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STRATÉGIE DIAGNOSTIQUE ET THÉRAPEUTIQUE DANS LES
PENTADES ET LES LUXATIONS DU GENOU
D. SARAGAGLIA*, C. CHAUSSARD*
Sommaire de l'article
INTRODUCTION
ÉPIDEMIOLOGIE
MECANISMES DES LESIONS ET CLASSIFICATION
Les luxations antérieures (fig.1)
Les luxations postérieures
Les luxations latérales ou médiales
Les luxations rotatoires (fig. 2 et 3)
LES LESIONS ASSOCIEES
L'ouverture cutanée
Les lésions vasculaires
Les lésions neurologiques
Les lésions osseuses
Les lésions tendineuses
ÉTUDE ANATOMO-CLINIQUE
Les luxations antérieures
Les luxations postérieures
Les luxations latérales
Les luxations médiales
Les luxations rotatoires
CONDUITE A TENIR EN URGENCE
Le genou est luxé;
Le genou n'est pas luxé
TRAITEMENT DES LESIONS LIGAMENTAIRES
Méthodes thérapeutiques
Technique opératoire
Suites opératoires
Indications
RESULTATS
*Service de Chirurgie Orthopédique et de Traumatologie du Sport - C.H.U. de Grenoble Hôpital Sud. 38130
ECHIROLLES.
E-mail : [email protected]
Les luxations et les pentades (lésions bicroisés) du genou sont rares. Du fait de leur pronostic fonctionnel,
on peut les classer dans le même cadre nosologique des lésions multiligamentaires du genou. Les luxations
vraies sont dominées par le risque de lésions vasculaires (14 à 65%) en sachant que les luxations
spontanément réduites exposent au même risque alors que l'aspect en urgence peut être faussement
rassurant. En l'absence de lésion vasculaire qui nécessite une prise en charge immédiate par le chirurgien
vasculaire, la tendance actuelle est à opérer ces lésions après réduction de la luxation en urgence. La
réparation des lésions ligamentaires n'est pas urgente et il faut toujours se donner le temps de faire une
IRM et une artériographie sélective. Quels que soient les gestes réalisés sur les formations périphériques ou
le pivot central, le risque de raideur est loin d'être négligeable (15 à 45%), mais celle-ci, après
manipulation sous anesthésie générale, compromet rarement le résultat final qui est malgré tout
satisfaisant dans 75 à 85% des cas. Il s'agit d'une chirurgie longue et difficile qui nécessite une grande
expérience pour d'une part éviter de mutiler encore plus le genou par des prélèvements tendineux
inappropriés et d'autre part éviter de "verrouiller" un genou en position subluxée.
INTRODUCTION
Lorsque l'on parle d'entorse grave du genou comportant au minimum une rupture des deux ligaments croisés, il
est toujours très difficile de définir l'importance des lésions et de trouver la frontière entre entorse -c'est-à-dire
lésions ligamentaires sans perte de contact des surfaces articulaires- et luxation spontanément réduite (ou
réduite par un tiers) où il y a eu, à un moment donné, un déplacement tel que les surfaces articulaires n'ont
plus été en contact.
Dans un autre ordre d'idée, on a décrit d'authentiques luxations du genou avec atteinte seulement du ligament
croisé postérieur (Bellabarba [2]) ou du ligament croisé antérieur (Cooper [7]) ou parfois même sans atteinte des
ligaments croisés (Bratt [3]). Ainsi, il existe peu de corrélations entre importance du déplacement initial et
importance des lésions ligamentaires mais, par contre, il est logique de penser que les lésions vasculonerveuses associées sont directement en relation avec l'importance du déplacement initial.
Devant cette incertitude diagnostique, la prudence veut que l'on inclut dans les luxations du genou, les lésions "
bicroisés " (Wascher [36]) en ayant à l'esprit qu'il y a peut être eu à un moment donné une luxation susceptible
de provoquer des lésions artérielles "non visibles". Le rapprochement de ces deux types de lésions se retrouve
parfaitement dans la littérature puisqu'il existe une multitude de références sur les luxations du genou et que
celles sur les lésions " bicroisés " sont exceptionnelles (Imbert [13]).
ÉPIDEMIOLOGIE
Les luxations et lésions " bicroisés " du genou sont habituellement considérées comme des lésions rares.
Cependant, il faut savoir qu'un certain nombre peuvent passer inaperçues du fait qu'elles peuvent soit se
réduire spontanément soit être réduites par un tiers. Varnell [32] et Wascher [36] estiment que 50% des luxations
du genou arrivent réduites à l'hôpital.
Hoover (cité par Brautigan [4]) n'avait retrouvé en 1961 que 14 cas documentés à La Mayo Clinic sur plus de 2
millions d'admissions, Cole et Harner [6] font état de 52 cas de lésions aiguës et chroniques colligés entre 1990
et 1997 à Pittsburg. Pour notre part, nous avons reçu à l'hôpital sud de Grenoble entre 1991 et 1996, 8 lésions
" bicroisés " et 13 luxations du genou, alors que nous avons reçu pendant la même période plus de 600
ruptures du ligament croisé antérieur.
MECANISMES DES LESIONS ET CLASSIFICATION
Les accidents de véhicules motorisés (auto, moto, etc...) sont de grands pourvoyeurs de luxations du genou.
Cependant, les accidents sportifs sont loin d'être négligeables (ski, football, rugby). C'est le cas de notre série
qui ne comporte que des accidents de sports avec 70% d'accidents de ski.
On distingue également les accidents à haute vélocité tels que les accidents de la route qui seraient
susceptibles d'entraîner plus de lésions vasculaires (Wascher [34]) et les accidents à basse vélocité tels que les
accidents au cours de certains sports (Shelbourne [25]).
Le déplacement de la luxation se définit par la position du tibia par rapport au fémur. On décrit ainsi 5 types de
luxations : les luxations antérieures qui représentent selon Green [11] 40% des luxations ; les luxations
postérieures qui représentent 33% des luxations, les luxations latérales, 18%, les luxations médiales, 4%, et
les luxations rotatoires ou multidirectionnelles (Taft cité par Brautigan [4]).
Les luxations antérieures (fig.1)
fig. 1 : Luxation antérieure du genou
Elles sont d'après Green [11] les plus fréquentes des luxations du genou. Le mécanisme correspond
habituellement à une hyperextension. Celui-ci a été particulièrement étudié en laboratoire par Kennedy [15] en
1963 qui avait constaté qu'à 30° d'hyperextension, on assistait à une rupture de la capsule postérieure et du
ligament croisé antérieur, le ligament croisé postérieur n'étant quant à lui pas rompu à chaque fois (12
spécimens) ce qui est d'ailleurs corroboré par certains cas cliniques publiés dans la littérature (Cooper [7]). A
partir de 50° d'hyperextension, il avait assisté à une rupture de l'artère poplitée ; celle-ci pouvant, par ailleurs,
avoir des lésions intimales bien avant le stade de rupture. Les lésions vasculaires sont extrêmement fréquentes
dans les luxations antérieures du genou à tel point que Green [11] en avait colligé 39%.
Un choc direct d'arrière en avant sur l'extrémité supérieure du tibia peut également être à l'origine d'une
luxation antérieure du genou. Nous l'avons observé une fois chez une femme de 65 ans qui avait reçu un coup
de sabot de vache dans le creux poplité.
Les luxations postérieures
Elles sont presque aussi fréquentes que les luxations antérieures (33%). Le mécanisme correspond
habituellement à un choc violent sur la tubérosité tibiale antérieure genou fléchi à 90°. Le LCA est souvent
atteint en même temps que le LCP mais il peut parfois être respecté (Shields [26]). On retrouve dans 44% des
cas (Green [11]) une atteinte de l'artère poplitée.
Les luxations latérales ou médiales
Elles sont d'après Green [11] beaucoup plus rares que les luxations antérieures ou postérieures (18%
latérales et 4% pour les médiales). Elles correspondent à un choc direct sur la face latérale (luxation
ou sur la face médiale (luxation médiale) du genou. Les lésions vasculaires sont plus rares (6%
luxations latérales et 25% pour les luxations médiales) alors que les lésions latérales et surtout
[17]
latérales
sont
majeures
(Meyers
,
Shapiro
Sisto [27], Shields [26]).
Les luxations rotatoires (fig. 2 et 3)
pour les
latérale)
pour les
postéro[24]
,
fig.
2
:
a)
Vue
de
face
b) Vue de profil d'une luxation postéro-latérale du genou gauche
d'une
luxation
postéro-latérale
du
genou
gauche
fig.
3
:
a)
Vue
de
face
b) Vue de "profil" d'une luxation antéro-latérale du genou droit
d'une
luxation
antéro-latérale
du
genou
droit
Il s'agit de véritables laxités multidirectionnelles avec combinaison d'un mouvement de valgus rotation externe
pour les luxations antéro-latérales et postéro-latérales, et varus rotation interne pour les luxations antéromédiales et postéro-médiales. Elles sont relativement rares et correspondent pour Green à 5% des luxations du
genou.
LES LESIONS ASSOCIEES
Il s'agit de l'ouverture cutanée, des lésions vasculaires, neurologiques, osseuses et tendineuses (appareil
extenseur).
L'ouverture cutanée
Un certain nombre de luxations ouvertes ont été publiées dans la littérature. Shields [26] fait état d'un taux de
35% et Meyers [17] de 19%. Celles-ci seraient plus fréquentes dans les luxations antérieures ou postérieures.
Les lésions vasculaires
Le taux des lésions vasculaires est diversement apprécié dans la littérature. Il varie de 14 à 65% (Green [11],
Jones [14], Reckling [22], Treiman [30], Wascher [34]), en sachant que pour Shelbourne [25], les lésions vasculaires
sont beaucoup moins fréquentes dans les traumatismes à basse vélocité (4,8%) ce qui est le cas dans la
plupart des accidents sportifs. Ceci est corroboré par notre expérience personnelle (21 cas -5%-) et
l'expérience d'autres auteurs (Alicea [1], Sisto [27]).
fig. 4 : Lésion intimale de l'artère poplitée alors que le doppler artériel était normal !
Les mécanismes lésionnels correspondent pour Good et Johnson [10] soit à une élongation de l'artère poplitée
(luxation antérieure) soit à une contusion (luxation postérieure) soit à une rupture par luxation antérieure ou
postérieure. Les lésions intimales (fig.4) peuvent provoquer une thrombose secondaire (Ottolenghi [21],
O'Donnel [20]), et tout particulièrement après utilisation du garrot pour une réparation toujours difficile des
lésions capsulo-ligamentaires. Ces lésions vasculaires conduisent quand elles sont négligées à 90%
d'amputations secondaires.
Les lésions neurologiques
Elles varient de 16 à 40% (Reckling [22]). Le sciatique poplité externe (nerf péronier) est souvent atteint surtout
en cas de lésions latérales et postéro-latérales ou le taux atteint 30% (Meyers [17], Shapiro [24], Sisto [27],
Shields [26]). Celles-ci doivent être reconnues avant le geste chirurgical éventuel pour minimiser au maximum
les problèmes d'imputabilité.
Les lésions osseuses
Elles atteignent dans certaines séries (Meyers [17]), un taux de 60%. Elles sont beaucoup plus fréquentes chez
les polytraumatisés lors d'accidents à haute vélocité que chez les accidentés du sport. Les avulsions osseuses
des insertions ligamentaires sont relativement fréquentes (tête du péroné, plateau tibial, épines tibiales, etc...)
et grèvent rarement le pronostic fonctionnel.
Les lésions tendineuses
Il s'agit essentiellement de la rupture du ligament rotulien. Le diagnostic est loin d'être facile en urgence d'une
part parce qu'on n'y pense pas et d'autre part parce que l'examen clinique n'est pas toujours aisé. Une rotule
haute après réduction de la luxation doit l'évoquer. Il s'agit souvent d'une découverte fortuite per-opératoire ce
qui plaide pour une IRM dans le bilan pré thérapeutique des luxations du genou (Twaddle [31] : 2 ruptures du
ligament rotulien sur 17 luxations du genou).
ÉTUDE ANATOMO-CLINIQUE
Le sens du déplacement et le mécanisme lésionnel permettent souvent d'avoir une idée des lésions que l'on
aura à traiter. L'examen clinique sans anesthésie et sous anesthésie, l'IRM chaque fois que possible, la
radiographie standard sont tous les éléments qui vont permettre d'adopter la meilleure stratégie. Nous verrons
plus tard la conduite à tenir devant une luxation du genou. Notre propos est de dresser un bilan des lésions que
l'on rencontre, dans les luxations du genou réduites sans lésion vasculaire évidente.
Les luxations antérieures
Après réduction de la luxation, le testing ligamentaire s'impose pour apprécier l'état des
formations
périphériques
et la stabilité du genou. Habituellement, celles-ci sont "intactes" ou peu lésées à l'origine d'aucune laxité
majeure en varus ou valgus. Le genou est relativement stable en extension avec dans certains cas une absence
de tiroir postérieur signant l'intégrité du ligament croisé postérieur. Le tiroir antérieur est de grande amplitude
mais il n'est pas recommandé de reproduire la translation antérieure.
Les luxations postérieures
Là, aussi, les formations périphériques sont habituellement "intactes" ou tout au moins ne se manifestent pas
par une laxité majeure en varus ou en valgus. Le tiroir antéro-postérieur est de grande amplitude en sachant
que dans certains cas le ligament croisé antérieur n'est pas rompu. Le genou est stable en extension et n'a pas
tendance à se reluxer sauf si l'on fléchit le genou.
Les luxations latérales
Ce sont celles que l'on retrouve le plus dans les accidents sportifs et notamment dans la pratique du ski. Il peut
s'agir d'une pentade interne sans luxation, d'une luxation spontanément réduite ou d'une luxation "vraie"
arrivant luxée au Service des Urgences. La composante rotatoire (rotation externe) a souvent participé au
mécanisme lésionnel mais il n'est pas facile cliniquement de la mettre en évidence. Les lésions peuvent être
présagées à partir de l'examen clinique. Il existe toujours une laxité majeure en valgus extension témoignant
d'une rupture du ligament collatéral médial (LCM), de la coque condylienne médiale, du LCA et du LCP. Il existe
un tiroir antéro-postérieur majeur, augmenté par la rotation externe du pied, avec, par ailleurs, avalement de
la tubérosité tibiale antérieure. Cependant, il n'y a pas de laxité en varus ce qui témoigne d'une intégrité
relative des formations latérales. Celles-ci sont cependant lésées (point d'angle postéro-externe -PAPE- avec
désinsertion du ménisque externe, et rupture des fibres péronéo-poplitées) en cas de composante rotatoire à
l'origine d'un recul du plateau tibial externe alors que le plateau tibial interne avance.
Il n'est pas rare de voir dans ce type de luxation une incarcération du ligament collatéral médial dans
l'interligne articulaire (Nystrom [19], Shields [26]) à l'origine d'une irréductibilité de la luxation. L'invagination de
la peau médiale du genou, à l'origine d'une "fossette" anormale doit orienter le clinicien (fig.5 et 6).
fig. 5 : Avalement de la peau médiale (fossette) après réduction d'une luxation latérale du genou.
fig. 6 : Contrôle radiologique du cas de la figure 5. Remarquer l'irréductibilité avec ouverture de l'interligne interne en relation avec l'incarcération
du ligament collatéral médial.
Les luxations médiales
Elles se voient volontiers dans les accidents sportifs (ski, football, rugby) ou au cours des accidents de moto. Là
aussi, il peut s'agir d'une pentade externe d'une luxation spontanément réduite ou d'une luxation "vraie"
arrivant luxée au Service des Urgences. Il existe toujours une laxité majeure en varus témoignant d'une lésion
du PAPE avec rupture du ligament collatéral latéral (LCL) du tendon du biceps fémoral, du tendon du poplité, de
la coque condylienne latérale ; le LCA et le LCP sont également rompus de même que le fascia lata qui est
souvent dilacéré ; le SPE (nerf péronier) peut être étiré ou rompu. En cas de composante rotatoire médiale
associée, le recul du plateau tibial médial peut être à l'origine d'une lésion du point d'angle postéro-interne
(PAPI) composé du segment postérieur du ménisque interne et du "posterior oblique ligament" (POL).
L'examen clinique est évident et retrouve outre la laxité majeure en varus extension, un recurvatum test de
Hughston positif , un tiroir antéro-postérieur de grande amplitude genou fléchi à 80-90°, une hypermobilité du
compartiment latéral du genou, des tests dynamiques et un test de Lachman fortement positifs. Par contre, les
formations capsulo-ligamentaires médiales sont rarement atteintes et constituent la seule résistance au testing
ligamentaire.
Les luxations rotatoires
Ce sont de véritables laxités multidirectionnelles où il est parfois difficile de retrouver des formations
ligamentaires à peu près saines. L'examen clinique ne peut que constater qu'il n'y a plus grand chose qui tient
et tous les tests sont positifs dans le plan frontal, sagittal, et axial.
CONDUITE A TENIR EN URGENCE
Le genou est luxé;
Une fois les radiographies réalisées, la première chose à faire est évidemment de réduire la luxation, la plupart
du temps sous anesthésie générale, mais pas sans avoir fait au préalable un examen clinique sommaire pour
évaluer l'état vasculaire (pouls pédieux, pouls capillaire, retour veineux) et neurologique (sensibilité, motricité)
du membre inférieur. Les manœuvres de réduction comportent habituellement une traction sur le tibia avec
"rechaussage" sous le fémur, en poussant sur le tibia en cas de luxation antérieure et en tirant en avant en cas
de luxation postérieure. Les luxations latérale et médiale sont en général plus facile à réduire sauf en cas
d'incarcération ligamentaire (luxation latérale).
A ce stade, il y a plusieurs éventualités :
- Le membre est ischémique et restera ischémique après la réduction. Dans ce cas là, le chirurgien vasculaire
réalisera une artériographie pour visualiser la lésion de l'artère poplitée. Le problème ligamentaire est au
second plan : il faut stabiliser le genou (la plupart du temps par fixateur externe) pour que le chirurgien
vasculaire puisse traiter la lésion en général par pontage veineux et aponévrotomies des loges de la jambe.
- Le deuxième cas de figure correspond à un membre ischémique mais qui ne l'est plus après réduction de la
luxation. L'urgence est moindre, mais il faudra dans les heures qui suivent la réduction réaliser une
artériographie sélective surtout si un geste de réfection ligamentaire est à programmer. En attendant, une
surveillance horaire du pouls pédieux est nécessaire, le genou étant immobilisé dans une attelle amovible
permettant la surveillance clinique. Si la lésion vasculaire est confirmée on se retrouve dans le cas de figure
précédent ; par contre, s'il n'y a pas de lésion vasculaire on se retrouve dans le cas de figure suivant.
- La dernière éventualité correspond au genou luxé sans trouble vasculaire avant et après la réduction (pouls
pédieux et doppler artériel). Il ne faut pas, après la réduction, se lancer en urgence dans une réparation des
lésions ligamentaires. Il est préférable d'immobiliser le genou dans une attelle temporaire, de prescrire une IRM
pour évaluer l'importance des lésions ligamentaires et tendineuses et de réaliser une artériographie sélective à
la recherche d'une lésion intimale (fig.4) qui pourrait se révéler, au lâcher du garrot, au décours du geste
chirurgical sur les ligaments.
Le genou n'est pas luxé
Il s'agit d'un véritable piège car le genou peut avoir été luxé et présenter les mêmes lésions ligamentaires,
vasculaires et nerveuses que dans le chapitre précédent. L'examen clinique initial doit être le même avec
recherche des lésions vasculaires et nerveuses. Au moindre doute, il faut demander un avis vasculaire en
sachant que le doppler artériel devrait être systématique. Quoi qu'il en soit, il faut chaque fois que possible
prendre le temps, avant d'opérer les lésions ligamentaires, d'avoir une artériographie sélective (fig.7) dans des
conditions radiologiques optimales et d'avoir également une IRM pour bilan tendino-ménisco-ligamentaire. La
crainte de la lésion vasculaire latente et asymptomatique doit toujours être présente à l'esprit, surtout quand
on doit se lancer dans une chirurgie sous garrot longue et difficile. Toute décompensation post-opératoire
pourrait être dramatique et pour le patient et pour le chirurgien (risque médico-légal +++).
fig. 7 : Artériographie normale réalisée sous plâtre.
TRAITEMENT DES LESIONS LIGAMENTAIRES
Il va sans dire que nous ne parlerons que des lésions ligamentaires des genoux sans lésion vasculaire mais
comportant parfois des lésions neurologiques qui influencent peu la conduite thérapeutique en urgence (Good
et Johnson [10], Tomaino [29], Sedel et Nizard [23]).
Pendant la première moitié du siècle dernier, le traitement orthopédique était la règle dans les luxations
traumatiques aiguës du genou avec parfois des résultats satisfaisants (Taylor [28]). À la fin des années 1950 et
début des années 1960, un certain nombre d'auteurs a commencé à plaider pour le traitement chirurgical
(Kennedy [15], Shields [26], Reckling [22]). Cette tendance s'est affirmée dans les années 1970 (Meyers [17],
Honton [12]) pour être aujourd'hui largement répandue et défendue par de multiples auteurs (Shelbourne [25],
Sisto [27], Frassica [9], Shapiro [24], Noyes [18], Wascher [35], Yeh [37]).
Il faut cependant garder à l'esprit que si certaines lésions périphériques (postéro-latérales notamment)
cicatrisent très mal (Shelbourne [25]) et conduisent à un handicap majeur en cas de négligence, la chirurgie
expose à un certain nombre de raideurs qu'il va falloir gérer dans la stratégie post-opératoire.
Méthodes thérapeutiques
Traitement orthopédique
Il consiste à immobiliser le genou dans un plâtre cruro-pédieux ou trochanter-malléole pour 6 à 8 semaines.
Pour espérer obtenir un résultat satisfaisant, il faut que le genou soit correctement réaxé sans translation
antérieure ni postérieure et sans bâillement interne ou externe. Pour cela, il est essentiel d'avoir une
radiographie de face et de profil du genou sous plâtre (fig. 8). L'IRM est également intéressante pour s'assurer
que les ligaments sont en continuité sans luxation des ménisques et sans interposition ligamentaire dans
l'articulation.
fig.
8
:
a)
Contrôle
radiologique
d'une
luxation
du
genou
réduite
orthopédiquement
b) Remarquer, sur le profil, une mauvaise réduction de la luxation avec subluxation postérieure du tibia et rotation interne du squelette jambier.
Traitement chirurgical
Il consiste à réparer les lésions méniscales et capsulo-ligamentaires soit par des sutures directes ou des
réinsertions ligamentaires, soit par des plasties d'addition ou de remplacement. Il s'agit d'une chirurgie longue
et difficile, à réaliser de préférence sous garrot, et qui nécessite une connaissance parfaite de l'anatomie du
genou dont les structures sont parfois disposées de manière totalement anarchique. Si certains auteurs
préconisent un geste avec assistance arthroscopique pour la réfection du pivot central (Yeh [37]) la plupart,
surtout dans le contexte de l'urgence et pour éviter un syndrome des loges, préfèrent opérer à ciel ouvert ceci
d'autant plus qu'un certain nombre de gestes périphériques sont à réaliser.
L'intervention commence toujours par un testing sous anesthésie générale qui, comparé aux radiographies
initiales et à l'IRM permettra d'adopter la meilleure stratégie possible dans l'exploration et la réfection des
lésions capsulo-ligamentaires.
Technique opératoire
D'une manière générale, nous installons toujours le patient en décubitus dorsal, genou fléchi à 90° grâce à un
support de cuisse en demi-lune, garrot pneumatique à la racine de la cuisse.
L'incision est toujours para-patellaire interne ce qui permet d'une part de travailler sans problème dans
l'échancrure pour réparer LCA et LCP et d'autre part d'explorer et de traiter les lésions capsulo-ligamentaires
médiales. Une contre-incision latérale partant du tubercule de Gerdy et remontant plus ou moins haut sur la
cuisse permet d'explorer et de traiter le cas échéant les lésions capsulo-ligamentaires latérales.
Le traitement des lésions médiales dépend des lésions rencontrées. En cas d'avulsion fémorale du LCM
(ligament collatéral médial) et de la coque condylienne, il est relativement aisé de réinsérer la coque par laçage
et tunnels osseux d'amarrage et le LCM par agrafage (fig. 9a et b) ; même chose en cas d'avulsion de
l'insertion tibiale en sachant qu'il est souvent utile de réinsérer le ménisque interne au niveau du point d'angle
postéro-interne. La réparation est plus difficile lorsque la rupture siège en plein milieu du LCM et de la coque
condylienne ; la seule solution est de faire une suture bout à bout avec parfois augmentation par le Droit
Interne, le Demi-tendineux étant réservé pour la réparation du LCA.
fig. 9 : a) Incidence radilogique de face d'une luxation du genou gauche ayant été opéré par :
- Plastie de CHO pour le LCA
- Prothèse ligastic® pour le LCP fixée par 2 agrafes sur le condyle médial
- Réinsertion fémorale du LCM par agrafe vissée
- Réinsertion fémorale du LCL tendon du poplité par agrafe vissée
b) Incidence radiologique de profil du même patient
Le traitement des lésions latérales dépend également des lésions rencontrées. Comme du côté médial, les
avulsions, soit au niveau du condyle latéral de l'insertion LCL-poplité, soit au niveau de la tête du péroné de
l'insertion biceps-LCL (ligament collatéral latéral), sont relativement faciles à traiter par agrafage ou réinsertion
trans-osseuse. Par contre, les ruptures en plein milieu du LCL ou du poplité sont difficiles à traiter et
nécessitent souvent une augmentation (fig. 11) soit à l'aide du transplant qui va servir à refaire le LCA (demitendineux) soit à l'aide d'un ligament synthétique. Le Fascia Lata quant à lui peut toujours être suturé ou
réinséré au niveau du tubercule de Gerdy. En cas de lésion du SPE (Nerf péronier) la voie d'abord latérale
permet de l'explorer et de le repérer par 2 fils en cas de rupture totale.
fig. 10 : a) Vue de face des différents gestes ligamentaires
b) Vue de 3/4 interne
1 - Réinsertion fémorale par agrafe vissée du LCM
2 - Augmentation du LCA à l'aide du 1/2 tendineux (CHO)
3a - Prothèse ligamentaire pour reconstruire le LCP
3b - Agrafage de la prothèse ligamentaire sur le condyle médial
4 - Réinsertion du LCL sur la tête du péroné
En ce qui concerne le LCA et le LCP, les sutures simples ont fait la preuve de leur insuffisance dans les
réparations isolées et elles ne sont pas plus efficaces dans ce contexte de lésions ligamentaires multiples
(Mariani [16]). Par ailleurs, il est tout à fait discutable de prélever et le ligament rotulien et la patte d'oie dans ce
contexte où le délabrement du genou est déjà majeur. Certains auteurs privilégient à juste titre les allogreffes
de tendon rotulien ou de tendon d'Achille (Shapiro [24], Fanelli [8]), Noyes [18], Wascher [35] pour d'une part éviter
de délabrer un peu plus le genou et d'autre part pour raccourcir le temps opératoire. Pour notre part, nous
préférons utiliser pour le LCA, la technique de CHO [5] qui consiste à augmenter la suture du LCA avec le DemiTendineux (fig.9 et 10), l'excès de tendon pouvant servir à doubler la suture du LCL, et pour le LCP une
prothèse ligamentaire (Ligastic ®).
fig. 11 : Augmentation du LCL par l'excès de demi-tendineux
La stratégie opératoire est difficile car les tunnels osseux peuvent être multiples et il est préférable de ne pas
les faire se croiser pour ne pas endommager transplants et sutures. Une des grandes difficultés de cette
chirurgie est de bien "centrer" le tibia sous le fémur aussi bien dans le plan antéro-postérieur qu'en rotation.
Nous avons l'habitude de passer tous les fils et tous les transplants dans un premier temps et de "figer" le
genou en position anatomique (contrôle radiologique per-opératoire) par un embrochage fémoro-tibial genou en
flexion à 90°. Le tibia étant bien "centré" sous le fémur où peut alors fixer les transplants, nouer les fils de
suture et agrafer les avulsions ligamentaires. La broche sera ensuite retirée pour étendre le genou.
Suites opératoires
Le genou est habituellement immobilisé dans un plâtre pour 30 à 45 jours. Cette durée peut être écourtée
(Noyes [18]) si les formations périphériques ont pu bénéficier de réinsertions solides telles qu'agrafage des
avulsions ligamentaires. Les raideurs sont fréquentes (20 à 40%) et nous proposons volontiers aux alentours
du 3ème mois une mobilisation du genou sous anesthésie générale qui nous paraît plus efficace qu'une
arthrolyse arthroscopique (qui se termine toujours, d'ailleurs, par une mobilisation !).
Indications
Elles sont fonction du type de luxation et par conséquent du type de lésion plus que de l'âge ou des exigences
sportives.
En effet, une luxation antérieure ou postérieure qui intéresse essentiellement le LCA et le LCP peut fort bien
être traitée orthopédiquement quel que soit l'âge du patient. En cas d'instabilité secondaire il sera toujours
possible de réparer à "froid" le pivot central avec beaucoup moins de risques de raideur.
Par contre, une luxation latérale ou surtout médiale avec lésions postéro-latérales majeures n'aura aucune
chance de donner un résultat satisfaisant avec un traitement orthopédique que le sujet soit sportif ou
sédentaire, jeune ou âgé.
En pratique, nous sommes plutôt favorables au traitement orthopédique dans les luxations antérieures ou
postérieures quel que soit l'âge du sujet et plutôt favorable au traitement chirurgical en cas de lésions postérolatérales majeures, car on sait que ces lésions cicatrisent mal (Shelbourne [25]) et que les plasties de réfection
sont d'une efficacité douteuse. En ce qui concerne les luxations latérales et les pentades internes nous pensons
qu'il est préférable d'opérer les adultes jeunes (moins de 50 ans) et de réserver le traitement orthopédique (à
condition qu'il respecte les bases que nous avons énoncées plus haut) aux patients plus âgés.
En cas de traitement chirurgical, certains auteurs dont nous faisons partie préconisent de traiter toutes les
lésions (Honton [12], Shapiro [24]) et notamment de réparer les deux ligaments croisés. D'autres (Shelbourne [25],
Yeh [37]), pour semble-t-il diminuer le risque de raideur, préfèrent ne reconstruire que le ligament croisé
postérieur pour centrer correctement le tibia sous le fémur et envisager dans un deuxième temps "à froid", si
nécessaire, une reconstruction du LCA.
En dehors de toute étude prospective randomisée, particulièrement difficile à réaliser, il est impossible
aujourd'hui d'adhérer sans arrière-pensée à cette affirmation.
RESULTATS
Nous n'insisterons pas sur les luxations du genou comportant des lésions vasculaires où le pronostic est plus lié
à la conservation du membre qu'au problème ligamentaire lui-même, même si celui-ci risque de poser, à terme,
le plus de problèmes.
Malgré la gravité des lésions initiales, toutes les séries chirurgicales (Brémant in [13], Cole et Harner [6], Frassica
, Honton [12], Noyes et Barber-Westin [18], Shapiro et Freedman [24], Sisto et Warren [27], Versier [33], Wascher
[35]
, Yeh [37]) font état de résultats tout à fait satisfaisant dans 75 à 85% des cas, en fonction de la cotation
utilisée. Il est très difficile de comparer les séries entre elles car, les techniques opératoires ne sont pas
toujours les mêmes, les lésions anatomiques sont différentes, les séries font état de peu de cas et les suites
opératoires sont variables d'un auteur à l'autre.
[9]
Ce qui se dégage de ces résultats c'est la raideur post-opératoire qui varie de 15 à 45% et qui nécessite la
plupart du temps une mobilisation sous anesthésie générale plus qu'une arthrolyse arthroscopique. Cette
raideur transitoire n'est cependant pas catastrophique, puisqu'au-delà d'un an de recul, la moyenne des
flexions varie de 115° à 130° (90 à 154° pour les extrêmes) et le déficit d'extension varie de 0 à 3,2° (-13° à
10° pour les extrêmes).
En ce qui concerne la reprise des activités sportives au même niveau, celle-ci est relativement rare puisqu'elle
varie de 9% à 46% alors que la reprise du sport avec une activité modifiée varie de 31 à 78%.
Pour ce qui est de la laxité résiduelle, celle-ci est souvent présente soit en translation antéro-postérieure (36%
de ressauts pour Versier [33]) soit en valgus ou varus extension (22,5% et 15% toujours pour Versier).
L'incidence de l'arthrose est peu connue car la plupart des séries ont peu de recul et ne permettent pas de
conclure de manière satisfaisante sur ce point. Seul Versier [33] présente une série avec 11,2 ans de recul
moyen. Il fait état de 49% de genoux indemnes d'arthrose, 17% de pré-arthrose, et 34% d'arthrose avérée.
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