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En voici la transcription :
Charles Dullin évoque la création de l’Atelier (BnF collection Sonore – Librairie Sonore)
« Remonter à la source du théâtre, voilà la sauvegarde. Échappons à la littérature, à la conversation,
aux méfaits de la théorie. Nous bâtirons un théâtre où nous rechercherons les éléments fondamentaux
de notre art ; le tréteau : voilà notre point de départ. Nous ferons du spectacle animé par l’état d’esprit
de ces comédiens ambulants des premiers âges, sans calcul et sans inquiétude de la recette ou du
profit personnel ; et nous donnerons notre spectacle un peu partout, au hasard des villes, des villages.
Pour pénétrer jusqu’au cœur de nos auditoires nous retrouverons les éléments millénaires du théâtre.
Nous redonnerons de la valeur au geste, à la pantomime, à la musique, à la danse. J’ai songé à appeler
notre théâtre l'École nouvelle du comédien ; mais nous lui donnerons aussi un autre nom : nous l’appel-
lerons l’Atelier, un nom qui symbolise notre programme et résumera nos intentions car nos principes
reposent sur la création de l’artisanat théâtral. L’Atelier sera donc un laboratoire où nous effectuerons
nos recherches et où nous préparerons longuement, laborieusement, notre réussite. »
Antonin Artaud, qui fréquenta lui aussi l’école du théâtre de l’Atelier à ses débuts, décrit les exercices
des élèves de l’école du théâtre de l’Atelier de la manière suivante : « On joue avec le tréfonds de son
cœur, avec ses mains, avec ses pieds, avec tous ses membres. On sent l’objet, on le hume, on le palpe,
on le voit, on l’écoute, et il n’y a rien, il n’y a pas d’accessoires. Les Japonais sont nos maîtres directs,
et nos inspirateurs. »
Un « théâtre total »
L’enseignement de Dullin est aussi présent dans le théâtre « total » tel qu’il est conçu et pratiqué par
Barrault, du jeu centré sur le corps à la langue foisonnante de Claudel. Jean-Louis Barrault emploie lui-
même la formule de « théâtre total », ce qu’Olivier Py, qui fut un de ses successeurs à la tête du théâtre
de l’Odéon précise par « repenser le théâtre à partir du poème ».
On retrouve enfin chez Barrault l’ouverture aux pratiques théâtrales orientales les plus diverses, déjà
présente dans le texte d’Artaud à propos du travail de l’école du théâtre de l’Atelier, ainsi que la place
primordiale de la musique dans son théâtre, de Pierre Boulez à Michel Polnareff (pour son spectacle
Rabelais) !
c — On ne manquera aussi d’observer la diversité des théâtres où Jean-Louis Barrault a eu l’occasion de
créer, que ce soit par leur dimension ou par leur statut :
— Le premier, le Théâtre de l’Atelier est en 1931 pour le jeune Jean-Louis Barrault à la fois un
foyer, et « le grenier de l'enfance professionnelle », où il rencontre une pensée anarchiste et com-
munautaire (« Une communauté agissante et qui travaille », « un phalanstère » dit Christian Schia-
retti,). Il est amusant de noter qu’en 1935, alors que Jean-Louis Barrault crée Autour d’une mère
au théâtre de l’Atelier, Jean Vilar y fait une première figuration dans Le Faiseur ! À cette époque-là,
Jean-Louis Barrault vit et travaille dans le Grenier des Grands Augustins, où il constitue lui aussi
une communauté humaine et de création, sur fond de pensée anarchiste et libertaire.
— La Comédie Française où il va ensuite jouer et mettre en scène (1940-1946), est à l’opposé du
petit théâtre de l’Atelier, toujours endetté : c’est un grand théâtre, une institution où il joue pendant
quelques années dans les ors d’un théâtre national (même si l’administrateur nouvellement nommé
en 1940, Jacques Copeau, y insuffle un esprit de création renouvelé).
— Le théâtre Marigny où Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud s’installent en 1946 (jusqu’en
1949) est un théâtre privé (avec financement privé, essentiellement puisé dans les cachets de
cinéma de Jean-Louis Barrault), sur les Champs-Élysées, marqué par une image de divertissement
que la compagnie Renaud-Barrault ne reniera pas, mais complétera par un répertoire classique et
contemporain très riche.