L erreur, la faute civile et la faute pénale

publicité
Droit et éthique
L’erreur, la faute civile
et la faute pénale
La loi du 10 juillet 2000 redéfinit la faute
pénale involontaire
G. Devers*
Parmi l’amoncellement des textes nouveaux, tous n’ont pas
la même importance. C’est avec une réelle satisfaction que,
parmi cette production intensive, on relève l’existence d’un
texte phare. La loi du 10 juillet 2000 était la 647e votée
cette année… mais c’est un texte essentiel. Intervenue dans
le cadre d’un consensus politique, elle clôt de très longs
débats et marque une étape : la fin de l’identité de la faute
civile et de la faute pénale. Examen pas à pas, dans un
domaine où la confusion est reine.
a question du délit non intentionnel peut
L paraître technique, mais elle est essentiel-
L’erreur ou la faute ?
* Avocat au Barreau de Lyon.
Dès le premier code pénal de 1808 a été posé
pour principe qu’en cas de dommage corporel
la responsabilité pénale pouvait être engagée
sans qu’il y ait intention de nuire, dès lors
qu’était caractérisée une faute d’imprudence
ou de négligence. Cette règle très ancienne
est encore parfois méconnue : il n’est pas
nécessaire qu’il y ait eu intention de nuire
pour être passible du tribunal correctionnel.
La règle a son sens, parce qu’il s’agit de protéger la plus importante des valeurs, la vie
humaine. Mais pour exigeante qu’elle soit, la
règle n’est pas sans limite. La responsabilité
pénale est engagée si le fait générateur, involontaire, peut être qualifié de fautif.
L’imprudence ou la négligence, qu’elles
soient d’action ou d’abstention, caractérisent
la faute. En matière médicale, c’est le fondement de la responsabilité. Par là, on distingue
la faute et l’erreur.
L’erreur est un acte qui se révèle inapproprié,
alors qu’il répond aux prescriptions de pru-
le. La majorité des plaintes pénales déposées
à l’encontre des praticiens est fondée sur
cette notion de faute pénale non intentionnelle, soit blessure involontaire, soit homicide involontaire. Plus récemment, les élus
locaux ont découvert comment ce texte pouvait les conduire devant le tribunal correctionnel. La préparation de la loi, mal menée
(malmenée ?), a pu laisser croire que
n’étaient concernés que les décideurs
publics. Or, ce texte est d’application générale, même s’il intéresse plus particulièrement ceux qui sont en situation de décision
et dont la responsabilité peut être mise en
cause indirectement. Par leur décision ou
leur absence de décision, ils ont indirectement causé le dommage. C’est le cas du
directeur d’établissement mais c’est aussi
celui du médecin qui prescrit un traitement
ou qui organise son service.
dence et de diligence. On peut s’être trompé
sans avoir commis de faute. Une erreur de
diagnostic ne devient une faute de diagnostic
que si les examens attendus n’ont pas été
prescrits ou si leur analyse relève une incompétence dans l’interprétation.
On doit rapprocher de l’erreur la notion
proche qu’est l’aléa thérapeutique. On
confond parfois erreur et aléa. Or, l’erreur est
une appréciation inexacte qui ne traduit pas
de manquement à la précaution nécessaire,
alors que l’aléa est un acte non discutable,
mais qui a généré un résultat inattendu et non
maîtrisable. C’est l’hypothèse d’un acte chirurgical non critiquable qui a entraîné des
complications imprévues. C’est encore la
décision prudente, mais qui laisse une part au
risque, d’un médecin psychiatre qui après un
examen attentif, décide la sortie d’un patient
hospitalisé suite à une tentative de suicide.
L’erreur respecte la part d’incertitude inhérente à tout acte médical. Elle ne doit pas être
pénalement sanctionnée. L’impunité de l’erreur permet au praticien de prendre le risque
nécessaire. Cette notion d’erreur doit rester
strictement entendue. En droit médical, il ne
peut pas y avoir d’erreur grave. Une erreur
grave doit être qualifiée de faute. En
revanche, une erreur peut entraîner de graves
conséquences : elle ne devient pas une faute
pour autant.
Les praticiens doivent veiller à défendre ce
droit à l’erreur et admettre le principe de la
sanction des fautes involontaires. À l’évidence, la distinction entre erreur et faute involontaire est ténue. Dans la pratique judiciaire,
c’est le principe de l’opportunité des poursuites du Parquet, ou l’appréciation du tribunal, qui souvent établit l’équilibre. Une
meilleure information des patients victimes
permettrait d’éviter des plaintes pénales
déposées au regard de la gravité du dommage
et non de la réalité de la faute, ce alors même
que les procédures orientées vers l’indemnisation offrent un terrain plus favorable aux
victimes. Il n’en reste pas moins que la distinction a un sens et qu’il ne peut y avoir de
condamnation pénale qu’en cas de faute, futelle involontaire.
86
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 2, mars-avril 2002
Droit et éthique
La nouvelle faute pénale
involontaire
En matière de dommage corporel, la règle est
particulièrement contraignante, car peuvent être
pénalement sanctionnées les fautes qui ont participé à la survenance du dommage. Le préjudice
étant certain, l’auteur direct du préjudice peut
être sanctionné ; mais l’auteur indirect du préjudice peut l’être aussi. L’analyse de la faute pénale
involontaire suppose une double appréciation :
sur la faute et sur le lien de causalité, causalité
qui doit être certaine mais peut être indirecte.
C’est l’article 121-3 du code pénal qui règle la
question. Les évolutions législatives suffisent à
illustrer l’importance des enjeux. Cette notion,
ancienne, avait été remodelée lors de l’adoption
du nouveau code pénal, en juillet 1992. La loi
du 16 mai 1996 avait opéré une première modification. Une seconde est intervenue par la loi
du 10 juillet 2000. Cet article, l’un des piliers du
code pénal, a ainsi subi trois modifications en
moins de dix ans. On aurait pu souhaiter un processus plus linéaire, mais on doit constater que
la nouvelle rédaction de l’article 121-3
témoigne d’une réelle cohérence. Lors de la préparation de la loi, les associations de victimes
ont fait connaître leurs préoccupations, concourant ainsi à l’adoption de ce texte de compromis
qui paraît équilibré. Il reste à savoir l’application qu’en fera la jurisprudence. Le droit nouveau mettra quelque temps à se stabiliser.
La loi ne crée pas de véritables bouleversements
mais confirme une césure qui était latente dans
la jurisprudence : la distinction de la faute pénale et de la faute civile. Le droit sera désormais
plus exigeant quand il s’agira d’apprécier la
faute civile, alors que la faute pénale bénéficiera, d’une manière modeste mais certaine, d’une
part de bienveillance. En application des principes généraux du droit pénal, cette loi “plus
favorable” s’applique aux procédures en cours.
Il convient de mettre à jour les références et de
connaître dans le détail cette disposition législative. Les juristes n’ont pas fini de débattre de
cette évolution et de ses conséquences, mais la
lecture à l’état brut et quelques commentaires
permettent de donner un premier éclairage.
Premier alinéa :
principe d’intention
“Il n’y a point de crime ou de délit sans
l’intention de le commettre.”
C’est la règle, le principe, ce qui situe les infractions
non intentionnelles dans le domaine de l’exception,
même s’il n’est pas nécessaire de revenir sur l’importance de cette exception, parfaitement justifiée
quand il s’agit d’atteintes à l’intégrité de la personne.
Deuxième alinéa :
mise en danger délibérée
“Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y
a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.”
Cette notion de mise en danger délibérée est une
innovation du code pénal de 1992. La situation est
intermédiaire entre l’intention et l’absence d’intention. Le législateur a estimé qu’il est nécessaire
de pouvoir réprimer pénalement avant même
que le dommage n’ait eu lieu, dès lors qu’il y a
mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
L’infraction de mise en danger de la personne
est définie par l’article 223-1 du code pénal.
“Le fait d’exposer directement autrui à
un risque immédiat de mort, de blessure
de nature à entraîner une mutilation ou
une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende.”
La création de cette infraction avait causé
quelque émoi dans le domaine médical. L’acte
médical suppose très souvent la création d’un
risque et l’on pouvait craindre des dérapages
judiciaires. La lecture du texte rassure, tant sont
prévues de barrières : risque immédiat de mort,
de mutilation ou d’infirmité permanente, violation manifestement délibérée d’une obligation
particulière de sécurité ou de prudence… Les
premières décisions de jurisprudence traduisent
cette analyse restrictive. À ce jour, les condamnations sont très rares. Toutefois, la mise en
danger d’autrui peut être relevée à l’encontre
des personnes morales, en l’occurrence les établissements de santé, et l’on sait quelques établissements, non des moindres, qui ont été mis
en examen. L’évolution est à suivre. La question
est sérieuse mais pas préoccupante. Elle laisse
la place au risque qui est inhérent à l’acte de
soin et à la prise de décision. Enfin, on doit souligner que les quantums de peine institués par la
loi sont sans rapport avec les sanctions que
seraient susceptibles de prononcer les tribunaux.
Troisième alinéa : faute
pénale non intentionnelle
directe
“Il y a également délit lorsque la loi le
prévoit, en cas de faute d’imprudence,
de négligence ou de manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, s’il
est établi que l’auteur des faits n’a pas
accompli les diligences normales compte
tenu, le cas échéant, de la nature de
ses missions ou de ses fonctions, de ses
compétences, ainsi que du pouvoir et
des moyens dont il disposait.”
Cet alinéa, qui est une modification de celle de
1996, définit les éléments qui caractérisent la
faute d’imprudence ou de négligence. Le juge doit
procéder à une appréciation in concreto. Une éventuelle sanction doit préciser les critères qui traduisent l’imprudence ou la négligence. La référence
est celle des diligences normales. Le droit ne requiert
ni le génie, ni l’héroïsme. De temps immémoriaux, le droit connaît et pratique une notion
proche, le comportement du bon père de famille.
Mais dès qu’il s’agit de professionnels, de préjudice et d’assurance, le droit civil, marqué par
la préoccupation de l’indemnisation des victimes, a considérablement accru ses exigences,
passant en quelque sorte du bon père de famille
à l’excellent père de famille, créant des régimes
d’obligation de résultat et de présomption de
responsabilité : la survenance d’un dommage
fait présumer l’existence d’une faute et ouvre
droit à indemnisation.
À ce titre, la loi du 10 juillet 2000 consacre une
rupture dans l’analyse : le principe jurisprudentiel séculaire d’unité de la faute civile et pénale
a pris fin. La faute civile, qui est la clé de l’indemnisation, peut désormais dériver tranquillement vers les appréciations les plus rigoureuses,
alors que la faute pénale reste au niveau des diligences normales. Les victimes, à la recherche
de leur indemnisation, auront face à elle un
excellent père de famille qui assume tout jusqu’à ses fautes présumées, alors que le procureur de la République, préoccupé de l’ordre
social, s’intéressera au bon père de famille, qui
87
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 2, mars-avril 2002
Droit et éthique
ne répond que de son manque de diligence.
Quatrième alinéa : faute
pénale non intentionnelle
indirecte
“Dans le cas prévu à l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont
pas causé directement le dommage
mais qui ont créé ou contribué à créer
la situation qui a permis la réalisation
du dommage ou qui n’ont pas pris les
mesures permettant de l’éviter, sont
responsables pénalement s’il est établi
qu’elles ont soit violé de manière manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité
prévue par la loi ou le règlement, soit
commis une faute caractérisée et qui
exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient
ignorer.”
Ce 4e alinéa concerne l’auteur indirect du dommage, alors que l’auteur direct dépend du 3e alinéa. L’évolution était sensible pour le 3e alinéa.
Elle est nette s’agissant du 4e alinéa.
Le texte définit d’abord la notion d’auteur indirect, et cette notion est double. Il s’agit de ceux
qui ont créé ou contribué à créer la situation qui
a permis la réalisation du dommage, mais il
s’agit aussi des personnes qui n’ont pas pris les
mesures permettant de l’éviter. Dans une même
affaire, plusieurs personnes peuvent être considérées comme auteur indirect. Soulignons que
la notion d’auteur indirect concerne tous les
décideurs, publics ou privés, quel que soit leur
secteur d’activité.
Il faut ensuite définir quelle est la faute qui
engage la responsabilité pénale, et cette faute
renvoie également à une double notion.
La première est la violation délibérée d’une
obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. Il n’y a
pas d’intention de causer le dommage mais violation manifeste d’un texte, et encore d’un texte
qui définit une règle précise de prudence ou de
sécurité. Au contraire, et c’est une innovation
majeure du texte, une violation qui ne serait pas
manifestement délibérée n’est pas une faute
pénale pour l’auteur indirect. La seconde intervient en l’absence de consigne spécifique de
sécurité. L’infraction résulte alors d’une faute
caractérisée exposant autrui à un dommage
d’une particulière gravité, sans qu’il soit pos-
sible d’ignorer ce danger. Le texte permet ainsi
trois nouveaux moyens de défense : une faute
non caractérisée, l’exposition à un danger qui
n’est pas exceptionnellement grave, l’ignorance
d’un danger exceptionnellement grave. Les trois
conditions étant annulatives pour que soit
constituée l’infraction, l’absence d’une seule
conduit à l’impunité pénale de l’auteur indirect.
Pour l’auteur indirect, la faute pénale est ainsi
strictement entendue : violation manifeste d’une
règle de sécurité ou création, par action ou
omission, d’un danger d’une particulière importance. L’évolution par rapport à l’état antérieur
est notable, car la loi ancienne ne faisait aucune
distinction. En pratique, un équilibre était trouvé à l’occasion des procédures, mais plus d’une
décision judiciaire témoignait d’une véritable
sévérité. Désormais, l’auteur indirect n’est pas
épargné mais il est protégé. Le bon père de
famille doit donner les consignes et veiller au
grain, mais il n’a pas à répondre sur le plan
pénal de tous les faits et gestes de ses ouailles.
◆◆◆
L’évolution législative est marquante. Ses effets
seront sensibles sans qu’il s’agisse pour autant
de bouleversements.
La sensibilité dans l’opinion publique et parmi les
décideurs était exacerbée. Quelques décisions
de jurisprudence spectaculaires, mais plus encore
des plaintes déposées dans un contexte très
médiatique, avaient créé un sentiment d’insécurité
juridique. Chacun sait que l’annonce spectaculaire de l’engagement d’une procédure crée un
dommage considérable, parfois non réparable.
L’expérience établit qu’en pratique, notamment
par le jeu du principe d’opportunité des poursuites dont dispose le Parquet, n’étaient le plus
souvent sanctionnés que des faits qui répondaient réellement au sentiment social de ce
qu’est la faute. Toutefois, il convenait de rétablir
un équilibre face à ce qui pointait comme une
dérive : la pénalisation excessive de la vie
publique et des secteurs décisionnels.
Cette loi ne fera pas l’unanimité mais on peut
affirmer qu’elle est bienvenue. Le Parlement a
eu le mérite d’avoir su prendre ses responsabilités et rechercher une loi d’équilibre, alors que la
tentation aurait pu être de laisser le juge, et
d’abord la Cour de cassation, trouver le ton
juste. Il restera désormais à savoir comment les
termes de cette loi seront interprétés par les tri-
bunaux. L’évolution de la jurisprudence pénale
sera suivie avec attention. Les médecins doivent
s’y intéresser et ne pas considérer qu’il s’agit là
d’un insondable galimatias juridique.
Souhaitons qu’elle concoure à une maturation
de la conscience collective : c’est une véritable
régression de l’esprit que de penser qu’il n’existe de justice qu’au pénal, que si des têtes ne sont
pas tombées, la justice n’a pas été rendue.
◆◆◆
La nouvelle rédaction de l’article 121-3 du code
pénal doit rassurer les médecins. Le principe de
la responsabilité pénale pour faute involontaire
reste et il n’a jamais été question de l’abandonner. Cela aurait été un non-sens absolu : l’intégrité de la vie humaine justifie entièrement cette
protection. Mais la loi, sans bouleversement,
redéfinit le cadre :
◗ le médecin a droit à l’erreur, l’erreur étant
entendue comme un acte prudent et diligent
mais dont le résultat s’avère dommageable ;
◗ si le médecin est l’auteur direct du dommage,
sa faute sera appréciée de manière très concrète
par le juge, invité à tenir compte de toutes les
circonstances de fait permettant d’apprécier si
ses diligences normales ont été accomplies ;
◗ si le médecin n’est que l’auteur indirect, la
sanction de sa faute supposera peu ou prou un
réel critère de gravité.
À ce stade de l’analyse, un médecin croira peutêtre discerner une forme de schizophrénie du
droit, dans la mesure où les dernières années se
sont caractérisées par le renforcement de règles
de responsabilité : information sur tous les
risques graves même s’ils sont exceptionnels,
obligation de sécurité de résultat en matière
d’hygiène, responsabilité chirurgicale engagée
pour tout geste maladroit… Que l’on se rassure,
il n’y a là nulle schizophrénie, mais simplement
la cohabitation de deux régimes distincts : un
droit civil et administratif, préoccupé de l’indemnisation des victimes, tendant à abaisser le
seuil d’accès à l’indemnisation, et qui a pour
véritable interlocuteur l’assureur ; une responsabilité pénale, orientée vers la répression, qui a
pour légitimité de préserver les intérêts généraux que sont l’ordre public et l’équilibre social.
L’excellent père de famille des procédures
indemnitaires et le bon père de famille des procédures pénales se croiseront parfois mais leurs
chemins sont désormais bien différents.
88
Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 2, mars-avril 2002
Téléchargement