre d’être condamné
à subir la vie au lieu de la vivre ? Il n’y a pas pire
situation que de devenir des acteurs sans décor ou des
voyageurs sans visage. Dans ce cas, notre sort
risquerait d’être scellé par le célèbre paradoxe de
Coleridge. A la question « croyez-vous aux
fantômes ? », il a répondu « non, car j’en ai trop vu ».
Du Sens et de la Mesure La chronique de Hocine FELLAG