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I. UN MOYEN DE PONCTION REDOUTABLE
La TVA est généralement considérée comme un impôt « efficace » et « pro-
ductif », dans le sens où elle prélève des recettes fiscales importantes de
manière relativement indolore pour le contribuable. Ainsi génère-t-elle une
moins forte résistance fiscale, à l’inverse de l’impôt sur le revenu. En d’autres
termes, comme l’a dit l’économiste Jacques Garello, cette taxe facilite
« l’anesthésie fiscale »5. En parallèle, elle réduit les possibilités de contourne-
ment de l’impôt en requérant une déclaration à tous les stades du processus
de production et de distribution. Or ces considérations sont précisément à
l’origine de la conceptualisation de la TVA.
I. 1. UNE CONSTRUCTION TECHNOCRATIQUE
La taxe sur la valeur ajoutée a été conçue dans les années cinquante, lors de
la transition du capitalisme monopolistique d’État à un système moins diri-
giste6. Dans le cadre des réformes structurelles que connaissait le pays après
la Libération, ses concepteurs souhaitaient en effet que l’impôt, considéré
jusqu’alors comme un simple instrument budgétaire servant avant tout au
financement de l’État, devienne un véritable outil de politique économique.
Cette lente transformation du fisc passe par la création, en 1948, de la direc-
tion générale des Impôts, destinée à regrouper les anciennes régies finan-
cières. La nouvelle génération d’inspecteurs des finances ambitionne alors
de remodeler en profondeur le système fiscal. Mais la réalité budgétaire la
conduit à procéder une nouvelle fois à une forte augmentation des impôts,
avant de reprendre ses efforts de réformes.
C’est le fonctionnaire Maurice Lauré, alors jeune inspecteur des finances,
qui décrira pour la première fois, en 1952, le mécanisme de la TVA dans un
rapport7. Le ministre des Finances, Antoine Pinay, dépose un projet de loi la
même année. Adoptée en 1954, la nouvelle taxe permet au gouvernement
de défiscaliser les immobilisations des entreprises industrielles : de même
que l’on étudie actuellement l’opportunité de compenser une baisse des
charges salariales par un relèvement de la TVA pour favoriser l’emploi, on
envisageait alors de mettre en place une politique de forte incitation à l’in-
vestissement. Cette mesure se rattachait à une stratégie de désengagement,
certes très partiel, de l’État dans l’économie. La TVA en vint ainsi, de façon
tout à fait paradoxale, à se voir qualifier de « libérale », car son introduction
était perçue comme l’expression politique d’un interventionnisme étatique
moins dominant dans le financement des investissements.
Impôt
« indolore »,
la TVA génère
une moins forte
résistance fiscale
que l’impôt sur
le revenu.
5. Jacques Garello, « La TVA à 5,5 % : c’est pour bientôt », éditorial, La Nouvelle Lettre, n° 864, 28 janvier 2006.
6. Cf. Frédéric Tristram, « Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale en
France de 1948 à la fin des années 1960 », Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.
7. Maurice Lauré (1917-2001), qui deviendra directeur adjoint de la direction générale des Impôts, est également
à l’origine de l’idée d’une taxe protectionniste sur les importations en provenance des pays à main-d’œuvre bon
marché, connue sous le nom de taxe Lauré et récupérée par les mouvements socialistes « altermondialistes » ;
cf. Bernard Cassen, « Inventer ensemble un protectionnisme altruiste », Le Monde diplomatique, février 2000.